CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Motions d’organisations politiques et sociales, échos de presse, communiqués officiels, questions au ministre, mise au point gouvernementale à la Chambre ont mis en lumière, depuis quelques semaines, le problème posé par l’éventualité d’envoi de miliciens belges au Congo, au moment où la situation y est particulièrement tendue et où l’autorité procède à des arrestations de leaders congolais du M.N.C., du C.E.R.E.A. Nous voudrions analyser ici les facteurs qui jouent depuis 1952 en faveur de l’envoi de militaires non-volontaires au Congo et les voies imaginées pour y parvenir.

1 – Le texte constitutionnel

2L’article 1er, alinea 4 de la constitution, dans la forme qui lui fut donnée lors de la révision de 1893 est ainsi libellé :

3

“Les colonies, possessions d’outre-mer ou protectorats que la Belgique peut acquérir sont régis par des lois particulières. Les troupes belges destinées à leur défense ne peuvent être recrutées que par des engagements volontaires”.

4L’idée de franchir l’obstacle constitutionnel en ce qui concerne l’envoi de non-volontaires au Congo s’est manifestée positivement dès 1952, à propos du personnel des bases belges d’Afrique.

5En 1950, l’Arrêté du Régent de 10 juillet précisait nettement à propos des “militaires campés d’Afrique “qu’il s’agissait là de militaires souscrivant” un engagement volontaire de servir en Afrique.

6Le droit pour la Belgique d’établir une ou des bases militaires en Afrique comme sur tout autre territoire allié [1] n’était contesté par personne mais l’opinion unanime, avant 1952, estimait que ces bases au Congo devaient être alimentées par du personnel volontaire [2], en raison du texte constitutionnel.

7Cette limitation fut dès lors soumise, pour des raisons principalement stratégiques[3] à des tentatives de suppression, par deux voies distinctes : la première, la révision de l’article 1 de la Constitution ; la seconde par voie d’interprétation large en matière de personnel des bases africaines. Nous examinerons successivement les faits qui marquent ces deux tentatives.

2 – La révision de l’article 1er de la Constitution

8On se souviendra qu’au moment où le Conseil d’État dut rendre avis sur le projet de traité instituant la C.E.D., le gouvernement de l’époque (P.S.C. homogène) prit l’initiative de préparer une révision de la Constitution, les Chambres étant invitées à préciser les articles que la future Constituante serait autorisée à modifier. L’article 1 alinéa 4 figurait dans le texte de la proposition gouvernementale :

9

“Enfin, les nécessités de la défense propre du Congo ne permettent pas de maintenir dans un texte constitutionnel l’interdiction de recruter des troupes de l’armée belge à cette fin, autrement que par des engagements volontaires, la défense du Congo pouvant d’ailleurs être intimement liée à celle de la Belgique”
(projet de déclaration du gouvernement, exposé des motifs, Doc. Chambre n° 556, 1952-53, p. 2)

10Le rapporteur de la Chambre sur ce projet, M. A. De Schrijver, actuel ministre du Congo, écrivait à ce propos :

11

“Quant à la dernière phrase de l’alinea 4 (les troupes belges destinées à leur défense ne peuvent être recrutées que par des engagements volontaires), elle doit être supprimée. Cette disposition contient une idée périmée, qui est dépassée par les évènements contemporains ; cela personne ne le conteste”
(Doc. Chambre n° 693, 1952-53, page 30)

12Le discours à la Chambre de M. Dequao, Ministre des Colonies, traitait dans un sens analogue, de la révision de l’alinea 4 (Annales de la Chambre, 1953, 14 octobre 1953, p. 4). Le Moniteur du 14 mars 1954 relatif à la révision constitutionnelle confirme l’intention d’une révision de l’article 1er, alinea 4.

13Cette révision constitutionnelle fut bloquée pendant quatre ans, le P.S.C. ayant décidé de boycotter les commissions ad hoc tant que durerait la guerre scolaire. Mais dans sa déclaration du 15 avril 1958, avant la dissolution des Chambres, le gouvernement (libéral-socialiste) précisait à nouveau que le projet de révision de l’article 1er de la constitution découlait de la volonté “de renoncer au régime des engagements volontaires” (Doc. Chambre n° 906, 1958) et le Moniteur du 30.4.58 confirme que l’article 1er alinea 4 figure bien dans les articles que la Constituante pourrait modifier.

