CAIRN.INFO : Matières à réflexion

L’accord interprofessionnel

1Depuis 1986, année où la liberté de négociation a été restaurée, des accords interprofessionnels se sont succédé à un rythme bisannuel sans interruption jusqu’en 1992. L’accord conclu le 9 décembre 1992 accordait une large place à la promotion de l’emploi ; il procédait à des ouvertures en matière d’organisation du travail (flexibilité partielle du temps de travail) ; il apportait également des avantages nouveaux à certaines catégories de travailleurs (augmentation du revenu minimum mensuel moyen garanti) ou de chômeurs (relèvement des allocations de chômage des chômeurs âgés) ou encore à l’ensemble des travailleurs (octroi du paiement du pécule de vacances pour un jour supplémentaire comme cela avait déjà été le cas en 1992). Cet accord couvrait les années 1993 et 1994 et sortait ses effets jusqu’au 31 décembre de cette année-là.

2À l’approche de cette échéance, les interlocuteurs sociaux ont repris des contacts afin d’évaluer les possibilités de conclure un nouvel accord dans un contexte généralement perçu comme difficile, où la problématique de l’emploi demeure fort préoccupante et où le plan global du gouvernement fixe un certain nombre de balises et de contraintes.

3En toile de fond de la négociation d’un nouvel accord interprofessionnel, est posée la question de la capacité des interlocuteurs sociaux “au sommet” de pérenniser le système belge de relations collectives du travail. L’échec des négociations en vue d’un renouvellement du pacte social et les tensions qui l’ont suivi entre les organisations et à l’intérieur de certaines d’entre elles vont-ils pouvoir être surmontés ? Et pour déboucher sur quoi ? La tendance à développer des relations collectives du travail tripartites au Nord du pays et les remises en question, principalement par l’organisation patronale flamande, le VEV, du niveau national ou fédéral de négociation vont-elles avoir raison de celui-ci ?

Le contexte

4La négociation interprofessionnelle proprement dite a été particulièrement brève : deux séances ont suffi à conclure un accord en novembre 1994. Mais elle a été précédée d’une longue phase de contacts et discussions préalables, destinés à clarifier les positions des parties en présence, à tenter de concilier les points de vue et à évaluer les chances d’aboutir à un compromis satisfaisant pour chacune des organisations.

L’état des relations entre interlocuteurs sociaux

5Des contacts entre organisations de travailleurs et d’employeurs ont lieu de manière informelle en juillet 1994. Outre les aspects de contenu de ces conversations sur lesquelles nous reviendrons ci-après, se pose la question de l’état d’esprit dans lequel les interlocuteurs sociaux entament leurs pourparlers.

6Les discussions de l’automne 1993 en vue de la définition d’un nouveau pacte social n’ont pu aboutir. Comme on l’a vu, toutes les parties ne nourrissaient pas les mêmes attentes à son égard et l’échec est ressenti très différemment selon les organisations. Mais plus largement, d’aucuns s’interrogent sur l’avenir des relations collectives de travail interprofessionnelles : les interlocuteurs sociaux n’ayant pu s’entendre sur les grandes orientations à donner au système ni sur le cadre général dans lequel il s’inscrit, les remises en cause voire les inquiétudes sont nombreuses.

7D’une part, se pose la question de la capacité des organisations nationales (ou fédérales) interprofessionnelles de conclure à l’avenir des accords au niveau le plus élevé des relations professionnelles. Sont en cause non seulement les rapports entre les représentants des diverses organisations mais aussi les rapports entre les différentes composantes des organisations et la légitimité que celles-ci (fédérations sectorielles patronales, centrales professionnelles syndicales) reconnaissent à leurs représentants interprofessionnels.

8D’autre part, se pose la question des rapports entre les interlocuteurs sociaux et le gouvernement fédéral. À défaut d’accord sur un pacte social, le gouvernement qui avait déjà pris l’initiative de lancer la procédure devant y conduire, a rapidement réagi en déposant le texte d’un plan global par lequel il adopte des dispositions sur des matières habituellement du ressort des interlocuteurs sociaux.

9Enfin, cette période de négociations avortées en vue d’un pacte social et les réactions syndicales au plan global ont donné lieu à un accroissement du nombre des conflits sociaux. Et on a assisté à une recrudescence des recours par une partie du patronat à la justice (juridictions pénales) en vue d’interrompre les conflits en cours et de contraindre les grévistes au paiement d’une astreinte en cas de poursuite du conflit. La FEB a légitimé ces pratiques, par ailleurs fortement contestées par les syndicats. Mais le sujet n’a pas été abordé au Conseil national du travail.

Les contraintes du plan global

10À côté du poids des événements liés à l’adoption du plan global sur les relations entre interlocuteurs sociaux, le contexte des discussions interprofessionnelles est fortement marqué par les dispositions contenues dans le plan gouvernemental. Celui-ci, rappelons-le, entend apporter un certain nombre de réponses quant aux problèmes qui se posent en matière d’emploi, de sécurité sociale et de compétitivité. À propos de ce dernier volet, on se souvient que le gouvernement décide non seulement d’exclure de la base de calcul de l’index les produits qui vont connaître un accroissement des taxes (tabac, alcool, essence et diesel) de manière à retarder l’indexation des salaires et autres allocations sociales, mais il interdit en outre l’augmentation des rémunérations et l’octroi d’avantages nouveaux pendant les années 1995 et 1996.

11Ces mesures restreignent considérablement le champ du négociable sur le plan interprofessionnel et plus encore au niveau sectoriel ; les commissions paritaires constituent en effet l’instance principale de la négociation salariale.

L’évaluation de la position compétitive du pays

12À l’impact sur les négociations interprofessionnelles des mesures prises par le gouvernement dans le cadre du plan global, en référence à la loi de sauvegarde de la compétitivité [1], viennent s’ajouter les considérations des interlocuteurs sociaux consignées dans le rapport du 26 septembre 1994 du Conseil central de l’économie qui porte précisément sur la position compétitive.

13Ce rapport met en évidence une détérioration de la compétitivité du pays : les parts de marché à l’exportation des entreprises belges (comparées aux cinq principaux partenaires commerciaux de la Belgique) sont en perte de 5 % et les coûts salariaux (comparés à ceux des sept principaux partenaires commerciaux) subissent un handicap de 6 % [2]. Cette évaluation intervient à un moment où le blocage des salaires n’est pas encore effectif (il est applicable en 1995 et 1996) et où seule l’application de l’index santé fait sentir ses effets.

14Pour les organisations patronales, la détérioration de la position compétitive de la Belgique s’explique par le fait que les pays de référence ont pratiqué une politique de modération salariale plus ferme (des exemples sont fournis concernant l’Allemagne et les Pays-Bas où les hausses de salaires sont inférieures à celles du coût de la vie).

15Des problèmes de méthodologie et de fiabilité des données prises en compte pour l’évaluation de la compétitivité sont soulevés par les syndicats. En cause, notamment, l’ajustement des statistiques auquel a procédé l’OCDE (producteur des données utilisées par le Conseil central de l’économie) ; cet ajustement introduit des ruptures dans les séries et serait responsable, d’après les syndicats, d’une surestimation de 2 % du “dérapage” salarial. Les critiques concernent également les évolutions dues aux fluctuations des cours de change, notamment par rapport au dollar américain, à la livre anglaise et à la lire italienne. Les critiques s’inscrivent dans une remise en question plus fondamentale de la loi de 1989, considérée comme “techniquement ingérable” par les syndicats, qui réclament son évaluation et sa révision. La FEB, si elle se montre favorable à une amélioration de l’outil, s’oppose par contre à une réforme tant elle redoute que les syndicats ne cherchent à profiter de cette évaluation pour rejeter la loi ou à en atténuer les effets.

16Malgré les conclusions du rapport de septembre 1994 du Conseil central de l’économie, le gouvernement décide de ne pas adopter de nouvelles mesures d’austérité, considérant qu’il convient de laisser aux mesures du plan global le temps de sortir leur plein effet.

17Par contre, les conclusions du rapport sur la compétitivité influencent la négociation interprofessionnelle : elles servent de points de repère au patronat pour définir sa marge de manœuvre et lui donnent des arguments pour revendiquer un allégement des charges salariales.

Reprise économique et détérioration de l’emploi

18Le lancement des discussions relatives à un accord interprofessionnel a lieu dans un contexte économique plutôt favorable. On assiste en effet à une reprise économique en 1994 contrairement à l’année précédente ainsi qu’en témoignent deux indicateurs :

  • la progression du PIB qui passe de BEF 7.285 milliards en 1993 à BEF 7.621 milliards en 1994 ;
  • la reprise de la croissance économique : + 2,2 % en 1994 contre -1,6 % en 1993.

19Par contre, dans le domaine de l’emploi, la situation a tendance à se détériorer. Au 30 juin 1994, soit à la veille de la reprise des rencontres interprofessionnelles, on recense 496.523 chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi (212.287 hommes et 284.236 femmes) ainsi que 73.767 chômeurs complets indemnisés âgés non demandeurs d’emploi (48.758 hommes et 25.009 femmes) [3].

20Le nombre des chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi est supérieur de 35.291 unités à celui de juin 1993, soit une progression de 7,7 % en un an.

La recherche d’un compromis

21La situation préoccupante en matière d’emploi et la limitation du champ du négociable ont rapidement conduit les acteurs de la négociation interprofessionnelle à centrer leurs discussions sur un thème unique : la promotion de l’emploi. Dès la première entrevue, l’unanimité se fait sur ce point, même si les conceptions divergent sensiblement quant aux manières de l’aborder. C’est au cours d’une phase – qualifiée de “norvégienne” par la presse pour stigmatiser son caractère secret – que les parties tentent d’aplanir leurs différends. Cette phase de débroussaillage qui débute en septembre 1994, se clôture près de trois mois plus tard, le 22 novembre, par le passage à la phase terminale de la négociation.

22Dès le début de ces discrètes discussions, les organisations syndicales mettent l’accent sur la problématique de l’emploi et glissent deux autres préoccupations à l’ordre du jour :

  • la démocratie économique et sociale : les syndicats réclament à nouveau l’institution de délégations syndicales dans les petites et moyennes entreprises. Ils avaient espéré que celles-ci soient imposées à titre de compensation dans le plan global du gouvernement, mais il n’en fut rien ;
  • la reconduction de certaines dispositions de l’accord interprofessionnel 1992-1993 : ils voudraient que l’octroi du pécule de vacances pour le troisième jour de la quatrième semaine, la cotisation de 0,25 % en faveur de la promotion de l’emploi et le financement du plan d’accompagnement des chômeurs ainsi que la prolongation des mesures en matière de garde d’enfants fassent partie d’un nouvel accord interprofessionnel.

