CAIRN.INFO : Matières à réflexion
En quelques minutes, une douzaine d’hommes s’étaient rassemblés autour de moi, auxquels je n’arrêtais pas d’affirmer que, oui, dans mon pays on faisait pousser du riz et du blé, et, oui, en Inde aussi il y avait des paysans comme les fellaheen égyptiens qui vivaient dans des villages d’adobe et labouraient la terre avec des charrues tirées par des bœufs.
Ghosh, 1994, p. 177.
Water security means that “people and communities have reliable and adequate access to water to meet their different needs, present as well as in future, are able to take advantage of the different opportunities that water resources present, are protected from water related hazards and have fair recourse where conflicts over water arise” [Sousson, 2002]. Such water security ensures equity and sustainability.
Reddy, 2004, p. 21.

1 Dans le monde contemporain, les grands périmètres irrigués publics sont minés par plusieurs processus concomitants : situation financière médiocre, bureaucratie, concurrence de forages individuels creusés par les agriculteurs, et plus généralement remise en cause de la place de l’État en raison du courant de pensée néo-libérale dominant. Par ailleurs, les systèmes de gestion communautaires, à l’échelle villageoise, de type système de canaux ou étang, connaissent une déliquescence : soit que l’État les ait repris en main trop brutalement, soit que des processus individualistes menacent les institutions collectives, au risque de multiples « tragédies des communaux », sources de gaspillage hydraulique et d’exclusion sociale. On voit l’intérêt a priori de créer ou de renforcer des « associations d’irrigants », qui puissent permettre de renforcer tout à la fois l’action collective, le droit de l’accès à l’eau pour tous, l’efficacité économique et la durabilité écologique. L’objet de ce texte est d’évaluer ce type de diagnostic et de solution à l’aune d’une comparaison entre Égypte et Inde. L’irrigation, on le verra, se révèle une entrée efficace pour mettre en évidence similitudes et différences entre ces pays trop rarement mis en parallèle – pas même par Amitav Gosh, l’anthropologue indien devenu écrivain, dont la citation en exergue rappelle qu’il fit son terrain initial en Égypte  [1].

2 Les programmes de constitution d’associations d’irrigants (Water Users Associations, WUA) ont été lancés à peu près au même moment au milieu des années 1990 en Inde et en Égypte. Dans les deux cas l’initiative est venue sur « proposition » de la Banque Mondiale dans le cadre de sa nouvelle orientation basée sur la « bonne gouvernance ». Cependant, loin d’être un retrait de l’État d’un secteur hautement stratégique, cela correspond à un abandon limité de compétences techniques « au profit » des paysans. L’État se décharge de charges financières et de ses obligations sur des usagers qu’il garde, néanmoins, sous un contrôle administratif efficace pour éviter qu’ils ne constituent des groupes de pression gênants. En Inde, malgré d’évidents problèmes de fonctionnement et du fait que le transfert de pouvoir est resté très relatif, il serait difficile de parler d’échec de l’expérience. En Égypte, celle-ci n’a pas dépassé la rénovation de certaines infrastructures d’irrigation, la construction des stations de pompage (une pour chaque WUA) et la constitution purement formelle d’associations d’irrigants dans certaines régions. Pour le moment les WUAs couvrent à peine 4 % des terres irriguées. La « participation » des paysans concernés est inexistante.

3 Il s’agit donc de comprendre ce qui fait la différence entre les deux expériences, en termes de résultats mais aussi de fonctionnement des nouvelles institutions. Pour cela, précisons d’abord les contextes nationaux dans lesquels se déroulent les deux programmes.

Les données de départ : de nombreuses similitudes

L’émiettement des structures agraires

4 Dans les deux pays, les microfundiaires sont largement dominants, avec une taille moyenne des exploitations comparable : elle est de 0,82 ha en Égypte en 2000. La moyenne indienne atteint 1,4 ha en 1995-96, mais inclut nombre d’exploitations non irriguées. Dans les deux pays on ne constate guère de « transition agraire » au sens de Lénine, c’est-à-dire que les micro-exploitations ont réussi à se maintenir, tout en sortant de l’autoconsommation et (particulièrement en Égypte) de la mono-activité [Hopkins, 1988]. Toutefois, les dernières réformes agraires en Égypte et particulièrement la loi 96 de 1992 ont provoqué un processus de regroupement. Les petits locataires ont abandonné leurs exploitations. Contrairement aux attentes du gouvernement qui veut mettre fin à l’émiettement, les plus petits paysans travaillant moins de 2 feddans [2], soit environ 80 % des agriculteurs, gardent leurs exploitations par nécessité ; mais ceux possédant entre 2 et 5 les abandonnent au profit des catégories supérieures. En Inde, les choses sont plus complexes du fait même de la grande diversité géographique et sociale du pays. Un mouvement comparable se dessine cependant dans les zones d’agriculture très intensive, comme au Punjab, avec une extension des exploitations par la prise en fermage qui contraste avec les transactions habituelles en Inde où ce sont d’habitude les petits, ceux qui manquent de terre, qui prennent en location la terre des gros, et où l’émiettement des exploitations se poursuit.

5 Tout cela traduit une formidable pression sur la terre, correspondant à de fortes densités de population. Le delta du Nil connaît des densités supérieures à celles existant dans le delta du Gange, mais il jouit de plus de diversification économique et de bourgs : les deltas de l’Inde ont donc des densités agricoles supérieures. En Inde, 73 % des ruraux actifs sont dans l’agriculture (2001), tandis qu’en Égypte ils sont la moitié [Fargues, 2000]. 39 % des ménages égyptiens et 55 % des indiens ont une activité agricole. Dans les deux pays, les corollaires en sont le maintien d’une pauvreté rurale prépondérante et la poursuite de l’intensification agricole.

6 Si la révolution verte a pu être greffée avec succès en Inde dans les années 1960-70, et en Égypte selon un processus différent, c’est parce qu’il y avait une « tradition » d’agriculture irriguée ou inondée dans de nombreuses régions : la vallée était considérée comme l’espace agricole idéal, contrairement à l’Afrique subsaharienne où au contraire c’était plutôt les hautes terres qui se trouvaient recherchées. Vue de l’Inde, l’Égypte apparaît donc comme « asiatique », mais elle fait partie en réalité d’un système de cultures d’oasis proprement africain. La permanence du cours du Nil contraste avec la pénurie d’eau indienne, en particulier d’avant mousson. Tout ceci explique que les rendements moyens y soient nettement supérieurs à ceux des régions les plus performantes de l’Inde, en raison d’une meilleure gestion de l’irrigation (et du drainage) : pour le blé, 65 q/ha en Égypte, contre 40 au Punjab.

