CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Cet article propose d’élucider la dynamique de la société urbaine camerounaise telle qu’elle construit la dichotomie homme-femme à travers diverses représentations de la sexualité. L’analyse a porté une attention particulière aux jeunes femmes dans la mesure où elles constituent encore un objet de transactions entre familles via le mariage et où elles subissent de plus en plus fréquemment des pressions afin de contribuer à l’économie familiale. Notre propos est d’interroger les contours de la notion de « sexualité transactionnelle » dans ce contexte. En effet, si ce mode de relations sexuelles ne concerne pas l’ensemble de la jeunesse camerounaise, les questions de santé publique qui y sont associées, celle de la protection face aux infections sexuellement transmissibles (IST), celle de la négociation de l’usage du préservatif face au VIH et, enfin, celle de l’utilisation de la contraception afin d’éviter des grossesses non désirées, concernent l’ensemble de la société. Alors que la transition démographique est loin d’être achevée en Afrique subsaharienne [Guengant, 1997 : 61-63] [1], la part des jeunes dans la population reste significative et leurs attitudes face à la sexualité lourdes de conséquences. Les jeunes âgés de 15 à 24 ans représentent 20,4 % de la population en 2004 [2], alors que la prévalence du sida à cette période [3] était de 4,8 % chez les femmes et 1,4 % chez les hommes [4].

2Il peut paraître aventureux de parler de la société camerounaise, alors que ce pays se caractérise par une extrême diversité ethnique et religieuse. Cependant au delà des inégalités sociales liées à la détérioration de la situation économique depuis 1985, aux différences entre milieux rural et urbain, c’est l’ensemble de la société qui est affectée par un ensemble de mutations. On mentionnera l’emprise croissante de l’économie de marché, la généralisation de la scolarisation, l’envahissement par les médias modernes de l’espace domestique et public qui ont pour conséquence la montée de nouvelles aspirations en matière de réussite et de consommation. La crise économique a eu pour effets en milieu urbain, outre l’accroissement des inégalités [INS, 2003 ; Eboko, 1999], l’émergence des bidonvilles et le développement d’un plus grand anonymat. Ces bouleversements ont entraîné un relâchement du contrôle social allant de pair avec l’abandon de certaines traditions. Cet élargissement de la sphère des possibles en termes d’opportunités économiques et de systèmes culturels de références n’est pas sans conséquence sur les rapports de genre, les relations inter générationnelles, la place et les formes de la sexualité, et les conditions de constitution des couples. D’autre part, comme le souligne Abega [2007 : 172], « les cultures ethniques ne semblent pas constituer un élément permettant de différencier suffisamment les comportements sexuels ».
Après avoir présenté la problématique et la méthodologie de l’enquête anthropologique sur laquelle s’appuie cette analyse, nous proposerons une discussion sur la notion de sexualité transactionnelle en déconstruisant les discours et pratiques observées. Nous examinerons tout d’abord comment la sexualité transactionnelle s’inscrit dans une histoire sociale et un contexte culturel particulier, et comment progressivement un glissement s’est opéré de la compensation dans le mariage à une exigence généralisée quant à une compensation pré et hors mariage. Nous nous attacherons ensuite à rendre compte des justifications que les jeunes filles ou jeunes femmes, ainsi que leurs familles ou leurs partenaires, mobilisent afin de récuser tout procès en prostitution. Enfin, nous verrons que les changements socioéconomiques à l’œuvre mettent à l’épreuve les schémas classiques des relations de genre dans la société camerounaise.

Choix de la population et méthodologie

3La recherche anthropologique dont nous présentons ici quelques résultats avait pour objet central le rapport des jeunes Camerounais face au VIH/Sida et en particulier face aux « logiques de protection ». Cette enquête a été réalisée entre 2004 et 2006 à Douala, la capitale économique du Cameroun. Cette ville portuaire et universitaire exerce un réel attrait sur les jeunes de toutes les composantes ethniques grâce à son cosmopolitisme et son dynamisme. Délaissant villages et zones périurbaines, les jeunes en quête d’une vie meilleure cherchent à s’insérer dans ce tissu urbain, symbole de modernité et d’opportunités quant à la poursuite des études et à l’obtention d’un emploi. Si le milieu urbain a été privilégié dans l’enquête c’est pour la pluralité des situations qu’il rend possible, en raison d’un moindre contrôle social, d’une confrontation plus avancée avec l’Occident et d’une diversité sociale accrue. Ce choix ne préjuge pas de l’existence d’une culture urbaine de la sexualité. Au delà des stéréotypes véhiculés dans les discours de sens commun relatifs à une plus ou moins grande permissivité de la sexualité selon les groupes ethniques, la sexualité transactionnelle transcende les différents groupes sociaux en raison des relations sociales et des rapports de genre qu’elle implique. La différence entre milieu urbain et rural tient plus à une spécificité en termes d’opportunités et de liberté d’action, qu’à une explication en termes culturalistes.

4Afin de comprendre comment les jeunes construisent l’idée de protection et de risque face au VIH/Sida, d’identifier leurs pratiques, leurs rapports face aux moyens de protection, il s’agissait d’approfondir l’analyse des éléments susceptibles d’intervenir dans ce processus dynamique et interactionnel : la place de la sexualité, la sexualité transactionnelle, le sentiment amoureux, le degré d’implication dans la relation avec le partenaire du moment, la construction ou non d’un projet de vie, le rapport à la maladie, le rapport à la fidélité/infidélité, la pratique du test du VIH/Sida, les représentations que chaque sexe a de l’autre et leurs marges de manœuvre respectives.
Au total, 56 entretiens individuels et 31 focus groups ont été conduits avec des jeunes afin d’identifier les mécanismes complexes qui structurent et organisent leurs pratiques de sexualité transactionnelle. Les focus groups commençaient par une question centrale, « qu’est-ce que le sida représente pour vous ? » à partir de laquelle le débat prenait tournure. Les enquêteurs prenaient néanmoins garde de couvrir les différents thèmes du guide de discussion précédemment évoqués. Les personnes interrogées lors des entretiens individuels ont été recrutées parmi les participants aux focus groups. L’échantillon était constitué de 58 % de filles et 42 % de garçons. Sur le plan scolaire, les niveaux se répartissent ainsi : primaire (16 %), secondaire (77 %), supérieur (7 %). Pour ce qui est de la profession, ils sont élèves ou étudiants (54 %), sans emploi (13,9 %), exercent déjà un emploi (25,5 %) ou sont en situation d’apprentissage (6,6 %). Ils appartiennent à différents milieux socioéconomiques et ont été recrutés dans différentes aires de résidence à Douala. Les discussions ont été menées en français, en anglais et en pidgin par des enquêteurs des deux sexes. Pour compléter le dispositif d’enquête, des observations ont été réalisées de manière informelle dans des espaces privilégiés d’échanges comme les transports en commun, la rue, les gradins des stades de football et les marchés.

