CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 En mai 2000, les Galeries Lafayette préparaient une exposition sur le thème de l’Afrique prévue pour le mois de mars suivant. Des acheteurs débarquèrent un matin dans la boutique d’un créateur africain pour lequel je travaillais afin de sélectionner la marchandise qu’ils souhaitaient exhiber. L’un deux s’exclama soudain : Oh ça c’est génial, regarde, c’est pas trop africain. Sa collègue approuva : ah oui, ça, c’est commercial. Alors, le premier conclut, satisfait, C’est ethnique, ça va plaire. L’interprétation de cet échange prête à confusion dans la mesure où ce grand magasin joue un rôle majeur dans la sélection des créateurs à la mode. Convient-il d’entendre que la griffe du créateur profite de la vague « ethnique » ? Que les objets repérés répondent à un marché « ethnique » ? Ou encore qu’il s’agit de la quête d’une marchandise de luxe destinée à un public parisien friand d’altérité idéalisée [Amselle, 2005, p. 53] ? Cette dernière position remporte en ce cas mon suffrage.

2 Pendant que les chercheurs en sciences sociales s’interrogent sur la pertinence et le contenu du concept d’ethnicité [Amselle, 1987 ; Smith, 1988 ; Nagel, 1994 ; Poutignat, Streiff-Fenart, 1995…], le champ de la mode connaît une occurrence particulière de son adjectif. Je reprends le concept de Pierre Bourdieu  [1] pour mettre l’accent sur un contexte de lutte pour une légitimité symbolique dont le monopole reste, à ce jour, détenu par un centre occidental. La mise en bouche d’un dossier « Planète Mode » destiné à un large lectorat le souligne incontestablement en précisant que : « Les grands couturiers ont le goût de l’ailleurs. Occidentalisé, le style ethnique triomphe dans toutes les collections » [Géo, 2005, p. I]. Ma démarche écarte ainsi toute dimension essentialiste. À l’instar de Frederik Barth [1969], cette réflexion porte sur les frontières symboliques et sociales séparant l’Occident de l’altérité. L’observation de leurs rencontres masque difficilement la distance entre les créateurs de mode du Nord et leurs confrères du Sud  [2].

3 J’ai assisté pendant deux ans des créateurs africains et compulsé la presse féminine noire francophone sous l’angle de la création vestimentaire (septembre 1998- septembre 2004). Si la présence de l’adjectif « ethnique » est parcimonieuse, elle n’en est pas moins significative. C’est à partir de ses énonciations qu’il convient d’analyser la pesanteur d’une catégorisation. Tout d’abord, je rappellerai le cœur européen de la mode afin de saisir la place réservée à l’Autre. Depuis une décennie, la tendance est à l’ « ethnique ». Elle l’est également sous une forme marketing. Ces différents niveaux d’interprétation d’un contexte « ethnique » multifacette expliquent peut-être une confusion au niveau des significations véhiculées par l’emploi du terme « ethnique » au sujet des créateurs africains. J’interrogerai enfin la sporadique adhésion des créateurs africains à ce label.

Place de l’altérité dans la mode occidentale

4 Le monde de la création vestimentaire fonctionne selon une dynamique relationnelle à sens unique du Nord vers le Sud. En effet, non seulement les modèles de luxe et les fripes proviennent du Nord, mais la reconnaissance professionnelle dépend également de l’aval occidental. Pourtant, dans cette ère d’ouverture à l’autre favorisée par la circulation des informations et des hommes à l’échelle planétaire, le champ exclusivement occidental de la mode connaît l’arrivée de créateurs japonais – dès les années 1970 – puis africains – à partir de la fin des années 1980 –. Dans quelle mesure cette ouverture à l’Autre, qui se prolonge dans le temps avec la vague « ethnique », offre-t-elle un tremplin aux créateurs africains ?

Un point de mire parisien

5 La capitale française semble monopoliser depuis toujours les rênes des diktats en matière de mode. La seconde Guerre mondiale a déplacé temporairement ce centre vers New York, parenthèse close avec le retour de Christian Dior à Paris en 1947 (New look). Cette continuité spatiale contient néanmoins une modification essentielle. L’élite sociale cède son rôle d’instigatrice de tendances à des créateurs. En effet, au fil du temps, si la bourgeoisie a succédé au Roi et à sa cour pour donner le ton vestimentaire, l’artisan couturier gagne en autonomie. Dégagé des corporations, il revendique alors une position artistique aussi bien en tant que mécène qu’en lançant de nouvelles normes (Coco Chanel et sa tenue de bonne). Au début du XXe siècle, Paul Poiret relance la mode de l’orientalisme. Cette interprétation idéalisée de l’opulence orientale rejoint celle d’Edward Molyneux qui s’inspira du « look exotique et oriental » de son mannequin Sumurun « Enchanteresse du Désert » pour créer en son honneur « une robe de harem en tissu argenté, portée sous une tunique sans manches en lamé or » [Le musée de la mode, 2001, p. 372, 440 ; Poiret, 1930, p. 52]. Jusqu’aux années 1960, la Mode puise son inspiration dans des réservoirs exhausteurs de richesse (Orient et Asie) et boude le continent africain [Gourarier, 2001, p. 24].

6 Par la suite, une double révolution s’observe dans le champ de la mode. La première procède d’une multiplication des centres de références et d’une réappropriation des valeurs marginales par la haute couture (la rue, hippies…). La seconde, qui lui est étroitement corrélée, a pour origine la reconnaissance de jeunes créateurs dans le créneau du luxe. Les progrès médiatiques favorisent l’apparition de nouveaux modèles identitaires internationaux (cinéma, musique) et ouvrent la voie à une démocratisation du look, à un plus large choix individuel de parure à la mode (prêt-à-porter). Ceci contribue en partie à brouiller les stratifications en terme de classes sociales dans les sociétés européennes [Lipovetsky, 1987]. Il est fondamental de garder à l’esprit le caractère centripète de l’ouverture à l’Autre dans le « système de mode » occidental. Cette dernière expression, empruntée à Roland Barthes [1967], considère que le vêtement séduit par l’intermédiaire de sa traduction verbale. Le discours de mode a pour objectif de vendre les créations et, pour cela, s’ancre dans une occidentalité. Des créateurs japonais par exemple, (Kenzo puis Issey Miyake, Hanae Mori) accèdent à une certaine légitimité dans la mesure où ils respectent les conditions fixées par le système de mode (coupe, tendance…). C’est à ce prix que l’influence asiatique va marquer les podiums.

Tendance « ethnique »

7 Nulle mention n’est faite de l’existence de créateurs africains dans le champ de la mode avant les années 1990. Il est d’ailleurs significatif que le Que sais-je qui lui est consacré omet de signaler l’activité des créateurs originaires du continent africain [Waquet, Laporte 2002, p. 105-108]. En revanche, s’intéresser à la zone Afrique dans la mode renvoie systématiquement à la collection Bambara d’Yves Saint-Laurent (1967  [3]) et à sa célèbre Saharienne (1968). Vingt ans plus tard, le Français Christian Lacroix transpose à son tour des motifs « inspirés de l’art africain » sur ses propres créations, occidentales, elles aussi [Monneyron, 2001, p. 187]. Au cours de la décennie suivante, la mode s’entiche d’une vague « ethnique » qui puise à la source des sociétés traditionnelles et en particulier celles d’Afrique  [4]. Des créateurs occidentaux s’approprient le brassage d’éléments dits « ethniques ». Il s’agirait donc, dans la pratique, d’un processus occidental incorporateur des pratiques culturelles et artisanales de l’Autre. En 1997, Azzédine Alaïa puis Galliano pour Dior sortent des collections massaï (Kenya)  [5], Hermès l’année suivante fait campagne avec une femme vêtue de pagne et Kenzo (Japon/France) participe à la première édition du Festival International de la Mode Africaine à Agadez, organisé par un créateur de mode africain (FIMA, Niger). Ces exemples sont indissociables d’un contexte postmoderne de quête d’authenticité, comme s’il fallait jalonner son existence de repères réels, de racines [Amselle, 2005].

