CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Dimension cardinale des activités industrielles en Afrique centrale, l’exploitation forestière est particulièrement importante au Gabon. Engagée il y a plus d’un siècle, elle constitue le deuxième pourvoyeur d’emplois salariés après la fonction publique. Les domaines forestiers exploitables [1] se répartissent sur l’ensemble du territoire gabonais, et en couvrent la moitié. Ce secteur économique connaît des transformations majeures : depuis une vingtaine d’années, la problématique du développement durable est montée en importance et constitue la pierre angulaire du code forestier voté le 31 décembre 2001. De plus, par rapport aux principaux opérateurs historiques qu’étaient les Européens, Français notamment, d’importantes sociétés asiatiques ont cherché à s’implanter dans le pays depuis la fin des années 1990, investissant massivement et acquérant de vastes surfaces [2]. Enfin, suite à la mort de son père au pouvoir depuis 1967, l’une des premières décisions importantes du chef de l’État élu en 2009, Ali Bongo, et de son gouvernement fut d’interdire brutalement l’exportation de bois en grumes [3], afin de favoriser la multiplication des industries locales de transformation du bois et, ainsi, les créations d’emplois et de valeur.

2 Interrogeant les formes de souveraineté et la reconfiguration des relations État-marché induites par le capitalisme global [Ong, 2002], cet article [4] vise à comprendre les implications de l’arrivée d’une entreprise multinationale, Uleaf International, dans la région de l’Ogooué-Ivindo, au nord-est du Gabon. Déployées dans plusieurs branches agro-industrielles, les activités de ce groupe ont été rendues possibles grâce aux décisions unilatérales du président de la République gabonaise qui décline, en Afrique, le modèle du « capitalisme autoritaire » chinois [Assayag, 2008], remettant en cause le lien supposé entre démocratie et capitalisme. Après la phase coloniale et ses prolongements au-delà de l’indépendance, puis une période où le pays a été sous l’influence spécifique des institutions financières internationales – via les plans d’ajustement structurel – [Heilbrunn, 2009], se précisent donc les contours d’une nouvelle phase de l’histoire de l’extraversion [5] en Afrique [Bayart, 1999] où l’« entreprise » prend la place d’institution cardinale [Solé, 2011] – au regard du poids relatif des institutions politiques ou religieuses. Nous verrons que, dans ce contexte, les pratiques d’Uleaf Gab SA se rapprochent de l’idée d’un « gouvernement privé indirect » [Mbembe, 2000] et que les logiques de développement durable contribuent à renouveler la légitimité du système concessionnaire (colonial).

3 Recourir à une corporate ethnography permet de s’intéresser aux modalités effectives d’existence du capitalisme [Benson, Kirsch, 2010] et aux capacités de résistance et de résilience des entreprises face aux contraintes sociales et écologiques qui peuvent leur être opposées [Geels, 2014]. En ce sens, face à une configuration nouvelle de relations de pouvoir et en reprenant l’idée que c’est « à partir de l’épreuve du terrain que l’on peut examiner concrètement la façon dont les multinationales mettent en œuvre leur responsabilité sociale dans des pays du Sud » [Montclos, 2010, p. 111], la présente analyse propose différents éléments composant une « pragmatique de la gouvernementalité » [Abélès, 2008] ogivine [6] du début du xxi e siècle.

4 Les problématiques qui s’appuient sur le concept de « gouvernementalité » abordent les relations entre un État et sa population [Foucault, 2004] en s’intéressant aux « actes par lesquels s’opérationnalise ou non le gouvernement des sujets et des populations » [Laborier, Lascoumes, 2005, p. 39]. Les formes de gouvernementalité sont multiples, incluant une économie politique [Grenier, Orléan, 2007]. Leurs analyses renouvellent la réflexion sur le pouvoir politique [Rose, Miller, 2010]. Concernant l’Afrique centrale, Jean-Pierre Warnier [2007] aborde ainsi la circulation des substances et des récipients dans un royaume du Cameroun de l’Ouest. À une plus large échelle, Jean-François Bayart [2005] caractérise principalement en termes de « politique du ventre » la gouvernementalité en Afrique subsaharienne [7]. Ici, nous étudions le cas d’un accord entre néolibéralisme et pratiques autoritaires [Dean, 2010, p. 12] où l’environnement est intégré dans les « arts de gouvernement » [Luke, 2006 ; Cepek, 2011 ; Lassagne, 2005] [8]. En ce sens, le développement durable, couvrant les dimensions économique, écologique et sociale, est entendu ici comme « projet technologique (qui devient projet social) » [Morvan, 2000, p. 101] et renvoie d’abord à des politiques industrielles [Robinson, 2010] dont la pertinence au regard de l’ensemble des enjeux de développement au « Sud » est largement sujette à caution [Figuière, 2006 ; Latouche, 2003] [9].

5 Ainsi, après avoir présenté le groupe Uleaf International, il s’agira d’envisager comment les choix politiques du gouvernement gabonais et ceux de la multinationale aboutissent à des aménagements disparates et hétérogènes du territoire national [Ferguson, 2005]. Pour l’ensemble des personnes concernées (les villageois, les travailleurs ou leurs familles), ces politiques sont surtout génératrices d’incertitude [Walsh, 2012].

L’organisation de l’entreprise, entre économie politique nationale et enjeux régionaux

6 Uleaf International est un groupe singapourien fondé en 1989 et spécialisé dans les chaînes d’approvisionnement d’aliments et de produits agricoles. Son siège social se trouve dans la cité-État, son actionnariat est majoritairement américain et européen, et sa direction assurée par des Indiens. Il est présent au Gabon depuis 1998, ayant commencé par importer du riz et du lait en poudre et, dans le secteur forestier, par négocier des grumes.

7 Depuis 2007, il déploie ses activités dans différentes branches agronomiques, dont le bois, en affichant des perspectives de « durabilité », la politique générale du groupe étant tournée vers la recherche de labels écocertificateurs. Il n’en est pas moins vrai que, basées sur une politique d’acquisition [10] de terres à grande échelle [Karsenty, 2011], les activités de Uleaf au Gabon [11] s’inscrivent dans une logique agressive récurrente dans les relations « Sud-Sud » entre pays asiatiques et africains [Lauseig, 1999]. Elles prennent place dans l’ouverture opérée par plusieurs États d’Asie vers l’ensemble de la zone intertropicale à partir de la fin des années 1990 [Durand, 2004, p. 433] dont les conséquences sur l’environnement et la vie des populations locales ont été dénoncées par différentes organisations non gouvernementales [WRM, FM, 1998 ; Global forest watch, 2000].