L’emprise ancienne de l’État

7 Nasser et Nehru ont eu tous deux la volonté de se désengager de l’héritage colonial britannique. Des réformes agraires en furent notamment le résultat, plus achevées dans le cas égyptien (13 % de la SAU redistribués) que dans le cas indien (2 %). Dans les deux pays, l’État pénètre les campagnes via des pseudo – « coopératives », celles-ci encadrant particulièrement les assolements en Égypte. En Inde, les empires et États princiers, mais aussi le pouvoir britannique tiraient profit de l’impôt agricole, et favorisèrent donc l’irrigation par de grands travaux relayés par les politiques des hobereaux locaux ou des temples, et ce dès l’Antiquité. Les barrages indiens, « temples de l’Inde moderne » selon Nehru, sont encore en construction aujourd’hui malgré les polémiques. Ils ont pour écho le haut barrage d’Assouan bâti lui aussi dans le cadre d’un nationalisme fier d’échapper à la tutelle britannique. Avec cette grande réalisation, l’Égypte a bouclé un cycle de grands travaux hydrauliques inauguré par Mohammed Ali, au début du XIXe siècle, qui a progressivement permis une maîtrise totale de la crue et la construction d’un système hydraulique global permettant une gestion presque parfaite du transport de l’eau vers tous les secteurs de consommation. L’Égypte n’est plus seulement un « don » du Nil – elle se l’est approprié.

Des milieux agricoles parfois semblables

8 La région pionnière de la révolution verte en Inde, autour du Punjab, a des rotations très proches de celles dominant en Basse Égypte : blé ou trèfle d’Alexandrie (barseem), puis riz ou maïs dans un openfield aux petits champs géométriques que l’on retrouve dans toute la vallée du Nil. Les autres régions de l’Inde ne possèdent pas de telles similitudes avec l’Égypte. Toutefois, la place du bétail dans les deux pays (source d’énergie, de fertilité du sol, de numéraire et d’alimentation), l’adoption par l’Égypte de la bufflesse indienne au XIXe siècle sont d’autres points comparables, tout comme la faible mécanisation des façons agricoles.

9 Toutes ces caractéristiques héritées d’un passé parfois antique sont désormais en profonde mutation, avec deux processus majeurs.

La désagrégation des structures collectives

10 Elle est particulièrement nette en ce qui concerne l’irrigation. En Inde, l’essor des forages à partir de la révolution verte a achevé de réduire à peu de chose l’irrigation de surface des vieux étangs villageois (tanks, en complet déclin), mais a concurrencé aussi les canaux gérés par l’État, créés à partir de la fin du XIXe siècle surtout. En Égypte, avec une quinzaine d’années de « retard » sur l’Inde, les motopompes (importées d’Inde) ont réduit à l’état de relique les seqia-s, roues hydrauliques à traction animale qui correspondaient à des organisations collectives à l’échelle du canal d’amenée. Certains agriculteurs se sont « enrichis » en devenant des loueurs de pompes – tout comme, en Inde, des waterlords vendent l’eau de leurs forages aux petits agriculteurs.

Le mot d’ordre de retrait de l’État

11 Compte tenu de l’organisation très étatique de départ, 1991 est une date charnière, puisqu’elle marque la signature dans les deux pays d’un plan d’ajustement structurel – qui n’a fait d’ailleurs qu’accélérer une tendance déjà notable. Dans les deux pays cependant, le discours a parfois tendance à masquer la réalité, et dans bien des domaines, nous le verrons, le retrait de l’État est loin d’être évident.

12 Au-delà de ces similitudes, il convient bien sûr de faire état des différences entre les deux pays.

Des contrastes internes plus marqués en Égypte qu’en Inde

L’inégalité des structures agraires

13 Certes, au premier abord, l’Inde apparaît plus contrastée, étant donné la diversité des milieux qui laisse place à d’assez grandes exploitations dans les zones non irriguées, et au maintien de grands propriétaires aux caractéristiques encore « semi-féodales » dans certaines régions (Bihar). En 1995-1996, 7 % des exploitations cultivaient 40 % de la SAU. L’évolution récente de l’Égypte, cependant, encourage l’apparition de grandes exploitations capitalistes, nationales ou étrangères, dans une proportion supérieure à celle de l’Inde [Ayeb, à paraître]. En 1996, 3 % des agriculteurs contrôlent environ 34 % des terres agricoles. C’est pourquoi, si l’on ne considère que la SAU irriguée, les inégalités foncières en Égypte apparaissent un peu supérieures à celles de l’Inde  [3].

En Inde, des terres disponibles

14 Une telle affirmation n’est bien sûr recevable qu’en comparaison de l’Égypte, « espace plein » par excellence étant donné que 95 % de la population s’entasse sur 5 % du territoire national. Alors qu’en Égypte absence d’irrigation signifie désert, l’Inde offre des cas plus complexes grâce à sa saison des pluies : agriculture pluviale, disponibilité de terres de pâture pour un élevage qui n’est donc pas toujours nourri avec des cultures fourragères comme le bétail égyptien non bédouin. C’est ainsi qu’à l’échelle nationale au moins, le bétail en Inde ne donne pas lieu à un goulot d’étranglement pour son alimentation comparable à la situation égyptienne (dans le delta du Nil, plus du tiers des terres étaient consacrées à des cultures fourragères en 1986 – Fanchette, 1997).

15 À l’échelle locale, la situation est fort différente cependant : en Inde apparaît au premier plan le problème de l’énergie. Déboisement et utilisation des bouses pour le chauffage aux dépens de la fumure sont deux conséquences de la croissance démographique, mais que l’on rencontre peu en Égypte, productrice d’hydrocarbures. Là, les paysans cuisinent au gaz ou au pétrole, énergie localement peu coûteuse et qui permet de conserver la fumure organique.

L’eau, plus abondante en Égypte ?

16 En Inde, l’agriculture pluviale est par définition dépendante des variations de précipitations. Même les surfaces irriguées gravitairement connaissent une certaine fragilité, étant donné que les réservoirs des barrages ont une capacité insuffisante pour couvrir tous les besoins qu’ils sont censés assurer (eau agricole, industrielle, domestique). L’Égypte, elle, grâce au haut barrage d’Assouan et aux impressionnants réseaux de recyclage ( « informels » ou intégrés dans le système hydraulique global)  [4], ne connaît point pour l’heure les affres des agriculteurs des deltas dépendant des eaux surexploitées en amont dans les bassins de la Kaveri ou de la Krishna.