8 Si l’on en croit l’auteur de La frivolité essentielle, la tendance « ethnique » prolongerait l’attirance exotique de l’Occident vis-à-vis d’un Orient qui serait son « reflet inversé » [Monneyron, 2001, p. 59]. D’ailleurs, le vocabulaire politiquement correct glisse de l’exotique à l’ « ethnique », le premier cède la place au second. Si les emprunts vestimentaires hippies des années 1960 en provenance d’Inde et d’Afghanistan affichent un refus des valeurs occidentales, ce ne serait plus le cas dans la mouvance « ethnique ». Frédéric Monneyron perçoit plutôt une invitation au voyage, une exaltation de l’héroïsme et en fin de compte, un « processus de transformation qui, inexorablement, vide le vêtement “exotique” de sa signification première » [id., p. 64]. Faut-il comprendre ici l’abandon de la dimension péjorative contenue dans l’emploi du terme exotisme (orientalisme) en raison de sa réinterprétation « moderniste et radicale » par de grands couturiers [Geoffroy-Schneiter, 2001, p. 49] ? Par ailleurs, on retrouve l’idée formulée par Jean-Loup Amselle selon laquelle l’Occident est amené à s’inspirer en Afrique afin de renouveler sa créativité [2005]. Ce réservoir doit-il pour autant être maîtrisé seulement par des acteurs occidentaux ? La Gabonaise Elvire n’en doute pas : Aujourd’hui, vous remarquerez que de plus en plus, les couturiers en Europe s’inspirent de l’Afrique, puisque ça fait cinquante ans de mode qu’ils n’ont plus rien. Ils sont presque en fin d’inspiration, ils ont tout montré de leur continent, il n’y a plus rien. Qu’est-ce qui leur reste ? L’Afrique pour venir s’inspirer. […] Donc je pense qu’ici on a encore beaucoup de choses à montrer au monde qu’on ne trouve pas ailleurs (FIMA 2000, Niger). Cette interrogation semble cependant en suspens si l’on observe le choix éditorial paradoxal du dossier « Planète Mode » publié par la revue Géo. D’une part, seule une photographie illustre la tendance « ethnique » dans sa version africaine, réduisant implicitement la part africaine dans ce phénomène de mode. D’autre part, le modèle présenté est signé Alphadi, signalé pour l’occasion comme « Malien distingué » faisant fi de son appartenance nigérienne. La légende qui annonce que « le couturier a su jouer le tailleur uni et la robe simple de type occidental » conforte toutefois une réinterprétation harmonieuse des éléments occidentaux et africains (novembre 2005, p. VI).

9 L’ouverture à l’Autre brouille finalement les significations. Le japonais Kenzo par exemple, refuse de se situer par rapport au kimono, stéréotype accolé à son origine géographique. Il utilise le pagne africain comme des références gitanes ou roumaines. Les journalistes attribuent des catégories qui apparaissent aussi bien artificielles qu’éphémères, étroitement reliées aux tendances du moment. Cet étiquetage « ethnique » s’applique à des créations vestimentaires aussi bien japonaises, françaises qu’africaines sans pour autant englober la totalité de la production d’un créateur. Mettre en avant la catégorie « ethnique » peut être envisagé comme une manière de placer les créations de mode à la pointe du chic. La définition du style « ethnique » retenue par le Dictionnaire de Mode publié en 1998 le laisse clairement entendre en récapitulant ces éléments « chics » : les « Boubou, bijoux massaï, djellaba (grande revenante de l’été), imprimés africains ou veste “Mao”. Pour se faire remarquer, l’ “ethnique” se cultive de préférence dans les beaux quartiers, loin de Barbès et de la Chinatown du 13e arrondissement de Paris » [Moriconi, George-Hoyau, 1998, p. 58, 162]. Ce regard en amont de la création annonce sous un angle favorable la commercialisation de l’ « ethnique » en 2005. Qu’en est-il de ses répercussions dans une société occidentale ?

Consommer « ethnique » aujourd’hui, en 2005

10 Incontestablement, si l’on ne peut les penser précisément comme cause ou effets du succès « ethnique » observé dans le champ de la mode, l’air du temps s’ouvre à l’altérité pendant que l’on observe la prise en considération d’une cible « ethnique ».

11 Une dynamique métropolitaine fortement teintée de cosmopolitisme favorise la formation d’un nouveau type de « consommation culturelle » [Raulin, 2000, p. 14]. Le citadin européen soucieux de dépaysement recherche des passerelles vers l’altérité [Divas, septembre 2003, p. 78-83]. La distance entre cette dernière et l’Occident se voit valorisée. En somme, « ces mises en scène définissent deux registres distincts de la négociation interculturelle, l’un jouant sur l’étrangeté, l’autre sur le familier. Tous deux s’élaborent dans le cadre d’un rapport dominant/dominé, ici entre une majorité autochtone et des minorités d’origines étrangères. La négociation permet de se faire une place, en circonscrivant le dominant, en répondant à ses attentes par un dispositif inventif, créatif » [Raulin, 2000, p. 95]. Selon une même dynamique d’appréhension positive de la différence, notons l’engouement actuel pour le métissage qui concourt au contraire à penser la frontière comme un cumul harmonieux des différences.

Marché ethnique

12 Cet intérêt croissant pour des éléments exogènes rencontre en ce changement de siècle la reconnaissance du pouvoir d’achat des minorités « ethniques ». Anne Sengès souligne l’importance du marketing « ethnique » (multiculturel), destiné à toucher « un marché parallèle au marché grand public qui est un marché par communauté » [2003, p. 11-12]. À compter des années 1960 aux États-Unis, les enjeux économiques motivent les annonceurs à se lancer dans des campagnes de séduction auprès des minorités, veillant soigneusement à éviter l’écueil des stéréotypes. Les données statistiques recueillies lors des recensements fédéraux favorisent un ciblage plus précis des consommateurs potentiels. En raison d’une politique assimilationniste et de l’absence de ces indicateurs, la France tarde à investir le marché « ethnique » ; elle ne le fera qu’à partir des années 1990. Dans le domaine du luxe, les mannequins noirs, sollicités depuis les années 1970, bénéficient dès lors d’une plus grande visibilité. Une journaliste d’Amina s’en réjouit : « Enfin des campagnes de publicité [Adidas, Chantelle, parfum de J.-P. Gaultier] qui nous ressemblent ! Curieusement, depuis quelques mois, les affiches publicitaires des grandes marques françaises et internationales mettent en avant des femmes noires et métissées. Les publicitaires, ou leurs clients, se rendent-ils compte de l’évidence : nous aussi nous portons des dessous chic, nous aussi, nous aimons nous parfumer, nous aussi nous portons des baskets » [juillet 2003, p. 24].

