CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le Viêt-nam est un pays de traditions, au nombre desquelles la bureaucratie n’est pas la moindre. Héritage de la colonisation chinoise, renforcé par la colonisation française, l’organisation de l’État selon un principe pyramidal a connu son apogée après l’indépendance dans le Nord du pays. Cette organisation s’est enfin imposée dans l’ensemble du pays lorsque les cadres du Nord, venus dans le sillage de leur armée, ont pris les rênes de l’administration au Sud.

2Chacun des pouvoirs en place successifs a cependant pris soin de sélectionner ses cadres permanents et de les former selon des modalités propres à chaque système de pensée. Les fonctionnaires formés en français et issus de classes moyennes ont ainsi succédé aux mandarins issus de classes nobles, sinon toujours fortunées, et ont été ensuite remplacés par des cadres pour lesquels l’adhésion à l’idéologie plus que l’origine sociale ou la compétence était un critère de sélection.

3À partir de l’indépendance en 1945, l’appareil d’État se déploie pour permettre le passage au socialisme, qui se traduit par la mise en place d’un système de planification centralisée reposant sur le développement de la production par les entreprises d’État et le secteur collectif.

4Le Viêt-nam est coupé en deux en 1954 le long du 17e parallèle à la suite des accords de Genève. Il ne retrouvera son intégrité territoriale qu’en avril 1975, à la suite d’une guerre qui laisse le pays exsangue. Les efforts consentis pour tenter d’étendre le socialisme à l’ensemble du pays, l’intervention au Cambodge et la guerre avec la Chine plongent ensuite le pays dans une crise profonde dont il ne sortira qu’après avoir changé d’orientation en matière de stratégie de développement. Le lancement de la politique de rénovation (doi moi) en 1986 vient consacrer la victoire des réformateurs sur les conservateurs au sein du parti et légitime enfin les nombreuses initiatives dans ce sens prises à la base au cours de l’histoire du Viêt-nam indépendant.

5Le passage progressif au marché, dans lequel les cadres locaux ont joué un rôle souvent déterminant, a entraîné des bouleversements fondamentaux dans les effectifs, les statuts et les niveaux de vie des employés du secteur public, tandis que l’organisation administrative du pays connaissait peu de changements.

L’organisation administrative du Viêt-nam

6Au Viêt-nam comme ailleurs, l’identification des fonctionnaires est malaisée. Jusqu’à la fin des années quatre-vingt, on trouve mention dans les statistiques vietnamiennes de « công nhân viên chucNha nuoc [1] », la terminologie utilisée témoignant de ce qu’aucune distinction n’est faite en termes de statut entre la sphère productive et la sphère non productive [2]. Le niveau de rattachement central ou local de leur unité ou service est en revanche toujours précisé.

7Pendant la guerre de résistance, le pays était divisé en zones à la fois administratives et militaires, qui ont fait place en 1954 à un découpage par régions dans le Nord du pays à des fins de planification, sur des bases physiques. Les sept régions définies par le découpage de 1980 sur la base de « l’homogénéité relative des conditions agroéconomiques » [Lê Ba Thao, 1998] ont été portées à huit en 1996. Les régions ne sont cependant pas des unités administratives. L’organisation administrative vietnamienne comporte quatre échelons : le centre, les provinces, les districts et les communes, qui constituent l’unité de base de la gestion administrative. Chaque échelon local est administré par un conseil populaire élu au suffrage universel pour quatre ans [3], qui élit à son tour un comité administratif (comité populaire) avec à sa tête un président.

8Chaque ministère technique et chaque département général sont représentés par un département provincial. Les provinces disposent d’une grande autonomie en matière d’élaboration et de répartition du budget, de gestion des activités politiques, économiques et sociales, de sécurité et de défense, et ont le droit de créer des entreprises. Les départements provinciaux travaillent donc sous la double tutelle du centre et du comité populaire de la province. Le Nord regroupe les deux tiers des unités administratives du pays, mais seulement un peu plus de la moitié des employés de l’État en 1995. Les unités administratives du Nord sont en moyenne de taille plus réduite que celles du Sud, notamment au niveau communal.

9Si la structure administrative de l’État vietnamien ne s’est pas modifiée de manière fondamentale avec le passage d’un système de planification centralisée à un système de marché à orientation socialiste, le rôle de l’appareil d’État s’est en revanche radicalement transformé. Avant le doi moi, les institutions centrales définissaient les orientations des politiques nationales, traduites en objectifs quantifiés en volume à atteindre au cours d’une période de temps déterminée, résultant de l’arbitrage entre les priorités nationales et les possibilités et objectifs exprimés par les institutions locales. Héritage de la période de lutte pour l’indépendance, la très grande autonomie des localités, nécessaire pendant la période de guerre qu’a connue le Viêt-nam pratiquement sans interruption jusqu’en 1975, s’est imposée comme mode de régulation des relations entre le gouvernement central et les échelons décentralisés de l’administration, qui « opèrent souvent comme des « royaumes indépendants » dans leurs relations avec Hanoi » [Thayer, 1991 : 21]. La réalité de la répartition des pouvoirs varie cependant de manière importante d’une province à une autre, en fonction de l’équilibre des forces entre les organes du parti et les assemblées élues. Bien que le parti ait théoriquement un rôle d’orientation et de contrôle, de nombreux textes officiels regrettent qu’il « existe de longue date une confusion des fonctions entre le parti et les organes de l’État » [Lê DucTho, 1982 [4]].