La filiale bois du groupe Uleaf

8 Concernant l’exploitation forestière plus précisément, la filiale bois du groupe, Uleaf Gab SA, a acquis très rapidement environ 10 % des forêts productives enregistrées du Gabon et a concentré ses activités au nord-est du pays, dans la province de l’Ogooué-Ivindo. Autour de la capitale provinciale, Makokou, l’entreprise s’est vue attribuer un ensemble de lots forestiers et a construit, en 2008, une importante scierie. Ceci, officiellement, dans une démarche de gestion durable des forêts. L’entreprise s’est organisée en trois départements : la forêt, renvoyant aux activités de production forestière ; la scierie, qui concerne donc la transformation des produits ; et l’aménagement, avec une équipe de moindre ampleur coordonnant la mise en place des normes de gestion durable des forêts. Si les activités de la scierie ont commencé assez rapidement, avec l’achat de grumes à d’autres entrepreneurs, l’exploitation forestière a débuté quant à elle en août 2010 dans la concession de 151 639 hectares que l’entreprise avait acquise.

9 Les activités d’Uleaf à Makokou se sont déployées rapidement. Les chiffres mentionnés par différentes sources (direction de l’entreprise et administration locale notamment) sont contradictoires mais au cours de l’année 2011, il a pu arriver que plus de 400 personnes perçoivent un salaire. Si, pour des raisons aussi diverses que les compétences, les liens de parenté ou de clientélisme, les responsables pouvaient faire venir des ouvriers de différentes régions du pays, et donc n’employer qu’une partie seulement de main-d’œuvre locale, ce sont tout de même des centaines de millions de francs CFA qui arrivaient par convoyeurs privés pour les payes et les quinzaines [12]. De même, bien que beaucoup de matériel était acheminé depuis la capitale ou importé dans le pays, l’achat de fournitures entraînait la dépense de sommes conséquentes à Makokou. À l’été 2012, 5,5 millions de francs CFA (soit environ 8 400 euros) sortaient chaque mois des caisses de l’entreprise pour payer les loyers des maisons qu’elle louait afin de loger les responsables, les dirigeants et les personnes de passage.

10 Si l’on suit le récapitulatif des payes, 32 millions de francs CFA (environ 50 000 euros) furent versés aux 116 salariés du département « forêt » de l’entreprise en avril 2011. Ce total ne comprend pas les payes des salariés des départements « scierie » et « aménagement », des cadres et de la direction. Sur cette somme, il est certain qu’une partie non négligeable a été envoyée par les employés à leurs familles, via mandats postaux, dans d’autres régions du pays – la presque totalité des travailleurs « forêt » étaient gabonais. De la même manière, la plupart des épiceries et boutiques d’alimentation étant détenues par des migrants, venus d’Afrique de l’Ouest notamment, une autre partie de cette somme, après avoir circulé un temps, est sortie de l’économie nationale. Il n’en demeure pas moins qu’un tel afflux de liquidités a eu un impact certain sur la vitalité de l’économie locale, de ses aspects les plus formels (alimentation, immobilier) aux plus informels (prostitution).

11 Jusqu’à l’été 2012, le directeur général de la société était indien, nommé par le siège du groupe. En dessous de lui se trouvaient deux directeurs français et un troisième libano-ghanéen. Ces trois personnes furent licenciées pour « faute(s) grave(s) » quand le directeur général est parti. L’organigramme de l’entreprise Uleaf Gab SA fut alors remodelé et l’ensemble de la direction changea, composée de quatre personnes toutes de nationalité française.

12 Il est en effet apparu que, au cours des mois et années précédentes, l’entreprise – en particulier le département « scierie » – avait fonctionné en sureffectif, plusieurs dizaines de personnes ayant été employées par complaisance. Qualifiées de « travailleurs-fantômes », elles ne venaient sur site que pour toucher leurs rémunérations. Il était également habituel que des « services » soient rendus aux administrations [Touquet, 2010]. S’il m’a été donné d’assister au remplissage des réservoirs d’essence des véhicules des fonctionnaires des Eaux et Forêts ou de l’Inspection du travail – forme de corruption tellement banalisée que les intéressés m’en ont fait eux-mêmes mention au cours d’entretiens enregistrés [Blundo, Olivier de Sardan, 2001] –, ce sont en réalité ici de véritables « salaires » mensuels, d’un montant de 400 000 francs CFA [13] chacun, qui étaient reversés aux principales autorités locales (maire, préfet, gouverneur, directeur provincial des Eaux et Forêts). De plus, les formes de détournement d’argent dans l’entreprise même étaient multiples : jusqu’à l’arrivée de la nouvelle équipe de direction, le groupe Uleaf n’était pas au courant que, à la scierie, du bois débité était vendu pour un million de francs CFA par jour aux habitants de la région. S’il est probable également que différents responsables faisaient louer à l’entreprise des maisons leur appartenant pour percevoir des loyers, il est surtout certain que la plupart des pratiques illégales demeurent inconnues.

Une organisation pyramidale doublement fractionnée

13 La possibilité de telles dérives tenait au fractionnement en trois parties de la pyramide des activités d’Uleaf au Gabon. Au sommet, se trouvaient les dirigeants du groupe, de nationalité indienne. Ils avaient tendance à travailler ensemble, se rendaient rarement sur « le terrain » et avaient volontiers validé des pratiques aux marges de la légalité avant qu’Uleaf International ne se mette à rechercher l’obtention de labels écocertificateurs. Ensuite, venaient un certain nombre de décideurs, parmi lesquels beaucoup de Français, des Africains de différents pays mais peu de Gabonais. Ils étaient plus en prise avec les activités concrètes de l’entreprise, parlaient la langue véhiculaire du Gabon (le français) et avaient le plus souvent une expérience assez conséquente du fonctionnement du secteur forestier en Afrique. Enfin, venaient les personnes à responsabilités limitées, les ouvriers, les manœuvres et les journaliers. Pratiquement la totalité était de nationalité gabonaise. Souvent moins bien payés qu’ils ne l’espéraient – l’expression selon laquelle eux recevaient « des miettes » au moment de la paye renvoie bien à l’idée que d’autres se partageaient « le gâteau » –, ils avaient peu de possibilités de détournement et faisaient régulièrement état des souffrances induites par les travaux qu’ils effectuaient.

