CAIRN.INFO : Matières à réflexion

INTRODUCTION

1Depuis le lancement de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) à l’occasion du premier Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, la lutte contre les changements climatiques, jadis peu discutée, s’est hissée au sommet des préoccupations environnementales de l’ensemble des pays industrialisés. Les engagements mondiaux et régionaux qui en ont découlé – tels que le Protocole de Kyoto convenu en 1997 et le Système européen d’échange de quotas d’émissions (SEEQE) lancé en 2005  [1] – ont imposé aux décideurs belges des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et mené à l’adoption de politiques climatiques adaptées à la structure économique et institutionnelle du pays.

2L’objectif du présent Courrier hebdomadaire est d’analyser le développement des politiques de lutte contre les changements climatiques en Belgique, au vu des dynamiques économiques, géopolitiques et institutionnelles ayant sous-tendu les négociations en la matière.

3Pour ce faire, nous présenterons d’abord un survol du contexte scientifique, géopolitique et économique dans lequel s’est inscrite l’élaboration des politiques climatiques belges. Puis nous nous pencherons sur ces politiques elles-mêmes, en accordant une attention particulière à l’accord sur le partage de la charge du Protocole de Kyoto entre le pouvoir fédéral et les trois régions, ainsi qu’au Plan national d’allocation des quotas (PNAQ) dans le cadre du SEEQE. Ensuite, nous verrons comment le processus d’élaboration des politiques climatiques en Belgique dépend non seulement des circonstances nationales, mais aussi du schéma de pensée économique traditionnel, ce qui montre l’importance des liens entre chercheurs et décideurs. Cela nous amènera enfin à souligner quelques enjeux majeurs des discussions à venir concernant le développement de politiques climatiques au-delà de 2012, horizon temporel de la plupart des politiques actuelles  [2].

1. CONTEXTE DES POLITIQUES CLIMATIQUES

1.1. CONTEXTE SCIENTIFIQUE

4Dans son article premier, la CCNUCC définit les changements climatiques comme étant des « changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables  [3] ». La relation entre l’activité humaine et les changements climatiques, souvent remise en question dans les premières années ayant suivi l’adoption de la CCNUCC, fait désormais l’objet d’un large consensus au sein des communautés scientifique et politique.

5Les mécanismes physico-chimiques par lesquels se manifeste l’impact de l’activité humaine sur le climat font aussi l’objet d’un consensus général, mais de nombreuses incertitudes demeurent en de nombreux maillons de la chaîne causale. Pour cette raison, et afin de mieux comprendre les doutes, interrogations et suppositions qui marquent encore l’élaboration des politiques climatiques belges, européennes et internationales, il convient d’exposer brièvement les bases scientifiques du phénomène des changements climatiques.

6Depuis le début de l'actuelle ère interglaciaire, il y a de cela environ 10 000 ans, le système climatique prévalant sur la Terre est demeuré plutôt stable, avec une température moyenne globale ne variant pas de plus d’un degré par siècle, pour se situer aujourd’hui aux environs de 15°C  [4]. Cette stabilité repose sur un équilibre fragile entre le flux énergétique solaire entrant dans l’atmosphère et le rayonnement infrarouge émis par la Terre vers l’espace, ainsi que sur la rétention d’une quantité donnée de chaleur par des gaz naturellement présents dans l’atmosphère, qui créent un effet de serre dit « naturel ».

7Toutefois, depuis l’avènement de la révolution industrielle, la transformation accélérée des ressources naturelles par l’Homme a entraîné le rejet de quantités croissantes de ces gaz à effet de serre – principalement le dioxyde de carbone (CO2 ), suivi du méthane (CH4 ), du protoxyde d’azote (N2 O) et des composés fluorés – avec pour résultat leur accumulation dans l’atmosphère jusqu’à des concentrations allant bien au-delà des niveaux historiques ou naturels. Ainsi, on estime que la concentration du seul CO2 dans l’atmosphère est passée d’environ 280 parties par million en volume (ppmv) avant la révolution industrielle, à plus de 380 ppmv à la fin 2005. Par conséquent, l’effet de serre naturel s’en trouve amplifié, c’est-à-dire que la quantité de chaleur retenue dans l’atmosphère terrestre augmente, entraînant une hausse de la température moyenne globale en surface.

8Il va sans dire que ce réchauffement global accéléré est susceptible de perturber les dynamiques météorologiques, générant des impacts croissants sur les systèmes écologiques et humains de la planète. Selon de nombreuses études, toute augmentation de plus de 2°C de la température moyenne globale, par rapport à l’ère préindustrielle, risquerait de se traduire par une escalade d’impacts mettant en péril les écosystèmes, la production alimentaire et le développement économique de l’ensemble de la planète. Pour cette raison, de nombreux intervenants sur la scène politique climatique prônent l’adoption de mesures aptes à limiter la hausse de la température moyenne globale à 2°C d’ici l’année 2100. La Commission européenne et le Conseil européen, notamment, ont intégré cet « objectif des 2°C » à leur vision des politiques climatiques à long terme, telle qu'exprimée déjà dans des conclusions du Conseil en juin 1996 et réaffirmée dans des communications et conclusions émises en début 2005  [5]. Au niveau belge, le Conseil fédéral du développement durable reprend aussi cet objectif dans son Deuxième avis sur une stratégie mondiale de prévention des changements climatiques au-delà de 2012, publié en juillet 2005  [6].

9Toutefois, afin de formuler des politiques climatiques en des termes opérationnels, « l’objectif des 2°C » ne suffit pas : il faut encore déterminer le seuil maximal de concentration atmosphérique de gaz à effet de serre auquel correspond une telle hausse de la température, puis établir un profil mondial d’émissions apte à respecter ce seuil maximal de concentration.

10Dans les communications émises par de nombreux décideurs politiques, une hausse maximale de température de 2°C a souvent été associée à une concentration maximale de gaz à effet de serre de l’ordre de 550 ppmv  [7]. Les fondements scientifiques de cette association entre les deux objectifs restent toutefois incertains. C'est pour cela que les prévisions provenant des modèles utilisés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sont exprimées en « intervalles de possibilités ». Ainsi, d'après ce panel d'experts, un doublement de la concentration de gaz à effet de serre par rapport à l’époque préindustrielle (soit l’atteinte d’une concentration de l’ordre de 550 ppmv) serait susceptible de résulter en une hausse de la température située entre 1,5 et 4,5°C. Mais les résultats de recherches plus récentes sont moins optimistes  [8] : ils suggèrent qu’il conviendrait plutôt de viser une concentration maximale de 450 ppmv pour l'ensemble des gaz à effet de serre afin de maintenir l'augmentation de la température en deçà de 2°C avec une probabilité d'environ 50 %. Cela signifie évidemment que d'importantes réductions des émissions seraient requises à l'avenir.

1.2. CONTEXTE GÉOPOLITIQUE

11Parmi les activités humaines responsables du rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, la combustion de combustibles fossiles (dans l’industrie, les transports, les résidences et pour la production d’électricité) occupe le premier rang. Elle constitue en effet la principale source des émissions anthropiques de CO2, elles-mêmes responsables d’environ 60 % de l’effet de serre « non naturel ». D'autres gaz à effet de serre d’origine anthropique proviennent des activités agricoles, responsables d’émissions de CH4 et N2 O, et de certains procédés industriels dégageant des gaz plus rares mais ayant souvent un potentiel de réchauffement et une durée de vie très élevés  [9].

12En comparaison à d’autres préoccupations environnementales, les changements climatiques ont la particularité d’être une problématique véritablement mondiale : peu importe l’origine géographique des émissions, leurs répercussions pourront se faire sentir à l’échelle du globe. La problématique climatique se présente donc comme une version mondiale de la Tragédie des Communs, le problème économique classique de la gestion d’une ressource commune dont tous peuvent jouir sans exclusion  [10]. Selon la théorie économique, en absence de toute structure de gestion, le caractère collectif de la ressource résulte en une déresponsabilisation de chaque utilisateur face à sa pérennité, ayant pour conséquence la dégradation continue de la ressource. Ainsi, pour éviter la dégradation continue de la ressource climatique, il importe d’élaborer une structure mondiale définissant la responsabilité d’agir de chacun face à la menace des changements climatiques.

13Or, la responsabilité d’agir face aux changements climatiques est une question épineuse. Pour la résoudre, la CCNUCC fait appel, dans son article troisième, au principe des « responsabilités communes mais différenciées et [des] capacités respectives  [11] » des pays, en distinguant de façon sommaire deux grandes catégories : les pays développés et les pays en développement.

14D’une part, il est incontestable que les pays dits développés – l’Europe occidentale, l’Amérique du Nord, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les économies en transition – sont responsables de la plus grande part des émissions historiques de gaz à effet de serre, du fait de leur transition à l’ère industrielle dès le 19e siècle. La majeure partie des gaz à effet de serre d’origine anthropique déjà accumulés dans l’atmosphère peut donc leur être imputée, et ils présentent à ce jour des niveaux d’émissions per capita très élevés. En ce sens, leur responsabilité face au problème est majeure. En même temps, ces pays bénéficient généralement d’un niveau de développement économique élevé (à l’exception de certaines économies en transition), leur conférant une capacité supérieure à mettre en œuvre des mesures de réduction des émissions.

15D'autre part, les pays dits en développement, bien qu’ils aient démarré leur transition à l’ère industrielle plus tardivement, sont désormais responsables d’une part importante des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Selon les estimations du GIEC, en l’an 2000, environ 51,8 % des émissions mondiales des trois principaux gaz à effet de serre (CO2, CH4 et N2 O) provenaient d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, des émissions absolues élevées, mais qui traduisent mal des taux d’émissions per capita encore très bas, comparés à ceux des pays développés. Néanmoins, avec des prévisions de développement économique rapide et de croissance démographique soutenue, on s’attend à ce que les émissions des pays en développement continuent d’augmenter rapidement au cours des prochaines décennies, augmentant d’autant la part de responsabilité de ces régions face aux changements climatiques. Leur capacité à agir pour réduire leurs émissions est toutefois limitée, dans la plupart des cas, par des moyens financiers moindres, couplés à une aspiration légitime à prioriser des objectifs de développement économique et social.

16Sur cette base, il est possible de représenter la responsabilité d’agir des différents pays face aux changements climatiques au moyen d’un indice de responsabilité-capacité, où le facteur de responsabilité est mesuré par les émissions de CO2 par habitant, et le facteur de capacité, par le produit intérieur brut (PIB) par habitant. Il s’agit donc de deux indicateurs certes limités – le premier, parce qu’il ne reflète pas les émissions historiques ni celles des autres gaz à effet de serre, et le second, parce qu’il n’évoque pas le coût de la réduction des émissions dans chaque pays – mais qui constituent néanmoins un point de départ pour positionner les différents pays les uns par rapport aux autres.

17Le graphique 1 présente le classement des différents pays et régions du monde selon cet indice pour l’année 2001. On y voit que la Belgique, avec des émissions de l’ordre de 11,6 tCO2 par habitant et un PIB per capita avoisinant les 25 000 dollars, se classe parmi les pays du monde ayant à la fois une grande part de responsabilité et une grande capacité d’agir face au problème des changements climatiques. Elle se trouve donc, à l’instar de l’Union européenne et des autres pays développés, interpellée à agir en faveur d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Graphique 1

Indice de responsabilité

Graphique 1
Graphique 1 : Indice de responsabilité Capacité pour différentes régions du monde en 2001 25 20 USA EE et ex-URSS Responsabilité(tCO2/hab.) 15 OCDE Belgique Russie 10 UE Moyen Orient 5 Monde Chine Amérique Latine Asie BrésilAfrique Inde 0 0 5 10 15 20 25 30 35 Capacité (PIB/hab., milliers de US$) Source : V. CHOQUETTE, B. LUSSIS, K. MARÉCHAL et W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique : Vers une approche intégrée des implications du réchauffement planétaire, Rapport final, Convention CEESE-Electrabel, Bruxelles, mars 2006, pp. 152-153.

Indice de responsabilité

V. CHOQUETTE, B. LUSSIS, K. MARÉCHAL et W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique : Vers une approche intégrée des implications du réchauffement planétaire, Rapport final, Convention CEESE-Electrabel, Bruxelles, mars 2006, pp. 152-153.

18À partir de 1995, afin d’orienter les efforts climatiques internationaux de façon à tenir compte de leurs différents niveaux de responsabilité et de capacité, l’ensemble des pays rassemblés sous l’égide de la CCNUCC se sont réunis annuellement, pour en arriver à l'adoption en 1997 du Protocole de Kyoto, devenu dès lors la pierre angulaire des discussions climatiques. Allant au-delà des stipulations de la CCNUCC, qui exigeait l'élaboration d'un inventaire annuel des émissions (c’est-à-dire un portrait quantitatif des gaz à effet de serre émis par les différents secteurs d'un pays), cette entente définit aussi, pour les pays développés repris dans l’Annexe I de la CCNUCC, des objectifs chiffrés de réduction des émissions (exprimés en pourcentage d’un niveau de référence). Juridiquement contraignants pour les pays ayant ratifié le Protocole (c’est-à-dire l’ensemble des pays de l’Annexe I à l’exception des États-Unis et de l’Australie), ces objectifs doivent être respectés par le niveau d’émission annuel moyen de chaque pays pendant la période 2008-2012.

19Afin d’accorder aux pays contraints davantage de flexibilité pour l’atteinte de leurs objectifs, le Protocole de Kyoto prévoit également la mise en œuvre d’un système de commerce de droits d’émission, c’est-à-dire que les pays qui réussiront à mettre en œuvre des réductions d’émission supérieures à celles qui leur étaient imposées pourront vendre leurs droits d’émission excédentaires aux pays qui, autrement, ne parviendraient pas à atteindre leur objectif à moindre coût. Des droits d’émission additionnels pourront aussi être acquis via la réalisation de projets de réduction d'émissions dans les pays en développement (un processus appelé mécanisme de développement propre) ou dans d’autres pays développés (un processus alors appelé mise en œuvre conjointe). Quoi qu’il en soit, les objectifs attribués aux pays développés – une réduction de 5,2 % en moyenne – sont tels que la réalisation de mesures domestiques d’envergure pour la réduction des émissions semble désormais inévitable.

20Dans les discussions ayant mené à la définition des objectifs de réduction des pays développés, les États membres de l’Union européenne (alors au nombre de quinze) ont choisi d’adopter un objectif commun – une réduction de 8 % – qu’ils allaient ensuite se répartir entre eux dans le cadre de négociations internes. S’inspirant d’une approche méthodologique appelée l’approche triptyque, ces négociations internes ont tenu compte des caractéristiques propres à chaque pays relativement à trois grands secteurs émetteurs, nommément la production d’énergie, l’industrie fortement intensive en énergie, et le secteur domestique (pris au sens large).

1.3. CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET INSTITUTIONNEL

21À l’issue des discussions européennes, la Belgique s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 7,5 % d’ici 2008-2012, par rapport à l’année de référence (1990 ou 1995, selon le gaz). Toutefois, compte tenu de la structure institutionnelle belge, l’élaboration de mesures concrètes de réduction des émissions en vue d’atteindre cet objectif exigeait tout d’abord la conclusion d’une entente quant au partage des efforts à fournir entre les trois régions du pays et l’Autorité fédérale.

