CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 La migration internationale occupe une place prédominante dans la vie économique et sociale de nombreuses communautés rurales mexicaines. On assiste dans ces localités à une véritable spécialisation dans l’activité migratoire, considérée par de nombreux ménages ruraux comme la principale stratégie de subsistance. Dans la majorité des cas, les migrants maintiennent des liens solides et continus avec leur localité d’origine qui donnent naissance à de véritables « communautés transnationales ». Dans ce cadre évoluent des acteurs, tels que les associations de migrants qui peuvent avoir de profondes implications dans la vie des communautés émettrices.

2 Aux États-Unis, il existe à ce jour près de 500 associations d’immigrés mexicains, plus ou moins formelles, dont l’un des principaux objectifs, outre celui de venir en appui aux migrants, est de mettre en place des petits projets de développement dans les lieux de départ. Pourtant, peu d’études ont été consacrées à ces organisations qui ne répondent que très partiellement à des questions essentielles telles que : quels sont les facteurs qui sous-tendent l’action collective des migrants en faveur du développement ? Comment une action collective de développement local se met-elle en place dans les conditions de mobilité et de dispersion géographique qui sont celles des membres d’une communauté ? Aujourd’hui, dans un contexte plus favorable aux organisations de la société civile mexicaine, quelle est la place des associations de migrants dans le développement local ?

3 Cet article se propose donc d’analyser cette nouvelle forme d’institution migratoire et son rôle de transformateur des sociétés d’origine au Mexique. Dans une première partie nous présenterons les associations de migrants mexicaines et le contexte dans lequel elles s’inscrivent. Dans une deuxième partie, nous nous attacherons à décrire la mise en place d’une collaboration pour le développement local entre trois associations de migrants originaires de communautés rurales de l’Ouest mexicain et les principales institutions de leur lieu d’origine.

Réseaux migratoires et communautés transnationales

4 Les travaux récents sur les migrations de main-d’œuvre, notamment entre les pays en voie de développement et les pays développés, remettent en question les définitions et les théories traditionnelles des migrations peu adaptées aux nouvelles formes de mobilité qui dominent aujourd’hui. Ces dernières considèrent que les migrations se traduisent par un relâchement, voire la disparition des liens socioculturels et économiques entre les migrants et leur communauté d’origine [Cortes, 1998]. En revanche, de nouvelles études suggèrent de voir la migration comme un processus à l’origine de la formation d’un espace de relations sociales, culturelles et économiques qui englobe les différents lieux contribuant ainsi à rapprocher considérablement les différents acteurs de la migration sans que la distance et les frontières politiques ne constituent une rupture [Moctezuma, 2000].

5 Ces liens sont facilités de nos jours par les progrès extraordinaires réalisés dans les communications et les transports et sont gérés par toute une série d’arrangements institutionnels au niveau du ménage du migrant mais aussi au niveau de la communauté. Ainsi, une fois la migration reconnue comme une importante stratégie pour la reproduction des ménages et de leur communauté, un ensemble complexe de règles plus ou moins implicites apparaît. Cette reconnaissance institutionnelle contribue à définir et à coordonner le comportement des différents acteurs de la migration qui doit permettre de réduire les risques de l’entreprise migratoire et de garantir la loyauté des migrants envers leur famille et leur communauté [Guilmoto, Sandron, 1999 ; Lanly, 1999].

6 Le réseau migratoire est l’élément structurant de cet espace social « transnational » sur lequel s’appuient les autres institutions de la migration. Il reproduit dans la migration les liens de solidarité entre les membres d’une même famille et, de façon moins systématique et plus indirecte, d’une même communauté. Les réseaux migratoires permettent également de maintenir les liens et l’entraide entre les migrants originaires d’une même localité en favorisant notamment leur regroupement dans les mêmes lieux et secteurs professionnels. Le renforcement de ces réseaux migratoires tend à réduire la dépendance des flux migratoires par rapport aux contraintes économiques à l’origine de la migration. Grâce à eux les mouvements migratoires deviennent un véritable processus social, permanent et massif qui s’auto-entretient [Espinosa, 1992].

7 Dans le contexte des migrations internationales, la maturation des réseaux migratoires entre les communautés de migrants et leur lieu d’origine favorise la « transnationalisation » de certains processus sociaux, politiques et économiques locaux et conduit à la formation de véritables « communautés transnationales ». C’est le cas de nombreuses communautés rurales mexicaines qui dépendent depuis plusieurs décennies de l’activité migratoire et dont près de la moitié de la population tend ces dernières années à s’établir de façon plus ou moins définitive aux États-Unis.

Les associations de migrants mexicains aux États-Unis

8 Une des manifestations de l’existence de ces communautés transnationales est l’établissement dans le ou les lieux d’accueil d’une ou plusieurs associations de migrants [1]. Cette forme d’organisation, qui repose sur l’appartenance à une même communauté d’origine, est la plus répandue parmi les immigrés mexicains de la première génération aux États-Unis [2] et peut être considérée comme une forme plus organisée et formelle du réseau migratoire. Ces associations apparaissent dans des communautés d’immigrés dont le nombre d’individus est suffisamment important pour permettre la constitution d’une association. Elles se composent essentiellement d’immigrés originaires de localités rurales dont les liens et l’attachement à la communauté d’origine sont plus importants que chez les migrants originaires des villes mexicaines ou que chez les descendants d’immigrés mexicains.

9 Les associations naissent le plus souvent d’un processus interne à la communauté d’immigrés, à partir de la nécessité de réguler une pratique ou une activité développée dans la migration (le rapatriement du corps des migrants morts aux États-Unis par exemple) ou pour récolter des fonds pour un projet dans la communauté d’origine. La création d’une association de migrants est souvent à mettre à l’actif d’immigrés déjà bien établis dans le lieu d’accueil. Les autorités de la communauté ou du « municipe [3] » d’origine peuvent parfois stimuler la création d’une association, souvent pour canaliser une partie des envois de fonds vers des projets d’intérêt communautaire. Leur durée de vie est variable et dépend souvent du niveau d’engagement et de la disponibilité de ses responsables mais également de la motivation de leurs membres.

