CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La réforme des services publics en Amérique latine, comme dans le reste du monde, s’inspire le plus souvent du modèle anglo-saxon de la régulation par des agences spécialisées et indépendantes, qui se mettent en place dans le domaine des télécommunications, de l’électricité et du gaz, de l’eau, du transport, etc. La doctrine à la mode attache une importance toute particulière à la définition des dispositifs institutionnels.

2Dans le même temps, on voit se multiplier les critiques adressées au modèle américain traditionnel de régulation, à son coût, mais surtout à son efficacité, voire à ses objectifs. Lathéorie de la capture démontre que le système peut être capté à son profit soit par l’entreprise qu’il est censé encadrer, soit par les usagers, les syndicats, les hommes politiques. Lorsqu’elle se radicalise, cette critique aboutit à recommander l’élimination pure et simple de la régulation au profit de la concurrence. Mais chacun sait qu’il n’y a rien de moins naturel que la concurrence et qu’elle réclame une intervention publique puissante et diversifiée et qu’en outre, demeurent des segments d’activité dans lesquels il n’est pas possible d’introduire directement la concurrence. Il faut donc apprendre à cohabiter non seulement avec les défaillances du marché, mais avec les défaillances de la régulation.

3En Amérique latine, et plus généralement dans les pays en développement, la crainte de la capture du régulateur est tout particulièrement centrée sur la capture par l’État lui-même. Le Gouvernement a la possibilité d’exproprier les quasi-rentes que génèrent les activités en réseau pour amortir leurs énormes investissements spécifiques. D’où la tentation pour le pouvoir d’engranger le bénéfice politique à court terme de bas tarifs, sans se soucier du coût à long terme pour l’entreprise et pour le service. Si le tarif s’approche du coût d’exploitation, l’entreprise continuera à fournir le service, mais se décapitalisera. D’où également l’obsession qui s’empare des réformateurs : comment limiter le plus possible le pouvoir discrétionnaire, comment le lier à des méthodologies transparentes et obligatoires, comment rendre le décideur indépendant des pressions politiques, comment mettre les règles hors d’atteinte des revirements du législateur ? Le texte de Guash, Unraveling the Regulatory Conundrum : Concepts, Issues and the Latin America Story [1995], est représentatif de ces efforts pour verrouiller la situation sur le plan légal et procédural, et des surenchères auxquelles ils conduisent, surenchère sur l’indépendance du régulateur par rapport au politique, surenchère sur la rigidité, la précision et la transparence des procédures, insistance sur des systèmes d’incitations censés produire mécaniquement leurs effets. L’idéal serait, semble-t-il, d’aboutir à un régulateur automate, programmé pour produire de « bonnes » décisions et pour commander à distance les « bons » comportements souhaités du régulé.

4Les institutions sont la définition d’un certain agencement entre les acteurs. L’accent mis sur la définition des institutions optimales conduit à une vision statique plutôt que dynamique : « institution design », plus que « institution building ». On s’intéresse peu au comment, au processus par lequel naissent, se développent, se consolident ou changent les institutions. Ni au rôle réel qu’elles jouent, parfois bien différent de leur définition théorique. Elles mettent en scène, par exemple, un face-à-face entre régulateur et régulé, chacun doté de propriétés connues, et coupé du contexte, du système d’action plus large dans lequel ils sont insérés. Elles supposent l’existence d’acteurs définis selon leurs critères, elles supposent l’existence d’un consensus sur les fins, elles supposent résolus les problèmes d’équité. Démarche technocratique par excellence, qui se méfie profondément du politique alors justement qu’elle prétend réaliser un changement politique.

5L’expérience latino-américaine montre qu’en fait ce processus de changement est complexe, parce qu’il touche toutes les dimensions de la société, depuis le cadre juridique et institutionnel jusqu’à l’organisation économique des entreprises, les modèles de consommation, les règles du jeu politique, et qu’il concerne une très grande diversité d’acteurs. Il relève donc de la gouvernance globale, et pas seulement de la régulation sectorielle. C’est un changement sur de multiples niveaux, dont rien ne garantit qu’ils se produisent au même rythme, c’est un processus de transformation de longue durée, comme l’a parfaitement montré M.E. Corrales [1998] dans le cas des services d’eau et d’assainissement.

6Pour cela, il faut s’éloigner un peu du débat sur les solutions institutionnelles idéales [1] et repartir d’une observation du processus tel qu’il se déroule sur le terrain. Nous analyserons le cas de la réforme du service électrique au Venezuela, dans l’État de Nueva Esparta [2].

La réforme électrique et sa mise en œuvre à Nueva Esparta

7Les systèmes de production, transport et distribution d’électricité ont longtemps été organisés sur la base du « système universel » que décrit par exemple Olivier Coutard [1997], et qui permet, moyennant l’interconnexion à grande échelle de tous les réseaux, de répondre en temps réel (l’électricité n’est pas stockable) à des demandes constamment variées, par des usines génératrices distantes, dont le facteur de charge est amélioré par l’interconnexion ; celle-ci permet également de jouer à plein sur des structures de coûts différenciés (hydroélectricité, charbon, gaz, nucléaire, etc.), ce qui donne au dispatching technique et économique un rôle clé dans le dispositif d’ensemble. Ceci a favorisé l’émergence d’entreprises verticalement intégrées, organisées sur la base de monopoles territoriaux.