22En effet, à l’instar des différentes régions du monde, les trois régions de la Belgique diffèrent aussi en termes de responsabilité historique et de capacité actuelle à agir pour réduire leurs émissions. L’indice de capacité-responsabilité des trois régions belges, présenté dans le graphique 2, révèle en effet que la Région wallonne, forte d’un héritage industriel lourd, a des émissions de CO2 par habitant légèrement plus élevées qu’en Région flamande, donc une responsabilité plus grande. Par contre, la Région flamande a un PIB par habitant plus élevé, suggérant une capacité plus grande à mettre en œuvre des mesures de réduction des émissions. Cette interprétation doit toutefois être nuancée par la prise en compte de coûts de réduction des émissions différents dans les deux régions, une différence mal quantifiée, mais qui allait aussi influencer les négociations du partage de la charge à l’intérieur de la Belgique, comme nous le verrons plus loin.

23Quant à la Région bruxelloise, enfin, elle se distingue par une responsabilité largement inférieure et une capacité financière largement supérieure aux deux autres régions du pays. Toutefois, son caractère urbain – avec une densité de population élevée, une concentration d’entreprises du secteur tertiaire et un parc industriel restreint – en fait un cas particulier justifiant un traitement distinct dans les négociations.

Graphique 2

Indice de responsabilité

Graphique 2
Graphique 2 : Indice de responsabilité Capacité pour les trois régions belges en 2001 14,0 Région wallonne Région flamande Belgique12,0 Bruxelles4,0Responsabilité(tCO2/hab.) 10,0 8,0 6,0 2,0 0,0 0,0 10,0 20,0 30,0 40,0 50,0 60,0 Capacité (PIB/hab., milliers €) Source : Analyse propre de données de 2001 fournies par l’Institut des comptes nationaux, le Service public fédéral Économie, la Cellule interrégionale de l’Environnement et le Ministère de la Région wallonne (Direction générale des Ressources naturelles et de l’Environnement).

Indice de responsabilité

Analyse propre de données de 2001 fournies par l’Institut des comptes nationaux, le Service public fédéral Économie, la Cellule interrégionale de l’Environnement et le Ministère de la Région wallonne (Direction générale des Ressources naturelles et de l’Environnement).

24En plus de s’adapter aux spécificités régionales, l’élaboration de la politique climatique belge doit aussi tenir compte de facteurs économiques et technologiques propres à chacun des secteurs qui contribuent aux émissions de gaz à effet de serre du pays. En effet, la connaissance des dynamiques qui sous-tendent l’évolution des émissions des différents secteurs doit permettre de définir une répartition sectorielle adéquate des efforts de réduction des émissions.

25Selon le dernier rapport d’inventaire soumis à la CCNUCC par le gouvernement fédéral  [12], les émissions totales de gaz à effet de serre du pays en 1990 – l’année de référence de nombreux engagements politiques – s’élevaient à 145,7 MtCO2 eq, réparties entre les différents secteurs du pays tel que l’indique le graphique 3. On remarque que quatre grands secteurs sont responsables de la majeure partie des émissions du pays : les secteurs industriels (34 %), de production d’énergie (21 %), résidentiel et tertiaire (19 %) et des transports (14 %). Ainsi, la connaissance des dynamiques qui régissent l’évolution des émissions de ces quatre secteurs est cruciale pour l’élaboration d’une politique climatique belge bien ciblée.

Graphique 3

Répartition sectorielle des émissions de gaz à effet de serre de la Belgique en 1990

Graphique 3
Graphique 3 : Répartition sectorielle des émissions de gaz à effet de serre de la Belgique en 1990 AgricultureRésidentiel/ 9%Tertiaire 19% Déchets 2% AutresTransport 1%14% IndustrieÉnergie 34%21% Source : Royaume de Belgique, op. cit.

Répartition sectorielle des émissions de gaz à effet de serre de la Belgique en 1990

Royaume de Belgique, op. cit.

26Or, une récente étude de l’évolution de leurs émissions de CO2 d’origine énergétique entre 1995 et 2003 révèle que chacun de ces secteurs répond à des influences très distinctes  [13]. Dans le secteur de la production d’énergie, le remplacement progressif du charbon par le gaz naturel se présente comme un déterminant majeur des émissions produites, le coefficient d’émission du gaz étant environ 40 % moins élevé que celui du charbon, par unité d’énergie produite. L’étendue possible de la substitution de combustibles dépend toutefois du prix relatif de ces combustibles, de leur disponibilité, ainsi que des possibilités techniques des centrales existantes.

27Dans les secteurs industriels, le moteur principal de l’évolution des émissions se situe plutôt au niveau financier. En effet, à l’instar de la sidérurgie, la plupart des industries belges traversent une crise structurelle menant à une baisse de la production et, par conséquent, à une réduction des émissions. Par contre, on remarque aussi une augmentation de l’intensité énergétique de la plupart des sous-secteurs, ce qui exerce une influence à la hausse sur leurs émissions, contrebalançant en partie ou en totalité (selon les sous-secteurs) l’effet environnemental favorable de la crise structurelle.

28Quant aux secteurs résidentiel et des transports, particulièrement prépondérants dans le total des émissions de la Région de Bruxelles-Capitale, l’analyse révèle que l’évolution de leurs émissions résulte principalement de dynamiques sociologiques et urbanistiques. En effet, la croissance démographique, l’éclatement des ménages et une augmentation rapide des déplacements motorisés ressortent parmi les principaux facteurs sous-tendant l’évolution de leurs émissions, et faisant contrepoids aux avancées technologiques réalisées en matière d’efficacité énergétique des bâtiments et de performance énergétique des véhicules. D’autres études indiquent aussi que les possibilités offertes par les nouvelles technologies en la matière, notamment pour l’isolation des bâtiments, demeurent largement inexploitées en Belgique, faute d’incitatifs réglementaires et financiers adéquats  [14] (cf. infra).

29Il s’ensuit que la réduction des émissions de chaque secteur requiert une approche politique différente. Les secteurs de l’énergie et de l’industrie, par exemple, semblent davantage susceptibles de répondre à des incitants financiers ou technologiques, à court comme à long terme. Dans les secteurs résidentiel et des transports, toutefois, le potentiel de réduction des émissions semble grand, et pourrait répondre à des incitatifs financiers de moindre envergure, mais sa réalisation semble requérir une approche intégrée, axée sur une vision à long terme de l’évolution sociale et de l’aménagement du territoire.

30Cette distinction, couplée au fait qu’il soit plus facile de réglementer et/ou créer des incitants financiers pour un petit nombre de sources fixes (comme celles composant les secteurs énergétique et industriel) que pour un grand nombre de sources plus mobiles (comme celles composant les secteurs résidentiel, tertiaire et des transports), explique qu’une part importante des mesures mises en oeuvre dans le cadre de politiques climatiques soient axées sur la réduction des émissions des grandes installations énergétiques et industrielles. Le SEEQE, fer de lance de la politique climatique au niveau européen, en est un bon exemple.

31Institué par la directive 2003/87/CE de la Commission européenne et lancé le 1er janvier 2005, ce système impose à chaque État membre qu’il définisse, pour chaque grande installation issue des secteurs énergétique et industriels fortement émetteurs, une quantité maximale autorisée d’émissions de CO2, appelée allocation. À cette allocation correspond un nombre de quotas échangeables, c’est-à-dire des droits d’émission que les entreprises peuvent ensuite revendre ou racheter, selon que leurs émissions réelles soient au-dessus ou en deçà de leur allocation.

32Ainsi, dans les mois ayant précédé le lancement du SEEQE, les différents États membres ont dû définir dans un Plan national d’allocation des quotas (PNAQ) l’allocation consentie à chaque installation, déterminant du même coup l’effort de réduction qui allait être demandé à chacune d’entre elles. Dans le cas de la Belgique, l’élaboration du PNAQ allait être influencée non seulement par les enjeux sectoriels que cela implique, mais également par des enjeux régionaux, tel que nous le verrons plus tard.

1.4. CONTEXTE MÉTHODOLOGIQUE

33Enfin, au-delà des contraintes imposées au processus politique belge par les spécificités régionales et sectorielles, un paramètre central à l’élaboration de toute politique climatique est évidemment l’ampleur de l’effort de réduction total que la Belgique doit fournir pour respecter ses engagements.

34Nous avons mentionné, dans une section précédente, que la Belgique s’est engagée dans le cadre du Protocole de Kyoto à réduire ses émissions de 7,5 % d’ici 2008-2012, par rapport à un niveau de référence, soit celui des émissions de 1990 pour les trois principaux gaz à effet de serre. La quantité d’émissions visée en 2008-2012 dépend donc des émissions mesurées pour l’année 1990. Or, la mesure des émissions de l’année 1990 peut varier de façon significative, en fonction de la méthodologie utilisée. Par exemple, la Première Communication nationale de la Belgique à la CCNUCC en 1997 faisait état d’émissions de 138,7 MtCO 2 eq pour l’année 1990, mais ce chiffre a ensuite été révisé à la hausse plusieurs fois, pour atteindre 145,6 MtCO 2 eq dans le dernier inventaire national des émissions. La quantité d’émissions permise en 2008-2012 a donc aussi été révisée à la hausse, dans les mêmes proportions.

35Néanmoins, le pourcentage de réduction des émissions par rapport au niveau de référence ne suffit pas pour mesurer l’ampleur de l’effort qu’un tel objectif implique : il convient pour ce faire de comparer le niveau d’émissions visé au niveau d’émissions qui aurait été atteint en 2008-2012 en l’absence de mesures additionnelles de réduction – c’est-à-dire qu’il faut mesurer l’écart entre le niveau d’émissions souhaité et le niveau futur prédit par un scénario à politique inchangée (business-as-usual). Or, une fois de plus, plusieurs méthodologies peuvent être utilisées pour construire un scénario (à politique inchagée), et le niveau d’émissions projeté peut varier de façon importante selon les options choisies.

36Il s’ensuit qu’au niveau de la Belgique, la taille de l’effort de réduction à fournir – et à répartir entre les trois régions et les différents secteurs – dépend des paramètres méthodologiques qui sous-tendent à la fois le calcul des émissions du niveau de référence et les projections d’émissions d’un scénario à politique inchangée. Une modification favorable de ces paramètres méthodologiques est donc susceptible de faciliter le processus de négociations (en réduisant l’ampleur de la charge à partager), tandis qu’une modification défavorable pourrait entraîner des complications additionnelles.

2. LE DÉVELOPPEMENT DE LA POLITIQUE CLIMATIQUE BELGE

37La politique climatique belge s'est développée en plusieurs étapes. Parmi celles-ci, la publication du Programme national de réduction des émissions de CO2 (PNRE) de 1994 et celle du Plan national Climat (PNC) de 2002 constituent assurément des moments charnières. Le partage de la charge du Protocole de Kyoto entre l'Autorité fédérale et les trois régions ainsi que l'élaboration du Plan national d'allocation des quotas (PNAQ), que nous allons également analyser dans cette partie, illustrent pour leur part la façon dont s'est effectuée l'application concrète, au niveau belge, des mesures issues des discussions internationales et européennes portant sur la politique climatique.

2.1. PREMIER PILIER DE LA POLITIQUE CLIMATIQUE BELGE : LE PNRE

38C’est dans la foulée du Sommet de la Terre qui s'est tenu à Rio de Janeiro en 1992, que les gouvernements fédéral et régionaux de la Belgique ont approuvé, en 1994, le Programme national belge de réduction des émissions de CO2 (PNRE). Ce programme, premier essai politique belge d'envergure pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, proposait une série de mesures non fiscales liées à l'énergie, au secteur résidentiel et au transport. Le document soutenait également l'idée d'une taxe énergie/CO2 à l'échelle européenne, telle que proposée par la Commission européenne en 1992. Mais cet instrument, principal outil sur lequel reposait la politique climatique belge de l'époque, n'a finalement jamais été mis en œuvre. En outre, il faut également noter que, au-delà de l'échec de la taxe à l'échelon européen, peu de mesures de ce PNRE ont été concrétisées.

39Selon un avis du Conseil fédéral du développement durable (CFDD) rendu en 1998  [15], cela s'explique essentiellement par le manque de volonté politique, l'insuffisance des moyens mis en œuvre, la dispersion des compétences et le manque d'intégration de la politique climatique aux autres aspects de l'action gouvernementale. La conjugaison de ces différents facteurs a bien évidemment eu comme conséquence principale de compromettre le respect des objectifs mentionnés dans ce document, soit une réduction de 5 % des émissions de CO2 entre 1990 et 2000. D'ailleurs, dans un rapport daté de 1999, le Bureau du plan avancera plus ou moins les mêmes arguments pour expliquer l'échec de la politique menée par la Belgique afin de réduire ses émissions de gaz à effet de serre  [16].

40Dès lors, les recommandations du CFDD sont claires : le PNRE doit être revu et devra contenir des mesures précises ayant un impact réel, un échéancier crédible et clair, être associé à des moyens budgétaires et fonctionnels spécifiques et suffisants, et être accompagné de moyens de sensibilisation et d’évaluation.

41Un rapide coup d'œil à cette période montre aussi clairement – et ce n'est pas réellement une surprise au regard de la spécificité institutionnelle du Royaume et de la complexité administrative qui en découle – que des structures visant à assurer la mise en œuvre des mesures préconisées avaient fait cruellement défaut. Il était donc impératif que la Belgique développe des liens internes et un potentiel suffisant pour la coordination des politiques aux niveaux fédéral et régional  [17].

42Il convient de noter que ces deux évaluations critiques ont été formulées dans un contexte marqué par le développement de la politique climatique au niveau international, matérialisé par la signature, en 1997, du Protocole de Kyoto et celle, en 1998, de l'accord européen portant sur la répartition de l'objectif de l'Union européenne entre ses différents États membres. L’importance rehaussée de la question climatique, tant dans les politiques internationales qu’au niveau de l’opinion publique, appelait donc à l’adoption d’une politique climatique plus forte au niveau de la Belgique.

2.2. DEUXIÈME PILIER DE LA POLITIQUE CLIMATIQUE BELGE : LE PNC

43Face à cette nouvelle donne internationale et en réponse aux évaluations négatives de la politique belge, les différents gouvernements concernés ont conclu à la fin de l’année 2001 un accord de coopération climat, portant sur la distribution, entre le fédéral et les régions, des compétences et des obligations administratives relatives à la CCNUCC et au Protocole de Kyoto  [18]. Cet accord prévoit la création d’une commission nationale Climat.