10 Le fonctionnement des clubes de oriundos est en général relativement simple et souple. Il repose sur la constitution d’un bureau (mesa directiva) composé d’un président, un secrétaire, un trésorier et, selon les associations, un ou plusieurs adjoints responsables de l’organisation d’une activité spécifique (bals, événements sportifs, etc.). Ce sont pour la plupart des immigrés bien intégrés aux États-Unis qui, par leur profession (commerçants, petits entrepreneurs entre autres), peuvent se permettre de consacrer un peu de leur temps et de leur argent au bon fonctionnement de l’association. Ils constituent le noyau dur de l’association. La principale fonction de la mesa directiva est d’organiser des événements récréatifs destinés à rassembler des fonds pour la réalisation de petits projets de développement en direction de la communauté d’origine. Selon les règles mises en place dans chaque association, le bureau est renouvelé plus ou moins régulièrement au cours d’une assemblée générale à laquelle sont conviés les membres de la communauté d’immigrés. Mais il n’est pas rare de voir des associations qui ont la même équipe dirigeante depuis plusieurs années.

11 Il existe une variété d’associations d’immigrés qui reflètent les différences culturelles, socioéconomiques et migratoires de la communauté d’immigrés mexicains. Elles peuvent être classées selon leur degré de formalisation et de cohésion, les caractéristiques de leurs membres, leurs objectifs et fonctions. En simplifiant, deux grands types d’associations de migrants mexicains peuvent être distingués : celles de migrants originaires de communautés « métis » et celles de migrants d’origine indienne.

12 La première est la forme la plus commune du fait de l’ancienneté et de l’importance de la migration internationale originaire des régions non indiennes, en particulier de l’occident mexicain (Jalisco, Michoacán, Zacatecas et Guanajuato). Dans la grande majorité de ces associations, il n’existe aucune contrainte à la participation des membres de la communauté d’immigrés au fonctionnement et aux activités de l’association. De même, aucune inscription ou cotisation ne sanctionne l’adhésion : celle-ci repose uniquement sur l’appartenance à la même communauté d’origine. Le financement des activités de l’association dépend donc de la participation des immigrés aux activités de récolte de fonds (bals, loterie) et de leur générosité.

13 Sous l’action des fédérations d’associations de migrants mexicains et du gouvernement mexicain, celles-ci tendent de plus en plus à se formaliser et à obtenir une existence légale aux États-Unis (non profit-organization). Ce changement modifie quelque peu l’organisation des associations de migrants et notamment les conditions d’adhésion et la forme de financement qui peut allier la cotisation des membres avec des fonds publics ou de fondations privées.

14 Les associations de migrants d’origine indienne se distinguent par la forte cohésion de leurs membres et par leur organisation plus rigide, calquée souvent sur les institutions dirigeantes de leur communauté d’origine. Certaines d’entre elles ont été créées par les autorités du lieu d’origine pour maintenir les migrants dans la référence villageoise. La participation au fonctionnement, aux activités de l’association et à leur financement peut être obligatoire sous peine de sanctions. Elles se distinguent également des associations de migrants métis, par le caractère beaucoup plus revendicatif de leurs activités. Certaines fédérations et associations profitent de leur situation aux États-Unis pour protester contre les abus du gouvernement mexicain et des caciques locaux à l’encontre des populations et communautés indiennes. Elles organisent également de nombreuses activités de type culturel destinées à maintenir la cohésion des communautés d’immigrés et leur identité ethnique [Lanly, 1999 [4]],

15 Les activités promues par les associations de migrants peuvent être classées en deux grands groupes : celles dirigées vers la communauté d’immigrés et celles à destination de la localité d’origine.

  • Les activités destinées à la communauté d’immigrés ont pour objectif implicite de maintenir la cohésion et l’entraide entre ses membres. C’est le cas des nombreuses activités récréatives telles que l’organisation de tournois sportifs, de pique-niques, de bals. Elles servent le plus souvent à récolter des fonds pour la réalisation d’un projet social dans la communauté d’origine. La plupart des associations de migrants se chargent d’organiser les fêtes traditionnelles de leur localité dans le lieu d’immigration. Certaines de ces activités sont directement destinées aux enfants des migrants nés aux États-Unis et ont pour but de transmettre la culture de leurs parents. D’autres activités, plus rares, visent à répondre aux préoccupations et problèmes de la communauté d’immigrés (aides aux immigrés en prison ; protection des enfants d’immigrés face au problème de délinquance et de drogue). En revanche, si l’on excepte certaines organisations de migrants indiens, les immigrés mexicains de la première génération et leurs associations participent encore peu dans la politique locale américaine [Zabin, Escala, 1998].
  • L’essentiel des activités des associations de migrants s’oriente vers la communauté d’origine. La quasi-totalité de l’argent qu’elles récoltent est destiné principalement à des œuvres caritatives et/ou la réalisation de projets d’infrastructures communautaires dans la localité d’origine. D’après une étude récente, les associations de migrants mexicains et centraméricains envoient, à leur communauté d’origine, en moyenne (en espèces ou en nature) moins de 10000 dollars par an [Orozco, 2000].
Les fonds recueillis sont le plus souvent investis, en collaboration avec les principales institutions du lieu d’origine, dans des projets d’infrastructures communautaires ou liés à l’éducation et à la santé, destinés à améliorer le bien-être de la population locale. Ce sont des projets qui ne requièrent pas, pour leur réalisation et leur fonctionnement, la mise en place d’un dispositif et d’un suivi trop contraignants tels que : le pavage de rues, la construction de ponts, l’introduction du téléphone, la donation de matériel médical, la construction ou la rénovation de l’école, la restauration de l’église ou le percement d’un puits. Au travers de ces projets, souvent à forte connotation symbolique, les émigrés recherchent une reconnaissance locale et revendiquent leur appartenance à la communauté qu’ils ont quittée. Depuis peu, certaines associations de migrants bénéficient d’une aide financière et technique de leur État d’origine pour la réalisation de leurs initiatives.

16 Les projets ayant un impact économique plus direct sont encore plutôt rares et ont donné des résultats mitigés. Il s’agit d’initiatives visant à moderniser l’activité agricole ou à diversifier l’économie locale. Ils se heurtent très souvent à l’absence d’infrastructures, au coût de transaction élevé et à la mauvaise préparation de leurs bénéficiaires.