17 Pour schématiser, en Égypte l’eau est distribuée en fonction de la demande. Les canaux secondaires sont pleins en permanence et les tertiaires sont alimentés en fonction de tours fixes généralement organisés en fonction des cultures dominantes et pour des périodes longues de plusieurs années. En Inde c’est en général la disponibilité en eau qui détermine les cultures. Les « new lands » sont encore à l’ordre du jour en Égypte, conquises sur le désert grâce aux eaux du Nil, alors que l’expansion horizontale des cultures est quasiment finie en Inde. Pour l’Égypte la géopolitique internationale représente la principale menace en la matière (réclamations de l’Éthiopie et du Soudan)  [5]. En Inde, c’est la géopolitique interne : divers conflits opposent les États fédérés à propos du partage des bassins hydrographiques.

Une libéralisation plus progressive en Inde

18 En Égypte, l’irrigation pérenne est une invention de l’État au milieu du XIXe siècle. Le paysan se trouva obligé de faire presque exclusivement des cultures commerciales pour financer le grand projet géopolitique de Mohammed Ali. Presque un siècle et demi plus tard, Nasser maintenait les cultures obligatoires, dont le coton, pour payer le barrage d’Assouan construit par les Soviétiques, et maintenir une source importante de devises. Est-ce parce que l’administration égyptienne décidait encore des rotations quand Nehru avait supprimé tous les héritages coloniaux du même tonneau ? Que l’eau était un monopole d’État en Égypte ? Ou bien faut-il y voir des facteurs géopolitiques liés à la dépendance égyptienne envers l’extérieur, et notamment les États-Unis ? Quoi qu’il en soit, la libéralisation est beaucoup plus brutale en Égypte. Ce qui fait qu’à beaucoup d’égards on peut penser que la situation égyptienne préfigure celle de l’Inde d’ici quelques années, pour le meilleur et pour le pire.

19 C’est ainsi que la réforme agraire égyptienne a été profondément amendée par la loi 96 de 1992, appliquée en 1997 [Bush, 2002], que les intrants ne sont plus subventionnés, et que les prix agricoles garantis ne fonctionnent plus guère. Un tel système demeure encore en Inde, malgré la libéralisation qui l’a mis à mal. Les nouvelles politiques agricoles égyptiennes bénéficient au secteur privé, national ou international, sans que l’État rougisse d’afficher de tels objectifs pour ce qu’ils sont. On n’en est pas là en Inde, où le discours officiel demeure encore imprégné de sollicitude envers le microfundiaire – par héritage gandhien mais aussi par intérêt électoral bien compris. L’Égypte n’est pas une démocratie, et peut se permettre des choix qui suffiraient à faire chuter n’importe quel gouvernement en Inde. Enfin, l’Inde est une république fédérale : il arrive que les directives et les lois votées à New Delhi ne soient pas retranscrites dans les législations des 28 États fédérés, d’autant que ce sont ces derniers qui se trouvent constitutionnellement responsables des secteurs liés à l’agriculture. Autant de filtres à la brutalité de la libéralisation, les gouvernements des États de l’Union étant aussi soucieux que le gouvernement fédéral du verdict du suffrage universel. Il en résulte une grande diversité de cas à l’intérieur du pays, l’hétérogénéité des lois et des institutions s’ajoutant à la diversité des milieux naturels, des cultures et des économies régionales [Landy, 2006].

Les réformes de l’irrigation : la participation, un alibi ?

De la seqia collective à la motopompe individuelle en Égypte

• Bien collectif ou bien commun ?

20 L’eau est monopole de l’État, livrée depuis le barrage d’Assouan jusqu’aux petits canaux supérieurs (mesqa) qui sont sa propriété. Ce n’est qu’à ce dernier niveau que se situe une « gestion sociale » de l’eau, les agriculteurs étant responsables de l’entretien du canal et, jusqu’aux dernières réformes, décidant librement de l’utilisation de l’eau qui leur était allouée en tenant compte des cultures et des assolements obligatoires. La mesqa est d’ailleurs une véritable unité sociale.

21 En Égypte, dit-on souvent, l’eau est gratuite : en fait, le niveau des canaux est creusé de façon à placer l’eau 50-75 cm plus bas que le niveau des champs, afin d’éviter la saturation et la salinisation des sols mais aussi de limiter l’exhaure. Il existe donc un coût de l’irrigation non négligeable, celui du pompage. Comme le dit un fellah dans le film d’Ayeb et Archambeau [2003], « l’eau ne manque pas, mais il faut la pomper ». Sous ces mots simples se trouvent, sans doute, résumés la plupart des problèmes actuels. Par ailleurs, le calcul de la taxe foncière tient évidemment compte de la facilité d’accès à l’eau. L’eau est-elle donc vue comme plutôt un bien collectif (géré avant tout par l’État) ou un bien commun (géré par la communauté paysanne) [Bruns et Meinzen-Dick, 2006] ? Les perceptions varient assurément selon l’échelle : les canaux principaux sont perçus comme octroi de l’État, tandis que le canal terminal apparaît davantage comme relevant de la communauté paysanne locale. L’enjeu de ces différentes représentations est évident pour l’avenir des réformes prônant la décentralisation de la gestion de l’irrigation.

22 La liberté de gestion au niveau de la mesqa n’est de toute façon qu’un mythe, étant donné qu’elle est surveillée par un petit fonctionnaire, le water engineer, intermédiaire entre l’État et la société d’irrigants, et arbitre des conflits [Ayeb, in Bush, 2002]. De plus, l’eau n’est distribuée que périodiquement (souvent cinq jours sur dix, avec une situation pouvant varier beaucoup d’une région à une autre), ce qui limite la liberté paysanne en termes de choix de cultures.

• Peut-on faire marche arrière à l’individualisme ?

23 Depuis le début du XIXe siècle et jusqu’aux années 1970, l’exhaure était avant tout assurée par une roue hydraulique (en métal depuis plus d’un demi-siècle) tirée par l’âne voire la bufflesse : la seqia. Celle-ci correspondait à une unité hydraulique, dans laquelle tours d’eau et entretien étaient organisés collectivement, mais aussi à une unité sociale, définie par une solidarité qui allait bien au-delà de la seule sphère agricole. Les seqias collectives ont désormais quasiment disparu, et les individuelles se font de plus en plus rares. L’ouverture à l’émigration, en 1977, et les revenus tirés par les migrants de leurs séjours dans les pays pétroliers, ont permis l’achat de pompes diesel individuelles. La libéralisation des assolements, quasi totale depuis les années 1990, va accélérer la multiplication de ces pompes : déplaçables, elles sont souvent installées à proximité des champs, et non en tête de mesqa comme il est fait légalement obligation [Pintus, 2000]. Lors d’une rupture du tissu « hydro-social », les associations de seqia se sont en quelque sorte auto-dissoutes.

