CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans cet article, nous nous intéresserons à la façon dont certains paysans d’une communauté des Andes péruviennes mobilisent la parole dans l’arène politique locale, à savoir l’assemblée communale. Les faits de parole dans cette enceinte permettent d’aborder conjointement la question de la hiérarchie sociale et de l’exercice du pouvoir. Les critères d’appréciation de la qualité de ces « orateurs » (appelés localement parlaqkuna ou vozñiyuq) [1] sont intimement liés à un ensemble de valeurs, dont celle de « respect » (esp. respeto, que. manchanakuy), ainsi qu’à une conception et à un exercice spécifique du pouvoir. Dans cet article, nous proposons d’analyser le déroulement des assemblées communales comme une « participation frame », nous inspirant des travaux de Goffman [1981] et de chercheurs qui ont également exploré cette voie comme Hill et Irvine [1992] [2].

2Il s’agit ici d’un travail ethnographique résultant d’enquêtes de terrain d’une durée cumulée de 18 mois réalisées majoritairement entre 1998 et 2005 dans la communauté paysanne de Llanchu, située dans la région de Cusco dans les Andes du Sud du Pérou. Nous avons assisté à plus d’une quinzaine d’assemblées communales, à Llanchu même, ainsi que dans des communautés voisines. Nous avons par ailleurs mené de nombreux entretiens sur l’organisation politique de la communauté. Dans la mesure où il nous a été refusé d’enregistrer ces assemblées, le traitement proprement linguistique sera limité. En effet, seuls de courts extraits retranscrits à la volée seront présentés [3].

3Analyser l’articulation entre parole et hiérarchie revient à documenter un point relativement aveugle de l’anthropologie andine, car la compréhension du fonctionnement administratif actuel de ces communautés est peu satisfaisante [Diez Hurtado, 2012 ; Mayer, 1996]. Institutions phares des campagnes andines, les communautés ont été profondément modifiées au cours de l’époque coloniale, puis ont fait l’objet d’une reconnaissance juridique progressive sous la République. Lors de la réforme agraire de 1970, près de la moitié des terres arables du pays sont expropriées et redistribuées, et les communautés obtiennent pour la première fois un titre de propriété foncière. Les paysans bénéficient dès lors légalement d’un droit d’usufruit sur les terres qu’ils cultivent. Au même moment, une nouvelle législation est mise en place afin de réglementer, notamment sur le plan politique, le fonctionnement de ces communautés : elles seront désormais représentées et dirigées par une Junte placée sous l’égide d’un président et élue tous les deux ans. Les anthropologues semblent juger cette représentation politique essentiellement administrative, ce qui explique l’absence d’études détaillées [Pérez Galan, 2004]. Or, il nous semble, d’une part que le rôle des Juntes revêt une grande importance, et d’autre part que les assemblées sont des espaces et des moments essentiels de la vie politique communautaire.

4Une telle étude des faits de parole nous semble à même de dévoiler la complexité et le dynamisme du fait politique, comme Abélès et Jeudy [1997] nous y invitent. Sur ce point, depuis l’anthropologie, nous nous inspirons des travaux de Bourdieu [2000] qui propose une approche pragmatique des faits de langage, en montrant comment les actes de parole sont des actes sociaux. Cet auteur s’attache également à analyser la hiérarchie sociale à travers la mise en actes et en paroles d’un système de valeur. Depuis une perspective plus linguistique, les travaux de Benveniste [1966], d’Austin [1970], de Goffman [1974 ; 1981] ou de façon plus contemporaine, ceux de Hill et Irvine [1992, p. 14] prennent également comme prémices la dimension profondément sociale des faits de parole. Dans un ouvrage collectif [1992], Hill et Irvine proposent de s’intéresser tout particulièrement à la « responsabilité » qui est attachée à un discours. Ce faisant, ces auteurs montrent comment l’étude des interactions verbales permet de mieux saisir la structuration sociale de la société étudiée [Irvine, 1996 ; Kuypers, 1992 ; Duranti, 1992]. Ces travaux viennent fournir des pistes d’analyse et des concepts précieux qui nous ont amenées à formuler l’hypothèse selon laquelle, dans la communauté étudiée, autorité discursive et autorité politique vont de pair, et sont construites simultanément lors des assemblées.

5Pour procéder à la démonstration, nous allons suivre la logique suivante. À partir d’une ethnographie des assemblées communales, nous identifierons et qualifierons les différents registres de discours en présence. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux discours qui formalisent les décisions qui seront finalement entérinées. Pour cela, nous nous attarderons sur le rôle des « orateurs » dont il a été question en début d’article. Enfin, nous nous pencherons sur le statut social de ces hommes et nous détaillerons leurs compétences et leurs fonctions au sein de la communauté.