17 Les fédérations et confédérations d’associations de migrants constituent le deuxième niveau d’organisation des communautés migrantes mexicaines. Les associations de migrants peuvent se réunir sur une base régionale ou ethnique pour la réalisation de projets communs et pour augmenter leur pouvoir de négociation face aux différents niveaux de gouvernement au Mexique. Par leur dimension et leur poids politique, elles peuvent jouer un rôle d’intermédiaire reconnu par les pouvoirs publics mexicains et les autres acteurs de la société civile. Elles offrent également à leurs associations membres d’autres services calqués sur les besoins de la communauté d’immigrés. De même, certaines fédérations ont largement contribué à diffuser ce modèle associatif parmi la communauté d’immigrés de leur État d’origine.

18 Cependant, le fonctionnement collégial de la plupart d’entre elles rend parfois difficiles l’obtention d’un accord et la réalisation de projets communs en particulier dans les communautés de migrants au sein desquelles existent des divisions d’ordre ethnique ou local.

La dynamique associative des immigrés mexicains aux États-Unis

19 Peu nombreuses avant la fin du programme du programme Braceros[5], en 1964, les associations de migrants mexicains ont connu une augmentation considérable à partir des années soixante-dix. Si, à la fin des années quatre-vingt, le nombre de clubes de oriundos était estimé à un peu plus de 100, il y en avait 260 au milieu des années quatre-vingt-dix et un peu moins de 500 à la fin de la dernière décennie, répartis dans une dizaine d’États des États-Unis [6] (figure 1). Plus du tiers des clubes de oriundos mexicains se concentrent dans le sud de la Californie, principale destination historique des migrants mexicains. Le consulat du Mexique à Los Angeles y a recensé, en 1997, 178 associations de migrants mexicains et 25 fédérations d’associations provenant de 18 États mexicains (figure 2).

Figure 1

Les associations de migrants mexicains aux États- Unis par États d’origine en 1998

Figure 1

Les associations de migrants mexicains aux États- Unis par États d’origine en 1998

Source : Calculs du NAID Center [2000] basés sur les données fournies par la Secretaría de Relaciones Exteriores, Subsecretaría de América del Norte, Directorio de Clubes de oriundos mexicanos en los Estados Unidos, Abril de 1998.
Figure 2

Les associations d’immigrés et leurs fédérations à Los Angeles

Figure 2

Les associations d’immigrés et leurs fédérations à Los Angeles

Source : Zabin et Escala [1998].

20 Il existe, cependant, d’importants écarts dans la distribution des associations par État d’origine sans rapport avec leur population d’émigrés internationaux (figures 1 et 2). Dans le cas des associations de migrants de Los Angeles, les communautés originaires de Jalisco, Zacatecas, Nayarit et Oaxaca se distinguent des autres communautés de Mexicains par leur dynamisme associatif, en particulier les deux dernières si l’on prend en compte leur faible poids dans la population d’immigrés mexicains. Leur cas s’oppose à celui des migrants originaires du Michoacán qui constituent par le nombre la deuxième communauté mexicaine de Los Angeles mais qui n’ont que 11 associations répertoriées au consulat.

21 La combinaison de plusieurs facteurs liés à l’évolution récente de la dynamique migratoire, ainsi qu’aux changements politiques récents intervenus au Mexique explique la rapide croissance des associations de migrants mexicains et leur inégale importance selon les États d’origine de ces migrants.

22 Les trente dernières années ont été marquées par des changements considérables dans la dynamique migratoire entre le Mexique et les États-Unis qui ont favorisé la constitution de communautés d’immigrés suffisamment importantes et stables pour permettre leur organisation en association. En effet, la fin du programa Bracero a été suivie par une augmentation considérable du flux international de migrants mexicains. En trente ans, le nombre de personnes nées au Mexique et résidant aux États-Unis a été multiplié par onze, passant de 760 000 en 1970 à 8,7 millions en 2000 [7]. Cette augmentation est due, d’une part, au renforcement de la migration dans les régions traditionnellement émettrices du Centre-Ouest et, d’autre part, à une plus grande diversification régionale et sociologique du flux de migrants mexicains.

Figure 3

Population mexicaine au Mexique et aux États-Unis, 1960-2000

Figure 3

Population mexicaine au Mexique et aux États-Unis, 1960-2000

Sources : René Zenteno [2000 : 237] et United States Census [2000].

23 Au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, la généralisation, dans de nombreuses communautés rurales, de la migration illégale a favorisé la maturation et la reproduction des réseaux migratoires. Cela a notamment permis la constitution d’importantes communautés d’immigrés par lieu d’origine. Le renforcement des moyens de lutte contre l’immigration clandestine, mais également la régularisation de la situation migratoire de 2,3 millions de Mexicains en 1986 ont contribué à allonger considérablement leur durée de permanence aux États-Unis. Cette évolution des stratégies migratoires a permis la stabilisation et le développement de ces communautés d’immigrés ainsi que le renforcement de leurs liens avec le lieu d’origine.

Le changement d’attitude des autorités mexicaines vis-à-vis des émigrés

24 À la fin des années quatre-vingt, on assiste, parallèlement à la démocratisation progressive de la vie politique et à la libéralisation économique au Mexique, à un changement d’attitude des autorités mexicaines vis-à-vis de la communauté de migrants mexicains, lié notamment à leur prise de conscience tardive de son poids démographique, économique et politique. Celle-ci est désormais perçue par l’État mexicain comme un important « bailleur de fonds » pour le développement des régions rurales émettrices, notamment dans un contexte de retrait de l’État de la vie locale [8], mais également comme une communauté de plus en plus influente dans les régions de départ et aux États-Unis, pouvant notamment défendre les intérêts mexicains dans ce pays.

25 Ainsi, à partir de l’administration du président Carlos Salinas (1988-1994), plusieurs programmes en direction des communautés immigrées mexicaines ont été mises en place, dont le programme Paisano et le Programa para la Comunidad Mexicana en el Extranjero (PCME [9]). Parallèlement, le rôle des consulats mexicains aux États-Unis a été renforcé afin d’assurer au mieux la réalisation de ce dernier programme et une division du ministère des Affaires étrangères mexicain a été créée pour coordonner les différents programmes en direction de la diaspora mexicaine. À travers le PCME, les consulats mexicains ont stimulé la formation d’associations d’immigrés et encouragé celles-ci à investir dans leur communauté au Mexique.