La sexualité transactionnelle : marchandisation, compensation, négociation

5Il y a sexualité transactionnelle lorsqu’il y a échange d’argent, de cadeaux, de biens ou de services contre des rapports sexuels. Cette première définition conduit à associer cette marchandisation des corps à de la prostitution, puisque adolescentes et jeunes femmes attendent en échange de leurs corps un gain sous une forme quelconque. La notion de sexualité transactionnelle a été construite afin de distinguer une sexualité monnayée dans le cadre d’une relation plus ou moins établie et durable, et non dénuée d’affects, de relations sexuelles se déroulant dans le cadre de la prostitution. Vue de l’extérieur, l’exigence d’argent, de cadeaux et d’avantages matériels contre des faveurs sexuelles fait penser à un commerce sexuel. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes. Ce type de relations s’éloigne de la prostitution à plusieurs égards. La contrepartie n’est pas exclusivement financière. L’aspect immédiat de la compensation considérée dans le cadre du commerce sexuel n’est pas observé ici. En outre, le caractère direct, codifié et bref de la relation qu’une travailleuse du sexe entretient avec son client diffère avec la relation relativement plus longue et un peu plus policée de la jeune fille avec son « sponsor ». Les circonstances même et les lieux de rencontre sont différents.
Cette pratique de la compensation est vécue et interprétée différemment par les acteurs. Comme nous allons le voir, les femmes justifient la compensation matérielle ou financière par le fait qu’elle est considérée comme étant un « cadeau » et une « preuve de l’amour ». Du côté des hommes, il est de notoriété publique que lorsqu’un garçon offre un cadeau à une fille avec laquelle il n’a aucune relation de parenté, son geste s’interprète comme une demande de relation sexuelle. Hommes et femmes, à travers de nouvelles justifications, intègrent la surenchère de la compensation systématique liée à une offre sexuelle. Si elles disent à mots couverts le statut de personne vénale ou intéressée qui leur est assigné, les filles le justifient parfois par l’offre quasi-systématique des garçons qui les conditionnent à n’accepter les relations sexuelles que dans le cadre d’une contrepartie matérielle.

Le contexte normatif d’origine : la compensation dans le mariage

6La sexualité prémaritale a fait l’objet de nombreux travaux, mettant en lumière les principales dimensions qui la constituent : les rapports de genre [Bozon et Hertrich, 2004 ; Bonjawo, 2004 et 2007], les types de relations et de partenaires [Longfield, 2004 ; Meekers et Calvès, 1997], les relations intergénérationnelles [Kuate Defo, 2004 ; Meekers et Calvès, 1997], la protection contre le VIH/sida [Meekers et al., 2001 ; Njikam Savage, 2005 ; Rwenge, 2000 ; Tchetgnia, 2005 et 2007 ] et les relations transactionnelles [Poulin, 2007]. Pour Michelle Poulin [2007 : 2383], la sexualité transactionnelle est celle dans laquelle les femmes et les filles s’engagent pour un gain matériel. Avant d’examiner les formes de sexualité transactionnelle observables au Cameroun, revenons brièvement sur le contexte normatif de référence.

7Traditionnellement, les filles doivent arriver vierges au mariage. Les garçons ne sont pas soumis à la même obligation de chasteté prémaritale, puisqu’au contraire une inactivité sexuelle inquiéterait la société qui y verrait un signe probable d’impuissance sexuelle. Exception faite de l’ethnie Beti où la situation de fille-mère est appréciée (parce qu’elle constitue la preuve de la fécondabilité de la jeune fille) [Njikam Savage, 1990], et des communautés Mbororo et/ou Peul, les grossesses prémaritales sont habituellement vécues comme une cause de déshonneur familial et elles réduisent en général la valeur de la fille sur le marché matrimonial. Les prescriptions coutumières quant à la chasteté prémaritale étaient très opérantes dans une société où l’âge au mariage était précoce et où le contrôle social était fort. En général, les jeunes filles étaient mariées avant l’apparition de leurs premières menstrues et avant 18 ans dans l’ensemble des ethnies. Selon l’Enquête démographique et de santé (EDS) de 1991, 28,1 % des femmes âgées de 25-49 ans au moment de l’enquête étaient déjà mariées en atteignant l’âge de 15 ans, et 65,2 % l’étaient en atteignant 18 ans [EDS, 1991 : 71]. L’âge médian à la première union était de 16 ans pour les femmes de 45-49 ans, mais il a reculé pour les générations les plus jeunes, puisqu’il était de 17,3 ans pour les générations 20-24 ans au moment de cette enquête. Entre les EDS de 1998 et 2004, l’âge à la première union est resté sensiblement le même : 17,4 contre 17,6 ans [EDS, 2004 : 111]. Le recul de l’âge au mariage s’explique par la scolarisation prolongée, l’urbanisation, l’exode rural et la crise économique. Parallèlement, les prescriptions coutumières ont perdu de leur poids, même si les institutions religieuses les ont relayées en condamnant les relations sexuelles avant le mariage et en exigeant des filles virginité et fidélité.
Dans le cadre du mariage, la compensation doit symboliquement effacer l’inégale satisfaction sexuelle que retirent les conjoints de leurs relations. Elle concrétise et renforce en fait l’inégalité de statut entre les partenaires puisqu’elle fait du corps de la femme un objet d’échange. La compensation est alors présentée d’une part comme la preuve que le partenaire masculin assume pleinement son rôle de chef de famille en subvenant aux besoins de son épouse, et d’autre part, comme la marque de son attachement à sa femme. De manière coutumière, le sens et l’ordre de grandeur de la compensation sont définis par le groupe : verser et recevoir la compensation entrent dans les obligations réciproques des hommes et des femmes. Elle rétablit alors un déséquilibre dans les relations interpersonnelles entre deux individus appartenant à deux groupes impliqués dans un rapport hiérarchique et de domination.

La contrepartie dans les relations sexuelles hors mariage

8La ritualisation de la compensation s’inscrit également dans les relations extra conjugales. Une femme qui entretiendrait des relations sexuelles avec un homme sans recevoir aucune contrepartie matérielle ou financière serait perçue comme « une moins que rien ». Selon certaines études ethnologiques, les relations sexuelles transactionnelles ne sont pas forcément liées à une nécessité matérielle immédiate ; elles seraient vécues et perçues comme une marque du respect de la femme par les deux partenaires [Nyanzi et al., 2001 ; Silberschmidt et Rasch, 2001 ; Wight et al., 2006 ; Poulin, 2007 ; Abega, 2007]. Par conséquent aucune relation sexuelle durable n’a lieu sans qu’il y ait transfert d’argent, offre de cadeaux ou de services. Pour reprendre les discours des femmes, la femme a « besoin d’avoir des preuves d’amour » lorsqu’elle entretient une relation avec un homme.

9Celles-ci sont d’autant plus estimées qu’elles sont matérielles et financières. Ainsi, lorsqu’une fille déclare à ses amis ou à sa famille qu’un homme l’aime, ils lui demandent généralement quelles sont « les preuves de cet amour », lesquelles ne peuvent être que très concrètes.