14En fait, cette procédure s’est révélée inefficace, longue et difficile. [4] Les facteurs stratégiques et techniques qui motivèrent en 1952 les projets de suppression de la clause du volontariat ont continué à se manifester. Ceci explique pourquoi les ministres cherchèrent une solution dans une autre voie que celle de la revision constitutionnelle.

3 – La consultation des juristes

15En 1952, MM. Picard, directeur général et administrateur civil au ministère de la Défense Nationale, Devadder, juris consulte du Ministère des Affaires Étrangères, actuellement attaché au Cabinet du Roi et Durieux, conseiller juridique du Ministère des Colonies et Professeur de Droit Colonial à l’Université de Louvain furent priés de donner avis sur l’interprétation à apporter à la seconde phrase de l’alinea 4 de l’article 1er de la Consultation. Ces personnalités remirent un avis le 26 avril 1952.

16C’est ici que, pour la première fois ? se fondant sur les travaux préparatoires de la revision constitutionnelle de 1893 ? on crut pouvoir distinguer entre les troupes belges destinées à la défense de la Colonie (pour lesquelles l’obligation du principe volontaire est indiscutable) et les troupes belges présentes au Congo mais pas en vue de la défense de la Colonie : “Pour les troupes belges qui pourraient être envoyées dans les parages de la colonie, il n’a pas été question d’exiger qu’elles aient été recrutées par des engagements volontaires : le Constituant a simplement voulu qu’en principe, elles n’interviennent pas dans la défense de la Colonie”. Or, selon ces juristes : “c’est en fonction de la défense de la Belgique à l’échelle de la stratégie moderne que ces troupes belges peuvent être envoyées au Congo”.

17Toutefois “s’il n’est pas interdit d’envoyer au Congo des éléments de l’armée belge, désignés d’office et comprenant même des miliciens”, ces juristes estiment que “l’article 1er de la Constitution ne serait pas respecté si ces troupes belges étaient effectivement destinées à la défense de la Colonie ou suppléaient normalement à l’insuffisance de la Force Publique. Le secours que ces troupes belges apporteraient à la Force Publique ne pourrait se réaliser que dans les cas de danger grave et d’urgence, c’est-à-dire, en fait, à titre tout à fait exceptionnel [5]”. Dans leurs conclusions, ces juristes confirment la réserve : “que ces troupes ne soient pas destinées à la défense de la Colonie” et que la motivation “défense de la métropole” justifie suffisamment par elle-même l’envoi de troupes belges aux bases du Congo.

18Ainsi, on le voit, le ministre de la Défense Nationale de l’époque (Lieutenant Colonel De Greef) cherchait à se couvrir juridiquement dans l’hypothèse de l’envoi de non-volontaires vers les bases d’Afrique. Selon son successeur, M. Gilson [6], c’est à la demande de la Force Aérienne en février 1952 que le Colonel De Greef prit sur lui de décider que “le personnel destiné aux forces métropolitaines cantonnées au Congo pourrait être désigné d’office”. Ainsi, avec l’avis favorable des trois juristes cités, la Défense Nationale se reconnaissait le droit ? pour des raisons techniques invoquées par la Force Aérienne ? de désigner d’office les éléments à envoyer aux bases belges du Congo. On notera toutefois qu’aucun texte légal ne fut rédigé sur cette base, avant 1958.

4 – Relance du problème des bases en Afrique

19Ainsi, jusqu’en 1958, les motivations dominantes en Belgique pour l’envoi de non-volontaires vers les bases au Congo sont puisées dans des considérations stratégiques (avec ce que celles-ci impliquent de choix politique) ou techniques (les besoins de la Force Aérienne). Le projet de revision de l’alinea 4, article 1er ne provoquèrent, à l’époque, aucune opposition politique réelle, sauf celle des communistes et de groupements pacifistes.