8Or, depuis une dizaine d’années, un nouveau modèle tend à s’imposer, qui remet en cause et l’intégration verticale et le monopole. Il vise à créer des entreprises spécialisées dans la production, le transport, la distribution, la commercialisation, il introduit la concurrence au niveau de la production en créant la liberté d’entrée pour de nouveaux producteurs, et au niveau de la commercialisation, en permettant au client final de choisir son fournisseur (qui peut être l’un des producteurs en concurrence ou un intermédiaire). Le monopole n’est maintenu que pour les activités de réseau, transport et distribution, mais ces entreprises ne sont plus que des fournisseurs de moyens de transport pour compte d’autrui (c’est le libre accès des tiers aux réseaux).

9Des réformes de ce type sont en cours partout dans le monde. Nous avons décrit par ailleurs celle qui a lieu au Venezuela [Coing, 2000], et qui reprend les principales caractéristiques du modèle : elle crée un marché de gros de l’énergie, sur lequel interviendront librement producteurs, distributeurs, intermédiaires et clients éligibles. Elle oblige les entreprises à se spécialiser dans un seul maillon de la chaîne et prévoit le démantèlement de la principale entreprise agissant à l’échelle nationale en plusieurs distributeurs régionaux indépendants. Elle crée un régulateur indépendant, la Commission nationale de l’énergie électrique. Elle prévoit enfin la privatisation d’une bonne partie des entreprises publiques [3].

10Notre terrain d’observation sera l’État de Nueva Esparta, État fédéré dirigé par un gouverneur élu, et constitué par trois îles situées dans la mer Caraïbe, à proximité de la côte ; sa population avoisine les 370000 habitants et sa vocation est principalement touristique. Le service électrique y était assuré jusque-là par EleOriente, elle-même filiale de Cadafe, entreprise publique nationale. En 1998, le système électrique de Nueva Esparta est autonomisé par la création d’une nouvelle entreprise, Seneca, laquelle est vendue aux enchères et achetée par un consortium dirigé par l’américain CMS Electric & Gas. À cette époque, le projet d’une nouvelle loi électrique réformant tout le secteur était en préparation mais n’avait pas encore été approuvé. La nouvelle entreprise est donc régulée par un contrat de concession et, un an plus tard, par la nouvelle loi.

11Celle-ci prévoit la création d’une commission régulatrice nationale (CNEE), le contrôle du service devant être assuré conjointement par cette Commission et par les onze municipalités concernées, regroupées en un syndicat intercommunal : Megane (Mancomunidad de electricidad y gas de Nueva Esparta).

12Nous nous proposons de décrire et d’analyser les premières étapes du processus, pour voir comment se construit, dans la pratique, cette capacité régulatrice que définissent les nouveaux dispositifs institutionnels.

13La collaboration entre les deux institutions, représentant deux niveaux de gouvernements, démarrait sous de fâcheux auspices : la loi organique municipale (LORM) affirmait clairement la compétence municipale en matière de distribution électrique, mais celle-ci était restée jusque-là très théorique, par le poids déterminant des entreprises publiques nationales et par l’opposition farouche de l’ensemble du secteur (ministère de l’Énergie et des Mines, et entreprises) à l’acceptation d’une quelconque intrusion des municipalités dans leur domaine : celles-ci étaient vues comme inefficaces, corrompues, clientélistes, enclines à la surenchère populiste, techniquement et politiquement incapables d’assumer une responsabilité de contrôle. Le ministère et le FIV [4] furent à l’initiative de la création du syndicat intercommunal, mais le virent seulement comme une condition légale préalable à la privatisation, pour être autorisés à créer l’entreprise et à en vendre les actifs. Il s’agissait d’un subterfuge juridique, et non d’une volonté d’attribuer aux municipalités un rôle protagoniste dans les étapes suivantes. Pour cette raison, le contrat signé entre le syndicat et le ministère se révéla par la suite totalement inadapté et incapable de gérer cette relation de coopération qu’il était supposé instituer. Les municipalités ne reçurent pas l’information indispensable, et encore moins l’assistance technique pour pouvoir remplir leur rôle. Les organes nationaux établissaient des relations directes avec l’entreprise, court-circuitant totalement le niveau municipal et ne lui transmettant aucune information. Le syndicat démarra au milieu d’une totale inéfinition de son rôle, des procédures, des méthodologies, dans une ambiance de défiance réciproque et de crédibilité quasi nulle face aux autres acteurs. Il fut sur le point d’exploser (la commune la plus importante de l’île décida d’en sortir – ce qui le condamnait à mort –, avant de le réintégrer au bout d’un an) et devint pendant un temps un pur instrument politique, caisse de résonance pour ceux qui s’opposaient à la privatisation de l’entreprise et ne rêvaient que de dénoncer la concession.

14Peu à peu, la situation évolua et le syndicat put commencer à jouer son rôle. Nous retracerons ci-dessous quelques-unes des difficultés ou des conflits qui se produisirent, pour faire apparaître la nature réelle du processus de changement et de ses réquisits.

