CAIRN.INFO : Matières à réflexion
Now those memories come back to haunt me 
they haunt me like a curse 
Is a dream a lie if it don’t come true 
Or is it something worse ?[1]
Bruce Springsteen, The River, 1980

1. Introduction

1 Bruce Springsteen est une figure majeure du rock nord-américain. Une carrière qui s’étend de la toute fin des années 1960 [2] à aujourd’hui, plus de 145 millions d’albums vendus, des concerts dans le monde entier ayant battu des records d’affluence (et de durée), plus de 300 chansons publiées dans 19 albums originaux (sans compter les compilations et les albums live) et probablement plus de 500 écrites. Une carrière qui connaît un pic dans les années 1980, mais une audience mondiale qui reste très forte. Springsteen se caractérise aussi par la variété des styles musicaux mobilisés, il est en effet plus un « passeur » qu’un « pionnier » pour reprendre les distinctions de Laure Ferrand (2010), c’est-à-dire qu’il s’inscrit dans des traditions musicales qu’il ne transforme pas radicalement ; ainsi alternent des albums rock et des albums folk, influencés aussi par le blues et la soul music.

2 Bruce Springsteen est aussi un symbole états-unien, tout particulièrement depuis la sortie en 1984 de l’album Born in the USA, et un chanteur aux engagements politiques pratiquement constants depuis cette époque. Souvent défini comme le porte-parole de la classe ouvrière blanche de l’Est des États-Unis, il a aussi été celui des vétérans de la guerre du Vietnam à partir des années 1980, puis des migrants mexicains dans les années 1990 (album The Ghost of Tom Joad en 1995), il a chanté le drame du Sida en 1993 (Streets of Philadelphia, écrite pour le film Philadelphia de Jonathan Demme) autant que celui des jeunes noirs abattus par la police (en 1999 avec la chanson American Skin (41 shots)), il s’est engagé ensuite dans les campagnes électorales du parti Démocrate (celle de John Kerry en 2004 et puis celles de Barrack Obama en 2008 et 2012), dans la dénonciation de la guerre en Irak et de la politique de Georges W. Bush (dans l’album Magic en 2007), dans celle des méfaits de la finance après la crise des subprimes de 2008 (album Wrecking Ball en 2012).

3 Les travaux académiques sur les chansons de Bruce Springsteen sont d’une incroyable richesse. Pratiquement toutes les disciplines des sciences humaines et sociales se sont penchées sur le sujet Springsteen, essentiellement aux États-Unis bien sûr : la sociologie (Bird, 1994 ; Wolf, 2006 ; Ferrand, 2010 ; Cowie et Boehm, 2012) mais aussi les sciences juridiques, les sciences politiques (Pratt, 1987 ; Masur, 2010 ; Harde, 2013), la philosophie (Auxier et Anderson, 2008), la théologie (parce que les références bibliques sont légion chez le chanteur), la psychologie (Stonerook, 2012), les cultural studies (Cullen, 1997 ; Garman, 2000), les gender studies (Palmer, 1997 ; Stur, 2012), les études littéraires (Colombati, 2017), etc. De nombreux colloques ont été consacrés à Springsteen, deux ouvrages collectifs majeurs (Harde et Streight, 2010 ; Womack, Zolten et Bernhard, 2012) sont aussi à signaler qui couvrent les différents champs de ce qui constitue presque des « Springsteen studies ». Cette masse de recherches vient s’ajouter aux textes nombreux de la critique musicale (Marsh, 2004) et aux écrits de Bruce Springsteen lui-même, qu’il s’agisse d’interviews, de livres (Springsteen, 2003) ou de son autobiographie, Born to Run, publiée en 2016 (Springsteen, 2016).