Le déroulement des assemblées communales

6L’assemblée communale (esp. asamblea) – organe suprême de la communauté – se réunit mensuellement (photo 1). Lors de ces rencontres sont abordées et réglées la plupart des questions relatives à la vie communale telles que la gestion des ressources et des terres, mais également des conflits ou affaires d’ordre privé comme les violences conjugales, par exemple. Si les échanges se font en quechua [4], l’espagnol reste de rigueur lorsque les propos, soit mentionnent l’assemblée elle-même, soit se réfèrent au cadre réglementaire ou législatif, ou bien encore mettent l’accent sur l’importance d’un sujet traité. De même, le procès-verbal de chaque assemblée est rédigé en espagnol [5]. Comme le fait justement remarquer Salomon [2006], on retrouve, lors de ces séances, la marque d’un formalisme qui emprunte de nombreux traits à la politique parlementaire nationale. Reste que, comme nous allons le voir, les pratiques locales s’en distinguent sur le fond.

Photo 1

Présentation de la junte nouvellement élue devant l’assemblée communale[6]

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Présentation de la junte nouvellement élue devant l’assemblée communale[6]

Source : Ingrid Hall (2004)

7Tous les membres de la communauté sont tenus d’assister aux assemblées communales. Ceux qui ne peuvent y participer doivent faire une demande de dispense auprès du président en charge, avec la Junte, de l’organisation de la journée. Un ordre du jour, écrit en espagnol, mentionne notamment, les sujets présentés au préalable au président.

8La journée débute par la signature du procès-verbal de l’assemblée précédente, suivie d’une prière. Cette première phase se déroule en espagnol et la séance peut alors commencer. Pour chacun des points inscrits à l’ordre du jour, la personne concernée est invitée à développer ses arguments. La parole est ensuite laissée aux autres protagonistes s’il y en a (un homme dont les droits fonciers sont contestés, par exemple). Les débats se poursuivent au sein de l’assemblée et le président demande aux personnes présentes de s’exprimer, et rappelle que pour faire le tour d’un sujet donné, trois à cinq opinions sont requises. Toutes et tous peuvent intervenir afin d’exprimer leur opinion ; seuls ne sont pas retenus les propos partisans ou ceux d’hommes ivres par exemple (qui ne sont pas écoutés). Tout d’abord, les femmes interviennent ; elles se lèvent, ôtent leur chapeau, s’avancent au centre du cercle formé par l’assistance. Vient ensuite le tour des hommes, les plus jeunes en premier, puis les hommes d’âge mûr et enfin les plus âgés. Ces derniers ont des attitudes moins formelles, ils ne se lèvent ni ne se découvrent lors de leurs interventions.

9Ceci reflète le fait que l’assemblée – et la vie politique communale – est un lieu essentiellement masculin : l’homme représente son foyer (ce en dépit des lois sur la féminisation de la vie politique). Ces débats sont souvent accompagnés d’un brouhaha joyeux, voire de quolibets ou de critiques acerbes, bien que teintées d’humour – toujours en quechua – entre petits groupes de personnes assises côte à côte. Par exemple, l’attitude d’une personne qui demande à être inscrite dans la communauté est ponctuée d’anecdotes diverses sur sa vie et des comportements jugés peu appropriés peuvent être ainsi rappelés. Si les échanges informels sont trop bruyants, il revient au président de temporiser les débats par quelques rappels à l’ordre – souvent en espagnol – pour rappeler le respect dû à la communauté. Ses interventions se limitent à ce type de remarques et il ne prend pas part aux débats.

10Le ton change de façon perceptible quand certains hommes d’une cinquantaine d’années – toujours les mêmes et au nombre de trois à Llanchu – prennent posément la parole. Ce sont les « parkaqkuna » ou « vozniyuq », deux termes qui combinent quechua et espagnol signifiant littéralement et respectivement « parleurs » et « hommes pourvus de voix » que nous appelons ici les orateurs. Ils interviennent à tour de rôle, assis à leur place, s’adressant directement à chacun des protagonistes et non au président de l’assemblée comme le faisaient jusqu’alors les débatteurs. Ils reprennent les différents éléments de l’affaire objet du débat, raisonnent, argumentent, expriment leur avis. Ils s’expriment les uns après les autres en prenant soin de formuler ensemble une solution consensuelle. C’est ensuite qu’intervient le président, lequel propose une synthèse de l’opinion formulée précédemment par les orateurs. Ses propos sont consignés par le secrétaire dans le procès-verbal de l’assemblée (photo 2). C’est ainsi que le débat sur un sujet est clos.