Régulation « automatique » ou création des règles

15Le nouveau modèle de prestation du service et de régulation impliquait des changements radicaux dans les relations entre les acteurs : l’entreprise était soumise à une loi et à un contrat, alors qu’auparavant aucun texte ne définissait clairement ses droits et ses devoirs. Les décisions essentielles se prenaient à Caracas, au sein d’une « communauté de politique publique » restreinte et de type corporatiste ; les conflits locaux se réglaient de manière informelle entre l’entreprise, le gouverneur de l’État et les partis politiques dominants. Nombre des conflits dont nous allons parler trouvent leur origine dans les pratiques et les modèles de comportements antérieurs, profondément enracinés, non dans des textes, mais dans des « conventions » implicites ou explicites qui régulaient jusque-là le secteur.

16Contrôle bureaucratique et contrôle par les résultats. Les entreprises électriques n’étaient jusque-là soumises qu’à un contrôle administratif, plus préoccupé de l’usage des moyens que des résultats. Le pouvoir politique, lui, intervenait à la petite semaine, pour influencer en sa faveur le choix du personnel, des investissements, des technologies, des pratiques commerciales. Le nouveau modèle, au contraire, repose tout entier sur une obligation de résultats, traduits en indicateurs de qualité de service, ce qui laisse à l’entreprise l’entière responsabilité dans le choix des moyens. Aussi bien les services centraux du ministère que le syndicat intercommunal ont beaucoup de difficultés à entrer dans cette nouvelle logique. Comme le dit le directeur de l’entreprise électrique, « ils me soufflent dans le cou ce que je dois faire ». Cette difficulté se rencontre dans toute l’Amérique latine. Les Brésiliens ont pris le problème à bras-le-corps en incluant dans les contrats de concession la phrase suivante, garantissant à l’entreprise « une grande liberté dans la conduite de ses affaires, investissements, personnel et technologie », condition pour qu’elle soit rendue totalement responsable des résultats du service. Le changement le plus difficile se situe bien là : faire que chacun soit réellement tenu pour responsable de ses résultats, alors que la logique antérieure créait une irresponsabilité généralisée.

17Contrôle de la qualité du service. Le contrôle des résultats est désormais formalisé par un ensemble d’indicateurs contractuels, qui engagent la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis du régulateur, lequel peut résilier le contrat en cas de non-respect des objectifs, et vis-à-vis de l’usager, qui a droit à une compensation financière pour chaque manquement aux objectifs de continuité, de tension, de facturation, de délais d’intervention, etc. Dans un contexte où l’entreprise ne répondait jamais de ses défaillances, il s’agit d’une véritable révolution. Le système est peu à peu mis en place, mais les résultats sont décevants. Il semble que l’incitation soit relativement efficace pour obliger l’entreprise à investir ou à corriger ses défaillances, mais jusqu’à présent le travail de contrôle a été totalement absorbé par l’effort (inégal) pour vérifier que l’information fournie par l’entreprise est correcte, que les sanctions sont bien appliquées, mais pas pour réellement évaluer la qualité du service et le faire savoir : les milliers de chiffres disponibles, la procédure de vérification occupent tout l’espace, au détriment du diagnostic, de l’information. Aucune donnée synthétique n’est diffusée, aucune carte de la qualité du service et de ses défaillances, aucune réflexion d’ensemble sur les points noirs, sur le chemin qui reste à parcourir. La procédure technique et légale remplace le contenu. Et la grande arme du régulateur, la révélation au grand jour des résultats (sunshine regulation), est émoussée.

18Gestion des réclamations. Cette tâche s’avère beaucoup plus importante que prévue. En théorie, tout est simple : les réclamations doivent être présentées à l’entreprise, puis en deuxième instance à la municipalité, et en dernière instance à la Commission nationale. Mais cela suppose des responsabilités bien définies et que chacune des trois instances soit crédible. Or il était autrefois de notoriété publique qu’il ne servait à rien de réclamer auprès de l’entreprise, que la seule voie efficace était celle de la protestation politique, ou l’utilisation des leviers (la palanca) du clientélisme ou des relations. Rendre crédibles l’entreprise, le syndicat intercommunal, la CNEE et les procédures de résolution des conflits est une tâche de longue haleine. Entre temps, les rôles sont naturellement difficiles à définir.