23Fait remarquable, les organisations syndicales ne déposent de cahier de revendications ni en front commun, ni séparément à l’entame des discussions interprofessionnelles. Un communiqué est publié le 4 octobre en front commun CSC-FGTB. Le communiqué de la FGTB et de la CSC est néanmoins perçu par la FEB comme la préfiguration ou la synthèse d’un cahier de revendication. Lors de la réunion qui se tient le soir-même, des réactions très vives émanent de l’organisation patronale qui perçoit la publication du communiqué comme un camouflet et reproche aux syndicats de briser la loi du silence. Dans leur communiqué, les deux organisations syndicales affirment qu’elles “accorderont pour 1995 et 1996 une priorité absolue à l’emploi”. Et elles précisent : “Les secteurs devront avoir la possibilité d’affecter intégralement la croissance à l’emploi par la répartition du travail et par une réduction collective du temps de travail, la limitation du chômage partiel, l’octroi d’un crédit de formation-congé-éducation payé et des possibilités accrues de prépension”. Pour la FGTB et la CSC, “l’emploi net supplémentaire de chômeurs complets qui en résulte bénéficiera d’une exemption plafonnée de cotisations patronales à l’ONSS”. Les deux organisations mettent deux conditions à l’octroi d’exemption de cotisations à l’ONSS : des résultats effectifs en matière d’emploi et un contrôle syndical. Elles s’opposent à ce que des exemptions soient accordées de manière générale, sans lien avec des créations d’emplois supplémentaires.

24Pour les deux organisations, pour servir l’objectif de l’emploi il faut aussi lutter contre le travail en noir, limiter le nombre des heures supplémentaires, étendre le droit à l’interruption de carrière, prendre des mesures en matière de durée du travail des cadres et généraliser la semaine de 38 heures de travail.

25La CGSLB présente, pour sa part, une “Contribution à une plate-forme de négociations” dans laquelle elle considère qu’“un nouvel accord interprofessionnel devrait (…) traduire l’inquiétude prioritaire des partenaires sociaux face au problème de l’emploi”. À côté de mesures relatives à la réduction du temps de travail, au plan d’accompagnement pour les chômeurs de longue durée, aux prépensions, à l’interruption de carrière, aux chèques-services, etc., le syndicat libéral rappelle qu’il a élaboré une proposition de loi, conçue sur le modèle de la loi sur la compétitivité, visant à suivre et à évaluer l’évolution du chômage et de l’emploi afin de pouvoir envisager rapidement des mesures en cas de dérapage. La CGSLB réclame en outre la reconduction des mêmes dispositions de l’accord de 1992 que celles demandées par la CSC et la FGTB.

26D’une manière générale, les syndicats estiment que les réductions de cotisations patronales de sécurité sociale doivent s’opérer en liaison avec une réduction du temps de travail. Pour eux, il convient de traduire en embauches les gains de productivité et les autres moyens dégagés (effets de l’index-santé, blocage des salaires, reprise économique, effets des mesures prises par le passé). Un cadre de négociations devrait être tracé de manière à fixer des marges dans lesquelles s’inscriraient les négociations de secteurs et d’entreprise. Des conventions collectives conclues en commission paritaire, dotées d’un contenu substantiel devraient mettre en œuvre les formules proposées au niveau interprofessionnel.

27Au sein même des organisations syndicales, les avis divergent quant aux formules à proposer. À la FGTB, en particulier, les centrales ouvrières privilégient les prépensions alors que les employés valorisent la réduction hebdomadaire du temps de travail. À la CSC aussi tous les secteurs ne croient pas en une seule et même formule. Pour les deux organisations, il convient de réorienter les aides octroyées aux employeurs et les syndicats doivent pouvoir contrôler les résultats des accords en matière d’emploi. Elles attendent du patronat qu’il prenne des engagements pour l’emploi ; plus concrètement, elles voudraient voir fixer des objectifs de résultats évaluables.

28Côté patronal, les positions de départ reposent sur l’hypothèse qu’un accroissement de la flexibilité et une réduction des coûts du travail conduiront nécessairement à une reprise de l’emploi. D’emblée, la FEB déclare – en réponse aux propositions syndicales – qu’elle n’entrera jamais dans la logique d’une réduction linéaire et collective du temps de travail, qui plus est sans réduction de salaire.

29Alors que les syndicats prônent la définition sur le plan interprofessionnel de dispositifs à appliquer dans les secteurs, le patronat estime pour sa part que les secteurs et les entreprises sont précisément les mieux placés pour définir les formules qui leur sont le plus appropriées. Dans l’esprit du patronat, il convient de favoriser le temps partiel, la flexibilité horaire (calcul du temps de travail hebdomadaire sur une base annuelle ou semaine de travail flexible, crédit d’heures supplémentaires non compensées) et une organisation plus souple de l’entreprise, voire le recours aux plans d’entreprise (pour lesquels le patronat demandait un encadrement sectoriel). En outre, les organisations de classes moyennes s’opposent à nouveau à toute discussion sur la présence syndicale dans les petites et moyennes entreprises ainsi qu’à la généralisation de la semaine de 38 heures réclamée par les organisations syndicales.

30Des différences d’accent sont perceptibles dans les discours respectifs de la FEB et des classes moyennes. Pour la première, le président G. Jacobs déclare qu’il serait irréaliste de s’attendre à des engagements de la part des entreprises en matière d’emploi. Pour les secondes, R. Mené, le président de l’Union syndicale des classes moyennes, s’oppose à ce qu’on impose de nouvelles contraintes aux entreprises, en particulier aux petites et moyennes entreprises qui, d’après ses dires, ne sentent pas encore la reprise.

31À l’instar des négociations interprofessionnelles des années antérieures, le gouvernement demeure attentif aux échanges entre représentants patronaux et syndicaux interprofessionnels. Il accorde une importance significative à l’aboutissement de ces discussions. Le Premier ministre J.-L. Dehaene l’exprime dans sa déclaration de politique générale du 20 septembre 1994 appelée communément “déclaration sur l’état de l’Union” : “Le gouvernement entend donner aux interlocuteurs sociaux toutes les chances pour qu’ils puissent conclure un accord pour l’emploi”. Mais pour lui, un éventuel accord interprofessionnel doit s’inscrire dans le prolongement des mesures gouvernementales. Il déclare en effet qu’il n’y a pas de marge pour modifier des dispositions relatives à la compétitivité contenues dans le plan global. La ministre de l’Emploi et du Travail, M. Smet, se montre pour sa part favorable à des formules de réduction du temps de travail “à la carte” et insiste sur la nécessité pour l’État d’encadrer les formules décidées et mises en œuvre dans les entreprises.

Vers un front uni face au gouvernement

32Sur de nombreux points, on vient de le voir, les positions patronales et syndicales paraissent difficilement conciliables : tant sur la forme que sur le contenu de l’accord à tenter, les dissensions sont importantes. À propos du cadre général de référence également, les attitudes divergent : de quelle manière convient-il d’intégrer les discussions par rapport au plan global ? Pour la FEB, le plan gouvernemental n’a pas permis de renouer avec la compétitivité des entreprises : l’accord interprofessionnel doit dès lors être inscrit dans le cadre qu’il définit. En particulier, dit en substance le patronat, procéder à des réductions du temps de travail sans réduction des salaires reviendrait à contourner le plan global ; il faut impérativement bloquer les coûts salariaux. Côté syndical, par contre, on estime que l’éventuel accord interprofessionnel pourrait “desserrer le carcan dès lors que l’on a renoué avec la reprise économique”.

33La méthode de travail des interlocuteurs sociaux au cours de la phase “norvégienne” mérite que l’on s’y attarde un instant. Après s’être rencontrés lors de trois réunions (les 7 et 22 septembre, et le 6 octobre) au cours desquelles un accord est atteint quant au sujet central à traiter (l’emploi) mais où de nombreuses difficultés se dressent, les représentants patronaux et syndicaux chargent un groupe de travail bipartite, composé de techniciens des différentes organisations, de réaliser un bilan des incitants à l’embauche. Le rapport déposé par ce groupe de travail s’interroge sur l’opportunité de rassembler différentes mesures existantes en un seul dispositif. En groupe plénier, les négociateurs prennent toutefois conscience qu’il est question de mesures de nature très différente et estiment qu’il convient de conserver des formules spécifiques comme le plan-plus un ou le plan d’embauche des jeunes. Ils aboutissent rapidement à la conclusion qu’il n’y a pas de consensus sur l’idée de globaliser les différentes mesures existantes. Par ailleurs, les syndicats estiment que les incitants relatifs aux bas salaires doivent faire l’objet d’une révision, tandis que les classes moyennes, particulièrement concernées par ces dispositions, affirment que ces réductions ne sont pas négociables.

34C’est confrontés à ces questions et positions relatives aux mesures existantes et à la suite de l’engagement du Premier ministre dans sa déclaration au Parlement sur “l’état de l’Union”, que les interlocuteurs sociaux décident d’interpeller le gouvernement. Ils demandent la tenue d’une réunion tripartite afin de l’interroger sur ses intentions quant à la politique qu’il entend mener en matière d’incitants. Au cours d’une réunion informelle, le Premier ministre ne donne pas de réponse précise aux questions des interlocuteurs sociaux. Il dit vouloir ouvrir des pistes et rappelle les positions gouvernementales. Le plan global doit rester la référence absolue et il est d’autant moins à remettre en question que son évaluation n’est pas achevée. Les réductions des cotisations sociales accordées dans le cadre de l’opération Maribel et les aides pour les bas salaires – considérées comme structurelles par le gouvernement – ne peuvent en aucun cas être rejetées. D’autres mesures, par contre, devraient faire l’objet d’une évaluation – c’est le cas entre autres des plans d’embauche des jeunes – et le gouvernement souhaite que des interlocuteurs sociaux lui fassent des propositions à cet égard. Il n’exclut pas non plus que les plans d’entreprise puissent être étendus à d’autres mesures. Le gouvernement laisse donc ouverte la possibilité d’aménager ces deux dispositifs. Enfin, le Premier ministre attire l’attention sur le problème du financement des mesures qui seront proposées : si on réduit les charges sociales pour favoriser les embauches, il convient de compenser le manque à gagner pour la sécurité sociale. Il envisage à ce moment l’affectation du produit de la taxe sur le CO2, taxe qui doit être instaurée sur le plan européen. Mais, malgré l’accord des Français et des Allemands, elle ne sera toutefois pas adoptée avant la signature de l’accord interprofessionnel.

35La poursuite des pourparlers entre interlocuteurs sociaux donne lieu à une altercation et plusieurs acteurs de la négociation ont craint une rupture des relations. La tension entre syndicats et patronat est particulièrement forte au moment où la phase de discussions préalables arrive à son terme. Dans une note qu’elles déposent le 16 novembre, la FGTB et la CSC réitèrent leur point de vue : la hiérarchie des niveaux de négociation est confirmée (le secteur doit primer sur l’entreprise), un éventuel accord interprofessionnel doit avoir un contenu réel, une marge doit être dégagée pour financer la promotion de l’emploi. La réunion qui se tient le lendemain donne lieu à une dramatisation ; le patronat estime que la note syndicale contient des propositions inacceptables et est un “casus belli” ; les syndicats rétorquent qu’il s’agit là de l’aboutissement de la logique qu’ils suivent depuis le début des discussions. La séance est interrompue à plusieurs reprises. Après avoir discuté du plan d’embauche des jeunes et des incitants à l’accroissement net de l’emploi, les parties décident de poursuivre les contacts.

