CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans notre bulletin n? 69 du 24 juin 1960, nous annoncions que nous ne manquerions pas de faire le point en temps voulu sur l’état de l’opinion à l’égard de la crise du régime parlementaire. Les évènements congolais ont provoqué dans l’opinion publique de vives réactions ; certaines d’entre elles visent directement le fonctionnement et la structure des institutions nationales.

Chapitre I. les tendances de l'opinion manifestée par la presse

§ 1er. La réaction conservatrice et les thèses d’extrême droite

2Dans la Libre Belgique du 6 juillet 1960, le Baron Zürstrassen s’en prend directement au socialisme en lequel il voit la cause principale de la perturbation profonde apportée au régime de l’État. Le Baron Zürstrassen estime que le parti socialiste a détruit l’équilibre harmonieux du régime tel qu’il a été élaboré au début du XIXe siècle lors des travaux du congrès national, en 1830-1831.

3L’auteur de l’article dénonce le caractère totalitaire de l’organisation socialiste. Les organisations du parti, dit-il, entendent accaparer l’homme sous tous ses aspects : organisation des femmes et des enfants, soins de santé, distribution des produits alimentaires ou des produits de première nécessité, vacances, loisirs, habitation, à tous les besoins de la vie humaine correspond une organisation du parti. En outre, le Baron Zürstrassen reproche au socialisme d’avoir totalement déséquilibré l’économie libérale par l’introduction d’une législation fiscale très lourde, une intervention intempestive dans l’économie et enfin des limitations multiples au droit de propriété. En outre, sur le plan de l’État, c’est le socialisme qui est à l’origine de la multiplication d’organes de fait ou de droit en dehors de l’institution parlementaire.

4L’article du Baron Zürstrassen est essentiellement négatif, mais on peut facilement en déduire que le fonctionnement harmonieux d’un régime parlementaire n’est possible que si l’on a affaire à un parlement composé de membres très indépendants sur le plan individuel et dans un État qui respecte entièrement l’équilibre naturel d’une économie purement libérale qui ne subit aucune pression de groupes organisés.

5Dans La Libre Belgique du 15 juillet 1960, le professeur DECORTE fait une fois de plus le procès du régime et s’attaque directement à l’idée même de la démocratie à l’échelle des très grandes communauté humaines. Il s’exprime comme suit : “Plus une communauté est restreinte numériquement et territorialement, plus elle est apte à être gérée selon les principes et les normes de la démocratie. Il en résulte également que plus les problèmes à résoudre sont simples et leurs données accessibles à tous, plus la communauté pourra les trancher par la voie démocratique. Mais l’inverse est vrai à son tour : “Une société nombreuse, vaste, complexe, ne peut être une démocratie. Elle en portera sans doute le nom, elle ne sera qu’une pseudo-démocratie dont le fonctionnement sera sans cesse paralysé par des facteurs étrangers à la nature du régime dont elle usurpe l’appellation”. Dans cette conception, la démocratie directe est la démocratie idéale mais elle n’est réalisable qu’à l’échelle d’une communauté humaine extrêmement réduite qui ne dépasse pas pratiquement les dimensions d’un village.

6Autre manifestation de la réaction conservatrice antidémocratique devant les évènements du mois de juillet : L’Echo de la Bourse des 10 et 11 juillet 1960, pour expliquer le mauvais fonctionnement des institutions parlementaires agite “l’épouvantail de puissances occultes” ; dans un style assez mystérieux, cet article semble déceler au sein du Parlement “une majorité occulte qui domine la majorité officielle”. En toutes matières, mais spécialement en matière congolaise, les hommes du régime auraient été ainsi le jouet de “certains meneurs de jeux dont la couleur, les inspirations et les attaches sont connues mais qui n’ont aucune responsabilité officielles cette thèse, la restauration de l’État ne peut émaner de la multitude ou d’une assemblée qui la représente. Ces remarques appellent une réaction d’en haut venant d’un pouvoir fort et indépendant à l’égard des grands groupes sociaux. La presse conservatrice rejoint de cette manière sans l’exprimer ouvertement la position prise par certains périodiques nés depuis les évènements congolais du mois de juillet 1960, notamment “Le Cri du peuple” et “Belgique-Afrique” qui préconisent un régime gouvernemental où les Ministres relèvent directement de l’autorité du Roi et non de celle du Parlement ou des partis dont les groupes parlementaires ne sont que les instruments au sein de l’Assemblée.

7Ni les journaux conservateurs, ni ces opuscules plus ou moins fascisants ne préconisent ouvertement un régime autoritaire qui supprimerait purement et simplement l’institution parlementaire. Leur tendance générale, dans la mesure ou on peut la dégager de la confusion de leurs propos, est favorable à un retour à une conception de la monarchie qui était celle de l’État prussien sous Bismarck ou de l’Empire sous Napoléon III. Dans cette conception, l’institution parlementaire n’est pas éliminée mais elle est réduite au rôle d’une légitime représentation d’intérêt sans influence directe ou déterminante sur la formation et la vie des gouvernements.

§ 2. Les réactions socialistes et démocrates chrétiennes

8La presse socialiste et démocrate chrétienne commencent par réagir d’une manière essentiellement défensive. “Les évènements du Congo ne peuvent servir de prétexte pour faire exploser en surface une marée de sentiments profondément antidémocratiques”. Voyez La Cité du 13 juillet et du 20 juillet 1960, la Wallonie du 20 juillet, Het Volk du 22 juillet et Le Peuple des 23 et 24 juillet 1960.

9Mais les réactions ne se contentent pas d’être superficiellement défensives. Dans La Cité du 20 juillet 1960, Jean Henen répète : “Nous avons dit souvent qu’il appartenait aux démocrates de repenser de restaurer eux-mêmes le régime avant que s’y emploient certains extrémistes.”

