CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Au Burkina Faso comme dans de nombreux autres pays africains, l’avortement provoqué fait l’objet d’une réprobation sociale et d’une restriction légale. Pourtant, il constitue un problème de santé publique majeur dans la mesure où il est une des causes principales de la mortalité maternelle et induit des conséquences sur la santé des femmes. Non seulement il est dramatique pour les femmes concernées et pour les travailleurs de la santé en contact avec elles, mais les acteurs de la sphère institutionnelle sont également confrontés à sa nature multidimensionnelle : problème de santé publique, question juridique, politique et sociale.

2Dans cet article, nous nous intéresserons aux logiques institutionnelles des politiques de santé menées sur la question de l’avortement. Dans une perspective d’analyse de politiques publiques, si l’on accorde une attention « aux “écarts” entre les politiques prévues et leur mise en œuvre réelle, et aux effets inattendus de ces politiques », on conviendra que « […] la traduction et l’application concrète des politiques de santé sont influencées par les acteurs de leur implantation ». [Ridde, 2011, p. 135.]

3Au-delà des valeurs « universelles » promues dans les conférences internationales et régionales et auxquelles le gouvernement souscrit tout au moins officiellement, quelles sont les logiques et les valeurs nationales/locales qui semblent entériner finalement la mise en application ou non des normes officielles ? Dans une certaine mesure, il s’agit de considérer les conditions d’émergence d’une question de politique publique de santé, les modalités de sa formulation et celles de sa mise en œuvre [Lemieux, 2009].

4Comment expliquer par exemple que la réponse des autorités burkinabè face au problème social majeur que constitue l’avortement à risque se limite à une réponse technique aux problèmes sanitaires provoqués par les avortements clandestins, inscrite sous la promotion des soins après avortement ? Dans quelle mesure une telle position ressort du programme d’action élaboré à la Conférence des Nations unies sur la Population et le Développement (CIPD) au Caire en 1994 ?

5Notre démarche anthropologique s’inscrit dans un projet de recherche pluridisciplinaire sur la question des avortements au Burkina Faso [2]. Selon une approche consacrée à l’analyse institutionnelle et historique de la politique nationale, nous tentons de saisir les normes et les logiques pratiques des acteurs impliqués dans des prises de décision sur la question de l’avortement et des soins après avortement.

6Les données ont été recueillies au niveau international et national. Nous avons conduit quarante entretiens avec des responsables (administrateurs et fonctionnaires) du ministère de la Santé, d’organisations internationales et d’ONG au Burkina Faso. Nous avons accordé une attention particulière aux articles de la presse locale parus pendant deux ans (de décembre 2009 à décembre 2012) ainsi qu’à des documents de politique nationale. En outre, pour avoir une vue globale des positions politiques internationales sur l’avortement, sept entretiens ont été conduits avec des responsables d’organisations internationales et d’ONG en Europe et aux États-Unis [3]. Tous les entretiens ont été ensuite transcrits intégralement.

Des normes sociales et juridiques burkinabè qui réprouvent la pratique de l’avortement

7Dans quasiment toutes les sociétés du Burkina Faso, la découverte publique de la pratique volontaire de l’avortement fait l’objet d’une réprobation. Il est difficile de distinguer ce qui relève de la réprobation culturelle de ce qui tient de celle de la religion [4] à l’égard de l’avortement. Une enquête sur les opinions négatives des Burkinabè fait apparaître l’avortement, la prostitution et l’homosexualité comme les phénomènes sociaux les plus désapprouvés [CGD, 2010]. Au Burkina Faso, les articles de journaux qui se rapportent à l’avortement mettent en évidence la récurrence, la prohibition et la discrétion qui l’entourent. Les titres des articles évoquent ces caractéristiques sociales : « avortements clandestins […] », « […] le drame silencieux ». La presse locale, dominée par le mode de pensée de l’opinion publique burkinabè (et vice-versa) considère l’avortement comme la conséquence d’une mauvaise éducation des jeunes filles [5] et l’associe à une défaillance de responsabilité des parents. Les articles se terminent la plupart du temps par la mise en évidence d’une nécessaire sensibilisation des jeunes filles aux questions de sexualité de manière à éviter des grossesses dites non désirées.

8La possibilité pour les femmes de pratiquer une interruption volontaire de grossesse circonscrite selon des conditions précises (notamment la durée de la grossesse) se situe dans le contexte d’un marquage des droits de la femme. Les temps forts de ceux-ci ont été la Déclaration universelle des droits de l’homme et des conférences internationales telles que la Conférence des Nations unies sur la population et le développement (CIPD) au Caire en 1994, la Conférence mondiale sur les femmes à Beijing en 1995. Notons qu’aucune de ces conférences n’a admis un « droit à l’avortement », dont il est dit explicitement qu’il dépend des autorités nationales.

9Alors qu’entre 1950 et 1985, de nombreux pays développés ont libéralisé les lois sur l’avortement en lien avec les droits de l’homme [Cook, Dickens, Bliss, 1999], dans les pays en développement, les lois sur l’avortement n’ont guère changé depuis la période coloniale [Guillaume, 2009]. Par exemple, au Burkina Faso, la loi française du 31 juillet 1920 instituée par le système colonial et essentiellement caractérisée par l’interdiction de l’avortement et de toute méthode contraceptive n’a été supprimée qu’en 1986 par le régime révolutionnaire.