19D’autant plus que le nombre de réclamations explose. Cela est dû en partie à une plus grande exigence des usagers, qui n’acceptent plus n’importe quoi, et à une plus grande confiance dans l’utilité de la plainte [5]. Cela est dû aussi au fait que les règles du jeu sont en pleine redéfinition : quels sont mes droits ? Et mes devoirs ? Questions nouvelles, auxquelles les règles définies au niveau national répondent en partie, mais qui ne résolvent pas tout. La plupart sont rédigées de telle manière qu’elles résolvent les situations « normales », mais non les questions réelles : l’entreprise ne peut facturer que sur la base d’un comptage de la consommation ; or, traditionnellement, les compteurs étaient absents, ou détraqués, ou volontairement falsifiés, ou soigneusement mis hors de portée de l’entreprise ; le principe du comptage s’applique aisément lorsque tant l’entreprise que l’usager y ont intérêt, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Que faire dans l’immédiat ? Et comment créer les conditions progressives d’une normalisation ? Autre exemple : l’entreprise doit indemniser les dommages causés aux appareils électriques par les interruptions ou sautes de tension. Mais cette clause ne s’applique que si les clients ont installé les protections adéquates, « selon les normes Covenin » : que faire lorsque la plupart des installations des clients, mais aussi souvent de l’entreprise, ne sont pas conformes ? Mille autres exemples de ce type pourraient être apportés. Il faut que le ministère clarifie sa position sur les principes, il faut que tous les agents concernés se convainquent de la nécessité de règles du jeu claires et uniformes, il faut négocier des solutions au cas par cas en créant peu à peu une doctrine… Le vrai problème n’est pas l’application des règles, mais bien la création des règles, comme règles techniques, bien sûr, mais d’abord et avant tout comme règles du jeu social. Ce n’est pas un problème de définition des institutions idéales, mais de construction concrète d’un peu d’institutionnalité, dans la profondeur du corps social.

20Gestion des crises. Peu de temps après la privatisation de l’entreprise, survint une série d’interruptions prolongées de courant (les fameux apagones), dues à des défaillances du câble sous-marin approvisionnant l’île et des systèmes de production et de transport internes. Il est intéressant de comparer la façon dont ont été gérés ces accidents avec la manière dont ils ont été traités la même année à Rio de Janeiro : dans ce dernier cas, la commission régulatrice organisa une « audience publique », à la manière américaine, un débat contradictoire dans lequel tous les acteurs concernés purent exposer leur analyse de ce qui était arrivé, de ses causes, des responsabilités. À l’issue de cela, la commission émit une résolution, imposant à l’entreprise une pénalité de deux millions de dollars, déterminant une série de mesures et d’investissements obligatoires ainsi que les délais pour le faire. Dans le cas de Nueva Esparta, de nombreuses réunions eurent lieu, au milieu d’une grande agitation, mais il n’y eut jamais de décision formelle annoncée. Certes, la figure de l’audience publique n’existait pas encore formellement [6], mais l’événement a révélé la difficulté de provoquer un débat public autour de questions touchant des intérêts collectifs vitaux, et l’absence totale d’un « projet » partagé concernant la fiabilité de l’alimentation électrique.

21Le financement du service est une question particulièrement brûlante, surtout dans le contexte d’une politique visant pour la première fois a l’autosuffisance du service, dans un pays pétrolier accoutumé à une quasi-gratuité des services de base, ce qui a généré une culture de non-paiement profondément enracinée, et une très grande tolérance aux comportements de free-rider : la falsification des compteurs, par exemple, a pris rang de sport national, le secteur public a pris l’habitude de ne jamais payer ses factures, etc. [7] De son côté, l’entreprise, ne couvrant pas ses coûts, dépendait pour ses investissements d’apports du budget national qui, depuis longtemps, n’arrivaient qu’au compte-gouttes ; elle ne se sentait donc pas responsable de ses déséquilibres financiers ni de la détérioration du service. Le renversement de tendance doit se produire dans le cadre d’une privatisation réalisée dans une logique de maximisation des revenus fiscaux plus que de développement du secteur, et s’accompagna de hausses de tarifs extrêmement violentes, dans le contexte d’une profonde récession (le PIB chuta plus de 7% en 1999) qui affecta particulièrement l’activité touristique, secteur dominant de l’économie locale, et le pouvoir d’achat des ménages.

22Le choc fut rude, et généra de nombreux conflits. Il fut aggravé par l’absence de deux politiques cruciales, d’économie d’énergie, et de subventions sociales. Une politique d’économie d’énergie, parce qu’une électricité bon marché a développé au fil des ans un haut niveau de consommation et une très faible efficacité énergétique. Un Vénézuélien a une consommation par tête deux fois et demie supérieure à celle d’un Mexicain. Le secteur hôtelier, par exemple, réclame une baisse des tarifs (comme il réclame une exemption de la TVA) mais se refuse à mettre en œuvre des mesures énergiques de rationalisation de sa consommation. Une politique de subventions sociales, également, pour limiter l’impact des hausses brutales de tarif sur les bas revenus. Le contrat de concession ne prévoit de tarif social que pour des niveaux de consommation extrêmement bas, et la nouvelle loi électrique autorise un très timide niveau de subvention croisée, dont les modalités d’application n’ont même pas encore été définies. Toutes les conditions sont dès lors réunies pour que se constitue un front du refus des hausses de tarif, où viennent converger les revendications les plus et les moins légitimes, où ressurgissent même les incitations au non-paiement, ce qui freine d’autant la transformation de la culture du non-paiement.