36La négociation proprement dite a lieu le 21 novembre, au cours d’une réunion longue de dix heures (de 18 heures à 4 heures du matin). Les négociateurs se rencontrent sur base d’une note rédigée par W. Beirnaert (FEB) établissant un relevé des points sur lesquels il y a accord des parties, ceux sur lesquels il y a divergence et une série d’observations, soit un inventaire des thèmes sur lesquels le débat doit porter. Des solutions de compromis sont atteintes sur des points de divergence. Ainsi, par exemple, les syndicats voulaient accorder des incitants à l’embauche de chômeurs comptant deux années de chômage, le patronat fixait à un an cette durée ; le compromis consiste à octroyer des réductions de charges sociales pour l’engagement de travailleurs au chômage depuis deux ans plus élevées que pour ceux qui ont un an de chômage. Côté patronal, outre le rétablissement d’un climat social jugé favorable, on obtient que la nouvelle version du plan d’embauche conserve son caractère automatique (le plan n’est pas lié à de l’embauche nette supplémentaire) de même que des réductions de cotisations sociales en cas d’embauche nette et on échappe aux formules linéaires de réduction du temps de travail. Les organisations de classes moyennes ont préservé leurs exigences : aucune modification n’est apportée quant à la reconnaissance syndicale dans les petites et moyennes entreprises et il n’y a pas de généralisation de la semaine de 38 heures de travail. Côté syndical, on obtient des possibilités d’abaissement de l’âge de la prépension (partiellement financées par les employeurs) ; on met aussi en avant le rôle et le contrôle des accords sectoriels et d’entreprise en matière d’emploi ; on estime enfin avoir réalisé un progrès par rapport au plan global. Patrons et syndicats décident d’étendre la formule des plans d’embauche des jeunes plus largement aux chômeurs et d’accroître la période durant laquelle la réduction des cotisations est appliquée ; ils envisagent aussi le doublement de la prime à la création d’emplois subordonnée à un accord sur la redistribution du travail.

37Mais les mesures qu’ils proposent nécessitent l’aval du gouvernement, non seulement quant aux principes mais aussi quant à leur financement. C’est unanimes que les interlocuteurs sociaux présentent leurs propositions au gouvernement. Ils attendent des réponses précises de sa part avant de conclure définitivement leur accord. Le gouvernement se réjouit de l’aboutissement des négociations mais il formule des critiques à rencontre du projet d’accord : les subsides alloués aux entreprises ne sont pas nécessairement liés de manière volontariste à la lutte contre le chômage, d’une part ; il voudrait avoir un droit de contrôle sur le contenu des conventions sectorielles, d’autre part. Finalement, face à un front uni des employeurs et des travailleurs qui se retranchent derrière l’équilibre et les termes de leur texte commun, le gouvernement au sein duquel les avis divergent par rapport au projet d’accord finit par en accepter la teneur moyennant quelques aménagements mineurs. Les montants des interventions sont légèrement réduits (ils passent de BEF 200.000 à BEF 150.000 par an). L’abaissement de l’âge de la prépension à 55 ans moyennant une carrière de 33 ans minimum est accepté à la condition que cette faculté ne soit autorisée que pendant les deux années de la durée de l’accord et que la cotisation due par l’employeur soit plus élevée. Le gouvernement envisage aussi d’évaluer de manière permanente les accords en matière d’emploi sur base des données transmises à l’ONSS par les entreprises.

38Dans la lettre qu’il envoie aux interlocuteurs sociaux à la suite de la rencontre tripartite du 28 novembre, le Premier ministre déclare que “le Gouvernement s’engage à mettre tout en œuvre pour créer les circonstances dans lesquelles cet accord peut générer les meilleurs résultats en termes de création d’emplois. Il constate que le texte du projet correspond au consensus qui s’est dégagé en cette matière lors de l’entretien entre le Gouvernement et les interlocuteurs sociaux”. Confirmant les engagements pris par le gouvernement pour les questions où son initiative est requise, il rappelle que “le Gouvernement entend en outre procéder à une évaluation permanente du contenu et de l’impact des conventions sectorielles afin d’en tirer les conclusions politiques qui s’imposent”.

39Une fois approuvé par les négociateurs patronaux et syndicaux – après avoir été légèrement retouché lors de la rencontre entre les interlocuteurs sociaux et le gouvernement – le projet d’accord doit encore être entériné par les instances des organisations concernées. Loin de faire l’unanimité dans les centrales et régionales syndicales, l’accord a été approuvé par les instances de la CSC et de la FGTB.

40Le vote au Conseil général de la CSC s’est clôturé sur 277 voix en faveur du projet d’accord, 3 oppositions et 15 abstentions (dont celles de la Centrale nationale des employés-CNE et de la fédération régionale du Brabant wallon). A la FGTB, 65 % seulement des membres du Comité national ont voté leur adhésion au texte. L’Interrégionale de Bruxelles, une partie des interrégionales wallonne et flamande, un tiers des membres de la centrale des services publics, la CGSP, et une fraction minoritaire de la Centrale générale ont voté contre (14 %) tandis que le SETCa s’est abstenu (au total 21 % d’abstention). À la FEB, c’est à l’unanimité que les membres du conseil d’administration ont approuvé le projet d’accord même si, aux dires des négociateurs, ce n’était pas l’enthousiasme [4].

41Malgré l’approbation par son conseil d’administration, la FEB s’est trouvée confrontée à certaines critiques consécutives aux prises de position du VEV. L’organisation patronale nationale a publié dans son bulletin de janvier 1995, sous la forme d’un “questions-réponses”, un argumentaire, justifiant l’accord interprofessionnel en tant que tel et les dispositions qu’il contient.

Le contenu de l’accord

42Les interlocuteurs sociaux ont conclu avec l’appui du gouvernement un accord qui s’articule quasi exclusivement autour d’un thème : l’emploi. En préambule, ils annoncent leur volonté d’“apporter une contribution commune à la promotion de l’emploi” et d’emblée, ils s’accordent sur l’idée que la sauvegarde de la compétitivité est une condition essentielle pour la réaliser.

43Leur souci est moins d’apporter des avantages nouveaux pour les travailleurs occupés que “d’offrir des perspectives aux demandeurs d’emploi”. Les organisations signataires s’engagent à axer les négociations sectorielles (ou à défaut au niveau de l’entreprise) exclusivement sur la défense ou l’extension de l’emploi, en prenant en compte “les possibilités offertes par la croissance économique, les gains de productivité, la rentabilité et la position concurrentielle des entreprises”. Elles se disent “conscientes que la diminution du coût du travail est un élément qui contribue à l’emploi” ; certaines des mesures définies dans l’accord prennent en effet appui sur cette conception, résultat d’un compromis entre les points de vue patronal et syndical divergents à ce sujet.

44L’accord se structure en trois parties : la première regroupe des dispositifs de promotion de l’emploi ; la deuxième envisage la prolongation de deux dispositions de l’accord interprofessionnel du 9 décembre 1992 ; la troisième contient des dispositions finales.

La promotion de l’emploi

45Dans le chapitre intitulé “Emploi”, les interlocuteurs sociaux visent à compléter les mesures existantes en matière d’emploi et à harmoniser trois types de dispositifs déjà d’application : le plan d’embauche des jeunes, l’embauche dans le cadre du plan d’accompagnement et les incitants pour l’embauche de chômeurs de longue durée. Sont successivement abordés dans ce cadre : les accords sectoriels (ou d’entreprise) en matière d’emploi, les plans d’embauche pour la promotion du recrutement de certains demandeurs d’emploi et les prépensions.

Accords sectoriels ou d’entreprise en matière d’emploi

46Les interlocuteurs sociaux font du niveau sectoriel le point d’appui de leur dispositif destiné à promouvoir l’emploi. Ils proposent que des conventions collectives de travail de promotion de l’emploi soient conclues en commission paritaire. Les employeurs qui, dans le cadre d’une telle convention sectorielle, réalisent un accroissement net [5] du personnel se voient octroyer une dispense des cotisations patronales de sécurité sociale pendant la durée de l’accord (soit jusqu’au 31 décembre 1996). Cette dispense ne peut toutefois être supérieure à BEF 37.500 par trimestre et par embauche nette supplémentaire. Dans le cas de l’embauche d’un demandeur d’emploi au chômage depuis plus d’un an au moment du recrutement, le “plan d’embauche de certains demandeurs d’emploi” (voir ci-dessous) est applicable s’il est plus favorable. La commission paritaire doit en outre approuver les accords ou les actes d’adhésion souscrits au niveau de l’entreprise en exécution d’une convention sectorielle.

47Les interlocuteurs sociaux ont mis au point une procédure en cas d’absence de convention collective sectorielle. Au-delà du 31 mars 1994, date de clôture de la période de négociations au niveau des commissions paritaires (ou avant, si les parties constatent l’impossibilité de conclure un accord), des accords d’entreprise peuvent être conclus. Dans le cas où un accord d’entreprise prévoit le recours au bénéfice des avantages majorés, la commission paritaire doit l’approuver préalablement à son application. Par contre, pour les entreprises où n’existe ni conseil d’entreprise, ni délégation syndicale mais qui appliquent un plan d’entreprise, le bénéfice des avantages liés à l’embauche nette supplémentaire est subordonné à l’approbation préalable de la commission intersectorielle instituée au Ministère de l’Emploi et du Travail.

Plans d’embauche de certains demandeurs d’emploi

48Afin de favoriser l’embauche de chômeurs de longue durée, les interlocuteurs sociaux ont élaboré un mécanisme de réduction automatique des cotisations patronales de sécurité sociale :

  • en cas d’embauche d’un demandeur d’emploi, la réduction des cotisations patronales est de 100 % au cours du trimestre de l’embauche et des quatre trimestres suivants si le travailleur est en chômage depuis deux ans ou de 75 % s’il est en chômage depuis plus d’un an ;
  • du cinquième au huitième trimestres suivants, la réduction est respectivement de 75 % et de 50 %.

49La période d’attente est prise en considération pour le calcul de la durée du chômage. Les demandeurs d’emploi bénéficiant du minimex depuis respectivement un an ou deux ans donnent droit aux mêmes réductions des cotisations.

50Rappelons que si cette réduction est plus favorable que celle exposée ci-dessus, en cas d’embauche nette supplémentaire d’un chômeur de longue durée, elle est d’application.

Les prépensions conventionnelles

51Des conventions collectives de travail conclues en commission paritaire pourront ramener – pour une période limitée aux années couvertes par l’accord interprofessionnel, soit 1995 et 1996 – l’âge de la prépension conventionnelle à 55 ans, moyennant une carrière professionnelle de trente-trois ans (la durée d’assimilation du chômage étant limitée à cinq ans maximum). L’accord interprofessionnel prévoit cependant le versement d’une cotisation de sécurité sociale à titre d’intervention dans le coût supplémentaire découlant de ce mécanisme. Cette cotisation mensuelle est due jusqu’au moment où le prépensionné atteint l’âge de 58 ans ; elle s’élève à :

  • un tiers de l’indemnité complémentaire si le prépensionné est remplacé par un chômeur de longue durée (plus d’un an de chômage) ;
  • la moitié de l’indemnité complémentaire si le prépensionné est remplacé par un autre travailleur.

