CAIRN.INFO : Matières à réflexion

L’origine de la crise

1 En 2008, le monde connaissait une crise financière sans précèdent. Cette crise née aux USA a pris la forme d’un véritable krach boursier. Soudainement, le système financier mondial s’est retrouvé dans une situation telle qu’il ne pouvait plus financer l’économie. Les Banques centrales ont abaissé le coût du crédit et ont refinancé les banques.

2 Des mesures de relance et de sauvetage ont été mises en place pour contrecarrer la crise financière. En même temps, la diminution des recettes fiscales due à la crise a dégradé dangereusement les finances publiques sans pour autant favoriser un retour de la croissance. La confiance des marchés dans la solvabilité de certains pays de la zone Euro s’est érodée rapidement et les agences de notation ont aggravé les doutes sur la capacité des « PIGS » à honorer leurs dettes.

Les points communs entre les pays d’Europe du Sud

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  • Dérives budgétaires (dette publique et déficits).
  • Un retard de compétitivité ainsi qu’un déficit chronique de la balance courante. Dans ces pays, les gains de productivité ont augmenté moins vite que les salaires, ce qui a affecté leur compétitivité/ prix alors que les pays du Nord connaissaient un mouvement de sens inverse.
  • Le faible niveau des taux d’intérêt a engendré une surconsommation.
  • L’accumulation des déficits extérieurs a engendré l’augmentation de la dette, notamment de la dette extérieure/PIB. C’est l’augmentation de ce dernier ratio qui a entrainé la hausse effrénée des taux.
  • Le déficit de la balance courante de ces pays résulte d’une insuffisance d’épargne nationale par rapport à l’investissement total. Les capitaux étrangers finançaient ainsi la surconsommation de ces pays. La gestion de la monnaie est entre les mains de la BCE et aucun de ces gouvernements n’a aujourd’hui la possibilité d’envisager un financement monétaire propre de ses déficits.
  • Adoption de plans d’ajustement, mesures d’austérité et réformes structurelles qui risquent de faire replonger ces économies dans la récession.
  • Un coût futur lié au vieillissement rapide de la population, qui nécessitera une augmentation des dépenses publiques. Les facteurs cycliques ne sont pas les seuls responsables du cumul de déficits et dettes, mais ceux-ci revêtent ainsi également un caractère structurel inhérent au modèle économique de l’État providentiel.

Le profil économique des pays d’Europe du Sud

4 Même si ces pays connaissent tous des problèmes de compétitivité, des déficits budgétaires de leur balance extérieure chroniques et des dettes publiques élevées, les modèles économiques sont hétérogènes.

La Grèce

5 Depuis 2008, l’économie s’est enfoncée dans la récession avec un recul du PIB de 25 %. La crise a fait apparaître l’incapacité de l’État sur le plan fiscal, puisque l’évasion est de 40 milliards d’Euros/an, alors que le secteur informel représente un tiers du PIB.

6 L’économie grecque est basée sur les services, le tourisme et la marine marchande. Elle souffre d’une faible compétitivité avec une balance courante chroniquement déficitaire. Le plan d’austérité prévoit des économies de 30 M€ jusqu’en 2013, qui seront financées par une augmentation de la TVA et des réductions de salaires, retraites et autres prestations sociales. La consommation intérieure étant le moteur de l’économie, les plans de rigueur risquent de creuser les déficits publics. Le chômage est ainsi passé de 8,3 % en 2007 à plus de 21,5 % en 2011. La sortie de récession est donc difficile dans ces conditions.

7 Le nouveau plan de sauvetage de 237 milliards d’euros devra éviter à la Grèce une sortie de la zone Euro dans l’immédiat. Ce plan comprend un volet d’aide publique de 130 milliards d’euros jusqu’à fin 2014 à financer par le FESF. La dette publique a été ramenée de 160 à 120 % du PIB.

8 L’UE essaie ainsi d’éviter une faillite désordonnée de la Grèce en l’aidant, avec comme contrepartie un droit d’intervention sur la gestion publique. En continuant à soutenir financièrement la Grèce, l’UE a certes voulu gagner du temps mais a sans doute évité une sortie aux menaces imprévisibles. La Grèce est aujourd’hui mise sous tutelle de l’Eurogroupe, avec un monitoring sur les dépenses publiques et les réformes structurelles.