20Après l’affaire de Suez (automne 1956) et le repli britannique du Proche et du Moyen Orient vers des bases continentales africaines, le rôle des bases au Congo se trouva renforcé, d’autant que la stratégie occidentale découvrit simultanément la nécessité de protéger le Bas-Congo contre des attaques par sous-marins dotés de fusées et imposa la création de deux nouvelles bases dans cette région (une, navale et une aéro-terrestre), Dans ces conditions, les milieux militaires estimèrent qu’on ne pouvait prendre le risque de voir ces bases sous-équipées en hommes, ce qui ne manquerait pas de se produire si la règle du volontariat restait d’application exclusive. À cette pression se joint à ce moment celle de milieux politiques belges et d’européens installés au Congo, influencés par les situations de type Algérie ou Kenya.

21C’est dans ce cadre qu’il faut situer le projet d’arrêté soumis au Conseil d’État le 12 août 1958.

5 – L’Avis du Conseil d’Etat

22Le 12 août 1958, le ministre Gilson soumet au Conseil d’État section de législation, un projet d’arrêté royal modifiant l’arrêté du Régent du 10 juillet 1950 portant statut du personnel campé d’Afrique.

23Ce projet avait pour but de permettre l’affectation de tout militaire reconnu apte au service d’Afrique aux bases métropolitaines situées au Congo. Pour la première fois, un texte du pouvoir exécutif prévoyait formellement l’envoi de non-volontaires en territoire Africain.

24On ne peut dire que le projet a été élaboré exclusivement dans le but de faire couvrir l’opération par l’avis de cinq juristes composant une des chambres de la section de législation du Conseil d’État puisque tout projet d’arrêté royal organique et règlementaire doit être soumis à l’avis de cette section.

25Mais il n’en est pas moins vrai que cet avis pourvu qu’il fût favorable, paraissait particulièrement utile aux yeux du département de la Défense Nationale.

26L’avis fut favorable ; rendu le 21 janvier 1959, l’opinion du conseil était déjà connue au mois d’octobre 1958 puisque le ministre de la Défense Nationale, informé par le fonctionnaire qui le représentait lors des premiers contacts avec les magistrats du Conseil, en a fait lui-même mention.

27Comment l’avis de juristes peut-il être favorable devant le texte pourtant si clair de l’article 1er alinea 4 de la Constitution ? L’avis du Conseil n’est pas publié mais on connaît l’essentiel du raisonnement de la consultation.

28Nul ne peut contester la légitimité des bases militaires de l’année belge en dehors du territoire national. La présence des miliciens en Allemagne n’est pas inconstitutionnelle. L’armée belge est présente partout où la politique internationale de la Belgique l’exige. Pour fournir à ces bases des effectifs suffisants, le gouvernement trouva dans l’article 63 p. 1 des lois de milices coordonnées le 2 septembre 1957, le pouvoir de désigner des miliciens d’office. Si l’armée peut se trouver ainsi en n’importe quel territoire de pays allié, pourquoi le territoire du Congo ferait-il exception pourvu que la défense exclusive ne soit pas le motif de la création de la base ?

29Mais, en ce qui concerne le Congo, une loi du 29 juillet 1953 prévoit dans son article 22 que “en cas d’émeutes ou de troubles graves, le gouverneur général peut réquisitionner les troupes et moyens des bases. Ce pouvoir ne peut être délégué. Le gouverneur général désigne l’autorité militaire à la disposition de laquelle il place les unités et les moyens ayant fait l’objet de la réquisition.”

30Le texte ne distingue pas entre troupes volontaires et miliciens puisqu’au moment de son adoption par le Parlement, il n’y avait que des volontaires à la base de Kamina, le législateur étant persuadé à ce moment, qu’il ne pouvait en être autrement ? cet article 22 n’a pu par conséquent être jugé inconstitutionnel.