4 Il n’existe cependant que très peu de travaux de géographie sur Bruce Springsteen. On peut s’en étonner tant la dimension géographique de son œuvre est forte : Springsteen dans ses chansons « spatialise » les questions sociales. Raphael Mollet (2017) va même jusqu’à le définir comme un « chanteur géographe ». Certes Robert McCarland (2007) a analysé l’espace dans l’œuvre de Springsteen mais d’un point de vue d’abord littéraire ; Pamela Moss (1992, 2011) a produit des études de géographie féministe sur genre et espace chez Springsteen. Mais ces travaux restent rares, alors même que la géographie contemporaine, notamment sous l’influence des courants postcoloniaux qui incitent à mobiliser les productions culturelles pour comprendre les sociétés, s’intéresse à la chanson dans la lignée de la géographie culturelle (Romagnan, 2000 ; Guiu, 2007) mais aussi de la géographie des émotions (Guinard et Tratnjek, 2016). Presque toujours le lien avec les questions d’identification et de lieu est au cœur des approches géographiques de la chanson (Connel et Gibson, 2002 ; Guillard, 2012 et 2017). Le plus souvent c’est un genre musical qui est traité dans son ensemble, y compris ses modes et lieux de production (Dubus, 2009). On peut aussi distinguer les travaux qui prennent pour point de départ un espace ou un lieu et utilisent la musique pour en faire l’analyse géographique (Buire et Simetière, 2011 ; Benabdellah, 2017) ou un corpus de chansons portant sur un lieu pour en analyser les représentations (Lazzarotti, 2011) et d’autres qui prennent comme objet l’œuvre d’une ou d’un chanteur et établissent un lien entre son parcours spatial, sa réception par le public et sa production (Gervais-Lambony, 2017 ; Bernier, Lazzarotti et Levy, 2018). Dans la plupart des cas, ces travaux portent sur la chanson dite « populaire » terme qui, au-delà de désigner seulement ce qui connaît « une large audience », fait référence à ce qui « embrasse, pour une période donnée, les formes et les activités qui ont leurs racines dans les conditions sociales et matérielles des classes particulières » (Hall, 2007, p. 75). Il se trouve que Bruce Springsteen est un chanteur « populaire » mais aussi un de ceux qui a le plus fortement affirmé le lien entre identité, communauté et espace dans ses chansons. Il se définit par l’appartenance à des lieux, d’une part, et utilise dans ses textes des lieux pour traduire sa vision de la société. Cela commence par l’ancrage de son début de carrière dans le New Jersey et se poursuit par ses albums contemporains inscrits dans les paysages de l’ouest américain. S’il a été souvent dit que Springsteen avait raconté l’histoire récente des États-Unis (Womack et al., 2012), il est tout aussi légitime de dire qu’il en a dépeint les espaces et les lieux (Morris, 2007).

5 Ainsi Springsteen combine succès mondial et ancrage local. Cet ancrage explique la place que tient le sentiment nostalgique dans ses chansons : c’est le changement des lieux, ou l’impossible retour sur les lieux du passé, qui inspire Bruce Springsteen. En cela, il veut exprimer la réaction d’une classe sociale aux effets locaux du processus de désindustrialisation. Et ce dès le début de sa carrière. C’est l’objet du présent texte : montrer en quoi Bruce Springsteen est le chanteur de la nostalgie (Seymour, 2012) mais aussi des lieux (ou plutôt « et donc » des lieux), que c’est ce qui fait la portée universelle de son propos. Mon approche ici se distingue donc parce qu’elle prend comme sujet un sentiment, la nostalgie, et comme terrain le monde produit par Springsteen dans les textes de ses chansons. Je conçois cette démarche comme complémentaire à des travaux de recherche de terrain en géographie sociale et en études urbaines portant sur les nostalgies citadines et menés de manière comparative (Boym, 2001 ; Colin et al., 2019 ; Colin et Gervais-Lambony, 2019). La convergence des résultats des enquêtes de terrain et de l’analyse des paroles des chansons de Springsteen dans la période étudiée est non seulement frappante mais les deux types de travaux s’éclairent réciproquement. C’est-à-dire que l’on entend, album après album, Springsteen chanter successivement les diverses formes de nostalgie que les recherches en sciences sociales ont identifiées dans nos sociétés contemporaines et que, réciproquement, les paroles de Springsteen confirment des résultats de sciences sociales et peuvent aider à orienter les enquêtes de terrain.