14 De la sorte, les personnes situées au niveau le plus élevé de l’entreprise s’intéressaient surtout à l’aspect financier. Toutefois, la marge de manœuvre permise par l’importance d’un groupe comme Uleaf International était telle qu’elles ne se sont pas souciées pendant longtemps des pertes mensuelles – évaluées en millions de francs CFA – de la société. Au niveau intermédiaire, les dirigeants effectifs, qui n’étaient pas les propriétaires, se sont joué de la méconnaissance de la réalité du terrain dont faisait preuve leurs supérieurs. Pour les travailleurs subalternes, la situation ne pouvait être que différente puisque, de leur point de vue, la simple obtention d’un travail salarié était déjà une chance. Il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de pratiques de résistances « spontanées » [Ouédraogo, 1989, p. 89 ; Cohen, 1987] récurrentes (absentéisme, pauses volontairement prolongées), à la scierie notamment, renvoient à la dépossession des moyens de production et au constat du non-partage des bénéfices (formels ou informels).

15 Bien entendu, les nouveaux membres de la direction ayant pris leurs fonctions au second semestre 2012 se sont défendus de toutes pratiques illégales. Ils souhaitaient rétablir les comptes de l’entreprise pour la fin de l’année 2013. Si environ 962 000 hectares de permis forestiers autour de Makokou leur étaient acquis et qu’ils continuaient à vouloir en obtenir davantage, il n’était alors pas garanti que le groupe Uleaf décide de garder sa filière forestière au Gabon [14]. La récente obtention du label écocertificateur OLB [15] devait permettre à l’entreprise d’acquérir de nouveaux marchés, notamment pour une essence telle que le movingui (Disthemonanthus benthamianus). Cependant, au début de l’année 2013, les trois quarts des effectifs ont été mis au chômage technique pour une durée de trois mois reconductibles du fait des difficultés de l’entreprise : un plan annuel d’opération devant être délivré par les Eaux et Forêts a été refusé, peut-être à cause d’une rupture effective dans les pratiques corruptives [16], aucun débouché n’existait sur le marché de l’okan [17], et la scierie connaissait des difficultés d’approvisionnement en matériel.

16 Le caractère difficilement compréhensible des choix d’orientation et des décisions prises par les dirigeants de l’entreprise a donc eu des conséquences directes sur la vie des salariés et des personnes impactés par ses activités. Ceci est d’autant plus vrai quand on s’éloigne des centres politiques et économiques pour s’intéresser à l’effectivité locale des pratiques industrielles. La partie suivante de cet article va ainsi analyser la vie des travailleurs, de leurs proches et des habitants du village où l’entreprise avait installé son camp forestier. Elle constitue le second volet d’une configuration à saisir dans sa globalité – plutôt que dans une perspective top-down – puisque produite par l’ensemble des parties prenantes.

Un village vivant au gré des activités industrielles

17 Le village de Pont de la Zadié se situe à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Makokou, sur la route menant aux monts de Bélinga. Il a été créé dans les années 1970, lors de l’ouverture de cette route, par un des travailleurs (du groupe ethnique kwele) ayant décidé de s’installer à l’endroit déblayé alors pour le garage des machines. Abandonné par la suite, simplement utilisé comme campement de pêche, le village a retrouvé de l’activité dans les années 1990 quand différentes entreprises forestières se sont succédé pour exploiter les forêts alentour. Au début des années 2000, l’entreprise présente était HJP : elle revendait son bois exclusivement à Uleaf, qui ne s’occupait alors que du transport de grumes. Le village étant situé à l’entrée des principaux permis forestiers acquis par l’entreprise en 2007, celle-ci a décidé de s’y installer en occupant le camp forestier qui y avait été construit précédemment.

Les conditions de vie des travailleurs et de leurs familles

18 Le camp situé dans le village de Pont de la Zadié est constitué d’une cinquantaine d’habitations construites avec des planches d’agba (Prioria balsamifiera), un bois de piètre qualité, et des plaques de tôle ondulée pour les toits. Début 2011, il devait être entièrement détruit pour être reconstruit en vue de satisfaire aux critères de gestion durable des forêts. Ce ne fut jamais le cas. Dans cette cinquantaine de bâtiments, on compte environ 75 logements, plusieurs d’entre eux ayant été subdivisés. Les cases sont numérotées de 1 (C1) à 64 (C64), même si certaines n’existent plus. Quatre bâtiments plus grands (numérotés de V1 à V4) ont pu être utilisés soit par le chef de chantier, soit par des travailleurs avec des familles nombreuses. En 2011, à de rares exceptions, toutes les habitations étaient occupées. Celles qui ne l’étaient pas contenaient les affaires de travailleurs qui les avaient habités un temps et n’avaient pas encore eu le temps de tout déménager.

19 Les cases sont construites sur un modèle standard rectangulaire avoisinant les 20 m2 de surface habitable. Il est fréquent qu’aient été ajoutés une terrasse devant l’entrée ou un appendice faisant office de salle de bains sur un côté. La subdivision de certaines cases en deux ou en trois a créé des espaces de moins de 7 m2 – « les pieds dehors » ou « entré-couché » selon les expressions employées par les travailleurs. Par ailleurs, un grand bâtiment qui avait précédemment servi de salle de réunion et de projection a été subdivisé dans sa longueur puis plusieurs fois dans sa largeur de sorte qu’il ne contenait pas moins de treize logements [18].

20 Au mois d’avril 2011, 180 personnes vivaient dans les habitations du camp forestier du village de Pont de la Zadié. Ce chiffre variait presque quotidiennement : certains membres de l’entreprise ne dormaient pas tous les soirs au camp, les personnes vivant avec les travailleurs changeaient très régulièrement et le nombre même de salariés au sein de l’entreprise variait à un rythme soutenu. Par ailleurs, le nombre de personnes vivant au village et au camp augmentait de façon significative lors des congés estivaux car les enfants venaient en nombre rejoindre leurs parents et ils pouvaient être accompagnés également par les adultes avec qui ils vivaient au cours de l’année scolaire.

21 Les situations des travailleurs étaient aussi diverses que leur nombre. À des degrés différents, ils faisaient état le plus souvent d’impossibilités ou de difficultés à organiser leur vie personnelle comme ils l’entendaient, ce qui entraînait pour eux des complications d’organisation et des coûts supplémentaires. Ces difficultés portaient principalement sur les modulations de la vie conjugale et parentale. Si certains travailleurs vivaient avec une conjointe, beaucoup d’entre eux refusaient de le faire à cause de la médiocrité des conditions de vie au camp, voir l’impossibilité de vivre à plusieurs dans des locaux trop exigus – notamment pour les travailleurs dont l’espace personnel était de moins de 10 m2. S’ajoutait ensuite le problème des enfants et de leur scolarité. Si presque tous les travailleurs mentionnaient en avoir lorsque je discutais avec eux, beaucoup expliquaient que ceux-ci grandissaient dans d’autres régions du pays, loin de Makokou, avec d’autres parents. Pour les enfants des travailleurs qui habitaient à proximité, les choix de vie s’effectuaient selon le nombre, l’âge, les possibilités de scolarisation et l’appréciation de meilleures conditions de vie possibles. Ainsi plusieurs travailleurs ne pouvaient vivre avec leurs enfants et étaient obligés de louer un logement à Makokou. Il convient de préciser qu’une prime leur était versée à cet effet mais son montant (25 000 francs CFA en moyenne, soit environ 38 euros) permettait difficilement la location d’un logement et n’apportait qu’une résolution très partielle aux problèmes précités.