26 Par ailleurs, le processus de décentralisation engagé par le gouvernement mexicain à partir des années quatre-vingt a amené progressivement les principaux États et municipes émetteurs à développer et à administrer les liens avec leurs émigrés afin d’accroître leur participation dans la vie économique et politique de leur lieu d’origine. Il a ouvert, également, un espace de participation dans la vie locale pour les organisations de la société civile, en particulier pour les associations de migrants soucieuses d’aider leurs communautés d’origine.

27 Ainsi, sous les auspices du PCME, des Oficinas Estatales de Atención a Oriundos ont été créées dans 15 États mexicains. Certaines d’entre elles ont en charge la réalisation du programme Solidaridad Internacional, directement inspiré de la collaboration engagée, dès la fin des années quatre-vingt, entre l’État de Zacatecas et les fédérations d’associations de migrants zacatecanos aux États-Unis. Connu, aujourd’hui, comme le programme « 3 por 1[10] », celui-ci propose que, pour chaque dollar que l’association d’immigrés investit dans un projet de développement local, l’État fédéral, l’État et le municipe d’origine en ajoutent chacun un. Ce programme est désormais bien établi dans de nombreux municipes et communautés d’origine de Zacatecas où il a permis la réalisation de nombreux projets d’infrastructures sociales. D’autres programmes à destination de leur communauté d’émigrés [11] ont été mis en place par les principaux États de forte émigration à l’exception notable du Michoacán, pourtant l’un des principaux États émetteurs. L’institutionnalisation de cette relation s’est également traduite par l’ouverture de représentations des États de Zacatecas, Jalisco et Guanajuato dans plusieurs villes américaines et par la célébration chaque année d’un jour du migrant (día del hijo ausente) dans plusieurs États mexicains.

28 Ces différents programmes ont contribué à consolider les associations de migrants en les reconnaissant comme des acteurs non gouvernementaux ayant un rôle important dans leur communauté et région d’origine mais aussi dans la promotion et défense des intérêts mexicains aux États-Unis. Dans l’ensemble, ils ont accéléré la reconnaissance des populations mexicaines et d’origine mexicaine résidant aux États-Unis comme membres à part entière de la communauté nationale [12].

La naissance d’une société civile transnationale : étude de cas de trois associations de migrants de l’Ouest du Mexique

Présentation de l’étude

29 L’étude en question porte sur trois associations originaires de deux localités rurales de l’État de Jalisco - Club Comunitario Tepehuaje (El Tepehuaje de Morelos, municipe de San Martín de Hidalgo) et Club Comunitario Jamay (municipe de Jamay) - et d’une localité de l’État de Zacatecas : Club Campesinos Remolino (El Remolino, municipe de Juchipila). Ces associations regroupent les membres de communautés d’immigrés qui se sont constituées progressivement à Los Angeles (El Remolino et Jamay) et dans la région de Santa Maria, en Californie (El Tepehuaje) à partir de la fin du programme Bracero.

30 L’un des objectifs de départ de ce travail était de montrer la variété des formes d’organisation des immigrés de la première génération. Pour cette raison, nous avons fait le choix d’étudier des associations de migrants qui présentent des différences entre elles tant du point de vue de leur statut, de leurs activités que de leur relation avec leur lieu d’origine. Ainsi, le Club Comunitario Jamay reproduit le modèle de nombreuses associations de l’Ouest mexicain qui se caractérise par une forme d’adhésion peu contraignante et par la variété des initiatives en direction de la localité d’origine. En revanche, le Club Comunitario Tepehuaje et le Club Campesinos Remolino sont assez représentatifs d’une nouvelle génération d’associations plus formelles, orientées vers la réalisation d’un projet ou d’une activité : la gestion d’un fonds d’aide aux frais funéraires des familles de migrants et la construction d’un barrage pour l’irrigation dans la communauté de El Remolino.

31 L’information présentée ci-après a été recueillie pendant le premier semestre 2001 [13]. Le travail de terrain prévoyait des entretiens semi-structurés avec les responsables des associations et leurs contreparties dans le lieu d’origine, réalisés au Mexique et aux États-Unis. Une petite enquête a également été menée auprès d’une vingtaine de ménages avec migrants dans chacune des localités de départ. Lors de nos séjours aux États-Unis, nous avons pu assister à plusieurs réunions de la mesa directiva ainsi qu’à différents événements de collectes de fonds.

Le poids de la migration dans les communautés d’étude

32 Les communautés d’étude se situent dans deux États du Centre-Ouest mexicain de longue tradition migratoire. À titre indicatif, près de la moitié des 109 municipes mexicains de fortes ou intenses activités migratoires appartiennent aux États de Jalisco, Zacatecas et Michoacán [Unger, Verduzco, 2000].

33 Selon la Secretaría de Promotión Económica de l’État de Jalisco, près de 2 millions de Jalisciences résidaient en 2001 aux États-Unis, soit un tiers de la population de cet État [Público, 14 janvier 2002]. Ils envoyaient, la même année, 1,6 milliard de dollars, soit presque le double de l’investissement privé étranger et national dans l’État (937 millions de dollars).

34 En 1995, la communauté de zacatecanos aux États-Unis comptait près de 400 000 individus, ce qui représentait alors un peu moins du tiers de la population de l’État de Zacatecas [Moctezuma, 2000]. Le montant des transferts de fonds effectués par les émigrés en direction de leur État est également très important et s’élevait, en 1999, à 500 millions de dollars [García Zamora, 2000],

35 Le poids considérable de la migration dans ces deux États a incité les autorités locales à développer les relations avec leur communauté d’émigrés aux États-Unis. Différents programmes ont été mis en œuvre pour répondre aux besoins de leurs immigrés mais également pour développer les régions de départ avec leur appui [14].

36 Les membres des associations étudiées proviennent de municipes et communautés rurales fortement émetteurs où la migration est devenue la principale stratégie de subsistance. Si l’on excepte le cas de Jamay, dont la population avoisine 14000 habitants [15], ces localités ont une population inférieure à 2500 habitants, et une économie basée sur une agriculture peu diversifiée, largement tributaire de la pluviométrie.

37 Bien qu’il y ait eu, dans les trois localités d’étude, quelques tentatives de migration aux États-Unis durant la première moitié du xx e siècle, ce n’est réellement qu’à partir du programme Bracero que s’y est développée l’expérience migratoire principalement parmi la main-d’œuvre rurale masculine. C’est pendant ces années que se constituent les premiers réseaux migratoires sur lesquels s’appuieront, à la fin de ce programme, les candidats à la migration clandestine.