52L’accord prévoit que les avantages prévus dans les conventions sectorielles restent d’application si les dispositions en matière de prépension s’accompagnent d’une augmentation de l’emploi.

Information et évaluation

53Trois dates sont fixées par les interlocuteurs sociaux quant aux procédures d’évaluation et d’information relatives à l’emploi :

  • avant le 31 mars 1995 : élaboration au sein du CNT d’une formule relative au rapport à fournir par l’employeur sur les incitants en matière d’emploi ;
  • avant fin 1995 : clôture au CNT et au CCE de l’évaluation prévue par l’article 89 de la loi contenant des dispositions sociales du 30 mars 1994 prise en application du plan global ;
  • dans le courant de 1996 : étude sur l’évolution de l’emploi au CNT.

La prolongation de l’accord de 1992

54Deux dispositions de l’accord interprofessionnel du 9 décembre 1992 sont prolongées pour les années 1995 et 1996 moyennant quelques aménagements pour la première d’entre elles.

Efforts spécifiques en matière d’emploi

55La cotisation de 0,1 % introduite par l’accord interprofessionnel de 1992 en vue du financement en 1993 et 1994 du plan d’accompagnement a été prolongée par le gouvernement jusqu’au 31 mars 1995. Les interlocuteurs sociaux proposent qu’elle soit affectée à partir de cette date de la façon suivante :

  • à concurrence de 0,05 %, du 1er avril 1995 au 31 décembre 1996 : financement du plan d’accompagnement [6] ;
  • pour les 0,05 % restants :
    • du 1er avril 1995 au 31 décembre 1995 : intervention dans le déficit du régime du congé-éducation payé [7] ;
    • du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1996 : majoration de l’effort de 0,15 % en faveur de l’emploi et de la formation dans les secteurs et entreprises [8].

56Les signataires de l’accord interprofessionnel demandent au gouvernement une prolongation de l’exemption de stage pour les secteurs et les entreprises qui fournissent un effort pour les groupes à risque et collaborent effectivement au plan d’accompagnement pour autant qu’ils fassent un effort de 0,2 % au long de la période 1995-1996.

57Par ailleurs, les interlocuteurs sociaux décident de prolonger en 1995 et 1996 la cotisation de 0,05 % destinée à l’intervention dans les frais du personnel assurant l’accueil des enfants de 0 à 3 ans ainsi que dans le parascolaire.

58Il est prévu qu’une évaluation de ces mesures sera réalisée dans le courant de 1996.

Pécule de vacances

59D’une part, les interlocuteurs décident de prolonger en 1995 et 1996 l’octroi du double pécule de vacances pour le troisième jour de la quatrième semaine (non soumis à cotisation sociale) [9]. D’autre part, ils prennent acte de ce que le gouvernement assurera en 1995 et 1996 le financement du système des salaires fictifs pour les périodes assimilées pour le calcul du pécule de vacances légal des ouvriers [10].

Dispositions finales

60S’ils déclarent avoir rencontré leurs exigences mutuelles pour les matières faisant l’objet de leur accord, les interlocuteurs sociaux ne vont toutefois pas jusqu’à y inclure la clause de paix sociale. Ils reconnaissent pour eux-mêmes au niveau interprofessionnel, mais aussi, si pas davantage, à l’intention des négociateurs aux autres niveaux, que “la recherche d’un climat de paix sociale par toutes les organisations est considérée par les signataires comme une contribution importante à la réalisation du présent accord”.

61Par ailleurs, ils actent l’approbation du gouvernement tant en ce qui concerne le contenu de l’accord (le texte correspond au consensus qui s’est dégagé lors de l’entretien du 28 novembre 1994 entre le gouvernement et les interlocuteurs sociaux) qu’à propos de la demande de garantir qu’aucune mesure ne sera prise qui pèserait sur les coûts salariaux ou affecterait l’organisation du travail pour les matières faisant l’objet de l’accord.

L’exécution de l’accord interprofessionnel

Les accords en matière d’emploi

62La mise en œuvre du volet relatif aux accords sectoriels et d’entreprise en matière d’emploi requérait l’adoption d’une convention collective de travail au sein du CNT et l’adoption de dispositions légales.

Convention collective et transposition légale

63Le 20 décembre 1994, la convention collective n°60 a été conclue au CNT. Elle a pour objet de déterminer les objectifs et la procédure à suivre lors de la conclusion de conventions portant sur la promotion de l’emploi au niveau des commissions paritaires et des entreprises. Cette convention collective stipule qu’il appartient aux commissions paritaires ou sous-commisssions paritaires de mener de manière autonome et en leur sein une négociation en vue de la conclusion de conventions collectives de travail portant sur la promotion de l’emploi.

64Cette convention sectorielle peut s’appliquer à l’entreprise soit avec effet direct si elle ne prévoit pas d’adhésion ou de concrétisation en mesures plus précises, soit par adhésion (convention collective, acte d’adhésion, règlement de travail) de l’entreprise si la convention le prévoit explicitement, soit par concrétisation en mesures plus précises si la convention le stipule (via une convention collective ou un acte d’adhésion à soumettre pour approbation à la commission paritaire).

65Comme l’accord interprofessionnel, la convention collective n°60 fixe au 31 mars la date à laquelle se termine la période de conclusion des conventions en commissions paritaires. En l’absence d’une telle convention, la promotion de l’emploi peut être négociée au niveau de l’entreprise sous la forme de convention collective conclue avec la délégation syndicale ou, à défaut, d’accord sur l’emploi moyennant consultation des travailleurs et dépôt au greffe du service des Relations collectives de travail du Ministère de l’Emploi et du Travail.

66De son côté, le gouvernement dépose le 22 février 1995 sur le bureau de la Chambre des représentants un projet de loi visant à promouvoir l’emploi le 22 février 1995 [11] dont le titre Ier “Accords en faveur de l’emploi” vise à permettre aux secteurs et aux entreprises de l’ensemble du secteur privé de conclure des accords qui vont de pair avec une croissance nette de l’emploi. Il règle la question des incitants en faveur de l’emploi.

67Les employeurs couverts par un accord de promotion de l’emploi en exécution de la convention collective n°60 et qui réalisent un accroissement net de l’emploi ont droit à une réduction des cotisations patronales de sécurité sociale d’un montant de 37.500 francs par trimestre et par emploi supplémentaire. Cet avantage est accordé au cours de la durée de l’accord pour l’emploi et au plus tard le 31 décembre 1996. Un employeur ne peut bénéficier pour le même travailleur de cet avantage et de celui prévu dans la législation relative aux plans d’entreprise de redistribution du travail disponible. Par contre, il peut bénéficier simultanément d’autres réductions de cotisations patronales telles que Maribel ou la réduction des cotisations patronales pour les bas salaires. Il ne peut toutefois obtenir une exonération complète des cotisations patronales pour le travailleur concerné.

68L’avant-projet de loi, soumis à l’avis du Conseil d’État sous le titre d’“avant-projet de loi portant des dispositions sociales” [12] contient une ambiguïté qui rencontre des différences d’interprétation de l’accord interprofessionnel par les interlocuteurs sociaux.

Divergences et ambiguïté

69Peu après la signature de l’accord interprofessionnel, des divergences de vue sont apparues entre les organisations patronales et syndicales à propos de la compensation de la perte salariale occasionnée par une réduction éventuelle du temps de travail.

70La FEB rappelle que l’accord interprofessionnel offre une grande liberté de négociation en matière de défense et d’extension de l’emploi. Ces négociations sectorielles ou d’entreprise se doivent néanmoins de respecter les obligations légales, en particulier les dispositions relatives à la modération salariale. Le plan global, mis en œuvre sur ce point par l’arrêté royal du 24 mars 1994, impose une telle modération et interdit toute compensation salariale de la réduction du temps de travail. Trois exceptions sont néanmoins prévues : les plans d’entreprise qui aboutissent à une augmentation nette de l’effectif, les entreprises en difficulté ou en restructuration, les entreprises qui évitent des licenciements.

71L’organisation patronale s’est adressée le 11 janvier 1995 dans ce sens aux présidents de ses fédérations membres. Dans leur lettre, les dirigeants de la FEB appuient leur interprétation sur la position adoptée par le gouvernement lors du Conseil des ministres du 23 décembre 1994 ; celui-ci confirme que l’arrêté royal de modération salariale reste d’application en ce qui concerne les conventions conclues dans le prolongement de l’accord interprofessionnel.

72Du côté syndical, on envisage de négocier dans le cadre de l’accord interprofessionnel des réductions du temps de travail sans perte de salaire. La Centrale générale de la FGTB, par exemple, avait annoncé qu’il s’agissait là d’une revendication à défendre dans les entreprises. Plus généralement, les dirigeants syndicaux affirment “qu’enfermer les négociations revient à enrayer la concertation” [13]. Et ils rappellent que le préambule de l’accord interprofessionnel permet de négocier l’emploi compte tenu des possibilités offertes par la croissance, les gains de productivité, la rentabilité et la position concurrentielle des entreprises.

73Chargé de rendre un avis sur le projet de loi portant des mesures visant à promouvoir l’emploi – c’est-à-dire le projet qui contient les mesures légales nécessaires à la mise en œuvre de l’accord interprofessionnel – le Conseil d’État considère que le texte qui lui est soumis par le gouvernement n’est pas clair. Il lui reproche à la fois de permettre de déroger, mais de manière facultative, à la loi sur le travail qui interdit de réduire le salaire quand on réduit la durée du travail (article 7) et d’interdire toute compensation, même partielle, en vertu de l’arrêté du 24 décembre 1993 (exposé des motifs). À défaut de précision, c’est la modération salariale qui prévaut aux yeux du Conseil d’État. Celui-ci, estimant le texte ambigu sur ce point, presse le gouvernement de lui préciser son point de vue. Les avis sont cependant partagés en son sein.

74La ministre de l’Emploi et du Travail, Miet Smet, et les ministres socialistes rejoignent, avec des nuances, la position des syndicats [14] tandis que les ministres Melchior Wathelet et Herman Van Rompuy représentent au sein du gouvernement la tendance favorable à l’interprétation patronale. Le Premier ministre, Jean-Luc Dehaene, est également de cet avis, accordant la priorité au plan global. La résolution de cette difficulté aux implications importantes pour le gouvernement et pour la poursuite de la concertation sociale nécessitera plusieurs discussions en conseil de cabinet restreint et en Conseil des ministres.

75Un argument cité à diverses reprises par les défenseurs de la thèse syndicale s’appuie sur les projets existant pour le secteur public. Le ministre Johan Vande Lanotte a introduit un plan de redistribution du travail dans le secteur public dans lequel figurent des possibilités de réduction du temps de travail avec une compensation individuelle. La brèche ainsi ouverte par le gouvernement pour la fonction publique est évoquée par ceux qui voudraient voir appliquer un traitement semblable pour le secteur privé.