10L’autonomie de fonctionnement des provinces s’exprime également dans les modes de répartition et de gestion des budgets alloués aux départements provinciaux des ministères. Selon le rapport de force prévalant entre le département des finances et les autres départements, ces derniers peuvent être amenés à gérer en totalité les budgets qui leur sont alloués ou à ne gérer, a minima, que leurs propres dépenses de fonctionnement [Henaff, Martin, 2001]. Le gouvernement central continue à fixer les priorités de la politique nationale dans tous les domaines et exerce une certaine influence sur les provinces, tant par l’intermédiaire des départements provinciaux que par la répartition du budget, dont les recettes sont centralisées. Mais les provinces définissent elles-mêmes leurs priorités dans le cadre défini par l’État central, et chaque niveau territorial dispose de ressources propres provenant de certaines recettes fiscales qui leur restent acquises. De plus, les provinces sont autorisées à conserver l’excédent par rapport aux objectifs des recettes fiscales destinées au Centre.

11L’importance du pouvoir local au Viêt-nam explique les difficultés qu’éprouve parfois le pouvoir central à mettre en application certaines de ses politiques, en particulier lorsqu’elles concernent des réductions du nombre des employés des administrations territoriales.

Évolution de l’emploi dans le secteur public

12Entre 1976 et 1986, le nombre d’employés dans le secteur public s’accroît à un rythme moyen de 4,7 % par an, tandis que l’emploi total et la population augmentent respectivement de 3,4 % et de 2,2 % par an en moyenne. L’année 1976 est la première année pour laquelle le Viêt-nam peut présenter des statistiques nationales, à la suite de la réunification du pays, tandis que 1986 marque le lancement officiel de la politique de rénovation, même si un certain nombre d’initiatives locales avaient anticipé ce retournement dès la fin des années soixante-dix [Fforde, de Vylder, 1996 : 39-40] en particulier dans l’agriculture. La politique de rénovation, qui se traduit par une réorientation de la stratégie de développement du pays vers le marché, doit permettre au pays de sortir de la crise. Le caractère désormais plurisectoriel de l’économie, entériné par le VIe congrès du PCV, entraîne la reconnaissance de nouveaux acteurs économiques aux côtés de l’État et du secteur collectif et coopératif. Cela va entraîner une restructuration de l’économie nationale [Henaff, Martin, 2001], tandis que l’abandon progressif de la planification centralisée aboutit à des changements importants dans le mode d’administration de l’État. C’est à la fois le rôle des cadres [5], la nature de leurs compétences et leur nombre qui sont remis en question.

13La fin de l’année 1989 marque un tournant fondamental dans ce domaine. Il s’agit de convertir le système de planification centralisée aux mécanismes de marché et de supprimer les subventions en passant d’un système d’attribution d’emploi à un système de libre recrutement de la main-d’œuvre par les entreprises. Les effets de cette décision sont radicaux : entre fin 1988 et fin 1994, le secteur d’État perd 1,1 million d’emplois nets (figure 1). C’est l’emploi public local qui est le plus touché. Le regroupement de certains ministères entraîne des suppressions de postes dans l’administration, mais on observe que la résistance y est plus forte que dans les entreprises publiques. Certains décident de partir en retraite anticipée ou de démissionner, lorsque leurs compétences, leurs capitaux ou leurs réseaux de relations le leur permettent. L’incitation au départ est assortie d’une prime correspondant au versement forfaitaire des droits à pension accumulés pendant la période d’activité. D’autres choisissent une nouvelle affectation, et passent ainsi par exemple de l’administration à des postes de gestionnaires dans les entreprises publiques locales.

14C’est dans le secteur productif que la baisse des effectifs est la plus massive. Dans ce secteur, les réductions d’effectifs passent par le regroupement des entreprises en compagnies générales et par la fermeture d’un certain nombre d’usines. Entre 1987 et 1994, le Centre perd près du quart de ses entreprises dans l’industrie, et le niveau local près de la moitié [GSO, 1996 c]. Mais, alors que la réforme visait essentiellement les employés administratifs des entreprises publiques, les départs volontaires ont été plus nombreux parmi les ouvriers et techniciens qui avaient les compétences les plus susceptibles de leur permettre d’améliorer leurs revenus en changeant d’activité. Les femmes ont été particulièrement touchées par cette décision. Dans le même temps, les licenciements se sont accompagnés de recrutements, la main-d’œuvre vieillissante étant remplacée par une main-d’œuvre plus jeune et mieux formée. De nombreux enfants de parents ayant volontairement quitté leur emploi ont ainsi pu être recrutés par les employeurs de ces derniers, préservant ainsi au sein de la famille les avantages liés à l’emploi, comme le logement par exemple.

Figure 1

Évolution de l’emploi total et de l’emploi public, 1976-1999 (en millions)

Figure 1

Évolution de l’emploi total et de l’emploi public, 1976-1999 (en millions)

Source : Thông Cuc Thông Kê, 1980 à 1999.

15Les régions sont affectées de manière inégale par ce mouvement. Les régions du Nord perdent le tiers de leurs effectifs, principalement entre 1989 et 1992, et les régions du Sud environ 20 %. Les réductions d’effectifs ont également été beaucoup moins importantes dans le delta du Mékong et dans le Sud-Est que dans les autres provinces. Les données disponibles ne permettent cependant pas de déterminer si cela résulte de meilleurs résultats dans les entreprises publiques du Sud que dans celles du Nord ou d’une résistance plus forte à la pression du gouvernement central.