Photo 2

Extrait de procès-verbal d’assemblée communale[7]

Photo 2

Extrait de procès-verbal d’assemblée communale[7]

Source : Ingrid Hall (2004)

11L’ethnographie présentée rapidement précédemment permet de distinguer différents registres de discours lors de l’assemblée communale que nous allons caractériser de façon plus précise. Si Goffman [1981, p. 131] parle plus volontiers de moments de discours (moments of talk), ici les interactions peuvent se chevaucher dans le temps et s’influencer mutuellement. Aussi nous préférons utiliser la terminologie de « registre de discours » plus à même de distinguer les différents types d’interventions. Dans le cadre du traitement d’un sujet précis au cours de l’assemblée communale, suivant le déroulement des prises de parole, nous distinguons les registres de discours suivants : (1) les interventions formelles qui présentent le cas abordé ; (2) un brouhaha collectif, bruyant et souvent joyeux ; (3) des prises de parole volontaires des jeunes ou des adultes de plus en plus formelles ; (4) le discours calme et posé des orateurs ; (5) l’intervention du président de la communauté qui fera l’objet d’une note écrite en espagnol dans le livre d’actes [8]. Nous inspirant des travaux de Chaffe [1992], tout en adaptant les catégories descriptives au contexte qui nous intéresse, nous avons décrit les différents registres identifiés. En l’occurrence, ici les catégories pertinentes (tableau 1) sont : (1) le ou les locuteurs concernés ; (2) la ou les langues ; (3) l’attitude du ou des locuteurs ; (4) le type de locution ; (5) l’émotivité qui se dégage de la prise de parole ; (6) la proximité du locuteur avec le sujet abordé ; (7) la ou les personnes à qui est adressé le discours ; (8) la qualité de l’écoute du public.

Tableau 1

Caractéristiques des différents registres de discours identifiés lors des assemblées communales

Tableau 1
1 2 3 4 5 Différents registres de discours Interventions formelles des protagonistes Brouhaha collectif, bruyant et souvent joyeux Prises de parole des jeunes ou des adultes Discours calme et posé des orateurs Intervention du président de la communauté (1) Locuteurs concernés Protagonistes de l’affaire abordée [Potentiellement tous les membres de l’assemblée] (quelques personnes) Tous les membres de l’assemblée (80 personnes environ) Intervenants ponctuels, liés à l’affaire, surtout les femmes d’un certain âge surtout et les hommes jeunes (3-5 personnes) Les orateurs (3 personnes) Le président de la Junte élu pour deux ans (1 personne) (2) Attitude du ou des locuteurs Locuteur debout, découvert et pour les femmes au centre de la pièce Locuteur assis, chapeauté et décontracté Locuteur souvent debout et découvert Locuteur assis à sa place et chapeauté Locuteur debout ou assis à la table de la Junte et chapeauté (3) Type de locution Interventions normalement posées, mais pouvant être altérées par l’émotion Interventions bruyantes, spontanées à mi-voix (humour et rires), rythmées Interventions posées Interventions posées Interventions posées
Tableau 1
(4) Émotivité Normalement contrôlée Forte Doit être contrôlée Très contrôlée Très contrôlée (5) Proximité du locuteur avec le sujet abordé Forte Forte Faible, interventions partisanes disqualifiées Très faible Très faible (6) Personne(s) à qui est adressé le discours S’adressent au président et à l’assemblée Discussions privées et collectives S’adressent au président et à l’assemblée S’adressent aux protagonistes S’adressent aux protagonistes (7) Écoute de la part du public Dissipée Dissipée Moyenne Très bonne Très bonne

Caractéristiques des différents registres de discours identifiés lors des assemblées communales

Source : tableau élaboré par l’auteur

La formulation des décisions et le rôle des orateurs

12Sur la base de cette typologie, nous allons maintenant procéder à une analyse de la façon dont la décision finale est élaborée, en nous penchant tout particulièrement sur le rôle des orateurs. Selon la terminologie de Goffman [1981], on peut en première approximation distinguer des registres de discours on stage et back stage. Les premiers (registres 1, 3, 4 et 5) sont en effet adressés soit au président, soit à l’assemblée dans son ensemble, tandis que l’autre (registre 2) est restreint à des petits groupes d’individus. Les premiers correspondent aux diverses interventions formelles des personnes qui présentent leur cas (registre 1), à ceux qui les appuient ou donnent leur opinion formellement en s’adressant au président (registre 3) et plus généralement à l’ensemble des présents. Tous ces interlocuteurs s’adressent formellement au président. Sont aussi on stage les interventions des orateurs (registre 4) et celles du président (registre 5). En revanche, sont back stage les commentaires bruyants et désordonnés qui les accompagnent (2). Si l’ensemble des membres officiels de la communauté présents sont autorisés (ratified) à prendre la parole on stage, on leur reconnaît une autorité variable. Ceci se manifeste notamment par le niveau d’attention que l’assistance accorde aux différents locuteurs. Le degré de formalisme décroissant des attitudes au cours des débats (le fait d’ôter son chapeau, de s’avancer au centre de l’assemblée versus rester assis à sa place sa casquette vissée sur la tête) indique par ailleurs que plus les débats avancent, plus le statut des locuteurs augmente : aux femmes succèdent les jeunes, puis les moins jeunes et enfin les orateurs. Le rôle des interlocuteurs va croissant, tant du point de vue de l’interaction, que socialement parlant. Le discours des orateurs (registre 4) apparaît ainsi comme la culmination du discours on stage ; synthétisé par le président (registre 5) et transcrit, il acquiert une valeur formelle et devient dominant.