76Trois hypothèses sont envisagées par le gouvernement :

  • assimiler les conventions de secteur aux plans d’entreprise, pour autant qu’il y ait accroissement de l’emploi, ce qui autoriserait la compensation salariale de la réduction du temps de travail et irait dans le sens de l’interprétation syndicale ;
  • amputer le projet de loi de l’article posant question et de l’exposé des motifs qui l’accompagne, ce qui rendrait indispensable (et non plus facultative) la dérogation à la loi sur le travail qui interdit toute perte de rémunération en cas de réduction de la durée du travail et rencontrerait l’interprétation patronale dans la mesure où elle reviendrait à interdire toute compensation salariale ;
  • conserver le projet en l’état, sans tenir compte de l’avis du Conseil d’État et en laissant aux interlocuteurs sociaux le soin de se mettre d’accord lors des négociations d’entreprise.

77Cette dernière possibilité est finalement retenue. Le gouvernement “décide de ne pas décider” et le projet de loi tel qu’il est adopté par les Chambres [15] n’a pas tranché ce point de divergence. La loi du 3 avril 1995 (Moniteur belge du 22 avril 1995) permet de déroger à la loi sur le travail facultativement et, en même temps, elle impose la modération salariale. Les interlocuteurs sociaux restent sur leur position respective, le patronat confirmant que des instructions très précises ont été adressées aux négociateurs des autres niveaux pour qu’ils respectent la modération salariale, les syndicats considérant que la liberté est préservée et que rien ne s’oppose à l’obtention de compensations dans les entreprises.

Négociations sectorielles

78L’accord interprofessionnel, la convention collective de travail n° 60 et la loi du 3 avril 1995 fixaient tous trois au 31 mars 1995 la date avant laquelle les conventions collectives devaient être conclues en commission ou sous-commission paritaire. Une évaluation réalisée au 23 août 1995 révèle qu’à cette date, sur un total de 163 commissions ou sous-commissions paritaires, 59 conventions sont enregistrées au greffe du service des Relations collectives de travail. Parmi celles-ci, seules 22 (37,3 % des conventions ou 13,5 % des sous-commissions paritaires) ont été conclues avant le 31 mars 1995.

79Dans plusieurs commissions paritaires (secteurs du métal, du textile, du verre, de la sidérurgie), les négociations ont été particulièrement difficiles. L’analyse de ces négociations devrait à elle seule faire l’objet d’une étude spécifique. Aussi nous limiterons-nous à relever que les mesures préconisées en matière de promotion de l’emploi sont rarement chiffrées et qu’elles visent, dans de nombreux secteurs, à protéger le niveau actuel de l’emploi. Comme on va le voir, la plupart des accords prévoient un abaissement de l’âge de la prépension. Plus de la moitié d’entre eux font de la pause carrière un droit permettant une redistribution individuelle du travail. Seuls quelques accords instaurent une redistribution du travail tandis que les possibilités de passer volontairement à un horaire de travail partiel s’étendent.

Le plan d’embauche

80Le volet de l’accord portant sur le plan d’embauche a été transposé en termes légaux dans la loi du 21 décembre 1994 portant des dispositions sociales et diverses sous le titre “Plan d’embauche pour la promotion du recrutement des demandeurs d’emploi” [16]. Contrairement aux accords de promotion de l’emploi, les réductions de charges sociales patronales ne sont pas liées dans ce cas à un accroissement net de l’emploi. Les exonérations totales ou partielles sont octroyées pour l’engagement à temps plein ou à temps partiel de demandeurs d’emploi, le recrutement devant avoir lieu avant le 31 décembre 1996.

81Ainsi que le prévoit l’article 61 de la loi, le Conseil des ministres réuni le 23 décembre 1994 a approuvé le projet d’arrêté royal d’exécution du nouveau plan d’embauche. Il applique les dispositions prévues par l’accord interprofessionnel : réduction de 100 % des cotisations patronales de sécurité sociale pendant la première année de l’engagement d’un chômeur ou d’un bénéficiaire du minimex depuis deux ans, et de 75 % depuis un an [17]. Ces pourcentages étant respectivement portés à 75 % et 50 % pour la deuxième année de l’engagement.

82Le 17 mars 1995, le Conseil des ministres a approuvé un second projet d’arrêté royal qui instaure un avantage spécifique pour les demandeurs d’emploi particulièrement difficiles à placer, lors de leur engagement dans une entreprise d’insertion. Dans ce cas, la durée de l’avantage est portée à trois ans, l’exonération étant de 100 % la première année, 75 % la seconde année et 50 % la troisième année.

83Enfin, le 24 mars 1995, un troisième projet d’arrêté royal est adopté. Il a pour objet d’élargir le champ d’application du plan d’embauche. Il concerne les bénéficiaires du minimex qui ont travaillé, les handicapés, certains demandeurs d’emploi difficiles à placer, les personnes sortant de l’école qui n’ont pas droit aux allocations d’attente en raison du niveau insuffisant de leurs études, certains demandeurs d’emploi ayant travaillé à temps partiel pour lesquels il assouplit les conditions d’accès au plan avantage à l’embauche.

84Par ailleurs, la loi déjà citée du 3 avril 1995 portant des mesures visant à promouvoir l’emploi prévoit l’impossibilité de bénéficier des avantages prévus dans le plan avantage à l’embauche pour un travailleur pour lequel l’employeur bénéficie des réductions de cotisation sociale en cas d’engagement supplémentaire net dans le cadre d’un accord en faveur de l’emploi.

La prépension conventionnelle

85La loi du 3 avril 1995 portant des mesures visant à l’emploi contient dans son titre II les dispositions légales relatives à la mise en œuvre des points de l’accord traitant de la prépension conventionnelle. Ces dispositions permettent l’instauration en 1995 et 1996 de la prépension conventionnelle à partir de l’âge de 55 ans pour les travailleurs qui peuvent justifier d’une carrière de trente-trois ans au moins [18]. La loi crée également la base juridique d’un régime de prépension à mi-temps à partir de l’âge de 55 ans pour la période allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1996.

86Sur les 59 conventions collectives conclues en (sous) commission paritaire enregistrées au 23 août 1995, 46 prévoient cette possibilité, parfois en l’assortissant de conditions supplémentaires ; trois autres abaissent l’âge de la prépension à 56 ans ; vingt conventions instaurent la prépension à mi-temps à 55 ou 56 ans.

87Une convention collective de travail n°61 a été conclue au Conseil national du travail le 25 juillet 1995. Il s’agit d’une convention supplétive destinée à instaurer en 1996 le régime de la prépension à 55 ans moyennant une carrière de trente-trois ans au bénéfice des travailleurs âgés licenciés, occupés dans une branche d’activité qui ne relève pas d’une commission paritaire instituée ou lorsque la commission paritaire instituée ne fonctionne pas. Dans ce cas, il appartient aux employeurs de mettre en œuvre ce régime par voie d’adhésion à la convention n°61 (convention collective de travail, acte d’adhésion ou modification du règlement de travail) avec dépôt au Ministère de l’Emploi et du Travail.

Autres dispositions

88Les entreprises sont tenues de consacrer au cours des deux années couvertes par l’accord 0,15 % (en 1995) et 0,2 % (en 1996) de la masse salariale à des efforts en vue de la formation et de l’emploi des travailleurs ou des chômeurs appartenant aux groupes dits “à risque” ou auxquels s’applique un plan d’accompagnement. Une convention collective sectorielle ou d’entreprise doit mettre en œuvre cette disposition. À défaut, un versement équivalent doit être effectué en faveur du Fonds pour l’emploi.

89Les exonérations de stage des jeunes continuent à être accordées aux entreprises et aux secteurs qui prévoient par convention collective un effort d’au moins 20 % en moyenne visant à l’intégration et/ou à la formation de chômeurs suivant ou ayant suivi un plan d’accompagnement. Les entreprises doivent en outre effectuer entre le 1er avril 1995 et le 31 décembre 1996 des versements correspondant à 0,05 % de la masse salariale au Fonds pour l’emploi afin de financer le Plan d’accompagnement des chômeurs.

90Il est encore à noter qu’en sa séance du 20 décembre 1994, le CNT a conclu la convention collective du travail n° 59 [19] dont l’objet est de prolonger pour 1995 et 1996 l’octroi d’un double pécule de vacances pour le troisième jour de la quatrième semaine de vacances. Une demande au gouvernement y est jointe : elle vise à ce que le gouvernement prenne, comme il s’y est engagé, les mesures nécessaires afin que cette indemnité ne soit pas prise en considération dans la base de calcul des cotisations de sécurité sociale.

Conclusions

91Ce Courrier hebdomadaire relate les principaux événements qui ont marqué la concertation sociale en Belgique au cours d’une période qui s’étend sur près de deux années. Il prend pour point de départ l’échec des négociations destinées à renouveler le pacte social, principale référence des relations collectives du travail depuis la fin de la seconde guerre, et se termine sur l’état de l’exécution de l’accord interprofessionnel à l’été 1995. Soit au moment où débute la concertation relative au plan pluriannuel pour l’emploi décidée par le gouvernement. Si les deux processus décrits dans ces pages poursuivent partiellement des objectifs semblables, ils connaissent l’un et l’autre des modalités et des rythmes propres. Ils associent dans des interactions multiples trois acteurs – le gouvernement, le patronat et les syndicats – dans des rôles qui évoluent.

Deux processus successifs

92Rappelons rapidement pour resituer ces événements que, face à la difficulté de réunir les interlocuteurs sociaux sur un projet de nouveau pacte social suscité par lui, le gouvernement élabore un plan global pour l’emploi, la compétitivité et la sécurité sociale. Le plan global est fortement contesté par les syndicats, qui critiquent tant les mesures envisagées en matière de compétitivité, d’emploi et de sécurité sociale ou l’absence de dispositions en matière de démocratie sociale et économique que le manque de répartition équitable des efforts, en particulier dans le domaine fiscal. Côté patronal, on considère que le plan global est un premier pas dans la bonne direction, mais il est jugé insuffisant pour rétablir la compétitivité ou pour assainir la sécurité sociale et on lui reproche ses dispositions fiscales pour leurs effets qualifiés de néfastes pour l’activité économique.

93Les contestations syndicales prennent notamment la forme de journées de grève – en particulier une grève générale, “historique” puisque sans précédent depuis 1936 – qui provoquent de vives réactions dans le monde patronal, lequel se perçoit victime de mouvements qui visent en fait le pouvoir politique. Les mouvements d’action et autres formes de pression syndicale forcent néanmoins le gouvernement à la discussion, si pas à la négociation. Mais ils n’arrivent guère à infléchir les décisions de l’exécutif. Celles-ci sont l’objet de tensions et d’arbitrages au sein du gouvernement lui-même, notamment parce que certains partenaires de la coalition sont sensibles aux critiques formulées par les organisations de travailleurs et les relaient partiellement. Les syndicats obtiennent que les interlocuteurs sociaux soient associés à la mise en œuvre de certaines dispositions du plan global. Si, dans quelques cas, ils ont pu modaliser des aspects de l’application des décisions gouvernementales, dans d’autres ils n’ont pu aller au-delà de la formulation de leurs positions respectives (c’est le cas pour la sécurité sociale), sans aboutir à un compromis.

