CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Fin 1993, le CRISP publiait un Courrier hebdomadaire consacré à la Volksunie, qui retraçait l’histoire du parti nationaliste flamand de 1973 (année où Hugo Schiltz accède à la présidence du partijbestuur) au congrès de Louvain des 11 et 12 septembre 1993, qui amorce un tournant dans le programme suite à l'élection, comme président du parti, de Bert Anciaux et au passage au nouveau parti libéral flamand, le VLD, de plusieurs mandataires et permanents de la VU. Le dernier chapitre de ce Courrier hebdomadaire porte un titre en forme de question : mutation ou disparition ? Le diagnostic est tombé en septembre 2001 : la Volksunie en tant que telle a cessé d’exister. Il aura fallu huit années pour en arriver là – huit années qui se sont accompagnées de tentatives de mutation et de redressement, toutes finalement avortées.

2Il s’imposait dès lors de donner une suite à notre travail d’il y a huit ans et de voir comment ces tentatives ont été engagées, et pourquoi elles n’ont pas abouti. Même si la Volksunie n’est plus présente sur la scène électorale et politique, l’exercice n’est pas sans intérêt. D’abord parce que ses membres, ses élus et ses permanents n’ont pas renoncé à l’activité politique. Un parti s’est formé qui se revendique explicitement de son héritage : la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) ; un autre rassemble, autour de Bert Anciaux, ceux qui ont tenté de la réformer (Spirit). Ensuite, parce que le nationalisme flamand ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui, mathématiquement parlant en tout cas. Si on additionne les voix obtenues par le cartel VU&ID21 aux dernières élections législatives à celles qu’a recueillies le Vlaams Blok, en progrès constant depuis 1985 et en particulier depuis le fameux « dimanche noir » de novembre 1991, on obtient un ensemble (certes hétérogène) qui représente près du quart des électeurs flamands. C’est plus qu’aux meilleurs jours de la Volksunie, qui culminait à quelque 18% des voix flamandes au début des années 1970.

3Le présent Courrier hebdomadaire s’articule autour de quelques moments clés : le pari lancé par Bert Anciaux en 1995, le « congé politique » qu’il décide de prendre en 1997 pour explorer la voie ID21, l’élection présidentielle de janvier 2000, les négociations institutionnelles du printemps 2001 puis l’implosion du parti après la consultation des adhérents en septembre de la même année. Sans prétendre deviner l’avenir, il se risque en guise de conclusion à quelques pronostics fondés, notamment, sur l’état des forces en présence et dans le cadre de la recomposition générale du paysage politique flamand.

Le pari de Bert Anciaux

4Après le congrès de Louvain (11-12 septembre 1993), la Volksunie traverse une période particulièrement difficile. Aux élus qui, à l’automne de 1992, ont rejoint les rangs du nouveau parti libéral flamand que vient de créer Guy Verhofstadt vient s’ajouter la démission de deux parlementaires : le député Herman Candries, qui passe au CVP, et le sénateur Jef Valkeniers qui siège d’abord comme indépendant avant de rallier le VLD début 1994. La Volksunie ne compte plus que six députés et sept sénateurs, soit moins qu’en 1965. En janvier 1994, le sénateur Michel Capoen, qui refuse de céder son siège à sa première suppléante comme le lui demande le partijraad, décide à son tour de quitter la Volksunie et de siéger comme indépendant.

Les élections de 1994 : l’érosion se poursuit

5Le parti sort meurtri des élections européennes de juin 1994. Certes, il garde le siège qu’occupait – et que continue d’occuper – Jaak Vandemeulebroucke. C’est d’ailleurs dans l’arrondissement électoral dont ce dernier est issu (celui de Furnes-Dixmude-Ypres-Ostende) que la Volksunie obtient son meilleur résultat. Mais globalement, le recul est assez net : de 8,7% des suffrages en 1989 dans le collège électoral néerlandais, elle passe à 7,1%. Elle perd plus de 100.000 électeurs par rapport aux législatives de 1991.

6En octobre de la même année ont lieu des élections communales. Elles confirment l’évolution en cours. À Anvers, où une liste rassemblant le CVP et la VU ainsi que des indépendants a été déposée pour, notamment, faire pièce au Vlaams Blok, le résultat est médiocre : 15,11% des voix et 9 sièges, alors que séparément, les deux listes obtenaient au total plus de 28% des voix en 1988. Néanmoins, la nécessité de s’entendre face à la percée du Vlaams Blok permet à la Volksunie d’accéder au collège et singulièrement à Hugo Schiltz, ancien président du parti, d’y devenir échevin. Partout ailleurs, les résultats sont également médiocres. Le parti perd les trois majorités qu’il détenait dans la province d’Anvers, ainsi que celles de la province de Limbourg (sauf à Bilzen). Il perd près de la moitié de ses électeurs de 1988 à Malines. Il ne parvient à se maintenir que dans les communes où des personnalités locales ont conservé une implantation électorale : à Herent (Brabant flamand) avec Willy Kuijpers, à Bilzen (Limbourg) avec Johan Sauwens par exemple. Signe probable de cette personnalisation du scrutin de 1994 et de l’érosion de l’électorat traditionnel de la Volksunie : celle-ci ne dépose de listes sous son nom que dans 73 communes, contre 139 en 1988.

7Les entretiens exploratoires avec le CVP auxquels se risque au lendemain de ces élections le vice-président du parti, Patrik Vankrunkelsven, n’aboutissent pas. Johan Van Hecke, qui préside à cette époque le CVP, cherche à élargir l’assise électorale des sociaux-chrétiens flamands et des convergences paraissent possibles, d’autant que les deux partis font partie, avec les socialistes, du gouvernement flamand. Le partijraad met brutalement fin à l’entreprise à la mi-novembre 1994. L’aile nationaliste radicale du parti a eu le dernier mot, ce que confirme le congrès des 11 et 12 mars 1995 dont les résolutions finales plaident en faveur d’une « Flandre autonome dans une Europe fédérale » et accentuent surtout les aspects institutionnels du programme.

8Bert Anciaux, qui a pris les rênes du parti en juin 1992 et qui a impulsé les orientations rénovatrices (que ses adversaires qualifient de « gauchistes ») du congrès de Louvain, aborde donc les élections législatives de 1995 dans une position délicate.

9Affrontant la crise de face, il décide de mobiliser les militants et les électeurs de la Volksunie autour du thème le plus risqué qui soit : sa survie même. Il annonce urbi et orbi que si la Volksunie ne recueille pas les voix de 300.000 électeurs, il jettera le gant.

10Le congrès électoral du 7 mai 1995, à Hasselt, décline cet objectif en lançant le slogan : « Vlaanderen zonder de Volksunie ? 300.000 maal nee » (« La Flandre sans la Volksunie ? 300.000 fois non ! »).

11Le pari est osé. Aux élections (Chambre des députés) de novembre 1991, la Volksunie avait recueilli 322.810 voix dans les cantons flamands ; depuis lors, mandataires et permanents ont quitté le navire, et tout semble annoncer un succès du VLD et du Vlaams Blok.

Les élections de 1995 : une non-défaite

12Le 21 mai 1995, la Volksunie passe sous la barre des 300.000 voix pour l’élection de la Chambre. Avec 251.041 voix dans les cantons flamands (hors Hal-Vilvorde), elle fait à peine mieux qu’Agalev et rassemble sur son nom 7,3% seulement des électeurs. Mais Bert Anciaux, fin stratège, a placé les « locomotives » électorales de la Volksunie sur les listes régionales : le résultat lui permet de tenir son pari. La Volksunie obtient en effet 338.188 voix, soit 9% du corps électoral en Flandre.

13Suite à la révision de la Constitution intervenue en mai 1993, la Chambre ne compte plus que 150 membres. Cinq d’entre eux sont des élus de la Volksunie. Au Sénat, la Volksunie détient 3 sièges (sur 71). Au Conseil flamand, avec 9 élus sur 118, la Volksunie fait bonne figure. Elle garde, par ailleurs, le siège qu’elle occupait au Conseil de la Région de Bruxelles-capitale. Autre résultat, qui n’est pas négligeable :
dans quatre circonscriptions pour les élections régionales, la Volksunie fait mieux que le Vlaams Blok ; elle est le premier parti dans deux cantons de la circonscription de Hasselt-Tongres-Maaseik. Ce n’est le cas dans aucun canton à la Chambre.

14Ce succès relatif masque pourtant d’indiscutables faiblesses. En premier lieu, l’implantation de la Volksunie est devenue très inégale, et toujours plus dépendante de la popularité de personnalités locales. C’est ainsi que Willy Kuypers dans la circonscription de Louvain, et Johan Sauwens dans celle de Hasselt-Tongres-Maaseik lui permettent d’y franchir la barre des 10% ; mais ils sont candidats au Parlement flamand. À la Chambre, le parti n’atteint pas 8% dans ces mêmes circonscriptions. Si la Volksunie obtient trois sièges au Sénat c’est, de même, grâce à la performance de Bert Anciaux qui recueille 178.720 votes de préférence. En second lieu, le recul électoral est patent, même avec la bonne tenue du parti aux élections régionales. En 1991, les 10% étaient dépassés dans quatre arrondissements électoraux. Là où les résultats sont comparables (c’est-à-dire où les circonscriptions de 1995 correspondent aux arrondissements de 1991), la baisse est générale : de 5,1% à 4,3% pour Bruxelles-Hal-Vilvorde, de 7,7% à 6,4% pour Anvers, de 8,3% à 8,1% pour Gand-Eeklo, de 7,5% à 7% pour Bruges, de 7,4% à 7,1% pour Louvain. Des simulations réalisées à l’époque montrent que, sur la base de ses résultats de 1991, la Volksunie aurait dû obtenir en 1995 respectivement 8 sièges à la Chambre et 9 au Parlement flamand. Pour la Chambre, on reste loin du compte.

Échauffourées sur la plaine de l’Yser

15Le 21 mai 1995 enfin, le Vlaams Blok est confirmé dans sa vocation de premier parti nationaliste flamand en obtenant 12,3% des suffrages dans les cantons de Flandre. Dans la circonscription d’Anvers, il dépasse largement les 20%. Du coup, il fait monter les enchères. Il cherche notamment à radicaliser les organisations flamingantes, le cas échéant en s’y infiltrant. Dès 1994, des militants du Vlaams Blok créent un « Werkgroep Radicalisering » qui entend jouer un rôle au sein du comité organisateur des pèlerinages de l’Yser et, en particulier, infléchir les discours traditionnellement prononcés à cette occasion. Face à cette exigence, l’Ijzerbedevaartcomité accepte d’abord le dialogue, et même le compromis. Mais en mai 1995, les radicaux passent à l’offensive en mettant sur pied l’Ijzerbedevaartforum, qui entend faire entendre sa voix au sein du comité en s’appuyant sur quelque 6.000 membres. Cette quasi-dissidence finit par diviser les pèlerins flamands : le 68ème pèlerinage (27 août 1995) se déroule dans la confusion, les membres du Forum assistent aux cérémonies depuis l’autre rive de l’Yser. Lors du 69ème pèlerinage, en août 1996, des membres de mouvements flamingants d’extrême droite liés au Vlaams Blok comme Were Di, le Nationalistisch Studenten Verbond (NSV), le Voorpost ou la Vlaams-Nationale Jeugd (VNJ) débordent le service d’ordre, conspuent le discours officiel, distribuent horions et coups de sifflet. Les invités officiels, parmi lesquels plusieurs élus de la Volksunie, sont encadrés, parfois molestés, par des nervis qui se réclament haut et fort d’une « Flandre indépendante ».

16Le président du Vlaams Blok, Frank Vanhecke, dira par la suite que les échauffourées étaient « un mal nécessaire » : « Nous avions le choix ; soit laisser le pèlerinage, pour toujours, aux mains de flamingants tièdes, soit reconquérir la plaine au bénéfice des radicaux ». Il faudra attendre juillet 1998 pour qu’une « réconciliation » intervienne entre le comité et les « dissidents » proches du Vlaams Blok ; encore certains membres du comité démissionneront-ils pour protester contre cette « courbe rentrante » face aux exigences extrémistes  [1].

17Déjà très mauvaises, les relations entre la Volksunie et le Vlaams Blok ne vont cesser de se détériorer. Au Parlement flamand, le chef du groupe Volksunie Paul Van Grembergen va jusqu’à demander, en septembre 1996, à ne plus siéger à côté des députés Vlaams Blok. La Volksunie, indique-t-il au président de l’assemblée, veut se trouver au milieu de l’hémicycle, « quelque part entre Agalev et le CVP ». En octobre de la même année, Bert Anciaux n’hésite pas à transmettre au Ministère de la Justice une liste d’organisations néonazies qui ont, affirme-t-il, des liens avec le Vlaams Blok.

18Hugo Schiltz, interviewé par le journal De Morgen, déclare refuser une autonomie flamande qui serait placée « sous les auspices de ces crapules »  [2].

Quatre années d’opposition

19À l’issue des élections de 1995, la coalition sociale-chrétienne-socialiste se succède à elle-même au niveau fédéral. Dès le 28 mai 1995 d’ailleurs, Jean-Luc Dehaene, Premier ministre sortant de charge, est désigné formateur. Au niveau flamand, c’est à Luc Van den Brande – lui aussi ministre-président sortant – que Johan Van Hecke, président du CVP, confie le soin de former une coalition rassemblant, comme au niveau fédéral, les socialistes et les sociaux-chrétiens. La Volksunie espère pendant quelque temps qu’on lui demandera, comme en 1991, de venir compléter cette équipe (qui n’a qu’une seule voix de majorité au Parlement flamand). Mais c’est compter sans deux éléments : en premier lieu, contrairement à ce qui se dessinait en 1991, aucun grand chantier institutionnel ne doit s’ouvrir et l’apport de la Volksunie n’est donc pas nécessaire ; en second lieu, en fin de législature, des heurts se sont produits entre la Volksunie et Luc Van den Brande à propos du compromis fouronnais de janvier 1995 – le SP et le CVP refuseront de soutenir une motion de la VU au Parlement flamand – et dans le dossier du « plan lisier » (mars 1995), où Johan Sauwens, qui siège pour la VU dans le gouvernement flamand, choisit le camp du socialiste Norbert De Batselier contre le ministreprésident Van den Brande, plus proche des revendications du monde paysan. Le CVP n’entend donc plus partager le pouvoir avec un allié qu’il juge inconstant ou obstiné, selon le cas.