10Dans le fond, l’avortement provoqué reste puni selon les articles 383 à 390 du code pénal burkinabè. Un amendement du code pénal aménagé en 1996 permet l’avortement à tous les stades de la grossesse quand la vie ou la santé de la femme est en danger et en cas de malformation fœtale grave. Par ailleurs, il autorise l’avortement durant les dix premières semaines de la grossesse en cas de viol ou d’inceste. En termes de pénalité, l’avortement n’est plus perçu comme un crime mais comme un délit. Les peines qui y sont liées renvoient – aussi bien pour les femmes que pour les prestataires accusés – à une amende et/ou à une peine de prison. Mais en pratique, les recours à l’avortement provoqué restent fréquents et sont associés à des pratiques dites « clandestines » selon les autorités publiques et les prestataires de soins [Guillaume, 2009].

11Du côté des normes sociales, l’une des singularités de l’avortement en tant que fait social est que les représentations populaires qui en relèvent manquent d’épaisseur dans de nombreuses sociétés, et ce à tel point que l’on peut parler de « pauvreté des représentations » [Boltanski, 2004, p. 34-35]. Georges Devereux est sans doute le premier anthropologue à avoir souligné, en utilisant les célèbres Human relations area files à destinée « comparative et transculturelle », que l’avortement « n’occupe nulle part une position centrale dans la culture » quand bien même 60 % des sociétés étudiées en ont connaissance [Devereux, 1955, cité par Boltanski, p. 34]. Mais parallèlement à cette « sous-représentation » de l’avortement dans les conceptions culturelles, l’avortement fait « l’objet de réprobation » dans quasiment toutes les sociétés [Boltanski, 2004, p. 30]. Au Burkina Faso, la condamnation juridique de l’avortement s’allie à la réprobation sociale et religieuse. Toutes les religions condamnant l’avortement, sa pratique s’entoure de discrétion de la part des acteurs impliqués (les femmes, leur entourage, les prestataires). L’expérience de l’avortement renvoie à des stratégies confinées dans le secret [Rossier et al., 2006 ; Rossier, 2006 ; Rossier, 2007].

Un contexte international face à l’avortement

12La Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) tenue au Caire en 1994 a placé la question de l’avortement à risque [6] dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire à l’avant-garde du débat international. La prise en compte de ce sujet était notamment justifiée par l’importance des conséquences dues aux complications des avortements non médicalisés [Guillaume 2009 ; Hugon 2005]. Le programme d’action adopté lors de la CIPD correspondait à un compromis trouvé entre le militantisme des féministes des organisations intergouvernementales et non gouvernementales en faveur de l’octroi aux femmes du droit de pouvoir recourir à l’avortement et un certain conservatisme des gouvernements, réticents ou opposés à favoriser ou accorder un tel droit.

13Le compromis entre les deux tendances fut précisément trouvé dans l’adoption de perspectives visant à réduire le recours à l’avortement à risque en améliorant les services de planification familiale, en rendant disponible des informations et des conseils susceptibles d’atténuer la survenue de grossesses non désirées, et en pratiquant l’avortement dans les meilleures conditions lorsqu’il est légal. Dans tous les cas, le programme d’action adopté à la CIPD insistait sur l’investissement des gouvernements dans la mise en place de services de qualité accessibles pour la prise en charge médicale des complications de l’avortement [DeJong 2000].

14Même si le Programme d’action de la CIPD n’avait pas force de loi, il a eu une influence politique et morale indéniable sur de nombreux pays et a incité les autorités sanitaires à prendre des engagements significatifs [Cohen, Richards 1994]. Dans les pays où la pratique de l’avortement est confrontée à des sanctions sociale et juridique, l’influence de la CIPD semble avoir davantage agi sur les aspects de santé publique, somme toute techniques, que sur un réel consensus autour de la question des « droits reproductifs » impliquant une position claire des gouvernements face à l’avortement – soit la position exacte de la CIPD.

15En effet, à la suite de la CIPD, les soins après avortement (SAA) ont émergé comme étant la principale recommandation de politique internationale pour traiter les complications des avortements (spontanés et provoqués), surtout en Afrique où peu de pays ont réformé leurs lois restrictives sur l’avortement provoqué. Les SAA ne traitent pas de la légalité ou de la sécurité de l’avortement en soi, mais se concentrent sur le traitement de ses conséquences, l’avortement incomplet, et sur la fourniture de services de contraception post-avortement. Ils ont été mis en place pour faire face aux conséquences néfastes de l’avortement à risque pour la santé des femmes dans de nombreux pays où celles-ci n’ont pas un accès légal à l’avortement [Rasch, 2011].

16C’est le cas du Burkina Faso, pays marqué par l’acuité de la question de l’avortement. En effet, le nombre d’avortements réalisés dans des conditions à risque y a été estimé à 87 200 par an, soit 25 avortements pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans. Dix pourcents des décès maternels y sont attribués aux avortements provoqués [ministère de la Santé, 2011].