31Pris isolément, ni le texte du nouvel arrêté royal portant statut du personnel campé d’Afrique, ni l’article 22 de la loi du 29 juillet 1953 ne peuvent être taxés d’inconstitutionnalité. Mais leur application en deux temps, l’envoi des miliciens d’office en Afrique, leur réquisition par le Gouverneur Général, aura pour résultat que des soldats non-volontaires pourraient être appelés à réprimer des troubles graves au Congo Belge.

32Tel est le biais que les jurisconsultes de l’administration et les juristes d’une chambre du Conseil d’État ont trouvé pour arriver à un résultat diamétralement opposé au principe inscrit dans la constitution belge en 1893.

33Les jurisconsultes de l’administration, plus que les conseillers d’État ont pourtant insisté sur le caractère exceptionnel de la réquisition, l’utilisation de l’armée belge au Congo, ne pouvant se justifier qu’en cas d’extrême urgence et pour pallier l’insuffisance des forces de l’armée coloniale proprement dite.

34On aurait invoqué une hypothèse, d’ailleurs irréelle, faite en cours des débats de la constituante de 1893 ; l’article 1er de la Constitution ne fait pas obstacle déclara le rapporteur à la Chambre, M. Schollaert, à ce que des soldats de marine à bord d’un navire de guerre (il n’en existait pas plus à cette époque que maintenant) passant par hasard à proximité du Congo, portent secours à des troupes coloniales en grave danger.

35Il n’a évidemment jamais été dit que le gouvernement pourrait délibérément envoyer des soldats/de marine, de Belgique au Congo pour y renforcer l’armée coloniale.

36Quant à l’avis des professeurs de droit public des Universités, à s’en tenir à leurs cours élaborés in tempore non suspecto [7], il est formel ; si l’on veut envoyer des miliciens au Congo, il faut reviser l’article 1er alinea 4 de la Constitution, ce qui signifie qu’il faut réunir au parlement une majorité des deux tiers.

6 – Mouvements d’opinion et promesse gouvernementale

37Sur la base de l’avis du Conseil d’État, un texte légal pouvait dès lors être adopté, permettant en fait :

  1. d’envoyer des non-volontaires dans les bases belges d’Afrique pourvu qu’ils soient reconnus physiquement aptes ;
  2. de gonfler les effectifs militaires au Congo susceptibles d’être réquisitionnés par le Gouverneur Général, sur base de la loi du 29.7.53, article 22.

38Entre 1952 et 1959, le contexte politique du problème s’est profondément modifié : les troubles de Léopoldville (janvier 1959) et la tension qui prévaut au Congo tendent à poser le problème de l’envoi de miliciens, moins en termes de stratégie mondiale (encore que le problème de la défense du bas-fleuve soit fort agité dans le monde atlantique) qu’en fonction de troubles graves éventuels, de maintien de l’ordre et de protection des résidants européens.

39Déjà en janvier 1959, le pouvoir de réquisition du Gouverneur Général s’est exercé en vue de protéger la population blanche de Léopoldville [8]. C’est là effectivement une des formes possibles d’intervention des forces métropolitaines réquisitionnées, explicitement prévues pour des villes comme Léopoldville, Matadi, Élisabethville, Jadotville, Stanleyville, Bukavu et Kolwezi. Mais il en est d’autres : intervention avec la Force Publique, démonstration de force en milieu indigène ou même, intervention directe ? sans la Force Publique ? pour les cas extrêmes.

40Sur un tel plan, l’accord des commandements des forces métropolitaine et de la Force Publiques existait, et en faveur du plan s’exerçait la pression de certains milieux européens du Congo (milieux urbains, car les éléments isolés redoutent plutôt les action répressives qui ne pourraient leur fournir une garantie immédiate). En Belgique, l’opinion n’était guère saisie du problème et la presse ignorait généralement l’existence de l’avis du Conseil d’État et le projet d’arrêté.