44Ensuite, la Conférence interministérielle de l'environnement approuva, le 6 mars 2002 le Plan national Climat (PNC) 2002-2012, avec près d'un an de retard sur le calendrier initialement prévu. D’un point de vue institutionnel, le PNC ne constitue qu’une annexe de l'accord de coopération climat, mais en réalité, il n'en reste pas moins le deuxième document national d'envergure en matière de politique climatique. Il est d'ailleurs censé permettre à la Belgique d'atteindre l'objectif de réduction d'émissions de gaz à effet de serre qui lui est attribué par le Protocole de Kyoto. Plus spécifiquement, le PNC consiste en une description, par niveau de pouvoir (fédéral et régional) et par secteur (énergie, industrie, agriculture, services publics, résidentiel, tertiaire, déchets, transport, aménagement du territoire), d'une série de mesures classées en trois catégories : mesures existantes, mesures prévues, mesures conceptuelles et en phase d'étude.

45En fait, le PNC est une synthèse des politiques mises en œuvre et envisagées aux différents niveaux de pouvoir compétents pour les matières traitées dans le Plan : l'État fédéral mais aussi, et surtout, les trois régions du pays dont les plans respectifs constituent la base du document national  [19]. En effet, étant donné que de nombreuses compétences ont été décentralisées, l'évolution des émissions belges de gaz à effet de serre est donc en grande partie entre les mains des régions. Même si le pouvoir fédéral dispose encore d'instruments essentiels en matière de lutte contre le changement climatique (par exemple la taxation, comme l'illustrent les récentes dispositions relatives à la fiscalité des biocarburants), les régions disposent de nombreux leviers d'action importants – ayant trait notamment à l'énergie, à l'industrie et à l'aménagement du territoire – pour réduire leurs émissions.

2.3. L'ACCORD SUR LE PARTAGE DE LA CHARGE

46Même s’il ne devait être qu'un simple exercice de compilation des mesures et plans existant aux différents niveaux de pouvoir du pays, le PNC s'est révélé délicat du point de vue politique. Le problème était que le PNC et l'accord de coopération climat étaient tous deux limités dans leur portée aussi longtemps que n’était pas résolue l'épineuse question du partage de la charge nationale – c’est-à-dire l'effort de réduction découlant du Protocole de Kyoto – entre les différentes régions. Pour que la politique climatique de la Belgique avance, il était urgent que l'effort national soit réparti entre les différentes entités du pays, tout comme l'objectif de réduction de l’Union européenne avait fait l'objet d'une répartition entre les différents États membres  [20]. On notera au passage que ce point illustre parfaitement ce qu'on pourrait appeler « l'exception culturelle à la belge » au niveau du traitement du dossier climatique, dans la mesure où la Belgique est le seul État membre à avoir procédé à ce genre de répartition interne de sa charge Kyoto.

47Or, dans les négociations interrégionales, la Région wallonne était partisane d'une répartition linéaire de la charge, c’est-à-dire qu’elle souhaitait que les trois régions adoptent le même objectif de réduction de 7,5 %. Les deux autres régions, au contraire, plaidaient plutôt pour un partage plus équitable en termes d'effort financier à consentir. En fait, pour la Région flamande, une préoccupation essentielle était de préserver le pôle anversois de la chimie, secteur phare de l'économie régionale. C’est pourquoi les négociateurs flamands promouvaient l'idée d'une répartition basée sur les coûts marginaux de réduction des différents secteurs couverts par le SEEQE (cf. infra), une grille permettant de minimiser l’effort de réduction imposé au secteur chimique, dont les coûts de réduction sont élevés. Elle accroissait toutefois l'effort demandé aux autres industries du pays, et n’était donc pas acceptable aux yeux de la Région wallonne, déjà accablée par le coût socioéconomique de la baisse d'activité dans le domaine de la sidérurgie, ni à ceux des négociateurs bruxellois. En effet, même si ces derniers étaient également partisans d'une répartition différenciée en fonction des coûts de réduction, ils souhaitaient que la différenciation s'opère au niveau de la région tout entière plutôt qu’au niveau des sous-secteurs couverts par le SEEQE seulement, une distinction permettant d’inclure dans l'analyse les émissions provenant des ménages, du secteur tertiaire et du transport, qui constituent la plus grosse part des émissions dans la Région de Bruxelles-Capitale.

48Après de longues tractations, un accord est finalement intervenu le 8 mars 2004, sur la base d'un compromis proposé par le Premier ministre d'après lequel le gouvernement fédéral se proposait d'accepter en grande partie les demandes différenciées des trois régions, s’engageant à prendre à sa charge l’effort nécessaire pour combler le reste de l’objectif national  [21]. Cette intervention du pouvoir fédéral, plutôt discret jusqu'alors, a certainement été motivée par l'échéance toute proche du processus d'élaboration des PNAQ, pour lequel le partage préalable de la charge entre les trois régions était nécessaire. Néanmoins, ce n'est sans doute pas non plus une coïncidence que cet accord ait été signé alors que, parallèlement, des modifications importantes étaient apportées aux inventaires d'émissions de la Belgique. Il est, en effet, nettement plus aisé de répartir un effort quand celui-ci est revu à la baisse. Or, au niveau de la Belgique, on constate qu'en deux ans, les estimations officielles concernant l'effort national de réduction sont passées de plus de 35 MtCO2éq. en 2002 à seulement 14,8 MtCO2éq. en 2004  [22].

49Cette diminution de l'effort estimé provient de deux ajustements de nature différente : une révision à la baisse des projections d'émissions à l'horizon 2010 et une correction à la hausse des émissions calculées pour le niveau de référence. La baisse des projections d'émissions pour 2010 effectuées en 2004, par rapport aux projections antérieures, peut s'expliquer par une amélioration modérée de l'intensité énergétique de l'économie belge et par la prise en compte de deux nouveaux facteurs influençant les émissions : le ralentissement de la croissance économique et l'impact prévu des mesures adoptées depuis 2001 (cf. infra). Par contre, la révision à la hausse du niveau de référence est, quant à elle, plus surprenante. En effet, contrairement aux ajustements méthodologiques qui se répercutent sur l'ensemble de la période d'inventaire, la correction effectuée en 2004 est tout bénéfice pour les responsables gouvernementaux. En fait, on a « découvert », dans une entreprise du secteur de la chimie, des émissions de gaz fluorés (équivalentes à près de 4 MtCO2eq.) provenant d’un processus de fabrication de l'époque. Toutefois, ce processus ayant été amélioré suite à un investissement dans une unité de récupération des fluorures en 1998, sa prise en compte dans l'inventaire réduisait l'importance de l'effort de réduction pour la Belgique  [23].

50En conséquence, c'est donc sur le partage d'une charge largement revue à la baisse que les régions et l'Autorité fédérale se sont entendus le 8 mars 2004. Selon les termes de l’entente, les régions se voient attribuer, dans leur ensemble, un seuil d'émission autorisé de 137,7 MtCO 2eq., soit une valeur supérieure à la quantité attribuée de la Belgique, évaluée à 135,3 MtCO 2eq.  [24]. À charge donc du gouvernement fédéral de compenser cet écart de 2,4 MtCO 2éq. par an qui provient des concessions faites aux régions en réponse à leur position pour le moins contrastée quant à ce qui constitue une répartition équitable de l'effort national.

51Ainsi, la Région bruxelloise sera autorisée à augmenter ses émissions de 3,4 % par rapport à son propre niveau de 1990, alors que la Région flamande et la Région wallonne devront réduire leurs émissions respectivement de 5,2 % et 7,5 %, comme le montre le tableau suivant. On voit aussi, en comparant les deux dernières colonnes du tableau, que l'effort de réduction de la Région flamande et la Région bruxelloise a été atténué par rapport à ce qu'il aurait été si l'on avait adopté la clé de répartition linéaire proposée par la Région wallonne.

52Pour combler l'écart provenant des concessions faites aux régions, le gouvernement fédéral a décidé de recourir aux mécanismes flexibles prévus par le Protocole de Kyoto. Il a donc lancé deux appels d’offre d'un montant total de 60 millions d’euros pour des projets de mise en œuvre conjointe et de mécanisme de développement propre afin d’acquérir des crédits d’émission  [25]. Le recours aux mécanismes de flexibilité par les autorités fédérales se fera donc prioritairement par l’intermédiaire des mécanismes de projets, et non par le simple achat d’unités de quantité attribuée à d’autres pays de l’Annexe I  [26].

Tableau 1

Partage de la charge entre les régions et l'État fédéral (en MtCO 2éq. /an)

Tableau 1
Tableau 1 : Partage de la charge entre les régions et l'État fédéral (en MtCO 2éq. /an) Émissions de Quantité Projections Charge p/r Charge 1990 attribuée 2010 1 BaU 2010 linéaire Région de Bruxelles 4,0 4,1 4,6 0,5 0,9 Capitale (10,9 %) (19,5 %) Région flamande 87,9 83,4 92,0 8,6 10,7 (9,3 %) (11,6 %) Région wallonne 54,3 50,2 53,5 3,3 3,3 (6,1 %) (6,1 %) Autorité fédérale 0,0-2,4 0,0 2,4 0,0 Total 146,2 135,3 150,1 14,8 14,8 (9,8 %) (9,8 %) Source : Kyoto en Belgique : la répartition des charges, cf. <http:// www. belgium. be> et calculs propres. 1 Cf. F. BOSSIER, I. BRACKE et F. VAN HOREBEEK, « Projections des émissions de GES à l'horizon 2010 pour la Belgique », Bureau fédéral du plan, Working Paper, septembre 2004. Le niveau BaU (à politique inchangée) est le résultat d'un scénario estimé « selon toute vraisemblance et à politique inchangée ». Notons que, partant de la projection nationale, on suppose que la répartition des émissions en 2010 entre les régions sera similaire à celle existant en 2001.

Partage de la charge entre les régions et l'État fédéral (en MtCO 2éq. /an)

Kyoto en Belgique : la répartition des charges, cf. <http:// www. belgium. be>et calculs propres.

53Parallèlement, l’Autorité fédérale s’est engagé à prendre une série de mesures (tels que des réductions d’impôts pour les voitures à faibles émissions, le passage des moyens de production d’électricité du charbon vers la biomasse; un projet de sensibilisation à l’utilisation durable d’énergie, etc.) devant mener à une réduction des émissions de gaz à effet de serre, sur le territoire belge, de l’ordre de 4,8 Mt CO2eq par an  [27]. Malgré le manque d'information concernant ces mesures et l'absence d'éléments concrets permettant d'en évaluer l'impact estimé, notre analyse montre que le potentiel annoncé semble réaliste  [28]. En outre, compte tenu de l'importante inefficacité énergétique qui caractérise la Belgique, d'autres mesures sont encore envisageables et le potentiel de réduction existant est nettement plus élevé  [29].

54En conséquence, si l'on considère que le potentiel de réduction estimé pour les mesures fédérales est plausible, cela signifie que l’effort à consentir par les régions en sera diminué d’autant. Partant des chiffres mentionnés dans l'accord du partage de la charge et de l'hypothèse que la réduction d’émissions des mesures fédérales se répartira entre les régions proportionnellement aux émissions de 2001 (c’est-à-dire une réduction de 0,15 MtCO2 en Région bruxelloise, 2,94 MtCO2 en Région flamande et 1,71 MtCO2 en Région wallonne), l’effort de réduction à produire in fine sera de :

  • 0,35 MtCO 2 en Région bruxelloise soit une réduction de 7,6 % par rapport aux émissions prévues pour 2010 ;
  • 5,66 MtCO2 en Région flamande soit une réduction de 6,3 % par rapport aux émissions prévues pour 2010 ;
  • 1,59 MtCO2 en Région wallonne soit une réduction de 3,0 % par rapport aux émissions prévues pour 2010.

55Présenté de la sorte, on voit que l’effort de réduction par région, qui paraissait plus important pour la Wallonie par rapport aux émissions de 1990, semble plus facilement réalisable pour cette région que pour les deux autres (étant donné la baisse des émissions wallonnes entre 1990 et 2001 en raison de la forte désindustrialisation de l'économie wallonne).

56Il est néanmoins nécessaire de rappeler que ces constats chiffrés sont le résultat de l'estimation du niveau d'émissions à politique inchangée pour la Belgique en 2010, effectuée par le Bureau fédéral du plan à la veille de l'accord du 8 mars. Or, au regard du tableau qui suit, il apparaît clairement que les projections à politique inchangée réalisées par les régions diffèrent fortement de la projection effectuée au niveau national, qui a, par ailleurs, été largement revue à la baisse par rapport à l'estimation nationale de 2002 (cf. supra). En effet, alors que l'estimation du Bureau fédéral du plan fait état d'une stabilisation aux environs de 150 MtCO 2, la somme des projections régionales atteint 166 MtCO 2 pour le même horizon.

Tableau 2

Niveaux d'émissions de CO2 en 2010 selon les plans régionaux (en MtCO 2éq. )

Tableau 2
Tableau 2 : Niveaux d'émissions de CO2 en 2010 selon les plans régionaux (en MtCO 2éq. ) Niveau 2010 autorisé Niveau 2010 à politique Niveau 2010 avec par le partage de la inchangée mesures charge Région flamande 105,29 90,20 83,37 Région Bruxelles-Capitale 5,15 4,75 4,13 Région wallonne 55,56 51,33 50,23 Total Belgique 166,00 146,28 137,73 Sources : K. MARÉCHAL, B. LUSSIS ET W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique, op. cit., p. 154.

Niveaux d'émissions de CO2 en 2010 selon les plans régionaux (en MtCO 2éq. )

K. MARÉCHAL, B. LUSSIS ET W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique, op. cit., p. 154.

57Il y a principalement trois raisons qui peuvent expliquer cet écart entre les projections. Tout d'abord, il convient de noter que les trois régions ont adopté une approche ascendante – c’est-à-dire centrée sur des données de terrain que l'on agrège par la suite – pour évaluer leur niveau d'émissions de 2010. Or, les hypothèses de travail de ce type de méthodes sont fondamentalement différentes de celles d'une approche descendante – centrée sur de grands agrégats que l'on répartit selon divers principes d'allocation – et donc moins détaillée, telle que celle adoptée dans l'étude du Bureau fédéral du plan.

58Ensuite, il semble que les estimations régionales relatives à la croissance économique (issues de la transposition des données sectorielles) donnent une évolution relativement plus optimiste que celle reprise dans l'étude du Bureau fédéral du plan.

59Par exemple, pour la Région wallonne, le taux de croissance du PIB est de 2 % pour la période de projection alors que l'étude du Bureau fédéral du plan prend en compte une croissance plus faible entre 2001 et 2003, ce qui se traduit par une croissance moyenne d'environ 1,8 % pour la même période de projection  [30]. Cette divergence d'appréciation de la future conjoncture économique peut expliquer en grande partie la différence d'environ 2 MtCO2éq. concernant le niveau à politique inchangée 2010 wallon entre les projections régionales et fédérales.