10Dans Le Peuple du 27 septembre 1960, Victor Larock dans un éditorial s’attache à faire l’analyse des sentiments antiparlementaires qui s’expriment dans les milieux conservateurs ou de droite. “En réalité, explique Victor Larock, les erreurs commises par notre régime, notamment en matière congolaise, ne sont pas le fait des pouvoirs de l’État. Elles sont le résultat de l’imprévoyance, l’inefficacité ou le manque de générosité des pouvoirs réels. Or, le pouvoir réel, notamment au Congo, se trouve dans les mains du capitalisme. Le capitalisme belge est fortement concentré et il n’est pas impossible de découvrir les vrais responsables. Ce sont les capitalistes et les conservateurs qui, au Congo, n’ont pas voulu préparer la population congolaise à un état différent de celui de la subordination coloniale. Mais pour l’opinion publique, les maîtres du pouvoir réel ne sont pas apparents. Aussi, il est aisé pour le capitalisme en cas de crise de chercher des boucs émissaires sur le plan très visible des institutions politiques. Le pouvoir apparent, c’est-à-dire le gouvernement et le parlement ainsi que les partis politiques ou les syndicats se voient ainsi imputer une responsabilité qui incombe au pouvoir réel.

11Il est donc très aisé pour le capitalisme de se servir des institutions politiques comme de boucs émissaires”.

12La conclusion de cette analyse, c’est que ce n’est pas le régime politique qui doit être mis en cause, mais bien le régime économique. “Il faut profondément modifier celui-ci et y introduire la démocratie économique sans laquelle la démocratie politique est un phénomène purement superficiel. Le régime parlementaire est une démocratie formelle qui, dans l’état actuel des choses, n’a pas de prise sur la réalité des faits.”

13Cette opinion du leader socialiste est à mettre en parallèle avec les vues assez positives du leader syndicaliste Hervé Brouhon. On trouve dans l’hebdomadaire “Syndicat” du 27 août 1960 des propos qui correspondent à cette analyse. Hervé Brouhon en conclut qu’il faut transformer le Sénat en chambre économique et sociale et il faut donner des pouvoirs réels et non pas des pouvoirs de pure consultation au Conseil central de l’Economie, aux Conseils professionnels et aux Conseils d’Entreprises.

14Dans Le Peuple du 9 juin 1960, on peut déjà lire du même auteur des considérations semblables.

15Dans le Journal “Le Peuple” du 27 juillet 1960, le Président du Parti, Léo Collard, avait déjà écrit qu’il fallait imputer la responsabilité de beaucoup d’erreurs aux grandes familles qui, sur le plan économique, dirigent réellement l’économie de la Nation. Actuellement, pense-t-il, on substitue trop facilement aux responsabilités dos vrais dirigeants du régime la culpabilité présumée des hommes politiques, tant au Gouvernement qu’au Parlement.

16On peut facilement résumer la thèse socialiste de la manière suivante : “il ne faut pas imputer les erreurs dont nous souffrons aux institutions politiques, il faut chercher les véritables responsables c’est-à-dire les dirigeants du capitalisme.”

§ 3. La thèse des modérés

17En dehors des réactions démocrates chrétiennes et socialistes, certains milieux conservateurs modérés réagissent également avec une certaine vivacité à l’égard des transformations du régime dans un sens néo-monarchiste.

18Dans Vers l’Avenir du 11 août 1960, le Président du Parti social-chrétien, M. Théo Lefèvre, se prononce vigoureusement contre un gouvernement d’affaires composé d’extra-parlementaires, formé par le Roi et essentiellement responsable devant lui. Il est injuste, dit le Président Lefèvre, d’imputer les évènements du Congo aux institutions politiques et aux partis politiques. Les partis et les hommes politiques au contraire se sont trop peu souciés du Congo et ont laissé celui-ci, en fait, depuis le début de la colonisation jusqu’à ces dernières années, dans les mains des hommes d’affaires ou des politiques de l’administration coloniale. À cet égard, il semble qu’il faut considérer que les accusateurs d’aujourd’hui devraient être souvent les accusés.

19Dans un article du 12 août 1960, intitulé “Vers l’Aventure”, Le Courrier de l’Escaut dénonce également toute tentative de formation d’un gouvernement d’affaires composé d’hommes indépendants du Parlement. “Un régime de type gaulliste en Belgique serait un désastre parce que c’est la Couronne qui devrait jouer le rôle actif de Chef d’État qui est l’élément essentiel de la Vème République française. Peut-on imaginer, dit le même journal du 18 août 1960, un gouvernement dont le Roi serait pratiquement le Premier Ministre entouré d’extra-parlementaires techniciens. Quels seraient les rapports d’un tel gouvernement avec la représentation parlementaire ? Quel serait son programme et quelles seraient ses chances de succès ?”

20“Dans le contexte politique belge, un conflit grave est inévitable, la monarchie risque de jouer son existence même et à long terme, de ce conflit extrêmement dangereux ne pourrait surgir qu’une majorité absolue socialiste ou, en tous cas, une majorité d’une vaste coalition de front populaire.”

21Dans La Dernière Heure du 11 août 1960, un article dans le même sens exhorte l’opinion à ne pas céder “aux intrigues déplorables des milieux d’affaires qui profiteraient de la carence du pouvoir.”

22La thèse modérée se résume donc comme suit : Toute tentative de régime fort, de style anti-parlementaire, centré sur la Couronne, et de tendance très conservatrice sur le plan économique, risque de provoquer par choc en retour un bouleversement très grave dans le régime politique et économique de Belgique. La monarchie, le régime économique libéral et les classes bourgeoises en seraient les premières victimes.”

23Il faut donc que le régime se réforme par l’intérieur et trouve des mécanismes efficaces qui le font sortir de l’ornière. À cet égard, il est intéressant de constater que le journal Le Rappel du 24 août 1960 se prononce en faveur d’un régime parlementaire juridiquement semblable au régime actuel mais au sein duquel une certaine souplesse serait introduite par la pratique fréquente des questions libres où les parlementaires conservent leur liberté de vote dans une série de questions qui n’engagent pas la vie du gouvernement.

Chapitre II. L'élaboration des réformes

§ 1er. Le Week-end d’étude de la revue “Socialisme” à Klemskerke le 1er et le 2 octobre 1960

24Les participants au week-end d’étude socialiste de Klemskerke ne sont pas nécessairement pris parmi les dirigeants responsables du parti. C’est une réunion de libre discussion et d’étude mais il est significatif d’y signaler la présence d’Antoine Spinoy qui préside officiellement au sein du Parti une Commission chargé d’étudier les problèmes de la réforme de l’État.