22 Concernant les logements en eux-mêmes, leur petitesse était généralement constatée et des plaintes revenaient de manière récurrente concernant les infiltrations d’eau et la chaleur générée par les toits de tôle. Ces deux problèmes avaient des conséquences sur le confort général des personnes et, plus particulièrement, sur la qualité de leur repos. Plusieurs travailleurs ont dû aménager leurs maisons seuls et à leurs frais. De plus, il avait été annoncé que des matelas seraient distribués pour chaque personne venant habiter dans une case du camp mais cette promesse n’a été tenue que partiellement et de manière aléatoire : le chef de chantier a donné la possibilité à certains travailleurs de prendre, à l’économat [19], le nombre de matelas correspondant au nombre de personnes vivant dans leurs cases mais cette autorisation n’a pas été donnée à tout le monde. De la sorte, cette situation générait des sentiments d’injustice et de frustration et aboutissait au fait qu’un certain nombre de personnes vivant au camp, des enfants pour la plupart, dormaient à même le sol.

23 Par ailleurs, beaucoup de travailleurs étaient gênés par la promiscuité des lieux : les habitations d’une qualité souvent défectueuse (planches pourries, jours entre elles) et leur proximité les unes des autres empêchaient la tranquillité et le calme. Cette situation se rencontrait d’une manière particulièrement aiguë dans le bâtiment no 33, celui ayant fait l’objet d’une subdivision en treize lieux d’habitation. En avril 2011, 29 personnes y vivaient, partageant un espace d’environ 160 m2. Ce nombre fut parfois supérieur à 30 et le bâtiment a été occupé tout au long de l’année 2011. Les personnes qui y demeuraient – environ 20 % des travailleurs et 15 % de l’ensemble des personnes résidant au camp – connaissaient non seulement les autres difficultés rencontrées par les habitants du camp mais en subissaient également certaines autres plus spécifiquement. En effet, lors de sa subdivision, des planches avaient été placées pour séparer les habitations mais le plafond n’a jamais été construit si bien que, chaque foyer ayant ses activités quotidiennes, les odeurs de cuisine se répandaient, chaque conversation s’entendait, chaque bruit de jour comme de nuit dérangeait les voisins. De plus, le bâtiment étant surélevé de quelques dizaines de centimètres, des problèmes sanitaires et de sécurité se posaient car des volatiles venaient prendre place sous le bâtiment, produisant de la saleté et attirant les reptiles.

24 S’agissant des aspects sanitaires, le camp était propre et l’organisation du ramassage des ordures pour les déverser dans une fosse fonctionnait bien. De plus, la proximité d’une rivière au débit conséquent permettait un accès général et illimité à une eau saine pour la toilette et la lessive. Cependant des ordures étaient tout de même jetées dans le cours d’eau. Par ailleurs, le nombre de sanitaires avait été prévu pour une population du camp inférieure à ce qu’elle était effectivement. Ce qui entraînait plusieurs déséquilibres : différentes personnes s’attribuaient – selon leur âge, leur place, leur ancienneté et leurs relations dans l’entreprise, ou leur charisme – des exclusivités sur l’utilisation de certains sanitaires ce qui, en retour, surchargeait l’usage d’autres. À nouveau, les occupants du bâtiment no 33 se trouvaient particulièrement pénalisés par cet état de fait.

25 De plus, les travailleurs se montraient régulièrement sceptiques quant à la qualité des soins qui pouvaient être assurés par le biais du dispensaire. La personne en poste alors était une infirmière-assistante, à la présence discontinue. Des périmètres flous quant à l’étendue de ses fonctions et compétences brouillaient la confiance des travailleurs à l’égard de ce service de santé. L’approvisionnement en médicaments était largement considéré comme insuffisant et un certain manque d’assurance à l’égard de la qualité des produits délivrés grevait l’efficacité des soins prodigués. Il n’en demeure pas moins que pour les problèmes médicaux les plus quotidiens, de nombreuses femmes se rendaient régulièrement au dispensaire, souvent avec leurs enfants, et y trouvaient une aide reconnue.

26 Finalement, le seul point qui fonctionnait correctement était le nettoyage du camp. Il ne s’agit pas de nier le fait que ceci contribuait effectivement au bien-être des résidents, mais force est de constater que des enjeux esthétiques – faire montre d’une entreprise « bien tenue » aux potentiels visiteurs (hauts responsables de l’entreprise, autorités administratives, acheteurs de bois, membres d’ONG) – ne pouvaient que rentrer en ligne de compte dans la réussite de cet aspect organisationnel, notamment car il se donne tout de suite à voir. Pour le reste, les travailleurs qui déclaraient trouver leur situation satisfaisante étaient des exceptions. La plupart des familles ne se sentaient pas à l’aise et un certain nombre de personnes vivaient dans des conditions aux limites de la décence. Cette situation perdurait notamment du fait de la promesse régulièrement réitérée de sa fin proche. Mais en fait, face aux reports du projet de réfection complète du camp, les travailleurs et leurs familles n’avaient d’autres solutions que d’attendre.

Les relations entre l’entreprise et les habitants du village

27 On peut observer un certain parallèle entre la relation des travailleurs avec Uleaf Gab SA et celle que vivaient les habitants de Pont de la Zadié avec cette même entreprise. Dans un village de quelques dizaines d’habitants, la présence d’une telle organisation exerce forcément une influence et crée des attentes considérables. Au commencement de ses activités, l’entreprise s’est engagée pour une présence de 25 ans dans le village, s’exerçant dans le cadre d’un aménagement durable. Mais, en 2013, pratiquement plus aucun salarié ne travaillait sur les lieux, les activités ayant été délocalisées à plusieurs dizaines de kilomètres [20]. Seuls quelques villageois ont pu continuer à travailler et à percevoir un salaire, et ce toujours de manière très temporaire. Le système de redistribution d’une partie du chiffre d’affaires au bénéfice d’une association villageoise, pour financer des projets de développement, n’a jamais été mis en place.

