CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Avant-propos

1 En analysant les activités du Conseil culturel et du Cultuurraad, les auteurs ont souhaité déterminer l’évolution de l’autonomie culturelle telle qu’elle fut définie et mise en place par la Constitution révisée.

2 Le titre choisi pour le présent document met l’accent sur trois notions bien précises : le temps ; l’évolution des deux institutions et l’origine de celles-ci.

3 L’origine du Conseil culturel et du Cultuurraad se trouve dans la loi fondamentale ; les principes définis par la Constitution furent ultérieurement complétés par les lois du 3 et du 21 juillet 1971.

4 Identiques pour les deux communautés, les textes législatifs auraient pu laisser supposer que les deux institutions allaient suivre une évolution parallèle ou du moins relativement proche l’une de l’autre Cela ne fut pas le cas ; les deux Conseils s’engagèrent dans des voies différentes, correspondant aux aspirations différentes des deux communautés.

5 La séance d’installation des deux Conseils culturels eut lieu le 7 décembre 1971, et les premières séances se tinrent au cours du premier trimestre de 1972. Il a paru intéressant de faire le point après trois années d’activités des deux institutions.

6 Le but poursuivi, à travers l’examen de leurs travaux, est de voir dans quelle mesure l’évolution différente suivie par les Conseils trouve son explication dans les causes originelles de l’autonomie culturelle, ainsi que dans la politique des partis à l’égard de cette dernière. En outre, l’analyse permettra de formuler quelques observations fondamentales sur les activités des deux institutions.

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Introduction : les origines de l’autonomie culturelle

1 – Le mouvement flamand [1]

9 Depuis le XVIIIe siècle, le français s’est imposé en Belgique comme étant la langue de l’élite sociale. Les Flamands se sont donc trouvés dominés par une couche sociale francophone dans leur propre région. Leur langue – qui n’était plus utilisée dans l’administration, l’enseignement ni les affaires – ne survécut plus qu’à l’état de dialectes, au point d’être menacée de disparition. La stagnation de la langue entraîna la stagnation culturelle [2].

10 La prédominance sociale et culturelle du français en Flandre a suivi de peu l’isolement de la culture flamande, coupée de sa voisine septentrionale. C’est en 1585 qu’Alexandre Farnèse reprit, pour le compte du roi d’Espagne, la ville d’Anvers ; l’élite intellectuelle protestante gagna les Pays-Bas, que Farnèse ne parvint pas à reconquérir. La lecture personnelle de la Bible avait favorisé, dans les cercles protestants, le développement d’une culture propre et le rayonnement de la langue ; l’opposition entre catholiques et protestants eut ainsi pour conséquence le déclin culturel de la Flandre au XVIIe et XVIIIe siècles.

11 Les premiers "flamingants" au XIXe siècle furent essentiellement des philologues qui voulaient faire revivre un passé culturel oublié. Leurs noms demeurent présents dans ceux des grandes organisations culturelles flamandes : Jan-Frans Willems, le chanoine David. Mentionnons encore Hendrik Conscience, dont on a dit qu’il avait appris à lire à son peuple : mieux, il lui a redonné l’orgueil d’un passé brillant.

12 La première guerre mondiale vit le mouvement flamand se scinder en deux ailes : les "passivistes", qui cherchaient à faire appliquer dans leur intégralité les lois sur l’emploi des langues et les "activistes", tendance née dans les tranchées de l’Yser, qui réclamaient une réforme plus ou moins profonde de l’Etat.

13 Les "passivistes" formèrent par la suite l’aile dite "minimaliste du mouvement flamand. Ils croyaient, comme Lacordaire, qu’"entre le faible et le fort, entre le pauvre et le riche, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit". Sous leur pression furent adoptées une série de lois linguistiques, généralisant toujours plus complètement l’emploi exclusif du néerlandais en Flandre :

  • la loi du 28 juin 1932 "relative à l’emploi des langues en matière administrative" ;
  • la loi du 14 juillet 1932 "concernant le régime linguistique de l’enseignement primaire et de l’enseignement moyen" ;
  • la loi du 15 juin 1935 "concernant l’emploi des langues en matière judiciaire" ;
  • la loi du 30 juillet 1938 "concernant l’usage des langues à l’armée".

14 Auparavant, des lois linguistiques qui donnaient au flamand une place égale à celle du français (en Flandre !) avaient été votées en 1872 (matières judiciaires), 1878 (administration) et 1883 (enseignement supérieur). Comme le note Manu Ruys [3], ces lois restèrent pratiquement non appliquées, puisque la pression sociale, quand un choix était possible, faisait préférer le français. En 1898, il fut décidé que les textes flamands des lois et arrêtés royaux auraient même valeur juridique que les textes français. Au cours de l’année 1930, après une campagne de pétitionnement qui avait débuté en 1920, l’université de Gand fut "néerlandisée".

15 Si le programme des minimalistes avait pour objet d’assurer, en Flandre, l’emploi homogène et exclusif du flamand, la tendance plus radicale du mouvement cherchait pour sa part à modifier les structures de l’Etat belge dans le sens d’une plus ou moins grande décentralisation. Les revendications allaient de l’autonomie culturelle à la création d’un Etat flamand indépendant, en passant par diverses formes de fédéralisme.

16 Quoi qu’il en soit, minimalistes comme radicaux n’accordaient aux problèmes strictement économiques qu’un intérêt limité. Dans les années 1920 fut créé, sous l’impulsion de Lieven Gevaert, le "Vlaams Economisch Verbond" [4] ; Lodewijk de Raet milita toute sa vie en faveur d’une approche économique de la question flamande. Mais il faut souligner, du point de vue qui nous occupe ici, que tout cela se faisait dans l’optique d’une "renaissance de la conscience flamande"[5]. S’unir pour devenir riche, pour créer une bourgeoisie flamande qui damerait le pion à l’élite francophone de Flandre : tels sont les mots d’ordre. Encore Lodewijk de Raet n’est-il que peu écouté. Ce n’est qu’en 1939 qu’on rééditera, à l’occasion du 25e anniversaire de sa mort, les écrits de L. de Raet et que ses idées feront l’objet d’études et de discussions.

17 Le ministre Perin, dans une interview accordée à La Libre Belgique[6] note que le "mouvement flamand (…) repose sur un fondement social et un fait linguistique : la bourgoisie parlait français". Il s’agit donc bien d’un mouvement enraciné dans la structure sociale de la communauté qu’il représente, et, en outre, d’un mouvement à composantes différenciées. Mais sous toutes ses formes, son objectif est unique : comme le fait remarquer Henri Schoup [7], "le but des leaders flamands n’a jamais été que de permettre aux néerlandophones de Belgique de s’épanouir pleinement sans avoir à adopter une culture étrangère".

2 – Les réactions wallonnes

18 Au moment de la création de l’Etat belge, la seule langue officielle du pays était le français. Charles Rogier, ministre du gouvernement libéral de l’époque, proclama en 1857 que la reconnaissance des deux langues pouvait être dangereuse pour l’unité du pays.