23Service électrique et gestion urbaine. Un grand nombre des problèmes surgis au cours des premières années concernent les relations entre le service de distribution électrique et la gestion de la ville. C’est tout d’abord l’éclairage public, où régnait jusque-là un accord confus entre entreprise et municipalités (troc de l’impôt municipal contre la facture municipale d’électricité, qui empêchait toute gestion rationnelle de l’éclairage) : il faut inventer un nouveau mode de financement, qui heurte de plein fouet les traditions budgétaires municipales, et définir une politique d’éclairage qui n’avait jamais existé. Ce sont aussi les nécessaires négociations entre entreprise et municipalités autour des programmes d’extension du service, de renouvellement des ouvrages [8] : alors que l’ancienne entreprise publique se comportait comme en terrain conquis, décidait de tout sans consulter personne, les municipalités revendiquent aujourd’hui leur responsabilité face à l’entreprise privée, mais cela suppose une capacité de planification spatiale et une politique du paysage urbain, qu’elles sont loin d’avoir. Le syndicat intercommunal commence timidement à les assister dans ces tâches, et se heurte en permanence au mauvais vouloir de l’entreprise.

24On voit que la régulation du service va bien au-delà de l’application mécanique de règles préétablies, elle implique de profondes transformations des relations existant de longue date entre les acteurs, elle suppose aussi une transformation non moins profonde de chacun des acteurs eux-mêmes. Le temps est une variable décisive et très paradoxale : d’un côté, les problèmes n’attendent pas, les régulateurs locaux ont l’impression d’être en permanence dans une chaudière prête à exploser et se plaignent de ce que les régulateurs nationaux ne perçoivent pas cette pression et sont incapables de s’adapter au rythme des conflits. D’un autre côté, les transformations réelles en cours sont lentes, faites d’apprentissages réversibles et de réajustements instables : la stabilité d’une institution nationale fournit un contrepoids utile à l’extrême sensibilité conjoncturelle de l’organe local.

Processus d’apprentissage

25L’expérience de Nueva Esparta a une portée qui dépasse les frontières de cet État. C’est un cas d’école où s’expérimente le nouveau modèle, pour tout le pays. A-t-il réellement fonctionné comme expérience pilote, a-t-il permis un processus d’apprentissage, cumulatif et transférable ? Bien évidemment, il n’a pas été conçu comme tel. Au contraire, le ministère a été totalement absorbé par la préparation de la nouvelle loi, puis de son règlement, et de la transformation du secteur (partition des entreprises intégrées verticalement, création du nouveau centre national de dispatching technique et économique, de la commission de régulation, etc.). L’élaboration centralisée des nouvelles normes et procédures paraissait plus urgente que l’évaluation de leur mise en œuvre locale et l’administration centrale a eu beaucoup de mal à accorder quelque attention à Nueva Esparta [9]. Ce sont les événements, et les conflits, qui l’y ont obligée.

26Un groupe de travail a été créé, réunissant l’organisme chargé du contrôle des entreprises, celui chargé de l’élaboration des nouvelles normes, et le syndicat intercommunal, qui s’est donné pour tâche à la fois d’aider à résoudre les problèmes locaux et de les analyser pour en tirer des leçons nationales. L’exercice a été fort difficile et conflictuel, car opposé à la tradition de chacun. Au bout de quelques mois, cela a permis la création d’une petite équipe spécifiquement chargée du suivi de Nueva Esparta, pour expérimenter de nouvelles formes de coopération entre ministère et collectivités locales dans le contrôle des services. Par contre, il n’a pas encore été possible de créer une véritable mémoire de la régulation, pour garder trace des problèmes posés, des solutions inventées, et pour les mettre à disposition des autres régions, pas plus que n’ont encore été mis en place de vrais programmes de formation des régulateurs locaux ; la transformation des services centraux, sur la base de l’expérience du petit « groupe de projet » mis en place pour Nueva Esparta, n’est pas non plus menée à bien.

27La régulation électrique est une tâche techniquement complexe, de telle sorte que la création d’un réseau de régulateurs articulant une instance nationale et des instances locales est un objectif très ambitieux, par ce qu’il suppose de professionnalisation, de création de normes, d’une « philosophie » commune, et de confiance mutuelle. Or la tendance naturelle des régulateurs nationaux est de produire du « savoir régulateur » à partir du centre, en forte interaction avec leurs collègues d’autres pays, et sur une base « scientifique », beaucoup plus qu’à prendre appui sur les expériences locales, à s’instruire à partir des savoirs pratiques, à s’interroger sur les moyens du transfert, de l’adaptation, de l’appropriation.

28Mais le processus d’apprentissage ne se limite pas au face-à-face entre le régulateur et le régulé, ni à la coopération entre régulateurs nationaux et locaux. Il implique un éventail beaucoup plus large d’acteurs.

29– Les municipalités, tout d’abord, n’ont guère d’expérience de la coopération intercommunale, encore moins sous la forme d’instances techniques réclamant professionnalisme et continuité. Une des grandes réussites de Nueva Esparta a été que le syndicat a survécu au départ de la principale commune, puis à son retour, à deux changements de présidents, ainsi qu’à une élection municipale provoquant le remplacement de tous les membres de ses organes directeurs. Un processus de consolidation et de professionnalisation est en cours.