41Dans la mesure où les troubles ou la menace de troubles cessaient d’être de simples éventualités, l’opinion prit conscience du fait que l’envoi de troupes risquait fort d’être envisagée. L’envoi d’unités de protection de base fut publiquement posé vers la mi-octobre [9], après les incidents qui mirent en cause le personnel congolais de la base de Kitona mais le Département de la Défense Nationale précisa à cette occasion le 25.10, que ces unités ne comptaient que des volontaires. Un pas de plus dans la “publicité” fut franchi lors de la visite à Bruxelles du lieutenant-général Janssens, commandant de la Force Publique et le Colonel Gheysen, commandant des Forces Métropolitaines en Afrique. Les 20 et 21 octobre, les quotidiens firent allusion à un projet d’avis du Conseil d’État (lequel était rendu depuis le 21 janvier 1959) et un communiqué de la Défense Nationale du 25.10 précisait : “Il est exact que le Conseil d’État est saisi d’une demande du gouvernement portant sur la constitutionnalité d’un éventuel envoi de miliciens au Congo.

42Il importe au gouvernement d’être en état de faire face à toute éventualité, et de savoir à quoi s’en tenir avant qu’une crise se dessine.

43Il semblerait que l’avis sollicité doive être favorable” (publié par Le Soir du 26.10.1959).

44C’est à ce moment que la gauche socialiste (spécialement les journaux La Gauche, La Wallonie, Syndicats, les Jeunes Gardes Socialistes ainsi que le journal socialiste anversois De Volks Gazet dont le rédacteur en chef, M. Van Eynde est vice-président du P.S.B. et les communistes reprirent une vive campagne contre l’envoi de miliciens au Congo tandis que la presse démocrate-chrétienne (spécialement La Cité) … et Het Belang van Limburg (22.10.59) ne cachaient pas leurs appréhensions à l’égard du projet d’envoi de miliciens.

45Le 29 octobre, La Gazette de Liège rapportait qu’au cours d’un exposé à Trooz, M. Gilson aurait “déclaré qu’il n’est pas question d’envoyer des miliciens au Congo dans l’état actuel de la situation” tandis que le 28, La Cité croyait savoir que “le ministre de la Défense Nationale aurait été autorisé à présenter un projet d’arrêté royal lui permettant d’envoyer des miliciens au Congo”.

46Le 3 novembre 1959, M. Léo Collard, président du P.S.B. posa la question suivante au ministre :

47

“Laissez-moi vous poser une question. J’espère que vous répondrez qu’il n’est pas question d’envoyer des miliciens belges au Congo. Nous savons qu’il existe un avis au Conseil d’État, sollicité par le ministre de la Défense Nationale. Si vous me dites que je m’effraie inutilement, tant mieux. Mais si vous avez un projet d’arrêté royal, laissez-le à l’état de projet. Aller plus loin serait une absurdité. La Belgique ne pourrait supporter le poids d’une telle politique. Elle ne peut envoyer à la fois son argent et ses fils au Congo. Quelles que soient les couches de la population envisagées et leurs opinions, aucune ne pourrait admettre cette politique. L’envoi au Congo de miliciens signifierait la perte de tout espoir d’une solution pacifique”. [10]

48C’est en réponse à M. Collard que M. Gilson, Ministre de la Défense Nationale fit la déclaration suivante :

49

“En février 1952, sollicité par la Force Aérienne qui éprouvait des difficultés à envoyer du personnel à ces bases du Congo, mon prédécesseur a pris une décision disant que le personnel destiné aux forces métropolitaines cantonnées au Congo pourrait être désigné d’office.
C’est sur base de cette décision qu’en mars 1958 a été élaboré un arrêté qui fut soumis au Conseil d’État. Celui-ci l’a jugé conforme à la constitution et aux lois.
Mais il est apparu qu’une décision prise in tempore non suspecto pourrait être considérée comme dangereuse.
Même si nous ne pouvions disposer de tout le personnel spécialisé nécessaire pour assurer le fonctionnement des bases, il serait contre-indiqué d’user aujourd’hui de cette faculté, car une telle attitude serait susceptible d’interprétations défavorables. Par conséquent, le gouvernement renonce à un texte qui lui donnerait cette possibilité. Par conséquent aussi, il n’utilisera aucun milicien pour le service des bases d’Afrique et il recourera uniquement à des volontaires”. [11]

50Cette déclaration fournit les indications suivantes :

  1. des raisons techniques sont invoquées depuis 1952 pour la couverture des besoins des bases par des non-volontaires ;
  2. un avis a été demandé au Conseil d’État (le 12 août 1958, exactement, même si l’élaboration du projet remonte à mars 1958) ;
  3. l’avis donne au gouvernement la faculté d’envoyer des miliciens en Afrique ;
  4. un arrêté a été rédigé (sur lequel le gouvernement a dû logiquement se prononcer à l’unanimité) mais le gouvernement y renonce, dans le climat politique actuel.