17La souscription du gouvernement burkinabè aux accords internationaux sur la santé de la reproduction s’est accompagnée d’une mise en œuvre d’actions destinées à faire face aux conséquences médicales de l’avortement. En dépit de la prégnance des recours à l’avortement non médicalisé dans un contexte de législation restrictive sur l’avortement, l’option institutionnelle reste clairement affichée en faveur des SAA orientés sur la réduction de la mortalité maternelle intra-hospitalière, qui est perçue comme un problème de santé publique.

La pratique des soins après avortement, pour éviter de débattre de l’avortement

18Consécutivement à la CIPD, le compromis entre les militants favorables à la promotion de l’avortement et les acteurs d’institutions internationales et de gouvernements a consisté à opérer un glissement de la notion de droits vers celle de santé.

19Pour les pays africains, des rencontres régionales ont insisté sur l’articulation entre les conséquences de l’avortement et la qualité des soins pour tenter d’infléchir la mortalité maternelle.

20De façon incontestable, le traitement politique de l’avortement au Burkina Faso se situe dans la perspective de la CIPD, lieu de légitimation de la notion de « droit reproductif » par la plupart des États qui y ont participé [Bonnet, Guillaume, 2004]. Mais au-delà de ce consensus apparent, dans l’élaboration de la politique nationale, c’est la dimension sanitaire qui apparaît être le point d’entrée du traitement des conséquences de l’avortement et des politiques mises en œuvre.

21Notons que d’une certaine façon, la sémantique utilisée dans le domaine de l’international oriente les options et les initiatives nationales. En passant de la « maternité sans risque » à la « maternité à moindre risque » dans un cadre plus général et structurel de santé de la reproduction, l’art, pour les dirigeants d’un pays dont le budget dépend fortement des subventions extérieures, consiste à démontrer leur accord à l’égard des grandes questions internationales en cours :

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« Au niveau central ici, c’est de pouvoir élaborer des documents de politiques et de stratégies et pouvoir en deuxième position accompagner en fait les structures décentralisées et intermédiaires dans la mise en œuvre de ces politiques de santé, c’est pour ce modèle de rôle que chacun doit jouer. […] et accompagner les gens dans la mise en œuvre […] c’est-à-dire que nous travaillons aussi avec les… les systèmes des Nations unies, quand vous prenez l’UNICEF, vous prenez l’UNFPA, vous prenez l’OMS, nous tenons compte de certains nombres d’engagements que les pays, les autorités hein ! au plus haut niveau ont pris au cours justement des conférences ou des rencontres au niveau international comme interafricain ou sous régional. […] Donc à partir de ces… c’est à partir de tout cela que nous adoptons en fait les différents concepts pour élaborer notre propre politique. […] pour que la politique nationale soit en phase avec […] les politiques mondiales sur le plan sanitaire. »
(Un responsable du ministère de la Santé, juillet 2012.)

23Être « en phase » avec la politique internationale, c’est l’art de la gouvernance étatique qui consiste à élaborer des documents politiques destinés à étayer le niveau technique. Mais il convient de saisir les modalités cognitives par lesquelles ces accords internationaux sont « réinterprétés » par les acteurs de politiques publiques [Long, Long, 1992 ; Ridde, 2011].

24Le développement d’une politique de l’avortement au Burkina Faso passe essentiellement par le biais des soins après avortement (SAA). Les SAA recouvrent l’ensemble des soins procurés aux femmes qui arrivent dans une structure de soins en situation d’avortement (provoqué ou non) incomplet. De fait, avant l’introduction des soins après avortement, les femmes qui étaient reçues dans les structures de soins hospitalières pour des complications à la suite d’un avortement étaient prises en charge médicalement par la technique du curetage consistant nomment à débarrasser l’utérus des débris. Une telle méthode impliquait donc l’existence d’un bloc opératoire n’existant que dans les services obstétriques des hôpitaux universitaires nationaux des deux plus grandes villes du pays, Bobo-Dioulasso et Ouagadougou.

25C’est à partir de 1997 que les SAA commencent à être introduits dans le pays. Le démarrage organisé des soins après avortement est d’abord soutenu par des gynécologues qui opèrent dans les deux centres hospitaliers universitaires du pays. Réunis dans la Cellule de recherche en santé de la reproduction (CRESAR), ils mettent au point un plaidoyer pour des soins après avortement construits sur l’importance de la mortalité maternelle hospitalière due aux conséquences de l’avortement. Celle-ci est estimée entre 24 et 28 % de la mortalité maternelle globale à cette époque. Ces chiffres sont rappelés dans un état des lieux et servent à mettre en évidence la nécessité de la planification familiale et de la prévention des infections dues aux avortements à risque.

26L’outillage technique de référence pour les soins après avortement devient l’aspiration manuelle intra utérine (AMIU). En tant que pourvoyeuse du matériel AMIU, l’ONG américaine Ipas, qui en est le fabriquant, devient donc un partenaire privilégié. Bien que les SAA recouvrent communément d’autres dimensions (relation de confiance avec la patiente, conseils en planification familiale, liens avec les autres services de la santé de la reproduction) que celle de l’appareillage technique que constitue l’AMIU, son évocation finit progressivement par se résumer à la seule dimension technique, tant et si bien que de nos jours les soignants évoquent l’AMIU pour parler des SAA.