13À y regarder de plus près, cependant, qualifier les chœurs bruyants (registre 2) de back stage n’apparaît pas complètement satisfaisant. En effet, si ces conversations apparaissent à première vue restreintes à un petit groupe de personnes assises à proximité, personne n’est complètement back stage. Tout d’abord, à la différence de ce qui se passe dans une salle de concert, les interactions dans la salle ne sont pas ignorées par ceux qui sont on stage. En effet, le brouhaha interfère avec les registres de discours on stage et peut, selon la terminologie goffmanienne, être qualifié de « crossplay ». La salle est petite, les gens qui parlent ainsi peuvent être à plusieurs mètres de distance et parlent suffisamment fort pour être entendus par tous. Les rires fréquents attirent par ailleurs l’attention. Enfin, toute personne présente peut potentiellement intervenir on stage dans le cours des interactions. Ainsi, les interactions qui ont lieu dans ce registre s’adressent finalement et indirectement à l’ensemble des présents qui les entendent. Ceci permet de donner à l’ensemble des présents un indice de la façon dont l’assemblée se positionne ; ce sont autant de sous-titres. Pour expliciter ce mode de fonctionnement, nous allons évoquer le cas d’un homme qui avait perdu sa seconde femme, décédée à la suite d’un accouchement et sans doute des conséquences des coups qu’il lui portait. Si de façon directe (on stage), on lui demandait de préciser son état matrimonial (veuf ou pas ? car il n’était pas marié avec cette femme), indirectement, des accusations à peine voilées circulaient dans la salle : les femmes notamment rappelaient que sa première femme était également décédée sous ses coups et il était rappelé à l’ordre. Bien qu’apparemment sans relation, les différents registres sont en interaction les uns avec les autres ; les orateurs se nourrissent des interventions bruyantes et joyeuses ainsi que des diverses opinions émises lors des débats qui sont nécessaires pour qu’une décision puisse être prise [9]. La formulation du discours des orateurs est ici, à l’instar de ce que décrivent Duranti [1992] et Kuypers [1992, p. 97], un acte collectif.

14La matière du discours est ainsi travaillée collectivement de plus en plus finement. Les orateurs entendent tout ce qui est dit dans ces différents registres (1 à 3), qu’ils soient on stage ou non, et s’en inspirent pour formuler ce qui est dit sur le registre dominant (4 puis 5). De cette façon, ils prennent en compte tous les locuteurs, quel que soit le registre auquel ils ont recours. Ceci a une conséquence importante : les orateurs ne sont pas à proprement parler les « auteurs » [Goffman, 1981] de leur texte, car ils s’inspirent d’autres sources. Ce processus relève de ce que Bakhtin a appelé le dialogisme, car « tout énoncé est en interaction avec d’autres énoncés [… et…] notre discours rencontre les discours antérieurs qui ont été produits par rapport à ce même sujet » [Calabrese-Steimberg, 2010]. Il pourrait également être apparenté à une certaine forme d’intertextualité [Irvine, 1996], les orateurs étant influencés par d’autres textes. Cependant, dans ce cas, il n’y a pas de citation en tant que telle et les orateurs se saisissent de ces textes secondaires de façon critique. S’ils y puisent éventuellement des éléments, ils retiennent avant tout ce que l’assemblée juge acceptable. Ce mécanisme présente l’avantage de permettre de garder des interactions formelles relativement neutres, tout en faisant indirectement parvenir un message plus chargé moralement et émotionnellement aux individus. Il est en effet essentiel de maintenir formellement une communication apaisée. Nous reviendrons sur ce point en détaillant les compétences que doivent acquérir ces orateurs ; ce qui nous permettra d’envisager autrement l’importance d’atteindre un consensus entre orateurs.

15Il ne semble pas y avoir de conversations préalables entre orateurs. Cependant, dans une communauté composée de soixante-dix familles, les informations circulent vite. Par ailleurs, avant d’aborder une difficulté devant l’assemblée, il est fréquent que les intéressés consultent leur entourage et, plus particulièrement, les hommes d’un certain âge pour avoir leur avis et tenter d’évaluer comment leur demande va être reçue. Le résultat, cependant, dépend de l’interaction au moment de l’assemblée communale. Ce processus s’apparente à un procédé qui relève de ce que Kuypers appelle l’« entextualisation » [1992, p. 102], c’est-à-dire le fait de mettre en mots ce qui va advenir. En effet, les orateurs formulent l’opinion collective, collectivement ratifiée, qui va déterminer le déroulement des évènements à venir (par exemple : qui va cultiver cette parcelle ? la communauté va-t-elle aider à reconstruire une maison qui est en mauvais état ? etc.) Ces locuteurs, socialement reconnus et dont le discours s’adresse publiquement à l’ensemble de la communauté, ont ainsi une forte responsabilité sociale (responsibility) selon les termes de Kuypers [1992] et Duranti [1992]. En effet, ils ont un pouvoir certain dans la vie communale. On aurait pu s’attendre à ce que le président ait plus de pouvoir, opinion largement répandue auprès des intervenants extérieurs (ONG, gouvernement), mais son rôle est avant tout de formuler la décision finale en synthétisant les propos des orateurs (registre 5). Ainsi, ce ne sont pas les personnes élues qui exercent un pouvoir décisionnel important, mais une catégorie spécifique et restreinte d’individus socialement identifiés que sont les orateurs.