20Néanmoins, Johan Sauwens s’empare d’une présidence de commission au Parlement flamand, et non des moindres : celle de la commission de la réforme de l’État. Cette commission jouera un rôle non négligeable lorsque, dès février-mars 1996, le Parlement flamand sera appelé à débattre d’une note du ministre-président flamand Luc Van den Brande sur « la poursuite de la réforme de l’État » (cf. infra).

21Absente du gouvernement fédéral et du gouvernement flamand, la Volksunie continue cependant de faire partie du gouvernement bruxellois où Vic Anciaux, ancien président du parti et père du président en exercice, se succède à lui-même dans une coalition rassemblant, du côté flamand, le CVP, le SP et la Volksunie.

À la recherche d’ouvertures (1995-1997)

22Bert Anciaux est réélu à la présidence de la Volksunie par le partijraad du 27 janvier 1996. Seul candidat, il obtient 125 voix sur 148, soit un score de 84,5%. Les deux vice-présidences sont plus âprement disputées ; si Patrik Vankrunkelsven s’impose avec 129 voix sur 152 (84,9%), Nelly Maes ne l’emporte que d’un cheveu face à Geert Bourgeois. Elle recueille 88 voix, contre 81 à son adversaire. Cette courte victoire d’une personnalité classée à la gauche de l’échiquier politique sur un outsider réputé plus conservateur n’est pas sans annoncer des dissensions ultérieures.

23Frappées par le départ de Jaak Gabriëls en 1992 et par la perte du mandat ministériel de Johan Sauwens en 1995, les instances limbourgeoises du parti obtiennent un lot de consolation : l’élection au secrétariat général de l’ancien sénateur Laurens Appeltans.

24Aussitôt réélu, Bert Anciaux répète sa volonté de rénover le parti en élargissant sa base électorale et en « fusionnant les piliers communautaire et social », c’est-à-dire en radicalisant les choix communautaires, mais aussi éthiques et sociaux de la Volksunie. L’objectif avoué est d’attirer de jeunes électeurs que rebutent les options réactionnaires du Vlaams Blok et une certaine sclérose des grands partis flamands, de gagner à la Volksunie les « politiek daklozen », les « sans-abri politiques ».

25Le premier texte que rend public le partijbestuur après l’élection de Bert Anciaux est une profession de foi confédéraliste. À l’unanimité, il adopte un plan en dix points qui plaide pour un dialogue « de peuple à peuple » entre Flandre et Wallonie pour préparer l’édification d’une confédération belge. Le prochain Parlement flamand, propose la Volksunie, doit jouer le rôle d’une assemblée constituante ; la Belgique, estime-t-elle, n’offre plus « la moindre valeur ajoutée » et est devenue un facteur d’immobilisme, pour les Flamands comme pour les Wallons. La Flandre doit recevoir sa propre Cour des comptes, son propre Conseil d’État, ses propres mutuelles et sa propre organisation judiciaire. La Volksunie plaide une nouvelle fois pour le respect strict du principe de territorialité et pour la suppression des facilités linguistiques.

26Ce radicalisme communautaire est lié au calendrier politique : c’est à cette époque que le Parlement flamand entame la discussion d’une note du gouvernement Van den Brande sur la réforme de l’État  [3]. Il s’accompagne d’une exploration prudente de possibilités d’ouverture politique : pendant que Maurits Coppieters, qui fut pendant longtemps l’un des chefs de file de la Volksunie au Parlement, élabore avec le socialiste Norbert De Batselier un manifeste « radical-démocratique » baptisé Het Sienjaal, d’autres – dont Paul Van Grembergen, chef de groupe au Parlement flamand, et le vice-président du parti Patrik Vankrunkelsven – prennent langue avec les libéraux de Guy Verhofstadt, repoussés comme eux dans l’opposition. Bert Anciaux, de son côté, réagit favorablement à une proposition des verts flamands d’engager une collaboration entre partis démocratiques sur un certain nombre de points concrets. Mais aucune de ces initiatives n’aboutira. Le manifeste Het Sienjaal finit certes par voir le jour en mai 1996, mais l’invitation à la discussion que lancent ses promoteurs ne connaît guère de succès. Le mouvement ouvrier chrétien, en particulier, ne cache pas ses réticences : selon Theo Rombouts, président de l’ Algemeen Christelijk Werkersverbond (ACW), « Coppieters pense avoir inventé l’eau chaude »  [4]. Même dans les rangs de la Volksunie, l’enthousiasme n’est pas de mise ; le volet flamand de Het Sienjaal y est jugé « décevant »  [5].

27Bert Anciaux lui-même juge l’initiative avec sévérité. Il n’en conteste pas le fondement – redessiner le paysage politique, ce qu’en Flandre on appelle de herverkaveling (le remembrement) – mais bien les modalités : partir de l’analyse économique ne suffit pas. C’est que le président de la Volksunie, impressionné par la Marche blanche et par les séquelles de l’affaire Dutroux, plaide désormais pour un « projet démocratique radical » dans lequel s’impliqueraient des individus, et non plus des partis. Les structures, explique-t-il, ne sont pas l’essentiel  [6].

Le congrès de Bruxelles (juin 1997)

28Le 1er juin 1997, la Volksunie tient à Bruxelles une « convention » consacrée aux réformes institutionnelles, sur le thème « Niet scheiden doet lijden » (Ne pas se séparer fait souffrir). Cette réunion fait grand bruit, surtout dans les milieux politiques bruxellois. En effet, la Volksunie y renouvelle sa conviction, déjà formulée en de précédentes occasions, que les jours de la Belgique sont comptés. Mais surtout, la convention adopte une résolution favorable aux thèses indépendantistes ; parmi les congressistes qui s’y rallient, on trouve le secrétaire d’État Vic Anciaux. Au Parlement bruxellois, le ministre-président du gouvernement régional doit subir un feu nourri d’interpellations : un séparatiste a-t-il sa place dans l’équipe gouvernementale, ne renie-t-il pas le serment qu’il a prêté en entrant en fonction ?

29Charles Picqué, à l’époque ministre-président du gouvernement bruxellois, distingue les positions de la Volksunie de l’attitude de Vic Anciaux au gouvernement : jamais, souligne-t-il, M. Anciaux n’a manqué de loyauté à l’égard des institutions bruxelloises.

30Quant au député bruxellois Sven Gatz, il écarte l’accusation de séparatisme. « La question est de savoir (…) si ce pays n’est pas en train, depuis un certain temps déjà, de se dissoudre de lui-même comme une aspirine dans un verre d’eau. (…) Par conséquent, il n’est pas illogique que la VU cherche à mettre en place un système confédéral où l’autonomie, l’indépendance – au sens figuré – des communautés joue un rôle déterminant, dans un contexte manifestement confédéral. »  [7]

Le congrès de Louvain (novembre 1997)

31Le congrès des 22 et 23 novembre 1997, à Louvain, est placé sous le signe du renouveau politique et des progrès de la démocratie. Il a pour thème « Laat de democratie nooit meer zwijgen » (« Que la démocratie ne se taise plus jamais »). Ce thème se décline sous différents aspects : la démocratisation de l’administration (son accessibilité, les incompatibilités, le dégraissage des cabinets ministériels ; le droit à la parole des agents de l’administration, notamment lorsqu’ils sont confrontés à des irrégularités), l’humanisation de l’économie à l’époque de la mondialisation, la concertation sociale, la démocratisation de la justice, le renforcement de la démocratie parlementaire. En matière économique, le congrès ne s’écarte pas des choix avalisés en 1993, plutôt ancrés à gauche. Il plaide par exemple pour une économie de marché corrigée, l’abrogation des monopoles, la suppression des paradis fiscaux et l’harmonisation de la législation fiscale en Europe. Il suggère que les décisions du Fonds monétaire international et de l’Organisation mondiale du commerce soient soumises pour approbation à l’Organisation mondiale de la santé et au Bureau international du travail. Il demande que soit réformée la directive européenne sur les conseils d’entreprise afin d’imposer des procédures de concertation sociale au niveau européen.

32Mais la Volksunie est aussi le parti de la « dépilarisation », du combat contre l’emprise – qu’il juge excessive – des formations politiques, des syndicats et des mutuelles sur l’appareil d’État. Il rompt donc une lance en faveur d’un « dégraissage » des cabinets ministériels, du décumul des fonctions politiques et électives, critique l’absence d’élections syndicales dans la fonction publique, demande que les conventions collectives puissent être négociées avec des non-syndiqués, et soumises à référendum dans les entreprises. Soucieux de renforcer la démocratie, il suggère que les coalitions gouvernementales soient directement formées par l’électeur et qu’un droit d’initiative législative soit reconnu aux citoyens. Ces propositions correspondent moins à des revendications classiques de la gauche.

33Enfin, en symbiose avec la vague « blanche » de l’été et surtout de l’automne 1996, le congrès explore des pistes de démocratisation de l’appareil judiciaire et des organes politiques. Il est favorable à une « défédéralisation » de la justice, ainsi qu’à l’octroi aux étrangers du droit de vote aux élections communales, à condition cependant qu’ils « connaissent la langue de la région ». Il demande une représentation garantie des Flamands de Bruxelles dans les conseils communaux et au Parlement bruxellois.

34Le congrès de Louvain coïncide encore avec la décision de Vic Anciaux de quitter le gouvernement bruxellois, suite à un désaccord à propos des cadres linguistiques de l’administration. Il n’y est pas remplacé. Jusqu’en 1999, le parti est désormais absent du gouvernement fédéral et de tous les gouvernements communautaires et régionaux.

Neuf mois de congé sabbatique

35Suite aux remous qu’a suscités l’affaire Dutroux, la Belgique connaît, à cette époque, une intense activité intellectuelle et politique. Le concept de « Nouvelle culture politique » rencontre un franc succès. La Volksunie et son président s’efforcent de trouver une place dans ces évolutions souvent brouillonnes. En février, les groupes politiques de la Volksunie formulent ainsi une série de propositions afin de rendre au Parlement son rôle au cœur de la démocratie.

Le Centrum voor Politieke Vernieuwing (CPV)

36Fin février, le président de la VUJO – l’organisation de jeunesse de la Volksunie – Sigurd Vangermeersch lance, avec l’ancien coordinateur des jeunes d’Agalev Pieter Vandekerckhove, une plate-forme de dialogue citoyen sous le nom (déjà souvent utilisé par le passé, et dans des sens divers  [8]) de Centrum voor Politieke Vernieuwing (CPV), Centre pour la rénovation politique. Ils forment, avec Luc Pauwels qui se définit comme « politiek dakloos », c’est-à-dire sans parti, le triumvirat qui dirige le CPV. Leur objectif : rapprocher la politique du citoyen, sans – à court terme au moins – tendre à la création d’un nouveau parti. Bert Anciaux, affirment les animateurs du CPV, soutient l’initiative.

37Bert Anciaux semble effectivement à la recherche d’un nouveau souffle politique. En mars 1997, il publie un ouvrage qui plaide, sous le titre Kinderen van de hoop. Uitnodiging aan de durvers (Enfants de l’espoir. Une invitation à ceux qui osent), pour la création d’un nouveau courant politique « avec beaucoup d’espoir et les mains propres ». La référence aux scandales qui ont frappé le pays est explicite ; celle à l’opération Mani pulite en Italie, implicite. Interviewé en juin par La Libre Belgique, Bert Anciaux précise que le renouveau ne se fera pas avec les partis traditionnels, qu’il ne veut pas créer un nouveau parti mais « un cartel de mouvements ou de partis indépendants »  [9]. Flanqué de sa vice-présidente Nelly Maes, il lance un appel en ce sens en août : si rien n’est fait pour faire progresser le renouveau politique, déclare-t-il, le poujadisme prendra le dessus. Il plaide, dans le même temps, pour la constitution de majorités asymétriques, sans le CVP en Flandre et sans le PS en Wallonie. Le but est en effet « d’écarter du pouvoir ceux qui veulent avant tout se maintenir au pouvoir ».

38C’est dans ce contexte que se tient les 22 et 23 novembre 1997 le congrès du parti auquel il a déjà été fait allusion, sur le thème « Laat de democratie nooit meer zwijgen » (« Que la démocratie ne fasse plus jamais silence »). La Volksunie y réaffirme sa volonté de placer le Parlement, et non plus le gouvernement, au centre du processus de décision politique. Elle plaide pour l’instauration du référendum décisionnel. Le parti se dit encore favorable à l’élection directe des coalitions gouvernementales. La monarchie, à ses yeux, ne devrait plus avoir qu’un rôle protocolaire. Last but not least, et non sans une vigoureuse intervention de son président à la tribune du congrès, la Volksunie se prononce pour l’octroi du droit de vote communal aux non-Européens.

La Volksunie-plus

39Simultanément, Bert Anciaux continue à faire avancer son projet de rénovation, baptisé « Volksunie-plus ». Le départ de Vic Anciaux du gouvernement bruxellois, qui place de facto la Volksunie dans l’opposition à Bruxelles aux côtés du VLD, brouille un moment le message – d’autant plus que des négociations semblent engagées, dans la capitale, entre les socialistes, les verts flamands et la Volksunie en perspective des élections régionales de 1999. Mais les événements vont se précipiter.