16En 1995, les entreprises publiques représentent 94,7 % des bénéfices réalisés par l’ensemble des entreprises. La restructuration a permis d’améliorer les résultats d’un certain nombre d’entreprises et de stimuler la production, et les effectifs augmentent de nouveau. Mais les entreprises publiques représentent aussi 76 % des pertes enregistrées par l’ensemble des entreprises en 1995, ce qui pèse lourdement sur le budget de l’État.

17Dans la perspective du renforcement de l’intégration régionale et mondiale de l’économie vietnamienne, les entreprises publiques des secteurs considérés comme stratégiques par le gouvernement doivent se moderniser pour améliorer leurs performances, tandis que l’État doit se séparer des entreprises des autres secteurs, en particulier lorsqu’elles font des pertes. Le programme actuel de réforme du secteur d’État prévoit donc de restructurer, d’« actionnariser [6] », de dissoudre, de louer ou de mettre en gérance une partie importante des entreprises d’État. L’une des raisons de la lenteur de la réforme des entreprises publiques est le nombre de licenciements qu’elle doit entraîner. La Commission centrale pour la rénovation de la gestion des entreprises évalue en effet à 430000 (25 % du total) le nombre d’employés du secteur d’État qui vont devoir trouver un autre emploi au cours des trois prochaines années. Or, les perspectives d’emploi hors du secteur d’État restent limitées. Le secteur individuel et familial, qui a permis de résorber le surplus de main-d’œuvre sur le marché du travail au début des années quatrevingt-dix, n’offre de réelles possibilités d’emploi qu’à ceux qui disposent d’un minimum de capital à investir, mais l’État ne dispose plus des ressources qui lui permettraient d’offrir à ceux qui perdent leur emploi une compensation financière de même nature que celle qui était proposée à la fin des années quatre-vingt. Enfin, le ralentissement de la croissance lié à la crise financière en Asie n’incite pas les entreprises privées vietnamiennes et étrangères à améliorer leur contribution, déjà modeste pendant les années de forte croissance, à la création d’emploi. La possibilité de quitter le secteur d’État, nouvelle à la fin des années quatre-vingt, ne l’est plus dix ans après. Entre-temps, le marché du travail s’est modifié, le chômage a augmenté, la concurrence est sévère, et les espoirs d’amélioration de revenus engendrés par la politique de rénovation laissent place au doute qu’entraîne la prise de conscience de l’incertitude [Henaff, Martin, 1999]. La résistance face au changement en est accrue.

18Malgré les réductions d’effectifs, le secteur d’État représente encore plus de la moitié des emplois publics en 1995 (figure 1). À l’exception de l’agriculture, dont les effectifs continuent à se réduire, et du commerce, qui stagne, l’embauche reprend dans les différents secteurs à partir de 1995. Dans l’éducation, les départs lors de la crise de la fin des années quatre-vingt sont suffisamment importants pour entraîner une baisse des effectifs de 3 % et un mouvement de déscolarisation [Henaff, Martin, 1999]. La crise est cependant vite surmontée. Les enfants retrouvent le chemin de l’école et l’emploi dans ce secteur dépasse en 1995 son niveau de 1989. Les services publics et l’administration ne sont touchés par les réductions d’effectifs que de manière temporaire, sauf la santé, l’assurance sociale et le sport, qui perdent 7 % de leurs effectifs entre 1989 et 1999. Les problèmes posés par la suppression de la gratuité des services de santé n’ont pas encore pu être résolus, d’autant que la santé est un secteur qui demande des investissements importants et dans lequel l’État a peu à offrir à un personnel dont le passage au statut de profession libérale permet de toucher les usagers les plus aisés du marché, dont le nombre et les exigences en matière de soins sont croissants.

19La restructuration du secteur public à la fin des années quatre-vingt a permis de ramener la part des entreprises d’État dans l’emploi public de 66 % à 52 % entre 1989 et 1995, au bénéfice des services publics et de l’administration, en particulier de l’éducation, qui demeure une priorité nationale.

Statuts, formation et revenus

20En 1995, la moitié des employés de l’État travaille dans les entreprises publiques, un peu plus du tiers dans les services publics, essentiellement l’éducation et la formation, et un peu plus de 10 % dans l’administration, essentiellement locale (figure 2). Les fonctionnaires sont répartis en quatre catégories en fonction de leur niveau de formation. Les catégories A, B, C et D correspondent respectivement aux titulaires d’une maîtrise ou d’un diplôme supérieur, aux formations de type bac + 2, aux formations professionnelles postprimaires et aux formations professionnelles de niveau inférieur au postprimaire. Les diplômés de l’enseignement supérieur sont nombreux dans l’administration centrale et provinciale, les diplômés de l’enseignement secondaire technique dans les districts, et la main-d’œuvre non spécialisée dans les communes. La structure des qualifications dans le secteur public présente de plus un déséquilibre important entre les employés de formation secondaire technique et les techniciens diplômés.