30– Les usagers sont bien sûr omniprésents, individuellement et par les associations de quartier. L’entreprise a d’ailleurs installé une salle de réunions pour les recevoir lorsqu’elles viennent déposer une réclamation, démontrant ainsi l’évidence de phénomènes collectifs. Mais leur rôle n’est reconnu que du bout des lèvres : la loi électrique insiste sur le droit des usagers à contrôler le service, à s’organiser, à recevoir l’information opportune, et sur le devoir tant de la CNEE que des municipalités de favoriser leur organisation. Mais cela ne s’accompagne d’aucun moyen institutionnel ni financier, d’aucune place reconnue dans les dispositifs de régulation. Par ailleurs, il n’existe pas au niveau national d’organisations de consommateurs crédibles et représentatives. L’apprentissage, ici, ne fait que commencer. Un programme hebdomadaire de radio, dirigé par le syndicat intercommunal, joue un rôle important pour l’information et la formation des usagers.

31– D’autres acteurs se sont présentés sans avoir été invités : le gouverneur de l’État, tout d’abord, bien qu’il n’ait aucune compétence formelle dans ce domaine, a un poids politique évident, qui se manifeste dans tous les conflits importants [10]. L’Assemblée législative de l’État, en liaison avec l’Assemblée nationale (commission des services publics), a également pris la parole : début 2001, une commission mixte de ces deux assemblées s’est réunie tous les quinze jours pour faire un « audit » de la situation et pour trouver une solution au conflit tarifaire. Ces invités impromptus jouent un rôle conflictuel, mais on peut dire qu’à chaque fois ils obligent l’entreprise et les régulateurs national et local à faire un pas de plus dans la définition de leurs relations et dans la prise en charge réelle des problèmes concrets.

32On constate ainsi une fois de plus que le système de régulation formelle ne rend pas compte du système d’action réel, qui le déborde de toutes parts [Friedberg, 1997 : 164-168]. On peut imaginer un système de régulation qui ne serait basé que sur le face-à-face entre régulateur et entreprise, et qui ne se définirait que par des procédures formelles. Mais il aurait peu à voir avec l’apprentissage collectif de nouvelles règles du jeu par tous les acteurs concernés. L’expérience du passé, de la dégradation progressive du service électrique et de l’impossibilité de créer les conditions d’un redressement durable, montre l’absolue nécessité d’une stratégie concertée, où les intérêts locaux concernés trouvent un nouvel équilibre et cessent d’attendre du gouvernement central la solution de tous les problèmes. Le véritable enjeu est donc de parvenir à élaborer localement un « cahier des charges » du service public qui le rende viable techniquement, économiquement, socialement et politiquement.

33La loi électrique prévoit une période transitoire de trois ans pour que les entreprises s’adaptent au nouveau modèle, et la signature, pour cette période, d’un contrat provisoire préalable à l’attribution d’une concession : il aurait été possible de profiter de cette occasion pour susciter dans chaque région un débat autour des objectifs du service, et de parvenir ainsi à un projet négocié de transition. Cette démarche a été refusée par le ministère.

Régulation et gouvernance des biens publics

34Dans le débat théorique autour de la régulation des services publics, on oppose traditionnellement la régulation par des agences spécialisées, fixant le prix en l’absence de concurrence, à la régulation par des contrats de délégation attribués par appel d’offres, qui met l’accent sur la gestion dans le temps de ce contrat. Goldberg [1976] affirme que « les industries correspondant à des monopoles naturels sont caractérisées non par leurs supposés coûts décroissants, mais par leurs traits qui rendent souhaitables des relations de long terme entre fournisseurs et consommateurs ». Crocker [1996 : 30] commente ce texte en ajoutant : « La gouvernance des transactions dans les Public Utilities devient moins le problème de découvrir le juste prix que celui d’identifier la structure de gouvernance qui réduit le coût de parvenir à la détermination des termes de l’échange et de les ajuster tout au long de la relation. » Le contrat peut être doté d’incitations fortes et automatiques, mais ce ne peut être un contrat complet prévoyant à l’avance tous les événements possibles et déterminant toutes les solutions aux conflits potentiels. Ce sont des contrats nécessairement incomplets qui posent donc en permanence le problème du possible opportunisme. La régulation par agence, de son côté, souffre de la difficulté et de la lenteur à mettre en place un instrument efficace et crédible. Or, dans notre cas, la régulation par le contrat de concession se combine avec la régulation par une agence ; loin d’être une exception liée au cas particulier de Nueva Esparta, c’est au contraire la figure pérenne prévue dans la loi électrique, c’est aussi la formule retenue pour le service de l’eau, et l’on observe que de nombreux pays d’Amérique latine ont adopté cette solution. Ces deux mécanismes, présentés comme des solutions alternatives et exclusives l’une de l’autre, sont donc utilisés conjointement : ils s’appuient mutuellement pour rendre possible le lent processus de création de règles acceptables.

35On observe aussi la combinaison d’une régulation nationale et d’une régulation locale : solution conflictuelle, qui est loin de faire l’unanimité, et qui à l’origine découlait plus d’une contrainte légale (la compétence municipale, difficile à contourner) que d’une conviction. L’expérience démontre, me semble-t-il, le bien-fondé de ce choix.