19 Dès 1857, le mouvement flamand lança un programme de flamandisation de la Flandre ; la naissance du mouvement wallon fut avant toute chose une réaction contre ce mouvement nationaliste flamand.

20 Les premières réactions wallonnes datent de la fin du XIXe siècle. Elles trouvent leur expression dans une revue fondée en 1893, la "Wallonia", qui sera éditée jusqu’à la première guerre mondiale. Le liégeois Albert Mockel y proposait, dès 1897, une base nouvelle pour l’Etat belge : "la Wallonie aux Wallons, la Flandre aux Flamands et Bruxelles aux Belges".

21 D’autre part, pendant la période qui précède la guerre 1914-1918, de nombreuses tendances préconisant la réunion de la Wallonie à la France virent le jour en Wallonie.

22 Le 15 août 1912, Jules Destrée publia sa célèbre "Lettre au Roi", dans laquelle il affirmait qu’il n’y a pas de Belges, et que la Belgique est un "Etat politique assez artificiellement composé, mais (…) pas une nationalité".

23 Pour Jules Destrée, le bilinguisme obligatoire, tel que les Flamands veulent l’imposer, n’est qu’une solution d’attente : tôt ou tard, l’une des deux langues doit nécessairement l’emporter sur l’autre, et c’est la langue de la majorité politique qui l’emportera dans un régime unitaire.

24 Il déclarait encore [8] : "Le peuple wallon doit la notion de son existence au réveil flamand ; il n’y aurait pas de problème wallon s’il n’y avait pas une question flamande dans une Belgique unitaire et -bilingue…".

25 La guerre de 1914-1918 allait ressusciter le patriotisme national et la création par les flamingants du "Conseil de Flandre" discrédita pour un temps le mouvement nationaliste flamand.

26 Le vote des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, qui donnait satisfaction aux revendications flamandes, allait provoquer des réactions en Wallonie. Une association de fait, l’"Assemblée wallonne", fit alors déposer une proposition de loi qui aurait rendu indispensable, pour le vote d’une loi, un "bilatéralisme" – c’est-à-dire la nécessité d’une majorité flamande et d’une majorité wallonne au sein du Parlement.

27 Les réactions wallonnes continuèrent à s’exprimer à propos de la séparation administrative qui se développa avec la flamandisation de l’université de Gand, intervenue le 21 octobre 1930, ainsi qu’avec le vote des différentes lois établissant l’unilinguisme en Flandre et en Wallonie.

28 Pendant la seconde guerre mondiale fut créé le mouvement "Wallonie libre", groupant des militants venus de tous les horizons politiques, qui mit en place le Congrès national wallon et formula diverses revendications sociales et politiques. L’ordre du jour du Conseil général de Wallonie libre du 7 juillet 1946 se disait notamment persuadé "qu’un Etat comme la Belgique, composé de deux peuples ayant des aspirations divergentes sur les problèmes essentiels, ne pourrait réaliser des transformations économiques de quelque ampleur sans avoir réglé la question des nationalités (…)".

29 Autre mouvement wallon à signaler particulièrement actif en milieu chrétien, Rénovation wallonne.

30 L’attitude de la FGTB et du PSB à l’égard des grèves de décembre 1960 à janvier 1961 conduisit par la suite André Renard à créer le Mouvement Populaire Wallon, groupe de pression pour un fédéralisme assorti de réformes de structures économiques [9].

31 Le déroulement des grèves de 1960-1961 et la création du M.P.W. confirment l’orientation du mouvement wallon – qui axe nettement ses revendications sur des thèmes tant économiques et sociaux qu’institutionnels, orientation qu’avaient déjà laissé pressentir les événements de l’an 50.

3 – La situation particulière de Bruxelles

32 L’acuité du problème linguistique – en milieu francophone à Bruxelles et dans la périphérie ainsi que l’hostilité aux lois linguistiques de 1963, allaient rendre possible le regroupement de certains francophones jusque là isolés et provoquer ultérieurement une scission au sein du Parti de la Liberté et du Progrès.

33 Le Front démocratique des Bruxellois de langue française, plus tard Front des Francophones, se manifesta pour la première fois au printemps 1964 ; il se constitua en vue des élections de 1965. Dès le début, il s’est proclamé hostile à la politique linguistique des trois partis traditionnels. Sa campagne électorale fut marquée par l’organisation de nombreux meetings dans l’agglomération et dans la périphérie bruxelloise sur ce thème.

34 Des essais de regroupement des mouvements de défense des intérêts des francophones à Bruxelles avaient déjà été tentés dans le passé. A l’automne 1961, un Front pour la Défense de Bruxelles avait organisé un meeting de protestation contre la première marche flamande sur Bruxelles. Un autre regroupement datant de la fin 1963, implanté en milieu universitaire, le Rassemblement pour le Droit et la Liberté (R.D.L.), centra son action sur les mêmes problèmes que le F.D.F. Il contribua beaucoup à informer l’opinion et facilita l’implantation ultérieure du F.D.F.

35 Ce parti fit essentiellement campagne contre les lois linguistiques, votées sous la législature précédente, c’est-à-dire sous le gouvernement Lefèvre-Spaak. Il demandait l’abrogation de ces lois en ce qui concerne Bruxelles. Il considérait contraire aux dispositions constitutionnelles l’article 41 de la loi du 2 août 1963 qui impose à des particuliers, pour des actes de leur vie professionnelle, l’emploi de la langue de la région où est établi le siège d’exploitation. Ainsi, le parti bruxellois, bien que soutenu dès le début par les mouvements wallons, s’en distingue par ses motivations essentielles. Il se caractérise par la priorité accordée à l’aspect linguistique de l’action ; en Wallonie, la participation du milieu syndical au mouvement est importante, au même titre que la motivation économique et sociale de l’engagement.

36 Le F.D.F. réaffirmait aussi la vocation particulière de Bruxelles, en se prononçant pour l’extension de l’arrondissement de Bruxelles-Capitale au-delà des limites des 19 communes. Son programme ne comportait pas d’option en matière économique, sociale ou institutionnelle. Ce caractère incomplet était voulu, pour permettre au sein du parti l’équilibre des idéologies chrétienne, libérale ou socialiste qui caractérisent l’opinion publique bruxelloise.

37 Au début de 1973, au terme d’un long processus de prise de distance, les députés et sénateurs P.L.P. bruxellois démissionnèrent du P.L.P., estimant qu’il n’avait pas été tenu compte de certains principes démocratiques lors des négociations qui précédèrent la formation du gouvernement.

38 L’abandon du "droit des populations à la détermination de leur appartenance linguistique et économique" provoqua la création du "Parti libéral démocrate et pluraliste" (P.L.D.P.) qui deviendra ultérieurement le Parti Libéral (P. L.).

39 Les thèses défendues par ce nouveau parti sur le plan linguistique sont très proches de celles du F.D.F. ; les deux partis sont d’ailleurs associés, avec des indépendants, au sein du "Rassemblement bruxellois", formation majoritaire (de justesse) au Conseil d’agglomération de Bruxelles.