25Plusieurs parlementaires participaient à ce week-end d’étude et le premier rapporteur était le Député Marc-Antoine Pierson.

26Les débats de Klemskerke sont donc susceptibles d’avoir une influence sur les positions que prendra le parti socialiste dans l’avenir au sujet de la réforme du régime.

27Le premier rapporteur a successivement abordé le problème de la monarchie, du Conseil des Ministres et de sa structure interne, du Parlement, sa composition et ses méthodes de travail, les rapports entre le Gouvernement et le Parlement et, enfin, la structure de l’administration, des parastataux et des pouvoirs subordonnés.

28En ce qui concerne la monarchie, les socialistes è Klemskerke n’ont évidemment pas préconisé son renversement au nom d’un principe républicain. La monarchie est acceptée comme un fait historique mais toute équivoque doit être écartée en ce qui concerne son rôle réel.

29Le premier rapporteur estime que l’organisation de la Cour a terriblement vieilli. Le Département du Grand Maréchal de la Cour, la Maison militaire sont des institutions qui pourraient être facilement abrogée. Un simple Cabinet civil et quelques officiers d’ordonnance suffisent pour aider le Roi à exercer ses prérogatives constitutionnelles. “Les socialistes souhaitent donc la disparition pure et simple de “l’entourage” et de son protocole désuet. Le rapporteur souhaite que l’on codifiât les règles coutumières qui régissent les prérogatives royales essentiellement pour la constitution du gouvernement et la démission des Ministres. “Avant de former un Gouvernement, le Roi procède aux consultations traditionnelles, il désigne le formateur ayant le plus de chance de réunir la confiance d’une majorité parlementaire et le formateur procède à la composition de son équipe. Le Roi doit s’abstenir d’exercer une sorte de droit de véto sur la personne de tel ou tel Ministre choisi par le formateur, il doit également s’abstenir d’imposer contre le grédu formateur une personnalité dont celui-ci ne veut pas.”

30“Quant au vote de confiance des Chambres, il doit être considéré comme donnant au Conseil des Ministres une réelle investiture, le Gouvernement reconnaissant par là que le fondement de son pouvoir se trouve dans la souveraineté nationale représentée par l’Assemblée. Le vote de censure d’une des deux Chambres ou des deux Chambres provoque la démission collective du Gouvernement. En outre, les Ministres ont le droit de présenter collectivement ou individuellement leur démission au Roi.”

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“Quant au pouvoir du Roi de révoquer ses Ministres, tel qu’il est prévu par l’article 65 de la Constitution, il nécessite le contreseing du Premier Ministre et la pleine responsabilité de cette décision devant le Parlement.”

32En ce qui concerne la politique gouvernementale et les décisions que les Ministres ou le Conseil des Ministres soumettent à la signature royale, les participants du week-end d’étude sont partisans du respect rigoureux et absolu du principe selon lequel le Roi règne et ne gouverne pas. “Le Roi ne peut donc pas freiner une tendance quelconque en refusant discrètement de signer des arrêtés royaux ; il ne peut agir sur ses Ministres que par la voie de la persuasion ; il ne peut imposer des décisions de quelque manière que ce soit.”

33Le problème de la monarchie a provoqué une discussion assez mouvementée. Le second rapporteur, François Perin, fit observer que le principe selon lequel le Roi règne et ne gouverne pas ne vaut que pour le XXème siècle dans un contexte monarchique britannique ou scandinave. Au XIXème siècle, les Rois des Belges ont entendu exercer une influence réelle sur la marche du Gouvernement tout en passant par la règle de la responsabilité ministérielle.

34Le second rapporteur a souligné le danger que pourraient présenter les circonstances actuelles en cas de carence grave des négociations politiques entre partis et groupes parlementaires, “la monarchie pourrait être tentée par certains milieux de former un gouvernement de type extra-parlementaire, très indépendant à l’égard des partis et des assemblées. La tentative du mois d’aout pourrait se reproduire. La monarchie serait tentée de sortir gravement de son rôle. Mais elle se heurterait très vraisemblablement à une forte résistance au sein même du monde catholique et, particulièrement, du parti social-chrétien. Les démocrates chrétiens et la tendance conservatrice modérée représentée par le Président, Théo Lefèvre, semblent vouloir s’opposer énergiquement à toute tentative de ce genre. Si la monarchie devait provoquer des difficultés graves au sein du parti social-chrétien, il n’appartient pas aux socialistes de venir à son secours d’une façon quelconque, la monarchie est une institution archaïque, séquelle du passé. La Gauche belge ne doit pas gaspiller son énergie pour la renverser, mais si les difficultés devenaient assez grandes, il ne faut pas hésiter à abandonner une institution qui ne trouverait plus de défenseurs réels. La notion de chef d’état irresponsable, que ce soit un monarque héréditaire ou un président de république, n’est d’ailleurs pas une notion indispensable à la vie d’un état moderne. On peut imaginer un État dont l’Assemblée parlementaire procède à l’élection du Premier Ministre et approuve la formation de l’équipe gouvernementale par un simple vote d’investiture. Toutes les attributions traditionnelles des chefs d’État peuvent être exercées par le Premier Ministre et le Conseil des Ministres. La désignation du Premier Ministre par le Chef de l’État peut être sans difficulté remplacée par l’élection du Premier Ministre par le Parlement.”

35Le deuxième objet des discussions est le Conseil des Ministres, centre de gravité de la vie de l’État.