27Initiés dans le cadre de collaborations entre des cliniciens et une ONG, les soins après avortement ont été progressivement intégrés au programme national de santé et déclinés dans le programme national de développement sanitaire à travers la promotion de la santé maternelle. La direction de la Santé de la famille (devenue récemment direction de la Santé de la mère et de l’enfant, DSME) en tant que direction centrale et technique du ministère de la Santé a intégré la santé de la reproduction dans l’élaboration du Programme national de développement sanitaire (PNDS). C’est la DSME qui organise dans un premier temps le relais pour coordonner la formation des prestataires de soins et s’attelle ensuite à une politique de décentralisation des SAA au niveau des régions sanitaires, dans les centres hospitaliers régionaux (CHR) et les districts sanitaires représentés par les centres médicaux qui disposent d’une antenne chirurgicale (CMA). Les SAA sont devenus une composante du volet des Soins obstétricaux d’urgence du programme de maternité à moindre risque. En premier lieu, c’est une politique de normes et de standards qui définit sur une période de 10 ans le cadre général de la vision politique nationale sous la forme d’un PNDS. Le PNDS en cours s’étend de 2011 à 2020 et il est décliné en plans triennaux permettant ainsi de déterminer et d’élaborer des stratégies et des objectifs autour de programmes. C’est autour du PNDS que les différents partenaires techniques et financiers se positionnent pour déterminer leurs secteurs d’intervention dans la santé de la reproduction. La politique de la santé de la reproduction est une référence pour les partenaires du développement sociosanitaire et pour la planification des interventions.

28Au sein des différents services de la direction centrale et technique représentée par la direction de la Santé de la mère et de l’enfant, les activités de SAA incluses dans la santé de la reproduction apparaissent de façon transversale : par exemple, la direction de la Santé des adolescents, des jeunes et des personnes âgées (DASPAJ) s’occupe de la sensibilisation des jeunes et de leur accès aux soins, et d’une sensibilisation des soignants à la santé des adolescents, notamment en matière de santé de la reproduction ; au service de soins obstétricaux et néonataux d’urgence, il s’agira d’orienter la stratégie nationale sur une subvention des accouchements et des SAA. Ce cadre officiel souligne encore, par la focalisation sur des groupes de personnes cibles (jeunes femmes, adolescents, etc.), la connexion de la politique nationale burkinabè à la politique internationale articulée sur des groupes de personnes.

29Localement, des organisations et associations de la société civile axées sur le droit des femmes en général et les droits reproductifs en particulier peinent à émerger. En d’autres termes, il y a une absence de plaidoyer orienté sur les droits reproductifs des femmes. L’interpellation du ministère de la Santé sur des réformes politiques qui se rapportent à l’avortement est pourtant faite, bien que discrètement, par un certain nombre de médecins. On peut d’ailleurs se demander si la réaction nationale aurait été moins technique si elle avait été nourrie par l’action conjointe d’associations et d’ONG nationales et internationales.

30On peut noter dans les faits que l’introduction des SAA par le biais de cliniciens et d’ONG est marquée par une relative prudence de la part des acteurs (nationaux et internationaux) qui s’y engagent. Il fallait être prudent pour « ne pas brusquer le ministère de la Santé » confie un gynécologue qui a participé au démarrage des SAA au Burkina Faso. Étant donné la sensibilité du sujet, les cliniciens craignaient que l’affichage de telles activités au Burkina Faso ne provoque une réaction négative du ministère de la Santé. De fait, l’instauration des SAA a tenu compte des cadres religieux et juridique du pays. Il était important au plan politique de ne pas donner l’impression aux notables religieux et politiques que cette promotion des SAA était une manière de promouvoir les avortements, en encourageant les femmes à y recourir.

31La crainte d’élargir la politique des SAA à une législation de l’avortement plus permissive se comprend en lien avec la politique internationale et avec un cadre régi par une morale culturelle et religieuse.

32D’un côté en effet, la position des acteurs internationaux qui militent pour le droit à l’avortement est de considérer que les SAA constituent une stratégie d’engagement pour certains pays. Mais réciproquement, une stratégie nationale de l’avortement articulée essentiellement sur une dimension technique des SAA s’apparente à une manière de fermer toute possibilité de débat public sur l’avortement avec des acteurs internationaux intervenant dans le pays. Les décideurs nationaux peuvent ainsi prétendre se conformer aux lignes directrices internationales sur l’avortement médicalisé, une voie pour la maternité à moindre risque, et éviter d’avoir à affronter directement les questions les plus épineuses et controversées relatives à la pratique et la légalité de l’avortement.

33On peut se demander si une telle perception de cette orientation technique n’est pas un consensus implicite qui fait que les acteurs nationaux et internationaux se maintiennent dans des zones de confort respectives. Tout se passe comme s’il s’agissait d’un certain niveau d’engagement qui ne remet pas en cause l’état moral, social et juridique de l’État. Rien ne fait « basculer le bateau ». Il s’agit finalement d’une politique du possible dans laquelle les aspects sociaux et juridiques ne sont pas directement remis en question [Ouattara, Storeng, 2014].