6 Je déploierai dans ce qui suit mon propos en deux temps pour montrer d’abord l’importance des lieux chez Springsteen, puis pour analyser comment à travers les évocations de lieux il rend compte de différentes formes de nostalgie. C’est cette évolution d’album en album de la nature de la nostalgie évoquée dans les chansons qui est au cœur du présent texte. Quels sont les ressorts de cette évolution ? Est-ce que cela correspond à des étapes de la carrière et de la vie du chanteur, à des changements du message qu’il souhaite transmettre, à une évolution du contexte politique et social ou bien à l’approfondissement d’une réflexion personnelle ?

7 Le corpus utilisé ici (voir tableau ci-après) est celui des chansons des albums de la période 1975-1984 qui s’écoule de son premier grand succès avec l’album Born To Run à son album le plus vendu et certainement le plus connu, Born in the USA (soit au total 60 chansons). Les 5 albums Born To Run (1975), Darkness at the Edge of Town (1978), The River (1980) (qui est un double), Nebraska (1982) et Born in the USA (1984) constituent, en effet, un ensemble cohérent par les thèmes abordés (et la nostalgie en est un des principaux) mais aussi par les lieux évoqués qui sont, à de très rares exceptions près, situés dans le New Jersey et plus précisément le plus souvent dans sa ville natale de Freehold et la station balnéaire tout proche d’Asbury Park. La discographie de Springsteen est bien faite de cycles qui sont aussi le reflet de phases de sa vie personnelle et de la vie politique états-unienne (ici la période va de la fin de la guerre du Vietnam à la « révolution reaganienne »), une imbrication très forte entre ces deux dimensions est très explicative des évolutions de la manière dont Springsteen exprime et interprète la nostalgie.

8 Je ferai aussi référence à l’album de 1995, The Ghost of Tom Joad, parce qu’il est essentiel sur le thème de la nostalgie et directement lié au cycle 1975-1984 dont il peut être interprété comme l’aboutissement et complète donc le corpus étudié ici.

9 Mon étude est centrée sur les paroles des chansons, traitées comme des textes littéraires (Colombati, 2017), il s’agit donc d’une approche géo-littéraire (Rosemberg, 2016) pleinement assumée qui vise à la compréhension géographique du monde à travers l’étude de textes. Je n’évoquerai donc que très secondairement la musique qui accompagne les paroles, de même que les éléments tels que les couvertures d’albums, les tournées et concerts ou encore les épisodes de la vie de Bruce Springsteen. Ayant fait ce choix d’une approche géo-littéraire, deux autres aspects ne seront que très peu évoqués ici : la dimension commerciale des productions de Springsteen, et l’analyse de son public. La méthodologie est l’étude qualitative d’un corpus de textes de chansons, elle est complétée par l’utilisation, souvent utile à des mises en contexte, des écrits de Springsteen lui-même.

Tableau 1

Corpus étudié : chansons des cinq albums de Springsteen sortis entre 1975 et 1984.

Corpus of the study : songs of the five Springsteen’s albums released from 1975 to 1984.

Born To Run (1975) Darkness On The Edge Of Town (1978) The River (1980), disque 1 The River (1980), disque 2 Nebraska (1982) Born In The USA (1984)
Thunder Road Badlands The Ties That Bind Point Blank Nebraska Born in the USA
Tenth Avenue Freeze Out Adam Raised a Cain Sherry Darling Cadillac Ranch Atlantic City Cover me
Night Something in the Night Jackson Cage I’m a Rocker Mansion on the Hill Darlinton County
Backstreets Candy’s Room Two Hearts Fade Away Johnny 99 Working on the Highway
Born to Run Racing in the Street Independence Day Stolen Car Highway Patrolman Downbound train
She’s the One The Promised Land Hungry Heart Ramrod State Trooper I’m on fire
Meeting across the River Factory Out in the Street The Price you Pay Used cars No surrender
Jungleland Streets of Fire Crush on You Drive all Night Open all Night Bobby Jean
  Prove it all Night You can Look Wreck on the Highway My Father’s House I’m Goin’Down
  Darkness on the Edge of Town A Wanna Mary You   Reason to believe Glory Days
    The River     Dancing in the Dark
          My Hometown
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Corpus étudié : chansons des cinq albums de Springsteen sortis entre 1975 et 1984.