36Le premier rapporteur en a fait un long historique, de 1830 à nos jours, pour en dénoncer à la fois la désintégration et l’enflure excessive. Le rapporteur préconise une concentration des pouvoirs gouvernementaux dans les mains de six Ministres, y compris le Premier Ministre. Les cinq collaborateurs du Premier Ministre seraient le Ministre des Affaires économiques et financières, le Ministre de la Gestion publique, le Ministre des Affaires Étrangères et de la Défense Nationale, le Ministre des Affaires sociales et le Ministre des Affaires techniques. Les ministres formant le Cabinet auraient sous leur autorité un certain nombre de départements à la tête desquels seraient places des Ministres-Sous-Secrétaires d’État. Par exemple, le Ministre des Affaires Étrangères aurait sous son autorité la Défense Nationale, les affaires africaines, les affaires européennes, le département de l’ONU, etc.. À la tête de chacun de ces départements se trouverait un sous-secrétaire d’État. Les sous-secrétaires d’État se réuniraient régulièrement sous l’autorité du Ministre faisant partie du Cabinet. Les sous-secrétaires d’état en principe n’assistent pas au Conseil de Gouvernement sauf sur des objets qui sont particulièrement de leur compétence et lorsque leur présence est souhaitée. Au point de vue terminologique, les délibérations des six Ministres seraient revêtues du titre de Conseil de Gouvernement. Le Conseil de Cabinet, lui, réuni plus rarement, comporterait la totalité des Ministres et des sous-secrétaires d’État.

37Afin d’éviter que la structure concentrée du Cabinet soit remise en cause sous l’influence de pressions irrésistibles au moment où le formateur compose son gouvernement, le rapporteur, Marc Antoine Pierson, propose que cette structure gouvernementale soit stabilisée par une loi appropriée. La structure interne du gouvernement serait désormais impersonnelle et constituerait un cadre qui s’impose aux divers formateurs.

38Cette partie du rapport n’a pas fait l’objet de contestations très sérieuses. Il a paru toutefois excessif à certains participants, dont Antoine Spinoy, de réduire le hombre des membres du Conseil de Gouvernement à six, mais l’unanimité semble se faire sur cette idée que le Gouvernement ne doit pas dépasser le maximum de dix ministres y compris le Premier Ministre.

39La troisième partie du rapport était consacrée à l’institution parlementaire.

40Le rapporteur estime que les Commissions parlementaires actuelles correspondant aux départements ministériels sont beaucoup trop nombreuses, les parlementaires fréquentant en moyenne deux commissions ne sont mis au courant que d’une fraction très réduite du travail parlementaire. Au sein du Parlement, le rapporteur suggère également une certaine concentration : les Chambres seraient divisées en sections spécialisées : Finances et Économies, Gestion publique. Affaires Étrangères, etc…. Ces sections composées de plus ou moins septante membres désignés en respectant les règles de la représentation proportionnelle auraient le droit de délibérer publiquement des budgets, d’une série de projets de lois, ainsi que d’interpellations importantes concernant les matières qui leur sont propres. L’Assemblée plénière du Parlement ne connaîtrait que des votes sur les projets de loi, sur les déclarations gouvernementales, sur les motions faisant suite aux interpellations dont l’importance est reconnue par le Comité des Présidents de sections.

41Avec de telles méthodes, le travail parlementaire serait considérablement accéléré.

42Le système bicaméral actuel a été assez sérieusement critiqué par le premier Rapporteur mais celui-ci constate que, dans l’état actuel de l’opinion, le problème de la constitution d’un Sénat économique et social n’est pas encore mûr mais qu’il faut envisager sérieusement dans l’avenir une étude approfondie de la structure de la seconde Chambre. Il est tout à fait inutile de prévoir un régime bicaméral si les deux Chambres sont dotées exactement de la même structure, des mêmes attributions, c’est un double emploi inutile.

43La nature du Parlement a été soulignée énergiquement. Celui-ci est considéré comme l’organe suprême de la souveraineté populaire. Le Parlement doit réclamer en sa faveur une priorité absolue pour toute déclaration politique émanant de l’Exécutif, que ce soit le Roi ou le Premier Ministre au nom du Conseil des Ministres. Lorsque le Gouvernement s’engage dans une voie déterminée, il est utile que ses manifestations d’intentions soient exprimées devant le Parlement qui, par le vote de motions, peut ainsi être directement associé à la politique du pays par une intervention préalable. Dans cette conception, le Parlement n’est donc pas un organe d’élaboration législative ou de contrôle de l’action gouvernementale, le Parlement devient un organe de conception de la politique en collaboration avec le Gouvernement.

44Le rapporteur développe quelques vues sur la machine administrative. À son avis, une réforme profonde est également nécessaire sur ce plan. L’administration est beaucoup trop subdivisée en une foule de degrés qui s’échelonnent tout au long de la hiérarchie et qui ne provoquent que des lenteurs, des pertes de temps, des double, triple ou quadruple emplois, il est nécessaire de rationaliser tous les services, de simplifier la hiérarchie administrative afin que l’élaboration des décisions, de la correspondance, des notes et dossiers ne soit pas soumise à une multitude d’examens successifs au cours desquels la responsabilité des fonctionnaires devant leur Ministre se dilue dangereusement. Il vaut mieux faire une carrière plane aux agents de l’État au point de vue des rémunérations que de multiplier en vain les grades sous prétexte d’ouvrir une certaine carrière aux fonctionnaires.

45Le rapporteur s’insurge contre la tendance à l’inamovibilité de fait des fonctionnaires, il voudrait que l’efficacité, la compétence de ceux-ci soient périodiquement remises en cause.

46Le rapporteur a également abordé sommairement la réforme des parastataux, des pouvoirs subordonnés et de la tutelle administrative.

47En ce qui concerne les autorités locales, il souhaite, un certain regroupement des administrations communales, il préconise l’intercommunalisation obligatoire de certains services et se prononce enfin en faveur d’une forme quelconque de grandes agglomérations.

48Le second rapporteur, François Perin, n’a pas eu pour mission d’introduire un débat contradictoire et de contester les réformes suggérées par Marc-Antoine Pierson. Au contraire, il s’est rallié à ses vues d’une manière générale, mais il estime que même une réforme sérieuse des structures du Gouvernement et du Parlement n’aboutirait pas à résoudre le problème essentiel posé par le régime parlementaire en Belgique et, en général, sur le continent européen. En effet, quelle que soit l’amélioration des institutions dans leur forme, ces réformes ne peuvent pas modifier la géographie politique du pays et le problème posé par le désaccord des Ministres appartenant à des partis différents au sein d’une coalition reste entier. Or, on sait qu’en Belgique comme ailleurs, ce désaccord toujours potentiel est, pour le Gouvernement, soit une cause d’instabilité, soit une cause de paralysie. Depuis une dizaine d’années, sans doute les Gouvernements belges sont-ils extrêmement stables mais ils paient cette stabilité par leur immobilisme.