De la justification : du cadeau symbolique à une âpre négociation

10La compensation [5] était autrefois composée de produits alimentaires, d’argent, de produits de beauté. Ces cadeaux restaient dans l’ordre du raisonnable, même si cette notion est relative, dans la mesure où la compensation gardait un caractère symbolique et où elle était normée et régulée socialement. Elle est progressivement devenue un enjeu central des relations de genre, relations qui se superposent et s’imbriquent aux relations intergénérationnelles et sociales, et un objet de négociation d’autant plus fort qu’il est porteur des aspirations statutaires de chacun des sexes.

Une compensation revendiquée comme « juste »

11Des entretiens conduits auprès des jeunes, ressort l’idée communément admise qu’au cours de l’échange sexuel, la fille donne (son corps) et l’homme reçoit (le plaisir). Cette croyance s’inscrit dans le prolongement de l’explication de la compensation par les aînés. Ce modèle de comportement se rencontre aussi bien chez les Maka que chez les Bulu, les Beti ou chez les Douala [Abega, 2007]. La ritualisation du modèle en traduit la force : la femme qui se donne doit absolument recevoir de son partenaire un bien matériel de peur d’apparaître comme une victime naïve livrée à l’exploitation de ses partenaires sexuels. Les femmes affirment que la compensation est « juste », et elles la perçoivent comme étant légitime car elle marque de manière ostentatoire le respect de l’homme et elle répare le fait que celui-ci a « profité de son corps », « l’a utilisé », « l’a usé » et « a sucé sa jeunesse ». Ces expressions – fréquemment héritées de leurs aînées – traduisent un profond sentiment d’infériorité et de domination, mais passent sciemment sous silence le fait qu’elles aient donné leur accord à cette relation sexuelle. L’analyse des discours des jeunes filles met en exergue les opinions structurant les relations de genre : à savoir, l’asymétrie des pouvoirs dans la négociation préalable à l’acte sexuel et l’exigence que toute relation sociale soit marquée par l’échange. L’échange implique quant à lui le respect et l’honorabilité que ce soit dans le mariage ou en dehors.

Compensation ou prostitution ?

12Si les jeunes filles se défendent de se prostituer, les familles et la société n’assimilent pas non plus la sexualité transactionnelle à la prostitution. Ces institutions se défendent ainsi d’utiliser leurs propres enfants et d’être assimilées à un groupe social jugé inférieur grâce à un mécanisme de défense collectif. Les retombées économiques de ces pratiques bénéficient directement à la famille de la jeune femme, qui incite parfois cette dernière à avoir certaines exigences avec ses partenaires. La fille doit effectuer une redistribution et tenir compte des pressions exercées sur elle par ses parents pour qu’elle se marie.

13L’argument mobilisé et décisif aux yeux de ces jeunes femmes pour se défendre de l’accusation de prostitution et d’être déclassées socialement est « l’amour » et « l’affection » que leur porterait leur partenaire. Par exemple, Clarisse, 22 ans, étudiante qui possède un petit ami « titulaire[6] » et une « roue de secours[7] », affirme : « D’un côté, le fait de demander de l’argent, je me dis, je passe pour une pute. Mais d’un autre côté, je ne peux pas m’en passer. Mais d’autre part, c’est la seule façon à l’homme de me prouver son amour. C’est une sorte de sélection. Celui qui n’est pas capable de te rendre heureuse ne peut pas bénéficier de tes faveurs sexuelles ». La signification des notions « d’amour » et de « preuve d’amour » demanderait à être travaillée en profondeur au regard de ce contexte socioculturel spécifique, comme des historiens et des sociologues l’ont fait à propos de la société occidentale [Badinter 2001 ; de Rougemont, 1971 et 2000 ; Duby, 1991 ; Rebreyend, 2006]. Ils ont montré que l’amour, comme d’autres sentiments, était l’expression d’une époque, d’un milieu et qu’à ce titre il était une construction socioculturelle et historique. De même, dater l’émergence de l’expression de l’amour dans la sphère publique et privée au Cameroun apporterait un éclairage nécessaire à la compréhension de l’évolution des mœurs et des mentalités. Les jeunes générations du fait des migrations internationales, de l’élévation du niveau d’éducation, de la mondialisation, subissent de multiples influences. L’amour invoqué par ces jeunes filles se rapproche d’une version romantique empruntée à l’Occident qui impliquerait une solidarité sans faille, un désintéressement total et une compréhension absolue entre partenaires.

14À l’argumentaire romantique de l’amour se superpose celui visant à accréditer l’idée que la fidélité des femmes dépend de la capacité des hommes à être généreux. Comme l’explique Ginette [19 ans, niveau d’études secondaire, coiffeuse] : « Cet argent que tu [l’homme] lui donnes doit faire que la partenaire ne s’intéresse plus aux autres. C’est l’esprit de la polygamie qui a déjà été intégré. Lorsqu’un homme casque pour toi, il te donne tout, tu n’as plus besoin d’aller voir ailleurs. L’argent est important pour plusieurs choses. D’abord pour se faire belle aussi. La beauté a un prix. La femme se fait belle pour elle d’abord et pour les hommes aussi. Si je me fais belle, c’est mon partenaire qui doit payer le prix en offrant. Pour le rendez-vous par exemple, il faut qu’il me paye les vêtements, la coiffure. Il ne faut pas que le chaud soit un chichard. S’il est chiche, il doit dégager… ». Donner c’est attacher l’autre à soi, c’est être en position légitime de revendiquer un don qui appellera un contre-don.
Les jeunes femmes interrogées considèrent que les avantages matériels et financiers que leur procurent leurs partenaires constituent également un juste retour de leur contribution au bonheur et à l’orgueil masculin. Les femmes se font belles et désirables afin de valoriser les hommes, donnant à ceux-ci le sentiment d’exister socialement. Comme le relève Clarisse, « lorsqu’une fille demande de l’argent, des bijoux, un logement, c’est aussi pour elle une façon d’amener l’homme auprès de qui elle fait cette demande de la considérer. Tu la considères, signifies que tu n’es pas venu pour l’utiliser pour rien. Tu la valorises dans le cas où elle est deuxième bureau (roue de secours), elle augmente les enchères. Elle sait que de toute façon elle n’aura pas les privilèges que tu réserves à ta femme. Donc elle exige plus, parce qu’elle se dit que c’est grâce à elle que ton ménage marche bien. Que c’est elle qui t’apaise, que lorsque tu as des soucis, tu viens la voir et elle te rassure, elle contribue à ton bonheur ». De son côté Flore [21 ans, niveau d’étude secondaire, mère d’une petite fille de 3 ans, commerçante] renchérit : « De l’argent pour quoi faire ? Pour acheter un logement, un terrain à construire, pour aider ma famille. L’homme se sent valorisé en s’occupant d’une femme. La femme lui donne de la valeur. L’homme ne peut s’exprimer qu’à travers deux valeurs : le sexe et l’argent ». Ces femmes renversent ainsi la logique sociale selon laquelle la femme doit son statut aux hommes tout au long de son cycle de vie (à son père, ses partenaires, son époux, ses fils). Contrairement à ce que les hommes se plaisent à penser, ils ne peuvent être et paraître que si des femmes les accompagnent et les valorisent. Ce renversement de perspectives s’inscrit dans une ancienne justification de l’infériorité sociale et politique des femmes, selon laquelle elles disposeraient d’un réel pouvoir dans l’ombre. Cette tentative des femmes de revaloriser leur statut a pour faiblesse qu’elles ne donnent à leur existence aucune autonomie, elles n’existent qu’en tant que faire-valoir masculin. On assisterait donc à un échange de biens et d’avantages matériels contre des objets de nature plus complexe, plus abstraite, plus relative et donc plus difficiles à estimer, comme le bonheur, la satisfaction sexuelle, le réconfort, l’apaisement, la valorisation. Alors que les femmes mettraient dans la négociation ces biens inestimables, les hommes se contenteraient d’apporter des objets plus aisés à comptabiliser, donc de moindre valeur. Les exigences des jeunes femmes ne seraient donc pas si démesurées puisqu’elles offriraient des biens rares, que de surcroît les hommes acceptent de payer. C’est donc comme l’affirme une publicité « qu’elles le valent bien ».