28 Pour beaucoup de personnes, il était difficile de comprendre la cohérence des choix effectués par l’entreprise, lesquels impactent pourtant directement leur vie quotidienne. Des rumeurs d’accords avec les autorités régionales biaisaient la confiance accordée aux engagements pris. De manière générale, les responsables d’Uleaf ne semblaient pas chercher à reconnaître l’autorité du chef du village : elle ne leur était pas d’une utilité primordiale. En 2011, ce dernier travaillait pour l’entreprise mais son CDD n’a pas été prolongé. Une promesse d’indemnité lui a été adressée, mais elle n’a jamais été versée. De plus, son premier contact avec le directeur « forêt » nommé en 2012 n’a eu lieu qu’au bout de plusieurs mois. Cette absence de connexion empêchait les personnes du village de considérer la politique de l’entreprise comme satisfaisante. Certains ont essayé de rencontrer le directeur d’exploitation concernant l’approvisionnement en électricité mais ils n’ont pas réussi à être reçus par une personne exerçant des responsabilités. Les espoirs de développement que pouvait permettre la présence d’une telle firme se voyaient ainsi douchés par les choix de ses responsables et ramenaient les villageois à leur statut de personnes à la merci des autorités économico-politiques. Il est pourtant important de rappeler, comme indiqué au début de cette partie, que le village de Pont de la Zadié a été créé à la faveur d’un projet d’aménagement du territoire et qu’il a ensuite vécu, s’est développé uniquement par la présence d’entreprises.

29 De nombreux villageois qui furent embauchés par Uleaf en 2011 l’ont été de façon journalière, comme « tâcherons », pour effectuer des activités ponctuelles de soutien au développement de l’entreprise et du camp – comme l’édification d’une maison en parpaing ou d’un abri. Les seuls villageois qui purent véritablement travailler ont été ceux qui avaient déjà été embauchés dans des entreprises forestières précédemment, et qui bénéficiaient donc d’une qualification. Cette place contribuait de fait (accès au numéraire, maîtrise d’objets techniques) à renforcer leur poids symbolique et politique dans le village, notamment dans la rivalité entre le groupe kwele et le groupe kota [21].

30 À propos des installations plus précisément, un réseau de câbles dessert le village en électricité à partir du groupe électrogène de l’entreprise. L’un de ces câbles a traîné de longs mois au sol, son poteau ayant été renversé. Il arrivait qu’une large partie du village reste de nombreux jours sans électricité. Et des travaux de raccordement pour faire parvenir le courant dans l’ensemble des habitations ont dû être réalisés par les particuliers eux-mêmes. Si en 2013 l’éclairage public était de meilleure qualité qu’en 2011, les installations hors d’usage n’ont pas été démontées et restaient abandonnées sur place.

31 Autre exemple, l’entreprise a construit une école primaire de trois salles. Or le bâtiment s’est vite révélé de médiocre qualité. Le revêtement de ciment au sol s’est rapidement cassé en de nombreux endroits, le bois choisi était partiellement vermoulu et moisi, et aucune peinture n’a été posée. À la rentrée scolaire 2012, l’entreprise a donné un lot de fournitures scolaires à destination des enfants du village. La plupart des objets portaient le logo du groupe Uleaf.

32 Un château d’eau, stockant des volumes puisés dans un forage, a été installé pour les personnes résidant au camp en priorité, mais les villageois pouvaient l’utiliser. Or, là aussi, les conditions de construction et de maintenance laissaient à désirer. Le bâtiment prévu pour abriter le forage n’a pas été terminé et fut vite entouré de hautes herbes. De plus, le château d’eau nécessitant le fonctionnement d’un groupe électrogène, il ne s’agit pas d’une source d’alimentation en eau potable pérenne. Enfin, l’eau qui y est stockée n’était accessible que grâce à un tuyau d’arrosage et l’arrêt de l’écoulement possible qu’en coinçant ce dernier dans un essieu de roue de voiture rouillé. Si une fontaine a été construite à proximité, elle n’a jamais été achevée et demeurait donc inutilisable.

33 L’accent doit être mis ici sur l’écart quasiment constant entre les promesses faites, les engagements pris par l’entreprise et les réalisations concrètes dans le village et dans le camp. Peu d’annonces ont été effectivement réalisées et quand elles l’ont été, ce fut plus tardivement que prévu, avec des finitions peu abouties et des critères de qualité garantissant difficilement leur maintien dans le temps. Plusieurs travaux importants, comme la construction de maisons de briques, ont été entamés avant d’être laissés à l’abandon.

Conclusion

34 Que ce soit de la part des villageois ou des travailleurs, l’entreprise était parfois appelée la « maison-mère », expression indiquant son importance considérable, au croisement de l’analyse de l’économie politique gabonaise et de la perception subjective des personnes s’y trouvant liées. A contrario, la considération dont ces personnes faisaient l’objet en retour était bien mince et ponctuelle, en large décalage avec les valeurs éthiques vantées par la multinationale Uleaf sur son site Internet [22] et par le président de la République Ali Bongo dans son programme « Gabon émergent ». L’analyse montre ainsi que « ce qui détermine le choix de telle ou telle politique, ce n’est pas le niveau de la technologie ou les exigences de la division du travail, mais bien plutôt l’image que les industriels se font de la classe ouvrière ou des classes dominées en général » [Cabanes, 1995, p. 21].

35 Pour les travailleurs, au « bonheur » d’intégrer « la meilleure société » succédait souvent l’impression de se faire « mater » par les responsables [Bayart, 2008]. Quant aux habitants des villages directement en prise avec les activités de l’entreprise, les possibilités d’amélioration de leurs conditions de vie dépendaient d’enjeux sur lesquels ils n’avaient factuellement que peu de prise. Par ailleurs, certains des travailleurs qui sont arrivés grâce aux activités d’Uleaf ont finalement décidé de rester sur place car ils y avaient trouvé ou retrouvé des liens affinitaires suffisamment forts (concubinage, principalement). Toutefois, ils ont plutôt constitué des exceptions au regard de l’attitude dont la plupart faisait preuve à l’égard des villageois. Leurs statuts de professionnels, leurs compétences et leurs accès à l’argent liquide leur garantissaient un prestige social, relatif mais perceptible. Les villageois pouvaient ainsi rentrer dans des relations de service, pratiquer la mendicité. Les compagnes des travailleurs se permettaient d’aller dans les plantations des villageoises pour leur prendre les feuilles de manioc.