60Enfin, contrairement à la projection fédérale, les projections régionales ne semblent pas tenir compte des nouvelles mesures fédérales prises entre 2001 et 2003. En fait, en raison des divergences concernant les méthodes et données utilisées par les différents niveaux de pouvoir, il est particulièrement difficile de savoir si l'effet estimé de ces mesures fédérales est inclus ou non dans les projections régionales. À ce sujet, la troisième colonne du tableau 2 nous renseigne sur les niveaux d'émissions atteints par chacune des régions sur la base de scénarios « avec mesures ». Le niveau d'émission qui prévaudrait à l'échelle du pays selon ces scénarios régionaux compilés serait de 146,28 MtCO2éq. Évidemment, ce niveau ne peut pas tenir compte des mesures fédérales qui n'ont été annoncées qu'en mars 2004. Cependant, il est probable que, malgré la séparation des compétences entre les différents organes fédérés, l'imbrication des mesures fédérales et régionales implique que l'on ne puisse simplement additionner les potentiels de réduction estimés selon les différentes entités, sans tenir compte des interactions, voire des recoupements entre les mesures.

2.4. LA DIFFICILE TRANSPOSITION DE LA POLITIQUE CLIMATIQUE EUROPÉENNE EN BELGIQUE

61Les éléments qui précèdent illustrent bien la difficulté de mener des comparaisons entre différents scénarios d'émissions, surtout lorsque ceux-ci sont effectués à des périodes et niveaux géographiques différents et qu'ils ne reposent pas sur les mêmes approches. En outre, il est important de souligner que le contexte dans lequel se sont effectuées ces projections (c’est-à-dire durant les négociations portant sur le partage de la charge mais aussi celles entourant l'élaboration du PNAQ pour la Belgique) leur conférait une valeur politique indéniable. En effet, l'élaboration des PNAQ est l'étape durant laquelle chaque État membre de l'Union européenne décide du nombre de quotas qu'il alloue aux installations participant au SEEQE. Or, il est utile de préciser que le plan belge est en fait composé de trois plans régionaux et d'un plan fédéral, ce qui constitue une originalité belge de plus par rapport aux autres États membres de l'Union européenne. En conséquence, c'est clairement au niveau régional que les différents secteurs impliqués par l'élaboration des PNAQ on exercé leur influence dans le but d'obtenir le maximum de quotas possible. Dans cette optique, il était évidemment de l'intérêt des secteurs de faire état de fortes perspectives de croissance (pour obtenir le plus de quotas possible) et donc, cela peut aussi en partie expliquer l'important écart entre la somme des projections régionales et la projection fédérale, d'autant plus que, dans le cadre de la négociation concernant le partage de la charge nationale, l'idée de « gonfler » les prévisions portant sur les niveaux d'émission futurs était compatible avec l'intérêt des régions  [31].

62L'élaboration de ces plans d'allocation, documents hautement délicats du point de vue politique, constitue certainement la plus grande spécificité du SEEQE. En effet, le processus d'allocation du SEEQE a ceci de particulier que chaque État membre est en charge d’octroyer les quotas aux installations présentes sur son territoire, sans être contraint par un plafond global prédéfini. La seule contrainte consiste en la vague obligation d'opérer, dans chaque État membre, une allocation de quotas qui soit compatible avec les objectifs nationaux  [32].

63Compte tenu de la couverture partielle du SEEQE par rapport aux émissions visées par le Protocole de Kyoto, cet octroi de quotas à l'échelle nationale implique déjà un premier arbitrage à opérer au niveau de la répartition de la charge Kyoto. Il s'agit en fait de répartir les efforts de réduction entre les secteurs couverts par la directive et ceux non couverts (ménages, transport, agriculture, etc.), ainsi qu’entre les différents gaz à effet de serre  [33] et entre les réductions domestiques et le recours aux mécanismes flexibles.

64A priori, il n'y a aucune raison pour que cette répartition de la charge Kyoto de chaque pays – charge qui, à la base, est déjà différenciée – ne se fasse de manière similaire dans tous les États membres. Une telle décentralisation du processus d'allocation pourrait donner lieu à des traitements différents d'entreprises concurrentes  [34]. Théoriquement, une fois que l'on a décidé des plafonds à respecter, les deuxième et troisième stades des PNAQ (c’est-à-dire l'allocation aux différents secteurs et aux installations) n'ont aucune influence sur les coûts marginaux de réduction au niveau du pays. Par contre, ils auront assurément des effets de redistribution dont il faut impérativement tenir compte. En effet, vu l'importance de la valeur de l'allocation annuelle, les transferts de richesse induits peuvent être substantiels  [35].

65En fait, l'arbitrage portant sur la répartition, entre les différents secteurs de l'économie, des efforts à fournir est un processus impliquant la prise en compte d'une multitude de facteurs allant de l'équité à l'efficience-coût, en passant par des considérations relatives à la compétitivité des entreprises. Par exemple, au Royaume-Uni, cette mise en balance des aspects à prendre en compte s'est soldée par un effort accru demandé au secteur de la production d'électricité.

66Toutes ces difficultés, couplées avec une échéance très proche et un long processus de révision des PNAQ par la Commission européenne (censé garantir la transparence, l’équité et le respect des règles du marché intérieur), font qu'il n'est pas étonnant que ce processus d'allocation se soit révélé plus compliqué et plus délicat que prévu dans la plupart des États membres.

67La Belgique n'échappe pas à la règle. Le 23 juin 2004, la Belgique rendait public un imposant PNAQ et le soumettait à la Commission européenne pour évaluation. Le plan belge, compilation des trois plans régionaux et du plan fédéral, est assurément l’un des plus complexes de l’Union européenne, puisque chaque région a adopté ses propres méthodes d’allocation.

68Il a finalement été accepté par la Commission européenne le 20 octobre 2004, moyennant un certain nombre de modifications. Ce que l'on peut constater à travers l'examen du plan belge c'est que, de par la répartition des compétences, la Belgique semble avoir reproduit, à son échelle, les disparités de traitement constatées au niveau de l'Union européenne.

69Ainsi, selon les données disponibles dans les plans d’allocation, les réductions imposées aux secteurs couverts en Flandre et à Bruxelles seraient relativement conséquentes et laissent supposer que ces secteurs auraient à fournir un effort relativement plus important que les secteurs non couverts pour atteindre l’objectif régional. En Wallonie, c’est l’impression inverse qui prédomine : contrairement aux autres régions du pays, il semble que la Région wallonne ait décidé de ménager ses secteurs couverts par le SEEQE et de faire porter l'effort de réduction sur les autres secteurs. Il faut, néanmoins, préciser que les incertitudes sur la date d’arrêt des installations sidérurgiques ont amené les autorités wallonnes à gonfler, peut-être artificiellement, la réserve pour nouveaux entrants et donc l’allocation totale.

70Globalement, bien que l'objectif national de réduction ne semble désormais plus être totalement hors de portée, la Belgique doit tout de même mettre en place des mesures additionnelles pour combler l'écart qui la sépare de son objectif. Si l'on en croit les dernières projections du Bureau fédéral du plan pour l'horizon 2010 effectuées en 2005  [36], le trou annuel à combler serait d'environ 11 MtCO2éq. à politique inchangée  [37]. Cependant, cette analyse ajoute que la « mise en œuvre de l’ensemble des mesures planifiées, aussi bien au niveau fédéral que régional, mais pas encore exécutées devrait permettre de réduire ce dépassement », sans exclure la possibilité que les entités fédérées doivent recourir aux mécanismes flexibles pour atteindre leur objectif.

2.5. Y A - T - IL MOYEN DE RÉDUIRE NOS ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE ?

71La question importante est donc de voir s'il existe un potentiel de réduction en Belgique, et ce, à un coût raisonnable. Ce débat divise les observateurs selon qu'ils croient ou non à l'existence de ce qu'on appelle le potentiel « sans regret », un potentiel de réduction qui serait actuellement inexploité en dépit du fait que les investissements à consentir pour le capter soient rentables sur la base des critères financiers habituels, le coût des mesures étant compensé par des gains provenant d’économies d'énergie.

72L'identification de ce potentiel à coût négatif ou nul est sans conteste l'une des principales contributions des modèles économiques ascendants (cf. supra), qui agrègent des données sectorielles. Ces modèles ont permis de dépasser le cadre restreint de la théorie traditionnelle de l'équilibre général selon laquelle de telles possibilités rentables, si elles existaient, seraient exploitées tôt ou tard par les agents économiques rationnels disposant d'une information parfaite.

73Les résultats concordants de nombreuses études concernant l'existence de mesures sans regret poussent à analyser les obstacles qui empêchent leur mise en œuvre spontanée. En réalité, une multitude de facteurs, aussi bien culturels qu'humains, physiques ou institutionnels, peuvent être invoqués pour expliquer l'écart entre le potentiel de marché (celui mis en œuvre spontanément aux conditions actuelles) et le potentiel économique (c’est-à-dire la pénétration du marché par toutes les technologies rentables). L'important est de juger de l'opportunité politique des mesures à mettre en place pour dépasser ces barrières au regard de leur pertinence économique et sociale.

74L'élaboration de mesures efficaces, propres à capter une partie de ce potentiel, ne pourra s'opérer qu'à l'aide d'un recours à des analyses comportementales contrastées qui permettraient d'identifier les forces conditionnant le comportement des agents économiques.

75Au niveau proprement belge, il semble que la lutte contre l'inefficacité énergétique dans la majorité des secteurs de l'économie constitue la piste principale à suivre pour atteindre l'objectif de réduction fixé par le Protocole de Kyoto. Le profil de consommation énergétique de notre pays, parmi les plus élevés d'Europe, doit conduire les autorités gouvernementales vers la recherche systématique d'une plus grande efficacité dans ce domaine. Comme l'indique une étude portant sur la gestion de la demande d'énergie  [38], un alignement sur ce qui se fait dans les pays voisins, notamment au niveau du chauffage résidentiel et tertiaire, pourrait permettre de réduire fortement nos émissions.

76Ce constat semble avoir désormais trouvé un écho politique si l'on en juge par la multiplicité des primes énergie, des incitants fiscaux et des campagnes de sensibilisation mises en œuvre par les gouvernements concernés et visant spécifiquement à améliorer l'efficacité énergétique de la consommation des ménages et des entreprises. L'intégration de ces différentes mesures dans le dernier scénario du Bureau fédéral du plan datant de 2005, qui se matérialise par une réduction accrue de l'intensité énergétique de l'économie belge dans le contexte de prix de l’énergie élevés, constitue un des facteurs explicatifs de la diminution du niveau prévu à l'horizon 2010, qui est passé d'environ 150 à moins de 145 Mt CO2.

77Par ailleurs, au-delà des mesures visant spécifiquement le secteur du chauffage des bâtiments, il paraît urgent d'effectuer une analyse objective du potentiel de réduction existant dans le domaine du transport. Ce secteur, longtemps considéré comme intouchable, ne peut plus faire l'objet d'un traitement spécial. En effet, sur la période 1991-2004, ce secteur a vu ses émissions de CO2 augmenter de 1,7 % annuellement  [39], et l'évolution prévue pour l'horizon 2005-2010 est similaire. La poursuite de cette tendance imposerait donc un lourd fardeau aux autres secteurs de l'économie, comme la production d'énergie ou l'industrie, si la Belgique veut respecter son objectif de réduction. En outre, les bénéfices associés (autres que climatiques) pourraient être nettement plus élevés dans le transport que dans d'autres secteurs car, par exemple, une réduction du volume de transport s'accompagnerait d'une baisse de la pollution locale, d'une réduction de la congestion et d'une diminution de la pollution sonore, dont les bénéfices pour l'économie sont substantiels  [40].

78En conséquence, une attitude plus proactive et spécifiquement orientée vers les changements de comportements (en ce compris les améliorations de l'offre qui les conditionnent) dans le domaine de la consommation d'énergie pourrait s'avérer bénéfique tant pour la compétitivité de notre économie que pour ses performances en matière de développement technologique.

3. LE RÔLE DE LA SCIENCE ÉCONOMIQUE DANS L’ÉLABORATION DES POLITIQUES CLIMATIQUES BELGES

79La science économique est devenue une discipline incontournable dans le domaine de l'analyse politique, tant au niveau belge qu'à l'échelle internationale. D'une science d'aide à la décision, elle se transforme régulièrement en unique science de la décision, tant sa proximité avec les décideurs et la prégnance de son langage (taux de croissance, efficience, concurrence, compétitivité, etc.) semblent être solidement ancrées dans le fonctionnement de nos sociétés. Cela est principalement dû à la capacité qu'a la science économique de fournir un cadre conceptuel et théorique permettant d’évaluer les impacts d’une politique à l’aide d’une valeur métrique, fortement appréciée des décideurs.

80Aujourd'hui, les concepts d'efficience et d'optimalité sont devenus les objectifs fondamentaux de l'économie politique, laissant de côté les questions de redistribution ainsi que les aspects institutionnels ou culturels. Et la politique climatique n'échappe pas à la règle, bien au contraire. Alors que certains pays industrialisés ont adopté des stratégies contrastées face aux changements climatiques (un exemple étant le contraste entre l’isolement du gouvernement fédéral américain et le leadership mondial assumé par l'Union européenne), il est intéressant de se pencher sur le rôle que joue la théorie économique pour orienter ces décisions. Or, compte tenu de l’incertitude qui entoure les changements climatiques (concernant particulièrement leurs impacts possibles et la part réelle de la contribution anthropique au réchauffement), la théorie économique, par le biais de la modélisation notamment, se voit accorder un rôle majeur, un rôle pivot : celui d’arbitre en dernier ressort des politiques et mesures à mettre en œuvre pour gérer cette problématique.

81C'est ainsi que, dès le début des négociations internationales concernant la politique climatique, les arguments économiques se sont avérés prépondérants  [41]. De la même manière, la notion d'efficience a joué un rôle déterminant dans le choix des mesures à mettre en œuvre. Nous avons vu également que les notions de coûts et de compétitivité sectorielle avaient été des critères majeurs lors des discussions belges portant sur le partage de la charge  [42].

3.1. L'ÉCONOMIE MÉCANIQUE DES NÉOCLASSIQUES

82Or, la théorie néoclassique de l'équilibre général, courant théorique dominant qui est traditionnellement utilisé dans ce type d'analyse, repose sur des postulats fortement contestés par de nombreux auteurs, tant du point de vue théorique que du point de vue empirique. C'est peut-être d'ailleurs ce volet empirique de la critique qui s'avérera le plus résistant, étant donné que les critiques théoriques ont été largement ignorées par le passé (celles de Tibor Scitovsky, par exemple, datent de 1941  [43] ). Par exemple, il est intéressant de remarquer que plusieurs Prix Nobel ont récemment été attribués à des scientifiques dont les travaux empiriques discréditent les hypothèses centrales de cette théorie, ce qui aurait été impensable il y a encore deux décennies  [44].

83De manière schématisée, la théorie économique néoclassique est fondée sur l’idée que, au moment de prendre des décisions économiques, l’être humain – comme les autres agents économiques, par exemple les entreprises – est un individu parfaitement rationnel et purement égoïste, qui dispose d’une information parfaite et l’utilise au mieux pour maximiser son utilité ou son profit en tenant compte de contraintes budgétaires. Sur la base de ce principe de la rationalité parfaite des agents économiques – principe de l'Homo oeconomicus dans le jargon – on peut ensuite déduire le fonctionnement d'une économie en recourant à l'autre postulat central de la théorie néoclassique : celui de l'agent représentatif. Ce concept consiste à dériver des comportements de grands agrégats (pays, secteurs, etc.) sur la base du comportement de consommateurs ou de firmes individuelles. Selon cette logique, l'économie atteint l'équilibre de façon automatique, par un ajustement naturel des prix aux niveaux qui égalisent l’offre et la demande sur l'ensemble des marchés simultanément.