Besoins vitaux ou « gourmandises » ? Sexualité dans un contexte de pauvreté

15Le lien entre sexualité transactionnelle et pauvreté pose la question de la mesure et de la perception de la pauvreté. En effet, il est difficile de juger, faute de données adaptées où s’achève une transaction afin d’assurer des besoins primaires et où commence la négociation de cadeaux liés au désir d’être à la mode ou d’améliorer son confort sans qu’il soit question de survie. Les notions de besoin, de confort, de nécessité et de superflu varient selon les individus, le contexte de vie ; elles sont modelées par l’éducation, l’influence des pairs, des médias, en particulier dans la jeunesse. Le surplus d’argent que les filles demandent leur permettrait de pouvoir venir en aide à leur famille, tout en ayant la possibilité de faire des projets et d’être à l’abri du besoin. Parmi les filles interrogées, toutes ne sont pas issues de familles démunies, mais toutes expriment de façon naturelle et spontanée le fait qu’elles aient besoin du concours des hommes pour réaliser leurs désirs. Le fait que des jeunes femmes issues de familles aisées recherchent des « sponsors » tout comme les « Jeunes Cadres Dynamiques » en milieu urbain [8], de belles jeunes filles qu’ils choisissent dans des espaces de sociabilité particuliers comme des « circuits » et des restaurants huppés, montre que la sexualité transactionnelle n’est pas uniquement liée au développement de la pauvreté. Mais de manière générale la société camerounaise distingue clairement dans les discours deux catégories de filles : celles qui sont effectivement dans une situation de précarité et celles qui sont gourmandes. La société dit de ces dernières qu’elles ont « les longs yeux » ou « le gros cœur ».

Des jeunes femmes soutiens de famille : les « battantes »

16Toutes les jeunes femmes rencontrées ne se livrent pas à la sexualité transactionnelle. Certaines disent vouloir s’en sortir toutes seules sans le soutien ou la contribution des hommes, soit par « principe » soit par conviction religieuse. C’est le cas de Nadège [23 ans, étudiante] qui fonde son refus de la sexualité transactionnelle sur les principes religieux qui interdisent toute relation sexuelle avant le mariage. Dans un contexte où la transaction est assez répandue, il paraît difficile de distinguer une offre (bière, repas, cadeau) qui relève de la sexualité transactionnelle et celle qui est totalement désintéressée. Traditionnellement, les jeunes femmes sans emploi, qui sont encore « la fille de ses parents » ou « de son père », sont prises en charge par ceux-ci, elles assurent alors leur contribution à l’économie du ménage par diverses activités domestiques et de petites activités économiques dans le secteur informel. Face à la paupérisation, certaines filles socialement défavorisées s’orientent vers la sexualité transactionnelle afin d’obtenir des revenus significatifs qui leur permettent individuellement de vivre mieux et d’être solidaires vis-à-vis de leur famille. C’est ainsi qu’elles participent au revenu de leur ménage, parfois de manière significative en réglant diverses factures (loyer, téléphone, eau et électricité), en assurant les rations alimentaires journalières et en réglant les frais de santé et de scolarité. Ces jeunes filles, soutien vital à la survie de la famille sont communément appelées « des battantes ». L’apport de certaines d’entre elles dépasse le cadre classique de l’aide alimentaire, puisqu’elles vont jusqu’à offrir à leurs parents voitures, fonds de commerce, terrains et maisons [Bonjawo, 2004, 2007]. Même si ces formes d’aide restent marginales, elles sont cependant révélatrices de l’évolution du rôle des femmes et de la diversité des situations socio-économiques de celles-ci.

17Si la précarité peut justifier leurs recours à la sexualité transactionnelle, leurs largesses vis-à-vis de leurs familles dépassent parfois la simple question de la survie ou des besoins primaires. Ces « apports » multiformes à la famille permettent la satisfaction de certaines envies face à la pression médiatique consumériste. Si certaines jeunes filles ont un emploi convenable, elles sont néanmoins dans leur ensemble exposées au soupçon qui pèse sur la provenance de l’argent et des biens dont elles disposent ce qui traduit bien l’importance sociale du rôle de la sexualité transactionnelle dans les modes d’être et de vivre des individus et des familles. Qu’on ait un comportement moral ou non, il semble évident à tous, quels que soient le sexe et la génération d’appartenance, qu’une femme qui dispose de quelques moyens les doit en totalité ou partie à sa capacité à négocier ses charmes.

La pression de l’entourage familiale : l’instrumentalisation des filles

18Les jeunes femmes interrogées affirment vouloir toujours plus d’aide et de soutien matériel de la part des hommes parce que, outre leurs besoins personnels, elles sont sollicitées par de nombreux parents à qui elles doivent venir en aide sous le couvert du principe de solidarité. Elles soulignent de surcroît, en se valorisant, que quand bien même elles ne seraient pas sollicitées par ces derniers, il leur est impossible de supporter l’état de dénuement de leurs proches. Il est difficile de distinguer dans leurs propos ce qui relève de la justification face à un tiers ou de l’intériorisation d’une pression familiale ou sociale. L’attitude intéressée des jeunes filles n’est pas seule en cause parce que certains parents n’hésitent pas à exercer sur ces dernières des pressions afin qu’elles participent de manière significative aux dépenses de la famille. Certains parents n’hésitent pas à donner en exemple des jeunes filles qui ont réussi à relever leur famille par le biais de la sexualité transactionnelle, incitant leurs propres enfants à faire de même. Selon un autre effet de mode, des parents encouragent vivement leurs filles à rechercher un partenaire européen sur le net afin d’améliorer la situation de la famille. Cette attitude légitime socialement la pratique de la sexualité transactionnelle, puisque celle-ci apparaît alors comme une demande explicite des aînés et comme une pratique allant dans le sens d’une solidarité intergénérationnelle. On assiste donc à un double renversement des rôles : en premier lieu les jeunes assurent le bien-être des parents alors que ceux-ci sont encore en situation de travailler et de produire, et en deuxième lieu ce sont les filles qui subviennent aux besoins de la famille contrairement aux prescriptions traditionnelles. On peut aussi proposer une autre interprétation : contrairement à l’idée d’un renversement avancée précédemment, l’utilisation de la sexualité transactionnelle s’inscrit dans l’instrumentalisation des filles via l’utilisation de leur corps et de leur sexe, passant seulement du cadre du mariage à celui des unions informelles.