Corpus of the study : songs of the five Springsteen’s albums released from 1975 to 1984.

2. Un chanteur « géographique »

10 Les chansons de Bruce Springsteen sont, dans presque tous les cas, des ballades. Elles racontent des histoires, sont peuplées de personnages qui le plus souvent s’expriment à la première personne du singulier. Et durant toute la première phase de la carrière du chanteur ces histoires se déroulent dans le New Jersey et les personnages sont des hommes blancs de milieux populaires. Les lieux décrits sont urbains, villes secondaires industrielles et stations balnéaires du New Jersey, État frontalier de celui de New York et marqué par une extrême diversité de la population et une forte ségrégation, juxtapositions de villes et de quartiers dont les habitants appartiennent souvent à des minorités culturelles (noires, irlandaises, italiennes, juive, portoricaine…) [3]. Le New Jersey, une périphérie et un carrefour à la fois, qui dans les années 1980 va voir fleurir sur les pare-chocs des voitures des autocollants affirmant comme identité « Springsteen Country » et dont la jeunesse va s’identifier à sa nouvelle vedette (Edleman, 1995).

11 Le premier lieu évoqué dans les chansons de nos cinq albums est la ville ouvrière de Freehold. Fils d’un père ouvrier [4] d’origine irlandaise et d’une mère d’origine italienne, Bruce Springsteen, né en 1949, grandit dans un milieu catholique et populaire à Freehold, dans une périphérie sociale et spatiale. Une périphérie qui ne bénéficie pas de la proximité de New York comme la grande ville de Newark au nord de l’État, ni de la mer comme d’autres lieux du New Jersey (le « shore »). C’est sur le shore en revanche qu’est situé Asbury Park, petite cité balnéaire, fondée à la fin du xixe siècle mais sur le déclin déjà au moment où le jeune Bruce commence à y jouer dans les bars à la fin des années 1960. Jusqu’aux années soixante c’est une station qui attire la classe moyenne et tente de concurrencer Long Beach et Atlantic City. La couverture du disque Greetings from Asbury Park N.J. reproduit une carte postale de l’époque et affirme l’ancrage dans un lieu dès ce commencement. Asbury Park est l’envers de Freehold, le premier lieu vers lequel on peut vouloir fuir.

12 Les deux premiers albums de Springsteen, Greetings from Asbury Park N.J. et The Wild, the Innocent et the E.Street Shuffle, l’un d’un très influencé par Bob Dylan, l’autre par la musique soul, sont peu remarqués, sauf localement. La notoriété arrive avec Born To Run, et c’est l’album (mais aussi le titre phare) qui définit le chanteur (au point qu’il donne le même titre à son autobiographie de 2016). C’est dans ce disque qu’il définit son projet : dire les histoires de « types normaux » (normal dudes), des chansons du quotidien de jeunes hommes blancs de milieux populaires (qui seront aussi son premier public [5]). Born to Run, la chanson éponyme de l’album, pose les bases : « In the day we sweat it out on the streets of a runaway American dream, at night we ride through mansions of glory in suicide machines » [6].

13 Cette idée du « runaway american dream » est au cœur de l’œuvre de Springsteen (Womack et al., 2012). Le rêve américain est une promesse trahie, un mirage inatteignable que l’on poursuit sans répit et sans fin : travaillez, soyez honnêtes, soyez forts, et vous serez récompensés. Le mensonge révélé dès que l’on confronte le rêve à la réalité : pas d’ascension sociale, pas de vie meilleure. Cet exercice, confronter promesse et réalité, va être la constante de l’œuvre de Springsteen. Dans la période qui nous intéresse, il le fait sans prendre directement position dans l’arène politique [7]. Cependant, dès les années 1970 et alors qu’il ne semble que raconter des histoires de vie banales, Springsteen fait de la politique comme tout un chacun « when one constitutes oneself as being capable of judgement about just and unjust » [8] (Isin, 2002, p. 276) puis prend la parole pour les victimes d’injustices.