9 La classe politique dans son ensemble est discréditée par sa grande responsabilité dans la faillite du pays et se trouve aujourd’hui à la merci de la « rue ». Cette situation menaçante pour la démocratie grecque risque de faire basculer le pays dans un régime totalitaire.

10 Les avoirs grecs à l’étranger totalisent plus de 300 milliards d’euros c’est-à-dire plus de 80 % de l’épargne nationale, alors que les caisses de l’État et des banques sont vides. Ceci témoigne du manque de confiance dans son propre pays de l’élite économique.

Le Portugal

11 Le cas du Portugal est très similaire à celui de la Grèce ; sa dette n’ayant cessé d’augmenter au cours des dix dernières années malgré des plans d’austérité budgétaire depuis 5 ans. Au cours de la dernière décade, la croissance moyenne a été inférieure à 1 %. L’industrie portugaise n’a pas été capable de s’adapter à la globalisation et de se réorienter vers des industries à forte valeur ajoutée. Le poids de l’économie parallèle est de 25 % du PIB, soit 43 milliards d’euros. En s’ajoutant à la fraude fiscale, elle fausse la compétitivité du pays.

12 En plus d’un endettement public aux alentours de 115 % du PIB, soit 175 milliards d’euros, la situation portugaise se caractérise par un endettement très élevé des ménages, ce qui met le secteur bancaire national dans une position difficile. Les mesures d’austérité seront financées par une augmentation de la TVA. Le gouvernement a augmenté les impôts, gelé les salaires, réduit les retraites et allocations chômage, reporté des investissements publics et commence à privatiser. Du fait de telles mesures, la demande intérieure s’est effondrée et le chômage a atteint des niveaux records de 14 %.

13 Le Portugal devrait assouplir la législation rigide de son marché de travail qui, avec la faible productivité, sont en partie responsables du taux de chômage élevé. Pourtant, en 2011, le Portugal a réussi à creuser son déficit commercial de 25 %, grâce à une augmentation des exportations de 15 %. En 2012, la faible croissance de la zone Euro risque de pénaliser les exportations portugaises.

14 Le Portugal va demander un nouveau plan de sauvetage et veut une rallonge de 25 milliards d’euros, ce qui portera la dette publique/PIB a 140 %. Les taux à 10 ans sont actuellement à 11 % et il semble que le Portugal ne pourra pas revenir sur les marchés avant 2015/16.

15 En raison de ces conditions, la Troïka n’exigera pas de nouvelles mesures d’austérité, mais plutôt des reformes structurelles visant à rendre l’économie portugaise plus compétitive. Le Portugal est-il le prochain domino à tomber dans cette crise de l’euro ? Les prévisions de croissance 2012 plaident en ce sens. Il sera difficile au Portugal dans un avenir très proche de pouvoir éviter une restructuration de sa dette.

L’Espagne

16 L’économie de ce pays a été marquée au cours de la dernière décade par un budget excédentaire, une croissance forte liée en partie aux secteurs de la construction, du tourisme et de l’immobilier. L’éclatement de la bulle immobilière a violemment affecté ce pays et l’augmentation du déficit public est liée au plan de sauvetage des banques par l’État. Comparée aux autres pays, la dette publique est relativement modérée, 70 % du PIB. Avant la crise 2008, elle était de 36 %. En 2009, l’économie informelle représentait 20 % du PIB. L’Espagne a un taux de chômage élevé de 23 % (environ 40 % pour les jeunes). Les créances douteuses, principalement dues à la chute de l’immobilier s’élevaient à 135,7 milliards d’euros en décembre 2011, soit 7,61 % du total des créances. À cela, les banques nationales ont un stock d’immeubles et de terrains saisis de 176 milliards d’euros. La dette totale du pays atteint 366 % du PIB, caractérisée par un endettement des ménages élevé (85 % du PIB). D’autre part, les banques restent assez exposées sur le Portugal. En cas de restructuration de la dette portugaise, les effets collatéraux pour l’Espagne seraient d’environ 85 milliards d’euros.

17 Afin de réduire le déficit budgétaire, le gouvernement a adopté un plan de rigueur prévoyant 50 milliards € d’économies en 3 ans, plus une réduction additionnelle des dépenses publiques de 16,5 milliards € en 2012. Le gouvernement entend réaliser ces économies par une hausse de la TVA, un gel des recrutements et une baisse des salaires dans la fonction publique. Il augmente également les impôts sur les patrimoines des plus riches. Ces mesures d’austérité, en plus du désendettement des ménages, ont affaibli la consommation, élément-clé de la croissance espagnole.