Les filles aux « longs yeux »

19Contrairement aux « battantes », les filles aux « longs yeux » sont considérées comme exigeant des compensations élevées de la part de leurs partenaires. L’appât du gain ou l’intérêt se manifeste chez elles par la recherche d’un homme pouvant les entretenir. Ce dernier sera désigné sous diverses appellations : « sponsor », « cou plié »[9], « gibier », « mugu »[10], « mbout »[11] « coca cola », « blanc », « sugar daddy »[12]. Plus la femme pense que son partenaire dispose de moyens financiers, plus l’attente en terme de cadeaux sera élevée, et plus elle le sollicitera. Des jeunes hommes ont souligné dans les entretiens qu’ils se retrouvaient désormais dans l’impossibilité matérielle de répondre au niveau d’exigences des filles qu’ils courtisent.

20C’est le cas d’Yvan [18 ans, élève en classe de seconde] : « Les filles ne sont pas sérieuses. Elles sont très matérialistes. Lorsqu’une fille vient vers toi, c’est toujours parce qu’elle cherche à te couper[13]. Une fille m’a « wanda »[14] un jour. Elle m’a demandé de lui donner de l’argent pour acheter son huile de beauté. Lorsque je lui ai demandé combien coûtait son huile, elle m’a dit 15000[15] francs. Je lui ai dit que même ma mère ne met pas l’huile de 15000. Je l’ai laissée tomber. Une fille qui commence par 15000 francs, après elle va te demander une voiture et après un avion. En lui donnant même ces 15000 francs, tu n’es pas sûr qu’elle soit fidèle. Je me suis dit qu’une fille comme ça, ça ne vaut pas la peine, elle ne doit me causer que des ennuis après. Ce n’est pas bien d’avoir les longs yeux comme ça ».
De plus, outre une quête de sécurité immédiate, les filles cherchent à assurer leur avenir à plus long terme. Elles ont l’espoir de se faire épouser ou entretenir lorsqu’elles sont enceintes. Certaines cherchent ainsi à duper leur partenaire, en lui faisant « un enfant dans le dos », en utilisant par exemple des préservatifs percés. Elles pensent que si elles ont un enfant avec un homme ayant une bonne situation sociale, elle et l’enfant seront mieux entretenus, ou que celui-ci pourrait ressembler à son géniteur sur certains points (beauté, intelligence, force, tempérament). L’attitude consistant à rechercher un « cou plié » dont on profite, si elle s’est largement diffusée, est cependant diversement accueillie au sein des familles. L’effet de mode a un pouvoir de prescription considérable. Les jeunes femmes ont envie d’être bien habillées, couvertes de bijoux, de bénéficier d’avantages multiformes, elles veulent être « épanouie » et « rouler dans la merco d’un kapo »[16] ou dans la « bagnole offerte par un kapo ». La culture des pairs joue alors un rôle prépondérant dans la quête de conformité et se heurte aux principes moraux de certaines familles. À l’intérieur de ces familles, toute nouvelle acquisition des jeunes filles est examinée et elles doivent justifier l’origine du port d’une nouvelle paire de chaussures ou d’un vêtement neuf.

Pouvoir et inversion des rôles

La rupture de l’échange

21Alors que la sexualité transactionnelle est une pratique répandue dans les différents groupes sociaux, qu’elle transcende la diversité ethnique, qu’elle implique les détenteurs du pouvoir économique et politique, la pression politique stigmatise à travers les médias ce comportement en le présentant comme l’exploitation des jeunes filles par les hommes en général et les plus âgés en particulier. Le phénomène de la sexualité transactionnelle a fait l’objet de plusieurs chansons, téléfilms et pièces de théâtres au Cameroun [17]. La pièce de Jean Miché Kankan intitulée La fille du bar[18] est célèbre dans toute l’Afrique francophone. Des messages de sensibilisation émanant de différents ministères et d’associations de lutte contre le sida mettent en garde les jeunes femmes vis-à-vis de leur attitude provocante envers les hommes, des risques de contamination par le VIH/Sida et d’exploitation par les hommes. Mais plus que la sexualité transactionnelle, la société condamne les filles qui profitent d’un homme sans rien offrir en contrepartie ou sans respecter les termes implicites de la négociation. Les filles assimilées à cette catégorie sont communément appelées « filles escrocs », « escrocs ngas », « ciseaux ». Elles sont dénommées « ciseaux » parce qu’elles « coupent les poches[19] » des hommes qui tombent dans leur tchouki[20]. Elles ont pour objectif de « bien manger le monsieur », « bien le bouffer ».

22Certains hommes entretiennent par exemple des jeunes femmes dans l’espoir de les épouser plus tard. La jeune fille qui au départ avait besoin des finances masculines se retrouve, une fois l’ascension sociale réalisée, dans une situation où son « sponsor » ne correspond plus à ses attentes présentes. Elle veut alors se passer de lui afin de vivre avec quelqu’un qui corresponde à son idéal. Le fait que cette situation de l’escroquerie soit reprise dans le clip de la chanson « Déception » du groupe Le quatro du rire[21], traduit bien l’importance de cette question dans la société camerounaise. Il est question d’un jeune homme qui prend en charge la formation d’une jeune fille dénommée Lucie. Celui-ci lui achète aussi un téléphone portable, une voiture, et subvient à tous ses besoins financiers dans l’espoir qu’elle devienne sa femme. Le clip commence par une réunion de famille au milieu de la cour. Le chef de famille appelle Lucie et lui demande d’accepter la proposition du jeune homme. C’est alors qu’elle se dérobe arguant que recevoir des cadeaux n’engage à rien.