36Certes, la régulation, qu’elle soit par agence ou par contrats, ne requiert pas une instance de proximité, elle est en principe indifférente à la distance : une autorité externe aux individus et la codification des rôles suffisent à établir la confiance ; l’information qu’ils échangent est standardisée et ne souffre donc pas de problèmes d’interprétation. Des interactions de nature interprétative ne surgissent que de loin en loin. Cela réduit la nécessité de contacts directs entre régulateur et régulé, comme d’ailleurs entre fournisseur et client. Or, même en France, la proximité joue un rôle croissant dans la régulation de la distribution électrique [Berrivin, 1995 ; Coing, 1998], Dans un pays comme le Venezuela, où la confiance entre les acteurs est tout entière à construire, se produisent de multiples interactions interprétatives qui à la fois suppléent l’absence de règles communément acceptées et en même temps contribuent à les construire. Par règles, nous ne visons pas seulement ici les normes, mais en deçà et au-delà de celles-ci, « un ensemble d’attentes et de pratiques tenues pour mutuellement cohérentes », autrement dit des conventions, comme les définit l’école du même nom. La transformation du secteur électrique (comme d’ailleurs des autres services collectifs) en un service soutenable dans le temps suppose que s’établissent entre les acteurs des relations également soutenables dans le temps. L’énoncé de règles formelles (par exemple dans la loi ou le contrat) ne prendra corps que si s’élabore lentement dans chacune des zones de concession un ensemble de nouvelles conventions : elles viendront remplacer les conventions antérieures, dont nous avons donné des exemples, et qui ne correspondent plus aux exigences de l’action collective (i.e. ne permettent pas le développement d’un service efficace et soutenable).

37Certes, l’électricité est un bien marchand et excludable [11], mais le système de distribution électrique, lui, ressemble davantage à un bien public : s’il est efficient, tous en profitent, les entreprises comme les ménages. Qu’il vienne à se détériorer, tous en pâtissent, mais il peut être de l’intérêt de chacun de ne pas coopérer même s’il serait de l’intérêt de tous que chacun coopère. Autrefois, l’État vénézuélien, État rentier par excellence, prenait à sa charge directement le service (sans s’en rendre effectivement responsable pour autant). Il agissait d’en haut, et de l’extérieur de la situation, laissant ainsi une grande latitude au free rider, qui n’était pas obligé d’intégrer le problème en amont de son action. Aujourd’hui, la décentralisation et la privatisation ont changé la donne. Aucun acteur ne peut à lui seul assurer les conditions de production de ce bien public ; la présence active du collectif local est nécessaire, mais elle est aussi incertaine. Quelqu’un doit, comme le dit Salais [1997 : 267], problématiser les défaillances de la coordination, concevoir un traitement effectif : « Ce travail est un processus politique d’élaboration. C’est un processus situé en un territoire et en une période, toujours en devenir, mettant en branle et en conflit de multiples acteurs et des conceptions voire des théories concurrentes de ce qu’est un traitement juste de la défaillance de coordination ainsi reconnue. » Ce rôle est nécessairement tenu par l’État, sous sa double forme nationale et locale.

38Définir la régulation comme le seul face-à-face entre régulateur et régulé est dramatiquement inefficace, surtout dans un contexte comme celui du Venezuela. C’est croire que le problème se résout par des rapports de hiérarchie et de subordination, quand il s’agit au contraire de gérer des interdépendances. Un service en réseau crée entre tous les acteurs concernés une interdépendance telle que le comportement de l’un affecte tous les autres, parce qu’il affecte le système comme tel. En termes techniques, cela peut être illustré par le problème des perturbations liées aux harmoniques, générées par les installations de certains clients, et qui affectent la qualité du courant reçu par d’autres usagers. Mais ce qui est vrai sur le plan technique l’est aussi bien sur le plan financier et institutionnel. Une facture non payée n’est pas seulement un manque à gagner, mais un élément de déséquilibre qui peut déclencher un processus de détérioration cumulatif et mettre en péril le système en tant que tel. La création d’un service fiable et soutenable dans le temps ressemble en ce sens à la création d’un bien public (ou comme le dit Salais, d’un bien commun). Comme toujours, cela n’exige pas une impossible unanimité, sinon la recherche de solutions rendant compatibles les exigences des différents acteurs avec le maintien du système comme tel.

39Cette double caractéristique de processus politique et de processus local a, nous semble-t-il, été largement démontrée dans les pages précédentes ; c’est la raison pour laquelle cette figure du syndicat intercommunal comme coresponsable du contrôle du service avec la commission nationale n’est pas anecdotique. Les difficultés rencontrées par des pays comme la Colombie, ou le Pérou, qui ont opté pour une approche très centralisée de la régulation [12], semblent le confirmer [Corrales, 1998 : 235-282].

40La littérature sur la régulation semble en permanence à la recherche du Saint-Graal, d’un modèle de régulation « optimale ». Mais la réalité est bien différente de ce que disent les manuels. Si l’on recherche des chemins efficaces d’amélioration, il faut s’éloigner des modèles de régulation parfaite, sur la base de régulateurs totalement indépendants et de mécanismes incitatifs entièrement automatiques, pour retrouver le processus politique par lequel une collectivité se rend capable de prendre en charge des services essentiels, en combinant de façon hétérodoxe des outils réputés incompatibles entre eux, c’est-à-dire en inventant des « politiques plausibles pour un monde imparfait », pour reprendre une expression de Baumol [13].