14 Et c’est par l’évocation des lieux que Springsteen identifie les personnages pour lesquels il parle et par les lieux qu’il s’y identifie ; c’est à travers leur vécu des lieux (et l’expérience de leur transformation) que les personnages des chansons perçoivent les injustices. Ces lieux qui devaient être la terre promise sont devenus des impasses : « this town rips the bones from your back/it’s a death trap, it’s a suicide rap/we gotta get out while we can » [9] (Born to Run). Le modèle de cette ville est Freehold. Le nom de la ville n’est jamais cité, en revanche le sont des bâtiments, des rues, des lieux précis qui permettent de l’identifier ; ne pas la nommer permet d’en faire un idéal-type de la ville secondaire en cours de désindustrialisation, avec ses zones industrielles désertées, ses quartiers ségrégués socialement et ethniquement et son centre-ville dégradé.

15 Dans l’un des monologues introductifs des chansons de l’album On Broadway (2017), Springsteen explique qu’il n’a jamais été ouvrier, qu’il n’a pas fait la guerre au Vietnam, qu’il a passé sa vie à prétendre être ce qu’il n’était pas. Par contre il vient bien des lieux dont il parle, « des quartiers prolos relativement mixtes où cohabitaient ouvriers, policiers, pompiers, routiers » (Springsteen, 2016, p. 376). C’est cet attachement à ces lieux qui devient le garant de l’authenticité sur laquelle se construit le personnage public de Springsteen (Bird, 1994). Sans ces lieux partagés sur lesquels il revient sans cesse, Bruce Springsteen pourrait n’être qu’une vedette du rock qui gagne des millions en commercialisant et romantisant l’image d’une classe ouvrière blanche sur le déclin. Les lieux sont donc pour Springsteen à la fois ce qu’il définit lui-même comme la « scène » musicale qui l’a produit ainsi que le E.Street Band, l’outil d’affirmation de son ancrage local et la raison d’être de sa musique : « j’avais le sentiment d’avoir des dettes envers les gens aux côtés de qui j’avais grandi, et j’avais besoin d’explorer ce sentiment » (Springsteen, 2016, p. 377).

16 C’est dans cette période aussi que se dessinent dans les chansons de Springsteen les grandes figures spatiales qui vont devenir récurrentes par la suite même si leur signification va évoluer au cours du temps. La principale de ces figures est l’autoroute, précisément la highway. Dans notre corpus la highway apparaît dans au moins 13 chansons, elle passe progressivement, dans la chronologie des albums, du statut d’espace de liberté, d’ouverture vers la possibilité de la fuite (album Born to run), à celui de lieu d’échouage ou d’errance (dès l’album The River). La rue, autre espace public, a le même statut de figure spatiale récurrente (au point d’ailleurs de donner aussi son nom au groupe de Springsteen, le E Street Band), c’est là que la liberté est possible par opposition aux lieux clos de l’intime qui sont toujours étouffants :

17

« When I’m out in the street
I walk the way I wanna walk
When I’m out in the street
I talk the way I wanna talk[10] . »
(Out in the Street, 1980)

18 C’est aussi le long des rues que l’on vient chercher les filles : les personnages féminins se tiennent sur le porche de leur maison, l’homme les appelle à quitter ces seuils de l’espace familial. Le caractère profondément genré des espaces ne fait ici aucun doute (Moss, 1992). Highway et rues sont des espaces où l’on circule en voiture, où, à la nuit tombée, les jeunes hommes se retrouvent pour des courses automobiles à la American Graffiti. La voiture est symbole de la masculinité et outil de défoulement face aux frustrations de la vie quotidienne. Ces figures spatiales relèvent d’une certaine culture américaine, de Marlon Brando à James Dean, de Jack Kerouac à Bob Dylan et sa Highway 61. Elles se combinent aussi avec deux autres figures spatiales, celle de la périphérie et celle de la rivière. Cette dernière (titre de l’album de 1980, The River) est à la fois une autre image de la mobilité mais surtout une référence spirituelle, un lieu de baptême et de purification [11].