49Le second rapporteur s’attache à analyser les causes de cette paralysie. Quelle que soit leur structure interne, les gouvernements parlementaires vivent au jour le jour se contentant de gérer plus ou moins consciencieusement les affaires de l’État sans être capables d’imposer au pays des réformes indispensables pour assurer son équilibre et spécialement sa santé économique ou sociale.

50Le rapporteur rappelle la règle coutumière selon laquelle les ministres parlementaires doivent être unanimes et solidaires sur toutes les décisions importantes que le Gouvernement est appelé à prendre. Le désaccord se solde par la démission du Ministre qui ne peut prendre la responsabilité collective d’une décision qu’il n’approuve pas. Cette unanimité, sanctionnée par la solidarité ministérielle, est une force lorsque le gouvernement est homogène et s’attache à la réalisation d’un programme cohérent et dynamique. Cette formule est réalisable en Grande-Bretagne où le Gouvernement jouit d’une majorité absolue au sein de la Chambre des Communes.

51Dans les pays qui pratiquent le multipartisme au contraire, l’unanimité gouvernementale est une utopie. Les déclarations gouvernementales sont d’interminables manifestations d’intentions dont les formules sont d’autant plus vagues, imprécises voire équivoques que l’accord réel des partenaires fait défaut. La réalisation pratique de ce programme imprécis ou équivoque provoque de multiples difficultés que le Gouvernement éluder pour durer. Dans ce contexte politique, la crise gouvernementale en effet n’est d’aucune utilité puisqu’aucun gouvernement ne peut succéder au gouvernement démissionnaire pour faire une autre politique. Le secret de la longévité relative des gouvernements belges se trouve donc dans l’attitude du Conseil des Ministres et, particulièrement, du Premier Ministre à étouffer les questions difficiles qui divisent les partis de la coalition ou les tendances diverses au sein d’un même parti.

52Le rapporteur a donc mis essentiellement l’accent sur le fait que, dans nos régimes parlementaires, les membres du Conseil des Ministres sont titulaires d’un véritable droit de véto qui paralyse toutes les vélléités de réformes.

53Cette question est d’ailleurs restée sans solution et c’est un parlementaire participant, M. Marcel Busiau, qui a fait observer que la question soulevée par le second rapporteur était restée sans réponse.

54Le rapporteur a fait l’exposé des régimes présidentiels américain et collégial suisse qui échappent à ces règles du régime parlementaire. Il a défendu la thèse du régime collégial pour la Belgique mais les participants du week-end d’étude ne l’ont pas suivi sur ce terrain. Les milieux socialistes ne sont pas prêts à admettre que, avec l’approbation du Parlement, un Gouvernement soit formé pour une durée fixe comme les Députations permanentes des Conseils provinciaux ou les Collèges des Bourgmestre et Échevins. Les milieux socialistes restent fermement attachés au principe de la responsabilité ministérielle collective devant le Parlement avec la possibilité pour l’Assemblée de renverser celui-ci par une motion de censure.

55Dans sa réplique, le second rapporteur, logique avec des principes, a plaidé en faveur de la pratique fréquente et élargie des questions libres, questions qui permettraient aux parlementaires de voter sans se soucier de la stabilité du Gouvernement étant entendu que celui-ci s’abstiendrait de poser la question de confiance dans une série de problèmes qu’il ne peut résoudre en raison du désaccord des Ministres. La meilleure formule de Gouvernement est donc un Conseil des Ministres très peu nombreux, assistés de sous-Secrétaires d’État pour la gestion quotidienne des services, un contrat politique unissant les membres du Conseil des Ministres sur des points très limités et très précis, spécialement en matière économique et sociale, la pratique généralisée de la question libre au sein du Parlement pour toutes les autres questions qui ne relèvent pas de ce contrat limité et précis, les Ministres prêtant activement leurs bons offices pour favoriser des négociations entre groupes parlementaires afin de dégager une solution sur laquelle il n’est pas indispensable que le Gouvernement fasse l’unanimité des Ministres. Cette dernière orientation semble avoir fait beaucoup plus de convaincus que les suggestions de bouleversement profonds tendant à rapprocher le régime parlementaire belge des structures américaines ou helvétiques.

56Le bilan du week-end d’étude des socialistes à Klemskerke peut donc se résumer comme suit : Monarchie constitutionnelle de type britannique et scandinave, Gouvernement dynamique et cohérent grâce au petit nombre des Ministres du Conseil de Gouvernement, nomination de sous-secrétaires d’État pour assurer la gestion quotidienne des services administratifs sous l’autorité des membres du Conseil, simplification de la hiérarchie administrative, contrat politique exprimé dans une déclaration gouvernementale très courte, très limitée mais assez précise essentiellement sur l’orientation économique et sociale du Gouvernement, pratique généralisée de la question libre au sein du Parlement afin de rencontrer le grief fondé de paralysie et d’immobilisme articulé contre le régime parlementaire actuel.

§ 2. Les travaux de la sous-Commission relative à la réforme des institutions, dans le cadre de la Commission des Structures politiques du Centre d’Étude politique, économique et social du Parti social-chrétien

57La sous-Commission chargée de la réforme de l’institution politique est présidée par le baron Snoy. Cette sous-Commission étudie le problème de la réforme des institutions depuis plusieurs mois, aucun document n’a été publié jusqu’à ce jour.

58Les travaux de cette sous-Commission s’orientent dans un sens assez parallèle aux préoccupations des socialistes réunis en week-end d’étude à Klemskerke.

59En ce qui concerne la formation et l’organisation du Gouvernement, la sous-Commission du Parti Social-Chrétien préconise également la constitution d’un Cabinet restreint, la tâche de tracer les grandes lignes de la politique devant être le fait d’un très petit nombre d’hommes, cinq à sept tout au plus.