94Près d’un an après l’abandon des négociations sur le pacte social, les interlocuteurs sociaux se retrouvent pour conclure un accord interprofessionnel. Le treizième dans l’histoire sociale du pays, mais aussi l’un des plus difficiles à négocier. La liberté de négociation salariale a été restaurée de 1986 à 1994 ; les mesures du plan global la restreignent et limitent drastiquement le “champ du négociable” : augmentations salariales et avantages nouveaux sont proscrits par les dispositions prises dans le cadre du plan global en vertu de la loi de sauvegarde de la compétitivité. Et si les représentants patronaux et syndicaux conviennent rapidement d’axer exclusivement sur l’emploi leurs conversations et le contenu d’un éventuel accord, leurs positions respectives apparaissent difficilement conciliables. L’aboutissement des négociations, résultat de compromis multiples au sein-même des organisations, entre interlocuteurs sociaux et avec le gouvernement, ne s’opère que grâce à l’assentiment et à l’intervention financière du gouvernement qui, s’il s’était engagé à faire en sorte qu’un accord interprofessionnel puisse être conclu, a été quelque peu “dépassé” par les demandes appuyées de ce qui a été présenté comme un “front commun” des interlocuteurs sociaux, aussi solidement que passagèrement soudé à ce stade de leurs relations. Il n’en demeure pas moins que le gouvernement devient encore davantage un acteur à part entière de la négociation interprofessionnelle au sommet de la hiérarchie des relations collectives de travail. Son rôle est assurément l’un des éléments centraux sur lesquels l’analyse des événements abordés dans ce Courrier hebdomadaire se doit de porter.

De la négociation a la concertation

95Le terme “concertation” – tout comme son équivalent “overleg” en néerlandais – est fréquemment utilisé dans un sens fort large qui recouvre l’ensemble des modalités que prennent les “relations collectives du travail”, à quelque niveau que ce soit. On emploie en fait souvent dans le langage courant le terme concertation pour ce qui est en fait de la négociation. Par commodité, nous n’évitons pas cette utilisation, y compris dans le titre de la présente étude. Il existe néanmoins une conceptualisation plus précise de cette notion, formalisée au CRISP [20], selon laquelle le terme “concertation” doit être réservé à l’action menée de concert par les pouvoirs publics qui se joignent aux représentants des travailleurs et des employeurs, c’est-à-dire à la forme la plus poussée de co-décision tripartite. Tandis que le terme “négociation” a trait spécifiquement aux rapports collectifs entre employeurs et travailleurs. À l’origine de la négociation se trouve le dépôt de la revendication des travailleurs, en période de conflit ou non, et l’évaluation des rapports de forces entre les parties ainsi que des probabilités et des effets prévisibles d’un conflit ouvert en cas de refus de négocier ou d’imposition de conditions difficilement acceptables.

96L’accord interprofessionnel relève historiquement de la négociation au sens où nous venons d’approcher ce terme. C’est l’acceptation commune des organisations syndicales et patronales de négocier qui conduit à des rencontres bipartites entre elles. Leurs représentants définissent eux-mêmes le contenu de leurs discussions, en tenant compte du contexte socio-économique et de l’état du rapport de forces entre eux, sans devoir s’en référer à un tiers, par exemple le gouvernement. Dès les premiers accords de programmation sociale des années 1960, si ce dernier intervient, c’est généralement en fin de processus, lorsqu’il s’agit de donner une forme légale ou réglementaire à l’exécution des dispositions adoptées par les protagonistes de la négociation. Et s’il lui arrive de devoir intervenir en cours de négociation, c’est davantage pour faciliter la négociation ou pour jouer un rôle d’arbitre, à la demande des parties en présence.

97Le premier choc pétrolier, la crise économique dont on s’accorde aujourd’hui à dire qu’elle est le premier signe d’une mutation sociale de grande ampleur, ont peu à peu introduit des changements profonds dans les relations collectives du travail. Le domaine d’action des organisations syndicales et patronales était jusqu’alors relativement délimité et surtout elles étaient autonomes dans des matières telles que la formation des salaires, la durée du travail, l’organisation de leurs relations, la définition de certains progrès sociaux, etc. Suite à l’évolution socio-économique, le gouvernement est intervenu, dès 1976, dans des matières qui étaient jusqu’alors réservées aux interlocuteurs sociaux : blocages salariaux, index, législations touchant à certains aspects des relations collectives [21] ont été le fait du gouvernement alors que les interlocuteurs sociaux n’arrivaient pas à s’entendre pour conclure un accord interprofessionnel pendant dix ans.

98Ils renouent avec cette tradition de négociations bipartites extérieures à tout cadre institutionnalisé en 1986 et obtiennent la restauration de la liberté de négociation, particulièrement en matière salariale. Ils acceptent de la soumettre à une référence commune : la capacité compétitive des secteurs et des entreprises, préoccupation centrale des gouvernements depuis 1982. Une telle préoccupation n’était toutefois pas absente lors des négociations des années 1960 à 1975. À cette période déjà, les représentants des employeurs étaient particulièrement sensibles à l’impact des décisions interprofessionnelles sur la santé économique des entreprises [22]. La loi du 6 janvier 1989 sur la sauvegarde de la position compétitive du pays apporte des instruments légaux qui permettent au gouvernement d’intervenir rapidement en cas de dégradation de la compétitivité. Le consensus est d’ailleurs assez large entre les interlocuteurs sociaux sur la notion de compétitivité et sur la nécessité de veiller à son maintien. Il est par contre loin d’être atteint sur la manière d’évaluer la position compétitive et sur les moyens à mettre en œuvre pour la restaurer le cas échéant. L’actualité remet d’ailleurs cette question à l’avant-plan, en particulier dans le contexte de l’adoption du plan global, et une évaluation ainsi qu’une révision de la loi sont entamées.

99C’est dans un contexte marqué par l’intervention gouvernementale dans les domaines d’action des interlocuteurs sociaux que se déroulent les deux processus examinés dans la présente publication. La négociation de l’accord interprofessionnel est enserrée dans les limites fixées par le gouvernement dans son plan global. Et il faut sans doute voir dans la ténacité des interlocuteurs sociaux à vouloir conclure un accord au cours de l’automne 1994, alors qu’ils étaient en proie à des oppositions fondamentales quant aux orientations à donner à leurs discussions et aux mesures à adopter, une volonté de se réapproprier une part de leur autonomie. Mais les interlocuteurs sociaux ont dû aussi prendre en compte les marges de manœuvre que leur laissait le gouvernement et ils ont dû compter sur lui pour concrétiser l’objet de leur consensus : le financement de réductions de charges sociales patronales en vue de favoriser l’embauche. Avant, pendant, et après la négociation interprofessionnelle, le gouvernement est présent. Il est l’acteur qui fixe des balises, que l’on consulte sur les moyens qu’il est prêt à octroyer, à qui on demande l’assentiment une fois l’accord conclu, et qui participe à sa mise en œuvre.

100Plus que pour les derniers accords interprofessionnels à propos desquels on aboutissait à des conclusions semblables [23], celui-ci semble confirmer le passage des relations collectives interprofessionnelles d’une ère de négociation à une ère de concertation. Les pôles de la concertation ne sont néanmoins pas tous trois sur pied d’égalité : dans les interactions qui les lient, le gouvernement semble occuper une position dominante comme en atteste son attitude qui, depuis 1986 [24], soit tend à faire de l’accord interprofessionnel un instrument de sa politique, soit ne l’accepte que pour autant qu’il se coule dans ses orientations politiques.

101Le rôle du gouvernement ne peut être tout à fait isolé de la composition de celui-ci, ni des rapports qu’entretiennent les interlocuteurs sociaux avec les partis de la coalition. Ces relations sont complexes, en particulier en ce qui concerne le patronat. Contrairement aux syndicats qui sont plus ou moins proches de certains partis, la FEB en particulier – mais c’est le cas également pour l’Union des classes moyennes francophone et pour le Front vert des organisations agricoles – entretiennent des relations avec les partis moins aisément saisissables, ces organisations ne disposant pas des mêmes relais que les syndicats par rapport aux partis politiques.

102Les tensions ont été vives entre les syndicats et les partis politiques dont ils sont les plus proches – même si leurs relations ne sont pas exclusives – en particulier lors de l’adoption du plan global. Si les syndicats pouvaient redouter que leurs actions participent à un renversement de majorité gouvernementale, ils n’en demeuraient pas moins fort critiques à l’égard de l’action du gouvernement.

103Des événements relatés dans ces pages, on retiendra qu’en tout état de cause, si les interlocuteurs sociaux ont renoncé à définir un nouveau pacte social, ils n’ont pas pour autant mis un terme à la concertation sociale. Malgré les vives tensions et les revendications non abouties de part et d’autre, l’ensemble du système n’est remis en cause par aucun des acteurs. Il prend sans doute aujourd’hui des configurations nouvelles, moins formelles, auxquelles il conviendra d’être attentif en observant les développements de la concertation à l’avenir. Jo Walgrave, présidente du Conseil national du travail, observe aussi qu’“à côté de la concertation sociale formelle et bipartite, plutôt technique avec confirmation par le législateur, il y a de plus en plus, au niveau interprofessionnel, une concertation tripartite informelle ; celle-ci devient plus importante en raison des problèmes de société de plus en plus difficiles à résoudre et les partenaires sociaux, avec des points de vue différents, touchent à l’intérêt public” [25]. Participe notamment de cette évolution le partage des tâches entre les acteurs de la concertation. La frontière qui sépare le champ d’action des interlocuteurs sociaux et du gouvernement est non seulement perméable ; elle varie en outre dans le temps [26].

Transformation des rapports sociaux

104Un échec des négociations bipartites en 1994 aurait sans doute sérieusement hypothéqué, pour les interlocuteurs sociaux, les chances de reprendre l’initiative ainsi qu’un certain contrôle dans les matières qui font habituellement l’objet de leurs négociations. Peut-être aurait-il ouvert la route à une décentralisation accrue de la concertation sociale au niveau des régions ainsi que le souhaitent certains, surtout en Flandre où une concertation tripartite est déjà effective. Du reste, il ne faut pas attribuer à leur réussite plus de sens qu’elle n’en a réellement. Le contenu de l’accord demeure relativement léger : il ne coûte presque rien au patronat, il ne contient pas de mesures obligatoires ou coercitives, ni d’objectif de résultats, et les débuts de sa mise en œuvre montrent qu’il ne s’indique pas d’être trop optimiste sur ses retombées concrètes. La pérennité du système, elle, semble assurée. La fonction de légitimation des organisations interprofessionnelles et nationales est remplie. L’accord interprofessionnel balise le champ de la négociation dans les secteurs et dans les entreprises tout en laissant aux négociateurs à ces niveaux le soin d’élaborer des dispositifs concrets. Les orientations adressées aux mandants des négociateurs syndicaux (essentiellement les centrales professionnelles) et patronaux (les fédérations de secteur) leur laissent une grande latitude à l’intérieur d’un cadre relativement précontraint.