Des soignants et des acteurs institutionnels pris dans des dilemmes : condamner l’avortement ou le traiter ?

34Parallèlement à l’optique politique nationale, il y a lieu de considérer les positions individuelles alliant expérience professionnelle et perceptions individuelles sur la question de l’avortement. Ainsi, lorsque l’on demande l’avis des prestataires de santé sur l’avortement, leurs réponses renvoient avant tout à l’opposition entre une posture religieuse qui condamne l’avortement et leur pratique professionnelle qui pourrait être aux antipodes des attentes de la morale religieuse :

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« Si vous me prenez… simple citoyen appartenant à une religion catholique, qu’est-ce que je pense de l’avortement ? Je vous dirais “ce n’est pas bien” ! […] je n’en ferai jamais. Effectivement, je n’en fais pas. Parce que ma religion, à laquelle je crois et j’appartiens heu l’interdit. […] mais si vous me posez la question…, gynécologue obstétricien, responsable de la santé de la reproduction de milliers de personnes, […] je vous dirais que je suis pour qu’il y ait des ouvertures pour l’avortement légalisé, médicalisé […] parce que c’est la seule voie qui nous permet d’éviter les complications qui occupent nos services inutilement […] et qui finissent par emporter la femme victime. »
(Un gynécologue dans une structure de référence.)

36En pratique, les professionnels de santé reconnaissent qu’ils sont amenés à adapter leurs convictions personnelles pour résoudre ce dilemme. Certains disent choisir l’option d’une pratique soignante au profit de la demande des patientes sans pour autant négliger leur confession religieuse.

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« en tant que prestataire, sur le plan professionnel […] je suis tenue d’offrir des soins quand le client me demande […] mais dans ma conviction religieuse, je suis catholique et je sais que l’avortement est banni ! […] entre la volonté d’aider la personne qui est en détresse et la volonté de suivre ma religion […] s’il m’arrive de poser cet acte, je vais me confesser, je ne vais pas chez n’importe quel prêtre parce que je sais que je vais rencontrer des réticences. »
(Une gynécologue.)

38La majeure partie des représentants de l’église catholique n’est pas favorable à la pratique de l’avortement, et leurs références religieuses compliquent le positionnement des personnels de santé sur la question. Ainsi, cette gynécologue catholique confie qu’elle prendra les dispositions nécessaires pour éviter d’être condamnée moralement. D’autres au contraire adaptent leurs pratiques de soins à leur conviction religieuse, ce qui peut les conduire à une adaptation de leur carrière professionnelle. C’est le cas de ce gynécologue obstétricien, embauché dans une ONG qui promeut les SAA et est favorable à la pratique des avortements. Il a fait le choix de quitter ce poste bien rémunéré pour une pratique en clinique privée qui lui permet de poursuivre sa pratique professionnelle en conformité avec sa foi.

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« C’est vrai que leur politique (celle de l’ONG), c’est plutôt… la légalisation de l’avortement pour que les gens aient vraiment accès sans limite, […] j’ai une position… assez délicate, ambiguë en réalité, bon, au fond de moi, moi je suis un musulman [hum !] je sais qu’on peut toujours trouver des… des voies pour certains avortements. […] par exemple, quand je prends un pays musulman comme la Tunisie où les choses sont vraiment “free” ça me donne quand même une ouverture d’esprit par rapport à la question, ce n’est pas simple de laisser ça aussi libre que les gens le souhaitent parce que ça… ce n’est pas facile surtout que bon, on est dans un milieu aussi… où les gens ne comprennent rien, rien, rien aux choses. […] quand ça arrive, c’est vraiment tout… une histoire ; ça fait que avec les différents échanges que j’ai eus je me suis rendu compte que la question n’était pas aussi simple. »
(Un gynécologue.)

40Il s’agit ici d’une position ambiguë dans la mesure où sans pour autant condamner complètement l’avortement, ce soignant confie que dans sa clinique, il n’est pas à l’abri de demandes régulières d’avortement auxquelles il ne répond pas.

41De l’offre de soins au niveau décisionnel, la politique des SAA est guidée par des postures individuelles, privées. Le cadre international, qui doit être pris en compte au niveau national, est confronté à la gouvernance. Mais cette gouvernance est modulée par les représentations individuelles. Très concrètement, les positionnements individuels jouent un rôle majeur dans le traitement médical et politique de l’avortement.

42Conscient de la sensibilité de cette question, un soignant nous confiait par exemple que le changement de choix politique sur l’avortement dépend de la position des responsables au ministère de la Santé. La non prise en compte officielle du misoprostol [7] dans le traitement de l’avortement incomplet (SAA), en dépit des preuves scientifiques, est un exemple emblématique de la primauté des considérations individuelles, y compris au niveau gouvernemental, sur la gestion publique des questions de santé [Kumar, 2012].