40Fin novembre 1997, Bert Anciaux demande à être « détaché » de sa présidence pour prospecter les voies que pourrait emprunter le renouveau du parti. Le partijraad lui accorde un congé sabbatique de neuf mois ; il est remplacé pendant ce temps, à la présidence, par Patrik Vankrunkelsven. En même temps, le parti décide de renforcer son service d’études en perspective, notamment, des nouvelles négociations institutionnelles auxquelles il souhaite participer après les élections de 1999 ; il s’attache les services de Marc Platel, ancien journaliste radio (à la BRTN, actuelle VRT) et ancien rédacteur en chef politique du quotidien Het Belang van Limburg.

41Bert Anciaux prend aussitôt langue avec, d’une part, des individus (étudiants, artistes, animateurs de ce qu’on appelle les « nouveaux mouvements sociaux ») mais aussi avec des mouvements nés dans le contexte de l’affaire Dutroux, dont l’objectif est de moraliser et de démocratiser la vie politique. Deux d’entre eux sont approchés : le Centrum voor Politieke Vernieuwing déjà évoqué plus haut, et une association de jeunes « TriAngel », dont la cheville ouvrière est Vincent Van Quickenborne. Ces contacts conduisent Bert Anciaux à créer ID21 conçu à l’origine – sa dénomination en témoigne – comme un mouvement de réflexion ou en tout cas comme un mouvement politique à la nature et aux structures originales.

Les débuts d’ID21

42Après ces premières adhésions vient un moment de flottement. Invité par Agalev à venir exposer les ressorts de sa démarche, Bert Anciaux s’y heurte – en dépit de la présence à ses côtés de deux anciens dirigeants des verts flamands, Pieter Vandekerckhove et Angelo Callant – à des réactions extrêmement sceptiques.

43Début janvier 1998 se tient la première réunion publique du nouveau mouvement. À ce stade, il n’a pas encore de programme. Des individus rejoignent ID21. La plupart sont peu connus, mais certains ont déjà milité dans d’autres partis dont le VLD ou le parti anversois des seniors Waardig Ouder Worden (WOW). On note en particulier la présence d’un dissident libéral d’Alost, André-Emiel Bogaert, qui s’est fait élire au conseil communal en 1994 et y siège depuis lors comme indépendant. Dans les rangs de la Volksunie, la méfiance est de mise. Plusieurs dirigeants du parti craignent qu’ID21 n’adhère pas pleinement au projet nationaliste de la Volksunie. Ils ne manquent pas de rappeler le passé politique de Vincent Van Quickenborne, ancien avocat stagiaire au cabinet de Jean-Pierre De Bandt et dont l’association TriAngel a bénéficié, pendant un certain temps, du soutien financier du groupe Coudenberg qu’animait De Bandt, accusé d’être favorable à l’unitarisme.

44La première assemblée programmatique d’ID21 a lieu le 28 mars 1998 à Louvain.

45Guy Verhofstadt, qui préside à cette époque aux destinées du VLD, vient y lire un message d’encouragement. Il plaide pour un dialogue entre « réformateurs », pour « changer la société ». Le principal clivage, affirme le libéral flamand, ne sépare plus la gauche de la droite, le travail du capital, la foi de la laïcité mais les réformistes des conservateurs. Le programme d’ID21 quant à lui combine plusieurs propositions lancées au cours de cette même période par d’autres partis (y compris la Volksunie) :
référendum décisionnel, décumul intégral des mandats politiques, suppression du Sénat, élection directe du gouvernement, lutte contre la corruption et la fraude fiscale, priorité aux transports en commun.

46La deuxième réunion d’ID21, en mai 1998 à Anvers, peaufine ce programme sans, pour autant, le rendre plus original : revenu minimum garanti pour tous, soutien à l’économie « éthique » censée corriger la liberté de marché, augmentation des allocations sociales, impôt sur le capital, création d’un corps de police unique (la réforme Octopus n’est pas encore en place), etc. Par contre, le profil politique du mouvement se précise. Il entend se positionner comme le ciment d’une future coalition « violette » qui rejetterait le CVP dans l’opposition. De nouveaux noms sont donnés comme sympathisants : l’avocat anversois Bruno Schoenaerts, candidat malheureux à la présidence de la section d’Anvers du VLD et fils d’un célèbre acteur flamand, l’échevin malinois (Agalev) Jowan Lamon, l’ancien communiste Ludo Abicht, le bourgmestre (sans parti) de Sint-Lievens-Houtem Lieven Latoir, le frère de l’inspecteur vétérinaire Karel Van Noppen assassiné par la « mafia des hormones ».

47Ces noms, comme ceux de certains animateurs de la première heure, ne s’attacheront pourtant pas tous à l’histoire d’ID21. Ainsi, le CPV finit par disparaître et Luc Pauwels, l’un des membres du triumvirat d’origine, par se retirer. De Jowan Lamon ou de Ludo Abicht, il ne sera plus question dans la suite de l’histoire d’ID21.

Vers l’alliance VU-ID21

48À partir de l’été 1998, les échéances électorales se rapprochant, les discussions avec les partis qu’ID21 considère comme ses alliés naturels dans sa volonté de rénovation politique (la Volksunie, mais aussi Agalev, le VLD et dans une moindre mesure le SP) prennent un tour plus pressant. Seule la Volksunie réagit favorablement à l’éventualité d’un accord. Le 30 août, le partijbestuur se prononce par 16 voix contre 6 en faveur du principe d’une alliance électorale. Mais plusieurs parlementaires Volksunie ne cachent pas leur opposition à ce futur cartel : pour eux, ID21 doit se fondre dans leur parti. Il s’agit des députés fédéraux Geert Bourgeois, Hugo Olaerts, Karel Van Hoorebeke et Fons Borginon et des députés flamands Johan Sauwens, Chris Vandenbroeke, Kris Van Dijck, Étienne Van Vaerenbergh et Gerda Raskin. Le 7 septembre 1998, c’est pourtant à 80% des voix que le partijraad se rallie aux propositions de Bert Anciaux. Les dissidents ont, semble-t-il, obtenu gain de cause sur plusieurs points : l’alliance ne portera pas préjudice à la volonté de la Volksunie d’avancer dans la réforme de l’État, et un accord est trouvé sur le mode de coopération entre le parti et le « réseau » que constitue ID21. En particulier, il n’y aura pas de concertation entre trois partenaires (la Volksunie, ID21 et une superstructure faîtière) mais une unité de décision au niveau des groupes politiques dans les assemblées parlementaires. L’arrangement financier envisagé au départ (l’octroi à ID21 d’une sorte de dotation fixe, garantie, prélevée sur l’argent public dont bénéficie la Volksunie) est finalement abandonné : les parlementaires craignaient en effet un éparpillement de leurs moyens pécuniaires. En lieu et place, la Volksunie cédera à ID21 un septième de son financement public  [10], c’est-à-dire un montant qui dépend de sa représentation électorale. Dès le départ, ID21 est donc dépourvu d’autonomie financière et structurelle.

49Le 27 septembre 1998, la Volksunie et ID21 tiennent congrès séparément, mais le même jour. À Alost, les congressistes d’ID21 se prononcent par une large majorité (96 voix pour et 7 abstentions), et sans trop de crainte apparemment pour leur autonomie, en faveur d’une alliance. À Gand par contre, les hésitations sont perceptibles parmi les membres de la Volksunie. La peur de perdre une identité déjà fortement malmenée par des tentatives précédentes d’élargissement (l’épisode de 1992, avec le départ de Jaak Gabriëls, est encore dans les mémoires) est le principal argument avancé pour repousser l’alliance. Celle-ci n’en est pas moins acquise par 154 voix contre 21 et 14 abstentions. Bert Anciaux est nommé à la tête de la nouvelle confédération politique ; le partijraad confirmera par la suite Patrik Vankrunkelsven comme président de la Volksunie. L’alliance est solennellement conclue le 29 novembre 1998 à Anvers.

50Entre-temps, la Volksunie a renouvelé ses organes dirigeants lors du partijraad du 10 octobre 1998. Seul candidat à la présidence, Patrik Vankrunkelsven obtient 100 voix (et 14 abstentions). Nelly Maes est confirmée à la deuxième vice-présidence ;

51pour la première, Sigurd Vangermeersch, ancien responsable VUJO (Volksunie-Jongeren) (cf. supra) est battu, sur le fil, par l’historien Eric Defoort dont la candidature, semble-t-il, a été suscitée par Vankrunkelsven lui-même. Ce dernier obtient 56 des 117 votes exprimés, Vangermeersch en recueille 55 (il y a 6 votes blancs).

Les élections du 13 juin 1999 : un progrès, contre toute attente

52Pour le cartel VU&ID21, qui se présente sous ce sigle dans toutes les circonscriptions flamandes, les élections du 13 juin 1999 se soldent par un net progrès. Au Parlement fédéral (Chambre), dans les cantons flamands, il obtient 342.097 suffrages soit 8,8% ; mais il baisse d’un rang dans le classement des partis flamands, car il est dépassé par les verts d’Agalev (qui passent de 7% à 11%). Sauf dans la circonscription de Bruxelles-Hal-Vilvorde, le progrès est général. Il est davantage marqué dans les circonscriptions de Saint-Nicolas-Termonde (+ 2%) et de Malines-Turnhout (+ 3,6%). Les élections sénatoriales, par contre, connaissent un moins bon résultat : alors que la Volksunie recueillait 8,5% des voix dans le collège électoral néerlandais en 1995, le cartel VU&ID21 stagne à 8,1% en 1995. Cette légère baisse doit incontestablement être mise en rapport avec l’absence, sur les listes des candidats au Sénat, de Bert Anciaux qui y menait la liste Volksunie en 1995 et qui a préféré, en 1999, se présenter au Parlement européen et à la Région de Bruxellescapitale.

53Ces résultats permettent au cartel de compter 8 élus à la Chambre (+3) et 2 élus directs au Sénat (statu quo). Seul le sénateur Vincent Van Quickenborne provient d’ID21.

54Au Parlement flamand, où la Volksunie avait déjà recueilli 9% des suffrages en 1995, le cartel parvient encore à grappiller quelques dixièmes de pour cent et passe à 9,3% (359.226 voix), ce qui lui donne droit à 11 sièges contre 9 en 1995. Deux de ces 11 élus sont membres d’ID21 : la chanteuse et présentatrice de télévision Margriet Hermans, et le conseiller communal d’Alost André-Emiel Bogaert. De plus, par le jeu des remplacements de ministres, un des 6 élus flamands du Parlement bruxellois envoyés au Parlement flamand se trouve être le député bruxellois sortant Sven Gatz, élu quant à lui sur une liste de cartel avec les libéraux et des indépendants (VLD-VU-O). Le groupe compte donc au total 12 membres, autant qu’Agalev. Ses meilleurs résultats, le cartel les obtient ici dans les mêmes circonscriptions qu’à la Chambre : à Malines-Turnhout (11,5%) et à Saint-Nicolas-Termonde (10,8%). Au Parlement bruxellois enfin, le cartel VLD-VU-O fait moins bien que les résultats additionnés des libéraux et de la Volksunie en 1995 (3,2% contre 4,1%) mais la Volksunie conserve son unique député.

55Le résultat personnel de Bert Anciaux permet à la Volksunie de doubler sa représentation au Parlement européen. La liste VU&ID y arrive en cinquième position, devançant Agalev ; elle recueille 12,7% des suffrages. Bert Anciaux obtient le plus grand nombre de voix de préférence dans le collège électoral flamand :
322.841 voix, soit quelque 100.000 voix de plus que Annemie Neyts (VLD), en deuxième position dans ce classement. Il ne siégera cependant pas au Parlement européen (nous verrons pourquoi dans la suite), où la liste VU&ID est représentée par Nelly Maes et par Bart Staes. Tous deux font partie du groupe des Verts/Alliance libre européenne.

56L’analyse des résultats électoraux de 1999 au niveau des cantons (Chambre des représentants) montre que l’implantation de la Volksunie est particulièrement forte à Bilzen (23,9%), Izegem (17,9%), Westerlo (16,5%) et Arendonk (15,4%). Ces bons résultats sont le fait de personnalités populaires, comme Johan Sauwens à Bilzen (tête de liste au Parlement flamand, il était candidat suppléant à la Chambre) ou Geert Bourgeois à Izegem. À l’inverse, la Volksunie est pratiquement inexistante dans les cantons de Brakel (4,4%), d’Audenaerde (4,3%), de Horebeke (4,2%), de Kruishoutem (3,9%) ou de Renaix (3,1%). Ces derniers cantons sont tous situés dans une zone de Flandre orientale à taux élevé d’emploi manufacturier. Ils votent depuis longtemps, dans une large majorité, pour le VLD et le CVP. Sauf à Renaix, le Vlaams Blok y est d’ailleurs lui aussi mal implanté. Mais ce qui frappe surtout, à considérer l’évolution des résultats électoraux de la Volksunie sur une durée plus longue, c’est la quasi-disparition des écarts entre provinces. Avec le départ de Jaak Gabriëls en 1992 et malgré la popularité de Johan Sauwens, le Limbourg a fini lui aussi par s’aligner sur la moyenne nationale. Même entre circonscriptions, la fourchette des résultats se situe entre 7 et 9% si on fait abstraction de la circonscription de Malines-Turnhout.

57La Volksunie n’a plus, à proprement parler, de bastions provinciaux.

