CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le 6 juillet, des éléments de la Force Publique se mutinaient à Léopoldville et à Thysville. Le 9 juillet, une première intervention militaire belge était signalée, en partance de la base de Kamina. Le 11 juillet, Mr. Tshombe annonçait "l’indépendance" de sa province, le Katanga.

2Par ces évènements, le problème congolais qui s’était situé presqu’exclusivement dans le cadre d’un bilatéralisme belgo-congolais se trouvait brusquement internationalisé.

3L’organe ou l’instrument officiel de cette internationalisation fut le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, mais par delà cette institution, c’est un ensemble de forces politiques mondiales, souvent contradictoires et toujours en tension, qui se trouve impliqué dans le déroulement des évènements congolais. Le Conseil de Sécurité a été le point de cristallisation ou d’expression de ces forces antagonistes.

I – Au centre du débat : la présence des troupes belges et la sécession katangaise

4Le Conseil de Sécurité compte 11 membres, dont les cinq "Grands", membres permanents, disposent du droit de veto. Le monde occidental y est actuellement représenté par la Grande-Bretagne, la France, les Etats-Unis et l’Italie ; l’Est par l’U.R.S.S. et la Pologne ; le tiers-monde par deux afro-asiatiques (la Tunisie et Ceylan) et par deux latino-américains (l’Argentine et l’Equateur), la Chine de Formose étant le cinquième "Grand", nettement dans le sillage des Etats-Unis. Aucun pays de l’Afrique noire ne figure parmi les membres du Conseil mais celui-ci invita la Guinée, la Yougoslavie, l’Indonésie, le Ghana et le Maroc, à s’associer aux débats, en certaines circonstances.

a – Séance du 13 juillet 1960

5La première réunion du Conseil consacrée à la crise congolaise eut lieu le 13 juillet, à 20 h. 30, à l’initiative du Secrétaire Général. A ce moment, le Secrétaire, Mr. Hammarskjöld, était saisi d’une double demande du gouvernement central de la République du Congo : la première concernait l’assistance technique que l’ONU était appelée à fournir dans le domaine administratif et à laquelle Mr. H. avait répondu positivement motu proprio, dans le cadre de sa compétence propre ; la seconde concernait une assistance militaire sollicitée par deux télégrammes (signés Kasa-Vubu et Lumumba), expédiés les 12 et 13 juillet 1960, expliquant les raisons de l’appel aux Nations-Unies ("aide demandée - ne pas avoir pour but rétablir situation intérieure du Congo mais bien protection territoire national contre acte agression posé par troupes métropolitaines belges"). Le 13 juillet au matin, M. Loridan, représentant permanent à l’ONU porta à la connaissance du secrétaire général que "la Belgique demandait et souhaitait une aide militaire de l’Organisation des Nations-Unies en vue de collaborer au rétablissement de la sécurité et de la sauvegarde de la vie humaine" [1].

6Il est intéressant de noter que, dès le départ, deux conceptions assez divergentes de la mission du Conseil se sont présentées : le secrétaire général ne se considérait pas lié par la motivation de la demande congolaise mais uniquement par la forme de réponse à lui apporter ; l’U.R.S.S. par contre soutenait à la fois la motivation et l’objet de la demande, tels qu’ils apparaissaient à travers le texte du télégramme Lumumba-Kasa-Vubu du 13 juillet. Cette divergence n’était pas simplement académique. Dans l’interprétation soviétique, le gouvernement congolais était acteur principal par le canal du Conseil de Sécurité : dès lors, la force internationale et le secrétaire général étaient en fait mandatés par le pouvoir central congolais, celui-ci ayant reçu l’aval du Conseil de Sécurité pour l’action que ce pouvoir congolais souhaitait voir entreprendre sur son territoire par l’ONU ; pour l’immédiat, cette position devait entraîner la condamnation de la Belgique comme "agresseur" et donner au gouvernement de Léopoldville pouvoir premier sur les moyens mis en œuvre par l’organisation internationale.

7Dans la manière de voir adoptée par Mr. H., au contraire, c’est le Conseil lui-même qui définissait un mandat pour le secrétaire général, celui-ci n’ayant compte à rendre sur l’exécution qu’au seul mandant, le Conseil de Sécurité. Cette conception n’écartait pas l’obligation de "consulter" le gouvernement congolais mais ne créait aucune dépendance pour le secrétaire général à l’égard de l’Etat assisté, aussi longtemps que la mission de l’ONU se poursuivrait au Congo.

8A ce moment, Mr. Hammarskjöld bénéficiait sur ce point d’un appui très large, tant au sein du Conseil qu’auprès des états indépendants d’Afrique, en ordre utile dans le débat. Le souci primordial du secrétaire général était, par ses fonctions mêmes, d’écarter du Congo les menaces virtuelles pour la paix mondiale.

9Ainsi, le 13 juillet, Mr. H. déclarait au Conseil : "les difficultés qui se présentent au Congo concernent le maintien de l’ordre dans le pays et la protection des vies humaines". Cette déclaration met l’accent sur des facteurs différents de ceux qu’invoquent MM. Kasa-Vubu et Lumumba. Le secrétaire, sur base de ce diagnostic et de la double demande congolaise, propose de rendre, par l’assistance technique, les instruments ordinaires du gouvernement et, en premier lieu, l’administration de la sécurité au gouvernement légitime du Congo mais, cette restauration exigeant du temps, demande mandat au Conseil pour prendre les mesures nécessaires, en consultation avec le gouvernement congolais, pour fournir une assistance militaire rapide en vue de faire face à la situation.

10Le secrétaire général estime que si ce mandat est donné, "le gouvernement belge pourrait envisager de retirer ses troupes", leur présence "constituant une source de tension intérieure et, en puissance, de tension internationale". Aucune restriction n’est faite, dans cette déclaration, au sujet du Katanga ou de telle autre région du Congo.

11Les délégués soviétique et polonais estiment nécessaire de condamner l’agression belge et d’exiger un retrait immédiat des troupes belges. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie refusent de taxer les belges d’agression tandis que la Tunisie, qui voit dans l’intervention militaire belge, "un acte agressif que rien ne justifie et ne saurait légitimer" estime que des raisons d’urgence militent en faveur de l’abandon de la thèse de l’agression. Finalement, l’amendement soviétique condamnant "l’agression armée de la Belgique" ne recueille que les 2 voix de l’U.R.S.S. et de la Pologne, contre 7 voix hostiles à l’amendement et 2 abstentions (Equateur et Tunisie).