38 À partir des années soixante-dix, la stratégie migratoire se généralise parmi les ménages de ces communautés. Un peu plus de 80 % des ménages de El Remolino et de El Tepehuaje participent ou ont participé à la migration internationale et ont reçu des envois de fonds.

39 Au cours de cette période, on assiste, dans les trois communautés, à une polarisation du phénomène migratoire autour de quelques destinations, urbaines pour les migrants de El Remolino et de Jamay (Los Angeles et Chicago), et rurales et semi-urbaines pour ceux de El Tepehuaje (région de Santa Maria et de Chico en Californie). Environ la moitié des émigrés de El Tepehuaje migrent encore de façon saisonnière vers des exploitations agricoles du centre et du nord de la Californie.

Figure 4

Évolution de la population des trois localités d’étude, 1990-1995

Figure 4

Évolution de la population des trois localités d’étude, 1990-1995

Sources : INEGI, Censo de población, 1990 ; INEGI, Conteo de Población y Vivienda, 1995.

40 Par ailleurs, le programme de régularisation de 1986 a permis à de nombreux migrants de ces communautés de régulariser leur situation et celle de leurs proches. Cela s’est traduit par l’émigration de familles entières aux États-Unis pour une durée indéterminée. Comme conséquence de cette forte émigration et de la plus grande permanence des migrants et de leur famille aux États-Unis, la croissance de la population de ces communautés tend, ces quinze dernières années, à diminuer (figure 4).

Club Comunitario Jamay de Los Angeles : l’importance du « leadership »

41 Le Club Comunitario Jamay a été créé en 1999 pour financer des projets d’intérêt communautaire par S. García à la demande de son frère alors maire du municipe de Jamay dans l’État de Jalisco. Ce qui frappe de prime abord dans l’étude de cette association, c’est son grand dynamisme. En deux ans, l’association a réalisé un nombre important et varié de projets et donations en direction de la communauté d’origine (figure 5). La somme totale des fonds mobilisés durant l’année 2001 pour ces initiatives avoisine les 50 000 dollars ! Plusieurs explications peuvent être avancées à ce propos.

42 Cela est dû, en premier lieu, à la personnalité et à la disponibilité de son président. Celui-ci dirige une petite entreprise de démolition à Norwalk dans l’agglomération de Los Angeles. Sa profession lui permet de gérer son emploi du temps de façon à en consacrer une part importante à la vie de l’association. Il n’hésite pas non plus à prendre sur ses propres ressources pour se rendre régulièrement au Mexique pour faire connaître son association et nouer des partenariats avec les différents services de l’État. Son travail de « lobbying » lui a permis d’obtenir des fonds de différents services (santé, éducation, développement rural) de l’État de Jalisco dans le cadre ou non du programme « 3 por 1 ». Le Club Comunitario Jamay est une des rares associations de migrants de Jalisco à avoir profité de ce programme en enlevant deux des neufs projets qui ont été financés à ce jour. Son association est montrée comme exemple par les autorités de Jalisco qui organisent depuis 1999 à Jamay la célébration du « jour du migrant de Jalisco ». La reconnaissance du travail du Club Comunitario Jamay a permis également à l’association de recevoir de nombreux dons en nature de la part des mécènes américains (équipement médical, automobiles neuves pour les loteries).

Figure 5

Projets et donations du Club Comunitario Jamay (CCJ) réalisée entre janvier 2000 et juillet 2001

Figure 5

Projets et donations du Club Comunitario Jamay (CCJ) réalisée entre janvier 2000 et juillet 2001

43 De même, la présence de son frère à la tête de l’équipe municipale a beaucoup aidé à la mise en œuvre des initiatives du Club Comunitario Jamay en facilitant la relation entre l’équipe municipale et l’association de migrants. Le municipe, quant à lui, a largement profité de la renommée de l’association et de son accès privilégié auprès de certains services de l’État pour réaliser plusieurs projets d’intérêt communautaire. Conscient du poids économique de l’association qu’il dirige, de son capital social et de son emprise sur la communauté d’immigrés de Los Angeles, S. García se plaît à dire qu’il est un peu comme « le maire-bis de la communauté de gens de Jamay ». Cependant, le changement de maire intervenu l’an dernier s’est traduit par un ralentissement de l’activité de l’association.

44 La diversité des manifestations que propose le Club Comunitario Jamay à ses membres, leur dosage dans le temps et leur organisation expliquent également sa capacité à collecter autant d’argent. Contrairement à de nombreux clubes de oriundos, l’association n’a pas misé que sur l’organisation de bals pour récolter des fonds. L’association propose, un dimanche par mois, un petit déjeuner payant auquel sont conviés les membres de la communauté de migrants. Ce rendez-vous a lieu dans la grande cour de la maison de la famille de S. García qui se charge de préparer le repas avec l’aide bénévole de quelques membres, ce qui contribue à réduire considérablement les coûts d’organisation. Ce repas, qui existait déjà bien avant la constitution de l’association, est un événement reconnu dans la communauté, auquel participent en moyenne chaque mois plus de 100 personnes. Par ailleurs, l’association organise trois à quatre fois par an des bals dans une grande salle prêtée par une paroisse de Norwalk. Mais, surtout, l’activité qui rapporte le plus d’argent est la tenue, au cours de ces manifestations, de loteries à l’occasion desquelles sont proposés des objets de grande valeur, la plupart du temps donnés par des mécènes (voitures de grand standing). Pour chaque loterie, l’association réussit à vendre près de 2 000 billets à 5 dollars dans la communauté de migrants de Los Angeles, mais aussi en dehors de celle-ci, ce qui permet de toucher un plus grand nombre de personnes. Le Club Comunitario Jamay dispose en effet de personnes relais dans les différents lieux d’immigration des ressortissants de Jamay aux États-Unis qui se chargent de vendre une partie des billets. Essayant de mettre à profit ses contacts dans les autres communautés de migrants, S. García cherche actuellement à renforcer les liens entre elles afin de drainer plus de fonds et de mieux coordonner leurs actions en faveur du développement de leur lieu d’origine.