84C'est donc grâce à la « main invisible » du marché que les économies atteignent tout naturellement l'équilibre qui, puisqu’il est atteint en additionnant les comportements d’agents optimisateurs, représente de facto la meilleure utilisation possible des différentes ressources disponibles. Dans le vocabulaire économique, cette application de la théorie de l'équilibre général à la sphère de l'économie politique porte le nom de « théorie du bien-être ».

85Bien qu'elle soit souvent considérée comme le pendant économique de la vision ultradarwinienne en biologie, la théorie de l'équilibre général est plutôt ancrée dans le modèle de Newton. On en veut pour preuve non seulement l'utilisation de lois immuables, mais aussi le fait d'avoir institué la précision et la rigueur de la mathématique mécaniste comme « La Mecque » des économistes. Un rapide coup d'œil à l'histoire de la science économique montre que la réduction des individus à leurs propriétés mécaniques (inhérente au principe de l'Homo oeconomicus) peut s'expliquer en grande partie par la pensée philosophique de René Descartes. En effet, son concept de dualité, qui oppose le monde spirituel, inexplicable et invisible, d'un côté, au monde physique, compréhensible et visible, de l'autre, fait en sorte que seuls les phénomènes physiques et biologiques, le côté dur de la réalité, sont définissables et mesurables et donc dignes de pouvoir faire l'objet d'une recherche scientifique et d'une construction théorique.

3.2. UN MODÈLE ÉCONOMIQUE DOMINANT FORTEMENT CONTESTÉ

86Pourtant, on sait aujourd'hui que le cerveau humain est une zone d'interaction où les fonctions instinctives sont en relation avec les fonctions conscientes et volontaires. Cela veut dire que non seulement on peut exercer un certain contrôle de nos automatismes mais aussi que les émotions, humeurs et autres sentiments peuvent influencer substantiellement nos actions conscientes et volontaires. Pour résumer, on peut dire que la configuration de son cerveau fournit à l'homme des émotions intelligentes et une intelligence émotionnelle.

87Évidemment, ces développements provenant des neurosciences vont à l'encontre du principe de l'Homo oeconomicus, machine à optimiser. L'irréalisme du modèle néoclassique de l'individu est d'ailleurs confirmé par une multitude d'études portant sur les comportements effectifs des agents économiques. En effet, ces observations réfutent les caractéristiques fondamentales que ce modèle prête aux préférences des individus et sur lesquelles repose le raisonnement théorique des néoclassiques. Par exemple, une abondante littérature empirique montre que les êtres humains ne peuvent être définis comme étant des individus purement égoïstes. Ainsi, la présence d'un certain degré d'altruisme et l'influence du groupe sur le comportement individuel (via la culture, notamment) impliquent que l'on ne peut plus représenter les comportements économiques des individus selon les principes érigés par la théorie néoclassique.

88Or, si ses hypothèses de bases ne sont pas réalistes, c'est toute la théorie néoclassique de l'équilibre générale qui s'écroule, et, avec elle, toute la crédibilité d'une gestion politique basée sur ce seul canevas.

89Il convient également de noter que, pour plusieurs raisons, la pertinence de la grille de lecture traditionnelle et de ses instruments est d'autant plus questionnable qu'elle est appliquée à une problématique comme celle du réchauffement climatique.

90En effet, la théorie économique appliquée à la problématique du climat requiert une attention particulière, parce qu'elle traite d'une aménité environnementale – le climat – qui se situe en dehors du marché, pour laquelle il n'y a donc pas de prix. Il découle du canevas traditionnel que les possibilités s’offrant aux agents sont réduites à un choix entre une protection de leur cadre de vie ou un gain économique. En effet, toute politique interventionniste au niveau climatique revêt un coût en termes de réduction de bien-être puisqu’elle impose à l’économie de s’écarter du niveau optimal d’allocation des ressources obtenu via le marché. Mais ce qui pourrait apparaître comme le résultat d'une analyse est, en réalité, le fruit des hypothèses de départ de la théorie.

91Ensuite, il faut également noter que le réchauffement du climat est une problématique environnementale qui présente certaines spécificités par rapport auxquelles les instruments économiques traditionnels semblent peu adaptés. En effet, cette problématique est non seulement globale (bien que différenciée géographiquement au niveau de ses effets) mais, en plus, elle comporte des enjeux à long terme (et donc pose la question de l'équité entre différentes générations) tout en étant susceptible de générer des impacts potentiellement irréversibles. Il est donc clair qu'une grille de lecture privilégiant le court terme et postulant que tout dommage peut être compensé financièrement a une utilité limitée dans ce contexte.

92Le problème est que, malgré le fait que des économistes du niveau de Joseph Stiglitz (ancien directeur de la Banque mondiale et Prix Nobel d'économie) la considèrent comme étant peu pertinente pour les économies industrielles modernes  [45], la théorie dominante est toujours solidement ancrée chez de nombreux économistes influents. Elle forme la base de leur discours concernant la manière d'élaborer les politiques sensées répondre à des problématiques environnementales.

3.3. LA QUESTION DU POTENTIEL « SANS REGRET »

93Pour illustrer l'importance que revêt la remise en question du modèle théorique traditionnel au niveau de la gestion de la problématique climatique, prenons tout d'abord la question de l'existence d'un potentiel de réduction à coût nul, voire négatif. Tel que mentionné précédemment, ce potentiel est dit « sans regret » parce que les investissements nécessaires pour le capter (comme l'achat d'ampoules à basse consommation) sont compensés par des gains sur la facture énergétique. Selon les critères prévalant dans le domaine de la finance, ces investissements sont donc rentables.

94Le débat qui a fait rage au sein des experts autour de cette question nous éclaire sur l'influence de la grille de lecture économique traditionnelle. En effet, le problème est que ce potentiel ne peut exister dans le cadre défini par la théorie économique traditionnelle étant donné que toute possibilité rentable serait automatiquement mise en œuvre par les agents économiques qui sont censés être parfaitement rationnels et disposer d'une information parfaite.

95C'est précisément la pertinence de ces deux derniers points au regard du fonctionnement réel de nos économies qui a été remise en cause par une série d'études ayant adopté une approche alternative à l'approche économique conventionnelle. Ces études ont fait état, dans le domaine de la consommation d'énergie, d'une multitude d'investissements rentables qui n'étaient pas exploités.

96Malgré la polémique qui continue d'agiter certains experts, la question du potentiel « sans regret » semble avoir trouvé un écho politique, en Belgique et ailleurs, avec la mise en place d'une série de mesures (primes, incitants fiscaux, campagnes d'information) visant spécifiquement à dépasser certaines des barrières identifiées comme responsables de la non-mise en œuvre des mesures rentables d'économie d'énergie (accès au capital, manque de connaissance, etc.). En Belgique, les appareils électroménagers, par exemple, font depuis quelque temps l'objet d'une classification européenne en fonction de leur consommation d'énergie, et un soutien financier est parfois offert (sous la forme de primes) pour l'achat des plus efficaces d'entre eux.

97Aujourd'hui, le débat s'est déplacé et porte sur la notion de gains de productivité. En effet, bien que la plupart des études ne prennent en compte que les gains sur la facture énergétique, il semble, d'après la littérature (récente mais également plus ancienne) sur le sujet, que dans de nombreux cas il existe toute une série de gains qui découlent de la mise en œuvre de mesures visant à réduire la consommation d'énergie. L'exemple la firme BP illustre bien ce point. D'après John Brown, PDG de BP, sa compagnie aurait engrangé des gains avoisinant les 650 millions de dollars entre 1998 et 2001, suite à la réduction de 18 % de ses émissions de gaz à effet de serre ; ces réductions étant, pour la plupart, venues de réductions de fuites et de déchets découlant de la recherche d'une plus grande efficacité énergétique  [46].

98Il est impératif de prendre en compte ces éventuels gains de productivité dans les analyses car ils peuvent être parfois substantiels. Bien sûr, cela imposerait de se démarquer de la vision néoclassique de l'individu qui optimise et de reconnaître l'existence de possibilités de gains non exploitées que les nombreuses études de terrain portant sur les réductions de la consommation d'énergie ont mis en lumière.

99Au regard de la faible efficacité énergétique qui prévaut dans notre pays – par exemple, la Belgique occupe la « tête » du classement des pays européens au niveau des pertes d'énergie par an et par logement  [47], et offre aussi d’autres exemples d’une telle contre-performance dans certains secteurs industriels – il semble également essentiel de mener une telle réflexion au niveau belge et d'en intégrer les enseignements dans les discussions portant sur les politiques et mesures à mettre en œuvre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

3.4. LA QUESTION DU PROGRÈS TECHNOLOGIQUE : NOTION CRUCIALE DU DÉBAT CLIMATIQUE

100Nous avons vu préalablement le rôle important joué par la notion d'effort de réduction dans les différentes négociations climatiques. Cet effort de réduction, nous l’avons vu, est fonction du scénario économique et énergétique envisagé pour l'horizon d'analyse. Une rapide analyse de ces scénarios révèle que la manière d'envisager le progrès technologique en est assurément l’un des éléments prépondérants. Cela est d'ailleurs confirmé par une étude menée aux États-Unis et consistant en une analyse rétrospective des scénarios d'émissions effectués au début des années 1980 pour la période 1982-2000  [48]. Cette analyse montre clairement que la prise en compte non appropriée du progrès technologique est l’une des raisons principales expliquant la surestimation systématique de la consommation d'énergie dans les scénarios prospectifs.

101Or, les postulats théoriques de base sont déterminants en cette matière et ils ont inévitablement une influence non négligeable sur la manière d'envisager le débat « agir aujourd'hui ou plus tard ». En effet, la vision exogène du progrès technique – du type de la fameuse « manne tombée du ciel » – qui caractérise les modèles traditionnels, préconise de repousser dans le temps les engagements de réduction des émissions pour attendre que, dans quelques années, de nouvelles technologies facilitant les réductions apparaissent.

102À l'inverse, si l'on considère le progrès technique comme une activité économique à part entière (en interaction avec le reste de l'économie et dépendant de facteurs socio-économiques comme l'investissement et l'éducation), on optera plutôt pour la stimulation et la diffusion de l'innovation technologique. Ce postulat est d'autant plus robuste si l’on considère qu'avec le temps, il devient plus difficile et donc plus cher de changer les comportements individuels, les modes d'organisation et les technologies, ceux-ci étant plus profondément ancrés.

103On se rend bien compte que l'adoption d'une vision ou de l'autre aura un impact sur les estimations de l’impact économique de la mise en œuvre de mesures de réduction. C'est, par exemple, sur la base d'une application stricte du canevas d'analyse traditionnel que William Nordhaus, économiste américain influent, a justifié et recommandé l'adoption d'une approche du type laisser-faire pour gérer le problème du réchauffement de la planète  [49]. Ce positionnement est fondé sur l'idée qu'il en coûterait trop cher à l'économie d'agir maintenant et qu'il vaut donc mieux attendre que le progrès technologique apporte des solutions.

104Logiquement, le fait d'appréhender l'évolution technologique sous un angle différent a des répercussions importantes sur les résultats de la modélisation économique du climat. C'est ainsi qu'une équipe de chercheurs italienne a montré que les coûts de réduction étaient divisés par un facteur trois lorsque l'on modélisait le progrès technologique de manière endogène (donc que l'on peut orienter) par rapport au résultat issu du même modèle (celui de Nordhaus) avec un progrès technologique exogène  [50].

3.5. L'IMPACT ÉCONOMIQUE DES MESURES DE RÉDUCTION

105Si l'on groupe les deux facteurs que sont la non-prise en compte du potentiel « sans regret » et celui d'une modélisation inadéquate du progrès technologique, on se retrouve avec des coûts gonflés, puisque d'un côté on sous-estime la percée des nouvelles technologies et, de l'autre, on omet de prendre en compte les possibilités rentables de réduction. D'ailleurs, une nette tendance qui est apparue récemment et sur laquelle de nombreux analystes ont mis le doigt, est que les modèles avaient souvent surestimé ex ante les coûts attachés aux mesures de réduction par rapport à la réalité. Or, comme cela a été montré par Paul Tébo de la firme DuPont lors d'une réunion du Chicago Economic Club  [51], l'exemple de son entreprise tend à prouver qu'une politique progressive en matière d'efficacité énergétique et de technologie alternative peut s'avérer très rentable, tout en générant de fortes réductions d'émissions.

106De manière plus large, c'est l'impact des mécanismes de réduction des émissions sur la compétitivité de nos économies qu'il est intéressant d'évaluer. En effet, bien qu'il existe de nombreux exemples attestant d'un lien positif entre réduction des émissions et gains économiques, beaucoup d'industriels ont fait part de leurs craintes par rapport à leur position concurrentielle, notamment dans le cadre de la mise en œuvre du SEEQE. En conséquence, il est nécessaire d'essayer d'objectiver la relation existant entre la contrainte carbone et la compétitivité.

107Plusieurs équipes de recherche se sont récemment attelées à l'estimation de l'impact du SEEQE sur les secteurs en termes de compétitivité. Malgré leurs hypothèses volontairement pessimistes ayant pour but de mettre en évidence les impacts potentiels, et bien qu'elles aient adopté des approches sensiblement différentes, ces analyses semblent indiquer que l'impact sera probablement limité voire nul et que les entreprises pourront maintenir leur marge de profits, hormis les secteurs jugés « à risque », comme l'aluminium  [52].

108Il convient, néanmoins, de nuancer quelque peu ce constat. Tout d'abord, il paraît clair qu'il y aura probablement des effets de redistribution à corriger. Ensuite, et c'est le plus important, il faut souligner que les études travaillent de manière sectorielle et statique, sans intégrer les interactions et sans tenir compte de la nouvelle donne. En effet, le but commun des mécanismes de réduction est d'envoyer un signal aux agents économiques. Or, le SEEQE instaure très clairement un signal prix, donc il semble peu pertinent de raisonner sur base d'un statu quo des conditions de marché. Par exemple, il n'est pas impossible que l'impératif de réduire les émissions provenant du secteur des transports ne profite au secteur de l'aluminium dans la recherche de véhicules plus légers et plus efficaces du point de vue de leur consommation d'énergie.

109On le voit, la relation négative entre mesures de réduction et compétitivité économique ne semble pas aussi inéluctable qu'affirmée régulièrement. Au contraire, la multiplicité des facteurs à prendre en compte ainsi que la complexité des interactions en jeu rendent possible l'émergence d'une dynamique favorable. Néanmoins, pour s'assurer que la contrainte carbone confère un avantage comparatif du point de vue de l'innovation, il est nécessaire de mettre tout en œuvre politiquement, tant au niveau européen que national, pour rendre le contexte favorable à la survenance de ce type d'impacts. Il y a là manifestement des opportunités économiques et sociales à saisir, tant pour l'Union européenne que pour la Belgique, comme le montre le leadership des allemands et danois dans le domaine de l'énergie éolienne.