43À ce niveau en effet, les acteurs des réformes sanitaires justifient leurs positions par le fait que ce médicament, caractérisé par son efficacité et la simplicité de sa prise encouragerait, banaliserait et simplifierait les pratiques d’avortement. Face à un preneur de décision non réceptif à l’intégration du misoprostol dans les SAA, les responsables et acteurs d’une ONG internationale adopteront une stratégie de contournement qui consiste à « court-circuiter » le système pour travailler directement avec les acteurs professionnels impliqués dans la pratique.

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« En son temps, Dr… (une responsable de service technique du ministère de la Santé), elle n’était pas réceptive, parce que elle-même, elle était souvent bloquée […] elle dit que non, ce n’est pas possible, que scientifiquement que rien n’a été démontré dans le cadre de l’utilisation du misoprotol dans les soins après avortement. C’est patati patata, en fait, tout le monde était convaincu que c’est des choses, c’était sa conviction personnelle, elle n’était pas pour. […] On l’a court-circuitée pour travailler avec les cliniciens de Sourou Sanou et Yalgado (les deux hôpitaux nationaux). […] On a même rassemblé les prestataires de ces structures-là, on a fait une formation sur l’utilisation du misoprostol […] on a même donné des kits pour qu’ils puissent quand même le faire dans les hôpitaux. […] On n’allait pas du tout progresser. Je pense que ça a été une occasion quand même de vulgariser l’utilisation du misoprostol dans les hôpitaux. […] Quand vous avez à la direction de certaines structures, des gens qui ne sont pas favorables à ce que vous proposez, il faut revoir la stratégie… il y a des femmes qui meurent, faut qu’on réduise ça. »
(Une prestataire dans une ONG.)

45L’introduction du misoprostol dans les SAA reste donc jusqu’à présent au Burkina Faso une question délicate pour laquelle l’État, les ONG, les cliniciens et les usagers ne semblent pas encore avoir trouvé de consensus. Mais la sensibilité de la question s’accompagne aussi de sa discrétion car toute mise en évidence d’une négociation sur ce sujet entraînerait un débat d’acteurs autour de l’avortement sécurisé.

46Bien souvent, les acteurs décisionnels considèrent que « la société burkinabè n’est pas prête » pour une loi moins restrictive à l’égard de la pratique de l’avortement. Une responsable de structure du ministère de la Santé nous expliquait cette perception en justifiant sa position par la défaillance du système de santé mais aussi par l’état des valeurs culturelles et religieuses :

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« Je pense que nous ne sommes pas prêts à aller vers la légalisation de l’avortement. La légalisation de l’avortement suppose quand même des services bien équipés, des services bien disponibles… et des compétences en tout cas […] qui […] comment on appelle ça, qui nous permet de le faire, peut-être que les compétences existent mais il faut de l’équipement et aussi la légalisation… Selon les quelques films que j’ai eus à voir sur la pratique de l’avortement dans les pays où cet acte a été légalisé c’est toute une démarche, c’est toute une démarche impliquant l’individu lui-même, la femme elle-même, impliquant sa famille et… moi, personnellement je ne pense pas qu’à l’étape actuelle là, de nos valeurs, de nos croyances religieuses là, qu’on puisse vraiment mettre en place toute cette démarche-là. Moi, c’est… c’est personnellement mon point de vue. »

48À l’instar d’autres pays (y compris occidentaux), l’exemple de la non-inscription du misoprostol dans les standards officiels de l’offre de SAA montre « […] combien la traduction et l’application concrète des politiques de santé sont influencées par les acteurs de leur implantation ». [Ridde, 2011, p. 118.] Des acteurs dont les représentations sur l’avortement mettent en évidence des dilemmes entre postures sociales, religieuses et postures techniques. On peut donc comprendre dès lors comment les négociations avec des acteurs extérieurs (organismes internationaux, ONG) se font sur la base de ces positionnements délicats.

49

« X (une ONG) s’est intimement impliquée dans ce travail pour que l’avortement soit légalisé. Ici, à un moment donné, bon, on avait un projet pour essayer de voir dans quelle mesure, bon, on peut… faire plaidoyer pour ça, mais bon, nous, on a… en analysant l’environnement […] on a dit que ça allait être très difficile, on aura plus de résistance. […] mais en résumé au niveau […] du siège, c’est une ONG qui travaille beaucoup dans les dispositions à prendre pour légaliser l’avortement. […] vraiment ce sont des questions très délicates au Burkina, vu l’environnement […] religieux, social, etc., même juridique, ça va être difficile, nous on s’est dit que ça serait voué à l’échec. Voilà ! Si on entreprend, les mentalités ne sont pas encore préparées… »

50L’argument des normes culturelles et religieuses est utilisé par les ONG comme un justificatif pour modifier leurs pratiques face à la position formelle « internationale » de leurs sièges. Même si d’un point de vue international, le militantisme explicite d’une ONG internationale dans le plaidoyer pour la légalisation de l’avortement l’a privée des subventions d’une importante institution connue pour son hostilité à l’égard de la libéralisation de l’avortement, dans son intervention au Burkina, la stratégie de l’ONG sera de l’ordre de la prudence pour aborder le sujet de l’avortement. En évoquant la collaboration entre l’ONG pour laquelle elle travaille et une autre ONG, un prestataire de services confie :