40 D’après François Perin, le "renouveau politique" bruxellois serait explicable en tant que "réaction" aux marches flamandes de 1962-1963 sur la Capitale, à la "puissance extraordinaire" du mouvement nationaliste flamand [10]. Les revendications propres de la communauté bruxelloise ne trouvent donc pas leur origine dans une spécificité communautaire ou culturelle, rarement existante du reste dans une grande ville. Là aussi, le mouvement francophone se différencie nettement du nationalisme flamand [11].

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43 Du bref rappel historique qui précède, on peut tirer la conclusion qu’il existe en Belgique une aspiration à donner des pouvoirs aux communautés culturelles et qu’il existe, principalement en Flandre, une volonté de donner à ces communautés le pouvoir de légiférer dans un certain nombre de matières qui sont en relations étroites avec ce qui fait l’originalité d’une communauté culturelle : sa langue et son génie propre.

44 A l’automne 1971, le ministre Léo Tindemans [12] publiait un document dont les conclusions sont symptomatiques de l’état d’esprit qui régnait au lendemain du vote de l’autonomie culturelle. Le ministre déclarait notamment "La Belgique est aussi un pays difficile, deux cultures s’y rencontrent qui ont un rayonnement nettement différent, et dont les confrontations sont parfois source de situations conflictuelles. Je crois pouvoir dire, comme l’a récemment fait remarquer un rédacteur du journal "Le Monde", que notre culture néerlandaise est fort riche mais qu’elle manque de potentiel de rayonnement dans le monde. C’est pourquoi elle se trouve parfois dans une position d’infériorité face aux grandes cultures dynamiques. Dans notre pays on le constate aisément pour ce qui regarde sa situation face à la culture française. Et c’est la raison pour laquelle il fallait aspirer à une forme davantage structurée d’autonomie culturelle".

45 Pour le ministre flamand des relations communautaires, cette autonomie ne devait nullement être "une manière de ghetto mais plutôt une base nouvelle, plus solide, de nouveaux contacts" entre les communautés.

46 Le fait de donner à chaque communauté une compétence législative n’est pas, comme il le faisait remarquer [13], l’extériorisation d’une aversion réciproque, mais bien la manifestation d’un respect profond de l’originalité de l’une et de l’autre : "on doit voir là un effort visant à donner à chaque communauté la liberté de mouvement nécessaire pour que les valeurs qui recèlent son génie spirituel et sa sensibilité puissent s‘épanouir au maximum dans un climat libéré de toute contrainte extérieure".

47 Cette déclaration faite à l’aube de l’autonomie culturelle résume fort bien les desiderata de la population flamande ; elle indique que la revendication sur le plan culturel répondait à un besoin profond de l’une des deux grandes communautés.

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I – La mise en œuvre de l’autonomie culturelle [14]

1 – L’aspect constitutionnel

50 De nombreux gouvernements ont eu comme objectif de réaliser l’autonomie culturelle, dans le cadre de la réforme de l’Etat et de la révision de la Constitution.

51 M. Léo Tindemans, à l’époque ministre des Relations communautaires a consacré deux brochures au règlement des problèmes communautaires, en 1969 et 1971 [15].

52 La révision de la Constitution [16], visant notamment à établir les fondements constitutionnels de l’autonomie culturelle, fut votée dans le courant du mois de décembre 1970 par la Chambre et le Sénat.

53 Reconnaissant l’existence de trois communautés culturelles en Belgique, la Constitution arrêtait en son article 59bis les principes fondamentaux qui devaient régir les Conseils culturels, de même que la répartition des membres de la Chambre et du Sénat en un groupe linguistique français et un groupe linguistique néerlandais.

54 Les nouvelles dispositions constitutionnelles, ainsi que la loi du 3 juillet 1971 réglant la répartition des membres des Chambres législatives en groupes linguistiques et la loi du 21 juillet 1971 relative à la compétence et au fonctionnement des Conseils, forment en quelque sorte le triptyque de l’autonomie culturelle.

55 Les Conseils culturels sont composés des mêmes mandataires que les chambres traditionnelles ; députés et sénateurs sont répartis sur une base linguistique.

56 Les conseils sont dotés d’un pouvoir normatif qui leur permet de prendre des décrets. Ceux-ci ont force de loi au sein des régions linguistiques qui correspondent à chacun des conseils. Les conseils forment donc une branche nouvelle du pouvoir législatif, spécialisée dans les matières culturelles. Pour la communauté culturelle de langue allemande, la Constitution (article 59ter) prévoit également la création d’un conseil de langue allemande distinct [17] qui, lui, ne jouit pas du pouvoir normatif.

57 La révision de la Constitution de 1970 peut être considérée comme une solution de compromis tendant à accorder des satisfactions partielles aux trois principaux courants politiques représentés au Parlement : aux nationalistes flamands, le constituant octroya un fédéralisme culturel ; il jeta, réponse à des revendications wallonnes, les bases d’une régionalisation ; quant aux unitaristes, le constituant leur accorda le maintien de l’unité politique du pays.

2 – Les compétences des Conseils

58 En vertu de l’article 59bis de la Constitution, les Conseils culturels sont compétents pour régler : 1° les matières culturelles ; 2° l’enseignement, à l’exclusion de certaines matières, essentiellement celles qui ont trait au pacte scolaire, et 3° la coopération entre les communautés culturelles ainsi que la coopération culturelle internationale.

59 En outre, dans les deux régions purement unilingues, les Conseils culturels sont compétents pour régler l’emploi des langues pour : les matières administratives ; l’enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics ; les relations sociales entre les employeurs et leur personnel, ainsi que les actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements.

60 Les matières culturelles, définies par la loi du 21 juillet 1971, sont les suivantes : la défense et l’illustration de la langue ; l’encouragement à la formation des chercheurs ; les beaux-arts ; le patrimoine culturel, les musées et les autres institutions scientifiques ou culturelles ; les bibliothèques et discothèques ; la radiodiffusion et la télévision ; la politique de la jeunesse ; l’éducation permanente et l’animation culturelle ; l’éducation physique et les sports ; les loisirs et le tourisme.

61 En décembre 1974, le gouvernement Tindemans entreprit l’élaboration des budgets régionalisés. Au cours de cet examen, une polémique s’engagea au sein de la majorité gouvernementale sur le point de déterminer quels crédits devaient être inclus dans les futurs budgets régionalisés et quels étaient ceux qui devraient faire partie des dotations culturelles.

62 Pour certaines matières [18], des litiges apparurent : ces matières sont-elles visées par les articles de la Constitution relatifs à l’autonomie culturelle ou par la loi du 1er août 1974 préparatoire à la régionalisation ? Le débat n’était pas sans intérêt.

63 Dans le premier cas, on risquait d’ouvrir la voie à un fédéralisme à deux ne tenant pas compte de l’existence de Bruxelles, ainsi qu’à toute une série de discussions relatives aux critères de répartition des crédits.