23En refusant le mariage et en choisissant d’interrompre la relation et de sortir du rapport de dépendance, elle revient sur les termes de la négociation et inverse le rapport de domination. Dire qu’il y ait eu négociation autour des échanges dans le couple, ne signifie pas que toutes les conditions et les arrière-pensées de chacun aient été explicitées entre les deux partenaires, que tout soit interprété de manière identique. Les jeunes femmes peuvent penser que puisque les hommes ne s’engagent pas assez, elles ne rompent pas réellement le contrat passé tacitement. En revanche, les hommes de leur côté, considèrent que les filles sont leurs débitrices puisqu’ils payent, selon l’expression popularisée par Jean Miché Kankan dans son sketch : « c’est moi qui paye ». Cette situation révèle que les filles peuvent être piégées ou être parfois prises à leur propre jeu, elles n’ont alors d’autre choix que l’esquive. Cette dérobade est une solution risquée et il arrive que leur entourage les avertisse que « ça va leur caler au cou »[22]. C’est ce qui arrive généralement lorsqu’elles rencontrent des hommes déterminés à récupérer ce qu’ils ont engagé comme dépenses, lesquelles représentent à leurs yeux un investissement [23].
C’est le non respect de la transaction qui est condamné, le non respect du principe de l’échange et implicitement peut-être le fait que ce soit la femme qui cesse de jouer les règles du jeu sociétal si l’on se réfère au discours masculin. La femme doit se sentir redevable lorsque son partenaire résout ses problèmes, même s’il y a négociation, celle-ci se fait dans un rapport de domination (économique, social, culturel). Si elle ne se montre pas soumise, c’est l’homme qui lui rappelle son « ingratitude ». Thérèse [21 ans, niveau d’instruction primaire, sans profession] faisait sans cesse référence à son cas pour justifier des comportements de jeunes filles qui sont financièrement dépendantes de leur copain. Elle évoquait notamment le « chantage » de son partenaire lorsqu’elle a abordé avec lui la question de l’utilisation du préservatif. Thérèse qui est au courant des infidélités de son copain s’inquiète des risques de contracter le VIH. Lorsqu’elle lui propose d’utiliser le préservatif dans ses relations avec les « roues de secours », il revient immédiatement et très clairement à l’expression des rapports de pouvoir : « Tu veux déjà me commander ? Tu veux déjà me donner des commandements ? C’est moi qui te fais tout (je résous tes problèmes) et tu veux me commander ? ». Comme le souligne Chouala, « L’homme, la plupart du temps, procède à une comptabilisation des choses que la femme reçoit de lui en termes de gages sexuels. La raison comptable est une raison instrumentale qui insère la personne de la femme, mieux le corps de la femme dans la sphère d’une marchandise » [2002 : 9-10].

Renversement des rôles : les garçons entretenus

24Bien que le multipartenariat ne soit pas aussi étendu que ne le laisse penser les représentations, il constitue une part objective [24] de la réalité. Réalité complexe puisqu’une fille peut être fidèle et avoir un copain multipartenaire, et inversement un jeune homme fidèle (un « titulaire ») peut avoir une partenaire engagée dans plusieurs relations. Ce deuxième cas de figure est moins souvent évoqué alors qu’il s’inscrit dans les stratégies de survie des unions face à la paupérisation et qu’il traduit une évolution, voire un renversement, des mœurs. Des aménagements quant à la fidélité de la jeune femme sont faits soit d’un commun accord, soit ils sont acceptés par les jeunes hommes (contraints de s’en accommoder) qui passent sous silence les manœuvres de leur amie étant dans l’incapacité d’assumer les besoins. Ces « titulaires » sont entretenus par les femmes qui les gardent par amour et parce qu’ils les combleraient sexuellement. En règle générale, lorsqu’une jeune femme entretient une liaison avec deux partenaires en même temps dont l’un est plus âgé, la préférence affective est habituellement accordée au plus jeune des partenaires [Longfield, 2004 : 492 ; Kuate-Defo, 2004 ; Njikam Savage, 2005 ; Abega, 2007]. Cette justification d’ordre sexuel révèle une inversion des rôles : la gratification sexuelle n’est plus ici le seul apanage de l’homme. Se dégage alors l’idée que c’est celui qui a le pouvoir monétaire qui a aussi le pouvoir sexuel. On ne passe donc pas d’une relation inégalitaire à une relation plus égalitaire, mais à un renversement de l’inégalité. Les femmes ne sollicitent plus financièrement leurs partenaires amoureux mais les entretiennent. C’est alors au tour des hommes dévalorisés par leur incapacité à assumer leur rôle social de justifier le fait d’être entretenu et dépendant comme « une preuve d’amour » à l’égard de leur partenaire.

25Le recours au registre amoureux est fait par les hommes et les femmes quand ils se trouvent dans une situation de faiblesse ou d’infériorité, dans une situation qui ne devrait pas exister si l’ordre social ancien était respecté. Ils mobilisent alors publiquement l’amour alors qu’autrefois les sentiments n’étaient pas exprimés et valorisés dans l’espace social et dans l’intimité. Les rapports entre conjoints sont marqués par une grande pudeur, chacun retenant un geste ou une parole impliquant la primauté de leur relation personnelle sur les autres relations sociales. Exprimer ainsi publiquement un sentiment et le mettre en avant pour se justifier aux yeux de son entourage constitue donc une rupture avec le modèle précédent. Cependant, afin d’atténuer la sentimentalité dérangeante et débordante de cette affaire, chacun insiste sur l’aspect matériel puisqu’il s’agit « d’une preuve », et se réfère implicitement à la logique traditionnelle dans laquelle l’alliance était symbolisée aux yeux de tous par le versement d’une dot. En fait, plus qu’une rupture, il s’agit d’un glissement (de la dot à la preuve d’amour) et d’un renversement : c’est la femme qui verse le montant de la preuve et non plus l’homme. De plus, on passe d’un échange entre deux lignées ou deux familles, à un échange entre deux individus. D’autre part, s’ajoute à la preuve d’amour, un autre type de justification qui cette fois-ci intègre le couple comme unité de référence : si un jeune homme a une partenaire, qui dispose elle-même d’une « roue de secours » qui la comble matériellement, l’homme titulaire justifie l’infidélité de sa partenaire par le fait qu’elle agit de la sorte pour leur « bien commun ».

Conclusion : morale publique, pouvoir et sexualité transactionnelle

26Dans une société camerounaise en mutation, on est passé progressivement d’une chasteté prémaritale chez les filles à une sexualité prémaritale s’instaurant comme un mode assez largement partagé. L’exposition des jeunes à cette sexualité prémaritale dans une société où l’âge au mariage est de plus en plus repoussé, a conduit à renégocier le sens, la nature et la pratique de la compensation. Si la compensation était symbolique, non négociée dans le cadre du mariage, parce que permettant à l’homme de s’assurer la fidélité de sa femme et de s’assurer ainsi qu’il est bien le géniteur des enfants, elle est progressivement redéfinie dans un contexte de mondialisation et de tension entre tradition et modernité. De nouvelles justifications sont désormais mobilisées par les individus (l’amour, le bonheur, le prestige de l’homme, l’attachement) afin de légitimer leurs pratiques et leurs attitudes vis-à-vis de leur(s) partenaire(s) et de leur entourage familial et amical. Ces pratiques et ces représentations conduisent à redéfinir la perception et le vécu de la fidélité, le caractère transactionnel de la sexualité, les relations hommes/femmes et les rôles assignés à chaque sexe. Fondamentalement elles interrogent également le lien entre pouvoir, argent et sexualité. Dans un contexte de pauvreté, la transaction peut aussi apparaître comme un mode de redistribution des hommes vers les femmes, des jeunes femmes vers leurs ménages et leur partenaire.