Club Comunitario El Tepehuaje : une association au service de la communauté d’immigrés

45 Dans l’environnement local, El Tepehuaje de M. a la réputation d’être une communauté plus unie et organisée que les autres localités de la région. La cohésion de ses habitants et leur tradition d’organisation se retrouvent également dans la migration. Le Club Comunitario Tepehuaje est, à cet égard, la dernière forme connue d’organisation de la communauté d’immigrés. En 1945, déjà les braceros s’étaient organisés sur l’initiative de deux des leurs pour réunir des fonds pour la construction de la place du village et ce malgré les contraintes du programme Braceros pour l’organisation des migrants (migration saisonnière et dispersion des membres de la communauté entre plusieurs lieux d’accueil [16]).

46 Le Club Comunitario Tepehuaje existe depuis 1999. Sa création est due à la volonté de certains immigrés des comtés de Santa Barbara et San Luis Obispo, en Californie, d’institutionnaliser une pratique en cours dans leur communauté : la constitution d’un fonds d’aide aux frais funéraires pour les familles de migrants [17].

47 Pour assurer le bon fonctionnement de ce fonds, l’association repose sur une forme d’adhésion et de participation plus contraignante que la plupart des associations de migrants mexicains. Les familles membres doivent payer un droit d’entrée et apporter une cotisation mensuelle de 5 dollars destinée à alimenter le fonds. Lorsque décède un de leurs membres, celles-ci reçoivent la somme de 2 000 dollars. Dans un souci de transparence auprès de ses membres, le Club Comunitario Tepehuaje est enregistré comme non profit-organization. De même, les membres sont régulièrement tenus au courant de l’évolution du fonds et des activités de l’association au cours des assemblées mensuelles et au travers d’un bulletin envoyé régulièrement aux membres. L’association propose également l’organisation d’événements récréatifs ouverts à tous les membres de la communauté (bals, pique-niques). L’association n’a cessé de croître depuis sa création et compte aujourd’hui 250 familles. Son succès peut s’expliquer par le service qu’elle propose qui est considéré comme très utile par les membres de la communauté et par la participation financière peu contraignante.

48 La composition des membres du Club Comunitario Tepehuaje et son fonctionnement se distinguent également des autres formes d’association. Les familles membres sont réparties entre plusieurs localités de deux comtés voisins ce qui est assez exceptionnel en raison de la difficulté de maintenir unis les membres d’une association dans un contexte de dispersion de ceux-ci. Cette contrainte spatiale est atténuée par la désignation de représentants dans les principaux lieux d’immigration qui informent régulièrement les membres des décisions prises par l’association. Par ailleurs, chaque communauté organise à tour de rôle une manifestation. Les assemblées générales ont lieu à Santa Ynes ou Santa Maria, au centre de la région où se répartissent les membres.

49 L’association se caractérise également par la coexistence en son sein de deux groupes d’immigrés : les saisonniers et ceux de longue durée. L’absence d’une partie de ses membres n’est pas considérée comme un obstacle pour le fonctionnement de l’association, ceux-ci payant à l’avance leur contribution pour les mois où ils seront absents.

50 Depuis son origine, l’association a consacré une partie des fonds collectés à des dons d’argent et en nature à Caritas, une ONG catholique implantée dans la communauté d’El Tepehuaje, ainsi qu’aux différentes écoles de la communauté après avoir évalué leurs besoins. Cependant, l’association de migrants reste assez réticente à développer des collaborations avec d’autres institutions de la communauté et du municipe. Il convient ici de signaler les efforts menés par la nouvelle équipe municipale du municipe de San Martín H. en direction des différentes communautés d’émigrés. Si cette démarche est désormais bien établie dans certains municipes de Zacatecas, elle reste encore exceptionnelle dans l’État de Jalisco. Elle a pour objectif de nouer des liens avec les communautés de migrants plus importantes et d’organiser celles qui ne le sont pas, afin de les impliquer plus dans le développement de leur localité d’origine. Pour ce faire, un nouveau poste d’adjoint au maire chargé de la question migratoire a été créé. Ce service propose notamment d’aider les familles de migrants à accomplir les démarches administratives pour régulariser leur situation migratoire aux États-Unis.

51 Le maire et des membres de l’équipe municipale ont également effectué en mai 2001 un voyage dans l’Ouest américain à la rencontre des principales communautés de migrants originaires du municipe. Ce voyage s’est traduit par la formation de deux nouvelles associations, par le jumelage avec la ville américaine de Santa Maria (Californie) où réside une importante communauté de migrants de El Tepehuaje, et par des engagements de dons de migrants pour le financement d’infrastructures sociales dans deux localités du municipe. Cette initiative du maire, première de ce genre à San Martín H., semble avoir été très bien perçue par la communauté de migrants qui y voit une reconnaissance des migrants comme citoyens à part entière du municipe.

Club Campesinos Remolino : une association de migrants orientée vers le développement économique

52 La communauté d’El Remolino présente la particularité d’avoir deux associations de migrants : le Club Social Remolino et le Club Campesinos Remolino, créés respectivement en 1995 et en 1997. Leur existence n’est pas due à un conflit entre groupes migrants, comme cela arrive parfois. Elle s’explique plutôt par la naissance d’un nouveau type d’organisation, en parallèle avec l’association de migrants classique, qui réunit les actionnaires d’un projet de développement économique dans la communauté d’origine.

53 Le Club Social est l’extension aux États-Unis d’une association homonyme créée à El Remolino par des enseignants originaires du village. Son but est de promouvoir des projets liés à l’éducation et à la santé pour les habitants de la communauté d’origine avec l’aide des émigrés.

54 Le Club Campesinos Remolino a été créé par un petit entrepreneur migrant de la région de Los Angeles, A. Banñuelo, dans le but de réaliser un projet de barrage pour l’irrigation. Comme de nombreuses communautés rurales de la région, El Remolino doit faire face ces dernières années à une réduction du niveau des précipitations qui handicape sérieusement l’activité agricole. Après avoir reçu l’aval des services techniques du Consejo del Agua de l’État de Zacatecas, le projet de barrage a été soumis au Club Social Remolino qui l’a refusé, jugeant le coût trop élevé et la réalisation trop complexe. A. Banuelo a alors réuni les migrants intéressés par le projet dans une nouvelle association.

55 L’association se compose de 40 membres originaires principalement d’El Remolino et de la communauté voisine d’El Ranchito. Ceux-ci se sont partagé les 70 actions du projet, chaque action correspondant au droit d’irriguer un hectare. Les principaux bénéficiaires du barrage seront, pour l’essentiel, des parents restés dans la communauté car peu de membres de l’association envisagent de revenir définitivement dans leur lieu d’origine.