51Le 3 novembre, le bureau de la F.G.T.B. décidait de “s’opposer par tous les moyens à l’envoi, sous quelque prétexte que ce soit, de miliciens belges au Congo”.

52À ce jour, le problème de l’envoi de militaires au Congo ne peut plus être posé sans tenir compte des menaces de troubles et de la probabilité d’une réquisition par le Gouverneur Général. Des organisations de masse (F.G.T.B., spécialement) s’opposent à l’envoi de miliciens. Le gouvernement a promis de ne pas appliquer l’arrêté qui lui donnerait le pouvoir d’envoyer des miliciens au Congo. La force de pression qui a joué, depuis quelques mois, en faveur d’une modification de la règle du volontariat pour les forces belges au Congo va sans nul doute se reporter sur un autre objectif : l’envoi d’effectifs plus importants de militaires volontaires. Cette réserve de volontaires vient en effet de s’accroître de 9 à 10.000 unités par le recrutement de techniciens CTAN. Il est difficile, dans l’état actuel des choses, de mesurer les chances d’une campagne de recrutement de volontaires pour le Congo et l’ampleur que prendrait une résistance organisée à une systématisation de l’envoi des volontaires en Afrique.

Notes

  • [1]
    Conséquence de la convention sur le Traité de l’Atlantique Nord (Sénat 1951-52, Doc. n° 95 du 29.1.1952).
  • [2]
    Voir, P. Wigny, Droit Constitutionnel,1952, T.II, n° 710 : “L’armée belge métropolitaine peut-elle désormais établir une base au Congo ? L’article 1er de la Constitution est respecté si les troupes envoyées sont recrutées par des engagements volontaires ou parmi des miliciens qui acceptent de faire une partie de leur terme en Afrique. Mais la loi du 18 octobre 1908 devrait être modifiée en ce qui concerne les miliciens”.
  • [3]
    Nous disons “principalement stratégiques” car déjà à ce moment au Congo, des motivations politiques jouaient en faveur d’une révision de l’article 1 (Bulletin Militaire, n° 95, E.M. de la Force Publique ; “Évolution des forces d’appoint pour le maintien et le rétablissement de l’ordre public ? M.R.O.P. ? étude du Major Van Doren, pp. 337 etss.).
  • [4]
    Actuellement, il paraît impossible de réunir les deux tiers des voix pour reviser l’article 1. La “solution” par la réforme constitutionnelle est donc pratiquement bloquée.
  • [5]
    C’est nous qui soulignons.
  • [6]
    Déclaration à la Chambre, le 3 novembre 1959.
  • [7]
    La Constitution commentée 1935 Dor et Braas ? Université de Liège. Novelles III n° 17 lois politiques et administratives.
    Cours de droit public, notes stencilées par les étudiants, professeur Paul de Visscher ? Université de Louvain, p. 64.
    Cours de droit public ? André Mast ? Université de Gand.
  • [8]
    À ce moment, Bruxelles espérait également que la présence d’éléments para-commandos permettrait d’éviter des excès de la part des corps de volontaires européens.
  • [9]
    Échos de presse : “Le Peuple” du 17.10.1959 ; “La Cité” du 17.10.1959 ; “Le Soir” du 18.10.1959.
  • [10]
    Compte Rendu Analytique de la Chambre, séance du 3 novembre 1959, pp. 830 et 831.
  • [11]
    Compte Rendu Analytique de la Chambre, séance du 3 novembre 1959, pp. 830 et 831.
Mis en ligne sur Cairn.info le 26/01/2015
https://doi.org/10.3917/cris.040.0001
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