16Ces derniers, cependant, ne doivent pas exercer ce pouvoir pour eux ou en leur nom propre (esp. no pueden mandarse) [10]. Ces commentaires reviennent souvent dans les entretiens dans lesquels les interlocuteurs évaluent la façon dont les hommes d’un certain statut exercent le pouvoir. Les personnes sachant exercer correctement le pouvoir sont qualifiées de kamachiq : kama est une racine signifiant « force » [Taylor, 1974] et l’apposition de la particule – chi indique que ce pouvoir est indirect. Ceci se manifeste dans les discours au sein de l’assemblée communale d’une façon spécifique. Les orateurs doivent éviter toute implication ou émotivité personnelles ; ils doivent par ailleurs avoir des paroles « constructives » (esp. constructivas). Une femme divorcée m’explique lors d’un entretien quelles sont les qualités de ces orateurs : « C’est-à-dire, leur voix, elle est basse, bien sûr, ils ne refusent rien, ils présentent toujours les choses de façon positive ». Ils ne doivent pas froisser les gens, doivent proposer des solutions et savoir guider les protagonistes vers ce qu’ils proposent sans les brusquer [11]. La qualité de la parole d’un individu est un critère d’évaluation sociale [12] lié à la capacité à prendre une distance émotionnelle avec le sujet abordé.

17Ceci nous conduit à un autre point : les orateurs doivent trouver la « voix de la communauté » (esp. voz de la comunidad). En effet, si ces derniers ont un rôle prépondérant dans la formulation des décisions, ils doivent le faire non pas en leur nom, mais en celui de la communauté, laquelle apparaît comme un sujet actant dans les discours (il est alors question de la comunidad, en espagnol). Présentée comme devant être l’objet de marques de respect, dans l’argumentation des orateurs, la communauté apparaît comme un sujet : elle « collabore », « reconnaît », « adopte », on lui « doit des journées de travail ». De cette façon, est insérée dans leurs discours une « seconde voix », celle de la communauté. Ce concept, appelé en anglais « double-voice utterance », est issu des travaux de Bakhtin et Voloshinov, puis a été développé par Hill et Irvine [1992]. Ces deux auteurs, tout comme Kuypers [1992] ou Duranti [1992], montrent que cette référence à un tiers permet de déplacer l’autorité, de la reporter sur ce tiers. Tandis que chez Kuypers ou Duranti, ce sont les ancêtres qui sont ainsi cités et mis en exergue, dans le cas qui nous intéresse, c’est en première instance l’institution communale qui est mise en avant. Ce procédé contribue à éloigner encore les orateurs de leur rôle d’« auteur » (mis en évidence par Goffman [1981]). Outre cette référence à une « seconde voix », l’importance de la communauté est soulignée par un autre procédé, à savoir l’intertextualité [Irvine, 1996]. En effet, des passages choisis des statuts institutionnels sont lus avant toute assemblée ; puis au cours des débats, d’autres passages peuvent être rappelés ou lus. On s’y réfère alors en parlant de la « loi de la communauté » (esp. ley de la comunidad), qui apparaît comme un second texte. Ceci renforce l’importance accordée à l’autorité communale, et les orateurs déplorent régulièrement le fait que ces statuts n’envisagent pas tous les cas ; ce qui les oblige à prendre parti. L’ensemble de ces procédés (seconde voix, dialogisme, entextualisation et intertextualité) contribue à déplacer la source du discours des orateurs et la source de leur autorité. La décision qui sera finalement prise ne repose pas sur eux en tant qu’individus, mais en tant que représentants de la communauté dont ils doivent trouver la « voix ».

La parole et le pouvoir

18Quoique détenant un pouvoir certain, les orateurs restent astreints à un véritable contrôle de leurs paroles. Pour comprendre ce paradoxe, nous allons maintenant nous pencher sur la structuration de la communauté. La terminologie quechua souvent employée pour parler de la collectivité est éclairante à ce titre. L’expression sullk’a kuraq signifie « cadets et aînés », et à la différence des termes espagnols assemblea et comunidad, elle sert à désigner les gens qui composent ces entités sociales et induit une différenciation sociale. Clairement identifiés, les kuraq forment un petit groupe homogène, les anciens de la communauté [13]. Contrairement aux sullk’a, ils sont exemptés des corvées communales.