60Le Premier Ministre préside ce Cabinet restreint et doit être déchargé de tout souci de gestion administrative. Les Membres du Cabinet restreint sont essentiellement chargés d’un travail de haute coordination des services de l’État. En dehors de ce Cabinet restreint, des Ministres seraient chargés de la responsabilité des départements. Des sous-secrétaires d’État pourraient être adjoints à ces Ministres. Un des membres les plus importants du Cabinet restreint porterait le titre de Ministre de l’Économie nationale et des Finances, il assurerait la coordination nécessaire de la politique générale du Gouvernement avec l’aide d’un Bureau de programmation économique renforcé d’une administration d’aménagement du territoire. Seraient groupés sous l’autorité de ce Ministre, le Ministre des Finances, le Ministre des Affaires Économiques, celui des Transports et celui de l’Agriculture. Les Travaux publics, les Chemins de fer, les Régies, l’énergie, le commerce, les classes moyennes, la trésorerie et le budget seraient autant de sous-secrétariats d’État soumis à l’ensemble de la politique du Ministre de l’Économie nationale.

61Même regroupement en ce qui concerne les Affaires sociales, avec sous une autorité unique, une hiérarchie complète de ministres et de sous-secrétaires d’État, traitant les problèmes relevant du Travail, de la Prévoyance sociale, de la Santé publique, de la Famille, etc… Les affaires relatives aux fonctionnaires des divers services publics relèveraient de l’autorité d’un Ministre de la Fonction publique. Enfin, l’indispensable coordination des relations extérieures implique la désignation d’un Ministre qui assurerait l’unité de direction du département des affaires étrangères, du Commerce Extérieur et de l’Armée. Les affaires européennes relèveraient également de ce Ministre des relations extérieures.

62Les Conseils spécialisés actuels : Comité ministériel de Coordination économique, Comité du Budget, Comité de la Défense, Comité de la politique scientifique, etc.. seraient supprimés. Le Conseil de Cabinet restreint se réunirait une fois par semaine comme le Conseil des Ministres actuel. Le Conseil plénier de tous les membres du Gouvernement ne se réunirait qu’une fois par mois et, enfin, chaque Ministre du Conseil restreint présiderait périodiquement des réunions des Ministres et sous-Secrétaires d’État placés sous sa direction. Ce n’est que lorsque la coordination des grands problèmes, surtout en matière économique et sociale, l’impose que les dossiers seraient soumis au Conseil de Cabinet restreint. Dans les autres cas, la gestion quotidienne des affaires d’État peut être assurée par les Ministres à la tête de leur nouvelle équipe. Quant au Premier Ministre, il assurerait l’unité d’action de l’ensemble de son gouvernement en se faisant assister d’un important secrétariat unique pour tous les conseils ministériels. Ce secrétariat aurait mission de préparer les ordres du jour des réunions afin d’assurer la subordination au programme gouvernemental et au plan de développement national de tous les services étatiques. [1]

§ 3. Les structures nouvelles résultant du remaniement ministériel du 3 septembre 1960

63Le nouveau ministère, présidé par M. Eyskens, comporte trois ministres chargés d’une tâche de coordination. C’est le Ministre P.W. Segers, chargé de la coordination sociale mais qui reste titulaire d’un ministère classique, celui des Communications, le Ministre A. Dequae, qualifié de Ministre de la Coordination économique, et le Ministre R. Vreven, qui porte le titre de Ministre de la Coordination des réformes institutionnelles. Les Ministres chargés d’une tâche de coordination ne forment toutefois pas entre eux avec le Premier Ministre un Cabinet restreint qui constituerait une autorité supérieure à celle des autres Ministres. Le Conseil des Ministres continue à compter vingt ministres à part entière : le Ministre de la Prévoyance sociale, M. Servais, le Ministre de l’Emploi et du Travail, M. Urbain, le Ministre de la Santé publique et de la Famille, M. Segers, le Ministre des Classes Moyennes, M. Vanden Boeynant, ne sont pas mis sous l’autorité hiérarchique de M. Segers, chargé de la coordination sociale. Toutefois, cette dernière qualification implique pour le Ministre Segers la charge de collaborer étroitement avec les Ministres qui ont dans leurs attributions des affaires sociales. Le Ministre de la Coordination économique, M. Dequae, ne semble pas avoir autorité comme un Ministre de l’économie nationale sur le Ministre des Finances par exemple et le Ministre des Affaires économiques, M. Vanderschueren. Le Ministre de la Coordination des réformes institutionnelles n’est pas privilégié par rapport au Ministre Pierre Harmel, chargé de la fonction publique. Il semble donc qu’il y ait un inévitable chevauchement des attributions, la collaboration devant s’élaborer sur un pied d’égalité.

64Le nouveau Gouvernement compte toutefois quatre sous-secrétaires d’État ; M. Degryse, sous-secrétaire d’État aux Postes, Télégraphe, Téléphone, subordonné au Ministre des Communications, le Ministre, sous-secrétaire d’État aux affaires culturelles, vraisemblablement subordonné au Ministre de l’Instruction publique, le Ministre, sous-secrétaire d’État à l’Énergie, M. Deloze, subordonné au Ministre des Affaires Économiques et le Ministre, sous-Secrétaire d’État au Budget subordonné au Ministre des Finances.

65Comme on le voit, la terminologie mise à part, il y a une assez grande distance entre le remaniement ministériel restreint et les conceptions de la sous-Commission d’étude du Centre d’étude social-chrétien et les conceptions des participants au week-end d’étude de la revue “Socialisme”.

66Il est impossible, dans l’état actuel des choses, de supputer sérieusement les chances de réussite de ces projets de réforme. Il y a sans doute de grandes similitudes quant à la forme des structures étatiques nouvelles entre les conceptions des commissions d’étude sociales chrétiennes et socialistes et les nouvelles structures gouvernementales ne sont qu’un contenant. Il est à présumer que le contenu, c’est-à-dire la politique à suivre doit être très différente selon qu’il s’agit des buts poursuivis par le Baron Snoy d’une part ou par le Député Marc-Antoine Pierson, d’autre part. La réussite dans l’avenir d’un renouvellement sérieux des structures gouvernementales dépend donc entièrement d’un accord politique éventuel entre partenaires décidés à affronter les grands problèmes politiques, économiques et sociaux qui divisent actuellement l’opinion publique.