Quand l’ethnique prend visage africain

13 La presse féminine noire fournit, il est vrai, un angle spécifique qui segmente la demande pour mieux cibler son lectorat [6]. L’équivalence entre les qualificatifs « ethnique » et africain se profile en réponse aux attentes présupposées d’une clientèle « ethnique ». Ainsi, dans le domaine des cosmétiques, les publicités se parent de « visages ethniques » principalement noirs, comme celui de Vanessa Williams [Divas, novembre2001, p.19]. La relation entre la représentation de l’un ( « ethnique ») par l’autre (Noir) se vérifie également dans l’autre sens. Par exemple, Divas qualifie l’ouvrage de Sonia Rolland sur la beauté noire de « brillante ode à la beauté ethnique » [avril 2004, p. 16-20]. Des États-Unis arrivent des produits capillaires et cosmétiques accolés à l’envi du terme « ethnique » pour investir le marché européen  [7]. Les entreprises occidentales se dotent d’une division « ethnique », soit un département spécifiquement destiné à séduire une clientèle « ethnique »  [8]. À l’aube de l’an 2000, cette démarche se développe en France, caractérisée à nouveau par une mise en avant de caractéristiques africaines. En témoigne Arsène Valère qui lance sa gamme « ethnique » en s’entourant d’une équipe noire, motivée par sa « passion du peuple noir » [Amina, février 2004, p. 81 ; id., mars 2004, p. 68] alors que black Up vise spécifiquement ce créneau par son slogan De la passion est née la différence [Divas, septembre 2001, p. 85]. Ainsi, l’emploi du terme « ethnique » permet de séduire une clientèle potentielle qui dépasse les références classiques de la société majoritaire blanche française en lui proposant un panel de symboles dans lesquels elle pourra se reconnaître. La mobilisation de la dimension « ethnique » n’est pas pour autant systématique  [9], car dans le domaine de la création vestimentaire, l’effet tremplin auquel on pourrait s’attendre ne tient pas ses promesses. Une lettre adressée à Tommy Hilfiger dans la revue Miss Ébène dénonce sa concurrence déloyale et reflète l’ambivalence du marché « ethnique » : « En fait, tu es une sorte de paradoxe à l’américaine : en véhiculant cette image d’une Amérique multi-ethnique où des jeunes, beaux, forts et cultivés prennent la pose entre deux cours à la fac, tu révèles que tout cela n’existe pas (hormis le sourire et la musculature de Tyrese qui eux sont bien réels) et surtout que ces communautés qui ont adopté le style urbain Tommy, qui se présentait si généreusement à eux, n’ont aucun contrôle sur leur poids commercial pourtant si important. Aujourd’hui tu dois savoir que Maurice Malone, Karl Kani, Shabazz Brothers et récemment Sean Puffy tentent vainement d’atteindre ton chiffre d’affaires. Mais les a priori et la méfiance inter-communautaire sont tenaces. Malheureusement, eux n’incarnent pas “the real american fragrance” » [avril 2002, p. 80]. Cet extrait rappelle que les clefs de la légitimité résident en Occident, même pour séduire un marché « ethnique ». La représentation optimiste de la fraternité sur papier glacé contraste avec une réalité multiculturelle cloisonnée, dépendante de la légitimité fixée par la majorité.

Un corpus de créateurs africains

14 S’intéresser à la Mode par la loupe de l’ « ethnicité » implique de saisir ces deux dynamiques (élitiste et populaire) qui se rejoignent pour la mettre au goût du jour dans une société occidentale majoritairement blanche. Consommer « ethnique » n’est plus l’apanage de l’élite [Raulin, 2000, p. 9-10]. Malgré les promesses offertes par l’étiquette « ethnique », les créateurs africains n’y recourent que sporadiquement. L’attribution de la qualité « ethnique » à la création africaine relève d’un champ sémantique occidental. Avant d’interroger le glissement possible vers un label « ethnique », je vais dessiner les frontières de la dimension africaine à partir de mon expérience empirique et d’un corpus de 300 créateurs africains repérés dans la presse féminine noire francophone.

Profil des matériaux

15 Ma réflexion croise ici des données obtenues par la représentation occidentale que j’incarnais sur mon terrain et l’analyse d’une énonciation manifestement destinée à valoriser un lectorat féminin noir. En effet, si le statut d’assistante officielle du créateur a relégué étonnamment ma présence blonde à un rôle d’intermédiaire professionnel, je ne retrouvais ma position de chercheuse aux yeux de mes informateurs que lors des entretiens particuliers. Cette fluctuation sensible de la distance vis-à-vis de l’Autre (blanc) en fonction des circonstances corrobore la plasticité du qualificatif porteur de frontières (africain, « ethnique »).

16 En France, j’ai tout d’abord puisé dans la riche collection d’Amina, revue publiée et diffusée en France dès 1972, en Afrique francophone et aux Antilles. Au fil des années, la mode, le roman-photo et les articles proposant un modèle féminin empreint de valeurs familiales, de persévérance et de travail, côtoient des informations culturelles et internationales. Le magazine s’étoffe pour proposer aujourd’hui quelque deux cents pages tous les mois. Créola répond à la même cible, limitée toutefois aux Antilles. Pilibo vise un lectorat jeune qui s’étend à l’ensemble de la zone francophone (dès 2002). Divas, né en 1999, se veut plus jeune et plus urbain. La mode proposée distingue les modèles occidentaux à la mode, de ceux des créateurs africains qui occupent une rubrique particulière ( « stylisme », « styliste » et dès l’année 2002 « Mode : stylisme »). Plus rarement, la rubrique « tendance » peut rassembler des événements collectifs de mode comme le Festival International de la Mode Africaine ou la United fahion of South Africa (Afrique du Sud, Divas, octobre2001, p.56-60). Enfin, la visibilité des créateurs africains transparaît parfois au-delà des considérations vestimentaires dans les pages « Portrait »  [10], et « Parole d’homme » [Pathé’O, Burkina Faso, Côte d’Ivoire id., janvier2003, p. 98]. Cette importante place allouée à la création vestimentaire africaine ne se vérifiera que dans Cité Black Paris (hebdomadaire, 2002) pourtant axé sur une cible plus jeune comme Miss Ebène et Couleur Métyss (mensuels, respectivement créés en 2001 et 2003). Dans le premier mensuel, hormis deux « portraits » de créateurs [11], il convient de rechercher leur existence dans les légendes des photos des pages mode. Dans ce second, les données sur la mode sont très rares et se focalisent sur le sportswear. Il s’agit de répondre aux attentes d’un lectorat jeune et urbain qui partage l’écoute de la musique hip hop et rhythm & blues. Outre-Atlantique, dès 1945, aux États-Unis, Ebony propose des sujets du même ordre qu’Amina pour séduire une bourgeoisie noire nord-américaine. La rubrique « Fashion » se focalise sur les défilés de mode itinérants organisés par Eunice W. Jonhson, épouse du rédacteur, à compter de l’année 1958 (Ebony Fashion Fair). Il s’agit principalement de modèles occidentaux, auxquels s’ajoutent parfois ceux de « Negroes designers » (1961) puis de « Black Designers » exerçant aux États-Unis. Les créateurs africains n’accèdent pas à ce type de visibilité. Essence Magazine est destiné depuis sa création en 1972 à un lectorat féminin noir et urbain qui rappelle le contenu tant socio-politique qu’esthétique d’Elle Magazine en France. À la rubrique « Style » se substituera dans les années 1990, celle de « Designer Portfolio » où des créateurs africains apparaîtront parfois comme pour compléter une présentation de mode ici encore, occidentale.