12C’est finalement un projet de résolution de Ceylan et de la Tunisie, pleinement conforme à la demande de Mr. H. qui est adopté par 8 voix contre zéro et 3 abstentions (France, Grande-Bretagne et Chine).

13Au cours de ce premier débat, quelques données importantes sont à enregistrer :

  1. l’évacuation des troupes belges doit s’opérer pour réduire la tension et limiter les risques pour la paix mondiale ;
  2. le secrétaire tient son mandat du Conseil mais consultera le gouvernement congolais et tiendra compte de son avis sur la question de savoir s’il est en état d’accomplir sa mission propre ; le gouvernement congolais doit en contrepartie coopérer à l’action commune ;
  3. L’U.R.S.S., au moment où l’ONU se prépare à accueillir de nombreux membres nouveaux africains et où la guerre froide a repris avec plus de vigueur, se fait le porte-parole du gouvernement congolais pour juger l’intervention belge mais dépasse largement l’interprétation que ce gouvernement donne de l’évènement en accusant l’OTAN, les Etats-Unis, Adenauer, etc… d’être les co-auteurs de l’agression contre le Congo indépendant ;
  4. Le bloc soviétique reste isolé au sein du Conseil, la Tunisie refusant de soulever les points qui opposeraient l’Est et l’Ouest et retarderaient une action de l’ONU au Congo ;
  5. La Belgique, invitée à retirer ses troupes, n’est pas condamnée comme agresseur mais ne pourra invoquer pour maintenir des forces au Katanga qu’une interprétation unilatérale de la résolution. Seule, la France soutient la position belge.
  6. L’accord est unanime pour écarter de la force internationale des contingents appartenant à l’un ou plusieurs membres-permanents et pour confier la charge principale de l’intervention internationale aux forces des jeunes états indépendants d’Afrique (sans toutefois qu’il s’agisse d’un monopole, comme le proposait l’U.R.S.S.).
  7. Une première critique est formulée par l’U.R.S.S. contre un membre du personnel de l’ONU : Mr. Bunche y est présenté comme un instrument des USA "pour dresser des plans d’interventions des Occidentaux au Congo".

b – Séance des 20 - 21 et 22 juillet

14Au moment où se réunit à nouveau le Conseil de Sécurité, le retrait des troupes belges est amorcé et 14 bataillons de l’ONU se trouvent au Congo. Par contre, le problème katangais s’est envenimé [2]. Une mission technique belge assiste Mr. Tshombe ; les troupes belges restent implantées au Katanga ; des officiers belges sont mis à la disposition des autorités katangaises et à Bruxelles prévaut la thèse selon laquelle "l’ordre régnant au Katanga, l’ONU n’a aucune raison de vouloir y envoyer des troupes".

15Cette séance portera essentiellement sur l’affaire katangaise et sur l’attitude belge.

16M. Hammarskjöld est très net à ce sujet : le mandat donné par le Conseil de Sécurité le 14 juillet "concerne clairement l’ensemble du territoire de la République, tel qu’il se présentait lorsque le Conseil de Sécurité, il y a quelques jours, a recommandé l’admission du Congo comme membre des Nations-Unies". S’il est d’accord sur le fait que les forces des Nations-Unies ne peuvent prendre parti dans aucun conflit interne, il précise que le Katanga est couvert par le mandat du 14 juillet.

17A ce moment, le gouvernement congolais fait pression sur l’ONU pour que l’évacuation totale des troupes belges de tout le Congo se fasse sans délai. Alors que le débat des 13 et 14 juillet a écarté explicitement l’utilisation de contingents en provenance des cinq Grands, MM. Kasa-Vubu et Lumumba ont adressé le 17 juillet de Stanleyville un "ultimatum" à Mr. Bunche (le mot "ultimatum" est de M. Thomas Kanza lui-même), selon lequel ils se verraient "à regret, obligés de solliciter l’intervention de l’U.R.S.S." si l’ONU n’avait pas assuré l’évacuation totale des troupes belges le 19 juillet à 24 heures [3].

18Cette pression s’exprime au Conseil de Sécurité par M. Thomas Kanza sur un ton modéré ; par M. Kouznetsov (URSS) qui n’hésite pas à affirmer que la Belgique développe son action militaire [4] mais qui, surtout, tient à affirmer une solidarité totale avec MM. Kasa-Vubu et Lumumba, conformément à la lettre réponse de M. Khrouchtchev aux deux dirigeants congolais.

19Le délégué tunisien est plus "dur" à l’égard des autorités belges que le 13 juillet : la menace de sécession "revêt (à ses yeux) toutes les apparences d’une tentative de reprendre de la main gauche ce qui a été donné de la main droite" et la lenteur dans le retrait des troupes (et a fortiori, l’envoi de renforts) "constitue une persistance regrettable de la part d’un état-membre, à vouloir se refuser à la mise en application d’une décision pourtant claire et nette du Conseil de Sécurité. Ceylan estime aussi que "l’une des causes premières de la tension présente est sans aucun doute la présence de troupes belges sur un territoire indépendant".

20Si, au moment du vote, l’unanimité existe pour exiger un retrait rapide des troupes belges du Congo, il faut bien noter que les raisons en sont assez différentes : pour la Tunisie, Ceylan, l’Argentine, l’Equateur, il s’agit principalement d’éviter des troubles nouveaux au Congo, la présence militaire belge étant "explosive" par elle-même ; pour l’URSS et la Pologne, il s’agit de mettre fin à "l’agression" et de faire triompher le gouvernement congolais avec lequel on se dit en totale solidarité ; pour les Occidentaux, il s’agit d’éviter des troubles mais surtout de ne pas fournir à l’URSS un motif d’intervention directe au cœur de l’Afrique.

21Dans l’exercice de son droit de réponse, M. Kouznetsov a été menaçant : "les membres de l’OTAN défendent ici l’agression parce qu’ils y prennent part. L’agression est sous nos yeux.. Le représentant des Etats-Unis a dit que son pays ne tolérerait pas qu’un état étranger aide la République du Congo sans l’assentiment des Nations-Unies. Mais comme l’Organisation des Nations-Unies est dominée par les Etats-Unis d’Amérique, cela revient en somme à dire que les Etats-Unis ne tolèreraient pas d’intervention, à moins que celle-ci ne soit sanctionnée par les Etats-Unis eux-mêmes puisqu’ils disposent de la majorité".