64 Dans la seconde hypothèse, Bruxelles est considéré comme une région à part entière et obtient la garantie de bénéficier de la clé de répartition prévue pour les enveloppes budgétaires régionales [19].

65 Le conflit prit de larges proportions lors de l’examen, à la Chambre, du budget des Dotations culturelles pour 1975.

66 Devant la difficulté de résoudre une question politiquement délicate, le gouvernement demanda l’avis du Conseil d’Etat.

67 Toutefois, ce dernier se déclara incompétent en la matière. Invoquant le principe de la séparation des pouvoirs, il estimait ne pouvoir s’immiscer dans les activités législatives du pouvoir exécutif [20].

68 Le dilemme "culturalisation-régionalisation" créa de vifs dissentiments au sein de la majorité. Partisan du premier terme de l’alternative le C.V.P. entendait mettre l’accent sur les aspects culturels des nouvel les institutions, voulant ainsi se prémunir contre toute tentative d’élaborer un système fédéraliste à trois composantes. Quant au R.W., au P.L.P. et au P.S.C., ils défendaient la thèse "Bruxelles : région à part entière". Le P.V.V. avait adopté une position nuancée.

69 Un accord global intervint finalement le 28 février 1975, à propos des six matières de la Santé publique à "culturaliser" et "régionaliser". La compétence des Conseils fut étendue à l’inspection médicale scolaire et au contrôle médico-sportif, les autres matières étant régionalisées.

3 – Le fonctionnement des Conseils

70 Le fonctionnement des Conseils culturels est analogue à celui de la Chambre des Représentants et du Sénat. Les Conseils comprennent plusieurs organes, à savoir : l’assemblée plénière, instance souveraine ; le Bureau composé d’un président, de vice-présidents et de secrétaires élus par le Conseil en son sein ; et des commissions.

71 Les commissions permanentes sont déterminées suivant les matières culturelles ; des commissions spéciales sont créées pour des objets particuliers.

72 Outre l’examen et le vote de projets et de propositions de décret, le Conseil a pour mission de voter les budgets culturels et d’entendre des demandes d’explications assimilables, sauf pour la conclusion, aux interpellations que connaît le Parlement national.

73 Lorsqu’un projet ou une proposition de décret est déposé, il est envoyé à la commission compétente qui l’examine et fait rapport à l’assemblée plénière. Cette dernière en débat et se prononce par un vote.

74 En plus des diverses commissions, la loi du 21 juillet 1971 a prévu pour chaque Conseil, la création d’une commission de coopération entre les communautés culturelles française et néerlandaise. Les deux commissions de coopération culturelle, rassemblées en séance commune, constituent les commissions réunies de coopération.

75 A l’origine, le Conseil culturel a créé treize commissions permanentes comprenant de 12 à 25 membres désignés suivant le principe de la représentation proportionnelle des groupes politiques reconnus. Les mandats des présidents des commissions permanentes sont également répartis suivant cette règle ; chaque commission élit en outre un vice-président et un secrétaire.

76 Les treize commissions originelles étaient les suivantes : la commission de la politique générale et du budget ; de l’enseignement et de l’encouragement à la formation des chercheurs ; des arts et lettres et du patrimoine culturel ; de la défense et de l’illustration de la langue française ; de la jeunesse ; de l’éducation physique, des sports et de le vie en plein air ; de la radiodiffusion et de la télévision ; des loisirs et du tourisme ; de la coopération internationale ; des pétitions ; de la comptabilité et enfin du règlement.

77 Comme il existait treize commissions mais un seul ministre de la Culture française, et que, dans la plupart des cas, c’est ce dernier qui est appelé à participer aux travaux des commissions, une restructuration des commissions intervint en 1974. Leur nombre fut réduit à huit [21].

78 Au Cultuurraad, le nombre et la dénomination des commissions sont différents. La commission de coopération s’occupe à la fois de coopération culturelle et de coopération internationale ; la commission des beaux-arts s’appelle "commission de la promotion de la culture et du patrimoine culturel". Il n’y a pas de commission des sports (c’est la commission de la jeunesse qui a les sports dans ses attributions). Par contre, il y a une commission qui s’occupe exclusivement de la législation linguistique et de la défense de la langue.

79 Le Cultuurraad comte au total neuf commissions, une de plus que le Conseil culturel français.

4 – Les attributions budgétaires des Conseils

80 Les Conseils culturels agissent en qualité d’organes législatifs : ils disposent de moyens financiers leur permettant de mener une politique culturelle distincte. Toutefois, ils ne peuvent percevoir d’impôts au sein de leur communauté, la fiscalité restant de la compétence du Parlement national. Il s’ensuit que celui-ci inscrit dans les budgets nationaux des dotations pour chacune des communautés.

81 L’article 59bis de la Constitution règle, en son § 6, le mécanisme budgétaire. Si l’essentiel de la dotation culturelle relève des ministres de la Culture, des crédits culturels figurent également dans d’autres budgets ; ils sont, bien entendu, de la compétence des Conseils culturels.

82 Dans une première phase, le Parlement national, sur proposition du gouvernement, fixe le "crédit global" c’est-à-dire le montant total des crédits mis à la disposition de chaque Conseil culturel.

83 Chaque Conseil règle ensuite, par décret, l’affectation de ce crédit global, en le ventilant parmi les divers secteurs de la politique culturelle. A noter qu’aucune proposition de décret, aucun amendement créant des droits civils et dont l’adoption entraîne des dépenses pour lesquelles de l’avis du gouvernement, les moyens nécessaires font défaut, ne peut être voté s’il n’a été pourvu à ces moyens.

84 Depuis 1974, tous les crédits culturels ont été regroupés par les gouvernements dans trois budgets ; il s’agit de :

85 a) Le budget des Dotations culturelles.

86 Ce budget comprend les crédits inscrits au budget de la Culture française, des Classes moyennes, des Communications, de la Santé publique et de la Famille, les Travaux publics et l’Agriculture. En 1975, on y a ajouté certains crédits du ministre des Affaires économiques. La répartition des crédits entre le Cultuurraad et le Conseil culturel est effectuée depuis 1971 [22] sur les bases ci-après :

  • les dépenses d’enseignement sont établies en fonction des besoins constatés dans le cadre des dispositions légales et réglementaires ;
  • les dépenses d’éducation permanente sont réparties entre les communautés d’après la proportion qui résulte du total général des dépenses d’enseignement de l’année précédente, c’est-à-dire pour 1975 : 55,6 % pour le secteur néerlandais, et 44,4 % pour le secteur français ;
  • les autres dépenses culturelles, en ce compris les dotations pour les Commissions de la Culture de l’agglomération de Bruxelles, sont réparties à parts égales entre les communautés.

87 b) Le budget de l’Education nationale.

88 Dans ce budget, l’ensemble des crédits culturels sont individualisés. Le critère de répartition entre les deux communautés est celui des besoins existants constatés dans le cadre des dispositions légales et réglementaires en matière d’enseignement.