24 Le Improved Irrigation Project est un projet de la Banque Mondiale et de l’USAID lancé dans les années 1990, qui cherche à renverser la tendance : améliorer l’efficacité de l’irrigation (consommation d’énergie et d’eau, entretien de la mesqa, réduction des conflits au profit des parcelles aval…) ; et revivifier les structures collectives. Alors que jusqu’ici la gestion de l’eau en Égypte était dominée par une politique d’offre, il s’agit désormais de pratiquer une gestion de la demande. L’approche est ambitieuse puisqu’elle repose sur des structures socio-institutionnelles à créer ou à relancer, et point seulement sur des changements technologiques ou sur la hausse du prix de l’eau.

25 Les pompes individuelles sont interdites. Un seul point d’exhaure par mesqa est désormais la règle dans les espaces concernés. Il s’agit non plus de régir les hauteurs d’eau, mais les débits. Le plus facile est évidemment l’approche technique, ce qui fait qu’on commence en général à « améliorer » le réseau local (maçonnage voire enfouissement de la mesqa, installation d’une grosse pompe collective) avant de faire fonctionner correctement un système de gestion communautaire. Au risque de mettre ainsi la charrue avant les bœufs, dira-t-on. Mais cela correspond en réalité aux véritables objectifs du gouvernement, qui consistent à transférer les charges aux paysans sans leur accorder la moindre participation à la gestion de la ressource.

26 Dans les zones concernées – choisies avec le minimum de concertation – tous les irrigants sont automatiquement membres d’une Water Users Association (WUA). Encore aujourd’hui cependant, les WUAs ne concernent que 120 000 ha. Les irrigants « élisent » un bureau, qui sera chargé de l’allocation de l’eau. L’État finance l’aménagement des mesqas, mais sous forme de prêt : le coût est environ de 5 000 £ égyptiennes pour la pompe collective et de 4 000 £E pour l’aménagement d’un feddan [6]. Les agriculteurs commencent à rembourser après trois ans ce qui n’est nullement, se défendent les membres du projet, une tarification de l’eau, mais seulement un recouvrement des coûts d’opération et d’infrastructure. Dans tous les cas, une fois le nouveau système hydraulique installé sur la mesqa, les paysans payent l’eau à l’heure d’irrigation, selon un barême couvrant les frais de fonctionnement de la station de pompage.

L’essor des forages individuels en Inde : un problème non traité par les WUAs

27 L’État colonial et post-colonial indien avait mis la main sur la plupart des ouvrages gérés par les communautés villageoises, en particulier les tanks. Le développement des grands périmètres irrigués publics avait fait que dans les années 1960 ceux-ci desservaient l’essentiel de la SAU irriguée nationale, mais la révolution verte inverse les proportions. En 2003-04, 64 % de la surface irriguée indienne l’était par puits. On en connaît les raisons : subventions publiques aux forages et à l’électricité (en moyenne celle-ci est payée 12 % du prix de revient), souci de liberté individuelle de l’agriculteur, dysfonctionnements des grands périmètres irrigués d’État dus à la bureaucratie, la corruption, et au manque d’entretien engendré par des ressources financières extrêmement réduites qu’aggrave la faiblesse du prix de l’eau perçu des agriculteurs. Le phénomène fait boule de neige, étant donné que le forage de puits dans les zones irriguées jusque-là par des ouvrages collectifs de surface entraîne le déclin de l’action collective, donc de nouveaux dysfonctionnements des canaux publics, donc de nouveaux forages privés. L’eau souterraine relevant du propriétaire du sol, les agriculteurs se sentent libres d’y puiser sans autres contraintes qu’économique, ce qui engendre dans de nombreuses régions la baisse des nappes, à un niveau tel que désormais seuls les plus riches agriculteurs sont capables de sur-creuser leur puits pour l’atteindre. Dans le moins pire des cas, se développe alors un marché de l’eau, ceux qui en sont privés en achetant à ceux qui ont encore accès à la nappe. Parfois cependant, c’est toute la région qui se trouve sinistrée. Le problème de l’accès à l’eau est alors non seulement social mais aussi écologique.

28 Une telle évolution ne pouvait que faciliter des réformes fondées sur une gestion participative de l’irrigation, de la part de l’administration comme des agriculteurs. Ceux-ci peuvent acquérir une autonomie au niveau des canaux d’amenée. Leur attachement à la réforme dépend cependant de l’évolution du prix de l’eau (souvent augmenté lors de la création des WUAs) et de leur confiance en l’État. Une lacune des associations est aussi qu’elles ne concernent que l’eau de surface, tandis que les propriétaires de puits n’en sont a priori pas membres. Or leurs intérêts peuvent être radicalement différents des exploitants de terres dans le périmètre collectif.

29 Des directives fédérales édictées par New Delhi incitent à la fin des années 1990 les différents États de l’Union à adopter les nouvelles méthodes de gestion participative [Gulati et alii, 2005]. L’État le plus réformiste est l’Andhra Pradesh, parce que son gouvernement dirigé par l’énergique Chandrababu Naidu est soucieux de réformes en tous genres, mais aussi parce qu’il est le premier État de l’Inde à signer un programme d’ajustement structurel avec la Banque Mondiale en 1997. La même année est voté l’Andhra Pradesh Farmers’ Management of Irrigation Act : du jour au lendemain, tous les irrigants utilisant l’eau de surface (barrages, tanks, etc.) deviennent membres d’une des 10 000 Water Users Associations [Hooja et al., 2002]. Bel exemple de « top down reforms with a bottom up approach » [Reddy et Reddy, 2002, p. 532].

30 L’argent promis par la Banque Mondiale pour chaque association n’a-t-il pas représenté une puissante incitation, qui pour être compréhensible n’en est pas moins guère spontanée ni endogène ? En Andhra Pradesh, bien des associations n’existent que sur le papier. De nombreux présidents appartiennent à une haute caste ou font partie des notables villageois. Les partis politiques, théoriquement exclus du jeu par la loi en raison de leurs pouvoirs de corruption et de nuisance, sont parvenus à prendre position. L’administration a gardé la haute main sur la plupart des décisions, ne laissant aux associations que l’entretien matériel des canaux terminaux. La plupart des agriculteurs semblent cependant satisfaits – peut-être parce qu’ils ne s’attendaient pas à de grosses améliorations… Le prix de l’eau a été triplé, mais il demeure encore subventionné et l’argent n’est de toute façon pas toujours collecté. L’alimentation en eau dans les champs s’est un peu améliorée, en particulier en queue de canal [Reddy et Reddy, 2005]. Dans les autres États, où la réforme est moins avancée et moins générale, le diagnostic est comparable, comme au Tamil Nadu où l’eau est en revanche gratuite [Aubriot, 2006].