22On touche ici le noeud du problème posé à l’ONU : les états qui cherchent à faire pression sur le secrétaire général pour qu’il aligne les moyens mis en œuvre et son calendrier d’exécution sur les requêtes du gouvernement central congolais (R.A.V.(?), Guinée, Ghana, URSS) refusent d’admettre a priori que toute l’assistance au Congo doit passer par le canal de l’ONU car la menace d’action directe à la demande du gouvernement congolais est considérée par eux comme un excellent moyen de pression ; ceux qui craignent l’intervention directe de certains états (spécialement de l’URSS) ou la réduction de l’ONU au rôle d’outil dans les mains du gouvernement central congolais (USA, Belgique…) optent pour l’obligation de faire de l’ONU le médiateur de toute assistance au Congo.

23On notera toutefois l’existence d’une troisième attitude, spécialement adoptée par les pays nord-africains, Maroc et Tunisie. Ces pays veulent sans nul doute le retrait des troupes belges et sont opposés à la sécession katangaise pour des raisons politiques et idéologiques, mais ils s’appuient fortement sur le secrétariat général de l’ONU, pour réaliser ces objectifs. Sans doute, l’espoir de voir l’ONU cautionner une formule de règlement de la guerre d’Algérie n’est-il pas étranger à cette manifestation de confiance : on peut aussi estimer que d’autres facteurs ont joué comme le souci de faire la transition entre l’Europe et l’Afrique et encore la confiance assez mitigée des leaders maghrebins envers les dirigeants du Congo.

24Quoi qu’il en soit, le secrétariat général de l’ONU trouve un allié précieux en Mr. Slim au Conseil de Sécurité : le délégué tunisien croit ou feint de croire à "une similitude de position relativement à la nécessité de s’en remettre à l’ONU pour apporter toute assistance exigée par la situation actuelle du Congo". Le même délégué dont le pays fournit une importante contribution à la force internationale donnera en outre des garanties au commandement de l’ONU : "Ai-je besoin de souligner que, dès l’instant où nos troupes se mettent à la disposition de l’ONU et coiffent son fameux casque bleu, elles deviennent en quelque sorte anonymes et ne sont plus que des forces de l’ONU, au service de notre organisation …".

c – Séance du 8 août

25Cette séance se situe à un moment particulièrement critique, M. Hammarskjöld, après la mission Bunche à Elisabethville, revient devant le Conseil pour demander des précisions à son mandat, pour faire face à la situation katangaise. Le Secrétaire général vient de surseoir à l’entrée des forces de l’ONU au Katanga, estimant que les menaces de M. Tshombe risquent fort de faire obstacle à une intervention purement pacifique de l’ONU dans cette province. Les relations entre le gouvernement central et les représentants de l’ONU se sont détériorées suite à cette décision et M. Lumumba, reçu dans plusieurs capitales africaines, ne cache pas qu’il veut régler l’affaire katangaise par les armes, grâce à l’appui de la Guinée, du Ghana et de quelques états africains indépendants (une communication de Mr. N’Krumah le 6 août confirme le fait).

26La position de M. H. est dangereusement affaiblie par l’attitude belge au Katanga : "J’ai dit, note le secrétaire général, que j’aurais espéré l’appui actif de tous les intéressés. Cet appui ne s’est manifesté qu’en partie et je dois noter qu’il a fait défaut de la part de milieux dont j’aurais pu compter qu’ils agiraient différemment". M. H. regrette que le gouvernement belge s’en tienne à une attitude de "soumission" aux résolutions du Conseil de Sécurité là où on devrait pouvoir compter sur un appui actif dans le chef d’un Etat-membre [5].

27M. Hammarskjöld se fait précis :

28Il réclame le retrait "le plus rapide possible des troupes belges car leur présence est maintenant la cause principale du danger qui subsiste". Le retrait doit être "complet et inconditionnel". Il évoque très clairement les articles 40 et 41, les mesures pouvant être prises pour donner effet aux décisions du Conseil et estime que le Conseil devrait demander "l’appui immédiat et actif des gouvernements de tous les états-membres, sans aucune exception". Toujours selon M. H., "l’opposition aux Nations-Unies se manifeste (au Katanga) à l’ombre de la présence continue des troupes belges".

29La fermeté de M. H. au sujet du Katanga s’explique d’autant plus que la pression sur l’ONU se renforce. Le secrétaire général se plaint de "la grande impatience" du gouvernement central congolais, de sa "tendance dangereuse à semer la méfiance" qui "n’a pas été sans recevoir un appui d’autres milieux en dehors du Congo". Le secrétaire ajoutera - car c’est là qu’il sent le danger et c’est à ce propos qu’il parlera d’une question de paix ou de guerre - que "l’effort de l’ONU ne sera pas facilité si plane la menace qu’un ou plusieurs gouvernements qui fournissent des contingents à la Force prennent les choses en mains, se séparent de la Force de l’ONU et poursuivent une politique unilatérale".

30M. H. est disposé à garantir que la "conclusion heureuse" recherchée par l’ONU implique à la fois Sauvegarde de l’unité congolaise et protection des droits démocratiques de chacun d’exercer une influence sur la constitution finale du Congo mais il ne peut tolérer qu’à l’ombre de l’armée belge, une opposition militaire s’organise contre l’ONU au Katanga, avec le risque considérable de voir se liguer hors de l’ONU des forces militaires extérieures décidées à intervenir à la demande du gouvernement central, quitte à provoquer une conflagration mondiale.

31Le risque d’intervention unilatérale paraît sérieux à ce moment, ainsi qu’en fait foi le télégramme adressé de Conakry par M. Lumumba à M. Kasa-Vubu.

32Le ministre belge des Affaires étrangères prend l’engagement que "les troupes belges n’opposeront pas de résistance aux troupes de l’ONU et qu’aucun officier belge ne participera à de pareilles opérations" et précise que "ceci vaut aussi pour les officiers belges qui, dans le cadre du traité d’amitié sont restés au Katanga au service de la Force Publique ; ces officiers belges ne collaboreront pas à d’éventuelles opérations contre l’ONU".

33Malgré cette déclaration, la position belge sera vivement combattue.