51

« […] eux, ils voulaient aller un peu plus loin, parce que avec X (ONG), ils ont dit non, eux, ils vont venir faire l’avortement, faire quoi, je dis “il faut rester dans la légalité”. On dit que l’avortement n’est pas légal, on ne peut pas faire l’avortement […] parce que à un certain moment, ils étaient chauds, ils disent “Non, il faut lutter pour légaliser l’avortement”, je dis “Il faut aller doucement pour ne pas être en porte à faux”, parce que déjà avec l’AMIU, les gens ne comprennent pas très bien. Parce que dans la “clarification des valeurs” même qu’on a faite avec les parlementaires […] ils sont revenus trop sur ça ; que parce que les gens disent que l’AMIU-là, c’est l’avortement qu’on est en train de faire. Donc beaucoup était contre, beaucoup était contre l’AMIU ».

52De fait l’aspiration manuelle intra-utérine pouvant être utilisée à la fois pour traiter l’avortement incomplet et pour provoquer l’avortement suscite un malaise chez certains soignants (non favorables à l’avortement provoqué) sur son usage qui, selon eux, est similaire à la provocation de l’avortement.

53Le contexte juridique et social normatif peut rendre problématique le traitement de l’avortement dans des univers de soins mettant à découvert aussi bien les femmes que les prestataires de soins. De fait, dans les structures de soins, les situations de stigmatisation et de discrimination de la part des soignants vis-à-vis des femmes, qui se présentent pour des soins après avortement, sont fréquentes [Drabo, 2013]. Les valeurs morales s’immiscent ainsi dans les contextes d’offre de soins.

Conclusion

54Dans cet article, nous avons mis en évidence la prégnance de la politique globale internationale sur les lignes de positionnement nationale [Lopreite, 2012], mais aussi le rôle des positionnements personnels, des idéologies et des convictions morales [Okonofua et al., 2009].

55Alors que les acteurs internationaux perçoivent les SAA comme une voie possible pour ouvrir une discussion sur l’avortement [Ouattara, Storeng, 2014], les acteurs nationaux utilisent les SAA comme une fermeture, une stratégie pour éviter toute possibilité de débat sur une légalisation de l’avortement qui leur apparaît comme un changement sociétal impossible à impulser.

56Notre analyse met en évidence la manière dont, au Burkina Faso, l’encadrement international des avortements à risque en tant que problème de santé publique a permis de supprimer le débat sur l’avortement de la sphère purement morale et religieuse au niveau local, et ce, pour refondre le traitement de ses conséquences technique et sanitaire. Dans un environnement où sa pratique fait l’objet d’une restriction légale et d’une condamnation morale et religieuse, l’accent mis sur la prévention des grossesses non désirées et la fourniture de soins post-avortement ne consiste guère à s’intéresser à la sécurité de l’avortement : la législation sur l’avortement cantonnant la possibilité d’avortement à des situations très particulières, l’insuffisance des infrastructures de soins de santé et la stigmatisation associée de façon générale constituent des obstacles pour des avortements sécurisés médicalement [Kumar, 2012].

57Nous avons montré que les positions morales personnelles jouent clairement un rôle important dans le développement de la politique de l’avortement. La controverse autour de la non-inscription du misoprostol que nous discutons ci-dessus rappelle ce que Kumar [2012] a décrit au Sri Lanka, où les questions liées à l’efficacité du misoprostol sont devenues sans objet puisque la décision de reporter l’enregistrement du médicament était basée sur les valeurs sociales des décideurs clés. Cela illustre comment l’opposition personnelle à l’avortement d’un responsable clé peut infiltrer les décisions politiques et empêche la question de l’avortement à risque d’être résolu [Kumar, 2012]. De même, dans le cas du Nigeria, les responsables ont été guidés par des considérations morales et religieuses plutôt que par des approches fondées sur des preuves scientifiques dans la lutte contre le problème de l’avortement non médicalisé [Okonofua et al., 2009].

58Au Burkina Faso, la mise en œuvre des SAA laisse peu de place à une politique de réforme plus large sur la santé de la reproduction. Au contraire, l’accent marqué sur les SAA représente une politique de non-engagement. Le gouvernement peut ainsi soutenir la prétention d’avoir résolu le problème de l’avortement à risque à travers une action de santé publique. Le débat sur les solutions possibles au problème de l’avortement est ainsi relégué exclusivement au secteur de la santé, exprimé en termes de préoccupation de mortalité et de morbidité résultant de l’avortement « dangereux ». Alors que la mortalité maternelle est un problème de santé publique et qu’un quart des avortements pratiqués le sont dans des conditions à risques, le sujet de l’avortement ne fait pas l’objet de débat public. L’argument selon lequel l’interdiction amène les femmes à adopter des conduites à risques en faisant des avortements clandestins, pouvant de ce fait l’interdiction elle-même constituer une source de prise de risque n’est pas pour le moment évoqué dans les espaces publics. La question de l’avortement en soi (et les questions sociales, morales, religieuses, juridiques et politiques qu’il soulève) est tue dans le discours technico-médical actuel, bien que l’économie morale de l’avortement se manifeste dans les réactions réservées au cadre individuel et privé.