19A contrario, il n’est jamais question des sullk’a comme d’un groupe constitué. Les orateurs étant des hommes au pouvoir certain et au statut social élevé, nous avons tout d’abord pensé qu’ils étaient des kuraq, des aînés. Mais il n’en est rien, nous avons été détrompées sans appel : les orateurs sont « encore des jeunes » (que. wayna), ce sont des « cadets ». Ceci indique qu’il y a des différences statutaires entre ces cadets : certains sont plus jeunes que d’autres. Au fur et à mesure qu’ils assument des responsabilités collectives, les jeunes acquièrent du prestige et montent dans la hiérarchie sociale, au fur et à mesure qu’ils avancent dans le système des charges [14]. En effet, il existe un nombre important de charges (esp. cargos), comme participer à la Junte ou au comité de reforestation (il y en a bien d’autres). Ces charges font système entre elles ; un homme doit les « passer » l’une après l’autre dans un ordre d’importance croissant pour compléter son parcours social et politique. Pour l’une de nos interlocutrices, âgée d’une quarantaine d’années, les kuraq sont « les gens qui travaillent depuis longtemps déjà, par exemple ils ont servi la communauté pendant 30 ans ». Ce sont des hommes à qui l’on doit manifester du respect, car ils ont « servi la communauté ». Aux trente années de service des kuraq, elle oppose les quelque trois à cinq années de « service » de son mari qui est encore jeune (que. wayña). Le « service » consiste ainsi, en première instance, à assurer des « charges » au sein de la communauté. Ce qui fait le kuraq, mais plus généralement l’homme respecté, ce n’est pas tant l’âge que la durée et la qualité de son « service ». Ceci est évalué collectivement. Un des orateurs nous a expliqué que « les gens savent et calculent, ils connaissent enfin… qui mérite d’être respecté ». On voit ici que le statut dépend d’une évaluation collective. Ainsi, il ne s’agit pas simplement d’aînesse, mais plutôt de séniorité, qui selon Balandier [1985, p. 97] « sert à désigner la relation asymétrique entre deux termes dont l’un est privilégié ». La hiérarchie n’est donc pas le simple fait de la différence d’âge, elle permet de distinguer des groupes d’âge sociaux, notamment par le parcours dans le système des charges. C’est un construit social.

20Les orateurs sont les cadets les plus expérimentés et les plus âgés, ils ont déjà assumé les principales charges de la communauté (dont celle de président). En fait, les orateurs sont des kuraq en devenir. Si ce rôle ne fait pas partie du système des charges, il n’en est pas moins une étape essentielle pour devenir kuraq. Contrairement à ces derniers, les orateurs font encore l’objet d’une évaluation de la part de l’ensemble des personnes présentes. En fait, non seulement ils doivent assurer le bon fonctionnement de la communauté, mais ils doivent aussi démontrer qu’ils ont les qualités requises pour clore leur parcours et mériter de prendre leur « retraite » (esp. jubilación) [15]. La communauté doit aider les kuraq à entretenir leur maison, à cultiver leur parcelle si leur famille n’est pas en mesure de le faire. L’acquisition de ce statut donne également le droit de transmettre l’usufruit de ses terres à ses enfants [16]. Respecter les valeurs communales, c’est donc assurer son propre avenir puis celui de ses enfants. De la part des orateurs, abuser du pouvoir qui leur est confié signifierait prendre le risque de remettre ceci en cause, de perdre leur seul filet de sécurité.

21Une autorité doit ici concilier, tranquilliser, rechercher le consensus [17]. Ces compétences [Hymes, 1972] s’apprennent avec le temps et la pratique. L’apprentissage commence dès l’enfance ; en effet, différents auteurs évoquent le fait qu’un enfant n’acquiert une identité sociale propre (et sexuée) qu’à partir du moment où il peut parler [Spedding, 1998, p. 126]. Un jeune qui n’est pas encore inscrit officiellement dans la communauté n’a ni le droit de vote ni celui de parler (esp. ni voz ni voto). Il n’est autorisé à parler que pour présenter un problème qu’il rencontre ou répondre à une question qui lui a été posée [18]. C’est une fois inscrit officiellement qu’il devient un locuteur autorisé (ratifié). Ayant d’abord un accès restreint à la parole, ceci va peu à peu se modifier au fur et à mesure qu’il montera dans la hiérarchie sociale.