19 Ballades, personnages blessés, promesses non tenues, injustices, tel est le cœur de cette phase musicale de Bruce Springsteen et le tout est rendu perceptible (pour les personnages des chansons) par le déclin des lieux dont l’évocation rend à son tour compte des sentiments des personnages. C’est la raison pour laquelle pratiquement toutes les chansons de cette période 1975-1984 peuvent être lues et comprises au prisme du sentiment nostalgique puisque précisément la nostalgie est le sentiment qui, intrinsèquement, associe vécu du temps qui passe et des lieux qui changent. Mais que signifie ici nostalgie ? Je propose d’en distinguer cinq types qui sont aussi les étapes chronologiques d’un regard sur le passé qui évolue au fil du temps, ou sans doute plus exactement d’un regard sur le présent qui devient de plus en plus pessimiste et change donc la nature de la nostalgie. On verra enfin que, plus tard, dans les années 1990 (album The Ghost of Tom Joad), Springsteen fait converger ces différentes nostalgies dans une dénonciation commune des différentes formes d’injustices.

3. Nostalgie 1. Partir : la nostalgie comme désir de fuite

20 On sait la diversité des formes de nostalgies (Gervais-Lambony, 2012), et surtout la dualité de la notion (Boym, 2001 ; Pickering et Keightley, 2006 ; Colin et al., 2019) qui peut signifier désir de retour vers le passé ou au contraire permettre de se tourner vers l’avenir avec la conscience du caractère éphémère du présent. C’est cette seconde forme de nostalgie que l’on rencontre chez Springsteen au début des années 1970 : « tramps like us, Baby, we were born to run » [12], partir tant qu’il est encore temps « while we’re young » [13] (Born to Run). Une nostalgie paradoxale donc puisqu’elle pousse au départ et qu’elle est au moins autant tournée vers le futur que vers le passé. Elle est désir d’un accomplissement à travers le mouvement. Cette figure de la nostalgie appelle à la vitesse sur les « highways ». Et c’est la route n° 9, qui traverse Freehold et le New Jersey, qui symbolise ce désir de fuite. L’autre chanson majeure de l’album Born to Run, Thunder Road, est aussi une chanson de fuite. Le jeune homme, depuis sa voiture, invite Mary à partir avec lui : « So Mary climb in/it’s a town full of losers/and I’m pulling out of here to win »[14].

21 Partir car on nous a trompés, fuir une ville perdue habitée par des perdants qui ont cru au mirage du rêve américain, à la « terre promise » (Allen, 2012) et à l’ascension sociale mais n’ont rencontré que reproduction sociale et déclin des lieux. Born to Run est tout entier tourné vers l’individu et son désir de liberté. Ce désir d’une autre vie est spatial : c’est un désir d’espace. La terre promise, il faut y croire, mais pour la trouver il faut partir comme le dit le jeune homme de Thunder Road à Mary : « Oh, come take my hand, Riding out tonight to case the Promised Land » [15].

22 L’album Born to Run peut donc être posé comme un point de départ. Il définit le type de chanson de Springsteen : des ballades, des story songs, qui nous font nous mettre à la place des personnages, qui nous font éprouver leur humanité en provoquant l’empathie. Il définit aussi un rock simple, un retour aux sources. Mais si la nostalgie originelle de Born to Run est désir de départ, progressivement, dans les trois albums suivants, Darkness at the Edge of Town, The River et Nebraska, elle va profondément évoluer, et les figures spatiales de la liberté vont s’assombrir.

4. Nostalgie 2. Rester : la nostalgie des immobiles

23 La nostalgie chez Springsteen devient en effet, dès la fin des années 1970, rêve de refondation plus que de fuite. En 1978, dans l’album Darkness at the Edge of Town, les personnages, tout comme le chanteur lui-même, ont vieilli. Cet album est celui du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Une lecture positive des textes est : devenus adultes, les personnages choisissent de s’ancrer et de se battre pour un avenir meilleur. Une lecture pessimiste est : la fuite est impossible, il n’y a pas d’ailleurs meilleur, il faut rester et assumer que l’on est pris au piège du lieu. Quoi qu’il en soit, nous entrons aussi dans une phase plus sombre mais aussi plus affirmative de l’identité d’une communauté, celle des badlands.