Notes

  • [*]
    IRD (UR 023)-IESA.
  • [1]
    Une récente étude de la Banque interaméricaine de développement apporte une intéressante confirmation : la commission fédérale de l’eau de Mexico a développé un modèle de loi sur l’eau qu’elle cherche à faire adopter par les États. La comparaison entre 146 services d’eau montre pourtant qu’il n’y a pas de différence entre les services situés dans les États qui ont adopté le nouveau modèle et les autres, du point de vue de leur efficience [Ozuna, 1998], La société ne se change pas par décret.
  • [2]
    Ce travail s’appuie sur une recherche conduite depuis 1998 et qui a comporté aussi bien des observations de terrain que la participation à des groupes de travail, à des commissions et à des actions de formation. Nous avons notamment analysé de façon systématique tous les conflits qui surgissaient au jour le jour, et la manière dont ils étaient traités.
  • [3]
    Sur plusieurs points cependant, la réforme s’écarte du modèle, notamment sous l’influence du nouveau gouvernement qui a modifié le projet de loi préexistant : le système hydroélectrique du Caroni restera public, le prix de l’électricité hydroélectrique (dominante) sera fixé par le régulateur et non par le marché, le dispatching sera assuré par un organisme public, le ministère de l’Energie gardera d’importantes prérogatives en ce qui concerne la planification du système et la fixation des prix régulés.
  • [4]
    Fondo de Inversiones de Venezuela, propriétaire des actifs de l’entreprise et, à ce titre, chargé du processus de privatisation.
  • [5]
    Traditionnellement, on considère le nombre de réclamations comme un indicateur de qualité du service. Dans notre contexte de profonde détérioration des services, l’amélioration de la qualité s’accompagne au contraire d’un accroissement du nombre des réclamations et devient plutôt un indicateur de réussite.
  • [6]
    Elle a été créée un an plus tard par le règlement de la loi électrique.
  • [7]
    La situation à Nueva Esparta était loin d’être la pire, les pertes s’élevant à 16% et le recouvrement des factures à 85%, alors que dans le reste de l’entreprise Cadafe, les chiffres étaient bien supérieurs. On a même vu, dans certaines régions, les agents chargés du recouvrement des factures accueillis par des opposants armés, parfois appuyés par les autorités locales.
  • [8]
    La loi oblige l’entreprise électrique à coordonner ses plans d’expansion et d’amélioration avec les plans municipaux de développement urbain.
  • [9]
    Perçu en outre comme un héritage non désiré du gouvernement précédent, qui avait hâté la privatisation juste avant les élections présidentielles.
  • [10]
    On observe une fois encore que la délimitation formelle des compétences ne dit pas grand-chose sur le rôle effectif des différentes instances. Après les dernières élections du gouverneur et des maires, une négociation s’est engagée et un accord informel a donné aux maires le contrôle du syndicat intercommunal d’électricité, et au gouverneur celui du syndicat intercommunal des déchets !
  • [11]
    Néologisme qui désigne la possibilité d’écarter de l’utilisation d’un service quiconque ne contribuerait pas à son financement.
  • [12]
    Correspondant exactement à ce que Salais appelle la « convention de l’État absent », misant sur les performances du marché et n’attribuant de rôle à l’État que dans la promotion de la concurrence : dans ce contexte, la responsabilité municipale est exclue par principe.
  • [13]
    Citée par A. Kahn [1988].
Français

Résumé

Les réformes du secteur électrique qui se mettent en place partout dans le monde privilégient le modèle anglo-saxon de régulation : la création d’agences régulatrices « indépendantes », le face-à-face entre l’entreprise et le régulateur, et la définition de mécanismes incitatifs supposés modeler le comportement des acteurs. À partir d’une recherche empirique réalisée dans l’État de Nueva Esparta au Venezuela, ce texte analyse les conflits liés à la mise en place d’un tel modèle : dans un contexte de fortes déficiences quantitatives et qualitatives du service, s’avère-t-il un instrument efficace de changement ? La création d’un service public efficient et de règles du jeu acceptables par tous pose des problèmes qui débordent largement les questions techniques de la régulation économique et relèvent plutôt d’une problématique de gouvernance. Loin des surenchères de Guash et Spiller, rêvant d’éliminer toute marge de décision discrétionnaire, l’expérience révèle au contraire la nécessité d’un processus d’apprentissage réciproque et conflictuel, entre des acteurs beaucoup plus divers que ne le laisse croire le supposé face-à-face régulateur/régulé, ainsi que sa dimension fondamentalement politique.

Mots-clés

  • régulation
  • gouvernance
  • électricité
  • Venezuela

Bibliographie

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  • Ozuna T., Gomez I. [ 1998], Regulation, Organization and Incentives : the Political Economy of Potable Water Services in Mexico, BID, documento de trabajo R.326, 19 p.
  • Salais R. [1997], « Action publique, gouvernance et conventions de l’État : éléments d’un problème », in E Godard (coord.), Le Gouvernement des villes, Paris, Descartes et Cie : 255-284.
Henri Coing [*]
  • [*]
    IRD (UR 023)-IESA.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/autr.021.0055
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