3.6. LA QUESTION DE L’ENFERMEMENT TECHNOLOGIQUE

110Au regard des critiques formulées à l'encontre du schéma traditionnel, il apparaît clairement qu'il faille réconcilier la caractérisation de l'individu économique avec l'abondante littérature empirique qui le concerne, tout en l'articulant selon un canevas qui soit compatible avec cette même caractérisation. Cela passe inévitablement par une ouverture de la science économique à des concepts provenant d'autres sphères comme la psychologie, l'anthropologie ou la biologie.

111L'apport d'un nouvel angle d'analyse permettrait de redonner une certaine importance aux politiques publiques. Par exemple, la notion d'historicité – ou de causalité cumulative, qui fait état d'un certain degré de dépendance des choix – jointe à une vision systémique des technologies (c’est-à-dire qui ne considère pas, par exemple, la seule voiture, mais tout le système qui l’entoure, incluant les infrastructures, les stations d’essence, etc.), revêt une importance cruciale dans le domaine de l'évolution des technologies.

112En effet, des analyses rétrospectives ont mis en lumière, sur la base d'études de cas historiques très détaillées, le concept d'enfermement technologique  [53], qui fait référence au fait que les systèmes technologiques suivent une trajectoire spécifique qu'il est coûteux et difficile de changer. Cette trajectoire technologique est tout autant déterminée par des notions de timing, de stratégies et de circonstances historiques que par celle, chère aux néoclassiques, d'optimisation.

113Le facteur responsable de l'enfermement technologique est celui des « rendements croissants liés à l'adoption » (RCA). Il s'agit, en fait, d'effets de retour positifs qui viennent accroître l'attractivité d'une technologie à mesure qu'elle est adoptée. Cette présence de RCA fait que, dans une situation de compétition entre plusieurs technologies, celle qui parvient, pour une raison ou une autre, à prendre un avantage initial va finir par dominer complètement le marché et exclure les technologies concurrentes, même si celles-ci sont potentiellement de qualité supérieure ou présentent un plus grand potentiel de développement.

114La source de RCA la plus communément associée à la notion d'enfermement technologique est celle des externalités de réseaux, c’est-à-dire des bénéfices, pour les utilisateurs effectifs d'une technologie, lorsqu'elle est adoptée par un autre. Ces bénéfices proviennent du fait que les réseaux informationnels et physiques deviennent plus attractifs à mesure que leur taille augmente. Citons, par exemple, les réseaux téléphoniques ou encore les logiciels informatiques, dont l'attractivité s'accroît avec le nombre d'utilisateurs. Cela pourrait être également le cas, par exemple, de l'adoption du moteur à hydrogène dont les avantages augmenteraient très certainement à mesure qu'un nombre croissant d'utilisateurs l'adopteraient. La pertinence de ce concept est accrue dans un schéma où une technologie est considérée comme faisant partie d'un système technologique au sein duquel elle est en relation avec des infrastructures, des technologies et des utilisateurs interdépendants, auxquels on peut ajouter les institutions publiques et privées liées à la technologie en question.

115En fait, à mesure qu'une technologie est adoptée et acceptée, la place qu'elle finit par prendre dans la vie quotidienne entraîne une certaine socialisation de leur utilisation. De simples rites ou normes, cela peut aller jusqu'à des changements profonds du point de vue des habitudes de loisirs, de courtoisie et d'éducation, comme ceux qui ont accompagné le passage à l'ère automobile. Cette co-évolution sociale avec une certaine technologie génère donc un système de préférence de manière endogène, selon une trajectoire déterminée. On parle alors de complexes technico-institutionnels ou, plus communément, de régimes technologiques.

116Selon cette logique, certains auteurs ont émis l'idée selon laquelle nous serions aujourd'hui enfermés dans une « économie carbone » , car nos habitudes, nos institutions et nos réseaux technologiques sont adaptés à l'utilisation des combustibles fossiles  [54]. En fait, de façon plus large, on peut analyser l'histoire récente comme une succession de grands régimes technologiques. Ces derniers, sorte de grands regroupements basés sur une technologie dominante et les infrastructures et technologies interdépendantes qui y sont associées, sont :

  • vapeur, canaux et fer de 1800 à 1870 ;
  • charbon, voies ferrées, acier et électrification industrielle 1850 à 1940 ;
  • pétrole, routes, plastiques et électrification des ménages de 1920 à 2000.

117Cette vision de l'évolution des technologies a pour conséquence de redonner une place centrale à des aspects concernant les politiques à mettre en place, notamment pour rouvrir le chemin technologique via, par exemple, la gestion des niches stratégiques ou le soutien aux technologies pont ou hybrides. Ces aspects sont souvent éludés des analyses traditionnelles, dont la vision du progrès technique est celle de la manne tombée du ciel.

3.7. IMPACTS POTENTIELS DE THÉORIES ÉCONOMIQUES ALTERNATIVES SUR LES POLITIQUES CLIMATIQUES

118Il ressort des considérations précédentes que, pour gérer la problématique climatique de manière efficace, pertinente et équitable, la science économique doit impérativement s'acclimater. Si la théorie économique qui sous-tend l’élaboration des politiques climatiques évoluait de façon à mieux tenir compte de la nature non mécaniste de l’être humain ainsi que des caractéristiques du système économique actuel mal expliquées par le modèle néoclassique – comme l’existence d’un potentiel de réduction des émissions sans regret, la possibilité d’influencer le progrès technologique et le phénomène d’enfermement technologique –, alors le processus politique en matière de changements climatiques serait sensiblement altéré, tant au niveau belge qu’au niveau international.

119Par exemple, nous avons vu dans une section précédente que les modèles économiques qui considèrent le progrès technologique comme exogène – c’est-à-dire indépendant des rouages du système économique dans lequel il s’inscrit - ont mené par le passé à des projections d’émissions surestimées. Une prise en compte plus appropriée du progrès technologique serait donc susceptible de générer des projections d’émissions largement inférieures à celles qui ont été utilisées jusqu’ici. Or, si l’on diminue les projections d’émissions, on réduit du même coup l’ampleur de l’effort à fournir pour respecter un objectif climatique donné. Partant de l’hypothèse qu’il est plus facile de partager entre différents pays ou régions un effort de réduction des émissions moins exigeant, l’utilisation de projections d’émissions réduites, basées sur une meilleure prise en compte du progrès technologique, pourrait ainsi alléger de façon notable les négociations sur la répartition de l’effort climatique, que ce soit au niveau de la CCNUCC, du partage de la charge au sein de la bulle européenne, ou entre les trois régions belges.

120De même, l’utilisation de théories économiques plus aptes à représenter l’enfermement du système économique actuel dans un complexe technologique basé sur l’énergie fossile, serait susceptible de mener à l’adoption d’instruments politiques différents de ceux qui sont promus actuellement. Le SEEQE, par exemple, instrument principal des efforts climatiques européens, est certes capable d’encourager la réduction à moindre coût des émissions des installations industrielles et énergétiques grandes consommatrices de combustibles fossiles, mais en se concentrant ainsi sur l’amélioration des technologies utilisant l’énergie fossile, il relègue au second plan, dans la politique européenne, les mesures visant à encourager le développement de solutions alternatives. Or, ce sont ces solutions alternatives – énergies renouvelables, urbanisme durable, etc. – qui pourraient marquer le premier pas vers l’ouverture d’une nouvelle voie technologique, marquant la fin de l’enfermement actuel dans l’utilisation des énergies fossiles.

121Enfin, au-delà d’un impact ponctuel sur l’élaboration des politiques climatiques telles qu’on les connaît, l’adoption généralisée d’une théorie économique alternative pourrait aussi, à terme, révolutionner l’entièreté du processus politique en matière de changements climatiques, en permettant notamment d’y intégrer le caractère multicritère des options politiques existantes. L’actuelle centralisation du discours politique autour de l’idée d’optimalité – mesurée par une valeur monétaire en postulant des marchés efficients – pourrait donc faire place à une considération accrue envers d’autres enjeux des politiques climatiques, telles que la substituabilité limitée entre capital financier et stabilité climatique. Une telle altération du paradigme économique traditionnel semble toutefois improbable à court terme, et ce n’est probablement que par des apports ponctuels (tels que ceux mentionnés dans les paragraphes précédents) que les théories économiques alternatives pourront influencer le développement des politiques climatiques au cours des prochaines années.

4. LES ENJEUX POUR LA BELGIQUE DES POLITIQUES CLIMATIQUES POST-2012

122Au cours des quatre ou cinq prochaines années, on peut s’attendre à ce que la scène politique climatique belge – fédérale comme régionale – continue d’être largement accaparée par les négociations internationales en vue de la prolongation du Protocole de Kyoto, ainsi que par l’élaboration des prochaines phases du SEEQE.

123En effet, lors de la onzième Conférence des Nations unies sur les changements climatiques en 2005, les pays signataires du Protocole de Kyoto se sont entendus pour lancer dès 2006 des pourparlers en vue de l’adoption de nouveaux objectifs chiffrés de réduction des émissions dans le cadre d’une seconde période d’engagement après 2012. En supposant que ces pourparlers réussissent, et que les États membres de l’Union européenne choisissent une nouvelle fois d’adopter un objectif commun, il s’ensuivra le besoin de négocier une nouvelle entente de partage de la charge au niveau européen, et ces négociations seront inévitablement marquées par de nouveaux enjeux géopolitiques. Forte d’au moins 25 membres, incluant plusieurs économies en transition, l’Union européenne élargie devra en effet composer avec un plus haut niveau de disparités économiques, industrielles, technologiques et sociales, qui amèneront de nouveaux arguments dans les négociations.

124Au niveau belge, l’adoption d’un nouvel objectif de réduction des émissions pour la deuxième période d’engagement du Protocole de Kyoto rendra sans doute nécessaire la conclusion d’une nouvelle entente de partage de la charge entre le gouvernement fédéral et les trois régions du pays. Or, en supposant que le déclin sidérurgique en Région wallonne soit alors terminé, et que les principaux secteurs industriels du pays aient déjà exploité une grande part de leur potentiel de réduction des émissions à bas coût, les négociations à ce sujet pourraient être dominées par des arguments nouveaux, encore non évoqués lors de la conclusion de l’accord de 2004. Des considérations économiques relatives au secteur de l’énergie – notamment les fluctuations du prix du pétrole et la fin de la production d’électricité nucléaire – pourraient aussi attirer l’attention des négociateurs sur de nouvelles options. Par exemple, si l’on estime que le potentiel de réduction des émissions dans les secteurs industriels a déjà été fortement exploité, on pourrait accorder une considération accrue aux possibilités de réduction des émissions dans les secteurs tertiaire, résidentiel et des transports. Cela donnerait vraisemblablement un rôle plus important – et un objectif plus strict ? – à la Région de Bruxelles Capitale dans les négociations.

125Indépendamment des négociations relatives à la prolongation du Protocole de Kyoto après 2012, la continuation du SEEQE demeurera aussi sans doute une question primordiale, en Belgique comme au niveau européen. Forte des leçons tirées après la première année de fonctionnement du système, la Commission européenne prévoit en effet de lancer en 2006 un processus de révision des règles et de la structure du SEEQE, qui pourrait mener à l’inclusion de nouveaux gaz ou de nouveaux secteurs, probablement à partir de 2012. De même, les nombreuses critiques exprimées à l’égard du processus d’allocation décentralisé pourraient amener les décideurs européens à doter le SEEQE de règles d’allocation plus strictes, ce qui réduirait la possibilité de chaque État de tenir compte, dans son PNAQ, de circonstances nationales ou spécifiques à chaque sous-secteur industriel.

126Quoi qu’il en soit, il importe de ne pas oublier que le Protocole de Kyoto et le SEEQE ne constituent, face au problème mondial des changements climatiques, qu’un avant-goût des efforts qui seront nécessaires pour atteindre, d’ici 2050 ou 2100, les objectifs de réduction des émissions dictés par les données scientifiques, qui suggèrent, rappelons-le, que l’augmentation de la température moyenne globale ne doit pas dépasser 2°C, par rapport à l'ère préindustrielle pour éviter le risque d’une escalade d’impacts climatiques susceptibles de mettre en péril l’ensemble des systèmes naturels et humains actuels. En effet, pour atteindre ces objectifs, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient être réduites de l'ordre de 50 à 80 %. Or, la mise en oeuvre complète du Protocole de Kyoto – c’est-à-dire le respect des objectifs imposés à tous les pays de l’Annexe I, incluant les États-Unis – ne permettrait de freiner que de 2 à 3 % le réchauffement climatique prévu pour 2100  [55]. Il s’ensuit que de nouvelles mesures, plus vastes et plus ambitieuses, s’avéreront nécessaires au cours des prochaines années.

127Devant ce constat, les pays signataires de la CCNUCC se sont aussi engagés, en décembre 2005, à lancer un dialogue pour l’élaboration d’une approche coopérative mondiale à long terme en matière de changements climatiques. Cette initiative vise notamment à développer un cadre d’action plus inclusif, capable d’assurer la participation du plus grand nombre de pays (développés comme en développement), tout en tenant compte des responsabilités historiques et capacités d’action différenciées des différentes régions du monde. La première rencontre de ce dialogue est prévue à Bonn en mai 2006, et vise à recueillir les propositions des différents pays quant aux approches qui pourraient être envisagées pour la réduction à long terme des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Évidemment, les approches proposées seront sans doute nombreuses et très variées, reflétant les intérêts stratégiques divergents des différents groupes de pays. Aussi s’attend-on à ce que le dialogue ne débouche sur l’adoption d’une approche coopérative consensuelle qu’au terme de quelques années de négociations.

128Les prochains paragraphes présentent de façon sommaire quelques-unes des approches qui pourraient être envisagées pour « l’après-2012 », ainsi que les enjeux relatifs à chacune d’elles en termes du processus belge de politique climatique. Il convient toutefois de souligner que cette analyse ne vise pas à dresser un portrait complet des négociations à venir, mais plutôt à démontrer qu’un vaste éventail d’approches politiques s’offre à la communauté internationale face à la question climatique, et que les différentes approches envisagées peuvent avoir des conséquences très variées pour la Belgique, comme pour l’ensemble des pays du monde.

4.1. L’APPROCHE MULTI - STAGE

129Une première approche souvent mentionnée dans les discussions concernant l’élaboration d’une politique climatique mondiale à long terme est l’approche dite multi-stage. D’abord formulée par l’Institut national pour la santé publique et l’environnement des Pays-Bas (RIVM), puis reprise et modifiée par le bureau d’études allemand Ecofys, cette approche peut être considérée, en quelque sorte, comme une version nouvelle et plus inclusive du Protocole de Kyoto  [56].