Esquisse des frontières de la dimension africaine

17 Quêter le sens du qualificatif africain dans cette presse m’a amenée à dégager quatre types de créateurs africains :

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  • Les créateurs de mode vestimentaire nés dans un pays d’Afrique et exerçant dans un pays d’Afrique, qui n’est pas systématiquement leur pays d’origine. La mobilité transnationale se vérifie fréquemment dans cette branche professionnelle. Ce sont les créateurs les plus nombreux et en majorité signalés par la revue Amina dans ses pages réservées à la Mode en Afrique. Cette appréciation doit être nuancée cependant par le caractère éphémère de la mention du plus grand nombre. Ce rythme aléatoire de la visibilité des créateurs correspond à celui du système de mode (élimination de ceux qui ne maîtrisent pas les règles de créativité, mais surtout les règles économiques et sociales) auxquelles s’ajoutent des considérations locales (Afrique).
  • Les créateurs de mode vestimentaire nés dans un pays d’Afrique et exerçant dans un pays d’Europe et aux États-Unis figurent dans la presse féminine noire en fonction de leur adéquation avec la ligne éditoriale. Amina les mentionne dans ses pages centrales – « Femmes créoles » – consacrées à la zone métropolitaine, sauf lorsqu’ils participent à des événements sur le continent. En ce cas, les voici rattachées à ceux de la première catégorie. Rappelons qu’Essence Magazine, Divas et Cité Black Paris ont créé une rubrique « Tendances » afin de les rendre accessibles régulièrement aux lectrices. Ce sont certainement les créateurs qui bénéficient de la plus large publicité.
  • Les créateurs nés dans les DOM TOM et les Caraïbes, qui exercent dans leurs régions d’origine, en Europe ou aux États-Unis restent peu visibles. Leur présence s’inscrit dans les rubriques occupées en majorité par les deux catégories précédentes. Dans Amina, les créateurs originaires de la Caraïbe, hors cas d’événement collectif africain, s’avèrent moins nombreux que leurs homologues africains. Ils suscitent parfois l’intérêt de Créola, le plus souvent d’ailleurs de manière collective.
  • Pour finir, quelques Blancs exercent leurs talents sur le continent africain. La Française Claire Kane, au Sénégal, et la russe B’Exotiq, au Ghana, connaissent une médiatisation du même ordre que ceux de la première catégorie. En revanche, les mentions des créateurs exerçant dans les zones anglophones et lusophones du continent restent exceptionnelles – notamment lors de manifestations transnationales de Mode (Koras, FIMA  [12]).

19 J’ai éloigné à dessein l’appréciation subjective de la dimension africaine des créations elles-mêmes. En effet, comment distinguer la part de tradition (laquelle d’ailleurs ?) de l’influence occidentale ? Comment organiser cette réflexion autrement que par l’antinomie Occident-modernité/Afrique-tradition ? En somme, aussi bien la référence géographique (origine, exercice) que la couleur de peau et/ou le type de création (matériaux, coupe) s’avèrent constituer des critères pour mériter l’appellation « africain ». Cette fluctuation des frontières identitaires en fonction des visées éditoriales dépasse largement la dimension essentialiste qu’elle véhicule dans la mesure où l’étiquette peut se voir contestée par les acteurs eux-mêmes. La gabonaise Elvire me confia par exemple au sujet de son confrère congolais qui tient pignon sur rue à Paris, il travaille rien que les matériaux européens, c’est des grandes robes du soir, des grands tailleurs de cocktails et tout, lui, y’a rien d’africain dans ses collections, faut pas se leurrer la face (FIMA 2000, Niger). Par ailleurs, Mirna, libano-ivoirienne, installée en Côte d’Ivoire, considère comme siens les matériaux africains : Maintenant, l’identité c’est ça, c’est pouvoir travailler nos matières premières et les valoriser, les faire apprécier, les faire aimer (FIMA 2000, Niger). Son identité africaine prime sur ses autres composantes (libanaise et française). La médiatisation de l’arrivée d’Oswald Boateng à la tête de la création de Givenchy Homme a incité la presse féminine noire à le présenter comme un modèle africain de réussite, car ses parents sont d’origine ghanéenne [Divas, février 2004, p. 17]. Pourtant, si certains se targuent de trouver des touches africaines à ses créations, Oswald Boateng est né et vit à Londres, a épousé une mannequin russe et crée dans « la grande tradition du costume anglais » [Revue Noire, p. 65]. Le processus d’étiquetage semble réalisé a posteriori par une presse avide de célébrités noires. Sur l’ensemble de mon échantillon, la fierté d’être ou de créer africain n’implique pas de consentir à un enfermement symbolique dans la tradition. D’autant qu’à la suite de Hobsbawm et Ranger, on sait à quel point cette notion est un construit mobilisable et manipulable en fonction des intérêts situationnels [1996]. Il s’agit donc d’une délimitation arbitraire qui rassemble des acteurs culturels, économiques, voire politiques, de différentes origines géographiques. La classification que j’exposais précédemment permet de souligner la souplesse et plus encore, le caractère dynamique des étiquettes accolées à la création de mode vestimentaire. Dans quelle mesure le label « ethnique » s’ajoute-t-il ou se substitue-t-il à cette caractéristique africaine ? Un retour sur les significations véhiculées par le terme exotique s’impose maintenant afin de cerner plus particulièrement les implications symboliques d’un glissement potentiel vers celui d’ « ethnique ».

Du label exotique à celui d’ « ethnique »

20 Anne Décoret-Ahiba a démontré la part de leurre dans la quête d’authenticité et l’importance de la créativité dans ses travaux sur la danse exotique au début du XIXe siècle. La réinterprétation à partir de gravures et l’adaptation aux attentes d’un public occidental remettent en question la représentation figée et authentique de l’Autre [2004]. Pourtant, c’est bien là le sens commun que véhicule le terme exotique. Une trop grande référence au passé (traditions, folklore) peut devenir une connotation péjorative si elle l’emporte sur le caractère novateur, exigence incontournable de la création vestimentaire [Geoffroy-Schneiter, 2005, p. 9].