Au gouvernement en Flandre

Une participation à l’arraché

58Très vite, on se rend compte qu’une coalition sans le cartel VU&ID21 est parfaitement envisageable au niveau fédéral mais que pour exclure le CVP du gouvernement flamand et former autant que possible des majorités symétriques, la participation du cartel à la coalition flamande est indispensable. En effet, le paysage politique flamand s’est totalement recomposé : le CVP et le SP ont perdu des voix, le Vlaams Blok en a gagné de sorte que le VLD est devenu le premier parti en Flandre et que le Vlaams Blok y a dépassé les socialistes. Pour arriver à une majorité de 63 sièges (le Parlement flamand compte 124 membres) sans le Vlaams Blok, il faut soit regrouper quatre partis en dehors du CVP, soit inclure le CVP dans une coalition tripartite. C’est la première solution qui sera retenue. Détail piquant : en ajoutant les députés fédéraux VU&ID21 à la majorité arc-en-ciel, la coalition que va diriger Guy Verhofstadt (VLD) disposerait de 102 sièges à la Chambre, soit exactement une majorité des deux tiers. Pour la suite des événements, ce détail n’est pas sans importance. À Bruxelles, le problème est moins complexe : pour éviter la présence du Vlaams Blok au gouvernement régional, les autres partis flamands et donc aussi le cartel VLD-VU-O sont condamnés à s’entendre. C’est un libéral, Annemie Neyts-Uyttebroeck d’abord, Guy Vanhengel ensuite) que le cartel envoie siéger au gouvernement bruxellois.

59Par la bouche des présidents de la Volksunie (Patrik Vankrunkelsven) et d’ID21 (Bert Anciaux), le cartel fait savoir qu’il ne participera au gouvernement flamand que s’il est assuré d’avancées dans les dossiers institutionnels. Mais le formateur flamand, le libéral Patrik Dewael, écarte cette exigence en soulignant que cette question doit se régler au niveau fédéral. De son côté, Guy Verhofstadt fait savoir qu’il est prêt à conclure un accord sur le cadre dans lequel se tiendront les négociations communautaires. Un projet d’accord gouvernemental flamand est contresigné le 6 juillet 1999 ; les négociateurs de la Volksunie répètent leur volonté de voir aboutir des accords, au niveau fédéral, en matière de réforme de l’État. Le soir du 6 juillet, Vankrunkelsven et Anciaux en discutent avec Guy Verhofstadt. Le soir du 7 juillet, le partijbestuur de la Volksunie accepte, par 11 voix contre 5 et une abstention, de défendre devant le congrès du parti la participation au gouvernement quadripartite flamand (aux côtés des libéraux, des socialistes et des verts).

60Les garanties que contient l’accord de gouvernement fédéral en matière institutionnelle ne sont cependant pas accueillies avec grand enthousiasme. Aussi le congrès du 10 juillet est-il chahuté. Finalement, les participationnistes l’emportent, par 161 voix contre 86 et 12 abstentions.

61De nouvelles difficultés surgissent lorsque Bert Anciaux, élu au Parlement européen, fait connaître son souhait de devenir ministre flamand : la dérogation qu’il demande à cet effet au partijraad (les statuts prévoient qu’un président de parti ne peut accepter de portefeuille ministériel que deux années après être sorti de charge) ne lui est accordée qu’à une courte majorité. Sur les 126 membres du partijraad, 66 seulement acceptent la dérogation ; 56 la refusent, il y a 6 abstentions et un vote blanc. La majorité des deux tiers que requièrent les statuts n’est donc pas atteinte. Le 12 juillet, le partijbestuur décide malgré tout, « dans l’intérêt du parti », de présenter Bert Anciaux comme ministre. Cette décision est acquise par 15 voix contre 9. Le même jour, le partijraad est convoqué en réunion extraordinaire pour revenir sur sa décision précédente, ce qu’il fait par 103 voix contre 25 et 9 abstentions. Dans le gouvernement flamand, Bert Anciaux est en charge de la Culture, de la Jeunesse, de la Politique urbaine, du Logement, des Affaires bruxelloises et de la Coopération au développement ; l’autre représentant de la Volksunie, Johan Sauwens, hérite des portefeuilles de l’Intérieur, de la Fonction publique et des Sports. Par ailleurs, Patrik Vankrunkelsven est choisi le 1er septembre pour coprésider, aux côtés de Philippe Moureaux (PS), la Conférence intergouvernementale et interparlementaire du renouveau institutionnel (CIIRI), mieux connue en Flandre sous l’appellation de Costa. Cette conférence doit concrétiser les propositions faites dans le rapport de la commission des Affaires institutionnelles du Sénat en mars 1999, affiner la répartition des compétences entre État central et entités fédérées, se pencher sur la régionalisation de la loi communale et de la loi provinciale et sur la fiscalité régionale.

62Par ailleurs, elle s’engage à trouver les solutions nécessaires à l’exécution des décisions qui seront prises par sa « petite sœur » bruxelloise afin, notamment, d’améliorer la cohabitation harmonieuse des communautés linguistiques à Bruxelles et d’éviter le blocage des institutions (par le Vlaams Blok, qui a décroché à lui seul 4 des 11 sièges flamands au Parlement bruxellois).

VU et ID21 : tensions sur fond d’élection présidentielle

63Au lendemain des élections législatives du 13 juin 1999 – et dans la perspective des élections communales et provinciales d’octobre 2000 – les rapports entre la Volksunie et ID21 se font plus tendus. Financièrement, la situation s’éclaircit dans la mesure où des sièges supplémentaires ont été conquis au Parlement fédéral et au Parlement flamand. Mais politiquement, plusieurs dirigeants nationalistes ne souhaitent pas que le cartel se prolonge. Pour eux, seule l’hypothèse d’une intégration d’ID21 au sein de la Volksunie est envisageable. Le « mouvement » parrainé par Bert Anciaux n’en est manifestement pas partisan.

64Le programme institutionnel du gouvernement fédéral est une autre pierre d’achoppement, à l’intérieur du parti, entre nationalistes « purs et durs » et rénovateurs. La réalisation de ce programme passe par les discussions à la CIIRI, dont Patrik Vankrunkelsven assume la coprésidence. Des voix s’élèvent assez vite, dans les organes dirigeants de la Volksunie, pour exiger de cette Conférence des résultats rapides.

65Les 25 et 26 septembre 1999, le partijbestuur se réunit à Blankenberge avec les groupes de la Chambre, du Sénat et du Parlement flamand pour examiner le dossier des relations entre la Volksunie et ID21. La discussion est difficile ; mais le résultat obtenu en cartel le 13 juin 1999 pousse à constituer des listes du même type aux élections communales. De manière un peu incantatoire, les participants soulignent qu’il faut renforcer la coopération entre la Volksunie et ID21 – ce que nul ne conteste, mais que chacun interprète comme il lui convient.

66En novembre 1999, le partijbestuur de la Volksunie entérine un accord formel de coopération avec ID21 en prévision des élections d’octobre 2000. L’alliance se présentera sous un numéro national unique ; un « bureau » (bestuur) de l’alliance sera mis sur pied, composé du partijbestuur de la Volksunie et de quatre ou cinq représentants d’ID21. Mais les bureaux des deux partenaires pourront continuer à se réunir séparément et à prendre des positions distinctes. Accueillie avec beaucoup de réticences par ID21, la proposition du partijbestuur est approuvée par le partijraad le 13 novembre 1999.

67Début octobre, la Volksunie décide, à l’instar de plusieurs autres partis flamands, de modifier ses statuts pour que son président soit, dorénavant, élu directement par les membres du parti. Deux candidats se présentent à l’élection présidentielle, annoncée pour le 15 janvier 2000. Ils se situent chacun à une extrémité opposée du spectre des opinions sur l’avenir de l’alliance entre la Volksunie et ID21. Patrik Vankrunkelsven, le président sortant, est favorable à la dynamique qu’a enclenchée l’alliance ; son challenger Geert Bourgeois, qui a acquis une certaine notoriété par son travail dans la commission Dutroux, est partisan d’une intégration totale, à terme, d’ID21 dans la Volksunie. Il est de ceux, au demeurant, qui ont voté contre la participation de la Volksunie au gouvernement flamand.

68Le compromis fédéral auquel souscrit le gouvernement flamand, en décembre 1999, dans le cadre de l’accord de la Saint Éloi sur le financement de l’enseignement – un compromis conclu en dehors de la CIIRI – est d’abord vivement critiqué par la Volksunie. Bert Anciaux met même son portefeuille ministériel dans la balance  [11].

69Finalement, le parti s’incline après avoir obtenu des partis flamands de la majorité fédérale qu’ils s’engagent à faire avancer le dossier de la fiscalité régionale, et s’être assuré du caractère temporaire de l’accord. Le partijbestuur (le 9 décembre) puis le partijraad (le 11 décembre) approuvent la position du gouvernement flamand, respectivement par 16 voix contre 4 et 1 abstention et par 63 voix contre 27 et 22 abstentions. Geert Bourgeois est de ceux qui émettent un vote négatif, avec les députés fédéraux Karel Van Hoorebeke et Frieda Brepoels.

70De plus en plus, deux camps se dessinent à l’intérieur de la Volksunie. Si Geert Bourgeois est soutenu par plusieurs élus à la Chambre ainsi que par le vice-président du parti Eric Defoort et par le député flamand et sénateur de Communauté Chris Vandenbroeke, Patrik Vankrunkelsven bénéficie quant à lui de l’appui de l’organisation des jeunes, de l’autre vice-présidente (Nelly Maes), des députés fédéraux et flamands Annemie Vandecasteele et Herman Lauwers et, last but not least, de Bert Anciaux. Ce dernier va, en décembre, se mêler à la joute présidentielle en publiant une lettre ouverte dans laquelle il décoche quelques flèches en direction de Bourgeois et se prononce explicitement en faveur de Patrik Vankrunkelsven.

71Sur les plus de 15.000 membres du parti, 9.150 participent à l’élection du 15 janvier 2000. Geert Bourgeois emporte la mise : il est élu par 53,95% des suffrages, contre 46,05% à Patrik Vankrunkelsven. Ce résultat marque le début de la fin de la Volksunie. Certes, ce n’est pas la première fois qu’un vote serré départage deux candidats à la présidence. Mais c’est la première fois que le candidat soutenu par l’appareil du parti est désavoué – par un concurrent qui, de surcroît, n’a pas caché son opposition à plusieurs décisions des instances dirigeantes. Deux vice-présidents sont élus par le partijraad : le député fédéral Fons Borginon et Geert Lambert, ancien responsable des VUJO.

Agonie et disparition

72À peine élu, Geert Bourgeois est confronté à de nouvelles tensions entre les partenaires du cartel. Les élections communales d’octobre 2000 sont proches, et malgré leur numéro national unique, les deux composantes des listes VU-ID ont parfois bien du mal à accorder leurs violons. Les premières places sur les listes sont âprement convoitées par les deux partenaires.

73Sans attendre l’issue de ce qui, de l’avis de tous les observateurs, constituera un test pour la survie du parti, le député bruxellois Sven Gatz organise début mai 2000 un colloque sur le thème « La quatrième voie : libéralisme de gauche et nationalisme ». Cette « quatrième voie » cherche son inspiration aux Pays-Bas, où les « Democraten 66 » constituent une force politique relativement importante, se revendiquant du libéralisme tout en étant plus proches du PvdA socialiste que des libéraux du VVD. Accusant Geert Bourgeois de jouer trop exclusivement la carte communautaire, Sven Gatz (dont la démarche, manifestement, bénéficie de l’appui du président évincé Patrik Vankrunkelsven) souligne que les jeunes électeurs ont cessé de s’intéresser, dans leur grande majorité, au conflit linguistique  [12].

Les élections communales d’octobre 2000 : une stagnation aux allures de défaite

74Par rapport aux bons résultats engrangés en juin 1999, les élections communales et provinciales d’octobre 2000 constituent une défaite. Aux élections provinciales, le parti perd des électeurs partout. Le recul est particulièrement sensible dans le Limbourg ; tout au plus le cartel VU&ID parvient-il à conserver un résultat proche de celui de 1994 dans les provinces d’Anvers et de Flandre occidentale, grâce surtout à la bonne implantation locale de personnalités comme – précisément – Geert Bourgeois (qui pousse la liste VU-ID à Izegem). Au total, le cartel garde cependant le nombre de sièges provinciaux qu’il occupait depuis 1994, soit 15.

75Dans les communes, un phénomène analogue permet aux listes VU-ID de conserver leurs bastions locaux. Elles progressent même en certains endroits : à Louvain, à Kruibeke (liste Denert, du nom du bourgmestre local), à Herent (où Willy Kuijpers occupe la fonction maïorale), à Izegem (avec Geert Bourgeois), à Bilzen (avec Johan Sauwens), à Malines où un cartel rassemble les libéraux du VLD et la VU&ID. La tendance générale est cependant à la stagnation, voire à la baisse (à Ostende, Anvers, Bruges, Westerlo par exemple).

76Les dirigeants de la Volksunie interprètent ces résultats de façon contrastée. Pour Geert Bourgeois et ses partisans au sein du partijraad et du partijbestuur, ils prouvent que l’alliance avec ID n’a pas porté les fruits escomptés. Pour Bert Anciaux, Patrik Vankrunkelsven et les représentants d’ID21, ils témoignent au contraire de l’impact déclinant des thèmes communautaires et de la nécessité d’ouvrir de nouveaux chantiers politiques.