105On observe néanmoins que le rôle de la concertation sur le plan national et interprofessionnel est en proie à d’importantes transformations. La fonction d’encadrement des négociations aux autres niveaux est toujours présente ; mais sa signification subit des changements. Notamment parce que l’objet des négociations à changé. Il n’est plus tant question d’étendre à un maximum de secteurs ce que les fruits de la croissance ont permis d’obtenir dans les secteurs les plus forts. Aujourd’hui, il s’agit plutôt de participer la co-gestion de la crise : on parle de préoccupation pour les sans emploi et pour les plus fragilisés du marché du travail, on définit de nouveaux modes d’interventions des interlocuteurs sociaux, on les associe sur de nouveaux thèmes [27]. Par ailleurs, la fonction des accords interprofessionnels comme assurance de paix sociale ne suffit plus au patronat, à une période où le rapport de forces lui est plutôt favorable. Depuis quelques années, on voit les organisations d’employeurs se présenter avec des revendications propres et refuser depuis près de dix ans de faire suite aux revendications syndicales relatives à la durée du temps de travail (généralisation de la semaine de 38 heures) ou à la démocratie sociale (présence syndicale dans les petites et moyennes entreprises).

106Ces enjeux font d’ailleurs partie de ceux sur lesquels tout compromis semble actuellement impossible. Ils réapparaissent à différents moments de la concertation sociale. Ainsi, entre le plan global et l’accord interprofessionnel, il y a une continuité sur ces thèmes déjà apparus lors de négociations interprofessionnelles antérieures : les syndicats qui avaient espéré trouver dans le plan global, à titre de compensation, des mesures relatives aux délégations syndicales dans les pme ou quant à la généralisation des 38 heures/semaine (qui concerne quelque 200.000 travailleurs appartenant principalement à des pme) n’aboutissent pas plus par la voie traditionnelle de la négociation.

107Le contexte de la concertation sociale, le contenu des relations collectives de travail, les rapports entre interlocuteurs sociaux et gouvernement, connaissent des transformations profondes. À la suite de l’accord interprofessionnel du 7 décembre 1994, les patronats et les syndicats des secteurs et des entreprises négocient sur une matière qui n’a pas encore une longue tradition dans le champ de la négociation sociale : l’emploi. L’évaluation qui en est faite après huit mois fait apparaître des résultats en termes d’accroissement de l’emploi net comme en termes de lutte contre le chômage peu probants. Secteurs et entreprises auxquels le patronat avait voulu laisser toute autonomie pour définir les moyens à mettre en œuvre afin de rencontrer l’objectif de création d’emploi (alors que les syndicats voulaient définir des “formules” générales sur le plan interprofessionnel) n’arrivent guère à faire autre chose que faire subsidier des absences de suppression d’emploi par la sécurité sociale. Est-ce, comme en a fait l’hypothèse un représentant patronal, parce que les négociateurs à ces niveaux sont habitués à négocier des avantages quantitatifs (comme des augmentations salariales ou d’autres améliorations sociales) qu’ils ne négocient pas facilement sur une “nouvelle” matière comme l’emploi ? Sans doute y a-t-il aussi la difficulté de négocier pour les autres (les sans emploi) plutôt que pour soi ainsi qu’y invite le dernier accord interprofessionnel.

108L’enchaînement des différentes séquences abordées dans ce Courrier hebdomadaire – pacte social, plan global, accord interprofessionnel – s’inscrit dans une histoire qui n’est pas achevée. Les processus analysés, les évolutions appréhendées ne cessent de sortir leurs effets en particulier au moment où débute la concertation sur le plan pluriannuel pour l’emploi.

Annexes

1 – Projet d’accord interprofessionnel (lettre de J.-L. Dehaene à G. Jacobs, décembre 1994)

109“Le Gouvernement se réjouit de la conclusion d’un projet d’accord interprofessionnel pour la période 1995-1996, mettant l’accent principal sur la promotion de l’emploi. Le Gouvernement s’engage à mettre tout en œuvre pour créer les circonstances dans lesquelles cet accord peut générer les meilleurs résultats en termes de création d’emplois. Il constate que le texte du projet correspond au consensus qui s’est dégagé en cette matière lors de l’entretien entre le Gouvernement et les interlocuteur sociaux.

110Le Gouvernement souligne et confirme :

  • qu’il prendra une initiative législative afin de fixer définitivement l’âge de la prépension à 58 ans à partir de 1997 ;
  • qu’il encouragera la prépension à mi-temps par le biais de la suppression de la cotisation spéciale ;
  • que l’exclusion de la base de perception des cotisations ONSS de l’indemnité correspondant au double pécule de vacances du troisième jour de la quatrième semaine, ne comporte pas d’engagement de sa part quant à la prorogation de cette exclusion au-delà de la durée du présent accord ;
  • que les diminutions de cotisation en application des accords sectoriels en faveur de l’emploi prennent fin en date du 31.12.1996 ;
  • que, sur une base de concertation et pour des raisons de faisabilité technique, une formule équivalente sera recherchée pour la cotisation patronale compensatoire dans le cadre de la proposition relative aux prépensions.

111Le Gouvernement entend en outre procéder à une évaluation permanente du contenu et de l’impact des conventions sectorielles afin d’en tirer les conclusions politiques qui s’imposent”.

2 – Accord interprofessionnel du 7 décembre 1994 pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1996

112“Les interlocuteurs sociaux entendent, dans le cadre de leurs responsabilités, apporter une contribution commune à la promotion de l’emploi, la sauvegarde de la compétitivité en étant une condition essentielle. Les interlocuteurs sociaux estiment en effet qu’il est indispensable d’offrir des perspectives aux demandeurs d’emploi.

113Dans cette optique et compte tenu des possibilités offertes par la croissance économique, les gains de productivité, la rentabilité et la position concurrentielle des entreprises, les organisations s’engagent à axer les négociations pour la période 1995-1996 au niveau sectoriel, exclusivement sur la défense ou l’extension de l’emploi. En l’absence d’accord sectoriel, les négociations au niveau des entreprises doivent s’inspirer de la même priorité pour l’emploi.

114Dans le cadre de leurs négociations, les organisations privilégieront les formules les plus adaptées aux caractéristiques et besoins des entreprises et des travailleurs.

115Les secteurs et les entreprises déjà couverts par des accords ou des dispositions légales fixant leur effort en matière d’emploi pour la période 1995-1996 restent régis par ces accords et dispositions. Toutefois, ils ont la faculté de bénéficier des dispositions du présent accord sur la base des conditions prévues au chapitre I, § 1 et 2.

I – Emploi

116En complément des mesures existantes et en vue d’harmoniser le plan d’embauche des jeunes, l’embauche dans le cadre du plan d’accompagnement et les incitants pour l’embauche de chômeurs de longue durée, les interlocuteurs sociaux proposent, après concertation avec le gouvernement, les formules suivantes :

1 – Accords sectoriels en matière d’emploi

117Les interlocuteurs sociaux proposent en vue de promouvoir l’emploi la formule suivante en application de conventions sectorielles.

118Les employeurs qui, sur la base d’une convention collective du travail de promotion de l’emploi conclue en commission paritaire, réalisent un accroissement net du personnel ont droit, pendant la durée du présent accord, à une dispense des cotisations ONSS patronales, avec un maximum de 37.500 F par trimestre, par embauche nette supplémentaire. S’il s’agit d’un demandeur d’emploi en chômage depuis plus d’un an au moment du recrutement, la formule proposée sous le 1.3 est applicable si elle est plus favorable.

119La période de référence pour évaluer l’accroissement net du personnel est le trimestre correspondant de l’année précédente.

120Les accords ou actes d’adhésion souscrits au niveau de l’entreprise en exécution d’une convention sectorielle doivent être soumis pour approbation à la commission paritaire.

2 – Accords d’entreprise en matière d’emploi

121La période de négociation au niveau d’une commission paritaire se termine au 31 mars 1995 au plus tard, sauf si les parties constatent avant cette date l’impossibilité de conclure un accord. À ce moment, la possibilité de conclure un accord d’entreprise est ouverte.

122S’il y a conclusion d’un accord d’entreprise pour lequel on sollicite le bénéfice des avantages majorés pour la durée du présent accord, celui-ci doit préalablement être approuvé par la commission paritaire.

123Pour les entreprises où il n’existe ni conseil d’entreprise, ni délégation syndicale et qui appliquent un plan d’entreprise, le bénéfice des avantages majorés pour la durée du présent accord est subordonné à l’approbation de la commission intersectorielle instituée au Ministère de l’Emploi et du Travail.

124Dans les autres cas de plans d’entreprise, les dispositions actuelles restent d’application.

3 – Plans d’embauche pour la promotion du recrutement de certains demandeurs d’emploi

125En cas de recrutement au cours de la période 1995-1996 d’un demandeur d’emploi en chômage depuis plus d’un an, l’employeur bénéficie automatiquement d’une réduction des cotisations patronales à concurrence de :

  • 75 % pour le trimestre au cours duquel l’embauche est réalisée et les quatre trimestres suivants ;
  • 50 % pour le cinquième au huitième trimestre inclus qui suit le trimestre d’embauche.

126Lorsqu’il s’agit d’un demandeur d’emploi comptant deux ans de chômage, cette exonération est de 100 % des cotisations patronales pour le trimestre au cours duquel l’embauche est réalisée et les quatre trimestres suivants, et de 75 % de la cotisation patronale pour le cinquième au huitième trimestre qui suit le trimestre d’embauche.

127Pour le calcul de la durée du chômage, la période d’attente est prise en compte.

128Les demandeurs d’emploi qui bénéficient depuis 1 an, respectivement 2 ans, du minimum de moyens d’existence prévu par la loi du 7 août 1974 entrent également en considération pour la réduction de cotisations.

4 – Prépensions

129Les interlocuteurs sociaux proposent que l’âge de la prépension conventionnelle puisse, par voie de convention collective de travail conclue en commission paritaire, être ramené, pour une période limitée aux années 1995-1996, à l’âge de 55 ans moyennant une carrière professionnelle de 33 ans. Il est convenu que la durée d’assimilation du chômage est limitée à 5 ans au maximum.

130Sans préjudice des dispositions existantes, les partenaires proposent que, si le prépensionné est remplacé par un chômeur de longue durée (plus d’un an de chômage), l’entreprise soit redevable à la sécurité sociale d’une cotisation mensuelle s’élevant à un tiers de l’indemnité complémentaire, à titre d’intervention dans le coût supplémentaire pour la sécurité sociale découlant de ce mécanisme. En cas de remplacement par un autre travailleur, la cotisation s’élève à la moitié de l’indemnité complémentaire. Cette cotisation reste due jusqu’au moment où le prépensionné atteint l’âge de 58 ans.

131Si les dispositions en matière de prépension s’accompagnent d’une augmentation de l’emploi, les avantages prévus dans les accords sectoriels sont d’application.