21 Globalement, le terme exotique est aujourd’hui mal perçu mis à part dans des domaines spécifiques de consommation qui se rattachent à un marché ethnique. Relier la beauté noire à l’exotisme la réduirait à une fonction décorative tel un « oiseau exotique » (Divas, octobre 2000, p. 15). Néanmoins, cette idée persiste sporadiquement à l’occasion de l’élection de Miss Exotique en Suisse (Amina, février 2001, p. 33) et de la participation du mannequin N’Deye Magniez (Sénégal) à un défilé à Saint Étienne (France), qui « a amené un élan d’exotisme, de beauté et de classe sur un défilé » [Amina, janvier 2003, p. 14]. Que ce soit à propos de la coiffure, de la cuisine ou de la fête, l’utilisation du terme exotique s’observe des deux côtés, de la part des Noirs et des Blancs  [13]. J’ai rencontré cet usage dans la création vestimentaire antillaise seulement au détour d’une description de motifs animaliers et floraux [Amina, janvier 1979, p. 10-11] ou encore de celle de tenues traditionnelles à la Foire de Paris [Amina, juin 2000, p. 84-87]. Dans le champ de la mode africaine, je n’ai trouvé qu’un cas où le terme exotique est mobilisé. En Belgique, Doudou Ngamboma vise un marché africain à terme et s’inspire de la Côte d’Ivoire et du Bénin où elle a séjourné. Elle l’exprime par la présentation de sa collection « Exotisme, couleurs tropicales ». Un article d’Amina décrit son type de création : « ses découpes faites de lignes brisées et de formes géométriques, oscillent entre rigueur occidentale et nonchalance africaine. Entre tradition et modernité, le tissu Kita et l’Ottoman se marient admirablement. Ses chapeaux altiers empruntent les lignes et les formes zoulous » [Amina, janvier 2000, p. 34]. Car puiser dans un réservoir particulier dit « traditionnel » ne doit pas aboutir à un label exotique qui renverrait la création à la marge. Miss Ébène rappelle ce risque en présentant les créations de Denis Devaëd (Guadeloupe/France). Le discours tend à dissiper cette distance symbolique qu’impliquerait une catégorisation exotique. Il insiste ainsi sur le fait que « ces créateurs […] ne sont pas les petites touches d’exotisme du paysage de la mode mondiale ». La marque de Denis Devaëd « ne se limite pas à de petites robes d’été ou tenues simplistes, bien au contraire, c’est une façon de vivre, de se comporter et d’aimer qui se ressent dans ses vêtements. En quelque sorte, ses créations cadrent la beauté des femmes et s’intègrent à leur vie. Le traditionnel croise la rigueur technique de la modernité » [octobre 2001, p. 29].

Résister à la tentation ethnique

22 Dans la pratique, force est de constater une relative méfiance à l’égard de l’emploi de l’étiquette « ethnique » par les acteurs africains soucieux de véhiculer une image positive de leur création vestimentaire. Ainsi, dans les deux ouvrages consacrés à la création de mode africaine, rédigés par des journalistes africains, le vocable en vogue semble boudé. Le premier, signé par Renée Mendy, l’omet discrètement [2002] et le second, la Revue noire dans son numéro Spécial Fashion, s’en démarque évasivement [1998, p. 1]. De la même manière, dans le numéro spécial de la revue Beaux Arts magazine, « La mode dans le monde », les deux chapitres portant sur la mode en Afrique centrale et de l’Ouest, rédigés également par des journalistes africains taisent à leur tour le terme « ethnique » [2001, p. 107- 109, p. 111-113]. Doit-on en rechercher la cause dans la responsabilité extérieure de cette appellation ? L’entretien avec la créatrice franco-sénégalaise Mily Ron le laisse entendre. Ne s’offusque-t-elle pas du caractère superficiel et arbitraire de la catégorie « ethnique » ? Non non je l’utilise parce que dans notre métier, pour moi c’est un peu comme « de couleur », c’est complètement débile. Mais je suis obligée de l’utiliser parce qu’on ne l’a pas remplacée par autre chose. Quand tu arrives sur le marché de la mode et que tu fais un produit qui vient d’Afrique, on te dit que c’est très ethnique. Voilà, c’est passé dans le vocabulaire. Dans mon cas ça correspond absolument, mais absolument à rien du tout […] Mais je ne saurais pas par quoi le remplacer, tu vois, je suis obligée de l’utiliser. Et comme il s’agit de travail, je l’utilise. Parce que je n’ai pas le choix, c’est le seul moyen de faire comprendre, que quelqu’un d’autre puisse comprendre, on ne sait pas par quoi le remplacer parce que ça veut rien dire. Absolument rien dire. C’est de nouveau le regard d’un Blanc vis-à-vis du reste du monde. Ça n’a rien d’ethnique ce que je fais, mais on considère que c’est ethnique parce qu’il y a des petits dessins, en gros. Ou parce que c’est fait en Afrique. Je ne sais pas moi, pourquoi c’est ethnique (Paris, 2000). Respecter les usages du système de mode offre donc l’espoir d’accéder à une certaine visibilité en Occident. C’est en cela que les médias jouent un rôle primordial dans la transmission des discours. Utiliser l’adjectif « ethnique », pour peu qu’il ajoute un argument supplémentaire de vente, reviendrait à reconnaître finalement une adhésion à une étiquette jugée condescendante par les acteurs du Sud. Ce point de vue rappelle les débats observés dans le champ artistique autour de l’ambivalent concept de world en musique [Roy, 2005]. La priorité donnée au silence ne saurait se cantonner à une explication analogique entre exotique et « ethnique ». Il convient maintenant d’interroger les significations véhiculées par leurs rares énonciations. L’équivalence entre « ethnique » et africain se vérifie-t-elle aussi facilement dans le champ de la mode africaine ?

Étendue sémantique floue

23 Récapituler de manière exhaustive les références « ethniques » à partir de ce corpus ouvre également une piste d’entendement. L’échantillon considéré connaît une première occurrence dans la mention de l’adjectif « ethnique » comme source d’inspiration, ce qui n’est pas pour autant très limpide. Les créations de Gino-Style sont, par exemple, présentées dans Amina comme éminemment « ethniques » : « Très colorées, d’inspiration ethnique, les créations ne laissent pas indifférentes » (avril 1999, p. 48). Cette acception mérite ici d’être approfondie en raison de sa redondance. La traduction en mots de ses créations par Amina souligne à chaque fois, tel un refrain, l’étroite mise en relation d’une dimension colorée à son inspiration « ethnique ». Cependant, le développement des descriptions concerne principalement des références occidentales comme l’illustrent ces deux extraits rédigés à un mois d’intervalle. Le premier se targue d’une mélancolie tournée vers ses antécédents créatifs : « son style parfois ethnique est souvent très coloré, dessinant des courbes par un jeu de transparences et de fluidités et de matières serrées. On aime se souvenir, à travers les défilés de Gino, des jupes courtes, des longues robes près du corps avec des transparences ne révélant que ce que la décence autorise » [id., décembre 2002, p. 62]. Le second renvoie plus explicitement à une activité en adéquation avec la tendance générale : « le Guadeloupéen Gino Style a présenté pour sa part une grande partie de sa nouvelle collection. Notamment une ligne requin, dont les pantalons et jupes sont parfois criblés de larges entailles, par lesquelles on aperçoit un soupçon de dentelle. Un style glamour, voire sexy et un travail de matière tendance avec du jean et de la fourrure, rois de l’hiver. Très colorées, d’inspiration ethnique, les créations de Gino Style ne laissent pas indifférentes » [id., janvier 2003, p. 61]. La portée symbolique de l’étiquette « ethnique » ne se déduit en somme que par contraste. Pourquoi, le créateur malien Issa Niambele avec lequel il partage en janvier 2003 le podium n’en bénéficie-t-il point ? Ce choix journalistique pourrait s’expliquer par un désir d’appuyer en priorité la maîtrise des éléments occidentaux (coupes, matériaux, couleurs) par le créateur Gino Style. En revanche, si l’on reprend l’ensemble des commentaires qui lui sont consacrés, la part d’altérité implicitement formulée par le vocable « ethnique » ne reposerait que sur son origine antillaise. Paradoxalement, si cette information parsème de manière récurrente les articles d’Amina, les surnoms qui lui sont accolés l’ancrent dans un champ occidental. Le voici « figure incontournable de la mode “Black & White” à Lyon » [id., décembre2002, p.62] puis « l’étoile montante du stylisme lyonnais » [id., janvier 2003, p. 61]. L’incertitude sur le contenu véhiculé par le terme « ethnique » s’observe également chez Kate Mack qui, sciemment, justifie son attitude de réserve quant à la précision de son origine antillaise  [14]. Toutefois, son utilisation du madras (rattaché à la tradition antillaise) reste distinctement présentée comme significative parmi d’autres références plus proches de l’Occident. Son « monde » rassemblerait : « poésie, ethnicité, éclectisme culturel et musical, du nom de ses précédentes collections : “Ebony”, “Brown Sugar”, “Aaliyah”, “Ekklektik fibers”, “Salt’n Pepa”, “Soul Sisters” » [Couleur Métyss, juin-juillet 2003, p. 44-45].