77Geert Bourgeois propose, lors de la réunion des deux instances qui se tient à l’Hôtel Donny à La Panne le 23 octobre 2000, de refaire de la Volksunie un acteur incontournable du débat communautaire. Il plaide dans ce cadre pour la fusion du parti et du mouvement ID21. Bert Anciaux et Patrik Vankrunkelsven s’opposent quant à eux à la surenchère communautaire qui ne peut, estiment-ils, que favoriser le Vlaams Blok ; ils sont favorables à l’ouverture, y compris en direction d’autres partis flamands. Les parlementaires qui se réclament d’ID21 parlent d’une « déconfessionalisation » de la dimension communautaire et font scandale en suggérant l’abandon de symboles désuets comme le Vlaamse Leeuw, l’hymne national flamand. Geert Bourgeois pousse au vote et doit bien constater l’impasse : ses propositions recueillent l’aval de 17 membres du partijbestuur, 17 votent contre, 2 s’abstiennent et il y a 1 vote blanc. Le bureau du parti (dagelijks bestuur) décide, sur ce, de désigner trois « sages » chargés de réconcilier, si possible, les adversaires. Cette tâche est confiée à trois députés flamands : Jan Loones, Herman Lauwers et Paul Van Grembergen.

78Fin octobre, les VU-Jongeren (VUJO) adoptent à une courte majorité une motion de soutien à Bert Anciaux, et critiquent les quatre parlementaires (Frieda Brepoels, Karel Van Hoorebeke, Kris Van Dijck et Chris Vandenbroeke) qui, au lendemain du 23 octobre, ont implicitement suggéré à Anciaux et Vankrunkelsven de quitter le parti s’ils ne peuvent plus se retrouver dans ses choix. Le débat se déroule en effet largement en dehors des instances officielles. Patrik Vankrunkelsven n’est pas en reste, qui affirme rechercher le compromis mais répète que pour lui, l’époque où la Volksunie attirait des électeurs par son radicalisme communautaire est révolue.

79Il ajoute que « le véritable organe directeur de la Volksunie est le partijbestuur » et que le président du parti ne peut être que « l’interprète des positions du partijbestuur »  [13].

80À la mi-novembre 2000, les trois sages rédigent une proposition qui s’articule en trois parties : une déclaration de principe qui confirme le programme électoral du cartel VU&ID, une définition des objectifs du parti qui plaide pour l’ouverture et le renouveau, et la création d’une commission chargée de préparer la mise en place des organes d’un nouveau parti réunissant les deux composantes ennemies. Devant l’opposition des principaux intéressés, ils décident de jeter le gant. Le 16 novembre, le partijbestuur soumet au partijraad un texte de compromis qui s’inspire de ces propositions, mais renonce à l’idée d’une fusion. Ce texte, plutôt vague, emporte l’adhésion de l’unanimité du partijraad, à 20 abstentions près. L’essentiel du compromis consiste à acter que les destins de la Volksunie et d’ID21 ne sont pas liés : dès lors, il n’existera plus d’organe dirigeant commun et chacun des alliés d’hier peut suivre son propre chemin. Un paragraphe, ajouté en dernière instance par le partijraad, précise par ailleurs que la Volksunie ne prendra pas elle-même des initiatives pour recomposer le paysage politique flamand ; mais elle est « ouverte à toute discussion à partir du moment où une telle initiative lui serait présentée ».

Lambermont et Lombard : crise et confusion

81Peu de temps après cependant, le brûlot de la guerre civile va se rallumer au sein de la Volksunie. À vrai dire, les hostilités n’ont pas vraiment pris fin. Dans certains débats de société, les deux camps qui s’affrontent dans le parti défendent des positions diamétralement opposées. Ainsi en est-il de la légalisation des drogues douces : Patrik Vankrunkelsven dépose, avec son collègue sénateur Vincent Van Quickenborne (ID21), une proposition de loi qui tend à autoriser un usage médical du cannabis et à dépénaliser sa possession à usage personnel  [14] ; Geert Bourgeois critique publiquement l’initiative. Vankrunkelsven, à son tour, réagit en accusant son président d’aller « trop loin » dans la manière de l’attaquer  [15].

82L’étincelle qui va allumer la poudre est la conclusion, au niveau fédéral, d’un accord de réformes institutionnelles que les journaux et les partis politiques flamands appellent « accord du Lambermont bis  [16]», et les francophones « accord de la Saint Polycarpe ». Geert Bourgeois et ses partisans rejettent le compromis qui, avant d’être présenté aux Chambres sous forme de projets de loi spéciale, a notamment reçu l’aval de Bert Anciaux et de Patrik Vankrunkelsven en leur qualité respective de ministre flamand et de coprésident de la CIIRI.

83Pour Geert Bourgeois, le Lambermont bis est inacceptable parce qu’il restreint excessivement l’autonomie fiscale, qu’il ne prévoit pas de garanties pour la représentation politique des Flamands à Bruxelles et qu’il vide de sa substance la régionalisation de la loi communale, en ce qu’il contient dans certaines limites la tutelle flamande. De plus, il n’est pas prévu de régionaliser l’administration du cadastre, de l’enregistrement et des hypothèques, il n’y a pas d’accord de coopération entre les Régions en matière de commerce extérieur, la répartition des moyens financiers dans le cadre de la régionalisation de l’agriculture est défavorable à la Flandre et des doutes subsistent quant à la volonté de défédéraliser effectivement la coopération au développement.

84L’accord du Lambermont bis obtient malgré tout l’aval du partijbestuur le 24 janvier 2001. Geert Bourgeois et quatre autres députés fédéraux (Frieda Brepoels, Karel Van Hoorebeke, Danny Pieters et Fons Borginon) émettent un vote négatif.

85Geert Bourgeois annonce que, si le vote au sein du partijraad le met une nouvelle fois en minorité, il démissionnera. Le 26 janvier, sans attendre et parce que cette manœuvre le met en position délicate, il donne effectivement sa démission. L’interim est assuré par un des deux vice-présidents, le député fédéral Fons Borginon.

86Du coup, la Volksunie, dont tous les observateurs s’accordent dès ce moment à penser qu’elle est « cliniquement morte », se retrouve au cœur de l’actualité. En effet, les voix de ses députés fédéraux sont mathématiquement nécessaires pour obtenir, à la Chambre, la majorité des deux tiers nécessaires pour voter les deux lois spéciales destinées à mettre en application le Lambermont bis. Et rien n’indique que Geert Bourgeois et ceux qui le suivent dans sa fronde entendent assouplir leur position.

87Le 30 janvier 2001, le partijbestuur soumet au partijraad une proposition de décision qui approuve le résultat obtenu par les négociateurs de la Volksunie dans le cadre du Lambermont bis, et demande aux mandataires du parti d’entamer immédiatement des négociations sur les accords de coopération qui font encore défaut ainsi que sur les « précisions nécessaires » quant à la coopération au développement et aux compétences des communes en matière de police administrative. Le parti est également invité à rechercher, à l’occasion des discussions qui vont débuter au sein des discussions institutionnelles qui se déroulent parallèlement à la « Costa bruxelloise »  [17], une solution optimale pour la représentation politique des Flamands de Bruxelles et à définir, en fonction de ces éléments, sa position définitive « en temps opportun ». Le partijraad se déroule dans une ambiance très passionnelle. Sur les marches du Palais des Congrès à Bruxelles, où les délégués ont été convoqués, des membres d’organisations flamingantes radicales (notamment du Nationalistisch Studenten Verbond NSV) accusent Anciaux et Vankrunkelsven, qui sont copieusement hués à leur arrivée, de « traîtrise ». À l’intérieur, les deux camps s’affrontent violemment. Finalement, le projet de décision est rejeté par 69 voix contre 61 et une abstention. Hugo Schiltz qualifiera par la suite cette réunion houleuse de « nuit des longs couteaux ». Chacun des deux groupes campe sur ses positions, convaincu que l’adversaire a un agenda caché : pour Patrik Vankrunkelsven et Bert Anciaux, les partisans de Geert Bourgeois veulent mettre sur pied un « Vlaams Blok sans le racisme » tandis que Geert Bourgeois soupçonne ceux qui refusent la fusion entre ID21 et la Volksunie de vouloir la fin de celle-ci, dissoute dans d’autres partis flamands. Bert Anciaux dira d’ailleurs que « ce n’est pas sur l’accord qu’on a voté, mais sur autre chose »  [18].

88Le vote du 30 janvier renforce la position de Geert Bourgeois. Il confirme aussi l’analyse de ceux qui observent un divorce grandissant entre les organes dirigeants de la Volksunie et sa base : celle-ci serait majoritairement encline au radicalisme communautaire, et c’est en montant dans la pyramide du pouvoir qu’on trouverait une majorité de « rénovateurs », favorables à l’ouverture du parti à des thèmes nouveaux et à des alliances politiques nouvelles.

89Comme les voix des députés fédéraux de la Volksunie risquent de manquer, le président des libéraux flamands Karel De Gucht prend son bâton de pèlerin et rencontre Geert Bourgeois, qui accepte de reporter sa décision définitive en attendant des précisions sur la portée de certaines dispositions du Lambermont bis et, semble-t-il, une évaluation du résultat des négociations bruxelloises. Le 19 février 2001, le partijraad confirme ce report – jusqu’en avril – et désigne un président intérimaire en la personne de Fons Borginon. Seul candidat à cette fonction un peu particulière, il obtient 101 voix ; il y a 23 abstentions. Borginon est censé exercer cette présidence jusqu’au moment où les membres du parti éliront leur nouveau président, en principe après l’été 2001.

90Décider de ne rien décider : c’est, au fond, la conclusion de ces deux mois qui voient la Volksunie traverser une des périodes les plus chaotiques de son histoire. Les deux camps sont, plus que jamais, irrémédiablement adversaires ; mais nul n’entend être le premier à quitter le navire. Si bien qu’à la veille du 10 mars, jour fixé pour réunir le partijraad afin d’arrêter la date de l’élection présidentielle, les interventions se multiplient. Geert Bourgeois, Frieda Brepoels, Eric Defoort, Danny Pieters et Karel Van Hoorebeke publient dans le quotidien De Standaard un texte intitulé « Er is toekomst voor de Volksunie » (« La Volksunie a un avenir »), où ils s’ingénient à démontrer que contrairement à ce qu’affirment leurs détracteurs, leur conception du nationalisme n’exclut absolument pas des initiatives sociales, un attachement aux valeurs d’ouverture et d’humanisme. « Nous écrivons ceci parce que nous ne pouvons plus nous taire. En nous taisant, nous donnerions notre aval à toute la boue déversée sur nous et, du même coup, sur le nationalisme flamand démocratique »  [19].

91Hugo Schiltz rend publiques, quant à lui, les lettres qu’il a adressées en décembre 2000 et en janvier-février 2001 à Geert Bourgeois. C’est dans cette correspondance qu’il parle de la réunion du partijraad de janvier comme d’une « nuit des longs couteaux ». Un groupe de jeunes fait paraître, sous l’impulsion de la députée fédérale Els Van Weert et du vice-président du parti Geert Lambert, un « manifeste » plaidant pour le maintien d’un « projet politique de valeur » qui risque, à cause du « malaise » régnant dans le parti, d’être réduit à néant. Ce texte demande d’en revenir aux congrès de Louvain et de Bruxelles : les réformes de l’État ne sont pas un but en soi, mais un instrument de justice sociale.

92Entre-temps, le député bruxellois Sven Gatz est devenu « porte-parole » d’ID21 et continue à promouvoir l’idée qu’un parti « libéral de gauche » est susceptible de trouver des électeurs. Il publie en ce sens, avec le politologue Patrik Stouthuysen, un ouvrage collectif qui fait un certain bruit  [20]. Sa position un peu particulière – il est à la fois porte-parole d’ID21 et membre du partijbestuur de la Volksunie – n’est pas sans poser quelques problèmes, et est en tout cas une épine dans le pied du groupe Bourgeois.

93Le partijraad du 10 mars se déroule dans la sérénité. Geert Bourgeois entend que les élections aient lieu avant l’été. Il souhaite aussi que le partijbestuur soit élu en même temps, et directement (non plus, donc, par le partijraad), afin d’éviter les désaccords entre organes dirigeants qui ont déchiré le parti fin 2000. Sur le premier point, il n’obtient pas satisfaction : il se confirme que le nouveau président et les deux nouveaux vice-présidents seront élus en septembre 2001. Par contre, le partijraad accepte que le nouveau partijbestuur soit élu par un congrès. Quant aux relations avec ID21, le partijraad ne suit pas ceux de ses membres qui veulent rompre l’alliance ;

94mais il modifie les statuts du parti afin d’empêcher qu’on puisse siéger en même temps au partijbestuur de la Volksunie et au bureau d’ID21. Cette modification oblige Sven Gatz à renoncer à ses fonctions au sein de la Volksunie.

95L’évaluation d’avril, elle aussi, finit par être ajournée. À ce moment en effet, si les textes qui traduisent en projets de loi les accords du Lambermont ont été déposés au Parlement, les négociations au sein de la Costa bruxelloise sont encore en cours. Le partijraad entérine cette proposition d’ajournement, formulée au nom du partijbestuur par Fons Borginon qui évite ainsi des déchirements douloureux. À l’issue des négociations bruxelloises début mai, le choix ne peut plus être postposé ; les instances dirigeantes décident d’approuver les accords du Lambermont bis et ce qui est devenu entre-temps l’accord « du Lombard » (du nom de la rue où se trouve le siège du Parlement bruxellois, qui a abrité les travaux de la Costa bruxelloise). Le résultat est cependant assez serré (47% des membres du partijraad émettent un vote négatif) et Geert Bourgeois et ses partisans persistent dans leur refus de voter ces textes à la Chambre. Pour obtenir la majorité des deux tiers, le gouvernement arc-en-ciel devra faire appel au PSC … mais ceci est une autre histoire.