Les enjeux du diagnostic égyptien

31 Des cultures gourmandes en eau, comme le riz et la canne à sucre, restent extrêmement dynamiques en Égypte [Mutin, 2000]. Des pratiques de sur-irrigation sont constatées par la plupart des experts [Bush, 2002]. Cependant, outre qu’il s’agit surtout d’un problème de drainage, il faut rappeler que cette sur-irrigation sert aussi de prétexte pour des discours sur le gaspillage. En réalité, l’eau utilisée se retrouve dans le système par infiltration vers les canaux ou plus simplement par pompage à partir de la nappe phréatique ; d’autre part, grâce à la sur-irrigation et à la riziculture, de grandes quantités d’eau douce s’accumulent dans la nappe de la frange nord du Delta, maintenant ainsi l’équilibre hydraulique qui empêche l’eau de mer de s’infiltrer. Par conséquent, et sans vouloir justifier des pratiques point toujours indispensables, l’infiltration de grandes quantités d’eau dans la nappe ne signifie pas forcément qu’elle est perdue : elle peut même se révéler d’une très grande utilité écologique. Il ne s’agit donc pas d’irriguer globalement moins, mais d’irriguer plus de terres avec moins d’eau par hectare. Ceci ne ressemble guère à la situation indienne où la pénurie d’eau est telle que des changements drastiques sont obligatoires : là-bas, ce sont bien les quantités d’eau utilisées en valeur absolue qu’il faut diminuer, à l’échelle locale au moins.

32 L’objectif sur lequel reposent les WUAs (mieux gérer l’eau et l’économiser) apparaît du coup mal assuré en Égypte par un des fondements de la nouvelle gestion : puisque qui paie aura de l’eau, on assure que les WUAs disposeront d’un flot continu (ce qui d’ailleurs est pour l’heure loin d’être le cas partout, pour des raisons techniques). On voit mal alors comment moins d’eau pourrait être utilisée, si disparaissent les actuelles mises à sec, temporaires, des canaux d’amenée. En tout cas la conjonction du flux continu et de la liberté de cultures ne peut qu’entraîner des problèmes de disponibilité générale. Comment éviter la marche vers une tarification qui ne sera plus du tout déguisée ?

33 Dans cette étroite oasis qu’est la vallée du Nil, l’eau apparaît paradoxalement plus abondante qu’en Inde. On peut donc se demander s’il est bien nécessaire de « faire payer l’eau » à des paysans pauvres si la pénurie n’est pas encore réelle. Mieux : l’eau doit être considérée comme un droit pour la vie. Tant qu’elle est utilisée pour les besoins fondamentaux (boire ou produire à manger), elle devrait être gratuite pour ces populations pauvres, et ce quelle que soit la gravité éventuelle de la pénurie. La tarification ne peut être envisagée comme solution que pour des consommations qui dépassent les besoins. En outre, les prétendus « gaspillages » correspondent souvent à une logique de sécurité : pour de petits exploitants soumis à des tours d’eau, craignant la maladie, la panne de pompe et tous les autres aléas d’une société rurale demeurée très pauvre, ce qu’on dénomme « sur-irrigation » n’est souvent qu’un stockage d’eau « au cas où ». Les obstacles rencontrés par l’Irrigation Improvement Project en témoignent, certaines pratiques agricoles que le pouvoir veut supprimer au nom de l’efficacité sont jugées comme vitales par les paysans. D’où notre question : le pouvoir ne cherche-t-il pas justement à « supprimer » les petits paysans et à transférer leurs exploitations à des grands agriculteurs capables d’apporter les investissements nécessaires ?

Reconstruction d’une société idéale ou logique économique ?

• D’une bureaucratie à une autre

34 L’IIP ne s’en cache pas : il est fondé avant tout sur une logique économique. En Inde aussi, la tarification de l’eau au plus près de son coût a pour justification officielle la gestion de la pénurie et l’augmentation de l’efficacité. Mais en Égypte, la concentration des exploitations est aussi à l’ordre du jour. Il est révélateur que l’intitulé du programme égyptien n’ait qu’un sens technico-économique (Irrigation Improvement Programme), tandis que son équivalent indien montre une ambition beaucoup plus sociopolitique (Participatory Irrigation Management). On en vient alors à se demander si le discours politique indien, qui, lui, reste toujours dominé par l’attachement aux petites exploitations, ne cache pas en réalité des objectifs comparables. Cynisme de l’Égypte, hypocrisie de l’Inde ?

35 À court terme, la mise en œuvre bureaucratique du programme égyptien suffit à engendrer de nombreux problèmes. Comme en Inde, on peut remarquer que dans le cadre d’un objectif qui se veut pourtant de libéralisation, un processus très dirigiste a tendance à en remplacer un autre. Qu’il suffise de penser aux fellaheen qui s’étaient endettés pour acheter une pompe et dont l’utilisation leur est désormais interdite. Ou aux tenanciers qui refusèrent de payer pour l’aménagement d’une parcelle qu’ils ne possédaient pas – ou aux agriculteurs propriétaires de leur terre, mais seulement depuis la réforme agraire, qui craignirent que ces réaménagements ne se traduisent par la perte de leur lopin. Quant au degré d’honnêteté des entrepreneurs en travaux publics, il apparaît comparable à l’Inde…

36 Dans les deux pays, les ingénieurs se protègent contre une éventuelle « hégémonie » des WUAs. En Égypte le blocage est opéré dès le début. Rien n’est transféré aux associations. En Inde certains leviers sont aux mains des WUAs, mais non le levier décisionnel et politique, qui demeure dans les ministères de l’Irrigation de chaque État, extrêmement présents et déconcentrés aux niveaux des districts et en deçà. L’étude de l’architecture des WUAs dans les deux pays montre clairement la différence : l’expérience égyptienne s’arrête à ce qui correspond en Inde aux tout premiers éléments constitutifs des WUAs – les comités territoriaux. L’Inde prévoit, elle, des comités aux échelles supérieures en une structure pyramidale… même si ceux-ci existent très rarement. Ils n’ont pas encore été élus en Andhra Pradesh, alors même que la décentralisation y a été remarquable par rapport aux autres États indiens. Et comme en Andhra les redevances de l’eau restent collectées par l’administration, celle-ci a tout à fait les moyens de traîner les pieds avant d’en reverser la moitié due aux WUAs : remarquable moyen de chantage [Reddy & Reddy, 2005].