24 Ces exemples rappellent la tension inhérente à la presse féminine noire à savoir l’oscillation entre une inscription de ses acteurs dans une démarche particulariste et celle, plus large, dans une société occidentale majoritairement blanche. L’articulation de ces répertoires a priori opposés se vérifie dans l’ensemble des utilisations du terme « ethnique ». La variation porte sur la motivation des créateurs. En 2002, les frères ivoiriens Sessegnon proposent une collection Ethnik. Amina mobilise le même registre (à savoir celui d’allier « tradition et modernisme ») tout en lui prêtant l’ambition d’aller à l’encontre des préjugés. Comme si cette harmonie supposée récente permettait « à tous de se vêtir sans conserver le cliché tissu africain = folklore » [id., février 2002, p. 14]. Dans le cas des articles consacrés aux défilés du Nigeria Fashion Show, l’inspiration « ethnique » s’annonce garante de renouveau dans le champ occidental. C’est le cas notamment « des créations originales et innovantes qui refléteront la diversité culturelle du Nigeria et de l’Afrique [et] sauront séduire le monde entier », et cela, en conformité avec les ambitions nigériennes qui encouragent les créateurs « à puiser dans leur passé ethnique » [Amina, octobre 2002, p. 64, id. septembre 2003, p. 45]. Fred Eboka (Nigeria/ Afrique du Sud) participerait d’ailleurs à cet élan d’une part en réactualisant les « racines » de la mode africaine et, d’autre part, en les confrontant à « la diversité culturelle et ethnique qui l’entoure » [Amina, décembre 2000, p. 14]. La dimension « ethnique » ne se voit-elle pas rapportée à l’exploitation d’un patrimoine africain ?

Un regard africain revisité ?

25 Ces pistes de réflexion s’éclairent avec la déconstruction d’autres exemples repérés dans la presse féminine noire. Non seulement l’Ivoirienne Awa Meite, installée au Mali, puise « dans la tradition des différentes ethnies de l’Afrique de l’Ouest », c’est-à-dire qu’elle ne se limite guère à son patrimoine culturel, mais elle choisit de privilégier certains matériaux à savoir le « travail du cuir des Touaregs, les tissages, le batik sénoufo, le rafia » [Amina, juillet 2004, p. 8]. Comme ses confrères ivoiriens, les frères Sessegnon qui repèrent les « matières nobles africaines » parmi « le kinté, le bogolan, le raphia, l’adingra [et] le tani » [id., février 2002, p. 14], Awa Meite valorise des pans, reconnus comme tels, du patrimoine continental. Pourtant l’objectif de la création consiste à dépasser la simple cueillette dans des réservoirs artisanaux africains, il s’agit d’une véritable réinterprétation de ces traditions. La retranscription suivante des propos d’Awa Meite illustre une marge de manœuvre qui s’oppose à la représentation stéréotypée d’une tradition africaine statique : « Avec le temps, j’ai appris à transformer des formes déjà existantes, des objets de décoration en vêtements. Poufs et selles touarègues, par la grâce de la couture, deviennent bustier ou jupe. Les pagnes de rafia, les tissages yorubas muent en étoles et les fins voilages mauritaniens se font pantalons tchayas » [Amina, juillet 2004, p. 8]. Une même dynamique resurgit dans la question posée par Amina à la créatrice Sol des Anges : « Vos chaussures sont très ethniques, empreintes des plus belles marques de beautés africaines : mèches, tissus, cauris, etc., Pourquoi ? Je me suis inspirée de l’élégance de la femme africaine. […] Pour les semelles, je me suis inspirée des pagnes africains. Quant aux talons, ils font référence à l’art africain : tam-tam, tabouret, etc. J’ai voulu rehausser les couleurs de l’Afrique. Je voudrais que mes chaussures soient de la haute gamme, avec un clin d’œil à notre continent » [Amina, mai 2000, p. 62]. Sa réponse alimente l’idée que le « haut de gamme » existe par et avec une représentation d’un élément africain ( « pagnes  [15] », « art »…). Ces exemples se caractérisent par une volonté de piocher dans le réservoir symbolique africain sans explicitement les relier autrement que de manière implicite à une tendance « ethnique » plus générale.

26 On retrouve cette articulation au point d’en perdre toute consistance traditionnelle lors des énonciations destinées à présenter la créatrice Almen Gibirila, originaire du Bénin qui exerce en France. Que ce soit dans Divas où elle « a toujours, dans son travail, réinterprété l’ethnicité du monde entier pour en faire des vêtements de tous les jours » [juin 2001, p. 46]  [16] ou dans Amina qui rallie ses emprunts à de vagues « traditions africaines » qui se conjuguent avec le « goût du jour », la teneur significative fait défaut. Qu’entendre exactement par la conclusion d’Amina qui voit dans ses créations « un très bel hommage aux ethnies qui luttent contre le temps qui passe » [mai 2003, p. 50] ? Somme toute, la signification du qualificatif « ethnique » reste implicite et, bien souvent, se limite à son énonciation  [17], parfois uniquement dans le but de cibler une clientèle particulière  [18].

Préciser la teneur sémantique

27 Toutefois, qualifier une création d’ « ethnique » peut sembler insuffisant aux journalistes dont le rôle consiste à traduire par des mots le code vestimentaire proposé. L’ « ethnique » pourra être précisé « chic »  [19] ou « ultra », reformulé sous la forme « ethno » et connaître l’ajout de la spécificité « urbaine ». Les deux premières expressions sont accolées par exemple aux chaussures de Jacky’D pour en souligner le croisement des influences créatives. L’extrait suivant illustre l’idée que le contenu et la forme de la frontière entre les zones culturelles doivent être revisités pour procurer de la nouveauté tout en respectant les tendances occidentales : « Jacky’D est à la recherche d’une féminité contemporaine, avec l’idée de mélanger les cultures. Il a le goût du geste parfait, l’harmonie entre le transformisme des formes et la liberté d’invention, dans un langage ultra-ethnique, qui donne une silhouette africaine, égyptienne et occidentale. Il crée une dynamique asymétrique avec des découpes en losanges, en diagonale, très aérée. Pour cette collection inventive. Jacky’O cherche le contraste des effets, il évolue entre le futurisme et l’avant-gardisme. Il explore les mélanges et le travail des matières dans le traitement des couleurs des cuirs, des toiles de jute, des métaux et des plastiques. Ses inspirations sont dans la récupération (accessoires, cordes, lacets, bambous et incrustations de bijoux). Les chaussures prennent l’aspect des tragédies égyptienne et romaine. Styliste de renom et remarqué pour ses nombreux défilés, on remarque la nouveauté du détail dans les tailleurs classiques, les drapés, les plissés, les blasons en cuir, les zips et les plastiques, une collection de bijoux gothiques et incrustés dans les vêtements. Dans ses collections, il retrace son histoire de métissage à travers les femmes dans l’ethnique culturel » [Amina, juillet 2002, p. 52]. Le discours qu’Amina propose à son sujet le place hors des catégories existantes, d’où ce tâtonnement verbeux pour tenter de rendre compte de l’originalité de ses inspirations.