L’affaire Sauwens

96Peu de temps après, un scandale secoue le Parlement et le gouvernement flamand : le ministre Johan Sauwens, apprend-on, a participé à la réunion d’une association d’anciens volontaires flamands sur le front de l’Est pendant la Seconde guerre mondiale, le Sint-Maartensfonds. Certes, Johan Sauwens reconnaît publiquement son erreur à la tribune du Parlement flamand dès le 9 mai, soulignant qu’il a toujours pris ses distances à l’égard de l’extrême droite et présentant ses excuses aux députés flamands ; mais les critiques fusent de tous les bancs – sauf ceux du Vlaams Blok, qui remet d’ailleurs aux journalistes des séquences filmées de la réunion en question et accuse les « partis traditionnels » d’hypocrisie, insinuant que leur objectif est surtout de se partager les dépouilles de la Volksunie. Les socialistes et les verts demandent la démission de Johan Sauwens. Le chef de groupe de la Volksunie considère qu’il n’a pas à lui retirer sa confiance ; mais Sven Gatz monte alors à la tribune et, tout en indiquant que Johan Sauwens ne peut en aucun cas être considéré comme un fasciste ou un nazi, souligne que sa « position en tant que ministre est devenue intenable ». Cette déclaration, il la fait au nom de « la partie ID du groupe et de l’alliance ». Le jour même, Johan Sauwens remet sa démission. Le débat qui s’en suit est un des plus animés qu’ait connu le Parlement flamand. Filip Dewinter affirme être « dégoûté » par la « pensée politiquement correcte » et par ce qu’il qualifie de « chasse aux sorcières » ; le ministre-président flamand, le libéral Patrik Dewael, s’emporte au point de déclarer : « Chaque fois que je vous vois, que je vous écoute et que j’observe vos gestes, je perçois un authentique fascisme. » Il s’avérera par la suite que le 9 mai, le groupe parlementaire VU&ID a voté sur l’opportunité d’une démission de Johan Sauwens, mais que le résultat était partagé (7 contre 7). L’intervention de Sven Gatz, de facto, met fin à l’alliance entre la Volksunie et ID21 au Parlement flamand. Désormais, s’ils continuent à y former un groupe politique unique au Parlement flamand et à soutenir le gouvernement (où Paul Van Grembergen reprend le portefeuille de Johan Sauwens), le parti et le « mouvement » suivent chacun leur voie. Sven Gatz a-t-il sciemment précipité la rupture ? Certains le croient. Ils prétendent qu’au moment de son intervention à la tribune du Parlement flamand, le porte-parole d’ID21 savait que Johan Sauwens, de toutes façons, entendait démissionner. Sven Gatz dément (« j’ai mal évalué, à ce moment, la portée du lien entre Sauwens et l’alliance »)  [21] ; mais il est manifeste qu’en l’occurrence, le vote partagé à l’intérieur du groupe parlementaire est la goutte d’eau qui a fait déborder un vase largement trop rempli.

Les dernières réunions

97Le 19 mai, le partijraad accepte (à 60% des voix) les propositions que formule Fons Borginon pour réorienter l’action du parti. La réunion est longue, et difficile.

98L’alliance avec ID21 est définitivement rompue. Mais le parti confirme son adhésion aux accords du Lambermont et du Lombard ; et le nationalisme auquel il se réfère se veut « progressiste » et ouvert à d’autres thèmes que les dossiers communautaires.

99Les discussions sont précédées de plusieurs interventions des deux groupes ennemis.

100Le 15 mai, Bert Anciaux publie dans le quotidien De Standaard un texte intitulé « Heimwee naar de toekomst » (« La nostalgie de l’avenir »). Ce texte est contresigné par Paul Van Grembergen, Patrik Vankrunkelsven, les députés fédéraux Annemie Van de Casteele, Els Van Weert et Ferdy Willems, les députés flamands Jos Bex, Dirk De Cock, Herman Lauwers et Jan Roegiers, les députés européens Nelly Maes et Bart Staes, le vice-président du parti Geert Lambert, le président national des VUJO Klaas Van Audenhove et leur vice-président Geert Conaerts. La conclusion de ce qui ressemble fort à un manifeste politique est claire : ses auteurs veulent se séparer de l’« Oranjehofgroep », comme on appelle parfois les partisans de Geert Bourgeois du nom d’un restaurant gantois où ils se réunissent. Ils invitent le partijraad à choisir :
soit Bourgeois et les siens quittent le parti, soit ils s’en vont eux-mêmes.

101Geert Bourgeois, qui a participé avec ses partisans à une manifestation flamingante contre l’accord du Lambermont à Gand début mai, annonce entre-temps son intention de mettre sur pied, à l’intérieur de la Volksunie, un « mouvement nationaliste flamand ». Les décisions du 19 mai lui coupent l’herbe sous le pied : en effet, elles interdisent toute « structure parallèle » – c’est surtout l’« Oranjehofgroep » qui est visé –, comme toute négociation avec d’autres partis. Finalement, au moment d’adopter à la Chambre le volet financier des accords du Lambermont, Geert Bourgeois, Frieda Brepoels, Karel Van Hoorebeke et Danny Pieters refusent de s’incliner et émettent un vote négatif ; Chris Vandenbroeke fait de même au Sénat.

102Ni le partijraad ni le partijbestuur n’engagent pourtant de mesures disciplinaires contre ceux qui sont, à partir de ce moment, des dissidents et qui refuseront d’ailleurs également d’approuver le deuxième projet de loi spéciale.

La consultation du 15 septembre

103Les deux « groupes » continuent de cohabiter pendant un certain temps à l’intérieur d’un parti qui ressemble de plus en plus à une coquille vide. Il est vrai que techniquement et financièrement, le divorce n’est pas simple. Le 21 juin, une proposition de « liquidation » du patrimoine fait pourtant l’objet d’une discussion au partijbestuur ; elle prévoit, notamment, une répartition 50/50 des moyens financiers et du personnel entre les deux antagonistes. Mais le partijraad du lendemain décide de remettre l’avenir du parti entre les mains de ses membres. La consultation se fera par écrit ; une commission spéciale de douze membres, dont trois membres de chaque groupe, est chargée de préparer les modalités d’une scission désormais jugée inévitable. À 60% des voix, le partijraad considère en effet qu’il est impossible d’encore se présenter ensemble aux élections. La règle de base de la consultation est le principe The winner takes it all : le perdant abandonne le terrain et continue seul son chemin, recevant pour ce faire les moyens financiers nécessaires. Jusqu’aux élections de 2003, la cohabitation dans un groupe parlementaire unique reste en principe acquise au Parlement flamand, à la Chambre et au Sénat.

104La consultation (prévue le 15 septembre) est précédée d’une véritable campagne électorale. Les acteurs se positionnent. Les membres pourront choisir entre trois « tendances » : le groupe Anciaux, qui se baptise « Toekomstgroep » (groupe de l’avenir) ; les partisans de Geert Bourgeois, sous le nom « Vlaams-Nationaal » ; un troisième projet, « Niet splitsen », rassemble ceux qui sont hostiles au divorce. La première tendance réunit les signataires du texte Heimwee naar de toekomst. Ils veulent que la Volksunie s’attache au renouveau de la société et gagne à elle les jeunes électeurs, en abordant des thèmes comme le droit de vote des étrangers, les nouvelles structures familiales, les questions éthiques, etc. Cette tendance est ouverte à des formes de collaboration avec d’autres partis et se veut « post-belge », jugeant le modèle conflictuel « dépassé ». Le projet « Vlaams-Nationaal », défendu par les quatre députés fédéraux « rebelles » et par les députés flamands Jan Loones et Chris Vandenbroeke, exclut par contre toute collaboration avec d’autres partis et réclame l’indépendance de la Flandre. Il met l’accent sur la responsabilité de l’individu, qui doit baliser sa liberté personnelle, et est favorable à une économie de marché « corrigée ». « Niet-splitsen » enfin est aussi qualifié parfois de « middengroep » : il entend rétablir la démocratie interne du parti, imposer le respect des décisions, mettre fin aux querelles intestines. Ses représentants les plus en vue sont les députés flamands Johan Sauwens, Kris Van Dijck et Etienne Van Vaerenbergh, la députée européenne Nelly Maes et d’anciens élus comme Jaak Vandemeulebroucke ou Willy Kuijpers.

105L’enjeu est double : le vainqueur de la consultation emporte l’héritage, mais pour conserver le nom, il doit recueillir la majorité absolue des votes. Pour le « middengroep », les trois projets ne sont pas très différents les uns des autres et il y a donc de bonnes raisons pour éviter tout déchirement ; mais entre les partisans de Bert Anciaux et ceux de Geert Bourgeois, le fossé est trop profond pour envisager une réconciliation. L’essentiel de la confrontation tourne, en fait, autour de l’opportunité d’élargir la base électorale du parti. Mais les arguments se situent parfois sur un plan beaucoup plus personnel : manifestement, l’élection directe de Geert Bourgeois à la présidence en janvier 2000 a ouvert des plaies qui ne cicatrisent pas.

106Aux yeux de Geert Bourgeois, le « Toekomstgroep » est une sorte de cheval de Troie qui va détruire l’idéal nationaliste ; ceux qui le soutiennent sont soit des agents de l’ennemi, soit des opportunistes (« Il ne suffit pas de dire qu’on est radical, encore faut-il agir dans ce sens, même quand des postes ministériels vous sont offerts »). Son propre discours nationaliste se radicalise : ainsi qualifie-t-il Hugo Schiltz, dont il a dû essuyer les critiques dans les tourmentes de janvier 2001, d’« homme du siècle dernier » : « À son époque, il fallait choisir entre fédéralisme et unitarisme. (…)

107Aujourd’hui, il y va de la participation directe au chœur européen et de l’assertivité flamande »  [22]. Idéologiquement, Bourgeois se réclame d’un « communautarisme » fondé sur une « culture de la responsabilité » et reproche notamment au « Toekomstgroep » ses liens avec Agalev (« la négation du nationalisme flamand »).

108Bourgeois n’est pas beaucoup plus tendre avec le « middengroep », qui compte dans ses rangs – affirme-t-il – des fossoyeurs du parti. Il reconnaît néanmoins partager avec Johan Sauwens la même foi dans le nationalisme flamand.

109Johan Sauwens de son côté, qui apparaît comme le chef de file du middengroep, se présente en conciliateur. Mais il ne ménage pas Geert Bourgeois, en qui il voit un dissident qui, lors de sa présidence, n’a pas fait preuve des qualités de rassembleur que ce poste exigeait. Johan Sauwens annonce d’emblée que si son groupe l’emporte, il demandera à Fons Borginon d’assumer la présidence du parti.

110Le « Toekomstgroep » enfin constate la rupture grandissante entre les membres du parti et ses électeurs, et l’écart (surtout en termes d’âge) qui les sépare. S’il admet la nécessité de rester vigilant pour défendre l’autonomie flamande, il entend « jeter un pont » en direction des jeunes générations. Il reproche précisément à Geert Bourgeois d’avoir, en tant que président, « organisé un circuit de décision parallèle » dans le but de saborder la collaboration entre la Volksunie et ID21, qui devait amorcer ce renouveau idéologique. « Geert Bourgeois et ses adeptes se sont engagés dans une voie néfaste qui nous marginalise politiquement en Flandre », explique Paul Van Grembergen qui ajoute que la discussion porte moins sur des programmes que sur des hommes : « Les trois projets en compétition sont identiques à 85% (…). Le débat a volontairement été mené sur la base de : qui sont les bons, qui sont les mauvais, qui sont les vrais nationalistes et qui sont les faux, qui sont les idéalistes et qui sont les opportunistes. Tout parti qui discute de cette façon, irrationnelle et émotionnelle, est condamné à se scinder et à disparaître. »  [23]

111Dans ce contexte de confrontation, l’avenir d’ID21 semble bien sombre.

112Certains, dans les rangs de ce mouvement, ont d’ailleurs l’impression d’avoir été « abusés » par Bert Anciaux  [24], qui n’aurait lancé ID21 que pour favoriser ses ambitions personnelles. En juillet, les membres du mouvement pensent encore pouvoir convaincre ceux qui, au sein de la Volksunie, partagent leurs idées sur le remembrement politique de les rejoindre (« Que tous les membres de la Volksunie qui le veulent adhèrent à ID21 ! », s’exclame le sénateur Vincent Van Quickenborne).

113Mais en août, la stratégie a changé : les dirigeants d’ID21 sont prêts à fusionner avec le « Toekomstgroep ». Une assemblée de fusion est même programmée pour le 27 septembre. C’est dire si dans ce camp, on ne croit guère aux chances de survie de la Volksunie.

114Le couperet tombe le 15 septembre. À quelques encablures du cinquantième anniversaire de sa fondation, la Volksunie cesse d’exister. Certes, Geert Bourgeois et « Vlaams-Nationaal » raflent la mise en obtenant 47,18% des suffrages, contre 30,18% à « Niet Splitsen » et 22,63% au « Toekomstgroep ». Mais si les partisans de Geert Bourgeois peuvent, de ce fait, hériter des bâtiments et du personnel, ils doivent renoncer à encore utiliser le nom du parti.

L’après-divorce

115Après le divorce, beaucoup de questions restent encore, pendant un temps, sans réponse. Que vont devenir les deux tendances qui ont dû s’incliner ? La plupart des observateurs pensent que le « middengroep » va, à son tour, se scinder et que ses membres vont rejoindre le camp des vainqueurs ou celui de Bert Anciaux. Quel nom va se choisir le nouveau parti ? Les ministres Volksunie du gouvernement flamand bénéficient-ils encore de la confiance de l’ensemble du groupe parlementaire, dès lors que celui-ci a implosé ?

116Peu à peu, la confusion va se dissiper. À la Chambre, le groupe VU&ID continue d’exister, parce que le Parlement fédéral n’admet pas l’existence de groupes techniques. Dans la mesure où la Volksunie ne faisait de toutes façons pas partie du gouvernement fédéral, cette situation particulière ne suscite pas trop de difficultés.