34Le délégué tunisien est d’autant plus ferme sur l’exigence de retrait des troupes belges du Katanga qu’il n’exige pas (contrairement aux espoirs de M. Lumumba) un changement de régime à Elisabethville, parallèlement à l’entrée de la Force de l’ONU. C’est bien là la charnière de toute l’affaire : la Belgique ne pourra trouver d’alliés dans la question katangaise (sauf, sous réserves, la France et l’Italie) car le seul moyen d’éviter l’intervention extérieure et la victoire de M. Lumumba sur M. Tshombe apparaît être à tous les occidentaux, de faire relever les belges par l’ONU, celle-ci n’intervenant pas dans les conflits politiques internes.

35A côté des thèses plus ou moins conformes aux vues de M. H. (thèses USA, Tunisie, Ceylan, Argentine, Equateur …. et Congo par M. Justin Bomboko), d’autres thèses vont être développées : très dures à l’égard du gouvernement belge, mais également sévères à l’égard du secrétaire général des Nations-Unies.

36Ainsi, le délégué soviétique reprend sa thèse de la solidarité OTAN au Katanga [6] mais critique le secrétaire général [7] : le refus d’envoyer des troupes au Katanga est interprété comme "une concession à l’agresseur". Ce délégué exige une action immédiate au Katanga, même par la force des armes, même s’il le faut en remplaçant le commandement actuel de la Force de l’ONU au Congo. Appuyant le Ghana et la Guinée, l’URSS précise : "si les troupes qui ont été envoyées au Congo conformément aux décisions du Conseil ne sont pas en mesure de chasser du territoire du Congo les soldats interventionnistes, le gouvernement de l’Union Soviétique estime qu’il est nécessaire d’envoyer dans la République du Congo des troupes de pays qui seraient prêts à participer à cette action aussi juste qu’équitable".

37Dans ce débat se repose le problème-clé.

38L’URSS et les pays d’Afrique noire (Guinée, Ghana) insistent sur le fait que l’ONU doit aider le gouvernement central congolais. "Oui, sans doute, dans le maintien de l’ordre, répondra M. H. mais non pas en tant qu’instrument politique". Les conceptions divergentes du 13 juillet, soulignées plus haut, subsistent et subsisteront encore.

II – L’impact des conflits internes congolais et de la guerre froide Est-Ouest

39Jusqu’à la mi-août, l’essentiel des débats au Conseil de Sécurité a été consacré au retrait des troupes belges et à la sécession katangaise. Ces problèmes ne sont pas épuisés : ils rebondissent encore aux séances du 21 août, du 9 juillet et suivantes, surtout en raison du retard apporté à l’évacuation du Katanga et des bases de Kamina et Kitona ainsi qu’à l’occasion des protestations du Secrétaire général à ce sujet. Toutefois, dès ce moment, ces problèmes ne constituent plus réellement le centre de gravité des discussions, l’ensemble de l’affaire congolaise étant de plus en plus conditionné par les conflits internes congolais, par la détérioration accentuée des relations entre les représentants de l’ONU à Léopoldville et le gouvernement Lumumba et par l’aggravation du climat de guerre froide Est-Ouest qui devait trouver une expression spectaculaire fin septembre, à l’Assemblée Générale de l’ONU.

40Nous avons montré que, dès le 13 juillet, l’opposition Est-Ouest existait sur la question congolaise mais que par la médiation Ceylan-Tunisie et par accord tacite des deux Grands, les formes les plus dangereuses de l’opposition avaient pu être écartées. Le débat du 8 août raviva les antagonismes sur la question de l’éventuelle aide unilatérale (hors-ONU) en faveur du gouvernement central dans sa politique au sujet du Katanga.

a – La séance du 21 août

41La séance du 21 août se situe dans le même climat, aggravé sans doute par les incidents et tensions entre l’ONU et le gouvernement central congolais.

42Les troupes de l’ONU sont déployées au Katanga ; l’évacuation des bases belges est commencée mais par contre l’opposition des conceptions sur le rôle de l’ONU au Congo se révèle considérable : pour M. H., "le but ultime des services que les Nations-Unies fournissent à la République du Congo est de protéger la paix et la sécurité internationales et dans la mesure où les difficultés en présence desquelles se trouve la République ne sont pas de nature à menacer la paix internationale, elles ne nous concernent pas" ; pour M. Lumumba au contraire, une force qui ne l’aide pas à briser les sécessions du Kasaï et du Katanga ne peut être satisfaisante et doit céder la place à des forces "amies", agissantes, capables de réduire par la force les leaders des sécessions.

43Cette séance du 21 août fit éclater les oppositions et divergences de vues.

44Le gouvernement central congolais, dont le porte-parole était M. Gizenga, vice-président du Conseil, réclama la constitution d’un "collège" afro-asiatique assumant, avec M. H., la direction des affaires ONU au Congo ; le désarmement par l’ONU de tous les belges au service des "autorités provinciales rebelles" ; la mise sous contrôle exclusif des congolais des aéroports et des ports maritimes …

45Autorisé à prendre la parole, le délégué guinéen donna lecture d’un message du Président Sekou Touré parlant de "la faiblesse et de la complicité des responsables internationaux face aux ennemis de l’indépendance et de l’unité congolaises" accusant "les représentants des Nations-Unies chargés d’appliquer les résolutions du Conseil de Sécurité (de) sembler se substituer partout à l’autorité du gouvernement central congolais et de refuser d’utiliser les forces des Nations-Unies, dans le cadre des préoccupations de ce gouvernement". La Guinée appuie toutes les demandes congolaises et surtout adopte l’interprétation selon laquelle "les Nations-Unies devraient faire face à toutes les demandes du gouvernement central".

46Le délégué soviétique n’a pas un point de vue différent et réitère son avertissement : "si les agresseurs ne se retirent pas eux-mêmes de la République du Congo et ne renoncent pas à leurs plans de démembrement de cette république, les peuples épris de paix seront dans la nécessité d’adopter d’autres mesures pour mettre fin à l’agression, conformément aux résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité".