28 À l’occasion de l’exposition « Le Boubou c’est chic » au Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie dans la capitale française, le créateur Lamine Kouyaté, fondateur de Xuly Bët, se voit affublé par la presse de l’appellation « le Sénégalo-Malien et ethno-urbain ». Cette étiquette le distingue en fait des autres créateurs africains invités à défiler pour honorer l’événement [Amina, décembre2002, p. 57]. Il est en effet le seul, si l’on en croit une journaliste d’un quotidien parisien rencontrée en 1999 à Paris, à posséder une renommée internationale qui investit jusqu’à New York. L’article défini « Le » pourrait s’expliquer également par la dimension « urbaine » qui inscrit encore plus particulièrement le créateur dans le système occidental. Doit-on alors rattacher le qualificatif « ethno » à ses origines « sénégalo-maliennes » ? L’influence urbaine s’observe de la même façon en France chez le Sénégalais Mike Sylla de Baïfall Dream & The Human Tribe. Ce qui intéresse la journaliste repose en revanche dans le caractère « pionnier » de ses créations relevant « d’une mode ethnique avant-gardiste ». La dimension « ethnique » provient ici des motifs – « visages peuls » – qui agrémentent « vestes, manteaux et jupes en cuir ou daim » [Amina, novembre2000, p.14-15]. À l’adjectif africain est ajouté parfois celui d’ « ethnique ». Deux types de motivation cohabitent pour nourrir d’une part un sentiment de redondance  [20] et, d’autre part, une accentuation du contraste symbolique entre « ethnique » et africain. Dans le premier cas, les significations des termes « ethnique » et africain sont réduites à une dimension traditionnelle. En revanche, dans le second, ne serait-il pas logique d’entendre la part « ethno » comme un effort d’adéquation à une demande internationale (modernité) ? Ceci expliquerait que certains, comme Sandrine Germany par exemple, se démarquent de la demande « ethnique » au nom d’une l’authenticité Antillaise [Amina, décembre 2003, p. 19].

29 Lorsque le terme « ethnique » est utilisé à des fins descriptives, seule la présence d’une photographie offre l’espoir d’en saisir la signification. Que comprendre par exemple de cette légende : « ensemble en coton stretch imprimé ethnique » [Pilibo, avril-mai 2004, p. 33] ? Toutefois, il est possible à travers ces quelques exemples de dégager les connotations inclues dans la labellisation « ethnique » des créations de mode africaine dans la presse féminine noire francophone. Le premier point se rapporte à une mise en valeur de la tradition : il faut entendre par là une perception comme telle d’un élément particulier (matériaux, technique) par sa (ré) actualisation, sa réinterprétation par le biais de la création. Le lien entre le passé (tradition) et le futur (proposition de modèles vestimentaires) s’ancre dans un présent favorable à ce que certains qualifieront d’ « ethnique ». Les éléments retenus de la tradition africaine subissent une transformation technique,  [21] voire symbolique, pour séduire un public friand de nouveautés. Dans cette optique, des éléments occidentaux (coupe, matériaux, couleurs) se combinent à ceux la tradition africaine pour assurer une plus large visibilité en adéquation avec la tendance « ethnique » qui souffle sur le champ occidental de la mode.

Maintenir à distance l’altérité

30 Que camoufle finalement cette étiquette « ethnique » ? Pour les acteurs du champ de la mode occidentale, ce label renvoie à une altérité rendue accessible par la réappropriation d’un créateur. Lorsque l’on se tourne vers ceux qui sont désignés comme africains, le trouble paraît. Si le glissement de vocabulaire (d’africain à « ethnique ») peut sembler évident à première vue, l’analyse des matériaux révèle un silence, brisé parfois par de timides exceptions « ethniques », éparses, comme s’il s’agissait de profiter de cette opportunité économique sans pour autant s’y laisser cristalliser. Bérénice Geoffroy-Schneiter rend compte de l’appellation « ethnique » comme d’un carcan [2005, p. 12, 14]. L’appellation africaine, avec plus ou moins de réserve selon les protagonistes, semble préférée. C’est ce que révèle en substance le créateur Xuly Bët : « Mais il est important aussi que cette Afrique multiple produise de l’émulation, de l’inspiration. Cela crée une énergie positive. Le revers est cependant que l’on parle très peu des créateurs africains ! » [id.]. Comme si, quitte à être étiqueté authentique, il valait mieux être direct, assumer son africanité plutôt que d’utiliser un terme ( « ethnique ») dont la définition reste évasive, étroitement liée aux diktats occidentaux et trop proche dans son interprétation du terme exotique. Ce rappel tacite de la domination coloniale bloque finalement la réappropriation identitaire escomptée par le succès du mot « ethnique » dans un cadre spécifique qui est le champ de la mode. Par ailleurs, dans la pratique, le vocable fige à distance du centre de légitimité. Cette frontière symbolique se situe à la rencontre d’une dynamique occidentale qui en revendique l’exploitation afin de nourrir sa créativité et d’un mouvement pour le moins ambivalent des acteurs du Sud. Ces derniers ont en effet intérêt à réduire la distance symbolique avec l’Occident pour intégrer le champ de la mode tout en connaissant la tentation d’une tendance « ethnique ». Ils entendent autant que possible maîtriser leur image sans pour autant pouvoir toujours se soustraire des tournures journalistiques qui catégorisent leurs créations.