22Savoir bien parler est inséparable de deux autres capacités : écouter et se taire [19]. L’un de ces hommes âgés explique que les prises de paroles irrespectueuses s’accompagnent d’un manque d’écoute : « celui-là, il parle sans respect, celui-là ne nous écoute pas ». Savoir se taire et écouter fait partie intégrante de la maîtrise du langage. Ce point acquiert une importance toute particulière dans les Andes où il faut savoir lire entre les lignes tant il y a d’implicite. Un terme permet de qualifier cette façon de dire les choses : une proposition implicite est dite « indirecte » (esp. indirecta). Implicites d’un point de vue verbal, elles n’en sont pas moins tout à fait compréhensibles. Au sein de l’assemblée, un registre spécifique – les commentaires dans le public – permet de transmettre le message tout en maintenant la tempérance dans les échanges publics. Dans ce contexte, on devient adulte quand on apprend à se taire au bon moment, de façon à endiguer ses propres débordements, mais également ceux de ses auditeurs. Le processus d’apprentissage consiste, non seulement à apprendre à parler, mais également à écouter, à contrôler ses paroles afin de pouvoir maintenir une certaine qualité d’échange au sein de la collectivité et enfin « trouver la voix de la communauté ». Les plus anciens, les kuraq, contrôlent d’ailleurs tellement leurs paroles qu’ils sont silencieux. S’ils n’exercent aucun pouvoir, leur présence est essentielle, car ils pèsent collectivement sur les épaules des orateurs et de l’ensemble de la communauté : ils mettent le système sous tension. Par ailleurs, ils incarnent ceux qui les ont précédés, les grands-pères (esp. abuelos) ou ancêtres auxquels l’on doit également le respect. Envisagée de la sorte, la logique sous-jacente est finalement assez proche de celles étudiées par Duranti [1992] ou Chaffe [1992], qui mettent en avant l’importance des ancêtres.

Conclusion

23Les orateurs ont dans la communauté de Llanchu un rôle essentiel. Il leur incombe de maintenir l’harmonie collective en faisant régner une éthique du respect, ce qui dans les faits se traduit par la mise en avant de la collectivité dans les discours. L’étude des interactions verbales au sein de l’assemblée montre que par différents biais (seconde voix, entextualisation, dialogisme, intertextualisation), ces derniers font exister la communauté, lui donnant la parole en trouvant sa « voix ». Pour cela, la prise en compte des propos tenus dans les différents registres de discours est essentielle. Si les orateurs exercent ainsi un pouvoir certain, ils ne doivent cependant pas l’exercer à des fins personnelles et doivent s’effacer en tant qu’individus dans le jeu politique. C’est d’ailleurs à cette condition qu’ils acquièrent un statut social chaque fois plus élevé. Les anciens (que. kuraq), qui incarnent silencieusement les ancêtres de la communauté, veillent à ce qu’il en soit ainsi. Le respect de ces codes est par ailleurs renforcé par le fait que la communauté est garante du maintien des droits fonciers et de l’accès à un réseau social d’entraide.

24Les règles effectives de la vie politique puisent dans le registre parlementaire une légitimité officielle (c’est-à-dire reconnue par l’État), mais renforcent une logique distincte, antérieure. Dans les interactions décrites et analysées précédemment, le rôle du président n’est pas d’exercer un pouvoir, mais de créer un espace de délibération qui permet à l’assemblée de s’exprimer et aux orateurs de statuer. Le rôle prépondérant accordé aux orateurs n’est pas dans l’esprit de la loi sur les communautés. En effet, la « modernisation » des charges administratives espérée à la suite de la promulgation de la réforme agraire en 1969 visait notamment à diminuer le pouvoir des aînés [Castro Pozo, 1973]. Dans les faits, au lieu de les supplanter, les charges administratives (président, vice-présidence, secrétaire, trésorier) ont été incorporées au système des charges à un niveau intermédiaire. Héritière de pratiques anciennes, l’importance de l’oralité est désormais articulée à la valorisation de l’espagnol et de l’écriture par l’administration péruvienne. La présente analyse des phénomènes d’assemblée permet donc de montrer comment un système sans doute ancien a su puiser aux sources de la légitimité officielle, parlementaire, pour être actualisé et finalement renforcé.

25Enfin, il apparaît que dans cette communauté, la répartition du pouvoir est articulée à un maniement particulier de la parole. L’évaluation de la maturation sociale d’un individu repose largement sur l’acquisition de compétences de communication spécifiques. Les jeunes enfants acquièrent une identité sociale avec le langage. Ils doivent ensuite apprendre à parler et à se taire à bon escient. C’est à ces conditions qu’ils deviendront des adultes et gagneront du prestige. Cet apprentissage est contrôlé jusqu’à l’acquisition du statut d’ancien. Autorité discursive, statut social et autorité politique se construisent donc de pair lors des assemblées qui sont un espace essentiel de la vie politique communautaire.