21La hiérarchie qui prévaut dans l’administration se retrouve dans une certaine mesure dans les entreprises d’État. C’est dans les services publics que la part des personnels ayant suivi une formation longue est la plus importante. La restructuration du secteur public et les efforts entrepris en matière de formation ont permis d’augmenter de manière significative la part des personnels de formation secondaire et supérieure entre 1982 et 1995. Parallèlement, la part de la main-d’œuvre sans diplômes s’est également accrue fortement.

Figure 2

Répartition des employés de l’État par secteur d’emploi et par niveau de formation en 1995

Figure 2
Secteur d’emploi Effectifs Répartition en fonction de la formation (%) Nombre % Diplômés de l’université Formation secondaire technique Techniciens diplômés Autres Total Entreprises d’État 1506911 52,0 10,2 10,7 26,2 52,8 100,0 Centrales 857757 56,9 11,7 10,8 33,9 43,6 100,0 Locales 649154 43,1 8,3 10,6 16,0 65,1 100,0 Services publics 1030433 35,6 31,5 40,2 3,1 25,1 100,0 éducation 717953 69,7 n.d. n.d. n.d. n.d. - Santé 190707 18,5 n.d. n.d. n.d. n.d. - Autres 121773 11,8 n.d. n.d. n.d. n.d. - Administration 359383 12,4 23,0 25,4 3,1 48,6 100,0 Centre 18396 5,1 58,8 14,6 8,8 17,8 100,0 Provinces 78299 21,8 46,1 25,2 6,5 22,2 100,0 Districts 126706 35,3 24,7 41,2 2,6 31,6 100,0 Communes 135982 37,8 3,3 12,2 0,8 83,7 100,0 Total – 1995 2896727 100,0 19,4 23,0 15,1 42,4 100,0 Total – 1982 3413532 - 8,5 13,7 60,9 17,0 100,0

Répartition des employés de l’État par secteur d’emploi et par niveau de formation en 1995

Source : Tông eue Thông kê [1996 b].

L’évolution des statuts dans le secteur public

22L’explication de cette évolution réside dans la transformation des statuts au sein du secteur public. Les changements économiques entraînent une différenciation croissante entre les employés du secteur d’État et le reste de la main-d’œuvre, entre les différents employés du secteur d’État, et entre actifs et retraités. Le système de planification centralisée était caractérisé par une grande homogénéité du statut des employés du secteur public. Le plein-emploi était la norme. Dans le Nord, les départs avant l’âge de la retraite étaient relativement fréquents jusqu’au début des années quatre-vingt, ce qui s’explique par des conditions de travail difficiles en période de guerre et de rationnement alimentaire, mais aussi par les faibles différences qui existaient entre salariés et retraités dans un système dans lequel l’allocation des biens et services était effectuée sur une base redistributive.

23L’introduction du système des forfaits dans l’agriculture à la fin de l’année quatre-vingt permet la disparition des coupons de rationnement en 1985. L’économie se monétarise progressivement. L’accès aux services publics, en particulier le logement, l’éducation et la santé, devient payant, et le système de subventions est démantelé, même s’il est compensé dans de nombreux cas, par exemple par l’attribution de terrains ou de logements. La faiblesse des pensions de retraite nécessite désormais dans de nombreux cas de prolonger la durée d’activité au-delà de l’âge légal de la retraite (55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes) en dehors du secteur d’État.

24Pour les actifs du secteur public, une différenciation croissante apparaît entre les employés du gouvernement et les autres personnels. Le décret d’application du Code du travail n° 198-CP du 31 décembre 1994 précise que les contrats de travail sont obligatoires pour les employés des entreprises d’État, à l’exception des personnels nommés par le gouvernement aux postes de directeur, directeur adjoint et chef comptable, et pour les personnels non titulaires employés par les institutions gouvernementales, les organisations de masse et les autres organisations sociales et politiques [CHXHCNVN, 1996 : 304-305] En 1999, 7 % des entreprises publiques n’ont que des employés sur contrat à durée déterminée et 18 % n’en ont aucun [7]. Dans les entreprises à capitaux mixtes, les proportions sont inversées. À titre de comparaison, dans le secteur non étatique hors coopératives [8], 49 % des entreprises n’ont aucun employé sur contrat à durée indéterminée, tandis que 14 % n’en ont aucun sur contrat à durée déterminée. Les contrats à durée déterminée représentent plus de la moitié des effectifs dans 53 % des entreprises d’État, tandis que les contrats à moins d’un an représentent plus de la moitié des effectifs dans 31 % des entreprises qui emploient de la main-d’œuvre sur contrat à durée déterminée. Enfin, le recours au recrutement temporaire est plus fréquent dans les entreprises d’État que dans les autres types d’entreprises. Un peu moins de 16 % des entreprises d’État déclarent avoir recours de manière régulière à une main-d’œuvre temporaire, contre 12,5 % dans le secteur coopératif et seulement 4 % dans le secteur privé. Si le contrat à durée indéterminée reste la règle dans le secteur d’État, le recours à une main-d’œuvre temporaire ou recrutée sur contrats courts apparaît courant. Au sein des entreprises d’État coexistent donc des fonctionnaires, des employés bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée, des employés recrutés pour une durée déterminée et des employés temporaires.