Notes

  • [*]
    Anthropologue, IRD, UMR 151 « Laboratoire population environnement développement-UPEB », Marseille.
  • [**]
    Anthropologist, Centre for Development and the Environment, university of Oslo.
  • [1]
    Nous remercions le Conseil norvégien de la recherche qui a financé cette recherche et nos collègues qui y ont été impliqués. Nous exprimons notre gratitude aux informateurs rencontrés au Burkina Faso et dans d’autres pays pour l’enquête relative à cette étude. Sans leur confiance et leurs paroles, notre article n’aurait pas existé. Nous tenons également à remercier Véronique Dorner pour son regard critique sur ce manuscrit.
  • [2]
    « Coût de la santé de la reproduction en Afrique de l’Ouest : une étude approfondie de l’association entre pauvreté et accès aux soins liés aux avortements au Burkina Faso (2010-2013) ». Il s’agit d’un projet pluridisciplinaire (économie, santé publique et anthropologie) financé par le Research Council of Norway.
  • [3]
    Dans un autre article, nous développons une analyse sur l’articulation entre le national et l’international à partir de ces données de terrain [Storeng, Ouattara, 2014].
  • [4]
    Les principales confessions religieuses représentées et pratiquées au Burkina Faso sont l’islam, le christianisme (le catholicisme et le protestantisme d’obédience pentecôtiste) et l’animisme.
  • [5]
    Dans la revue des articles de presse, il n’est presque jamais fait allusion à une mise en cause de l’éducation des jeunes hommes.
  • [6]
    Contrairement à l’avortement médicalisé, l’avortement à risque est défini comme un avortement pratiqué par une personne ne disposant pas des compétences médicales requises et/ou pratiqué dans des contextes où les conditions sanitaires sont inadéquates. De ce fait, l’avortement à risque peut impliquer la mort ou une morbidité chez la femme [WHO, 2007].
  • [7]
    Le misoprostol, aussi nommé cytotec®, est un médicament qui a été fabriqué pour traiter la prévention de l’ulcère gastrique. Son efficacité a été également reconnue dans les soins obstétricaux où il peut être utilisé pour permettre le déclenchement de l’accouchement, la prévention de l’hémorragie du post-partum, le traitement des avortements médicamenteux et des avortements incomplets [Fernandez et al., 2009 ; Margulies, Campos, Voto, 1992 ; Raghavan, Abbas, Winikoff, 2012].
Français

Au Burkina Faso comme dans de nombreux autres pays africains, l’avortement provoqué se caractérise par une réprobation sociale et une restriction légale. Cependant, l’avortement non médicalisé est un problème de santé publique majeur qui constitue l’une des causes principales de la mortalité maternelle. Non seulement il est dramatique pour les femmes concernées et pour les travailleurs de la santé en contact avec elles, mais les acteurs de la sphère institutionnelle sont également confrontés à sa nature multidimensionnelle : problème de santé publique, question juridique, politique et sociale.
À partir d’entretiens semi-directifs approfondis avec des responsables du ministère de la Santé, d’organisations non gouvernementales (nationales et internationales) et d’organisations multilatérales impliquées sur cette question, nous proposons ici une anthropologie politique de l’avortement au Burkina Faso.
Nous montrerons comment une politique axée sur les soins post-avortement – traitement des conséquences médicales de l’avortement pratiqué dans des situations où la sécurité n’est pas assurée – est la principale réponse du gouvernement burkinabè par rapport à ce type d’avortement, considéré d’un point de vue médical comme étant avortement à risque. Notre analyse révèle en quoi l’adhésion des acteurs politiques nationaux aux normes sociales et religieuses influence le caractère avant tout technique de la réponse à ce problème. L’approche technique, justifiée dans la lutte contre la mortalité maternelle intra-hospitalière, se fait aux dépens d’un traitement de l’avortement en tant que problème de politique de santé publique. Cette analyse met en évidence la manière dont cette position de principe a émergé des rencontres entre les acteurs du ministère de la Santé et des organisations internationales agissant sous l’emprise des normes sanitaires à l’échelle mondiale, ainsi que de l’incertitude des positionnements des principaux décideurs.

Mots clés

  • avortement
  • soins après avortement
  • politique
  • normes
  • Burkina Faso

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Fatoumata Ouattara [*]
  • [*]
    Anthropologue, IRD, UMR 151 « Laboratoire population environnement développement-UPEB », Marseille.
Katerini Tagmatarchi Storeng [**][1]
  • [**]
    Anthropologist, Centre for Development and the Environment, university of Oslo.
  • [1]
    Nous remercions le Conseil norvégien de la recherche qui a financé cette recherche et nos collègues qui y ont été impliqués. Nous exprimons notre gratitude aux informateurs rencontrés au Burkina Faso et dans d’autres pays pour l’enquête relative à cette étude. Sans leur confiance et leurs paroles, notre article n’aurait pas existé. Nous tenons également à remercier Véronique Dorner pour son regard critique sur ce manuscrit.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 24/02/2015
https://doi.org/10.3917/autr.070.0109
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