89 c) Le budget des Dotations

90 Tout ou partie des crédits inscrits à ce budget couvrent les frais de fonctionnement des Conseils culturels. Des crédits identiques sont accordés aux deux communautés.

91 Le budget des Dotations culturelles est une "enveloppe" globale dont les Conseils sont entièrement libres de modifier la répartition. Le budget des Dotations prévoit également des crédits dont l’affectation est décidée par chaque Conseil.

92 Par contre, le problème est quelque peu différent en ce qui concerne l’Education nationale. Jusqu’en 1974, les deux budgets – régime français et régime néerlandais – comportaient une distinction entre les crédits intangibles et tangibles, ces derniers seuls voyant leur affectation réglée par les Conseils. Le Parlement national votait les crédits intangibles et le montant global des crédits tangibles. L’ensemble était ensuite transmis aux Conseils culturels qui réglaient l’affectation des crédits pour lesquels ils sont compétents.

93 Depuis 1975, les deux budgets de l’Education nationale se présentent différemment ; les crédits relatifs aux dépenses courantes et aux dépenses de capital sont subdivisés en deux parties, dont la première est affectée par les Chambres législatives et la seconde par le Conseil culturel.

94 Le montant total des crédits culturels inscrits dans les trois budgets, affectés et votés par les Conseils depuis leur création, est présenté sous forme d’un tableau [23]. Les données en sont reprises ci-après sous la forme de synthèse.

Tableau 1

Crédits culturels votés et répartis entre le Cultuurraad et le Conseil culturel – de 1972 à 1975 –

Tableau 1
Conseils 1972 1973 1974 1975 Conseil culturel 2.859 3.267,6 4.114,6 4.420,4 Cultuurraad 3.840 4.361 5.328,9 6.082,8 Total des crédits culturels : 6.699 7.628,6 9.443,5 10.503,2

Crédits culturels votés et répartis entre le Cultuurraad et le Conseil culturel – de 1972 à 1975 –

(en millions de francs)
Source : Budgets des Recettes et des Dépenses pour les années budgétaires 1973 à 1975 – Documents Chambre des Représentants.

95 L’examen de ce tableau montre que, depuis l’avènement de l’autonomie culturelle, les crédits ont considérablement augmenté, ils sont passés de 6,7 milliards en 1972 à 10,5 milliards en 1975 soit une augmentation de 56,7 %.

96 Ils sont passés pour la communauté française de 2.859 millions en 1972 à 4.420,4 millions en 1975 ; pour la communauté néerlandaise ils sont passés de 3.840 millions à 6.082,8 millions pour la même période.

97 Le tableau ci-après reprend les montants relatifs aux dépenses courantes des quatre années d’autonomie culturelle.

98 Les crédits inscrits aux Dotations culturelles ainsi que ceux de l’Education nationale – régime français et néerlandais – ont été répartis entre le Conseil culturel et le Cultuurraad pour la période de 1972 à 1975. Le but de ce tableau est de montrer la différence des montants accordés aux deux communautés en francs et en pourcentage.

Tableau 2

Comparaison des budgets qui sont de la compétence du Conseil culturel et du Cultuurraad de 1972 à 1975

Tableau 2
Dépenses courantes 1972 1973 Conseil Cultuurraad Différence Conseil Cultuurraad Différence F % F % I. Budgets des Dotations culturelles 2296,9 2672,7 +375,8 +16,36 2587,3 2947,5 +360,2 +13,92 II. Budgets Education nationale 562,1 1167,3 +605,2 +107,66 645,3 1378,5 +733,2 +113,62 Totaux des crédits culturels : 2859 3840 +981 +34,31 3232,6 4326 +1093,4 +33,82
Tableau 2
Dépenses courantes 1974 1975 Conseil Cultuurraad Différence Conseil Cultuurraad Différence F % F % I. Budgets des Dotations culturelles 3304,4 3652,9 +347,5 +10,54 3543 4206,3 +663,3 +18,72 II. Budgets Education nationale 775,2 1641 +865,8 +111,68 842,4 1841,5 +999,1 +118,60 Totaux des crédits culturels 4079,6 5293,9 +1213 +29,76 4385,4 6047,8 +1662.4 +37,90

Comparaison des budgets qui sont de la compétence du Conseil culturel et du Cultuurraad de 1972 à 1975

(en millions de francs)
Il n’a pas été tenu compte des crédits inscrits aux budgets des Dotations ; ces derniers reprennent des crédits de fonctionnement qui sont identiques pour les deux Conseils.

99 L’examen de ce tableau permet d’établir que la différence des crédits en faveur du Cultuurraad a suivi les tendances ci-après :

100 1° Les budgets des Dotations culturelles : la différence entre les montants alloués aux deux communautés va en s’amenuisant de 1972 à 1974. Elle se monte en 1972 à 16,36 %, en 1973 à 13,92 % et en 1974 à 10,54 %. Par contre, 1975 accuse une augmentation sensible (18,72 %) ; la différence des montants alloués aux deux communautés passe de 347,5 millions en 1974 à 663,3 millions en 1975. La différence en faveur du Cultuurraad passe donc de 10,54 % en 1974 à 18,72 %.

101 2° Les budgets de l’Education nationale : la comparaison des crédits de 1972 à 1975 donne une lente augmentation de la différence des crédits en faveur du Cultuurraad. Cette dernière est passée de 107,66 % en 1972 à 118,6 % en 1975, l’année 1974 accusant un léger fléchissement par rapport à 1973.

102 3° Les montants totaux des crédits culturels : malgré l’importance de la différence existant entre les crédits d’enseignement alloués à la communauté néerlandaise et ceux de la communauté française, la tendance générale est identique à celle des budgets des Dotations culturelles.

103 Comparant 1974 à 1975, il est à remarquer que l’ensemble des crédits est passé de 4.079,6 millions à 4.385,4 millions pour le Conseil culturel et de 5.293,9 millions à 6.047,8 millions pour le Cultuurraad au cours de la même période.

104 Si cette tendance devait se perpétuer, elle aurait immanquablement des résultats désavantageux pour la communauté francophone.

105 Or le constituant a prévu, au § 6 de l’article 59bis de la Constitution, qu’une loi interviendrait dans le but de fixer les critères objectifs de répartition du crédit global mis à la disposition de chaque Conseil culturel. Cette loi n’a jamais été élaborée, malgré les demandes répétées de certains parlementaires. Actuellement la répartition s’effectue toujours sur la base de l’accord Parisis-Van Mechelen, qui n’a pas force de loi [24].

5 – La pacte culturel [25]

106 En plus des dispositions constitutionnelles instaurant l’autonomie culturelle, les partis politiques prirent une initiative destinée à compléter les garanties données à chaque communauté en vue de son plein épanouissement.

107 L’article 6bis de la Constitution pose le principe de la non-discrimination des étrangers et met l’accent sur les minorités idéologiques et philosophiques. Il y a discrimination lorsque l’on enfreint le principe de l’égalité dans le traitement, c’est-à-dire que l’on opère une distinction entre les personnes, sans qu’il existe une justification objective et raisonnable.