56 La mesa directiva du Club Campesinos Remolino a pour tâche principale d’informer et de recueillir les cotisations des membres, et d’assurer la communication entre l’association de migrants et les services de l’État. La supervision des travaux a été confiée dans la communauté d’origine au frère d’un des associés du projet, en échange de l’irrigation d’une de ses parcelles.

57 Durant les quatre ans qui ont été nécessaires pour construire le mur du barrage, les membres ont apporté leur cotisation régulièrement. Jusqu’à présent le projet a coûté 5,5 millions de pesos (approximativement 500 000 dollars), coût partagé à parts égales entre l’association de migrants, l’État de Zacatecas, le gouvernement fédéral et celui du municipe de Juchipila dans le cadre du programme « 3 por 1 ». À la fin de l’année 2001, les travaux de canalisation pour acheminer l’eau aux parcelles ont dû commencer.

58 Les projets de développement économique mis en œuvre par des associations de migrants sont encore très rares. Cela s’explique, d’une part, par la difficulté de mettre en œuvre ce type de projet dans le cadre d’une association de migrants, du fait de la structure peu formelle et stable dans la durée de la majeure partie d’entre elles. Les quelques tentatives connues qui vont dans ce sens se sont souvent soldées par des échecs en raison notamment de suspicions apparues au sein de la communauté de migrants sur la gestion et les intérêts personnels des responsables. De plus, ce genre d’initiative bénéficie rarement et de façon équitable à l’ensemble des familles des membres de l’association et provoque l’opposition au projet d’une partie d’entre eux. D’autre part, les programmes publics d’appui aux initiatives des associations de migrants se sont focalisés essentiellement sur les projets d’infrastructures sociales et urbaines pour compenser le retrait de l’État dans ces secteurs [18]. Le financement du barrage dans le cadre du programme « 3 por 1 » constitue donc une exception et se doit notamment au poste de « chargé des projets des associations » qu’occupe A. Bañuelos au sein de la Fédération d’associations de migrants originaires de Zacatecas du sud de la Californie.

59 Outre la construction du barrage, le Club Campesinos Remolino s’enorgueillit de la réalisation de plusieurs autres projets : le percement d’un puits, le pavage de deux rues, la réhabilitation du réseau d’eau potable entre autres. Parmi ceux-ci, on trouve des projets réalisés dans d’autres localités du municipe de Juchipila qui ne relèvent pas d’une démarche philanthropique de l’association, mais plutôt d’une stratégie de drainage des fonds du programme « 3 por 1 » mis en œuvre par le municipe en collaboration avec le Campesinos Remolino. En effet, si l’on s’en tient aux conditions nécessaires pour obtenir un financement du programme « 3 por 1 », il est nécessaire que le projet soit présenté par une association enregistrée dans l’une des fédérations de Zacatecanos aux États-Unis et que celle-ci apporte le quart du coût du projet. Or, sur le territoire du municipe, seule la localité d’El Remolino a une communauté d’émigrés organisée en associations. Le municipe se sert donc du Club dirigé par le « chargé des projets » de la FCZSC pour obtenir des fonds supplémentaires pour la réalisation d’infrastructures sociales et urbaines dans différentes localités. L’association se contente de présenter le projet auprès de la fédération et de la représentation de l’État de Zacatecas à Los Angeles. Le quart du financement nécessaire est apporté soit par les bénéficiaires du projet soit par le municipe. Ainsi, grâce aux fonds obtenus l’an dernier avec le « 3 por 1 », le municipe a pu financer des projets à hauteur de 4,4 millions de pesos mexicains, soit un peu plus qu’il n’en a reçu de l’État et perçu localement cette même année. Il semble que cette pratique ne soit pas isolée et tende à se répandre dans l’État de Zacatecas.

60 *

61 Les associations de migrants mexicains ont connu, lors de la dernière décennie, un saut quantitatif et qualitatif considérable. Leur reconnaissance par les pouvoirs publics mexicains et la mise en place d’un imposant dispositif de soutien à leurs projets ont permis à certaines d’entre elles de diversifier leurs activités, de se renforcer et d’étendre leur réseau de relations bien au-delà de la communauté et du municipe d’origine. Même si les fonds que gèrent les associations de migrants sont bien inférieurs à la somme des versements qu’effectuent individuellement leurs membres à leur famille, leur influence sur les communautés et les municipes d’origine est loin d’être négligeable. En plus de contribuer à améliorer les conditions de vie dans leur communauté d’origine, les initiatives des associations de migrants rationalisent l’utilisation des envois de fonds des migrants en établissant des priorités et des objectifs communs.

62 Il est fort probable que la poursuite, par le gouvernement de Vicente Fox et par plusieurs États mexicains, de cette politique de rapprochement avec les Mexicains de l’extérieur se traduira par l’augmentation dans les prochaines années du nombre d’associations de migrants et de leurs fédérations.

63 Cependant, si la dynamique associative récente des migrants mexicains est indéniable, il est encore un peu tôt pour parler, pour la plupart de leurs associations, d’acteurs incontournables de la vie locale de nombreuses régions émettrices du Mexique. Une grande majorité de celles-ci reposent sur une base fragile et ont une durée de vie limitée. Comme le montre l’exemple du Club Comunitario Jamay, elles ne s’appuient pas sur des communautés d’immigrés fortement structurées, mais sur le dévouement de quelques-uns de ces membres qui prennent souvent sur leur temps et leur argent pour assurer le bon fonctionnement de l’association. De plus, la participation de la communauté de migrants à la vie de l’association est largement indirecte. Elle se limite bien souvent à une participation plus ou moins régulière aux activités de collecte de fonds. Cependant, sans cette forme de participation peu contraignante, la majorité des associations de migrants mexicains n’auraient probablement pas pu fonctionner. Des associations plus structurées apparaissent dans les communautés de migrants plus unies, ou lorsque celles-ci proposent un service utile aux migrants et à leur famille comme dans le cas du Club Comunitario Tepehuaje.

64 Par ailleurs, dans de nombreux municipes, la collaboration entre les autorités locales et régionales et les associations de migrants pour le développement local est encore récente et n’est pas toujours bien établie. Il est à espérer, dans l’intérêt des communautés d’immigrés et de leur localité d’origine, que les efforts entrepris par les pouvoirs publics mexicains en direction de leurs émigrés se traduiront à l’avenir par une plus grande formalisation de leurs associations et par un rôle accru et durable de celles-ci en direction du développement de leur communauté d’origine.