47A cette occasion encore, le délégué tunisien apporta un soutien très ferme au secrétaire général.

b – Les séances de septembre

48Au lendemain des destitutions réciproques de MM. Lumumba et Kasa-Vubu, le Conseil de Sécurité a tenu une série de séances fort peu efficientes où s’affrontaient surtout sur des questions de procédure partisans de M. Lumumba (spécialement l’URSS, le Ghana, la Guinée, la Yougoslavie) et tenants de la légalité de M. Kasa-Vubu. La critique à l’égard de M. H. se fit plus violente encore, en raison de certaines décisions du Commandement à Léopoldville (neutralisation de la radio, par exemple). L’opération du Colonel Mobutu devait ajouter encore à la confusion, avec l’expulsion des diplomates soviétiques et tchèques et le renversement de situation faisant de certains contingents de l’ONU, les protecteurs de la personne de M. Lumumba, mais sans que les pays africains mettent directement leurs troupes à la disposition de M. Lumumba, comme celui-ci l’avait espéré avant et après la conférence inter-africaine de Léopoldville.

49Le 9 septembre, le Secrétaire général présenta au Conseil un rapport dont nous avons publié des extraits dans le Courier Hebdomadaire n° 78. Le rapport était très sévère à l’égard du gouvernement central congolais et présentait la situation de l’armée congolaise au Kasaï, des finances nationales et de l’administration comme catastrophiques. D’autre part, plusieurs délégations (dont celle de Tunisie) s’inquiétaient sérieusement des interventions étrangères au Congo, spécialement celles de l’URSS (livraison d’avions et de camions à l’armée) et de la Belgique (livraison d’armes au Katanga).

50Le 10 septembre, la séance ne constitua guère qu’une discussion de 3 h. 30 sur un projet d’ajournement.

51Le 12 septembre, l’ajournement fut acquis en 1 h. 10.

52Le 14 septembre, le Conseil ouvrit une discussion sur la légitimité des deux délégations congolaises, l’URSS refusant de reconnaître une autre délégation que celle envoyée par M. Lumumba et étant appuyée en ce point par la Pologne et Ceylan. Un vote intervint mais 8 abstentions empêchèrent M. Kanza, délégué de M. Lumumba, d’être invité à la table du Conseil.

53Les protestations de M. Hammarskjöld contre les retards dans l’évacuation et la cessation des livraisons d’armes belges au Katanga furent matière pour le délégué soviétique (M. Zorine) d’incriminer l’OTAN. C’est surtout l’occasion pour ce délégué de reprendre toutes les pièces du réquisitoire contre l’action du secrétaire général et du commandement de l’ONU au Congo, accusé d’avoir pris "une position d’appui en faveur des forces qui font le jeu des puissances colonialistes", d’avoir "pris parti pour les séparatistes et pour les émeutiers". Le feu visait spécialement M. H. : "Le chef du secrétariat des Nations-Unies a été précisément l’élément de ce secrétariat qui a joué le plus ouvertement en faveur des colonisateurs et a compromis l’organisation aux yeux des peuples du monde".

54Dès le lendemain, le 15 septembre, le débat se recentra sur le thème essentiel : l’URSS favorable à une aide directe au gouvernement Lumumba en vue de lui permettre de se débarrasser des "sécessionnistes et des émeutiers" parviendrait-elle à entraîner réellement dans cette voie des pays africains comme la Guinée, le Ghana et le Maghreb qui, publiquement, se déclaraient disposés à une telle aide et à une telle intervention ? Le secrétariat général, soutenu en la circonstance par la Tunisie, Ceylan, les Etats-Unis, l’Argentine, etc… parviendrait-il, dans le cadre du mandat, à rester le canal obligatoire pour toute aide au Congo et à sauvegarder son crédit dans le tiers-monde ? La conjoncture fut favorable au secrétariat général : les pays africains et asiatiques redoutaient un foyer de guerre chaude en Afrique et tenaient à sauvegarder une position de force à l’ONU pour le débat sur l’Algérie ; l’intervention du Colonel Mobutu vint ajouter à la confusion et les pays africains comprirent que l’unité de vues n’était pas acquise entre eux quand il s’agissait de s’engager sur la personne de M. Lumumba.

55Certes, le 16 septembre après-midi, le Conseil de Sécurité entendit-il des exposés de diplomates indonésien, ghanéen et guinéen très nettement pro-Lumumba et très critiques à l’égard de l’action du secrétaire général et du commandement de l’ONU au Congo.

56Il n’en reste pas moins qu’en fin de compte, tous les projets d’amendements soviétiques furent rejetés et que la proposition Ceylan-Tunisie (voir annexes) recueillit 8 voix sur 11. Une des deux voix hostiles étant celle de l’U.R.S.S., le veto entraîna le rejet du projet qui donnait à l’ONU le monopole de l’aide militaire au Congo et écartait la menace d’une intervention directe susceptible de mettre en cause la paix et la sécurité internationales.

57Cette impasse dans laquelle aboutit le Conseil de Sécurité est sans nul doute le résultat de l’extraordinaire confusion politique à Léopoldville mais surtout le fruit de l’opposition aiguë Est-Ouest et de la compétition des Grands à l’égard des états afro-asiatiques. Nous croyons, à la lecture des discours prononcés au Conseil de Sécurité que certains déboires et certaines attitudes résultent aussi d’une information très médiocre sur la situation socio-politique réelle au Congo.

ANNEXE N° 1

Les résolutions du Conseil de Sécurité

A – Résolution du 14 juillet 1960

58Le Conseil de Sécurité

59Considérant le rapport du Secrétaire général sur la demande pour une action des Nations-Unies concernant la République du Congo,

60Considérant la demande d’assistance militaire adressée au Secrétaire général par le Président et le Premier Ministre de la République du Congo (S/4382),

61Fait appel au Gouvernement belge pour qu’il retire ses troupes du territoire de la République du Congo,

62Décide d’autoriser le Secrétaire général de prendre, en consultation avec le Gouvernement de la République du Congo, les mesures nécessaires en vue de fournir à ce Gouvernement l’assistance militaire dont il a besoin et ce, jusqu’au moment où les forces nationales de sécurité, grâce aux efforts du Gouvernement congolais et avec l’assistance technique des Nations-Unies, seront à même, de l’opinion de ce Gouvernement, de remplir entièrement leurs tâches,

63Prie le Secrétaire général de faire rapport au Conseil de Sécurité lorsqu’il y aura lieu.