ANNEXE

LE STATUT DU PARLEMENTAIRE

I – Le nombre des parlementaires

A – A la Chambre

67L’article 49 de la Constitution déclare que : “La loi électorale fixe le nombre des députes diaprés la population ; ce nombre ne peut excéder la proportion d’un député sur 40.000 habitants …”.

68La proportion constitutionnelle est un maximum.

69Il faudrait une révision de la Constitution pour dépasser ce maximum et augmenter le nombre de députés sans qu’une augmentation préalable de la population ne justifie l’adaptation du nombre de sièges.

70Mais rien n’empêche la loi électorale de descendre en-dessous de ce maximum et de prévoir par exemple un député par 80.000 ou par 60.000 habitants, ce qui réduirait le nombre de députés de 50 à 25.

71La dernière loi en vigueur est celle du 18 mai 1949 fixant le nombre de députés à 212. Un projet de loi élaboré par le Ministre de l’Intérieur Héger et remanié par son successeur Lefebvre, porte ce chiffre à 225 [2], mais il n’a été voté que par la Chambre des Représentants en mars 1960 et transmis au Sénat.

B – Au Sénat

72L’article 54 de la Constitution décide que : “Le nombre des sénateurs élus directement par le corps électoral est égal à la moitié du nombre des membres de la Chambre des Représentants”. La proportion fixée par la loi électorale pour la Chambre détermine donc indirectement le nombre de sénateurs élus par les électeurs.

73L’article 53 de la Constitution dit, en effet, que : “Le Sénat se compose de membres élus à raison de la population de chaque province …”. Le nombre d’élus directs est donc compressible.

74Le nombre de sénateurs désignes par les conseils provinciaux par contre, est fixe par la Constitution elle-même et ne peut être réduit par la loi. Le même article 53 décide que : “Le Sénat se compose … 2° de membres élus par les conseils provinciaux dans la proportion d’un sénateur sur 200.000 habitants. Tout excédent ce 125.000 habitants au moins donne droit à un sénateur de plus. Toutefois, chaque conseil provincial nomme au moins trois sénateurs”. On ne peut donc diminuer le nombre de sénateurs provinciaux sans révision constitutionnelle.

75Il en est de même des sénateurs cooptés dont le nombre est déterminé par le nombre des sénateurs provinciaux.

76L’article 53 dit, en effet, que : “Le Sénat se compose … 3° de membres élus par le Sénat à concurrence de la moitié du nombre des sénateurs élus par les conseils provinciaux. Si ce nombre est impair, il est majoré d’une unité”.

77L’opinion publique est, en général, très hostile à l’augmentation du nombre des parlementaires, encore que l’incidence de ce nombre sur le bon fonctionnement du régime soit à peu près nulle.

78La diminution de ce nombre serait sans doute bien accueillie par l’opinion. À elle seule, cette réforme ne résoudrait pas les problèmes posés par la crise du régime.

79Comme la loi électorale est votée par les parlementaires eux-mêmes, les chances de cette réforme paraissent actuellement très réduites. Mais elle ne semble pas provoquer de réactions défavorables en principe de la part de la direction des deux principaux partis du pays.

II – Le régime des incompatibilités

80Outre l’article 35 de la Constitution qui décrète qu’on ne peut être à la fois membre des deux Chambres, les incompatibilités sont réglées par la loi du 6 août 1931 dont elles constituent l’objet même, ou par certaines dispositions de lois spéciales telles que la loi du 23 juillet 1926 relative à la Société nationale des chemins de fer belges, la loi du 16 juin 1947 relative à la Banque nationale, la loi du 18 mai 1960 sur la radio-télévision belge, etc… [3].

81La loi obéit à trois ordres de préoccupations :

821° Elle prohibe le cumul du mandat parlementaire avec des fonctions ou des prestations qui établissent un lien de dépendance à l’égard du Gouvernement : fonctionnaires et agents de l’État et des services publics de l’État, commissaires du Gouvernement dans les sociétés anonymes, avocats chargés de la défense de l’État dans des litiges pendants devant des juridictions, etc.

832° La loi prohibe également le cumul des mandats parlementaires avec des fonctions dirigeantes dans des organismes qui sont indépendantes tant à l’égard du Gouvernement que du Parlement : la magistrature, les fonctions dirigeantes de la Banque nationale, la radio-télévision belge, la Société nationale des chemins de fer belges, etc.

843° Enfin, la loi prohibe le cumul de certains mandats électifs : le mandat parlementaire et le mandat provincial (conseil provincial et députation permanente) sont incompatibles.

85En cette matière le législateur est d’un illogisme flagrant puisqu’il n’interdit pas le cumul du mandat communal et du mandat parlementaire.

86Sur 212 députés à la Chambre, il y a actuellement 137 conseillers communaux dont 82 bourgmestres et échevins. On ne s’étonnera pas dès lors de la multitude d’interpellations d’intérêt purement local qui encombrent l’ordre du jour du Parlement. On ne s’étonnera pas non plus de la résistance jusqu’à présent invincible opposée par le Parlement à tout regroupement sérieux des territoires communaux et à toute solution draconienne du problème des grandes agglomérations.

87*

88Nous rappelons à nos lecteurs que le dernier congrès du P.S.C. (voir La Libre Belgique du 12 avril 1960 et La Cite du 1er avril 1960) a adopté une résolution visant le cumul des mandats parlementaires, provinciaux et communaux.

89En ce qui concerne les communes, le P.S.C. ne viserait que les bourgmestres et échevins des grandes communes.

90Au week end de la Revue “Socialisme” à Clemskerke, le second rapporteur a préconisé un système d’incompatibilité absolue entre les mandats parlementaires et communaux (bourgmestres et échevins, sans limitation d’importance des communes). Sa proposition a été accueillie assez fraîchement. Il semble que ce soit du côté socialiste que la résistance à toute réforme sur ce point sera la plus grande.