130Elle suggère en effet de diviser les pays du monde en quatre groupes (plutôt que deux sous le Protocole actuel), et de définir pour chacun des quatre groupes des obligations climatiques différentes, allant de l’absence d’obligations dans le groupe 1, jusqu’à des objectifs absolus de réduction des émissions dans le groupe 4. Les groupes 2 et 3 recevraient pour leur part des obligations intermédiaires, tels que des objectifs de réduction des émissions par unité de PIB ou de stabilisation des émissions absolues. Le positionnement d’un pays dans un groupe dépendrait pour sa part d’un ou de plusieurs critère(s) relatif(s) à leur responsabilité et leur capacité d’agir – par exemple, le PIB par habitant et/ou les émissions par habitant. Les pays se verraient donc imposer des obligations climatiques de plus en plus contraignantes, au fur et à mesure de leur progression du groupe 1 vers le groupe 4.

131De façon générale, les arguments qui sous-tendent cette approche multi-stage semblent aptes à générer un consensus au sein de la communauté internationale : partant du principe de responsabilité commune mais différenciée, tous pourraient être d’accord pour attribuer aux différents pays des obligations climatiques variables selon leur responsabilité historique et leur capacité actuelle à payer. Toutefois, si cette approche devait être retenue, d’importants blocages pourraient survenir au moment de choisir le ou les critère(s) de classification des pays dans les quatre groupes, ainsi que les objectifs précis attribués à chaque pays à l’intérieur de chaque groupe.

132Au niveau européen, l’adoption d’une entente mondiale basée sur l’approche multistage pourrait apporter un nouvel élément de complexité au processus politique climatique, par rapport à la situation actuelle sous le Protocole de Kyoto. En effet, dans une approche distinguant quatre groupes de pays, plutôt que deux, certains États membres de l’Union européenne élargie – notamment les nouveaux adhérents – pourraient être classés dans les groupes 2 ou 3, alors que les anciens membres seraient vraisemblablement classés dans le groupe 4. Or, avec une telle différenciation, il semblerait plus délicat de créer une bulle européenne pour l’adoption d’un objectif commun, et a fortiori de mettre en place des mesures d’action uniformes au niveau communautaire. Les États membres classés dans le groupe le moins contraint accepteraient-ils de partager l’effort des États membres classés dans le groupe le plus contraint ? Ou faudrait-il créer deux bulles européennes, entraînant avec elles des politiques climatiques européennes à deux vitesses ?

133Pour la Belgique, toutefois, il semble raisonnable de supposer que l’approche multistage n’apporterait pas de modifications importantes par rapport à la situation actuelle sous le Protocole de Kyoto. En effet, quel que soit le critère de classification retenu, la Belgique se retrouverait fort probablement dans le groupe des pays les plus contraints, et devrait continuer à œuvrer pour atteindre un objectif chiffré de réduction de ses émissions absolues. Qu’il soit déterminé de façon indépendante ou dans le cadre d’une bulle européenne, cet objectif chiffré devrait ensuite être réparti entre les trois régions belges et le gouvernement fédéral, nécessitant ainsi une nouvelle entente belge pour le partage de la charge. Le processus politique belge en matière de changements climatiques serait donc sensiblement le même qu’actuellement.

4.2. L’APPROCHE SECTORIELLE

134Une seconde option mentionnée dans les discussions sur la politique climatique future est l’adoption d’une approche sectorielle, c’est-à-dire une entente mondiale basée sur la régulation des grands secteurs industriels consommateurs d’énergie fossile. Il en existe plusieurs versions, parmi lesquelles se démarque celle élaborée par le think tank américain Center for Clean Air Policy (CCAP) suite à trois ans de dialogue avec des intervenants issus de pays développés, de pays en développement et de secteurs industriels  [57].

135Cette approche, qui inclut les pays développés et les principaux pays en développement, consiste à définir, pour le secteur énergétique et les grands secteurs industriels, des objectifs basés sur une analyse technique et financière du potentiel de réduction des émissions dans chaque secteur et dans chaque pays. Puis, pour chaque pays développé, un objectif national de réduction des émissions – c’est-à-dire applicable à l’ensemble des secteurs couverts dans le pays – serait défini en additionnant les objectifs calculés pour tous les secteurs. Les autorités nationales pourraient ensuite redistribuer cet objectif à leur gré entre les différents secteurs couverts, et seraient responsables d’en garantir le respect, sous peine de sanctions. Il s’agirait donc, en quelque sorte, d’un engagement similaire au Protocole de Kyoto, mais limité aux émissions d’un petit nombre de secteurs et basé sur une étude plus détaillée du potentiel de réduction.

136Par contre, pour les pays en développement, l’engagement serait plus souple que pour les pays développés. Tout d’abord, les objectifs définis pour leurs secteurs seraient exprimés en termes d’intensité carbone plutôt qu’en des termes absolus, c’est-à-dire qu’on n’exigerait pas une réduction des émissions totales, mais bien une réduction des émissions par unité de PIB, une nuance importante en cas de croissance économique rapide. De plus, ces objectifs seraient du type no lose : toute réduction d’émissions allant au-delà de l’objectif sectoriel pourrait être mise à profit par la vente de droits d’émissions sur le marché international, mais aucune pénalité ne serait imposée en cas de non-respect de l’objectif fixé. Enfin, bien qu’ils soient gérés par les autorités nationales, ces objectifs resteraient cloisonnés par secteur, c’est-à-dire qu’un excédent d’émissions dans un secteur ne devrait pas être compensé par des réductions additionnelles dans un autre secteur. Les pays en développement n’auraient donc rien à perdre mais tout à gagner de leur participation à une entente basée sur cette approche.

137Comparée au Protocole de Kyoto ou à l’approche multi-stage, cette approche sectorielle pourrait donner lieu à des négociations relativement faciles : tout en n’imposant aucune obligation rigide aux pays en développement, elle leur donnerait un incitant à participer suffisamment important pour tempérer un tant soit peu les soucis des pays développés quant à la compétitivité de leurs entreprises. En même temps, elle s’appuierait sur des analyses techniques et financières qui constitueraient une base plus objective et transparente pour la définition des objectifs de réduction, en supposant, évidemment, l’adoption pour ces analyses d’une méthodologie commune et de données fiables. D’un point de vue environnemental, toutefois, on peut se questionner sur sa capacité à encourager des réductions d’émissions suffisantes et durables : est-il possible de respecter à long terme les objectifs climatiques globaux sans inclure en premier plan les émissions des secteurs agricole, tertiaire, résidentiel et transports, ainsi que celles des petits pays en développement ?

138Au niveau européen, l’adoption d’une entente mondiale basée sur l’approche sectorielle aurait inévitablement un impact sur le processus politique en matière de changements climatiques. Par exemple, la pertinence de créer une bulle européenne pour l’adoption d’un objectif commun serait, ici aussi, remise en question. En effet, l’analyse technique et financière sur laquelle reposeraient les objectifs définis par l’approche sectorielle vise à attribuer à chaque pays – ou à la bulle européenne – un objectif réaliste, adapté aux circonstances nationales. Or, afin de tenir compte de façon optimale des circonstances nationales différentes des États européens, il semble plus avantageux de réaliser cette analyse à l’échelle géographique la plus petite possible, c’est-à-dire au niveau national. La création d’une bulle européenne semble donc a priori moins intéressante. Par contre, l’approche sectorielle consacrerait la pertinence du SEEQE en tant qu’instrument politique de premier rang pour la réduction des émissions : les grands secteurs industriels couverts par le SEEQE sont aussi ceux qui sont visés par l’approche sectorielle. L’adoption de cette approche au niveau mondial pourrait donc non seulement favoriser la continuation du SEEQE, mais encourager également le développement de systèmes semblables dans d’autres régions du monde.

139Au niveau de la Belgique, l’adoption d’une entente mondiale basée sur l’approche sectorielle pourrait aussi avoir des conséquences politiques considérables. Tout d’abord, en définissant des objectifs sur la base d’une analyse sectorielle du potentiel de réduction, cette approche fournirait une base objective et transparente au partage de la charge entre le pouvoir fédéral et les trois régions du pays, si ce partage était encore jugé pertinent. De plus, en se focalisant sur les émissions des secteurs énergétique et industriel, l’approche sectorielle reléguerait au second plan la Région de Bruxelles Capitale – qui, rappelons-le, accueille peu d’installations issues de ces secteurs – dans les négociations nationales. Les négociations internes à la Belgique pourraient donc s’en trouver doublement facilitées, devenant largement le fait d’analyses sectorielles en Flandre et en Wallonie.

4.3. L’APPROCHE GESTIONNAIRE

140Enfin, une troisième option envisagée dans le cadre des discussions pour l’élaboration d’une politique climatique mondiale à long terme est l’adoption d’une approche que l’on peut qualifier de gestionnaire, dont Bill Clinton a présenté les avantages en marge de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques en décembre 2005.

141Son principe fondamental est simple : plutôt que d’engager les gouvernements nationaux à respecter des objectifs chiffrés de réduction des émissions sur lesquels il est souvent difficile de s’entendre et dont il est parfois difficile de juger du réalisme, il s’agirait de conclure une entente pour la mise en œuvre simultanée, dans les pays développés et éventuellement dans les pays en développement, d’une série de mesures de réduction des émissions, acceptées par tous et définies en des termes concrets et opérationnels. Par exemple, les pays développés pourraient s’entendre pour augmenter de 10 % la part des énergies renouvelables dans leur parc électrique d’ici 2020, ou pour augmenter de 10 % la part des véhicules hybrides dans leur parc automobile, ou pour améliorer de 20 % l’efficacité énergétique des bâtiments publics et résidentiels, etc. Une telle entente pourrait donc se présenter comme un substitut ou comme un complément à une approche plus agrégée telle que l’approche multistage ou l’approche sectorielle.

142Sa réalisation au niveau européen pourrait toutefois s’avérer complexe, en raison de la structure institutionnelle qui régit le processus politique européen. En effet, la mise en œuvre d’une liste de mesures concrètes ayant trait à plusieurs domaines différents (comme la production d’électricité, le parc automobile et l’efficacité énergétique) pourrait requérir l’adoption et/ou la modification de plusieurs directives européennes, un processus parfois long et laborieux. Par contre, l’existence d’une bulle européenne pour l’adoption d’obligations communes semble ici moins problématique que dans les deux cas précédents. Dans une optique de minimisation des coûts au sein de l’Union, il pourrait même s’avérer avantageux de reconnaître les capacités différenciées des différents États membres face aux divers objectifs à atteindre, chacun se « spécialisant » dans la mise en œuvre des mesures les mieux adaptées à ses possibilités. Les négociations intra-communautaires pour le partage de la charge au sein d’une éventuelle bulle européenne seraient toutefois sans doute compliquées, puisqu’il faudrait définir pour chaque État membre non pas un objectif national, mais plutôt un objectif différent pour chacune des mesures opérationnelles incluses dans l’entente internationale Il en va de même au niveau de la Belgique : le processus politique de répartition de l’effort à fournir entre les trois régions serait sans doute complexifié par la multiplicité des objectifs, c’est-à-dire qu’il faudrait négocier longuement pour partager entre les trois régions la charge de chacune des mesures identifiées dans l’entente de type gestionnaire. Par contre, il y aurait là une opportunité de faire valoir les forces et les faiblesses de chacune des trois régions, incluant la Région de Bruxelles-Capitale qui, dans une approche moins axée sur les secteurs industriels, aurait sans doute un rôle plus grand à jouer, tant dans les négociations interrégionales que dans la mise en œuvre des mesures prescrites.

CONCLUSION

143En guise de conclusion, il convient de rappeler que les approches multi-stage, sectorielle et gestionnaire ne sont que trois exemples des options politiques qui s’offrent à la communauté internationale dans le cadre du dialogue pour l’élaboration d’une approche coopérative mondiale à long terme en matière de changements climatiques. Des dizaines d’autres approches ont aussi été proposées, chacune présentant des caractéristiques différentes en matière de structure institutionnelle, de faisabilité politique, d’efficacité environnementale et d’équité interrégionale et intergénérationnelle.

144Quelle que soit l’approche qui sera retenue, il semble désormais clair que, pour atteindre d’ici 2100 un niveau d'émissions permettant de limiter l'augmentation de température moyenne à 2°C, des changements importants seront requis dans la façon de produire et de consommer, tant dans les pays développés que dans les pays en développement. Il y aura donc assurément des efforts financiers et humains à consentir pour atteindre cet objectif, et il est essentiel que l'arbitrage économique utilisé pour définir la route à suivre se fonde sur une base saine et objective, et non sur une seule grille de lecture. En effet, nous avons clairement montré l'importance de la science économique dans le débat climatique, notamment pour l’élaboration de politiques de développement axées sur la durabilité, capables de vaincre les rigidités des systèmes déjà en place dans les pays développés et de mieux orienter l’évolution des pays en développement. Dans ce contexte, il semble particulièrement important de discuter des fondements de la théorie économique pour les adapter au mieux aux spécificités de la problématique du climat. Cela passe notamment par l'intégration de concepts provenant de théories économiques alternatives afin de prendre en compte les paramètres émotionnels, sociaux et culturels qui interviennent dans la prise de décision économique ainsi que les possibilités d'influer sur l'évolution des technologies.

145Au niveau de la Belgique, les changements à venir dépendront inévitablement du cadre coopératif qui sera établi au niveau mondial comme au sein de l’Union européenne. Les spécificités économiques, politiques et institutionnelles du pays seront toutefois des facteurs additionnels, susceptibles de complexifier ou, au contraire, de faciliter la transition de la Belgique vers une économie faiblement émettrice. Au regard des caractéristiques de notre pays, une politique climatique équilibrée et bien réfléchie pourrait permettre d'atteindre cet objectif tout en se révélant bénéfique du point de vue socio-économique.

LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES UTILISÉS

146CCNUCC : Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques
CFDD : Conseil fédéral du développement durable
GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
PNAQ : Plan national d’allocation des quotas
PNC : Plan national climat
PNRE : Programme national de réduction des émissions de CO2
ppmv : parties par million en volume
SEEQE : Système européen d’échange de quotas d’émissions

Notes

  • [1]
    Cf. M. PALLEMAERTS, « Le cadre international et européen des politiques de lutte contre les changements climatiques », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1858-1859,2004.
  • [2]
    Kevin Maréchal et Véronique Choquette sont chargés de recherches au Centre d’études économiques et sociales de l’environnement de l’Université libre de Bruxelles.
  • [3]
    Nations Unies, Convention Cadre des Nations unies sur les changements climatiques, 1992, cf. <www. unfccc. int>,visité le 27 mars 2006.
  • [4]
    Cf. J. CATRINUS et M. MUNASINGHE, Climate Change Policy : Facts, Issues and Analyses, Cambridge University Press, Cambridge, 1998, pp. 9-14.
  • [5]
    Cf. Commission des Communautés européennes, Vaincre le changement climatique planétaire, Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Bruxelles, 9 février 2005 ; Conseil de l’Union européenne, Communiqué de presse, 2647e session du Conseil, Bruxelles, 10 mars 2005.
  • [6]
    Conseil fédéral du développement durable, Deuxième avis sur une stratégie mondiale de prévention des changements climatiques au–delà de 2012, 2005AO3F, cf. <www. frdo. be/ fr/ pubfr/ avis/ 2005a03f. pdf>, consulté le 17 mai 2006. Créé en 1997, le CFDD est un organe consultatif et de sensibilisation dans le domaine du développement durable dont les 38 membres avec droit de vote représentant le monde scientifique, les ONG (environnement, coopération et développement, consommateurs), les organisations d’employeurs, les syndicats et les producteurs d’énergie.
  • [7]
    Valeur exprimée en terme de CO2 équivalent, c’est-à-dire que les quantités des gaz à effet de serre autres que le CO2 sont exprimées par la quantité de CO2 qui produirait un effet réchauffant équivalent.
  • [8]
    Cf. M. MEINSHAUSEN, « What does a 2°C target mean for greenhouse gas concentrations ? A brief analysis based on multi-gas emission pathways and several climate sensitivity uncertainty estimates », in SCHELLNHUBER et al., Avoiding dangerous climate change, Cambridge University Press, Cambridge, 2006; M. MASTRANDREA et S. SCHNEIDER, « Probabilistic assessment of “dangerous” climate change and emissions scenarios : stakeholder metrics and overshoot pathways », in SCHELLNHUBER et al., Avoiding dangerous climate change, op. cit.
  • [9]
    Cf. CCNUCC, Feeling the heat, cf. <www. unfccc. int>,visité le 28 mars 2006.
  • [10]
    La Tragédie des Communs est un problème économique classique formulé en 1833 par le professeur britannique William Foster Lloyd et repris par Garrett Hardin dans la revue Science en 1968. Il expose les complexités de la gestion d’un pâturage commun à un groupe de paysans lorsque chacun jouit d’un accès libre et illimité pour l’ensemble de son bétail. Selon cet essai, en l’absence d’une structure de gestion ou de droits de propriété, chaque paysan utilise le pâturage collectif de façon à servir aux mieux ses intérêts personnels, menant à une surexploitation du pâturage et entraînant sa dégradation.
  • [11]
    Cf. CCNUCC, Feeling the heat, op. cit.
  • [12]
    Royaume de Belgique, Inventaire belge des émissions de gaz à effet de serre, Rapport national d’inventaire 2005, Communiqué au Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, avril 2005.
  • [13]
    V. CHOQUETTE, L. BENOIT, K. MARÉCHAL et W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique : Vers une approche intégrée des implications du réchauffement planétaire, Rapport final, Convention CEESE-Electrabel, Bruxelles, mars 2006, pp. 100-126.
  • [14]
    Cf. Étude des aspects énergétiques des nouvelles constructions en Flandre : isolation, ventilation, chauffage, menée entre 1995 et 1997 par le SENVIVV ; Procédure d’avis énergétique des bâtiments existants, réalisée en juillet 2001 par le VITO, le CSTC et l’Institut wallon, avec la collaboration de l’UCL dans le cadre du projet européen SAVE II belas.
  • [15]
    Cf., Conseil fédéral du développement durable, Avis sur la mise en œuvre en Belgique du Protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, 28 septembre 1998.
  • [16]
    Notons que ce rapport évoque aussi l'absence d'un débat de société ainsi que le manque d'ambition et d'évaluation comme éléments additionnels ayant contribué à l'échec de la politique climatique belge. Cf. Bureau fédéral du plan, Sur la voie d’un développement durable : Rapport fédéral sur le développement durable, Task Force développement durable, 1999.
  • [17]
    Cf. le chapitre 7 de K. MARÉCHAL, E. D’IETEREN ET W. HECQ, Les implications de Kyoto pour la Belgique : Analyse des mécanismes flexibles et comparaison avec les mesures domestiques de réduction des émissions de CO2 en Belgique, Rapport final, Projet Connaissances des émissions de CO2 (phase 4), Electrabel/SPE, janvier 2003.
  • [18]
    Cet accord a finalement été signé un an plus tard, le 14 novembre 2002. Accord de coopération entre l’État fédéral, la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale relatif à l’établissement, l’exécution et le suivi d’un Plan national Climat, ainsi que l’établissement de rapports, dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et du Protocole de Kyoto, conclu à Bruxelles, accessible sur <http ://environnement.wallonie. be/legis/accords_de_cooperation/planclimat.htm>.
  • [19]
    Il s'agit, pour la Région wallonne, du « Plan d'action en matière de changements climatiques » (juillet 2001), pour la Région Flamande, du « Vlaams Klimaatbeleidsplan 2002-2005 » (juillet 2002), et, pour la Région de Bruxelles-Capitale, du « Projet de plan Climat, à intégrer au futur plan d'amélioration structurelle de la qualité de l'air et du climat 2002-2010 » (février 2002).
  • [20]
    M. PALLEMAERTS, « Le cadre international et européen des politiques de lutte contre les changements climatiques », op. cit., pp. 42-56.
  • [21]
    Cf. « Kyoto en Belgique : la répartition des charges », cf. <http :// www. belgium. be>. Rappelons que cet accord est, pour l'instant, dénué de force juridique.
  • [22]
    Calculs propres provenant d'une analyse des National Inventory Report (NIR) et des projections du Bureau fédéral du plan. Cf. K. MARÉCHAL, B. LUSSIS et W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique, Étude réalisée dans le cadre d'une convention CEESE/Electrabel, janvier 2005.
  • [23]
    Les émissions de référence augmentent mais pas les émissions actuelles puisque ces émissions n'existent plus.
  • [24]
    Selon les chiffres publiés lors de la publication de l'accord du partage de la charge. Le calcul définitif sera effectué avant le 1er janvier 2007, lors de la consolidation des inventaires.
  • [25]
    Notons qu'une partie du montant libéré pour le deuxième appel d'offre lors du Conseil des ministres du 24 février 2006 sera affecté à l'achat de crédits d'émissions via des fonds multilatéraux d'investissements.
  • [26]
    Sauf dans le cas d'un budget insuffisant. Ce qui pourrait être le cas étant donné que le budget actuellement libéré ne permettrait d'acheter, au mieux, que 11,2 millions de crédits (tCO2eq ) alors que le trou à combler par le fédéral a été estimé à 12,3 millions de crédits sur les cinq années de la première période de Kyoto.
  • [27]
    Lors du Conseil des ministres d'Ostende de mars 2004, l'impact des mesures fédérales a même été réestimé à 5,8 MtCO2éq.
  • [28]
    K. MARÉCHAL, B. LUSSIS ET W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique, op. cit., p. 154.
  • [29]
    Cf., à ce sujet, les chapitres consacrés à la Belgique, K. MARÉCHAL, E. D’IETEREN ET W. HECQ, Les implications de Kyoto pour la Belgique :Analyse des mécanismes flexibles et comparaison avec les mesures domestiques de réduction des émissions de CO2 en Belgique, op. cit. et K. MARÉCHAL, E. D’IETEREN ET W. HECQ, Les implications de Kyoto pour la Belgique : Analyse politique et économique aux niveaux international, européen et belge, Rapport final, étude réalisée dans le cadre d'une convention CEESE/Electrabel, janvier 2004.
  • [30]
    Cf. l'annexe 1 du Plan wallon de l'air – Programme d'action pour la qualité de l'air en Région wallonne à l'horizon 2010, cf. <http ://air.wallonie.be/brochures/PWA2004-8.pdf>.
  • [31]
    Par exemple, la Région flamande s'est basée sur des scénarios prévoyant une forte hausse de ses émissions d'ici 2010 pour réclamer une répartition différenciée de la charge au lieu d'une répartition linéaire telle que voulue par la Région wallonne.
  • [32]
    Cf. l'annexe III de la directive Commerce d'émissions et notamment son très discuté premier article (directive 2003/87/CE).
  • [33]
    Car, dans la première phase du SEEQE, seules les émissions de CO2 sont visées, alors que l'objectif Kyoto fait référence à l'ensemble des six gaz à effet de serre et qu'il ne sera probablement pas efficace d'imposer un effort de réduction uniforme pour les différents gaz à effet de serre.
  • [34]
    Cela semble d'ailleurs être le cas, d'après l'analyse comparée des PNAQ menée dans K. MARÉCHAL, B. LUSSIS ET W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique, op. cit. Cette analyse est d'ailleurs confirmée plus formellement (notamment pour le secteur électrique), dans V. CHOQUETTE, B. LUSSIS, K. MARÉCHAL et W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique : Vers une approche intégrée des implications du réchauffement planétaire, op. cit.
  • [35]
    Si l'on multiplie le nombre de quotas alloués pour l'ensemble de l'UE (soit 2,19 milliards d'après EEA, « Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2005 », EEA Report, n° 8/2005, p. 26) par 20 euros qui constitue un prix représentatif du marché européen pour l'année 2005, l'élaboration des PNAQ représente une manne financière globale d'environ 44 milliards d'euros par an.
  • [36]
    cf. Bureau fédéral du plan, Perspectives économiques 2005-2010, avril 2005.
  • [37]
    Plus récemment, d'autres chiffres ont été publiés et font état d'un écart d'environ 13 MtCO2. Cf. Royaume de Belgique, Rapport belge sur les progrès démontrables dans le cadre du Protocole de Kyoto, 2006, cf. <www. climat. be>.
  • [38]
    Fraunhofer Institute for systems and innovation research (FhG-ISI), Gestion de la demande d'énergie (dans le cadre des efforts à accomplir par la Belgique pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre), Étude réalisée pour le Ministère des Affaires économiques, Rapport final, mai 2003, cf. <http :// www. isi. fraunhofer. de/ publ/ e_en. htm>.
  • [39]
    En comparaison, celles provenant de la production d'électricité ont crû à raison de 0,1 %/an et celles liées à l'industrie ont baissé de 0,3 %/an sur la même période. Cf. Bureau fédéral du plan, Perspectives économiques 2005-2010, op. cit.
  • [40]
    Cf. le premier chapitre de K. MARÉCHAL, B. LUSSIS et W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique, op. cit.
  • [41]
    Parmi les déclarations les plus importantes reposant sur un argumentaire purement économique figure sans conteste le refus de l'Administration Bush, en juin 2001, de ratifier le Protocole de Kyoto en le qualifiant de « fondamentalement vicié ». Cf. <http :// www. whitehouse. gov/ news/ -releases/ 2001/ 06/ 20010611-2. html>.
  • [42]
    La rédaction de ce chapitre repose sur des recherches effectuées dans le cadre d'une thèse de doctorat qui est toujours en cours. À cet égard, il serait particulièrement lourd de référencer l'ensemble des sources analysées. Seules les références principales sont identifiées.
  • [43]
    T. SCITOVSKY, « A note on welfare propositions in economics », Review of Economic Studies, vol. 9, 1941, pp. 77–88.
  • [44]
    Citons, par exemple, Daniel Kahneman (Prix Nobel en 2002 pour ses travaux concernant, entre autres, la remise en question de la rationalité de l'Homo oeconomicus) ou encore Joseph Stiglitz (Prix Nobel en 2001).
  • [45]
    J. STIGLITZ, Whither socialism ?, MIT Press, Cambridge, MA, 1994.
  • [46]
    Cf. BP, Defining our path – BP sustainablity report 2003. Ce gain s'est matérialisé sous la forme d'une hausse de la valeur boursière. Cf. l'article de J. BROWNE, Beyond Kyoto, Foreign Affairs, juillet-août 2004, <http :// www. foreignaffairs. org>.
  • [47]
    EURIMA, L'importance fondamentale de l'isolation des bâtiments pour l'environnement, European Insulation Manufacturers Association, 2003, cf. <www. eurima. org/ downloads_pub/ brochure_ fr.pdf>.
  • [48]
    A. SANSTAD, J. LAITNER ET J. KOOMEY, « Back To The Future : Long-Range US Energy Price And Quantity Projections In Retrospect », Draft Working Paper, 2004.
  • [49]
    W. NORDHAUS, Global Warming Economics, Science, vol. 294,2001, pp. 1283-1284.
  • [50]
    E. CASTELNUOVO et M. GALEOTTI, Reconsidering the role of environmental technical change : an application with the ITC-RICE99 model, FEEM, février 2002.
  • [51]
    Intitulé « Dealing with a Slow Burn : Government, Business and Global Warming », cf. <http :// www. ieee. org/ organizations/ pes/ public/ 2004/ may/ pesbusiness. html>.
  • [52]
    Cf. le point 5.6 dans K. MARÉCHAL, B. LUSSIS et W. HECQ, Analyse socio-économique et environnementale de la question climatique, op. cit.
  • [53]
    Les travaux pionniers de la notion d'enfermement technologique sont P. DAVID, « Clio and the economics of QWERTY », American Economic Review, vol. 75,1985, pp. 332–337 et W. B. ARTHUR, « Competing technologies, increasing returns and lock-in by historic events », The Economic Journal, vol. 99,1989, pp. 116–131.
  • [54]
    Cf., par exemple, G. UNRUH, « Understanding carbon lock-in », Energy Policy, vol. 28,2000, pp. 817-830.
  • [55]
    A. GRESH, dir., « Le point de non-retour du réchauffement », Atlas du Monde diplomatique, 2006, pp. 12-13.
  • [56]
    D. BODANSKY, S. CHOU et C. JORGE-TRESOLINI, International climate efforts beyond 2012 : A survey of approaches, Pew Center on Global Climate Change, Arlington, 2004, p. 47.
  • [57]
    J. SCHMIDT, S. WINKELMAN, S. DAVIS et A. BLACHOWICZ, The sectoral pledge approach : A new proposal for stabilizing global emissions post-2012 via major industry sector targets in developed and developing countries, Center for Clean Air Policy, 2005, cf. <www. ccap. org>.
Français

Depuis le premier Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, la lutte contre les changements climatiques s’est hissée au sommet des préoccupations environnementales de l’ensemble des pays industrialisés. Le Protocole de Kyoto en 1997 et le Système européen d’échange de quotas d’émissions en 2005 ont imposé aux décideurs belges des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Des politiques climatiques adaptées à la structure économique et institutionnelle du pays ont été définies au niveau des régions et au niveau fédéral.

L’objectif du présent Courrier hebdomadaire est d’analyser le développement de ces politiques en Belgique, au vu des dynamiques économiques, géopolitiques et institutionnelles qui ont sous-tendu les négociations en la matière.
Kevin Maréchal et Véronique Choquette présentent d’abord un survol du contexte scientifique, géopolitique et économique dans lequel s’est inscrite l’élaboration des politiques climatiques belges. Ils se penchent ensuite sur ces politiques elles-mêmes, en accordant une attention particulière à l’accord sur le partage de la charge découlant du Protocole de Kyoto entre le pouvoir fédéral et les trois régions, ainsi qu’au Plan national d’allocation des quotas. Ils montrent comment le processus d’élaboration des politiques climatiques en Belgique dépend non seulement des conditions propres à la Belgique, mais aussi du schéma de pensée économique traditionnel, ce qui montre l’importance des liens entre chercheurs et décideurs.
Cela les amène enfin à souligner quelques enjeux majeurs des discussions à venir concernant le développement de politiques climatiques au-delà de 2012, horizon temporel de la plupart des politiques actuelles.

Kevin Maréchal
Véronique Choquette
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2006
https://doi.org/10.3917/cris.1915.0005
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