B – Résolution adoptée le 22 juillet 1960

64Le Conseil de Sécurité

65Ayant considéré le premier rapport du Secrétaire général sur la mise en application de la résolution S/4387 du Conseil de Sécurité, en date du 14 juillet 1960 (document S/4389),

66Exprimant son appréciation du travail accompli par le Secrétaire général et de l’appui que tous les Etats-Membres qu’il avait invités à lui prêter leur concours lui ont apporté si diligemment et si rapidement,

67Notant que, comme le Secrétaire général l’a déclaré, l’arrivée des troupes de la Force des Nations-Unies à Léopoldville a déjà eu un effet salutaire,

68Reconnaissant qu’il reste urgent de poursuivre et d’intensifier ces efforts,

69Considérant que le plein rétablissement de l’ordre public dans la République du Congo contribuerait efficacement au maintien de la paix et de la sécurité internationales,

70Reconnaissant que le Conseil de sécurité a recommandé d’admettre la République du Congo comme Membre de l’Organisation des Nations-Unies en tant qu’entité,

  1. Invite le Gouvernement belge à mettre rapidement en application la résolution du Conseil de sécurité en date du 14 juillet 1960, touchant le retrait de ses troupes, et autorise le Secrétaire général à prendre à cet effet toutes les mesures nécessaires ;
  2. Prie tous les Etats de s’abstenir de toute action qui pourrait tendre à empêcher le rétablissement de l’ordre public et l’exercice de son autorité par le Gouvernement congolais et aussi de s’abstenir de toute action qui pourrait saper l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de la République du Congo ;
  3. Félicite le Secrétaire général de la promptitude avec laquelle il a donné suite à la résolution S/4387 du Conseil de sécurité, et de son premier rapport ;
  4. Invite les institutions spécialisées des Nations-Unies à fournir au Secrétaire général l’assistance qu’il pourra demander ;
  5. Prie le Secrétaire général de faire à nouveau rapport au Conseil de sécurité lorsqu’il y aura lieu.

C – Résolution adoptée par le Conseil de Sécurité le 9 août 1960

71Le Conseil de Sécurité

72Rappelant sa résolution du 22 juillet 1960 (S/4405) par laquelle, notamment, il invitait le Gouvernement belge à mettre rapidement en application la résolution du Conseil de Sécurité en date du 14 juillet (S/4387) sur le retrait de ses troupes et autorisait le Secrétaire général à mener à cet effet l’action nécessaire,

73Ayant pris note du deuxième rapport du Secrétaire général sur la mise en application des deux résolutions sus-mentionnées ainsi que de la déclaration qu’il a faite au Conseil, ayant considéré les déclarations faites par les représentants de la Belgique et de la République du Congo au Conseil au cours de la présente séance,

74Notant avec satisfaction les progrès accomplis par l’Organisation des Nations-Unies dans la mise en œuvre des résolutions du Conseil de Sécurité pour ce qui est du territoire de la République du Congo autre que la Province du Katanga,

75Notant toutefois que l’Organisation des Nations-Unies a été empêchée de mettre en application les dites résolutions dans la Province du Katanga bien qu’elle ait été prête à le faire et ait, en fait, essayé de le faire,

76Reconnaissant que le retrait des troupes belges de la Province du Katanga sera une contribution positive et essentielle à la mise en œuvre appropriée des résolutions du Conseil de sécurité,

  1. Confirme l’autorité donnée au Secrétaire général par les résolutions du Conseil de sécurité du 14 juillet et du 22 juillet 1960 et le prie de continuer à s’acquitter de la responsabilité qui lui a été ainsi conférée ;
  2. Invite le Gouvernement belge à retirer immédiatement ses troupes de la Province du Katanga selon de promptes modalités fixées par le Secrétaire général et à aider de toutes les façons possibles à la mise en application des résolutions du Conseil ;
  3. Déclare que l’entrée de la Force des Nations-Unies dans la Province du Katanga est nécessaire à la pleine mise en application de la présente résolution ;
  4. Réaffirme que la Force des Nations-Unies au Congo ne sera partie à aucun conflit interne, constitutionnel ou autre, qu’elle n’interviendra en aucune façon dans un tel conflit ou ne sera pas utilisée pour en influencer l’issue ;
  5. Invite tous les Etats membres, conformément aux articles 25 et 49 de la Charte, à accepter et à exécuter les décisions du Conseil de sécurité et à s’offrir mutuellement assistance dans l’exécution des mesures décidées par le Conseil de sécurité ;
  6. Prie le Secrétaire général de mettre en application la présente résolution et de faire à nouveau rapport au Conseil de sécurité lorsqu’il y aura lieu.

D – Résolution adoptée par le Conseil de Securité le 17 septembre 1960 (906ème séance)

77Le Conseil de Sécurité

78Ayant examiné la question inscrite à son ordre du jour tel qu’il figure dans le document S/Agenda/906,

79Tenant compte du fait que le manque d’unanimité des membres permanents du Conseil de sécurité à la 906ème séance a empêché le Conseil de s’acquitter de sa responsabilité principale touchant le maintien de la paix et de la sécurité internationales,

80Décide qu’une session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale sera convoquée conformément aux dispositions de la résolution 377 A (V) de l’Assemblée générale en date du 3 novembre 1950, afin de faire les recommandations appropriées.

81Le 17 septembre, l’U.R.S.S. opposa son veto à la résolution proposée par Ceylan et la Tunisie. Le Conseil avait rejeté les amendements soviétiques et le projet avait recueilli 8 voix pour et 2 voix contre (U.R.S.S. et Pologne) et 1 abstention (France).

82Voici le texte du projet Ceylan-Tunisie :

83Le Conseil de Sécurité,

84Rappelant ses résolutions des 14 et 22 juillet et du 9 août 1960,

85Ayant examiné le quatrième rapport du Secrétaire général en date du 7 septembre 1960,

86Prenant note de la situation économique et politique peu satisfaisante qui continue d’exister dans la République du Congo,

87Considérant que, afin de préserver l’intégrité territoriale et l’indépendance du Congo, de protéger et de favoriser le bien-être de son peuple, et de sauvegarder la paix internationale, il est essentiel que les Nations-Unies continuent de prêter assistance au Congo,

  1. Réaffirme ses résolutions des 14 et 22 juillet et du 9 août et prie instamment le Secrétaire général de continuer à les mettre vigoureusement en application ;
  2. Invite tous les Congolais à l’intérieur de la République du Congo à rechercher une solution rapide, par des moyens pacifiques, à tous leurs conflits internes en vue de l’unité et de l’intégrité du Congo ;
  3. Affirme à nouveau que la Force des Nations-Unies doit continuer à agir pour rétablir et maintenir l’ordre public selon ce qu’exige le maintien de la paix et de la sécurité internationales ;
  4. Fait appel aux gouvernements de tous les Etats Membres pour qu’ils versent d’urgence des contributions volontaires à un Fonds des Nations-Unies pour le Congo, qui sera utilisé sous le contrôle de l’Organisation des Nations-Unies et en consultation avec le Gouvernement central congolais, afin de fournir toute l’assistance possible pour atteindre les objectifs susmentionnés ;
  5. En particulier :