36 Toutefois, s’arrêter sur ce point reviendrait à négliger l’envie et le sentiment de chance qui était présent chez la plupart des personnes qui résidaient au Pont de la Zadié ou qui travaillaient pour Uleaf. L’attrait pour le numéraire, pour les objets techniques ou encore pour les possibilités de développement jouait comme stimulants et contribuait à produire cette impression diffuse d’euphorie que traduit Maylis de Kerangal [2010] dans Naissance d’un pont. C’est en ce sens que l’ensemble des acteurs participaient de cette forme spécifique de gouvernementalité gabonaise, de cette configuration particulière du pouvoir ayant pour centre de gravité la filière bois d’une multinationale singapourienne. En effet, en parallèle de la monstration des déboires et des vicissitudes subies et, autant que possible, dénoncées par les personnes flouées dans ce procès de production, c’est bien une certaine forme de contribution qu’il faut considérer pour en mesurer la possibilité même.

Notes

  • [*]
    Doctorant et attaché temporaire d’enseignement et de recherche en anthropologie, université Lumière Lyon-2.
  • [1]
    Le Gabon est un pays de 267 000 km2 parmi lesquelles 134 500 km2 sont considérés comme forêts productives et, presque systématiquement, attribués à des entreprises sous forme de concessions. Concernant le domaine forestier permanent de l’État, il convient d’ajouter environ 30 000 km2 de forêts classées (13 parcs nationaux et une réserve scientifique) [WRI, 2009, p. 25]. Sur le continent africain, en 2008, 97,9 % de la tenure forestière était administrée au niveau gouvernemental [ITTO et RRI, 2011].
  • [2]
    Pour une analyse de cette problématique, voir la thèse d’Émeric Billard [2012].
  • [3]
    Les exportations de bois en grumes constituaient les deux tiers des produits bois exportés avant l’annonce de l’interdiction en novembre 2009, officialisée par l’ordonnance no 008/PR/2010 du 25 février 2010. S’il est possible de supposer qu’Ali Bongo cherchait à asseoir son autorité, cette décision indiquait en creux la persistance de la faiblesse de l’État et de celle de l’état de droit au Gabon [Bertrand, 2006].
  • [4]
    Issu de recherches réalisées dans le cadre d’un doctorat en anthropologie dirigé par le professeur Olivier Leservoisier. Les enquêtes de terrain, d’une durée totale de quatorze mois, ont été effectuées entre février 2011 et avril 2013 et sont consécutives à la réalisation d’un master sur la même thématique [Bourel, 2010]. Leur dernière partie (2012-2013) a été réalisée en lien avec le Centre national de la recherche scientifique et technologique (Cenarest) gabonais.
  • [5]
    Soit une détermination de l’action selon une influence externe.
  • [6]
    Signifiant « de l’Ogooué-Ivindo ».
  • [7]
    L’auteur mentionne bien l’importance de l’« éthos » du travail inculqué durant la colonisation. Les « raisons coloniales » constituent une part entière de l’ouvrage édité par Jonathan Xavier Inda [2005] relatif à l’abord de la modernité via les concepts foucaldiens et sont centrales dans la compréhension qu’Achille Mbembe propose de l’Afrique actuelle [2000].
  • [8]
    « L’intérêt principal de l’analyse foucaldienne du néolibéralisme réside dans sa manière de combiner l’idée de l’autonomie des marchés avec les stratégies d’intervention sur le champ social, lesquelles s’appuient surtout sur un gouvernement des hommes par l’aménagement de leur entourage. » [Taylan, 2013, p. 78] À propos des questions écologiques et de l’écologie politique, Pierre Sauvêtre [2014, p. 35] précise que le point de vue des governmentality studies « consiste à s’intéresser à la manière dont l’écologie comme forme rationnelle de pensée contribue à transformer les formes de gouvernement des sociétés contemporaines ».
  • [9]
    Le concept d’« aménagement durable » (des concessions forestières) est devenu central et renvoie à trois dimensions : la production forestière, les aspects sociaux et les aspects faunistiques. Cette gestion durable peut être définie comme « un ensemble de pratiques et de techniques que les gestionnaires de ressources naturelles renouvelables mettent en application pour essayer d’atteindre l’idéal de développement durable » [Eba’a Atyi, Mbolo, 2006, p. 4]. Toutefois, les connaissances qui permettraient d’établir une durabilité effective en matière d’exploitation forestière manquent [Leslie, 2001]. De plus, la mise en place de cette durabilité supposerait également un renforcement de l’État et une intégration des politiques forestières dans les politiques publiques pour rompre avec les pratiques autoritaires et exclusives [Bertrand, Montagne, 2006].
  • [10]
    Principalement selon un régime concessionnaire.
  • [11]
    Entre ses activités relatives à la production d’hévéa, d’huile de palme, de fertilisants, de bois et la gestion d’une zone économique spéciale, on peut estimer que le groupe a acquis le contrôle d’environ 10 % de l’ensemble du territoire gabonais en quelques années.
  • [12]
    Il n’y a pas de banque à Makokou.
  • [13]
    Soit environ 600 euros. À son arrivée au pouvoir, et sans augmenter légalement le salaire minimum, Ali Bongo avait déclaré qu’aucun salarié dans le pays ne devait percevoir moins de 150 000 francs CFA par mois.
  • [14]
    Son abandon par le groupe est décidé début 2014.
  • [15]
    Ce label porte sur les aspects légaux des pratiques de l’entreprise et sur la traçabilité de ses productions. En l’occurrence, il s’agissait, pour Uleaf, de se conformer – davantage – aux textes de lois la concernant et d’établir un système de suivi permettant de rattacher chaque produits-bois à sa souche via un positionnement GPS. Pour des précisions sur la certification forestière en Afrique centrale et le label OLB, voir Kouna Eloundou, Tsayem Demaze et Djellouli [2008]. Paul Arnould [1999] apporte des éléments critiques sur les enjeux globaux relatifs aux labels écocertificateurs et Sarah Besky [2010] analyse leurs conséquences négatives pour les locaux, pourtant concernés au premier plan. Voir aussi sur Internet : http://www.groupesefac.com/fra/?p=757
  • [16]
    La nouvelle direction a en effet voulu dans un premier temps rompre avec les habitudes de versements de liquidités aux principales autorités administratives locales. Voir supra.
  • [17]
    L’okan (Cylicodiscus gabunensis) était l’une des principales essences visées pour rentabiliser les investissements. Cependant, l’exploitation effective des permis forestiers a révélé que les sondages effectués au cours de l’inventaire d’aménagement [Terea, 2010] avaient souvent surévalué la ressource disponible qui se révélait assez disparate (entre 1,3 et 1,4 arbre pouvant être prélevés par hectare). Or, dans un pays en développement où la transparence de la gouvernance est relative et dans un secteur économique caractérisé par la complexité de sa chaîne logistique, ces informations sont cruciales pour établir une stratégie industrielle cohérente [Pirard, Irland, 2007].
  • [18]
    Avec un taux d’occupation entre 85 et 100 % en 2011. Ce bâtiment n’était plus habité en 2013.
  • [19]
    Magasin présent sur le camp forestier permettant de s’approvisionner en denrées alimentaires, produits de première nécessité et objets usuels de la vie quotidienne.
  • [20]
    En 2013, une pépinière a été construite dans le village pour permettre des replantages dans différents permis forestiers de l’entreprise. Toutefois, une telle structure ne demande l’emploi que de très peu de main-d’œuvre.
  • [21]
    Le village a été créé par des personnes kweles. Toutefois, ce groupe ethnique est minoritaire et relativement peu valorisé symboliquement au Gabon et dans la région de Makokou. Par contre, les personnes kotas appartiennent à un groupe important de la région et reconnu à l’échelle nationale. Ils disputent la fondation du village au Kweles, arguant qu’un campement de pêche existait avant que ceux-ci ne s’installent. Les Kweles, de leur côté, taxent les Kotas d’« arrivistes » pour indiquer leur arrivée plus récente.
  • [22]
    Pour une analyse plus détaillée des stratégies de communication des entreprises forestières sur leurs sites Internet, voir Bourel [2011].
Français