• Une faible implication des irrigants

37 Les problèmes techniques liés à cette absence de concertation sont nombreux. Dans certaines WUAs égyptiennes, la station de pompage unique ne fonctionne plus, et une ou plusieurs motopompes privées ont été installées sur les canaux. La majorité des associations sont fortement déficitaires et ne parviennent même pas à constituer un capital minimum de fonctionnement. De nombreuses associations sont déjà dissoutes dans les faits et n’ont plus aucune activité. D’autre part [Ayeb, à paraître], presque la moitié des agriculteurs des WUA de Minya ne savent même pas qu’ils appartiennent à une WUA – quand bien même certains sont censés en être des responsables  [7] ! Cela n’est pas sans rappeler la situation de l’Andhra Pradesh [Reddy et Reddy, 2002 ; Hooja et alii, 2002]. La motivation des irrigants ne serait-elle pas supérieure si l’autonomie dévolue était réelle ? En Égypte, la participation demeure une pratique démocratique incompatible avec la fermeture de l’espace politique, surtout quand elle ambitionne de concurrencer le gouvernement dans ce qu’il considère des prérogatives « inaliénables ». Une WUA ne peut fixer les prix de l’eau, ne peut faire de contrats ni d’achats d’intrants sans passer par l’administration. Certes, l’argent collecté par le trésorier est mis sur le compte bancaire de l’association : celle-ci est théoriquement financièrement autonome, ce qui peut apparaître un « plus » par rapport à la situation de l’Andhra Pradesh. Mais c’est l’ingénieur local de l’administration de l’eau qui doit contresigner les chèques ! Et cette autonomie ne risque-t-elle pas d’être synonyme de banqueroute à moyen terme, vu la faible solvabilité des agriculteurs égyptiens ?

• Peut-on réinventer la tradition ?

38 Au-delà des considérations économiques, le problème est socio-politique. Les WUAs n’arrivent-elles pas trop tard ? Les structures collectives demeurent-elles suffisamment vivaces pour pouvoir jouer le rôle de support des institutions nouvelles ?

39 En Inde, le discours dominant a coutume d’opposer l’État (colonial et post-colonial) aux communautés paysannes : les structures collectives « traditionnelles » de gestion des ressources (irrigation, forêts, etc.) auraient été démantelées par la mainmise de l’administration, ce qui aurait engendré une « tragédie des communaux » [Gadgil et Guha, 1992]. Il semble qu’un tel discours rencontre moins de succès en Égypte en raison de l’évolution depuis les années 1980 : c’est l’émigration qui est jugée la principale responsable de la floraison des pompes. Les choix individuels des paysans, dans le cadre d’une politique alors libérale, apparaissent comme les premiers facteurs de la dislocation des associations de seqia.

40 Il reste cependant à évaluer la validité des deux discours dominants, en Inde comme en Égypte. En Inde, il s’agit assurément d’ « invention de la tradition » : les village republics précoloniales n’ont jamais existé que dans l’imagination des gandhiens et de certains administrateurs britanniques ; les « communautés paysannes » se trouvaient composées de castes et de classes qui étaient tout sauf égalitaires ; enfin, l’État, fût-il sous la forme de fermiers généraux, et les grands propriétaires, et les temples, ont souvent présidé à l’édification d’ouvrages d’irrigation médiévaux [Mosse, 2003]. On doit dès lors se demander pour l’Égypte quelle était la situation réelle des seqia et se démarquer de toute vision idyllique du passé. La gestion de la mesqa, pour collective qu’elle était, ne donnait assurément pas les mêmes droits à toute la population locale, et l’on peut attendre aujourd’hui d’une véritable « gestion participative » qu’elle aille au-delà de ces formes coutumières de gestion. On peut ne pas s’opposer au progrès et aux nouvelles technologies dont les pompes font partie, mais à condition que ce progrès technique ne s’accompagne pas d’un recul social.

41 L’Inde n’a pas eu besoin de migrants vers les pays pétroliers pour passer des canaux collectifs aux pompes individuelles. Il s’agit en réalité dans les deux pays d’un processus de dissensions sociales et spatiales, producteur de pauvreté (mais aussi de richesses pour une minorité). Cela dit, souligner le processus d’individualisation ne doit pas faire tomber dans l’excès inverse d’une sous-estimation de l’entente collective. Celle-ci demeure encore très présente, ne serait-ce qu’en raison de la structure même de l’irrigation gravitaire : un agriculteur ne peut cultiver du coton si la parcelle du voisin est en riz, beaucoup plus exigeant en eau. Ce que les coopératives nassériennes et le strict encadrement de l’État avaient renforcé jusqu’au paroxysme survit à la disparition de ceux-ci.

Quelles évolutions ?

• Pompage et irrigation gravitaire, les difficultés de l’Égypte

42 La situation de l’irrigation égyptienne apparaît comme plus complexe que celle de l’Inde. À l’exception de l’oasis du Fayoum, où l’irrigation, purement gravitaire grâce à des champs à basse altitude, rappelle les grands périmètres irrigués indiens, l’Égypte connaît une combinaison de système gravitaire (le Nil – les branches secondaires ou tertiaires terra – enfin, les mesqa) puis de pompage pour faire monter l’eau jusqu’au champ [Hopkins, 1999]  [8]. En Inde au contraire, on a le plus souvent l’un ou l’autre cas : soit le canal issu de barrage (gravitaire), soit le pompage (forage dans la nappe)  [9]. (L’exception en la matière est la lift irrigation, système qui se développe actuellement et où l’on pompe dans un canal, comme en Égypte, voire dans une rivière).

43 Autrement dit, l’Égypte cumule les deux types de problèmes, liés au gravitaire et liés au pompage : elle rencontre en particulier les problèmes de la disponibilité globale en eau à l’échelle régionale (qui dépend de l’État) puis, pour apporter l’eau au champ, ceux de l’exhaure (qui, elle, relève de la société locale). En Inde, dans les systèmes gravitaires où les pompages en canal sont en général interdits, on rencontre aussi les deux échelles de l’État et de la société paysanne, mais il n’y a pas cette « rupture de charge » du pompage qui complexifie tant le problème. Quant aux forages indiens, ils ne connaissent d’autres facteurs limitants que leur coût de construction et la baisse éventuelle de la nappe : les agriculteurs sont quasi-ment laissés libres de les multiplier et de les utiliser, étant donné que l’État n’a guère réussi jusqu’ici à restreindre leur utilisation et que le crédit bancaire est accordé relativement généreusement.

