CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Rien n’est plus exaspérant que la combinaison de ces deux ritournelles journalistiques : montée-du-fascisme, seconde-génération-beur. Rien, parfois, de gênant comme l’apparition de certains badges. Quand les Danois se mirent tous à porter l’étoile jaune, pendant l’occupation nazie, c’était précisément pour que certains d’entre eux, ceux qu’on obligeait à la porter, ne pussent plus être distingués dans la foule. Le badge qui transforme l’homme en sandwich publicitaire, qui le « ségrège », qui le fait porter son opinion ou sa race au revers de son veston, a toujours quelque chose d’indécent.

2Cela dit, la campagne « Touche pas à mon pote », avec sa main levée pour arrêter le racisme, est la sympathique et efficace synthèse des méthodes de la publicité (genre « ticket chic » RATP) et de celles du militantisme naïf et généreux. Jouant avec un sens admirable des médias sur le snobisme, la peur de paraître attardé, l’envie vague de faire quelque chose contre l’intolérance, ses jeunes promoteurs ont réalisé la seule riposte jusqu’à présent efficace aux Dupont-la-Joie de tous bords (il n’y a pas que Le Pen : rappelez-vous, il y a quatre ans, les communistes cassant à coup de bulldozer les foyers d’immigrés).

3Leur argument, auquel je me rallie bien volontiers, est qu’il faut « afficher son anti-racisme ». Argument qui serait un peu glissant, si le slogan choisi, avec un flair pour la formule digne d’un clip (badge, en anglais) de la belle époque contestataire, ne confondait fort à propos l’anti-raciste et l’objet du racisme, la « victime » et l’avocat. Nous pouvons, comme les Danois pendant la guerre, tous afficher notre anti-racisme, à condition précisément que cet affichage ne nous désigne pas comme simples supporters, belles âmes sûres de leur impunité.

4Ce badge, en dépit des snobs, est bien, parce qu’il réduit la distance que crée toute belle âme (l’antiracisme « principiel » de celui qui se sait blanc) avec l’objet de sa commisération ; mieux, il annule. Nous voilà tous des potes, un point c’est tout.

5Les créateurs de « SOS Racisme-Touche pas à mon pote » vont organiser une grande fête en avril. On se croirait presqu’en mai 1968, quand on les écoute. Je suis sûr que de nombreux lecteurs de Gai Pied auront à cœur de participer à leur campagne : ce n’est pas tous les jours qu’on tombe sur une belle idée qui marche aussi bien qu’une campagne de Seguela. Portons donc le badge, soutenons les financièrement ; et gardons pour nous l’unique petite remarque qui nous trotte dans la tête : quel dommage, en vérité, que ce slogan, en luttant contre le racisme, interdise de toucher. Parce qu’il est vraiment très bien, tu sais ton pote.

6SOS Racisme-Touche pas à mon pote,

719, rue Martel

875010 Paris

9(1) 246.53.52

10Le badge « Touche pas à mon pote » coûte 5 F

11Mars 1995, GAI PIED HEBDO, n°161

Guy Hocquenghem
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/chime.069.0093
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