Dans la région de l’Ogooué-Ivindo, au nord-est du Gabon, l’exploitation industrielle de la forêt est récente. Cet article analyse, en termes de gouvernementalité, la configuration de pouvoir bâtie par et autour de la filière bois d’une entreprise multinationale d’agroalimentaire. Dirigée par des Indiens, basée à Singapour et présente au Gabon en accord avec le régime politique national, son implantation locale modèle la vie des personnes vivant sur le terrain.

Mots-clés

  • capitalisme
  • développement durable
  • État
  • forêt
  • Gabon
  • gouvernementalité
  • multinationale
  • industrie du bois

Bibliographie

  • En ligne Abélès M. [2008], « Michel Foucault, l’anthropologie et la question du pouvoir », L’Homme, no 187-188, p. 105-122.
  • En ligne Arnould P. [1999], « L’écocertification ou la guerre des labels : vers une nouvelle géopolitique forestière ? », Annales de géographie, no 609-610, p. 567-582.
  • En ligne Assayag J. [2008], « La Terre est-elle ronde ? », L’Homme, no 185-186, p. 159-164.
  • En ligne Bayart J.-F. [1999], « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, no 5, p. 97-120.
  • En ligne Bayart J.-F. [2005], « Foucault au Congo », in Granjon M.-C. (dir.), Penser avec Michel Foucault. Théorie critique et pratiques politiques, Paris, Karthala, p. 183-222.
  • En ligne Bayart J.-F. [2008], « Hégémonie et coercition en Afrique subsaharienne. La “politique de la chicotte” », Politique africaine, no 110, p. 123-152.
  • En ligne Benson P., Kirsch S. [2010], « Capitalism and the politics of resignation », Current anthropology, vol. 51, no 4, p. 459-486.
  • Bertrand A. [2006], « La question récurrente et renouvelée de l’État : un préalable à l’évolution des politiques forestières en Afrique francophone et à Madagascar », in Bertrand A., Montagne P., Karsenty A. (dir.), Forêts tropicales et mondialisation, Paris, L’Harmattan, p. 447-465.
  • Bertrand A., Montagne P. [2006], « Les difficiles mutations des politiques forestières : d’une gestion autoritaire et exclusive vers une politique publique intégrée », in Bertrand A., Montagne P., Karsenty A. (dir.), L’État et la gestion locale durable des forêts en Afrique francophone et Madagascar, Paris, L’Harmattan, p. 37-53.
  • En ligne Besky S. [2010], « Can a plantation be fair ? Paradoxes and possibilities in fair trade Darjeeling tea certification », Anthropology of work review, vol. 29, no 1, p. 1-9.
  • Billard É. [2012], Nouveaux acteurs, vieilles habitudes. L’implantation des opérateurs asiatiques au Gabon à l’heure de la transition vers la gestion durable, thèse, Paris, Muséum national d’histoire naturelle, 326 p.
  • En ligne Blundo G., OLIVIER DE SARDAN J.-P. [2001], « La corruption quotidienne en Afrique de l’Ouest », Politique africaine, no 83, p. 8-37.
  • Bourel É. [2010], Anthropologie du travail et mondialisation : acteurs de la gouvernance environnementale et travailleurs forestiers au Gabon, mémoire de master 2, Lyon, Centre de recherches et d’études anthropologiques, 28 p.
  • Bourel É. [2011], « L’exploitation industrielle de la forêt gabonaise à l’heure du Net. Communication mondialisée et marketing écologique », in Cros M., Mégret Q. (dir.), Net et terrain. Ethnographie de la nature en Afrique, Paris, Éditions des archives contemporaines, p. 123-150.
  • Cabanes R. [1995], « Ce que l’industrie fait de ses ouvriers. Crises et métamorphoses du paternalisme : mobilités et professionnalité », in Cabanes R., Copans J., Selim M. (dir.), Salariés et entreprises dans les pays du Sud. Contribution à une anthropologie politique, Paris, Karthala, p. 21-57.
  • En ligne Cepek M. L. [2011], « Foucault in the forest : Questioning environmentality in Amazonia », American ethnologist, vol. 38, no 3, p. 501-515.
  • Cohen R. [1987], « Les formes cachées de la résistance et de la conscience ouvrière », in Agier M., Copans J., Morice A. (dir.), Classes ouvrières d’Afrique noire, Paris, Karthala, p. 119-136.
  • Dean M. [2010], Governmentality. Power and rule in modern society, Los Angeles, Sage, 304 p.
  • Durand F. [2004], « Crises environnementales et espaces forestiers transnationaux en Asie du Sud-Est », in Taillard C. (dir.), Intégrations régionales en Asie orientale, Paris, Les Indes savantes, p. 421-436.
  • Ebaa Atyi R., Mbolo M. [2006], « La “bonne gestion forestière”. Normes et résultats escomptés en matière de durabilité », in Nasi R., Nguinguiri J.-C. et Ezzine De Blas D. (dir.), Exploitation et gestion durable des forêts en Afrique centrale. La quête de la durabilité, Paris, L’Harmattan, p. 3-24.
  • En ligne Ferguson J. [2005], « Seeing like an oil company : space, security, and global capital in neoliberal Africa », American anthropologist, vol. 107, no 3, p. 377-382.
  • Figuière C. [2006], « Sud, développement et développement durable : l’apport de l’économie politique », Vertigo, vol. 7, no 2 : http://vertigo.revues.org/2287 (page consultée le 26 janvier 2011).
  • Foucault M. [2004], Sécurité, territoire, population, Paris, Seuil, 436 p.
  • En ligne Geels F. W. [2014], « Regime resistance against low-carbon transitions : Introducing politics and power into the multi-level perspective », Theory, culture & society, vol. 31, no 5, p. 21-40.
  • Global forest watch [2000], A first look at logging in Gabon, Washington D. C., World resources institute (WRI), 50 p.