44 Là est une grosse différence avec l’Égypte. Les WUAs indiennes ne concernent pas l’eau souterraine, donc les propriétaires de puits n’ont connu aucun bouleversement avec l’instauration des associations ; ce n’est pas le cas des propriétaires de pompe égyptiens, qui du jour au lendemain ont vu leur mode d’exhaure interdit. En Inde, les irrigants par canal devaient déjà payer l’eau – le passage à des WAUs ne se traduit le plus souvent que par une hausse du prix point toujours considérable. En Égypte il en va autrement, et le paysan doit désormais payer son eau à une institution nouvelle. L’enfouissement des canaux, à l’ordre du jour de l’IIP, ne peut que l’inquiéter, car cela interdit tout retour en arrière et toute prise d’eau clandestine en cas de déficience de la station de pompage. Enfin, la conscience des enjeux écologiques est peut-être supérieure en Égypte, étant donné la sensibilité de la nappe : que celle-ci monte excessivement en raison du flux continu dans les canaux d’amenée, et ce sont des maisons qui peuvent s’écrouler.

45 En Inde, les WUAs peuvent théoriquement conférer un pouvoir de gestion aux agriculteurs ainsi qu’une meilleure efficacité de l’irrigation : tout le monde peut être gagnant, l’État comme les paysans (à l’exception des fonctionnaires de l’Irrigation qui perdent bien des revenus occultes). En Égypte, les WUAs viennent rassembler artificiellement des agriculteurs, interdisent les prises individuelles, font payer une eau jusque-là considérée (à tort) comme gratuite. Les obstacles aux réformes risquent donc de se multiplier, sauf si le nouveau prix de l’eau reste inférieur au coût de l’exhaure par motopompe individuelle (les pouvoirs publics prévoient une économie de 20 à 30 % pour les paysans par rapport au pompage individuel. Mais cela reste à confirmer dans toutes les zones concernées). D’autre part, même une baisse de 30 % du prix de l’eau n’est pas forcément significative si celui-ci représente une faible part du coût de production total. En attendant, dans la région de Minya, le prix de 10 £ à 12 £ par heure d’irrigation en WUA se trouve supérieur au coût réel du pompage. Une tarification de l’eau au « juste prix » aggravera la « pauvreté hydraulique » [Ayeb, à paraître]. Ce concept de water poverty, qui permet d’insister sur les interrelations entre pauvreté et accès à l’eau, peut paraître au premier abord peu pertinent en Égypte, étant donné la relative abondance de l’eau. Pourtant, le coût du pompage et les inégalités sociales d’accès à l’eau font que, WUAs ou pas, la notion apparaît extrêmement fondée.

• La démocratie est-elle soluble dans la participation ?

46 La décentralisation ne risque-t-elle pas de pérenniser les inégalités locales en concédant davantage de pouvoir et de liberté aux élites villageoises ? Le retrait de l’État, quand bien même celui-ci assurait fort mal ses fonctions régulatrices et uniformisatrices, ne peut-il aggraver cette pauvreté hydraulique, au moins à court et moyen terme ? En Égypte, le dédain du secteur social touche de toute façon durement le monde des fellahs marginaux. Et l’on peut douter du retrait de l’État du secteur hydraulique : jamais sa présence n’a été aussi forte en termes de contrôle politique des ressources, des techniques et des hommes. Ce n’est pas le cas en Inde où fonctionne mieux la démocratie – mais où les risques de « capture par les élites » sont évidents dans une société si hiérarchisée.

47 Se pose dès lors en Égypte le défi d’une gestion participative dans un environnement national aussi faiblement démocratique. Des irrigants nous ont confié avoir été mis en prison pour avoir protesté contre la mise en place de leur WUA. Les élections du bureau de l’association se font sans garantie de représentativité. L’ « ingénieur de l’eau » n’a plus besoin d’être intégré dans la société locale : que ce petit fonctionnaire soit devenu un simple agent de l’administration risque de se traduire par moins de responsabilité (accountability) sans forcément moins de corruption. Celle-ci ne se déplacera-t-elle pas vers l’opérateur de la station de pompage, nouveau personnage important ?  [10] On peut aussi se demander si une gestion participative à l’échelle du canal secondaire est envisageable (comme le pensent certains experts). Il est vraisemblable qu’il n’y a guère de conscience commune à cette échelle, vu la place traditionnelle de l’État à ce niveau. Surtout, l’État lui-même rechignera sans doute à se départir de ses pouvoirs – on le voit déjà en Inde.

• Trois scénarios possibles pour l’Égypte

48 Le premier et le plus probable serait que, en raison des difficultés rencontrées et en cas de tarissement de ses ressources financières, l’IIP se traduise par un échec. On en resterait dès lors, à l’exception de quelques poches de WUAs, à la situation caractérisée par la multitude des pompes individuelles. Il n’est pas sûr que la pénurie d’eau s’accentue pour autant, le danger venant plutôt de la conquête des nouvelles terres par l’agriculture capitaliste voire des revendications hydropolitiques des pays d’amont. Les conflits entre agriculteurs risquent cependant de se multiplier, en particulier entre amont et aval. Le deuxième scénario est le moins préjudiciable aux petits paysans : l’eau demeure tarifée à un montant peu élevé, les petits agriculteurs bénéficient à la fois d’une autonomie de gestion accrue dans les WUAs et d’une eau abondante. Certaines économies en termes de volume d’eau peuvent même être réalisées, qui contrebalancent la bonification des nouvelles terres.

49 Le troisième scénario correspond aux objectifs fixés par le pouvoir politique. Le prix de l’eau est progressivement augmenté à un tel point qu’il favorise la concentration des exploitations. Devenues moins nombreuses et davantage solvables, elles intéressent désormais le secteur privé qui progressivement investit le secteur de la distribution de l’eau. Les associations d’irrigants n’ont été qu’un prétexte pour amorcer la privatisation de l’eau. En Égypte, c’est ce scénario qui semble devoir l’emporter. En Inde, on peut encore hésiter. Mais dans tous les cas, l’ampleur de la pauvreté détermine ou aggrave l’exclusion des usagers de la gestion de l’eau et des prises de décision.