91Le même rapporteur a également soulevé le problème de l’incompatibilité entre le mandat parlementaire et le mandat syndical, non dans l’intention d’affaiblir l’action syndicale mais, au contraire, dans le out ce la rendre plus indépendante à l’égard de la politique parlementaire. On sait que cette question a soulevé à plusieurs reprises de violentes controverses au sein de la F.G.T.B., les leaders syndicaux étant fort divisés sur la question.

92Enfin, pour dégager le Parlement de l’influence des groupes de pression des milieux d’affaires, le même rapporteur a suggéré de décréter l’incompatibilité entre le mandat parlementaire et le mandat administrateur ou de commissaire dans les groupements financiers et les sociétés commerciales et industrielles importantes.

93On lui aurait opposé l’argument selon lequel il n’y a aucune raison de s’arrêter dans cette voie et de ne pas décréter l’incompatibilité du mandat parlementaire avec toute profession quelconque, ce qui généraliserait le fait pourtant décrié du mandat parlementaire professionnel. Il n’est pas à souhaiter, objecte-t-on, que le parlementaire dépende en grande partie de son mandat politique pour vivre.

94Cette objection a été faite par Jean Mertens au cours d’une interview des deux rapporteurs du week end de Clemskerke à la R.T.B. le mardi 11 octobre. Le second rapporteur répliqua que le régime actuel est à la fois trop sévère et trop large.

95Beaucoup trop de citoyens se voient juridiquement ou pratiquement interdire l’entrée du Parlement en raison de leur profession (magistrats, fonctionnaires, professeurs, instituteurs, employés ou salariés des entreprises privées, etc.).

96La solution est, dit-il, dans un régime d’incompatibilité d’exercice et non d’incompatibilité absolue.

97L’incompatibilité d’exercice n’écarte personne du Parlement mais, dans les cas que la loi doit prévoir, l’exercice de la profession doit être suspendu pendant la durée du mandat parlementaire. Les fonctions abandonnées sont reprises de plein droit par leur titulaire grâce à la protection de la loi lorsque le mandat prend fin.

98Ce système aurait l’avantage d’éviter les cumuls nocifs sans écarter à tort un grand nombre de citoyens de la représentation nationale.

99Trop de parlementaires doivent pratiquement abandonner leur profession d’origine. Le mandat parlementaire tend en fait, malgré les critiques, à devenir professionnel.

100La même solution a été suggérée pour les ministres, députés ou sénateurs. Les parlementaires nommés ministres ne devraient pas perdre leur qualité mais devraient suspendre l’exercice de leur mandat pendant la durée de leurs fonctions ministérielles ; ils seraient temporairement remplacés par leurs suppléants.

101Ce système épargnerait aux ministres de très grandes pertes de temps, ils ne devraient plus participer à tous les votes au Parlement. En outre, cette suggestion tend à éviter qu’un même homme fasse partie de deux institutions à la fois : le Gouvernement et le Parlement, puisque le rôle du Parlement est d’exercer sur l’exécutif un contrôle permanent. Il n’est pas logique, en bonne démocratie, de se trouver à la fois du côté des contrôleurs et des contrôlés et il est assez paradoxal de voir un même homme, en sa qualité de ministre et de parlementaire, s’accorder la confiance à lui-même.

Répartition actuelle des professions au Parlement

102Comme nous l’avons dit dans un bulletin de l’an passé [4], il y a au Parlement, Chambre et Sénat réunis, 54 employés, 10 auxiliaires sociaux, 7 ingénieurs, 15 agriculteurs, 25 enseignants, 44 dirigeants d’organisations ouvrières, 7 commerçants, 84 avocats, 42 industriels et administrateurs de sociétés, 1 officier retraité, 24 sans profession définie, 2 architectes, 12 professeurs d’université, 12 médecins, chirurgiens, vétérinaires, 20 journalistes, 5 ex-fonctionnaires, 7 agents communaux, 4 dirigeants découvres sociales, 11 notaires, 1 se qualifiant du titre imprécis de “conseiller”.

103Beaucoup de ces professions ne sont plus réellement exercées par ceux qui s’en réclament. En outre, diaprés un sondage incomplet, il semble que plus de 50 des parlementaires dépendent de leur parti ou des organisations parallèles à celui-ci dans l’exercice même de leur profession. Il en est ainsi pour la plupart des employés, auxiliaires sociaux, dirigeants d’organisations ouvrières, journalistes, agents communaux, dirigeants d’œuvres sociales, etc. Si l’on y ajoute les 84 avocats dont l’activité professionnelle se ralentit au détriment de leur cabinet en raison de leurs prestations de parlementaires et dont le standing de vie dépend par conséquent en grande partie du maintien de ce mandat, on comprendra qu’environ 70 des membres du Parlement dépendent directement ou indirectement de leur parti pour assurer leur niveau de vie personnel et celui de leur famille [5].

104*

105Le nombre de mandataires communaux au Parlement auquel nous avons fait allusion, nous a été communique par le département de l’Intérieur au mois de juin 1954, les dernières élections communales ayant eu lieu en 1952. Voici le détail :

106Chambre :

212 députes, dont :48 bourgmestres,
34 échevins,
55 conseillers communaux,
total :137 mandataires communaux.

107Sénat :

175 sénateurs, dont :40 bourgmestres,
11 échevins,
40 conseillers communaux,
total :91 mandataires communaux.

Notes

  • [1]
    voir à ce sujet l’article de F. Persoons dans la Revue Nouvelle, sept. 1950, p. 128.
  • [2]
    Voir la représentations parlementaire sur la base des projets gouvernementaux, CRISP n° 3, du 23 janvier 1959 et n° 9 du 6 mars 1959.
  • [3]
    Voir à ce sujet l’énumération des dispositions législatives diverses décrétant des incompatibilités avec le mandat parlementaire, dans le Code Bruylant, Tome III, p. 286.
  • [4]
    Voir bulletin du CRISP n° 23, du 19 juin 1959.
  • [5]
    Dans le statut du parlementaire, nous n’avons pas, à dessein, traité de l’ indemnité parlementaire qui a fait l’objet d’une étude spéciale dans un bulletin du CRISP n° 23, du 19 juin 1959.
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/12/2014
https://doi.org/10.3917/cris.081.0001
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