5 – Information et évaluation

132Les parties conviennent d’élaborer, avant le 31 mars 1995, au sein du Conseil national du travail, une formule relative au rapport à fournir par l’employeur sur les incitants en matière d’emploi.

133D’autre part, les parties conviennent également de terminer, avant fin 1995, l’évaluation globale prévue par l’article 89 de la loi du 31 mars 1994 au Conseil national du travail et au Conseil central de l’économie.

134En outre, il sera procédé dans le courant de l’année 1996 à une étude sur l’évolution de l’emploi au Conseil national du travail.

II – Prolongation de l’accord 1993-1994 en 1995 et 1996

Efforts spécifiques en matière d’emploi

135Les interlocuteurs sociaux proposent que la cotisation de 0,1 % qu’ils ont consacrée en 1993-1994 au financement du plan d’accompagnement et que le gouvernement a prolongé jusqu’au 31 mars 1995, soit affectée :

  • à concurrence de 0,05 %, au financement du plan d’accompagnement, et ce pendant la période du 1er avril 1995 au 31 décembre 1996. Ils proposent que les réserves actuellement disponibles au Fonds de l’emploi soient par ailleurs consacrées à ce financement ;
  • à concurrence de 0,05 % :
    • pour une période du 1er avril 1995 au 31 décembre 1995, comme intervention dans le déficit du régime du congé-éducation payé. Il est proposé que les sommes encore disponibles de la cotisation de 0,05 % de 1994 pour l’accueil des enfants soient par ailleurs transférées au régime du congé-éducation payé comme contribution unique à l’apurement partiel de la dette du système ;
    • pour la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1996, pour majorer l’effort de 0,15 % en faveur de l’emploi et de la formation dans les secteurs et entreprises (voir infra).

136Compte tenu de la décision du gouvernement de ramener le prélèvement de 0,1 % du plan d’accompagnement à 0,05 %, les interlocuteurs sociaux sont d’accord pour porter, par voie d’accords sectoriels ou d’entreprise, l’effort de 0,15 % dans les secteurs/entreprises à 0,2 % en 1996, selon des formules tenant compte des caractéristiques du secteur ou de l’entreprise.

137Il est demandé au gouvernement de prolonger l’exemption d’obligation de stage pour les secteurs et entreprises qui fournissent un effort en faveur des groupes à risque et collaborent effectivement au plan d’accompagnement, à condition qu’ils fassent un effort de 0,20 % sur la période 1995-1996.

138Les interlocuteurs sociaux sont d’accord pour prolonger en 1995-1996 la cotisation de 0,05 %, laquelle sera destinée à l’intervention dans les frais du personnel assurant l’accueil des enfants de 0 à 3 ans, ainsi que l’accueil dans le parascolaire.

139Il sera procédé dans le courant de 1996 à l’évaluation de ces mesures.

Pécule de vacances

140La CCT n° 52 relative à l’octroi d’une indemnité complémentaire unique égale au double pécule de vacances du troisième jour de la quatrième semaine sera prolongée pour la période 1995-1996. La prolongation de l’exclusion de la base de perception des cotisations ONSS fait partie de cet accord.

141Les interlocuteurs sociaux ont pris acte de la déclaration du gouvernement, lequel veut assurer en 1995-1996 le financement du système des salaires fictifs pour les périodes assimilées pour le calcul du pécule de vacances légal des ouvriers.

III – Dispositions finales

142Conscients que la diminution du coût du travail est un élément qui contribue à l’emploi, les interlocuteurs sociaux ont défini un certain nombre de mesures à cet égard.

143Les interlocuteurs sociaux déclarent avoir, pour la durée de l’accord, rencontré leurs exigences mutuelles pour les matières faisant l’objet de leur accord.

144Les interlocuteurs sociaux ont pris acte de la confirmation que le Premier ministre a donnée au nom du gouvernement et aux termes de laquelle il constatait que le présent texte correspondait au consensus qui s’est dégagé en cette matière lors de l’entretien du 28 novembre entre le gouvernement et les interlocuteurs sociaux. L’approbation du gouvernement porte également sur la demande de garantir qu’aucune mesure ne sera prise qui pèserait sur les coûts salariaux ou affecterait l’organisation du travail pour les matières faisant l’objet de l’accord.

145La recherche d’un climat de paix sociale par toutes les organisations est considérée par les signataires comme une contribution importante à la réalisation du présent accord”.

146Pour la Fédération des Entreprises de Belgique

147W. Beirnaert, G. Jacobs, T. Vandeputte

148Pour le “Nationaal Christelijk Middenstandsverbond”

149P. Thys

150Pour l’Union syndicale des Classes moyennes de Belgique

151R. Mené

152Pour le Front Vert des Organisations agricoles

153N. Devisch

154Pour la Confédération des Syndicats chrétiens de Belgique

155J. Piette, W. Peirens

156Pour la Fédération générale du Travail de Belgique

157M. De Vits, Fr. Janssens

158Pour la Centrale générale des Syndicats libéraux de Belgique

159G. Haaze

Notes

  • [1]
    On se référera à l’analyse qui en est faite dans le premier volume de cette étude (Courrier hebdomadaire, n° 1496-1497).
  • [2]
    Comparativement aux cinq principaux partenaires commerciaux, le handicap serait de 4 %.
  • [3]
    Auxquels viennent encore s’ajouter quelque 24.000 chômeurs complets indemnisés dispensés pour raison sociale, familiale ou de reprise d’études. Remarquons par ailleurs que la totalisation des données citées ici ne donne qu’une vue incomplète du sous-emploi en Belgique. Pour approcher celui-ci, il conviendrait d’ajouter les autres catégories de demandeurs d’emploi (en particulier les chômeurs à temps partiel).
  • [4]
    On notera toutefois que la fédération du secteur de la transformation du bois (Fébelbois), membre de la FEB, a décidé à la même période de se retirer de l’organisation patronale interprofessionnelle. Il semblerait néanmoins que cette démission soit l’aboutissement d’un processus en cours depuis un certain temps, l’accord interprofessionnel – que n’approuvaient pas les dirigeants de Fébelbois – représentant l’occasion, non pas la cause, de cette décision. Il est par ailleurs vrai que ce secteur est confronté à des difficultés économiques et à une pression concurrentielle internationale considérable. Et cette démission intervient au moment où l’organisation sectorielle met en œuvre une reforme de ses structures, qui précède notamment de la création d’ailes régionales flamande et wallonne.
  • [5]
    La période de référence pour évaluer l’accroissement net du personnel est le trimestre correspondant de l’année précédente.
  • [6]
    Ils proposent en outre que les réserves disponibles au Fonds de l’emploi soient également consacrées à ce financement.
  • [7]
    Ils proposent en outre que les sommes encore disponibles de la cotisation de 0,05 % de 1994 destinée à l’accueil des enfants soient transférées au régime du congé-éducation payé comme contribution unique à l’apurement partiel de la dette du système.
  • [8]
    Comme le gouvernement décide de ramener la cotisation relative au plan d’accompagnement à 0,05 % (au lieu de 0,1 %), les interlocuteurs sociaux sont favorables à ce que des accords sectoriels ou d’entreprise portent l’effort en faveur de l’emploi et de la formation de 0,15 % à 0,2 % en 1996, selon des formules qui tiennent compte des caractéristiques du secteur ou de l’entreprise.
  • [9]
    Il s’agit de prolonger la convention collective du travail n° 54 du 23 février 1993 qui elle-même prolongeait, pour 1993 et 1994, la convention collective n° 52 visant l’octroi en 1992 d’un double pécule de vacances pour le troisième jour de la quatrième semaine de vacances.
  • [10]
    En 1993 et 1994, ce financement était assuré par le Fonds commun et le Fonds de solidarité existants au sein de l’ONVA, proportionnellement aux réserves de ces fonds.
  • [11]
    Doc. parl., Chambre, n° 1721, (1994-1995), 22 février 1995.
  • [12]
    Que le Conseil d’État proposera de modifier en “projet de loi portant des mesures visant a promouvoir l’emploi”.
  • [13]
    Le Soir, 3 février 1995.
  • [14]
    Les ministres PS rejoignent la revendication syndicale de liberté absolue de négociation tandis que Miet Smet et les ministres SP adoptent un point de vue plus nuancé en autorisant des compensations partielles de la perte de salaire pour inciter à la redistribution du travail.
  • [15]
    En Commission des Affaires sociales du Sénat, plusieurs membres sont intervenus au sujet de l’article litigieux. Dans sa réponse, la ministre de l’Emploi et du Travail indique que “jusqu’à présent, les partenaires sociaux ne se sont guère montrés disposés à procéder à une redistribution du travail”, Doc. parl., Sénat, n° 1346-2 (1994-1995), pp. 2-3. En séance plénière, l’article 7 a été l’objet d’amendements visant à le supprimer. Ils ont été rejetés.
  • [16]
    Le plan d’embauche a pris par la suite le nom de plan avantage à l’embauche.
  • [17]
    Période d’un ou deux ans qui peut avoir été interrompue pendant quatre mois au maximum.
  • [18]
    On notera que l’âge général de la prépension sera fixé à 58 ans minimum au 1er janvier 1997.
  • [19]
    Rendue obligatoire par arrêté royal du 27 janvier 1995 (Moniteur beige du 15 mars 1995).
  • [20]
    Voir E. Arcq, Les relations collectives du travail en Belgique, Dossier du CRISP n° 17, 1982.
  • [21]
    Par exemple, en 1985, la reconnaissance des cadres comme catégorie spécifique de travailleurs et l’acceptation de leurs organisations pour les élections sociales.
  • [22]
    Il faut admettre cependant qu’en période de croissance quasi continue la problématique se pose en d’autres termes qu’en période de crise prolongée, d’une part, et qu’âpres 1986, l’influence du gouvernement à ce propos demeure constante, celui-ci menaçant d’agir en cas de “dérapage”, d’autre part.
  • [23]
    On se référera aux Courriers hebdomadaires du CRISP n° 1137, 1223-1224, 1297-1298 et 1388-1389 respectivement consacrés aux accords interprofessionnels de 1986, 1988, 1990 et 1992 pour se convaincre d’une semblable évolution et appréhender les formes qu’elle prend à chaque fois.
  • [24]
    Déjà en 1981, le gouvernement à imposé ses vues aux interlocuteurs sociaux, les menaçant – s’ils n’aboutissaient à une convention aux effets similaires entre eux – d’imposer des mesures de modération par la loi.
  • [25]
    L’Écho, 24 novembre 1995.
  • [26]
    Ainsi que le fait apparaître Th. Beaupain, “Belgium” in A. Trebilcock et. al., Towards social dialogue : Tripartite cooperation in national economic and social policy-making, Genève, Bureau international du Travail, 1994, pp. 121-163.
  • [27]
    On notera à ce propos une évolution significative de ces dernières années : en matière de politique de l’emploi, on introduit l’idée d’évaluer l’efficience des mesures de promotion de l’emploi décidées, et en outre on associe – en le stipulant formellement dans la législation – les interlocuteurs sociaux à cette évaluation.
Pierre Blaise
Thérèse Beaupain
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/07/2014
https://doi.org/10.3917/cris.1498.0001
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