Conclusion

50 Notre projet de comparaison de l’Égypte et de l’Inde avait pour origine les nombreux points communs entre leurs pratiques et techniques hydrauliques et agraires, ainsi qu’entre leurs politiques agricoles. Bien vite cependant, de profondes différences sont apparues, ne serait-ce que pour la gestion de l’eau. Mais au-delà de l’exercice de recension des similitudes et des contrastes, l’approche comparative apparaît surtout productive pour mettre en parallèle des processus désignés par la même terminologie mais que beaucoup oppose en fait. Le cas des associations d’irrigants montre combien « libéralisation » et « participation » sont des concepts recelant des réalités différentes. L’évolution en Andhra Pradesh et d’autres États indiens se révèle globalement un peu plus favorable qu’en Égypte, en termes de gains économiques mais surtout en termes de participation volontaire et effective, et d’implication des agriculteurs dans les prises de décisions. Pourquoi ? Il faudrait poursuivre ces recherches afin d’évaluer dans quelle mesure les milieux, « naturels » ou aménagés, et les structures agraires locales des pays respectifs se révèlent finalement des facteurs (assez) peu importants pour expliquer les différences de processus, et notamment de ceux liés à la « libéralisation » et à la « participation ». L’environnement politique général apparaît plus fondamental : autoritaire en Égypte, démocratique (au moins formellement) en Inde. Il détermine partiellement les modalités de fonctionnement des associations. Ne contribue-t-il pas aussi à déterminer l’attitude et le caractère plus ou moins directif des bailleurs de fonds internationaux, en l’occurrence la Banque Mondiale ?

Notes

  • [*]
    Géographes, respectivement maître de conférences à l’Université de Paris 8 et maître de conférences à l’université de Paris X-Nanterre, membre du laboratoire GECKO et de l’Institut Universitaire de France – habib.ayeb@ird.fr frederic.landy@wanadoo.fr.
  • [1]
    Les missions des auteurs ont été financées par l’Institut Universitaire de France et l’IRD. Merci à D. Benbabaali, E. Bon, K. V. Raju, R. Reddy, T. Ruf, J.-P. Venot et aux étudiants du CNEARC (promotion 2004). Ce texte se veut fondateur d’un réseau de recherche comparatif entre Inde et Egypte/Afrique du Nord, et en tant que tel n’est qu’une introduction à un travail futur. Pour le cas indien, il se réfère avant tout à l’Andhra Pradesh quant à la situation de l’irrigation, sans prétendre rendre compte entièrement de la diversité des autres Etats. Nul besoin que deux objets se ressemblent beaucoup pour légitimer une comparaison, surtout lorsque, comme en géographie, on compare des processus plus que des objets : l’idée est, pour les sciences sociales, de faire tenir à la comparaison le rôle dévolu à l’expérience dans les sciences expérimentales, afin de dépasser le singulier des lieux pour décrire des phénomènes spatiaux universels [Gervais-Lambony, 2003]. Il se trouve cependant que les nombreuses similitudes entre Inde et Egypte ne peuvent que renforcer l’intérêt de leur comparaison.
  • [2]
    1 feddan = 1 acre = 0,42 ha.
  • [3]
    En 1990-1991 en Inde, 9 % des exploitations cultivaient 35 % des terres irriguées. La SAU nationale n’est encore irriguée que pour 40 %.
  • [4]
    Les eaux de drainage se retrouvant généralement dans le réseau hydraulique, elles sont ainsi réutilisées dans l’irrigation.
  • [5]
    Il s’agit cependant de menaces théoriques et à très long terme. Mais la diplomatie égyptienne les utilise pour justifier son propre impérialisme hydraulique.
  • [6]
    1 [euro] = environ 7 livres égyptiennes. 1 feddan = 1 acre = 0,4 ha.
  • [7]
    Un trésorier d’association a été mis en prison en raison des fraudes découvertes dans les comptes de la WUA. Le problème est qu’il ignorait lui-même qu’il avait été élu trésorier.
  • [8]
    À quoi il faut ajouter des pompages liés à des forages, qui se multiplient depuis les années 1990. Près du Caire, des entrepreneurs agricoles pratiquent ainsi l’horticulture. Une telle irrigation à partir de la nappe phréatique peut faire imaginer un scénario « à l’indienne », où, si les motopompes individuelles sont interdites pour puiser l’eau du canal, les agriculteurs les plus riches parviendraient à passer outre les contraintes collectives des WUAs en utilisant des forages privés.
  • [9]
    Puisque dans les cas où les forages se sont développés en zones de canaux, ils ont souvent conduit à l’abandon de ces derniers plutôt qu’à une utilisation conjointe.
  • [10]
    Rappelons cependant qu’une bonne partie de la « corruption » n’est en fait qu’un compromis, pas plus immoral que les poulets et légumes qu’offraient les paysans français au curé de leur paroisse. L’ingénieur de l’eau, représentant de l’État, était accepté par les paysans et intégré dans leur organisation hydrosociale par une forme de corruption positive qui en faisait un partenaire « complice ». D’un simple contrôleur, l’ingénieur devenait, d’une manière totalement informelle, un médiateur.
Français

L’Égypte voit fleurir sous l’égide de la Banque mondiale des associations d’irrigants censées relancer l’irrigation collective à l’échelle du canal d’amenée, en supprimant les pompes individuelles qui puisent directement dans les eaux venant du Nil. Il s’agit officiellement de limiter les gaspillages, d’augmenter la productivité agricole et de relancer des structures sociales en cours de désagrégation. On peut penser qu’en réalité l’objectif est de préparer à une tarification de l’eau au profit d’une agriculture plus capitaliste. Ce processus est comparé à celui de l’Inde, qui connaît aussi ses associations d’irrigants, dont l’évolution peut elle aussi faire penser qu’il s’agit pour l’État de transférer une partie de ses charges budgétaires sur les agriculteurs, mais qui témoigne d’une évolution plus démocratique. La démarche comparative permet ainsi de mettre en parallèle non seulement des similitudes concernant les lieux, mais surtout des processus en cours qui prennent alors un relief spécifique.

Mots-clés

  • eau
  • irrigation
  • Inde
  • Égypte
  • participation

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Habib Ayeb
Frédéric Landy [*]
  • [*]
    Géographes, respectivement maître de conférences à l’Université de Paris 8 et maître de conférences à l’université de Paris X-Nanterre, membre du laboratoire GECKO et de l’Institut Universitaire de France – habib.ayeb@ird.fr frederic.landy@wanadoo.fr.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/autr.042.0109
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