88

  1. Prie à nouveau tous les Etats de s’abstenir de toute action qui pourrait tendre à empêcher le rétablissement de l’ordre public et l’exercice de son autorité par le Gouvernement congolais, et aussi de s’abstenir de toute action qui pourrait saper l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de la République du Congo, et décide qu’aucune assistance à des fins militaires ne soit envoyée au Congo si ce n’est dans le cadre de l’action des Nations-Unies ;
  2. Invite à nouveau tous les Etats Membres, conformément aux articles 25 et 49 de la Charte, à accepter et a exécuter les décisions du Conseil de Sécurité et à s’offrir mutuellement assistance dans l’exécution des mesures décidées par le Conseil de sécurité.

ANNEXE N° 2

Deux protestations du Secrétaire général de l’ONU contre la Belgique

1 – Note verbale, en date du 30 août 1960, adressée par le Secrétaire général au Représentant permanent de la Belgique

89Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations-Unies présente ses compliments au Représentant permanent de la Belgique auprès des Nations-Unies et désire lui faire part des observations suivantes :

90Dans sa note verbale du 29 août 1960, le Secrétaire général a exprimé le désir de recevoir du Gouvernement belge des précisions sur la situation en ce qui concerne l’évacuation des troupes belges à la fin de la période indiquée dans ses lettres des 20 et 24 août pour cette évacuation.

91En réponse à cette note, le Secrétaire général a reçu aujourd’hui une lettre l’informant que le retrait des troupes belges du Congo était achevé, avec la seule exception de quelques éléments du premier bataillon de parachutistes qui se trouvaient en transit à Albertville, attendant un bateau qui devait arriver incessamment pour les transporter à Usumbura. Le retrait des troupes belges du Congo, constate le Représentant, était donc pratiquement achevé.

92D’autre part, le Secrétaire général vient de recevoir un rapport de ses représentants qui sont arrivés à Kamina aujourd’hui 30 août, à 14 h. 30 locale. A cette heure, des troupes de combat belges se composant d’un bataillon de parachutistes de 400 hommes, d’une compagnie de gardes d’aéroports de 120 hommes et d’une école d’aviation de 50 instructeurs et élèves n’avaient pas encore été évacués. Les représentants du Secrétaire général ont été informés qu’on se proposait d’évacuer par avion 70 hommes le soir du 30 août et 39 hommes le 31 août, et que le reste serait évacué par chemin de fer les 1er et 2 septembre, puis par bateau d’Albertville les 3 et 4 septembre.

93Le Secrétaire général exprime sa surprise de voir ainsi une différence marquée entre les renseignements reçus de Bruxelles et les faits constatés sur place. Il trouve nécessaire de souligner que la présence d’entités militaires belges considérables, contrairement aux assurances données par le Gouvernement belge, ne manquera certainement pas de provoquer de vives critiques. L’Organisation des Nations-Unies s’est basée sur les assurances reçues et a tout fait pour faciliter l’évacuation. Etant donné que, malgré cela, l’évacuation n’est pas encore achevée, le Secrétaire général estime nécessaire de présenter une protestation formelle au Gouvernement belge, demandant que l’évacuation des troupes belges encore au Congo soit effectuée immédiatement.

94Le Secrétaire Général juge nécessaire de présenter au Conseil de sécurité un rapport sur la situation.

2 – Note verbale en date du 8 septembre 1960 adressée par le Secrétaire général des Nations-Unies au représentant permanent de la Belgique auprès des Nations-Unies

95Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations-Unies présente ses compliments au représentant permanent de la Belgique auprès des Nations-Unies et a l’honneur d’attirer son attention sur ce qui suit :

96Des rapports confirmés ont été reçus selon lesquels on a déchargé hier d’un avion civil DC-7 de la Compagnie Sabena, à l’aéroport d’Elisabethville une cargaison d’armes marquées "armes belges" ou quelque chose de semblable, dont le poids est évalué à neuf tonnes.

97Le Secrétaire général désire attirer d’urgence l’attention du Gouvernement belge sur ce rapport pour savoir s’il est exact que le Gouvernement belge a ainsi envoyé, ou autorité l’envoi, des armes de Belgique aux autorités provinciales à Elisabethville. Si c’était le cas, le Secrétaire général jugerait nécessaire de présenter une protestation sérieuse et formelle contre cette livraison qui est contraire à la lettre et à l’esprit de la résolution du Conseil de sécurité du 22 juillet 1960, paragraphe 2, qui se lit comme suit :

98"Prie tous les Etats de s’abstenir de toute action qui pourrait tendre à empêcher le rétablissement de l’ordre public et l’exercice de son autorité par le Gouvernement congolais, et aussi de s’abstenir de toute action qui pourrait saper l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de la République du Congo".

99Le Secrétaire général juge nécessaire de souligner le caractère obligatoire de cette décision aux termes des articles 35 et 49 de la Charte, qui ont été expressément invoqués per le Conseil de sécurité dans sa résolution du 9 août 1960, paragraphe 5, qui "invite tous les Etats-Membres, conformément aux articles 25 et 49 de la Charte, a accepter et à exécuter les décisions du Conseil de sécurité et à s’offrir mutuellement assistance dans l’exécution des mesures décidées par le Conseil de Sécurité.

ANNEXE N° 3

Deux lettres de M. N’Krumah à M. Lumumba, publiées par le Collège des Commissaires

100Accra,

10112 septembre 1960.

102Cher Patrice,

103Merci pour votre par l’intermédiaire de Monsieur Djin concernant le refus de mes troupes de vous permettre de vous emparer hier de Radio Léopoldville. C’était une affaire regrettable, mais je crois que les troupes se sont comportées de cette façon, puisque pour l’instant, elles sont sous les ordres des Nations-Unies. J’en ai assez de la manière dont les Nations-Unies vous traitent. Mais, comme vous le savez peut-être déjà, j’ai pris des démarches dans cette affaire. J’ai demandé aux Nations-Unies de vous livrer le Poste National Emetteur et les aéroports. J’ai également demandé aux Nations-Unies de vous reconnaître comme Premier Ministre et Chef du Gouvernement de la République du Congo, faute de quoi j’ai indiqué ma volonté de retirer mes troupes qui viendront se joindre aux vôtres, et en même temps je ferai appel à tous les Etats indépendants d’Afrique pour qu’ils retirent leurs forces et qu’ils créent un Haut Commandement Panafricain en vue d’aider vos troupes. Nous prenons une action tactique afin qu’en tout état de cause, l’opinion mondiale nous appuie.