18 Le gouvernement a adopté une réforme approfondie du marché du travail, en baissant les indemnités de licenciement et l’augmentation de l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans.

19 L’Espagne suit la feuille de route qu’elle s’était fixé pour ses reformes structurelles. Malgré cela, elle devrait revenir en récession dès cette année, à cause du ralentissement de la demande interne, et ce malgré l’amélioration du commerce extérieur. L’Espagne ne pourra pas respecter l’objectif de 4,4% de déficit public.

L’Italie

20 Avant la crise, l’Italie détenait la dette publique la plus importante dans l’UE (au 3e rang dans le monde). Le niveau élevé de la dette italienne ne peut être attribué à la crise récente, mais a été accumulé pendant des périodes antérieures.

21 L’Italie est loin des développements dramatiques des autres pays et peut être considérée comme s’étant relativement bien tirée de la crise de 2008. Certes, le PIB s’est contracté de 5 % en 2009. Mais l’État n’a pas dû intervenir pour sauver les banques et le marché immobilier est resté stable. Le taux de chômage a augmenté de 6,2 % en 2007 à 8,3 % en 2011.

22 Les mauvaises performances de l’économie italienne au cours de la dernière décade s’expliquent, en partie, par l’insuffisance de résultats des réformes structurelles engagées : système de retraites, marché du travail, de l’énergie, fédéralisme fiscal. De plus, le modèle de production italien, basé sur les PME, ne semble plus adapté au marché mondial car la taille des entreprises est trop petite alors que leur structure en réseau a été mise à mal part les délocalisations. Au cours des années 70 et 80, la compétitivité italienne a reposé surtout sur les dévaluations de la lire. La mutation de l’appareil productif a été engagée mais c’est un processus à long terme qui nécessite des investissements considérables en termes de R&D et d’innovation.

23 Le plan de rigueur du gouvernement prévoit des économies de 50 milliards € en 2011 et 2012, ces mesures toucheront surtout le service public. Le Premier ministre Mario Monti a engagé l’Italie sur des reformes structurelles pour la sortir de la crise de la dette souveraine. Ce plan commence à porter ses fruits puisque l’Italie n’aura pas besoin d’un nouveau plan d’austérité. Pour la première fois, un gouvernement s’est attaqué avec toute la rigueur nécessaire au fléau de l’évasion fiscale, qui coûterait chaque année 300 milliards € au Trésor Public. Alors que l’on prévoyait un excédent primaire de 4 % du PIB en 2012, cet excédent atteindra plus de 5% contre une moyenne européenne de 0,5 %. Les taux d’intérêt se sont redressés de manière spectaculaire pour situer aux alentours de 5,38 %, un niveau plus supportable pour le service de la dette malgré des besoins de financement de 400 milliards € pour l’année 2012. L’économie sera en 2012 en récession, les prévisions tablant sur – 1,3 %. Celle-ci s’explique par recul de la demande intérieure à la suite des mesures d’austérité et de l’augmentation de la pression fiscale. Par contre, les exportations devraient continuer à croître.

Chiffres-clés de l’économie des pays d’Europe du Sud

Portus Grèce Italie Spain
PIB 2011 – 2,2 % – 5,5 % 0,6 % 0,7 %
prévisions PIB 2012 – 3,3 % – 2 % 0,1 % – 1,3 %
Balance courante – 8 % – 13 % – 3 % – 2,6 %
Déficit budgétaire/PIB 9,0 % 9,0 % 4,6 % 8,5 %
Budget/PIB 51 % 50 % 51 % 45 %
Dette publique/PIB 113 % 165 % 93 % 70 %
% Dette publique détenue par des Étrangers 85 % 71 % 50 % 55 %
Dette des ménages/PIB 83 % 58,4 % 34 % 85 %
Dette totale /PIB (public, ménages, entreprises) 360 % 303 % 313 % 366 %
Taux à 10 ans 12,15 % 31,6 % 5,51 % 5,07 %
Actifs des banques nationales/PIB 240 % 160 % 320 %
Taux de chômage 14 % 21,0 % 8,3 % 23 %
5 ans CDS 1132 930 400 377
figure im1