Notes

  • [*]
    Doctorant de géographie, Institut des hautes études de l’Amérique latine (Ihéal), université Paris-3, Centre de recherche et de documentation sur l’Amérique latine (Credal).
  • [1]
    Il existe plusieurs noms en espagnol pour caractériser cette forme d’organisation des migrants mexicains de la première génération : clubes de oriundos, clubes sociales ou clubes de paisanos. Les universitaires américains parlent eux de hometown associations.
  • [2]
    Elles sont, avec les associations sportives, les syndicats et les groupes communautaires et de voisinage promus par l’église catholique, une des formes les plus populaires d’organisation sociale des immigrés mexicains de la première génération. Elles se distinguent des précédentes par le fait qu’elles sont créées et contrôlées par les membres de la communauté d’immigrés.
  • [3]
    Le « municipe » est la traduction faite par certains universitaires français du « municipio », c’est-à-dire de la plus petite subdivision administrative au Mexique.
  • [4]
    Les associations zapotèques de Los Angeles se regroupent au sein de l’Organizaciôn Régional Oaxaquena dont le principal objectif est d’organiser chaque année le festival culturel appelé la Guelaguetza, au cours duquel chaque association membre présente la danse traditionnelle et les traditions de son village d’origine.
  • [5]
    Le programme Braceros (1942-1964), dont l’objectif était à ses débuts de suppléer la main-d’œuvre agricole américaine enrôlée dans l’armée américaine lors de la dernière guerre mondiale, a permis l’engagement de millions de saisonniers mexicains sur la base de contrats temporaires et de mouvements pendulaires.
  • [6]
    Ces chiffres sont probablement inférieurs à la réalité. En effet, certains clubes de oriundos n’entretiennent aucun contact avec le consulat ou refusent, pour des raisons politiques, d’être enregistrés par ce dernier.
  • [7]
    Le recensement américain de l’an 2000 estime à un peu plus de 20 millions d’individus la population d’origine mexicaine aux États-Unis.
  • [8]
    Le montant total des transferts de fonds des migrants reçus au Mexique n’a eu de cesse d’augmenter à un rythme élevé depuis les années quatre-vingt. Pour l’année 1999, ces transferts se seraient élevés à 6 milliards de dollars, ce qui représente la quatrième entrée de devise du pays [Arroyo, García, 2000 : 193]. Une enquête du Consejo Nacional de Población (CONAPO) souligne que les envois de fonds représentent un apport en argent indispensable pour 5 % des ménages mexicains qui dépendent, pour 54 % de leur revenu des envois de fonds effectués par les migrants [Arroyo, Berumen, 2000].
  • [9]
    Le programme Paisano, créé en 1989, cherche à répondre aux abus dont sont souvent victimes les émigrés au moment de leur retour au Mexique. Le PCME couvre des secteurs aussi variés que la santé, l’éducation et la culture, la protection des migrants aux États-Unis ou l’appui aux entrepreneurs immigrés.
  • [10]
    Ce programme existe depuis quelques années dans plusieurs États, avec cependant quelques variantes : Jalisco (« 3 por 1 »), Oaxaca, Guanajuato et Hidalgo (« 1 por 1 »).
  • [11]
    Nous pouvons signaler également le programme « Mi Comunidad », créé pendant les années quatre-vingt-dix par le gouvernement de l’État de Guanajuato et dont l’objectif est de canaliser les fonds de migrants désireux d’investir dans leur communauté d’origine vers la création de petites et moyennes entreprises textiles tournées vers l’exportation.
  • [12]
    La mesure la plus significative du changement de perception de l’État mexicain à l’égard des populations d’origine mexicaine aux États-Unis est, sans aucun doute, la reconnaissance dans la constitution d’une nation mexicaine « déterritorialisée ». Depuis peu, il est également possible pour les Mexicains naturalisés américains de récupérer la nationalité mexicaine.
  • [13]
    Une deuxième session de travail de terrain est actuellement en cours et vise à compléter et approfondir l’information recueillie en 2001.
  • [14]
    Outre le « 3 por 1 », on peut citer le programme « Fideraza », qui propose un système de transfert de fonds moins onéreux que les circuits traditionnels. Une partie des bénéfices dégagés par ce service est réinvestie dans des projets de développement économique dans l’entité. L’État de Zacatecas a également mis en place différents programmes qui visent à inciter leurs émigrés à investir, individuellement ou collectivement, dans des activités productives.
  • [15]
    Au Mexique, la limite entre localités rurales et localités urbaines a été fixée à 1000 habitants.
  • [16]
    Dans les années cinquante et soixante, le comité des obras (institution étant chargée de réaliser des travaux d’intérêt communautaire) avait une représentation auprès des émigrés dans la ville de Mexico chargée de collecter auprès d’eux les cotisations des membres de la communauté de migrants.
  • [17]
    Cette forme d’entraide a existé également durant les années cinquante dans la communauté d’origine.
  • [18]
    Les programmes en appui aux projets de développement économique mis en œuvre par les migrants visent uniquement les investissements individuels ou de groupes restreints d’investisseurs migrants. On peut citer le Fondo Estatal de Apoyo a los Zacatecanos Ausentes, issu d’une collaboration entre l’État fédéral, l’État de Zacatecas et la Confédération des associations de migrants originaires de Zacatecas qui accordent des prêts à des taux d’intérêts bas.
Français

Résumé

La migration internationale occupe une place prédominante dans la vie économique et sociale de nombreuses localités rurales mexicaines. Dans la plupart des cas, les migrants maintiennent des liens solides et continus avec leur localité d’origine qui peuvent donner naissance à de véritables « communautés transnationales ». Dans ce cadre évoluent des acteurs, tels que les associations de migrants qui peuvent avoir d’importantes implications dans les lieux d’origine comme le montrent les exemples traités dans cet article.

Mots-clés

  • migration Mexique-États-Unis
  • association de migrants
  • développement local
  • décentralisation
  • communauté transnationale

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Guillaume Lanly [*]
  • [*]
    Doctorant de géographie, Institut des hautes études de l’Amérique latine (Ihéal), université Paris-3, Centre de recherche et de documentation sur l’Amérique latine (Credal).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/autr.022.0109
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