104J’ai demandé à Monsieur Djin et à quelques-uns de mes officiers de venir vous assurer de ma considération personnelle dans cette affaire et de leur disposition d’agir en votre faveur dès que je leur en ferai signe.

105Toujours le vôtre,

106(s) N’ KRUMAH.

107Son Excellence Monsieur Patrice Lumumba, Premier Ministre de la République du Congo, LEOPOLDVILLE.

108Accra, 12 septembre 1960.

109My dear Patrice,

110J’apprécie tout-à-fait votre point de vue, et je vois et comprends la situation difficile dans laquelle vous vous trouvez vis-à-vis des troupes ghanéennes de Léopoldville. Je me trouve aussi dans une situation embarrassante et vexatoire à l’égard de la manière dont mes troupes ghanéennes sont utilisées au Congo, bien que je lutte rageusement jour et nuit en votre faveur.

111Comme vous verrez d’après le texte d’une note que j’ai envoyée, il y a un moment, au Secrétaire général des Nations-Unies et que je cite ci-après pour information, j’ai déjà pris des mesures pour affronter la situation. Je vous prie, je vous supplie d’être patient et calme. Tout finira bien pourvu que ni vous ni moi, nous ne fassions pas de démarche précipitée. Si les troupes ghanéennes doivent être mises entièrement à votre disposition, alors vous et votre Gouvernement devez trouver un moyen de déclarer qu’en cette lutte, le Ghana et le Congo ne sont qu’un. C’est là la seule façon qui permettrait à mes troupes ghanéennes d’opérer légitimement avec les forces congolaises.

112Voici le texte de ma lettre à Monsieur Hammarskjoeld :

113

"La situation au Congo en ce moment est très embarrassante et vexatoire pour le Ghana vis-à-vis du Gouvernement légitime.
"A l’origine, le Ghana est allé au Congo afin d’aider le Gouvernement légitime de Monsieur Lumumba, qui a invité le Ghana à assister Monsieur Lumumba. Lorsque les Nations-Unies sont allées au Congo sur l’invitation de Monsieur Lumumba, le Ghana a accepté de mettre ses troupes sous le commandement des Nations Unies. Depuis, le déroulement qui s’est produit, a faussé le véritable objectif et affaiblit sérieusement la position du Ghana aux yeux du Gouvernement légitime de la République du Congo, du fait qu’à l’heure actuelle les troupes du Ghana sont utilisées exclusivement comme un instrument contre Monsieur Lumumba, l’empêchant de se servir de son propre Poste National Emetteur. En même temps, on permet à Radio Brazzaville qui est contrôlée par la France, membre permanent du Conseil de Sécurité, de se livrer à une propagande des plus violentes contre le Gouvernement légitime de Monsieur Lumumba. On permet également à Radio Elisabethville qui est en effet sous contrôle belge, de se livrer à une propagande pareille. Ainsi, le Ghana est utilisé virtuellement pour lier les mains à Monsieur Lumumba, tandis que l’on permet à un membre permanent du Conseil de Sécurité de le cingler. Donc, dans les circonstances, si l’on ne permet pas à Monsieur Lumumba de se servir de son propre poste national de Léopoldville pour tenir la population congolaise au courant de la situation critique et ainsi mobiliser un soutien pour le Gouvernement légitime de la République du Congo dont il est le Chef, le Ghana retirerait ses troupes tout de suite du commandement des Nations-Unies et se réserve le droit de placer ses troupes qui se trouvent dans la République du Congo complètement à la disposition du Gouvernement de Monsieur Lumumba, Gouvernement légitime de la République du Congo".

114Yours very sincerely,

115(s) N’KRUMAH.

116Son Excellence Monsieur Patrice Lumumba, Premier Ministre de la République du Congo.

Notes

  • [1]
    Compte-rendu sténographique de la 873e séance du Conseil de Sécurité, 13.7.1960, S/PV873, p. 122.
  • [2]
    alors que le 13 juillet, Mr. Slim (Tunisie) affirmait encore : "on ne relève aucun indice de discorde, de dissension ou de troubles à caractère tribal ou régional entre les différents éléments de la population congolaise. Il y a bien eu, il y a trois jours, une tendance sécessionniste - mal définie d’ailleurs - de la part du gouvernement régional du Katanga mais elle s’est rapidement résorbée et le premier ministre du Katanga a réaffirmé ses intentions de demeurer, suivant la constitution provisoire actuelle du Congo, en complète unité avec l’ensemble du pays".
  • [3]
    Le 18 juillet, les délégations africaines à l’ONU ont condamné toute tentative de démembrement du Congo.
  • [4]
    Les troupes belges procèdent à d’importants travaux de fortification à Léopoldville, ce qui atteste qu’elles se pré-préparent à une guerre de longue durée.. Nous avons reçu des nouvelles selon lesquelles le gouvernement belge prépare une occupation encore plus étendue des centres vitaux du pays. Le centre de gravité des attaques de l’aviation se situera sans doute dans la région très importante, du point de vue stratégique qui est au Sud de Léopoldville..". Le délégué polonais affirmera pour sa part que les belges ont tué "des centaines de congolais".
  • [5]
    L’article 25 de la Charte précise que "les membres des Nations-Unies conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de Sécurité" et l’article 49 stipule que les membres s’associent pour se prêter mutuellement assistance dans l’exécution des mesures arrêtées par le Conseil de Sécurité.
  • [6]
    "Les agresseurs belges et leurs séides de l’OTAN s’efforcent d’étrangler la nouvelle république… le gouvernement belge fait l’œuvre des grands monopoles belges et américains qui ont plongé leurs mains gourmandes dans le trésor du Congo qui est le Katanga".
  • [7]
    "tout en rendant hommage aux efforts et à la diligence qu’il a déployée avec l’assistance de membres du secrétariat qui se trouvent sur place".
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/12/2014
https://doi.org/10.3917/cris.079.0001
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