Chiffres-clés de l’économie des pays d’Europe du Sud

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  • Les CDS à 5ans montrent que l’assurance d’un risque de défaut du Portugal est plus élevée que pour la Grèce. Ceci se confirme par la croissance 2012 (–3,3 %), le déficit de la balance courante (–8 %), l’endettement total (360 %). Cette situation plaide pour une restructuration prochaine de la dette du Portugal.
  • La dette totale de l’Espagne est de 366 %/PIB. D’autre part, la santé de l’économie du pays reste très dépendante de la santé du secteur bancaire (320 % du PIB). Une restructuration de l’immobilier et du secteur bancaire sont une condition à toute reprise économique mais causeront des dégâts sur l’économie espagnole.
  • Des quatre pays, l’Italie est celui qui a les fondamentaux financiers les plus solides. En plus d’une exposition de son secteur bancaire limitée, ce pays a l’un des taux d’épargne les plus élevés d’Europe.

Sortie de crise

25 Les principaux leviers de croissance des pays d’Europe du Sud au cours de la dernière décade ont été la demande interne stimulée par des taux bas et l’accumulation de déficits budgétaires et extérieurs pour compenser le manque de compétitivité de leurs économies. Les politiques économiques menées dans ces pays sont actuellement toutes restrictives et il leur sera difficile simultanément de rééquilibrer les déficits budgétaires, respecter leurs engagements et en même temps faire de la croissance. Malgré les convergences des résultats obtenus au cours de cette crise – déficits chroniques, endettement élevé, évasion fiscale, économie informelle, rigidité du marché du travail, vieillissement rapide de la population-, ces pays divergent fondamentalement au niveau de leurs modèles économiques et du niveau de leur compétitivité.

26 On peut ainsi les classer en deux catégories :

Grèce et Portugal

27 Ces deux pays ont un niveau de compétitivité économique et d’industrialisation faibles. Ils sont actuellement sous tutelle de l’Eurogroupe. Leur performance économique ne leur permet pas de rester dans la zone Euro telle qu’elle existe aujourd’hui. Ils devraient choisir de sortir de la zone Euro et ainsi gagneraient en compétitivité par une dévaluation. Ces deux pays auraient dans un premier temps une violente récession mais ensuite une reprise de la croissance, une disparition du déficit extérieur à condition de maintenir des taux d’intérêt faibles et d’accepter une inflation plus forte et convertir dans leur nouvelle monnaie les dettes publiques. Si ces deux pays choisissent de rester dans l’Euro, il faudrait que les populations acceptent les conditions difficiles de l’appartenance à la zone et les sacrifices nécessaires. C’est le prix à payer des « années folles » de ces dix dernières années.

Espagne et Italie

28 La banqueroute de l’un de ces deux pays serait l’annonciateur d’une crise financière majeure à l’échelle mondiale.

29 L’Italie devra résoudre ses problèmes liés à l’évasion fiscale et adapter son outil productif à la mondialisation, alors que l’Espagne, devra orienter son modèle économique basé sur l’immobilier/ construction vers l’investissement et l’export. Les deux pays ont récemment amélioré leur balance courante grâce à un bond de leurs exportations. Cependant, les mesures d’austérité, aggravées par le ralentissement mondial, risquent de prolonger la récession qui les frappe.

30 Les importations énergétiques représentent pour ces deux pays 20/25 % du total de leurs importations et de leurs besoins (80 %) en énergie. Ils ont ainsi pu voir en 2011 leurs factures énergétiques augmenter de 20%. En restant dans la zone Euro, un euro fort en plus d’une mutualisation des achats dans l’énergie avec les autres pays devrait les mettre à l’abri de l’effet d’un choc pétrolier.

31 Malgré un cap difficile à gérer et contrairement à la Grèce et au Portugal, qui ont un faible niveau de compétitivité, l’Italie et l’Espagne n’ont aucun intérêt à quitter la zone Euro, par rapport à laquelle ils restent très dépendants pour leur reprise économique. L’Italie grâce à sa faible dette privée, son bon taux d’épargne et son chômage peu élevé reste cependant dans une meilleure position que l’Espagne pour affronter une crise dans la durée. ?

Français

Cet article dresse un tableau synthétique de la crise économique et financière qui secoue la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal. S’ils ont en commun de traverser une période très difficile de leur histoire, ces pays se distinguent parfois assez nettement en termes de causalités à la crise économique qu’ils traversent.

Mourad Bsiri
Directeur de Kappa Finance, Paris.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/04/2012
https://doi.org/10.3917/come.080.0047
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