108 Les droits et les libertés des minorités idéologiques et philosophiques sont garantis par le § 7 de l’article 59bis qui prévoit que la loi arrête des mesures en vue de prévenir toute discrimination. Ce principe a été mis en œuvre par la loi du 3 juillet 1971 [26].

109 L’article 4 de la loi prévoit qu’une motion motivée, signée par le quart au moins des membres d’un Conseil culturel, peut déclarer que les dispositions d’un projet ou d’un proposition de décret qu’elle désigne et dont un des Conseils culturels se trouve saisi, contiennent une discrimination pour des raisons idéologiques et philosophiques.

110 Les présidents des chambres législatives et des deux Conseils culturels, siégeant en collège, statuent sur la recevabilité de la motion. Si celle-ci est déclarée recevable, la motion est déférée aux chambres législatives qui statuent sur son bien-fondé. L’examen des dispositions désignées par la motion ne peut être repris par le Conseil culturel que lorsque la Chambre et le Sénat ont déclaré la motion non fondée.

111 Ces dispositions furent confirmées par un accord intervenu entre les partis politiques : le "pré-accord culturel", signé le 15 juillet 1971 par le P.S.C.-C.V.P. et le P.S.B.-B.S.P. auxquels s’ajoutera très rapidement le P.L.P.-P.V.V.. Il sera ultérieurement contresigné par d’autres partis et sera connu dès lors sous l’appellation de "Pacte culturel".

112 Le but de ce pré-accord n’est pas de protéger des minorités linguistiques ou politiques ; il s’agit uniquement d’empêcher toute discrimination au niveau des convictions portant sur la "conception ou vision de l’homme ou du monde". Comme le faisait remarquer M. Tindemans au moment où il était ministre des Relations communautaires flamandes du gouvernement Eyskens [27] : "Marqués par un certain passé, d’aucuns craignent qu’au sein du Cultuurraad ne se manifeste une majorité adoptant plutôt la vision chrétienne des choses, ce qui pourrait éventuellement avoir des conséquences néfastes pour la minorité se prévalant d’autres conceptions". Cette dernière réclamait donc des mesures de protection.

113 Le ministre remarquait que, du côté wallon, les rapports de force étaient inversés, et que l’on craignait que la minorité d’orientation chrétienne ne puisse être victime d’une certaine oppression.

114 Le "pré-accord culturel" résulte donc d’une demande formulée par plusieurs partis, qui ont exigé que la protection contre la minorisation vaille aussi bien du côté wallon que du côté flamand.

115 Malgré les dispositions prises, une crainte subsistait : la politique culturelle aurait pu être discriminatoire à l’égard de certaines minorités. Pour cette raison, le P.L.P.-P.V.V. et le P.S.B.-B.S.P. insistèrent pour que le "pré-accord culturel" du 15 juillet 1971 devienne un véritable Pacte culturel. Ce dernier, qui aurait dû être signé avant le 30 novembre 1971, devait à son tour être traduit en un texte de loi, concrétisant les garanties qui se trouvaient déjà énumérées dans les dispositions constitutionnelles précitées.

116 Cette proposition de loi avait donc pour objet de transformer en obligations légales l’engagement mutuel signé par les cinq partis politiques sous l’appellation de "Pacte culturel". Aux trois partis traditionnels étaient venus s’ajouter entretemps le parti communiste le 30 septembre 1971, et le 24 février 1972 le F.D.F./R.W.

117 Le Pacte culturel, devenu loi culturelle [28], devait encore faire l’objet d’une proposition de décret déposée sur les bureaux du Conseil culturel et du Cultuurraad par les différents chefs de groupes politiques Il fut voté par le Cultuurraad le 16 octobre 1973 ; il est encore en discussion à la commission de la politique générale du Conseil culturel, une demande relative à la scission de la commission juridictionnelle (prévue à l’article 21 de la loi du 16 juillet 1973) du pacte ayant été introduite par les commissaires. L’objectif poursuivi est d’établir une commission francophone et une commission néerlandophone au lieu d’une commission unique.

6 – Les ministres de la Culture et les Conseils culturels

118 Depuis juillet 1965, un certain nombre de ministres de la Culture française et de la Culture néerlandaise se sont succédé au pouvoir. Avec la création des Conseils culturels en 1971, les matières relevant de leurs compétences ne furent plus traitées devant la Chambre et le Sénat mais devant les Conseils culturels, sauf en ce qui concerne le budget des Affaires culturelles communes.

119 Les ministres de la Culture sont donc les interlocuteurs privilégiés des deux assemblées culturelles. La totalité de leur budget y est discutée. La majorité des propositions de décret déposées par les membres des Conseils ont trait aux matières culturelles.

120 Parmi les autres membres du gouvernement directement intéressés aux travaux des Conseils, on trouve les deux ministres de l’Education nationale, les assemblées étant compétentes pour certaines matières relatives à l’enseignement.

121 En dehors des ministres de la Culture et de l’Education nationale, certains membres du gouvernement sont intervenus au Conseil culturel ; ces interventions gardèrent un caractère occasionnel. En quatre ans, quatre ministres intervinrent : M.L. Major, ministre de l’Emploi et du Travail, sur les crédits d’heures, M. Ch. Hanin, ministre de la Politique scientifique, MM. E. Close et R. Van Elslande, tous deux en tant que ministres de l’Intérieur.

122 Il n’en va pas de même au Cultuurraad où divers ministres ont pris la parole en plusieurs occasions [29].

123 Depuis la création de secrétariats d’Etat à la Culture en 1965, diverses personnalités ont assumé les charges des ministres de la Culture française et néerlandaise au sein des cinq gouvernements qui se sont succédé.

124 Le tableau ci-après reprend les noms de ces ministres, leur appartenance politique ainsi que les formations gouvernementales auxquelles ils ont appartenu :

Tableau 3

Répartition des ministres de la Culture française et néerlandaise – de 1965 à 1975 – (1),(2),(3)

Tableau 3
Gouvernements Coalitions Dates Ministres Culture française Ministres Culture néerlandaise Noms Partis Noms Partis 1. Th. Lefèvre-P.H. Spaak PSB-BSP-CVP-PSC 25.4.1961 au 24.5.1965 V. Larock (démission le 31.7.1963) H. Janne (depuis le 31.7.1963) Ministres de l’Education nationale et de la Culture. PSB PSB R. Van Elslande Ministre de la Culture, adjoint à l’Education nationale CVP 2. P. Harmel-A. Spinoy PSC-CVP-PSB-BSP 27.7.1965 au 11.2.1966 Paul de Stexhe (2) PSC Albert De Clerck (2) CVP 3. Vanden Boeynants-W. De Clercq PSC-CVP-PLP-PVV 19.3.1966 au 7.2.1968 Pierre Wigny PSC Renaat Van Elslande CVP 4. G. Eyskens-JJ. Merlot/ A. Cools PSC-CVP-PSB-BSP 27.1.1969 au 8.11.1971 Albert Parisis PSC Frans Van Mechelen CVP 5. G. Eyskens-A. Cools PSC-CVP-PSB-BSP 22.1.1972 au 22.11.1972 Charles Hanin PSC Frans Van Mechelen CVP 6. E. Leburton-L. Tindemans-W. De Clercq PSB-BSP-PSC-CVP-PLP-PVV 26.1.1973 au 19.1.1974 Pierre Falize PSB Jos Chabert CVP 7. L. Tindemans : PSC-CVP-PLP-PVV-R.W. 25.4.1974 Jean-Pierre Grafé (3) H.F. Van Aal PSC PSC Hendrika De Backer-Van Ocken CVP