27Ces changements s’inscrivent également dans un contexte politico-religieux où certains hommes politiques, leaders religieux, patriarches, que l’on pourrait qualifier d’« entrepreneurs de morale », au sens défini par Howard Becker [1985] [25], dénoncent la sexualité transactionnelle, alors qu’eux-mêmes participent souvent à leur perpétuation. Les décalages entre injonction normative et comportement personnel brouillent et décrédibilisent les discours des « entrepreneurs de morale » aux yeux mêmes des personnes qu’ils cherchent à atteindre que ce soit dans l’espace public ou dans la sphère familiale. Étant généralement eux-mêmes dans l’incapacité à faire face aux problèmes financiers du quotidien auxquels ils sont confrontés, disposant de certains attributs du pouvoir du fait de leur statut, ils sont souvent complices des pratiques qu’ils dénoncent. Cependant, les dénonciations ou les anathèmes dépassent rarement le cadre des déclarations virulentes et des slogans formulés à grand renfort de publicité. Les pratiques conduisant les femmes à entretenir leur famille sont en particulier rejetées au nom de la morale par la gérontocratie, les autorités politiques, sanitaires, les leaders religieux et élites sociales parce qu’elles transgressent, voir renversent, les normes juridiques, sociales et religieuses quant aux rôles féminins et masculins. Si les autorités, relayées par les « entrepreneurs de morale », sensibilisent les populations aux « dangers » de la sexualité transactionnelle c’est que cette dernière est porteuse d’enjeux potentiellement conflictuels au sein des couples, des familles et de la société. Outre les questions de santé publique autour de la lutte contre les IST et le VIH/Sida et du contrôle de la sexualité, la sexualité transactionnelle bouscule les relations de pouvoir et de dépendance entre les hommes et les femmes, entre les générations et entre les classes sociales. La sexualité devient un moyen de mobilité dans une société qui cherche à perpétuer les valeurs traditionnelles de chasteté et de fidélité. Derrière la défense de ces valeurs morales, se cache un enjeu plus fondamental qui est celui du monopole ou de la confiscation du pouvoir des hommes dans la société camerounaise.

Notes

  • [*]
    Maître de conférences en démographie, UMR CEPED – Université Paris Descartes-INED-IRD, veronique.petit@ceped.org
  • [**]
    Doctorant en sociologie, UMR CEPED – Université Paris Descartes-INED-IRD, lucas.tchetgnia@paris5.sorbonne.fr
  • [1]
    Selon Guengant, pour la période 2000-2005, l’Afrique centrale dans laquelle est inclus le Cameroun se caractérise par un taux brut de mortalité de 18 ‰, un taux brut de natalité de 46° ‰, un indice synthétique de 6,2 enfants par femme. L’espérance de vie à la naissance n’y est que de 46 ans. Par contre le taux d’accroissement annuel est de 2,8 % ce qui induit un doublement de la population dans les 35 ans à venir.
  • [2]
    Source : INS, 2006, p. 35.
  • [3]
    Langue créée sur le vocabulaire et certaines structures de l’anglais et des langues nationales du Cameroun.
  • [4]
    La prévalence moyenne du sida augmente avec l’âge en particulier chez les femmes : de 1,6 % chez les femmes de 15-17 ans, elle passe à 5,7 % chez celles de 20-22 ans et à 11,8 % chez celles de 23-24 ans. Chez les hommes, moins de 1 % des hommes de 15-19 ans sont séropositifs, contre 2,5 % à 20-24 ans [EDS, 2004 : 313].
  • [5]
    Il ne s’agit pas ici de « compensation matrimoniale » ou de « dot » qui désignent les biens que le fiancé donne à sa future belle famille [Podlewski, 1984 :65], mais des biens que l’homme donne directement à sa femme.
  • [6]
    Partenaire principal de la jeune fille ou du jeune homme.
  • [7]
    Partenaire sexuel qui s’ajoute au partenaire principal.
  • [8]
    Phénomène dit des JCD, cf. Eboko, 2007.
  • [9]
    Homme d’un certain âge qui a de l’embonpoint et dont le cou regorge des plis. L’embonpoint est généralement perçu ici comme un signe de santé et de bien-être matériel.
  • [10]
    Pigeon qu’on plume.
  • [11]
    Personne naïve, bête dont on peut profiter de la naïveté.
  • [12]
    Ces hommes sont appelés sugar daddy parce que, sur le plan biologique d’une part, ils ont un âge qui se rapproche de celui du père de la jeune fille (daddy). Sur le plan matériel d’autre part, ils comblent la fille (sugar).
  • [13]
    Escroquer.
  • [14]
    Surpris.
  • [15]
    Exprimé en franc CFA. 1 euro équivaut à 660 francs CFA environ.
  • [16]
    « merco » : voiture de marque Mercédès, « kapo » : personne riche ou qui a un statut social élevé.
  • [17]
    On peut citer entre autres « La fille du bar » du célèbre humoriste Jean Miché Kankan, « Déception » du groupe Le quatro du rire.
  • [18]
    de cette vidéo peut-être regardée sur dailymotion à l’adresse suivante : http://www. dailymotion.com/video/xtpip_la-fille-du-bar_shortfilms
  • [19]
    « couper un homme » ou « couper ses poches » signifie profiter de son argent de manière habile.
  • [20]
    Piège.
  • [21]
    Ce clip peut être regardé en intégralité sur Youtube à l’adresse suivante : http://www. youtube.com/watch ?v=e9lmEWUg3Hg
  • [22]
    « Câler au cou » signifie payer pour une inconduite ou en assumer les conséquences négatives.
  • [23]
    D’où l’expression pidgin « back me my money ».
  • [24]
    Les rapports sexuels avec des partenaires multiples sont plus fréquents parmi les jeunes femmes de 15-24 ans (10 % en moyenne contre 5 % à partir de 30 ans). Les femmes célibataires et surtout celles en rupture d’union ont plus fréquemment déclaré que les autres avoir eu plusieurs partenaires sexuels (respectivement 20 % et 21 % contre 5 %) pour les femmes en union [EDS, 2004 : 276].
  • [25]
    Par entrepreneurs de morale, Howard Becker entend des acteurs qui se mobilisent pour qu’une activité ou une action quelconque soit catégorisée comme déviante par la société. Cette pression des entrepreneurs de la morale qui impose son point de vue à la société n’est pas suffisante pour qualifier un comportement de déviant. Il faut ensuite que l’acte dit déviant soit étiqueté comme tel lors d’une interaction sociale.
Français

Résumé

Le présent article est issu d’une recherche anthropologique conduite en milieu urbain camerounais, portant sur les logiques de protection des jeunes face au VIH/Sida. Dans un contexte multiculturel les entretiens et les observations conduits avec des jeunes femmes et jeunes hommes ont permis de mettre en évidence les dynamiques et la complexité des relations entre jeunes en situation prémaritale dans un contexte marqué par la vulnérabilité économique, l’inégalité des rapports de genre et une prévalence significative du VIH/Sida. La sexualité transactionnelle et la monétarisation des échanges caractérisent les relations entre jeunes ou impliquant des jeunes. Ce travail propose de déconstruire les discours et les pratiques des jeunes en rendant compte de leurs expériences et des modes de justifications qu’ils développent face à leur partenaire, à leur famille, à l’autre genre et la société afin de se défendre de prostitution ou de vénalité. Ces observations donnent également à repenser les relations de genre dans la société camerounaise.