Notes

  • [*]
    Anthropologue, professeur adjointe, département d’anthropologie, université de Montréal.
  • [1]
    Ces deux termes sont composites : si les racines sont espagnoles, le traitement grammatical est quechua. Ce phénomène est assez fréquent dans ces communautés de langue maternelle quechua où l’usage de l’espagnol est fréquent, surtout chez les hommes. Les indications « que. », « esp. » et « que/esp ». indiquent la langue des termes ou extraits cités et signifient respectivement : quechua, espagnol ou comme ici, hybride espagnol/quechua.
  • [2]
    Nous remercions ici vivement notre collègue Luke Fleming pour ses précieux conseils, ainsi que le travail attentif des éditrices et des relecteurs qui ont contribué à bonifier le texte.
  • [3]
    Les raisons de ce refus ne nous ont pas été explicitées. Sans doute est-ce en partie en raison des sujets d’ordre privé abordés, qui n’ont pas vocation à être divulgués en dehors de cette enceinte.
  • [4]
    Les paysans de Llanchu sont de langue maternelle quechua, et ils parlent souvent espagnol couramment. Lors du travail de terrain, la langue principale utilisée a été l’espagnol, même si la connaissance du quechua s’est avérée nécessaire dans des occasions comme celles décrites dans ce texte.
  • [5]
    Il serait intéressant d’inclure dans l’analyse la relation entre les registres de l’oralité et de l’écriture, mais nous nous pencherons plus spécifiquement sur les discours dans le présent article. Pour en savoir plus sur les pratiques d’écriture dans une communauté rurale andine, se référer à l’ouvrage de Salomon et Niño-Murcia [2011].
  • [6]
    Le président, qui porte une écharpe, est accompagné de son secrétaire, du trésorier et de deux « vocales »
  • [7]
    Les actes sont inscrits par le secrétaire de la Junte élue dans un livre officiel visé par un notaire. Le texte est rédigé en espagnol et tous les présents signent l’acte.
  • [8]
    Le texte qui sera finalement rédigé dans le livre d’actes peut être considéré comme un registre linguistique supplémentaire, mais l’analyse porte ici sur les modalités de prises de parole et ce registre ne sera pas analysé en détail.
  • [9]
    Une remise en cause publique peut d’ailleurs conduire à celle du statut de l’individu qui sera rétrogradé [Hall, 2015].
  • [10]
    Rivière constate la même chose en Bolivie [2008].
  • [11]
    Au Sud de Potosí, le représentant moral de la communauté doit être « idéalement quelqu’un qui sait dialoguer calmement (esp. no discute), n’a aucun penchant violent, est honnête, sait bien parler (esp. buen hablador/allim rimaq) et suscite le respect » [Rasnake, 1989, p. 78]. Rivière décrit chez les Aymaras de Caranga des choses similaires [2008].
  • [12]
    Sur ce point, nos données convergent avec celles de Rasnake [1989, p. 79] et de Webster [1974, p. 144].
  • [13]
    Il en va de même dans de nombreuses communautés andines [Pérez Galán, 2004, p. 93 ; Allen, 2002, p. 95 ; Webster, 1974, p. 151].
  • [14]
    Sur le « système des charges », que l’on retrouve dans l’Amérique hispanophone et tout particulièrement en Méso-Amérique et dans les Andes, se référer notamment à la bonne synthèse de Pérez Galán [2004].
  • [15]
    Attention, ils ne reçoivent pas de pension de la part de l’État. Ce vocable sert ici pour désigner des distinctions sociopolitiques à l’échelle de la communauté.
  • [16]
    Le statut collectif du titre de propriété foncière a, selon nous, ici une incidence sur le fonctionnement social.
  • [17]
    On retrouve ce point en Bolivie [Rivière, 2008].
  • [18]
    Il peut cependant nourrir les chœurs bruyants lors des débats. Ses interventions hors de ce registre, même pertinentes, sont souvent suivies de représailles pour le remettre à sa place et lui faire comprendre qu’il n’est pas encore un locuteur autorisé à prendre la parole publiquement. On le lui fera sentir à propos de toute autre chose, par exemple, en remettant en cause certains acquis individuels tolérés. Ceci permet d’ailleurs de faire pression sur les jeunes, de les inciter à demander à faire partie de la communauté de façon officielle. La leçon est particulièrement dure pour ceux qui ont fait des études et estiment être en droit de pouvoir s’exprimer et d’être pris en compte.
  • [19]
    Une ethnographie des silences serait dans ce cadre intéressante à réaliser.
Français

Si les assemblées mensuelles des communautés paysannes andines semblent être des moments essentiels de la vie des communautés paysannes des Andes péruviennes, leur fonctionnement reste assez méconnu. Une analyse des prises de parole dans ce contexte permet de montrer la logique sociale et politique mise en actes dans cette enceinte. En l’occurrence, certains hommes (orateurs), peu nombreux, ont un rôle majeur dans les prises de décisions. Après une description ethnographique du déroulement des débats, nous analyserons la façon dont les décisions officielles sont collectivement formulées, pour finalement nous interroger sur l’organisation sociale et politique de la communauté, tout en nous focalisant sur la figure de ces orateurs.

Mots-clés

  • organisation politique
  • pouvoir
  • organisation sociale
  • parole
  • communautés
  • Andes
  • Pérou

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Ingrid Hall [*]
  • [*]
    Anthropologue, professeur adjointe, département d’anthropologie, université de Montréal.
Mis en ligne sur Cairn.info le 29/07/2016
https://doi.org/10.3917/autr.073.0089
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