Répartition des ministres de la Culture française et néerlandaise – de 1965 à 1975 – (1),(2),(3)

(1) Avant la scission du département, le premier ministre des Affaires culturelles a été P. Harmel (PSC) sous le Gouvernement Eyskens III du 6.11.1958 au 27.3.1961.
(2) Ministre-Secrétaire d’Etat
(3) Jusqu’au 4 octobre 1974.

125 Lorsqu’on examine ce tableau, on constate que les différents ministres qui se sont succédé à la tête des départements culturels au cours des dix dernières années, sont, à une exception près, des représentants du P.S.C. pour la Culture française et du C.V.P. pour la Culture néerlandaise.

126 Bien que cet aspect du problème n’intéresse directement les Conseils culturels que depuis 1971, on constate que le P.S.C. a détenu le portefeuille de la Culture française pendant dix ans, avec une interruption d’un an en 1973 (M. Falize (P.S.B.)). Le Cultuurraad a vu se succéder, pour sa part, des ministres C.V.P. d’une manière ininterrompue depuis l’origine du département de la Culture néerlandaise.

127 Cette double constatation permet de croire que l’influence sociale chrétienne en matière culturelle est prédominante depuis 1965 ; toutefois comme on le verra ultérieurement, ce n’est pas seulement la politique culturelle, mais aussi la vie des institutions qui a été influencée par la prédominance sociale-chrétienne à la tête de ces départements.

128 Notons dès à présent que cette affirmation doit être nuancée du côté francophone ; la succession relativement rapide des ministres à la tête du département a fait que ces derniers n’ont pas pu marquer, comme ils l’auraient souhaité, la politique culturelle. Cette remarque vaut principalement pour la dernière législature, où M. Grafé n’est resté ministre que cinq mois.

129 *

130 **

131 Après avoir retracé l’origine de l’autonomie culturelle et analysé divers aspects relatifs à sa mise en œuvre, la seconde partie de cette étude sera consacrée à l’examen de l’évolution des deux conseils culturels nés de la réforme de l’Etat belge.

132 (à suivre).

Annexe

Crédits culturels, repartis entre les différents Conseils culturels de 1972 à 1975

tableau im5
197232 197333 BUDGETS Conseil Cultuurraad Totaux Conseil Cultuurraad I. DOTATIONS CULTURELLES – Culture 1.935,2 2.181,- 4.116,2 2.326,7 2.593,3 197434 197535 – Commission culturelle de Bruxelles - - - 50,- 50,- 4.920,- 2.994,2 3.216,8 6.211,- 3.134,3 3.637,4 6.771,7 – Communications 15,2 40, 6 55,8 18,4 48,8 100,- 62,5 62,5 125,- 75,- 75,- 150, - – Santé publique et Famille 10,1 11,2 21,3 5,9 22,6 67,2 34,9 71,9 106,8 17,4 59,6 77,- – Agriculture 5,5 8,5 14,- 7,2 10,3 28,5 19,2 56,1 75,3 27,7 81,5 109,2 – Affaires économiques - - - - - 17,5 7,3 10,5 17,8 6,8 11,1 17,9 – Classes moyennes 135,5 176,8 312,3 179,1 222,5 - - - - 75,6 75,- 150,6 – Emploi et Travail 195,4 254,6 450,- - - 401,6 186,3 235,1 421,4 206,2 266,7 472,9 – Dotation au C.C. Allem. - - - - - - - - - - - - - - - - - (12,4) - Totaux I 2.296,9 2.672,7 4.969,6 2.587,3 2.947,5 5.534,8 3.304,4 3.652,9 6.957,3 3.543,- 4.206,3 7.749,3 II. EDUCATION NATIONALE 562 ,1 1.167,3 1.729,4 645,3 1 .378 ,5 III. DOTATION DES CONSEILS CULT. 2.023,8 775,2 1.641,- 2.416,2 842,4 1.841,5 2.683,9 – Conseils cult. - - - 35,- 35,- 70,- 35,- 35,- 70,- 35,- 35,- 70,- – Conseils de la Communauté cult. allemande - - (5,-) - (20,5) - (20,-) - Totaux : 2.859,- 3.840,- 6.699,- 3.267,6 4.361,- 7.628,6 4.114,6 5.328,9 9.443,5 4.420,4 6.082,8 10.503,2 C.C. Allemand - - - 5,- (+5,-) (+ 20,5) (+ 20,5) (+32,4) (+32,4)

Crédits culturels, repartis entre les différents Conseils culturels de 1972 à 1975

(en millions de francs)
(1) 1972 : Crédits votés. Budget des Recettes et des Dépenses pour l’année budgétaire 1973 (Chambre 4 (1972-1973).
(2) 1973 : Budget ajusté. Budget des Recettes et des Dépenses pour l’année budgétaire 1974 (Chambre 4 (1973-1974).
(3) 1974 : Budget ajusté + crédits antérieurs. Budget des Recettes et des Dépenses pour l’année budgétaire 1975 (Chambre 4 (1974-1975).
(4) 1975 : Propositions. Budget des Recettes et des Dépenses pour l’année budgétaire 1975 (Chambre 4 (1974-1975).
(5) Conseil de la Communauté culturelle allemande. Les divers montants n’interviennent pas dans le calcul du total des crédits culturels. En 1975 une dotation de 12,4 millions a été inscrite en faveur de ce Conseil. Au cours des années antérieures le Parlement n’avait voté que des crédits destinés au fonctionnement de celui-ci.