Mots-clés

  • sexualité transactionnelle
  • prostitution
  • VIH/Sida
  • rapport de genre
  • Cameroun

Bibliographie

  • Abega S.C. [2007], Les violences sexuelles et l’État au Cameroun, Paris, Karthala, « Les terrains du siècle », 258 p.
  • Adair T. [2007], « HIV Status and Age at first Marriage among Women in Cameroon », Demographic and Health Research Working paper, n° 33 : 19.
  • Badinter E. [2001], L’amour en plus. Histoire de l’amour maternel xvii-xxe siècles, Paris, Flammarion, 472 p.
  • Barker G., Ricardo C. [2005], Young men and the construction of Masculinity in Sub-Saharan Africa : Implications for HIV/AIDS, Conflict, and Violence, Social Development Papers conflict prevention and reconstruction, The World Bank, Paper n° 26, June, 96 p.
  • Becker H.S. [1985], Outsiders : étude de la sociologie de la déviance, Paris, Métaillé, « Observations », 247 p.
  • Bonjawo H. [2004], Les battantes de Yaoundé, Mémoire de Maîtrise de sociologie sous la direction de Séverin Cécile Abega, Université Catholique d’Afrique Centrale de Yaoundé, 120 p.
  • Bonjawo H. [2007], Les femmes et les solidarités familiales en milieu urbain camerounais, Mémoire de DEA de Sociologie sous la Direction de Maria Cosio-Zavala, Université de Paris X Nanterre, 104 p.
  • Bozon M., Hertrich V. [2004], « Sexualité préconjugale et rapports de genre en Afrique : une comparaison avec l’Amérique latine » in A. Guillaume et M. Khlat, Santé de la reproduction au temps du Sida en Afrique, p. 35-53, CEPED, Nogent-Sur-Marne.
  • Bourdieu P. [1998], La domination masculine, Paris, Seuil, 142 p.
  • Chouala Y.A. [2002], « Galanterie masculine et “aliénation objective ” de la femme : la légitimation féminine d’un “habitus androcentrique », Polis/Revue Camerounaise de Sciences Politiques/CPSR, vol. 9, numéro Spécial 1, p. 26.
  • De Rougemont D. [2001], [1971], L’amour et l’Occident, Paris, édition 10/18 Point histoire.
  • Duby G. [1991], Amour et sexualité en Occident, Paris, Seuil.
  • Eboko F. [2007], « Hommes, prévention de la transmission sexuelle du VIH et questions de genre », communication faite dans le cadre du séminaire Rôle et place des hommes dans la santé de la reproduction dans les pays du Sud, CEPED, Nogent-Sur-Marne, 10 mai 2007.
  • Eboko F. [2000], « Risque-sida, sexualité et pouvoirs. La puissance de l’Etat en question », in Courade G (dir.) (2000), Le désarroi camerounais L’épreuve de l’économie-monde, Paris, Karthala, p. 235-262.
  • Eboko F. [1999], « Logiques et contradictions internationales dans le champ du sida au Cameroun », Autrepart, 12 : 123-140.
  • EDS [1991], Demographic and Health Survey, Direction Nationale du deuxième recensement général de la population et de l’habitat, Macro International Inc., décembre ORC Macro, Calverton, Maryland, 287 p.
  • EDS [2004], Demographic and Health Survey, Direction Nationale du troisième recensement général de la population et de l’habitat, Macro International Inc., décembre ORC Macro, Calverton, Maryland, 323 p.
  • Guengant J.-P. [2007], La démographie entre convergences et divergences, in B. Ferry, L’Afrique face à ses défis démographiques. Un avenir incertain. Paris, AFD-CEPED-Karthala, p.27-121.
  • Héritier F. [1996], Masculin, Féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 336 p.
  • Institut National de la Statistique du Cameroun [2003], Document de stratégie de réduction de la pauvreté, enquête ECAM I et II, Yaoundé, 218 p.
  • En ligneKuate-Defo B. [2004], « Young people’s Relationships with Sugar Daddies and Sugar Mummies : What do we know and What do We Need to Know ? », African Journal of Reproductive Health, vol. 8, n° 2, August, p. 13-37.
  • En ligneLongfield K. [2004], Rich fools, spare tyres and boyfriends : partner categories, relationship dynamics and Ivorian women’s risk for STIs and HIV, Culture, Health and Sexuality, November-December 2004, vol. 6, n° 6, p. 483-500.
  • Meekers D., Calves A.E. [1997], « Main girlfriends, girlfriends, marriage, and money : the social context of HIV risk behaviour in Sub-Saharan Africa », Health Transition Review, 7 (supply) : 361-375.
  • Meekers D., Klein M., Foyet L. [2001], Patterns of HIV risk behaviour and condom use among youth in Yaoundé and Douala, Cameroon, Working Paper, Washington, DC : Population Service International, n° 46.
  • En ligneNjikam Savage O.M. [2005], « Risky sexual behaviour, sexually transmitted infections, HIV/ AIDS and health promotion among students in the university of Douala », in African Population Studies, vol. 20, n° 1, April 2005, p. 53-67.
  • Njikam Savage O.M. [1990], Sociocultural perceptions of fertility and infertility in centre province Akonolinga, WHO report, 35 p.
  • En ligneNyanzi, et al. [2001], « The negotiation of sexual relationships among school pupils in south western Uganda », AIDS Care, 13 (1) : 83-98.
  • En lignePoulin M. [2007], « Sex, money and premarital partnerships in southern Malawi », Social Science and Medicine, 65 : 2383-2393.
  • Podlewski A.M. [1984 :65], « Évolution de la dot au nord Cameroun ; étude des éléments
  • constitutifs de la dot et de leurs relations avec les données démograpghiques », Patrice Vimard (eds), p. 62-87.
  • Rebreyend A.-C. [2006], Pour une histoire de l’intime. Sexualité et sentiment amoureux en France de 1920 à 1975. Thèse d’histoire sous la direction de Françoise Thébaud, Université Paris 7 Denis Diderot.
  • En ligneRwenge Mburano J.-R. [2000], « Comportements Sexuels à risques parmi les jeunes de Bamenda, au Cameroun », International Family Planning perspectives, numéro spécial, 26 (3) : 118-123.
  • En ligneSilberschmidt M., Rasch V. [2001], « Adolescents girls, illegal abortions and “sugar-daddies ” », in Dar es Salaam : vulnerable victims and active social agents, Social Science and Medicine, 52 : 1815-1826.
  • Tchetgnia L. [2007], « Between Unsafe Sex and Rationalisation of Aids Risk : case study of urban and rural youths in Cameroon » in Comparative Research in The Social Sciences, Nikola GENOV Editor, p. 290-300.
  • Tchetgnia L. [2005], Pourquoi ne pas se protéger ? Analyse sociologique des mécanismes d’exposition des jeunes camerounais au risque du Sida, Mémoire de DEA de sociologie sous la Direction d’Olivier Schwartz et d’Yves Charbit, Université Paris V, 152 p.
  • En ligneWight D., et al. [2006], « Contradictory sexual norms and expectations for young people in rural Northern Tanzania », Social Science and Medicine, 62 : 987-997.
Véronique Petit [*]
Lucas Tchetgnia [**]
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/autr.049.0205
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...