25Le mode de recrutement varie en fonction du type de main-d’œuvre recrutée. Alors que le mérite académique est censé s’ajouter au mérite militant et, le cas échéant, le remplacer, la logique familiale et relationnelle tend à s’imposer en matière de recrutement, renvoyant l’image, à ceux qui en sont exclus, d’un corps privilégié et fermé. La préférence pour les personnes connues par l’employeur reste forte. C’est ainsi que même les employés temporaires des entreprises d’État sont, chaque fois que c’est possible, d’anciens employés de ces entreprises, et que les unités de l’administration ont souvent un caractère familial. Il y a des exceptions à cette règle, mais rares sont les fonctionnaires sans parapluie [9]. L’accès à la fonction publique est soumis à un concours d’entrée, organisé chaque année dans chaque unité administrative (décision, 1998, articles 5.2 et 8). Dans la majorité des cas cependant, ces concours sont en fait des examens d’entrée qui n’ont lieu que plusieurs mois, voire plus d’un an après l’entrée en fonction. Les échecs sont rares. Ce n’est pas la sélection qui résulte de l’examen, mais l’examen qui résulte de la sélection. Ainsi, alors qu’il est en principe nécessaire d’avoir un enregistrement résidentiel permanent (ho khau) dans la zone administrative dans laquelle on se présente au recrutement, il arrive fréquemment que le recrutement permette d’obtenir l’enregistrement permanent.

26Après le recrutement, on peut suivre la carrière de chaque cadre grâce à son curriculum vitae (Ly lich can bô). Il s’agit d’un livret vert de vingt-quatre pages dont les deux premières pages sont consacrées aux indications d’origine géographique, d’ethnie et de religion, à la formation suivie, aux activités révolutionnaires, à l’adhésion au parti et au parrain dans le parti. Deux pages sont consacrées au parcours professionnel, trois au milieu familial, une aux relations sociales, deux à l’histoire personnelle, quatre aux activités révolutionnaires et deux aux particularités de l’histoire du fonctionnaire (ces pages devant porter mention des personnes qui peuvent témoigner de la véracité des informations inscrites), une aux sessions de formation pour les cadres, une aux félicitations reçues, une demi-page aux sanctions disciplinaires, une demi-page à la capacité et aux succès, deux pages aux observations du cadre, et deux pages aux observations du chef de service. Ce contenu est révélateur de l’importance que revêtent les différentes caractéristiques ;t activités du cadre dans sa carrière au sein de la fonction publique.

La formation

27La formation des cadres est indissociable de l’histoire du Viêt-nam indépendant. À partir de 1952, des campagnes de formation politique dites chinh huân, adaptation vietnamienne du cheng feng chinois, sont organisées sous forme de séances comportant deux parties [Boudarel, 1983]. La première est un exposé théorique sur les objectifs de la formation et le niveau de compréhension requis. La seconde est une séance de critique et d’autocritique. Selon les termes de G. Boudarel, « chacun de ces exposés, très dogmatiques, est suivi de discussions qui ne visent pas à susciter la réflexion, mais plutôt à l’abolir comme une malheureuse maladie mentale » [Boudarel, 1983 : 60], Marquées par des excès similaires à ceux qui sont organisés en Chine, les campagnes de formation perdent dès 1956 leur caractère dogmatique en conservant leurs autres caractéristiques. Les textes vietnamiens font état de trois chinh huân. en 1952, pour préparer la collectivisation ; on 1959, pour permettre l’assimilation des réformes socialistes de l’agriculture, de l’industrie et du commerce ; et, en 1961, pour expliquer les questions fondamentales de la résolution du congrès, en particulier la notion de « maître collectif »

28Si le terme de chinh huan n’est plus utilisé ensuite, les campagnes de formation politique se poursuivent sur le même mode d’organisation. L’ordonnance de l’Assemblée nationale sur les cadres et les employés de la fonction publique précise qu’« [ils] sont les serviteurs du peuple, soumis à la surveillance du peuple, ils doivent sans cesse cultiver leur moralité et se former pour améliorer leur niveau et leur capacité de travail pour exécuter correctement les missions qui leur sont confiées par leurs services » [Phap lênh, 1998 : article 2]. Pourtant, la revue de la construction du parti explique dans son numéro de mai 1999 que « les cadres et les membres de notre parti négligent leur formation parce qu’ils sont pris par leurs tâches administratives ou militaires. C’est là un grand défaut. C’est comme si un médecin se contentait de guérir une autre personne en oubliant la gravité de sa propre maladie » [Tâp chi Xây dung Dang, 1999].

29Si l’adhésion au parti n’est plus absolument nécessaire pour progresser dans la hiérarchie, la formation reste la principale voie de promotion (décision, 1998, articles 22-27). La formation professionnelle théorique et pratique s’accompagne d’une formation politique et culturelle et dure en général plusieurs mois. La qualité des formations dispensées dépend de la compétence des formateurs, qui se retrouvent devant un public dont le niveau est hétérogène. Un grand nombre de cadres ont été formés au Viêt-nam, d’autres en Union soviétique et dans les autres pays du Comecon (y compris la Mongolie), d’autres encore dans les pays occidentaux ou dans des pays offrant des formations de qualité comme l’Inde. Ces formations sont sanctionnées par des examens. C’est également le cas des formations organisées pour les personnels des entreprises d’Etat. Les formations pour les techniciens et les ouvriers spécialisés sont généralement organisées par les établissements de formation secondaire et technique où ils ont reçu leur formation initiale, en alternance ou en continu. Le résultat aux examens permet de changer de grade.