Notes

  • [*]
    ATER en Sociologie à Paris X-Nanterre, Membre rattachée au Centre de recherches sur les mondes américains (CERMA-MASCIPO), e-mail : pascale@pobox.com
  • [1]
    « J’appelle champ un espace de jeu, un champ de relations objectives entre des individus ou des institutions en compétition pour un enjeu identique. Les dominants dans ce champ particulier qu’est le monde de la haute couture sont ceux qui détiennent au plus haut degré le pouvoir de constituer des objets comme rares par le procédé de la “griffe” ; ceux dont la griffe a le plus de prix. Dans un champ, et c’est la loi générale des champs, les détenteurs de la position dominante, ceux qui ont le plus de capital spécifique, s’opposent sous une foule de rapports aux nouveaux entrants » [Bourdieu, 1984, p. 197].
  • [2]
    Comme Anne Raulin, je retiens la définition formulée par F. Barth en 1969 « selon cet auteur, les groupes ethniques se manifestent en se différenciant par un certain nombre de traits socio-culturels des autres groupes avec lesquels ils coexistent et sont en interaction, reformulant ainsi des frontières qui les distinguent les uns des autres, mais qui demeurent néanmoins franchissables » [2000, p. 10].
  • [3]
    Soit des « robes ‘africaines’ en tressage de perles de bois précieux, raphia et cuir » (Géo 2005, p. III-IV).
  • [4]
    Essence Magazine en septembre 1991 signale l’inspiration africaine dans la mode en Europe et en mars 1992, s’intéresse à la perception masaï de Chantal Thomas. Douze ans plus tard, « l’Afrique fait toujours un malheur : allures masaï ou zoulou, peule ou malienne, silhouettes recouvertes de perles, de tissages, de bois et de peau (serpent, léopard, python, croco ou zèbre), le tout en lanières, incrustations, patchworks et autres découpes, pour accentuer, comme disent les revues de mode, “le look sauvage” » (Géo 2005, p. IV-V).
  • [5]
    Cette dynamique ne serait pas seulement occidentale, la franco-béninoise Almen Gibirila signale qu’elle « n’a pas attendu le Britannique John Galiano pour s’inspirer en haute couture des Peuls et des Massaï » (Divas, juin 2001, p. 46).
  • [6]
    Ainsi, la première édition de l’Ethnique Show, « Le salon de la diversité et des cultures d’ailleurs », est surtout sponsorisée par des médias français noirs [Amina, février 2004, p. 66].
  • [7]
    La percée de Fashion Fair Cosmetics, première ligne de cosmétique (importée des États-Unis à Londres et à Paris dès 1984) répond au constat que, « malgré la croissance de la population noire en France, l’offre de produits cosmétiques était restreinte pour les femmes françaises de couleur » [traduction de l’auteure, Ebony, juin 1984, p. 150-156]. Vingt ans plus tard, la société SoftSheen Carson enregistrerait « 200 millions de dollars de chiffre d’affaires quand l’Oréal en fait 17 ou 18 milliards » car « le nombre de consommateurs d’origine africaine est évalué à 6 millions (2,5 millions en France, 1,5 million en Grande-Bretagne, 500 000 en Hollande, 500 000 en Allemagne et 1 million dans le reste de l’Europe). Celui des consommateurs originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient se situerait entre 6 et 10 millions » [Amina, août 2004, p. 43].
  • [8]
    Voir la société Indola [Pilibo, février-mars 2004, p. 41]. Chantal Virapin, coiffeuse : « Regardez dans mon secteur : il y a aujourd’hui des départements ethniques dans toutes les grandes marques de cosmétiques. On voit la même évolution dans la mode, les médias. C’est une suite logique et je crois surtout que c’est le début d’une autre histoire » [Amina, avril 2003, p. 25].
  • [9]
    Dans les pages consacrées au cadeaux de Noël, toutes les poupées proposées sont noires sans susciter le moindre commentaire [Divas, décembre 2002, p. 63], contrairement à celle dénommée Chouchou Ethnic « dont la peau est couleur chocolat » et promet « le bonheur de toutes les petites filles » [Amina, avril 2003, p. 62].
  • [10]
    Comme Sadiya Guèye (Sénégal, Divas, juillet-août 2001, p. 24-25) et Claire Lawson (Burkina Faso, id., octobre 2001, p. 28).
  • [11]
    Ceux de Oswald Boateng (Ghana, Angleterre, France, Miss Ébène, juillet-août 2001, p. 39) et d’Alphadi (Miss Ébène, novembre-décembre 2001, p. 34).
  • [12]
    Le FIMA est le Festival International de la Mode Africaine organisé depuis 1998 par Alphadi, créateur nigérien, au Niger (1998, 2000, 2003, 2005) et à Paris (France, 1999). La manifestation sud-africaine des Kora concernait tout d’abord le champ musical avant de s’étendre dès 1999 à la création de mode vestimentaire avec les Kora Fashion Award.
  • [13]
    Ces quelques exemples l’illustrent, comme ces salons-clés en main « Exotifs » (Amina, mai 2003, p. 64-65), cette école de coiffure « Exotif’s » à Nouakchott (Amina, juin 2004, p. 12-13) ou encore ces commentaires suscités par le restaurant. « Exotico [qui] est un repère pour toute personne recherchant des soirées tropicales à Genève » (Amina, septembre 1999, p. 66’) et le Festival Esperanzah en Belgique, où « l’ambiance sera festive, colorée, métissée… dans un esprit d’ouverture et de tolérance avec des cuisines aux saveurs exotiques, des magasins du monde… » (Amina, août 2002, p. 32). Enfin, la présence de l’artiste camerounais Petit-Pays dans un club au Portugal l’a transformé « en un lieu exotique » (Divas, décembre 1999 – janvier 2000 : 26), l’agence qui organise des événements et souhaite véhiculer une image positive de nos pays (les Antilles) est ainsi présentée : « Couleurs des îles, l’exotisme clé en main » (Amina, février 2001, p. 27).
  • [14]
    « À propos de la difficulté de réussir lorsque l’on est une jeune femme noire dans le monde de la mode, Kathy évoque le secret. Celui qu’elle conserve lorsqu’elle vend ses créations, omettant de préciser qu’elle en est elle-même l’auteur. « Les médias français ont leur part de responsabilité dans cet état de fait » [Couleur Métyss, juin-juillet 2003, p. 44-45].
  • [15]
    Le pagne est un tissu fabriqué principalement en Grande-Bretagne (Manchester) et en Hollande. Il est reconnu comme africain en raison de la réappropriation qu’il connaît sur le continent africain [Grosfilley 2004, Sylvanus 2002].
  • [16]
    Dans l’article suivant, hormis le titre, rien n’explique la dimension « ethnique » : « Mode : Ethnic Chic “L’Afrique sort de ses pagnes pour se parer de soie et de mousseline et imposer son style dans toutes les collections. Une leçon de mode revue, corrigée et signée par Almen Gibirila” » [Divas, novembre 2002, p. 38-43].
  • [17]
    Comme chez Kaleedjah Bijoux « Alliance moderne et ethnique », sa créatrice est née en Guadeloupe, mariée à un Martiniquais et vit à Paris depuis 1995 [Pilibo, juin-juillet 2004, p. 36].
  • [18]
    Lingerie Manjak, Malinké, Massaï « cela évoque certaines communautés ethniques d’Afrique de l’Ouest et de l’Est mais c’est aussi le nom donné aux dernières créations de la nouvelle collection été 2003 de la lingerie Charlott, qui vient de réaliser une magnifique collection pour peaux noires et métissées » [Amina, août 2003, p. 38].
  • [19]
    Voici un titre d’article « Jacky’D : les figures et le style des chaussures Ethniques-Chic »
  • [20]
    Par exemple : « La mode était également représentée par Fashionlab dont la collection originale d’inspiration ethno-africaine était accompagnée des œuvres de Fatima Allotey, jeune artiste du Ghana » [Amina, août 2002, p. 30].
  • [21]
    Modifier la fabrication traditionnelle pour en améliorer la qualité peut permettre de répondre à l’attente d’une clientèle internationale, soucieuse de laver ses tissus en machine sans les voir déteindre par exemple (bogolan).
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Depuis les années quatre-vingt-dix, la vague « ethnique » déferle sur l’Occident. L’attrait pour l’Autre se reflète aussi bien dans les collections de Haute Couture que dans la prise en considération d’un marché « ethnique » à un niveau plus populaire. Paradoxalement, si l’africanité peut être perçue comme « ethnique », les créateurs africains de mode vestimentaire ne se réfèrent que frileusement à cet adjectif. Mes recherches reposent sur l’examen de la presse féminine noire francophone (septembre 1998 - septembre2004). Elles révèlent les significations accolées au terme « ethnique » qui expliquent alors le constat d’une attitude de rejet d’une assignation identitaire en provenance de l’Occident.

Mots-clés

  • mode
  • système de mode
  • phénomène de mode
  • ethnicité
  • exotisme
  • africain
  • création

BIBLIOGRAPHIE

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Pascale Berloquin-Chassany [*]
  • [*]
    ATER en Sociologie à Paris X-Nanterre, Membre rattachée au Centre de recherches sur les mondes américains (CERMA-MASCIPO), e-mail : pascale@pobox.com
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/autr.038.0173
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