117Au Parlement flamand, les choses sont plus compliquées. Le CVP voit la faille et s’y engouffre : il n’y a plus de lien, affirme-t-il, entre les ministres Bert Anciaux et Paul Van Grembergen et le parti qui les a choisis pour exercer ces fonctions et ils doivent donc démissionner. Formellement, cette analyse est contestable puisque les ministres sont élus par les parlementaires (et que, sur le papier, il n’est donc même pas nécessaire qu’ils obtiennent une seule voix venant de leur groupe à condition de disposer d’une majorité au Parlement) ; politiquement, le groupe VU&ID garde, dans un premier temps, une existence propre (« il faut faire la différence entre le groupe et le parti »).

118Le 27 septembre 2001, ID21 se saborde. À 92% des votants, ses membres décident de fusionner avec le « Toekomstgroep ». Le 13 octobre, les héritiers de la Volksunie se donnent un nouveau nom : ce sera la Nieuw-Vlaamse Alliantie ou N-VA. Un congrès est programmé en avril 2002 ; d’ici là, Geert Bourgeois assume la présidence. Le parti se proclame indépendantiste, républicain, économiquement libéral mais opposé au « nationalisme ethnique » du Vlaams Blok. Le 10 novembre, c’est au tour du « Toekomstgroep » de se débaptiser : il choisit de s’appeler Spirit (Sociaal, progressief, internationaal, regionalistisch, integraal-democratisch en toekomstgericht), et se réclame du fédéralisme, revendique les valeurs d’égalité, de liberté individuelle et de solidarité. Il juge le nationalisme « dépassé ». Il élit à sa présidence, par 97,8% des voix, la députée fédérale Annemie Van de Casteel ; les vice-présidents sont Els Van Weert et Geert Lambert. Sur ce, les membres du « middengroep » quittent le navire les uns après les autres, soit pour rejoindre la N-VA (c’est le cas du député flamand Kris Van Dijck), soit pour rallier Spirit (Nelly Maes, Fons Borginon). Johan Sauwens, quant à lui, finira par annoncer son adhésion aux sociaux-chrétiens du CD&V (ancien CVP). Au Parlement flamand, le groupe VU&ID ne parle plus d’une seule voix (« Je ne parle pas au nom du groupe VU&ID.

119Je parle au nom des membres de la N-VA. Le règlement ne l’interdit pas », explique le député flamand Jan Loones  [25]) ; mais la nécessité de conserver une majorité, particulièrement en commission, pour soutenir le gouvernement contraindra le groupe à procéder à des remplacements. Chris Vandenbroeke cédera ainsi son siège en commission du Budget à Étienne Van Vaerenbergh : sa voix ferait basculer la majorité. Les députés N-VA, en effet, ne votent plus systématiquement avec la majorité ; en séance plénière, le déplacement des voix n’a pas d’effet, mais tel n’est pas le cas en commission.

N-VA et Spririt, quelques éléments de comparaison

120Exit donc la Volksunie. De ses cendres sont nés deux nouveaux partis, qui se réclament tous les deux de son héritage.

121Au cours de son histoire, la Volksunie n’a pas été épargnée par les dissensions.

122Dès les années 1960, des conflits internes entraînent le départ d’une aile de gauche que dirige le député Daniel De Coninck (les « Vlaamse Democraten ») ; il ne réussit cependant pas à emmener avec lui ses électeurs. Un autre clivage qui traverse le parti est la question éthique : en 1973, une frange conservatrice et catholique quitte la Volksunie en raison de son manque de fermeté face aux partisans de la dépénalisation de l’avortement.

123Dans les années 1970 et 1980, les désaccords opposent participationnistes et nationalistes radicaux. Les premiers pensent que la Volksunie doit accepter les compromis que suppose la participation gouvernementale pour faire avancer les dossiers institutionnels ; les seconds campent sur des positions intransigeantes. C’est le moment du premier (et seul) grand schisme : les adversaires du pacte d’Egmont se coalisent pour créer en 1978 deux nouveaux partis, le VVP et le VNP, qui se présentent en cartel sous le nom de Vlaams Blok aux élections législatives de décembre 1978. Plus tard, le VNP reprend le nom de Vlaams Blok, qui connaîtra à partir de la fin des années 1980 l’essor que l’on sait.

124Sans doute est-ce à partir de ce moment qu’à l’intérieur de la Volksunie, les tensions s’aiguisent sur un différend fondamental – le parti doit-il se centrer sur son rôle d’aiguillon, voire sur sa fonction tribunitienne, ou se muer en parti de gouvernement ? Il semble clair en tout cas qu’à partir de 1971, il a fait le plein de ses voix. Faute de pouvoir progresser dans son créneau original, il lui faut évoluer ou disparaître. Il choisit, non sans douleur, la première branche de l’alternative.

125Ce choix n’empêche pas son déclin. Il participe au gouvernement fédéral à deux reprises (1977-1978 et 1988-1991), et au gouvernement flamand à quatre reprises (1981-1985,1988-1991,1991-1995 et depuis 1999). Il ne cesse de perdre des électeurs, à mesure que son programme se réalise. Les électeurs nationalistes, pourtant, sont de plus en plus nombreux  [26] : en juin 1999, c’est plus d’un électeur flamand sur quatre qui a voté pour le cartel VU&ID21 ou pour le Vlaams Blok !

126Pour renverser la tendance au recul, les dirigeants successifs du parti s’efforcent de donner un contenu moins exclusivement communautaire ou linguistique à la référence nationaliste. Mais tous, finalement, s’y cassent les dents. Le moindre des paradoxes n’est d’ailleurs pas que Bert Anciaux, qui fait obstacle en 1992 à l’alliance avec les libéraux que cherche à forger Jaak Gabriëls, alors président du parti, et provoque l’exclusion de son rival, se retrouve dix années plus tard dans une situation à peu près parallèle : dans les deux cas, un président aspirant à l’ouverture est vaincu et contraint de laisser la VU aux mains de ses adversaires.

127Outre les inévitables questions de personnes (et les méfiances qui en sont le résultat), y a-t-il un fossé à ce point infranchissable entre les deux camps qui ont fini par former d’une part la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) et, de l’autre, Spirit ? On trouvera ci-après une comparaison entre, pour l’essentiel, les vingt et un points du Manifeste de la N-VA (octobre 2001) et la Beginsel Verklaring de Spirit (novembre 2001).

Sur le plan institutionnel

128La N-VA considère que « la construction belge n’offre plus la moindre plusvalue démocratique, au contraire ». Elle est donc favorable à l’indépendance de la Flandre. Mais elle admet que ce processus doit se faire progressivement. Elle ajoute que « Bruxelles-flamand » (Vlaams-Brussel) doit faire partie de cette Flandre indépendante, étant entendu que Bruxelles est une « région urbaine » uniquement compétente pour les matières dites « localisables » (plaatsgebonden). La Flandre doit devenir un État membre de l’Union européenne. La N-VA est républicaine, parce que « monarchie ne rime pas avec démocratie ».

129Spirit considère que les trois clivages qui ont longtemps dominé le paysage politique belge – le clivage philosophique (ou confessionnel), le clivage communautaire et le clivage gauche/droite – sont devenus caducs. Sur le plan institutionnel, Spirit est confédéraliste ; il se réclame sur ce point, non sans raison, de l’héritage de la Volksunie (qui, rappelle-t-il, était favorable à un « modèle fédéral de coopération »)  [27]. Il est également républicain, pour les mêmes raisons que la N-VA.

130Les deux partis ont d’ailleurs manifesté (séparément, mais le même jour) contre la remise au prince Philippe des insignes de docteur honoris causa de la Katholieke Universiteit Leuven (KUL) en septembre 2001 et refusé d’assister, en avril 2002, à une séance exceptionnelle du Parlement flamand consacrée à un discours du prince Laurent sur le problème de l’eau.

131Les deux partis ont des vues différentes sur le fonctionnement des institutions représentatives. La N-VA considère que « vider de son sens la démocratie représentative au profit de référendums, d’élections directes du bourgmestre etc.

132implique de sérieux dangers pour l’équilibre des décisions » et aboutit le plus souvent à « un simulacre de démocratie ». Pour Spirit par contre, la « démocratie radicale » suppose que les citoyens aient davantage leur mot à dire. Spirit plaide pour le référendum en tant que « technique de débat politique », demande la suppression de l’obligation de vote, est favorable à l’élection directe du bourgmestre si elle va de pair avec un renforcement du pouvoir du conseil communal.

Sur le plan économique et social

133La N-VA tient, dans ce domaine, un discours assez « libéral » : priorité à la liberté et à la responsabilité, octroi d’un statut social et fiscal adapté aux indépendants, liaison entre l’allocation de chômage et les prestations au profit de la communauté (« le droit au travail ne peut s’acheter au moyen d’une allocation »).

134Spirit ne met pas davantage en cause la liberté de marché. Mais il plaide pour que la politique reprenne sa place dans la régulation et l’organisation du marché. Son programme – comme celui de la N-VA – met l’accent sur l’égalité des chances. On notera cependant que le sénateur Vincent Van Quickenborne, qui a milité pendant ses études dans les rangs d’une association libérale, a mis en cause (notamment dans des questions adressées à la ministre de l’Emploi) les « critères arbitraires » appliqués en Belgique pour l’agrément des syndicats, l’absence de démocratie interne dans les organisations syndicales, le monopole de représentation des grands syndicats  [28].

135Comme la N-VA, Spirit est l’héritier d’un parti qui a toujours mis en exergue sa volonté de « dépilariser » la société belge, et sa méfiance envers les organisations issues des piliers.

En matière d’immigration

136La N-VA plaide pour autoriser à nouveau l’immigration par le biais de quotas.

137Elle souligne l’importance de bien intégrer les immigrés, essentiellement par l’apprentissage de la langue ; mais elle ne dit rien de l’octroi du droit de vote aux étrangers. Spirit est plus explicite : il souhaite octroyer le droit de vote aux élections communales sur la base du séjour, et non plus de la nationalité.

Sur le plan éthique

138Pour Spirit, « les petits et les grands problèmes éthiques relèvent, dans le débat politique, de la sphère privée ». Il faut néanmoins trouver un juste équilibre avec l’intérêt général et la protection de la communauté. La politique ne peut, en tout cas, s’opposer aux évolutions qui se font jour dans la société ; elle doit les encadrer « à partir d’une vision progressiste ». Ce principe s’applique notamment aux nouveaux problèmes éthiques comme les OGM (organismes génétiquement modifiés), le clonage des êtres humains, la légalisation des drogues. Dans les 21 points de son manifeste d’octobre 2001, la N-VA est muette sur ce sujet.

Conclusion

139Cette rapide comparaison entre quelques points des manifestes fondateurs des deux partis qui ont succédé à la Volksunie montre que, si elle est sortie gagnante de la consultation des membres, la Nieuw-Vlaamse Alliantie n’a pas repris à son compte une série de positions défendues par la Volksunie au cours des dix dernières années de son existence dans le domaine institutionnel, et sur des sujets éthiques et sociaux.

140Mais il y a plus : son approche des dossiers communautaires rompt elle aussi avec les thèses qui étaient (sur le papier tout au moins) celles de la Volksunie.

141La Volksunie a-t-elle disparu parce que son programme original était réalisé ? À observer le tournant que la N-VA, sous l’impulsion de Geert Bourgeois, donne aux revendications communautaires du nationalisme démocratique, la réponse à cette question est positive. La Belgique étant désormais un État fédéral, la Volksunie (ou ses héritiers) n’aurait plus de raison d’être, sauf à radicaliser ses revendications et à plaider pour l’indépendance de la Flandre. L’autre solution pour éviter la disparition est de « survivre » à partir de bastions locaux, ce qui semble aujourd’hui hors de la portée de la N-VA comme de Spirit. Comme le suggère Guido Fonteyn  [29], une analyse semblable peut être faite de la situation en Wallonie et à Bruxelles : le Rassemblement wallon a été balayé en 1987, une fois la régionalisation acquise, et seule une radicalisation – en direction, par exemple, du rattachisme – peut encore donner un sens à l’action politique de ses héritiers (comme en témoigne l’exemple de Paul-Henri Gendebien). Quant au FDF, s’il n’a pas formellement disparu de la scène politique, il n’a plus grand-chose à voir avec le parti qui connaissait d’énormes succès électoraux dans les années 1970 : pratiquement absorbé au sein du Mouvement réformateur, ne conservant plus que quelques fortes implantations communales, c’est à partir d’elles qu’il « survit ». Il semble en tout cas dans l’incapacité de se développer.

142À cela s’ajoute l’évolution même de la Belgique, telle que la virent les jeunes générations. Il n’est pas certain qu’un parti nationaliste comme l’était la Volksunie dans les années 1950 et 1960 ait encore beaucoup de sens dans une Belgique où n’existe plus un seul parti national de quelque importance, et où les dossiers communautaires – à quelques exceptions périphériques près – se rapportent plus au partage des richesses et des charges qu’à la construction d’une identité nationale. Ce qui n’empêche pas le nationalisme de se porter plutôt bien en Flandre, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres pays d’Europe ; mais c’est un autre nationalisme, celui du repli sur soi, de la xénophobie affichée ou larvée, du rejet de l’unification européenne.

143En Flandre, le Vlaams Blok en est l’incarnation.

144Enfin, et ce n’est pas le moindre des éléments d’explication, la Volksunie a incarné pendant quelques décennies (en tout cas jusqu’à la fin des années 1970) quelque chose de plus que le nationalisme : elle a été un parti qui bousculait les rapports de force politiques et les grands équilibres institutionnels. Le FDF et le RW ont d’ailleurs, à un certain moment, joué un rôle analogue. La participation au gouvernement Tindemans en 1978 a dissipé cette aura de parti « rebelle » ;

145l’avènement de l’écologie politique a parachevé l’opération. Que Geert Bourgeois, qui s’était opposé à l’entrée de la Volksunie dans le gouvernement flamand en 1999, ait fini par être le dernier président du parti et le responsable, en dernière instance, de son éclatement n’est pas un hasard.