30En plus des formations permettant la promotion, sont organisées des sessions de formation technique ponctuelles. Les besoins en matière de formation sont en effet très importants. Les méthodes de travail de l’administration vietnamienne ont dû se transformer de manière importante avec le passage à l’économie de marché et la transformation du rôle de l’État, tandis que le développement de l’informatique et l’ouverture sur l’extérieur ont entraîné des besoins nouveaux en matière de qualification.

31Le mot d’ordre actuel est l’industrialisation et la modernisation du pays, et la formation des fonctionnaires doit permettre d’atteindre cet objectif. C’est ainsi qu’en 1998-1999, l’ensemble des cadres s’est trouvé dans l’obligation de suivre des cours d’anglais. Si l’effort est louable, ce type d’opérations absorbe un nombre de journées de travail qui peut être conséquent, pour des résultats qui ont, en l’espèce, été peu probants. Il semble par ailleurs que l’obligation de résultat aux examens ait conduit certains à recourir à des pratiques peu compatibles avec la vertu prônée par le parti.

32Le manque de vertu dans la fonction publique est régulièrement fustigé par le parti et dans les journaux, et la lutte contre la corruption est une préoccupation constante des autorités vietnamiennes.

Les activités des fonctionnaires et leurs revenus

33Les cadres de l’État ne constituent pas un corps homogène. Si le salaire de base reste faible et l’échelle de rémunération resserrée, l’individualisation des comportements des cadres en matière de génération de revenu, qui s’inscrit dans une tendance plus générale touchant l’ensemble de la société, est d’autant plus frappante que le fonctionnement du système continue à freiner l’initiative individuelle dans l’accomplissement des tâches professionnelles. Véritable reflet de l’ensemble de la société, le corps des cadres a ses pauvres et voit les inégalités se creuser en son sein.

34On observe que le salaire moyen s’élève d’un échelon à l’autre de l’administration territoriale. 97 % des fonctionnaires communaux, 80 % des employés du service public et la moitié des fonctionnaires de district ont un salaire inférieur à 200000 dôngs par mois en 1994 [10] (figure 3). L’éventail des rémunérations se resserre également à mesure que l’on descend les échelons. Cette répartition des salaires reflète un système de rémunération qui repose essentiellement sur la formation et l’ancienneté, et la répartition des fonctionnaires en fonction de leur niveau de formation entre les différents échelons de l’administration territoriale. On observe une différence du même ordre entre les entreprises publiques centrales et locales (figure 4). Les écarts de salaire sont cependant faibles entre les entreprises centrales et les autres entreprises à capitaux domestiques. Dans les entreprises à capitaux étrangers, le salaire minimum imposé est supérieur à celui qui prévaut pour les autres entreprises. Dans les entreprises locales, 50 % de la main-d’œuvre a un salaire moyen inférieur à 300000 dôngs, alors que dans les entreprises centrales, la médiane se situe à 500000 dôngs. Les salaires moyens dans les entreprises du secteur public sont donc supérieurs à ceux de la fonction publique. Ils sont en effet liés en partie aux performances réalisées par les ouvriers.

Figure 3

Les salaires moyens dans la fonction publique en 1994

Figure 3

Les salaires moyens dans la fonction publique en 1994

Source : Tông eue Thông kê, 1996 b.
Figure 4

Les salaires moyens dans les entreprises à capitaux domestiques en 1994

Figure 4

Les salaires moyens dans les entreprises à capitaux domestiques en 1994

Source : Tông eue Thông kê, 1996 b.

35Face à l’augmentation du coût de la vie au début des années quatre-vingt-dix, les fonctionnaires ont, comme les autres travailleurs, cherché à diversifier leurs sources de revenus en fonction de leur position, de leurs capacités ou de leurs réseaux. Ces stratégies de diversification peuvent prendre trois formes : la recherche de ressources supplémentaires dans le cadre de l’emploi ; la recherche de travail hors du service, mais dans le domaine de compétence principal ; et la recherche de travail hors du service et dans un domaine de compétences différent. Le Code du travail a en effet légalisé la possibilité pour les fonctionnaires de cumuler les emplois.

36Certaines professions sont mieux armées que d’autres pour générer des revenus dans leur domaine de compétence. C’est en particulier le cas des enseignants, des médecins, des chercheurs… Les enseignants et les médecins défrayent cependant régulièrement la chronique parce qu’ils ont tendance à facturer à des usagers auxquels ils ne laissent pas le choix des services en principe gratuits ou fortement subventionnés. Les programmes tronqués pour obliger les élèves à suivre des cours supplémentaires dans l’enseignement et les enveloppes permettant d’accéder aux consultations dans le domaine médical dépassent en effet le cadre de l’exercice d’une activité complémentaire. D’autres ont créé des entreprises privées en se servant des appuis dont ils disposent à travers les réseaux qu’ils entretiennent dans le cadre de leur activité principale. L’ambiguïté ainsi entretenue permet d’accéder à des avantages en principe réservés au secteur public, en matière d’approvisionnement par exemple. Cette pratique est particulièrement répandue au niveau provincial. Certains cadres utilisent également les matières premières, le matériel et le personnel de l’entreprise pour produire des biens qui seront vendus par ces cadres à titre privé. D’autres se transforment en agents immobiliers, en chauffeurs de moto-taxi ou, dans les communes, en porteurs. Les possibilités de générer des revenus de cette manière augmentent en effet avec l’importance de la population urbaine et le niveau de vie de la population. Les inégalités se creusent entre les fonctionnaires selon leurs capacités individuelles, et surtout selon le niveau territorial de rattachement de leur service et le niveau de pauvreté de leur localité.