  • En ligne Grenier J.-Y., Orléan A. [2007], « Michel Foucault, l’économie politique et le libéralisme », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 62, no 5, p. 1155-1182.
  • En ligne Heilbrunn J. R. [2009], « L’Afrique et l’économie politique internationale », in Gazibo M., Thriot C. (dir.), Le Politique en Afrique. États des débats et pistes de recherche, Paris, Karthala, p. 255-287.
  • Inda J. X. (dir.) [2005], Anthropologies of modernity : Foucault, governmentality, and life politics, Malden, Blackwell, 280 p.
  • ITTO, RRI [2011], Tropical forest tenure assessment, Yokohama, International trade timber organization, Rights and resource initiative, 46 p.
  • Karsenty A. [2011], « Large-scale acquisition of rights on forest lands in Africa », Washington D. C., Rights and resource initiative (RRI), 28 p.
  • Kerangal, M. de [2010], Naissance d’un pont, Paris, Gallimard, 330 p.
  • Kouna Eloundou C. G., Tsayem Demaze M., Djellouli Y. [2008], « La certification forestière comme norme de gestion durable des forêts tropicales : une laborieuse application en Afrique centrale », in Amat J.-P., Da Lage A., Férot A.-M., Guichard-Anquis S., Julien-Laferrière B., Wicherek S. (eds.), L’Après Développement durable. Espaces, nature, culture et qualité, Paris, Ellipses, p. 137-147.
  • Laborier P., Lascoumes P. [2005], « L’action publique comprise comme gouvernementalisation de l’État », in Meyet S., Naves M.-C. et Ribemont T. (dir.), Travailler avec Foucault. Retours sur le politique, Paris, L’Harmattan, p. 37-62.
  • En ligne Lauseig J. [1999], « Quand la Malaysia Inc. joue la carte Sud-Sud en Afrique subsaharienne », Politique africaine, no 76, p. 63-75.
  • En ligne Lassagne A. [2005], « Exploitation forestière, développement durable et stratégie de pouvoir dans une forêt tropicale camerounaise », Anthropologie et sociétés, vol. 29, no 1, p. 49-79. Latouche S. [2003], « L’imposture du développement durable ou les habits neufs du développement », Mondes en développement, no 121, p. 23-30.
  • Leslie A. [2001], « L’EFI et ses problèmes », Actualités des forêts tropicales, vol. 9, no 2, p. 27 et 32.
  • Luke T. W. [2006], « On environmentality. Geo-power and eco-knowledge in the discourses of contemporary environmentalism », in Haenn N. et Wilk R. (dir.), The environment in anthropology, New York, New York university press, p. 257-269.
  • Mbembe A. [2000], De la postcolonie. Essai sur l’imaginaire politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 293 p.
  • Montclos M.-A. P. De [2010], « Les compagnies pétrolières à l’épreuve du développement : le cas du delta du Niger (Nigeria) », Autrepart, no 60, p. 111-127.
  • En ligne Morvan B. [2000], « Le développement durable : une utopie politiquement correcte », Quaderni, no 41, p. 91-107.
  • En ligne Ong A. [2002], « Globalization and new strategies of ruling in developing countries », Études rurales, no 163-164, p. 233-248.
  • Ouédraogo J.-B. [1989], La formation de la classe ouvrière en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 210 p.
  • En ligne Pirard R., Irland L. C. [2007], « Missing links between timber scarcity and industrial overcapacity », Forest policy and economics, no 9, p. 1056-1070.
  • En ligne Robinson J. A. [2010], « Politique industrielle et développement : analyse en termes d’économie politique », Revue d’économie du développement, vol. 24, no 4, p. 21-45.
  • En ligne Rose N., Miller P. [2010], « Political power beyond the State : problematics of government », The British journal of sociology, vol. 61, no 1, p. 271-303.
  • Sauvêtre P. [2014], « Governmentality studies et écologie politique », Actes du colloque Penser l’écologie politique, Paris, université Paris-7, 13 et 14 janvier, p. 35-38.
  • Solé A. [2011], « Développement durable ou décroissance : le point aveugle du débat », in Abraham Y.-M., Marion L., Philippe H. (dir.), Décroissance versus développement durable. Débats pour la suite du monde, Montréal, Ecosociété, p. 14-33.
  • En ligne Taylan F. [2013], « L’interventionnisme environnemental, une stratégie néolibérale », Raisons politiques, no 52, p. 77-87.
  • Terea [2010], Plan d’aménagement CFAD Uleaf Gab de Makokou, Libreville, ministère des Eaux et Forêts, de l’Environnement et du Développement durable, 150 p.
  • En ligne Touquet C. [2010], « Quand la colonisation perpétua les rapports de pouvoir propre aux sociétés de cour », L’homme et la société, no 175, p. 39-55.
  • En ligne Walsh A. [2012], « After the rush : living with uncertainty in a Malagasy mining town », Africa, vol. 82, no 2, p. 235-251.
  • En ligne Warnier J.-P. [2007], « Foucault en Afrique. La microphysique d’une monarchie contemporaine », Revue internationale des sciences sociales, no 191, p. 103-112.
  • WRI [2009], Atlas forestier interactif du Gabon (version pilote). Document de synthèse, Libreville, World resources institute et ministère de l’Économie forestière, des Eaux, de la Pêche et de l’Aquaculture, 56 p.
  • WRM, FM [1998], High stakes. The need to control transnational logging companies : A Malaysian case study, Montevideo (Uruguay)/Ely (Royaume-Uni), World rainforest movement/ Forests monitor, 57 p.
Étienne Bourel [*]
  • [*]
    Doctorant et attaché temporaire d’enseignement et de recherche en anthropologie, université Lumière Lyon-2.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2016
https://doi.org/10.3917/autr.074.0157
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...