146Reste la question de l’avenir des deux successeurs de feu la Volksunie. Le créneau du « libéralisme de gauche », même si les mots utilisés ne sont pas toujours les mêmes, est assez encombré – et Agalev, voire peut-être certaines franges du VLD ou même un parti socialiste flamand rénové, y occupent dès à présent une position confortable. Spirit s’efforce, certes, d’imprimer des accents spécifiques aux thèmes qui caractérisent – pour faire court – la dimension postmatérialiste de l’action politique. Il s’adresse, par exemple, explicitement aux jeunes. Il a récemment proposé de revoir les règles successorales afin que les testateurs soient tenus de réserver une part de leur héritage à leurs petits-enfants  [30], de sorte que les jeunes ne doivent pas attendre « d’être à l’âge de la retraite » pour hériter. Les cadets des parlementaires de Spirit (Vincent Van Quickenborne, Sven Gatz, Jan Roegiers et Els Van Weert) ont formé un groupe informel baptisé M4 qui se veut le porte-parole des aspirations de la génération d’après 1970, la middle generation. Ces efforts de positionnement suffiront-ils ? Rien n’est moins sûr. La récente réforme du système électoral, et en particulier la mise en place d’un seuil d’éligibilité, pourrait conduire Spirit à rechercher des alliances avec d’autres partis, et l’on sait que le VLD – soucieux de rester le premier parti en Flandre – est demandeur. Tout récemment Bert Anciaux a ainsi prôné un rapprochement avec le SP.A mais il a été désavoué par plusieurs dirigeants de Spirit.

147D’autres dirigeants ont par contre fait savoir qu’ils quitteraient Spirit si ce parti entendait se présenter seul aux prochaines élections : c’est le cas de Margriet Hermans et Patrik Vankrunkelsven  [31].

148Quant à la N-VA, sa survie électorale semble davantage assurée. Ceci confirme-t-il le diagnostic que l’auteur du présent Courrier hebdomadaire formulait dans un ouvrage consacré, fin 2001, au nationalisme flamand (« il y a place, en Flandre, pour deux partis nationalistes »)  [32] ? Oui et non. Oui, dans la mesure où même des partis nationalistes qui ont réalisé leur programme ont réussi à se maintenir sur la scène politique (le SNP en Écosse, le PNV au pays basque par exemple), dans la mesure aussi où les partis francophones sont amenés, qu’ils le veuillent ou non, à se faire les gardiens des compétences de l’État fédéral et où tous les électeurs nationalistes ne sont pas prêts à soutenir un parti xénophobe et populiste d’extrême droite comme le Vlaams Blok. Non, parce que la N-VA est en fin de compte autre chose que le simple dépositaire de l’héritage nationaliste flamand.

149La N-VA, par exemple, est indépendantiste (cf. infra). Le lien entre la préservation de l’identité régionale et certaines thèses écologistes (proximité, dépilarisation, « dépolitisation », etc.) est plus affirmé dans le programme de Spirit que dans celui de la N-VA, sans doute rendue méfiante par l’expérience du cartel avec ID21. Le succès de la N-VA dans les sondages repose pour une bonne part sur sa capacité d’attirer des mécontents ; elle pêche, ce faisant, dans les eaux du Vlaams Blok avec la louable volonté de ne pas se compromettre avec l’idéologie que véhicule ce parti. Mais cet « absolutisme de l’outsider », comme le qualifie De Standaard, n’est pas dépourvu d’ambiguïtés. Alors que Spirit s’est prononcé pour le maintien du cordon sanitaire  [33], Geert Bourgeois a affirmé publiquement que ce cordon était « contre-productif ». La N-VA a également demandé la dissolution du Centre pour l’égalité des chances qui, à son estime, n’a « aucune capacité d’intégration » et sert « de sparring-partner idéal au Vlaams Blok »  [34]. Elle attire, et ce n’est pas étonnant, d’anciens membres du Vlaams Blok en rupture de parti, comme Geert Wouters  [35] ou Gino De Craemer. Le tout récent congrès de la N-VA (5-6 mai 2002), qui a porté Geert Bourgeois à la présidence du parti par 96% des voix, n’a pas dissipé ces zones d’ombre : il s’est par exemple prononcé contre le droit de vote des étrangers non européens aux élections communales, et pour un durcissement de l’acquisition de la nationalité. Cette radicalisation est-elle de nature à porter des fruits électoraux ? La N-VA devra non seulement, dans ce contexte, affronter la concurrence du Vlaams Blok mais aussi celle du CD&V qui a accueilli dans ses rangs Johan Sauwens et même l’ancien député Vlaams Blok Ignace Lowie. Comme pour Spirit, le créneau semble déjà bien occupé – mais par d’autres rivaux.

15021 mai 2002

Résultats de la Volksunie (Chambre) en % des électeurs dans les provinces flamandes

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Résultats de la Volksunie (Chambre) en % des électeurs dans les provinces flamandes 20 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 1978 1981 1985 1987 1991 1995 1999 Anvers Limbourg Flandre occ Flandre or Brabant

Résultats de la Volksunie (Chambre) en % des électeurs dans les provinces flamandes

Notes

  • [1]
    Ainsi Herman L’Espalier. Cf. De Morgen, 11 août 1998.
  • [2]
    De Morgen, 30 août 1996.
  • [3]
    G. PAGANO, « Les résolutions du Parlement flamand pour une réforme de l’État », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1670-1671,2000.
  • [4]
    De Standaard, 31 mai 1996.
  • [5]
    N. MAES, Financieel-Economische Tijd, 13 juin 1996.
  • [6]
    Interview, De Morgen, 23 octobre 1996.
  • [7]
    Conseil de la Région de Bruxelles-capitale, Compte rendu intégral de la séance plénière du 13 juin 1997, p. 1000.
  • [8]
    Prêcher la bonne parole du « renouveau politique » n’est pas un phénomène nouveau. Déjà en 1992, lorsqu’il avait quitté la Volksunie, Jaak Gabriëls avait mis sur pied une structure destinée à servir de « passerelle » aux futurs adhérents du VLD et l’avait baptisée Centrum voor Politieke Vernieuwing. En 1975, de même, des élus de la Volksunie et du parti libéral flamand avaient formé un « Centrum voor Politieke Vernieuwing » qui devait préparer la rédaction d’un manifeste centriste en perspective d’une alliance électorale.
  • [9]
    La Libre Belgique, 2 juin 1997.
  • [10]
    Knack, 9 septembre 1998.
  • [11]
    De Morgen, 11 décembre 1999.
  • [12]
    Il n’est pas sans intérêt de faire observer que Jaak Gabriëls faisait également référence en 1992, juste avant de quitter la Volksunie pour rejoindre Guy Verhofstadt et le VLD, aux « libéraux de gauche » des Pays-Bas ; et que, depuis plusieurs années et sous l’impulsion justement de Jaak Gabriëls, la Volksunie s’appelait officiellement VU-VVD (pour Vrije Vlaamse Democraten).
  • [13]
    De Standaard, 27 octobre 2000.
  • [14]
    Sénat, Doc. parl., 2 – 585/1 (2000-2001).
  • [15]
    De Standaard, 15 janvier 2001.
  • [16]
    L’accord du Lambermont proprement dit, que les francophones appellent « accord de la Sainte Thérèse » (octobre 2000), concerne notamment le refinancement des Communautés, le renforcement de l’autonomie fiscale des Régions, la régionalisation de la redevance radio télévision, la régionalisation des lois organiques des pouvoirs locaux, la défédéralisation de la coopération au développement, etc. Il fait suite à l’engagement pris par le Premier ministre, pour obtenir l’adhésion de la Volksunie à l’accord de la Saint Éloi et afin de ne pas hypothéquer le résultat des élections communales d’octobre, de parvenir à un accord en ces matières avant Pâques 2000. L’accord du Lambermont bis n’est rien d’autre que la traduction dans les textes de ce compromis, conclu d’ailleurs en dehors de la CIIRI (si ce n’est par l’entremise de ses coprésidents).
  • [17]
    J.-P. NASSAUX, « Le groupe de travail sur le fonctionnement des institutions bruxelloises. Deuxième phase et accord dit du Lombard », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1716-1717,2001.
  • [18]
    De Standaard, 3-4 février 2001.
  • [19]
    De Standaard, 2 mars 2001.
  • [20]
    S. GATZ et P. STOUTHUYSEN (red.), Een vierde weg ? Links-liberalisme als traditie en als oriëntatiepunt, VUBPress, Bruxelles, 2001.
  • [21]
    De Standaard, 12-13 mai 2001.
  • [22]
    De Standaard, 16 août 2001.
  • [23]
    De Standaard, 18-19 août 2001.
  • [24]
    C’est le terme qu’utilise Peter Van Hoof, à qui Sven Gatz a succédé comme porte-parole d’ID21 (De Standaard, 28 mai 2001). La députée flamande Margriet Hermans ne comprend pas quant à elle pourquoi Bert Anciaux a « assassiné » un projet dont il était l’initiateur (De Standaard, 30 mai 2001).
  • [25]
    Séance plénière du Parlement flamand du 30 janvier 2002.
  • [26]
    Il est bien entendu que les motivations des électeurs nationalistes sont aussi hétérogènes que le nationalisme lui-même.
  • [27]
    D’ailleurs, la proposition de déclaration de révision de la Constitution que des députés fédéraux Volksunie, dont Geert Bourgeois, déposent en janvier 1999 se fonde explicitement sur la volonté de « transformer (la structure fédérale actuelle de la Belgique) en une confédération » (Chambre, Doc. parl., 1932/1 (1998-1999).
  • [28]
    Question n°1656 – Bulletin des Questions et Réponses, n°2-44,27 novembre 2001.
  • [29]
    Cf. son article « Heeft de Volksunie nog toekomst ? », De Standaard, 25 octobre 2000.
  • [30]
    De Standaard, 26 février 2002.
  • [31]
    De Standaard, 21 mai 2002.
  • [32]
    S. GOVAERT, Les griffes du lion. Le nationalisme flamand à la veille de 2002, Bruxelles, Labor, Quartier libre, 2001 (pp. 49-51).
  • [33]
    Et a dénoncé des déclarations contraires, faites en son nom personnel, par le sénateur Vincent Van Quickenborne, cf. De Standaard, 5 avril 2002.
  • [34]
    De Standaard, 2-3 mars 2002.
  • [35]
    À propos de Geert Wouters, l’un des premiers « dissidents » du Vlaams Blok, cf. S. GOVAERT, « Le Vlaams Blok et ses dissidences », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1365,1992.
Français

Résumé

Le nationalisme flamand ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui, électoralement parlant en tout cas. Si on additionne les voix obtenues par le cartel VU aux dernières élections législatives à celles qu’a recueillies le Vlaams Blok, en progrès constant depuis 1985, on obtient un ensemble qui représente près du quart des électeurs flamands. C’est plus qu’aux meilleurs jours de la Volksunie, qui culminait à quelque 18% des voix flamandes au début des années 1970.
En septembre 2001, avec la disparition de la Volksunie, la question du nationalisme flamand doit être reformulée. Un parti s’est formé qui se revendique explicitement de l’héritage du défunt parti : la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) ; un autre rassemble, autour de Bert Anciaux, ceux qui avaient tenté de le réformer (Spirit). De quel poids pèseront-ils sur la vie politique, surtout après l’introduction d’un seuil d’éligibilité prévue par le gouvernement actuel ?
Serge Govaert articule son Courrier hebdomadaire autour de quelques moments clés : le pari lancé par Bert Anciaux en 1995, le « congé politique » qu’il décide de prendre en 1997 pour explorer la voie d’ID21, l’élection présidentielle de janvier 2000, les négociations institutionnelles du printemps 2001 puis l’implosion du parti après la consultation des adhérents en septembre de la même année. Sans prétendre deviner l’avenir, il se risque en guise de conclusion à quelques pronostics fondés, notamment, sur l’état des forces en présence et dans le cadre de la recomposition générale du paysage politique flamand.

Serge Govaert
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Le nationalisme flamand ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui, électoralement parlant en tout cas. Si on additionne les voix obtenues par le cartel VU&ID21 aux dernières élections législatives à celles qu’a recueillies le Vlaams Blok, en progrès constant depuis 1985, on obtient un ensemble qui représente près du quart des électeurs flamands. C’est plus qu’aux meilleurs jours de la Volksunie, qui culminait à quelque 18% des voix flamandes au début des années 1970. En septembre 2001, avec la disparition de la Volksunie, la question du nationalisme flamand doit être reformulée. Un parti s’est formé qui se revendique explicitement de l’héritage du défunt parti : la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) ; un autre rassemble, autour de Bert Anciaux, ceux qui avaient tenté de le réformer (Spirit). De quel poids pèseront-ils sur la vie politique, surtout après l’introduction d’un seuil d’éligibilité prévue par le gouvernement actuel ? Serge Govaert articule son Courrier hebdomadaire autour de quelques moments clés : le pari lancé par Bert Anciaux en 1995, le « congé politique » qu’il décide de prendre en 1997 pour explorer la voie d’ID21, l’élection présidentielle de janvier 2000, les négociations institutionnelles du printemps 2001 puis l’implosion du parti après la consultation des adhérents en septembre de la même année. Sans prétendre deviner l’avenir, il se risque en guise de conclusion à quelques pronostics fondés, notamment, sur l’état des forces en présence et dans le cadre de la recomposition générale du paysage politique flamand.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2005
https://doi.org/10.3917/cris.1748.0005
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