37La génération de revenus dans le cadre de l’emploi principal répond à une autre logique, dont l’aspect collectif est marqué. Cette stratégie est un héritage direct de la période des subventions. Il s’agit, pour un service qui a accès à des ressources extérieures, d’augmenter ses revenus de manière à alimenter une caisse noire dont une partie du contenu est répartie entre les membres du service à diverses occasions (comme le nouvel an), l’autre partie permettant de payer des vacances aux membres du service par groupes et à tour de rôle et de faire face aux dépenses engendrées par les décès, mariages, etc. des membres du service. La caisse est tenue par les différents membres du service, à tour de rôle, ce travail étant rémunéré. La distribution s’effectue en fonction de la hiérarchie et de l’ancienneté. La redistribution interne a ceci de positif qu’elle permet d’améliorer l’ordinaire des employés du service qui n’auraient pas autrement accès à ces ressources. C’est le cas par exemple des centres de recherche. La caisse est également alimentée par les contributions, à hauteur de 50 %, des membres du service qui reçoivent des rémunérations de l’extérieur dans le cadre de leur service, lors de missions à l’étranger par exemple.

38Ces rémunérations font l’objet d’une coupe systématique lorsque le service est gestionnaire des fonds, et d’une contribution « volontaire » lorsqu’il ne l’est pas. Coupes et contributions sont décidées en fonction du montant alloué, mais peuvent s’avérer dissuasives. Ainsi, en 1996, des enquêteurs se sont mis en grève parce que les coupes réalisées aux niveaux central et provincial leur laissaient une rémunération insuffisante. Chaque niveau d’administration prélève en effet sa dîme sur les ronds qui transitent par lui. D’autres secteurs ont introduit un système de prix différentiels en fonction de la rapidité du service demandée par l’usager. Il faut plusieurs mois pour obtenir une attestation de diplôme, mais une tarification croissante permet de réduire les délais en proportions inverses. Enfin, dans certains secteurs de la fonction publique et dans un certain nombre d’entreprises publiques, les employés sont prêts à payer pour obtenir certains postes. Certains carrefours de Hanoi sont ainsi réputés être particulièrement rémunérateurs pour la police des transports.

39Ces pratiques permettent d’expliquer le nombre de motos à 2000 dollars qui s’alignent avec un ordre parfait dans les cours des organismes publics. Les cadres vietnamiens font preuve d’une imagination sans faille pour générer des revenus, imagination qui ne semble pas particulièrement stimulée par le salaire distribué pour remplir leurs missions de service public. Le temps consacré à ces missions est d’ailleurs restreint.

40En dehors de leur activité secondaire et de la formation, ils doivent participer aux réunions de leurs diverses sections. Chaque service a en effet au moins une section du parti, des femmes, des jeunes, des anciens, et une section syndicale. Il reste donc finalement peu de temps pour le reste, c’est-à-dire pour le principal. Tout se passe comme si le salaire, qui ne permet souvent même pas de payer l’essence pour les motos, n’impliquait que la présence sur le lieu de travail. Toute tâche implique rémunération. La participation à des réunions ou des séminaires en dehors du service donne ainsi lieu à une distribution d’enveloppes dont les contenus peuvent aller de 20000 à 1000 000 de dôngs [11].

41Souvent, la limite entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas est extrêmement ténue. Les campagnes contre la corruption ont peu de chances de porter leurs fruits tant que les rémunérations dans la fonction publique ne permettront pas aux fonctionnaires de se concentrer sur leur travail. L’augmentation progressive des salaires par le biais de relèvements généraux lors des augmentations du salaire minimal est prévue. Mais le budget de l’État est limité. La réduction du temps de travail hebdomadaire de 48 heures à 40 heures en octobre 1999 correspond à un accroissement des salaires, mais n’a pas permis d’améliorer le niveau de vie des fonctionnaires. Le fonctionnement actuel du système impose de s’interroger sur ses coûts réels et sur son efficacité.

42*

43Le passage à un système de marché s’est accompagné d’un recentrage par l’État de ses activités sur l’administration et les services publics, qui conservent une importance fondamentale dans un État qui continue à se réclamer du socialisme. Mais il a entraîné une réduction significative du nombre d’employés dans le secteur public. Parallèlement est apparue une différenciation croissante entre les cadres et les employés du secteur d’État. L’évolution de l’emploi dans les entreprises d’État reflète la scission, nouvelle pour le Viêt-nam, entre une main-d’œuvre protégée et une main-d’œuvre non protégée. Alors que la transition s’achève sur le marché du travail, pour lequel les problèmes à résoudre sont de plus en plus proches de ceux que connaissent d’autres pays, elle est loin d’être terminée dans la fonction publique. En particulier, le découplage entre les fonctions d’encadrement politique et les missions de service public n’est pas terminé.