Notes

  • [1]
    Principaux ouvrages à consulter : M.P. Herremans, La question flamande, Meurice, 1948, 205 p. – A. Willemsen, Het Vlaams nationalisme Ambo-Westland, 1965, 500 p.
  • [2]
    M. Van Haegendoren, De Vlaamse Beweging nu en morgen, Heideland, Hasselt, deel I, 1962, p. 18.
  • [3]
    Manu Ruys. Les Flamands, Lannoo/Vander, Tielt/Utrecht, 1973, pp.60-61.
  • [4]
    J. Herremans, Le Vlaams Economisch Verbond, Courrier Hebdomadaire n° 637, 15 mars 1974, 36 p.
  • [5]
    M. Van Haegendoren, op. cit., p. 85.
  • [6]
    La Libre Belgique, 28/29 décembre 1974.
  • [7]
    in : Manu Ruys, op. cit., p. 13.
  • [8]
    Cité par Maurice Bologne dans Notre passé wallon, Editions Institut Jules Destrée, 1973, 2e édition.
  • [9]
    Voir : "Le Mouvement Populaire wallon", Courrier Hebdomadaire n° 275 du 19 février 1965 ; "La coordination entre les mouvements wallons", Courrier Hebdomadaire n° 319 du 13 mai 1966, "Le mouvement "Wallonie libre"", Courrier Hebdomadaire n° 413 du 6 septembre 1968.
  • [10]
    La Libre Belgique, loc. cit.
  • [11]
    • "Le phénomène F.D.F.", Courrier Hebdomadaire n° 299, 29 octobre 1965 ;
    • "Le Parti wallon", Courrier Hebdomadaire n° 367, 26 mai 1967 ;
    • "Le F.D.F.-R.W.", Courrier Hebdomadaire n° 516, 2 avril 1971 et n° 517, 9 avril 1971.
  • [12]
    "L’autonomie culturelle". Brochure éditée par M. Léo Tindemans, ministre des Relations communautaires – 1971.
  • [13]
    op. cit.
  • [14]
    Voir J. Brassinne et H. Van Impe, "Les Conseils culturels", Courrier Hebdomadaire n° 624 et n° 625 des 7 et 14 décembre 1973.
  • [15]
    Une série d’efforts avaient été effectués antérieurement pour trouver une solution aux relations entre Flamands et Wallons. Si le Parlement a eu à en connaître, notamment lors des débats sur les lois linguistiques (1962-1963), plusieurs institutions ou groupes plus circonstanciels s’en étaient préoccupés : le Centre d’études pour la réforme de l’Etat (1936), le Centre Harmel (1949-1958), le Groupe de travail politique (1963), la Conférence de la Table ronde (1964-1965), la Commission Meyers-Vanderpoorten (1966-1968), le Groupe de travail des 28 (1968-1969) ; signalons en outre la communication du Premier ministre Eyskens faite au Parlement le 18 février 1970.
  • [16]
    Voir J. Grootaers, "La revision de la Constitution", Courrier Hebdomadaire n° 518-519, 22 avril 1971, et n° 555-556, 17 mars 1972.
  • [17]
    Créé par la loi du 10 juillet 1973 relative au Conseil de la communauté culturelle allemande.
  • [18]
    Les six matières contestées relèvent du ministre de la Santé publique : l’Oeuvre nationale de l’enfance (2,3 milliards), l’information en matière de contraception (25 millions), les crèches (220 millions), l’information familiale (80 millions), l’inspection médicale scolaire (500 millions) et le contrôle médico-sportif (30 millions).
  • [19]
    Clé de répartition : un tiers des crédits réparti en fonction des chiffres de population, un autre tiers réparti compte tenu de la superficie des régions, un dernier tiers réparti selon l’importance du volume de l’impôt sur les personnes physiques.
  • [20]
    Sur base de la loi de 1946, le Conseil d’Etat n’est compétent que pour des contestations qui concernent l’exécutif ; lorsqu’il s’agit de budgets, le Roi agit comme troisième branche du législatif, pour lequel le Conseil d’Etat n’est pas compétent.
  • [21]
    Commissions de la politique générale, des sports, de l’enseignement, des beaux-arts, de la R.T.B., du règlement et de la comptabilité, de la jeunesse et de l’éducation permanente, de la coopération internationale.
  • [22]
    La répartition entre les deux grandes communautés a fait l’objet d’un accord politique conclu en 1971 (Accord Parisis-Van Mechelen).
  • [23]
    Cfr. Annexe : Crédits culturels répartis entre les différents Conseils culturels de 1972 à 1975 ; p. 22.
  • [24]
    Le 28 février 1975, M. Tindemans a annoncé qu’un comité ministériel composé des deux ministres de la Culture, des deux ministres de l’Education nationale et des deux ministres de la Réforme des institutions a été chargé de définir les "critères objectifs sur base desquels devront être établies des dotations culturelles", La Libre Belgique des 1er-2 mars 1975.
  • [25]
    Voir X. Debeys, "Le pacte culturel", Courrier Hebdomadaire n°647, 6 juin 1974.
  • [26]
    Loi du 3 juillet 1971, chapitre II, section I. Dispositions en vue de prévenir toute discrimination pour des raisons idéologiques et philosophiques. Articles 4 à 6.
  • [27]
    Léo Tindemans, "L’autonomie culturelle", op. cit.
  • [28]
    Il s’agit de la loi du 16 juillet 1973 (Moniteur belge du 16 octobre 1973).
  • [29]
    Il s’agit de : MM. Van Elslande, en tant que ministre de l’Intérieur (le 6 juin 1974) ; Van Elslande, en tant que ministre des Affaires étrangères (les 2 et 16 juillet 1974, le 4 février 1975) ; F. Van Acker, secrétaire d’Etat au Budget (le 6 juin 1972) ; E. Anseele, en tant que ministre des P.T.T. (le 27 juin 1972) ; E. Anseele, en tant que ministre des Communications (les 8/22 mai 1973) ; Major, ministre de l’Emploi et du Travail (le 17 octobre et le 7 décembre 1972) ; Steverlynck, secrétaire d’Etat aux Classes moyennes (le 17 octobre 1972) ; L. Tindemans, en tant que ministre de l’Agriculture et des Classes moyennes (le 17 octobre 1972) ; De Saeger, en tant que ministre des Travaux publics (le 7 décembre 1972) ; De Saeger, en tant que ministre de la Santé publique (le 22 mai 1973, le 21 mai 1974) ; Breyne, secrétaire d’Etat au Logement et à l’Aménagement du Territoire (le 7 décembre 1972) ; Daems, secrétaire d’Etat aux P.T.T. (le 8 mai 1973) ; Hannotte, ministre des Classes moyennes (le 22 mai 1973) ; Lavens, ministre de l’Agriculture (le 22 mai 1973 et 21 mai 1974) ; Schyns, secrétaire d’Etat aux Cantons de l’Est et du Tourisme (le 22 mai 1973) ; Hanin, ministre de la Politique scientifique (les 5 et 19 juin 1973) ; W. Claes, ministre des Affaires économiques (les 16 octobre et 20 novembre 1973) ; R. Vandekerckhove, ministre de la Réforme des Institutions (le 17 décembre 1974) ; P. De Paepe, ministre de la Prévoyance sociale (le 21 janvier 1975) ; Chabert, en tant que ministre des Communications (les 4 février et 4 mars 1975) ; L. Dhoore secrétaire d’Etat à l’Economie régionale, à l’Aménagement du territoire et au Logement (le 4 mars 1975) ; Mme Verlackt-Gevaert, secrétaire d’Etat à la Famille (le 22 mai 1973).
Jacques Brassinne
Serge Govaert
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Mis en ligne sur Cairn.info le 10/10/2014
https://doi.org/10.3917/cris.685.0001
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