44Les cadres restent employés à vie mais les avantages dont ils bénéficiaient dans le cadre du système antérieur à la rénovation ont été largement érodés. Les salaires n’ont pas été augmentés en compensation. Cela a entraîné le développement de pratiques dont le manque de transparence tend à entamer la crédibilité de l’État, malgré la publicité accordée aux jugements pour corruption et la condamnation par les plus hautes sphères du parti des pratiques de certaines corporations. Dans un pays à parti unique, les cadres sont supposés jouer un rôle de représentation des intérêts de la population, de transmission de ses attentes, d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques. Représentants de l’État, ils sont d’autant plus en prise avec les réalités concrètes qu’ils sont confrontés avec le public. Héritage d’un socialisme populaire dont la culture s’est élaborée dans la clandestinité et renforcée dans l’idéologie de l’égalitarisme, la règle de proximité reste fondamentale pour l’ensemble de la hiérarchie de l’État. L’attitude des cadres locaux a d’ailleurs été déterminante dans le passage à l’économie de marché, et dans les succès économiques qu’ont pu remporter certains villages [Abrami, Henaff, 2001]. Mais. lorsque les dérives individuelles éloignent trop les cadres de leur rôle, la situation sociale peut devenir instable, comme à Thai Binh en 1997 [12].

45Les fonctionnaires vietnamiens sont donc pris dans un faisceau d’intérêts contradictoires. Leurs intérêts, en tant qu’individus, membres d’un corps constitué, et représentants de l’État ne sont pas dénués d’ambiguïté, d’autant que l’État semble éprouver des difficultés croissantes à refléter les aspirations d’une population dont le doi moi a permis de libérer les diverses expressions.

Notes

  • [*]
    Chargée de recherche, IRD.
  • [1]
    Công nhân signifie ouvrier ; nhân viên, employé ; viên chuc, fonctionnaire ; Nia nuoc, État.
  • [2]
    Le Viêt-nam est passé, à la suite de la décision du Premier ministre (n° 183/TTg du 25 décembre 1992), d’un système de comptabilité du produit matériel, qui distingue des activités productives et des activités improductives, c’est-à-dire non directement liées à la production matérielle, soit la plupart des services [Andreff, 1993 : 77]), à un système de comptabilité nationale de type occidental.
  • [3]
    Mandat renouvelable une fois.
  • [4]
    Lê Duc Tho était alors membre du bureau politique du PCV.
  • [5]
    Les employés du secteur d’État sont divisés en quatre catégories : les dirigeants, les cadres, le personnel administratif des entreprises publiques et les ouvriers. Les deux premières catégories relèvent de la fonction publique. Les termes de cadre et de fonctionnaire ne diffèrent que par le rôle politique impliqué par le premier, et absent du second. Par extension, on appelle cadres, dans ce texte comme dans de nombreux textes vietnamiens, à la fois les cadres proprement dits et les dirigeants.
  • [6]
    L’« actionnarisation » au Viêt-nam correspond à une privatisation partielle. Dans l’esprit de la réforme, les employés de l’entreprise sont prioritaires pour le rachat à prix réduit de parts de leur entreprise. La possibilité pour des personnes privées physiques ou morales d’accéder également à des parts a été introduite récemment.
  • [7]
    Résultats provenant d’une enquête financée par l’IRD et la Banque mondiale, menée en octobre 1999 par l’IRD et l’IUED sur un échantillon national de 300 entreprises.
  • [8]
    La main-d’œuvre des coopératives est en principe constituée de membres, mais la loi autorise désormais les coopératives à recruter une main-d’œuvre salariée.
  • [9]
    Le « parapluie » est un fonctionnaire plus haut placé sous la protection duquel le fonctionnaire peut sépanouir. Le parapluie est souvent un parent, parfois éloigné, mais peut être une relation venant du même village ou de la même province, ou un ami…
  • [10]
    En 1994, 2000 dôngs sont équivalents à 1 franc français.
  • [11]
    Le revenu minimal dans le secteur d’État a été relevé à 180000 dôngs en 2000.
  • [12]
    Il s’agit d’un soulèvement pacifique de paysans réclamant, au nom du marxisme, la fin des abus en matière de prélèvements fiscaux et la fin du détournement de certaines prestations (comme les versements liés aux conséquences de l’utilisation de l’agent orange par les Américains pendant la guerre) par les autorités de la province et de certains districts. À cette occasion, certains responsables locaux ont été assignés à résidence par les manifestants. À la suite de cet événement, certains responsables ont été démis de leurs fonctions et les meneurs du soulèvement ont été condamnés à des peines de prison.
Français

Résumé

Dans le Viêt-nam indépendant puis réunifié, les cadres du Parti ont remplacé les cadres coloniaux. Le passage progressif à un système de marché, dans lequel les cadres locaux ont joué un rôle souvent déterminant, a entraîné des bouleversements fondamentaux dans les effectifs, les statuts et les niveaux de vie des employés du secteur public. Alors que la transition s’achève sur le marché du travail, pour lequel les problèmes à résoudre sont de plus en plus proches de ceux que connaissent d’autres pays à faibles niveaux de revenu, elle est loin d’être terminée dans la fonction publique. Les fonctionnaires vietnamiens sont pris dans un faisceau d’intérêts contradictoires. Leurs intérêts, en tant qu’individus, membres d’un corps constitué et représentants de l’État ne sont pas dénués d’ambiguïté, d’autant que l’État semble éprouver des difficultés croissantes à refléter les aspirations d’une population dont le dot moi a permis de libérer les diverses expressions.

Mots-clés

  • Viêt-nam
  • administration
  • entreprises d’État
  • cadres
  • fonctionnaires
  • transition
  • doi moi
  • emploi
  • revenus

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Nolwen Henaff [*]
  • [*]
    Chargée de recherche, IRD.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/autr.020.0145
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