24 Spatialement, nous sommes en effet toujours dans les marges, comme le dit clairement le titre de l’album. L’ensemble de l’album Darkness se déroule à Freehold ; Asbury Park, encore présent dans Born to Run, espace du loisir avec ses bars, ses salles de jeux, sa promenade de bord de mer (le Boardwalk) n’apparaît plus. Freehold et ses badlands : espaces d’exclusion et de pauvreté, le mot est repris du titre du film de Terrence Malick, Badlands (1973). Et il n’est plus question de partir :

25

« Badlands, you gotta live it everyday
Let the broken hearts stand
As the price you’ve gotta pay
Keep pushin' 'til it’s understood
And these badlands start treating us good[16] . »

26 Ainsi apparaissent dès ce premier titre la dimension sociale des textes de l’album et le lien entre inégalités sociales et espaces d’exclusion où sont cantonnées les victimes d’injustice. Victimes trompées par le rêve américain, représentées notamment par le père du « narrateur » : « daddy worked his whole life for nothing but the pain/now he walks these empty rooms looking for something to blame » [17] (Adam Raised a Cain). Et c’est l’usine, autre lieu majeur de la ville ouvrière, qui l’a brisé :

27

« Through the mansions of fear, through the mansions of pain,
I see my daddy walking through them factory gates in the rain,
Factory takes his hearing, factory gives him life,
The working, the working, just the working life[18]. »
(Factory)

28 Les figures spatiales de la rue et de la Highway sont toujours présentes, mais bien différentes. Dans les rues marchent des hommes vaincus :

29

« How many men have failed, their dreams denied
They walk through these streets with death in their eyes[19] . »
(Come on, album The Promise, 2010 [20])

30 Le personnage de la chanson Promised Land ne fuit pas, il revient vers la ville. Et il sait que la fuite est la poursuite d’une illusion, « driving all night, chasing some mirage »[21] ; il est devenu adulte, croit toujours à la terre promise mais elle n’est pas ailleurs, elle est à prendre ici, à construire ici :

31

« Mister, I ain’t a boy, no, I’m a man
And I believe in a promised land[22]. »

32 Et l’album se clôt sur le titre éponyme qui est bien celui de l’ancrage dans les badlands, At the edge of town : le narrateur a perdu son argent et sa femme, il est dans l’obscurité de la périphérie, là où les rêves sont « found and lost » (Seymour, 2012).

33 Le personnage féminin, qui se nommait Wendy ou Mary dans l’album Born to Run, n’a désormais plus de nom, et nul ne lui propose plus la fuite, elle reste là :

34

She sits on the porch of her Daddy’s house
But all her pretty dreams are torn,
She stares off alone into the night
With the eyes of one who hates for just being born[23]
(Racing in the Street)

35 Assise sur la ligne qui sépare l’espace domestique de l’espace ouvert, le porche de la maison familiale, nostalgique de ses rêves brisés. C’est bien la nostalgie des immobiles (Clément et al., 2019), ceux qui ne sont pas partis et ne partiront pas. La condition du bonheur n’est plus le mouvement, les personnages sont au contraire en colère d’avoir été trahis et il est temps de redéfinir la terre promise. C’est pourquoi la chanson Promised Land dit surtout la rage : « Sometimes I feel so weak I just want to explode/Explode and tear this town apart »[24]. Le personnage a tout fait selon les règles, mais n’a pas obtenu ce qui lui avait été promis, alors ce sont les rêves eux-mêmes qu’il faut briser :

36

« Blow away the dreams that tear you apart
Blow away the dreams that break your heart
Blow away the lies that leave you nothing but lost and brokenhearted[25] . »

37 Nostalgie et dénonciation de l’injustice sociale sont donc liées. Et c’est dans l’album The River (1980) qu’un vers de la chanson éponyme de l’album donne la clé de ce lien : « Is a dream a lie if it don’t come true or is it something worse ? ». La réponse est : pire. L’American Dream n’est pas seulement un mensonge, c’est aussi un outil d’oppression et de contrôle des plus faibles, et le rock est l’expression de la rage de celui qui le découvre. Celui qui le découvre est l’exclu, celui qui vit aux marges, se place aux marges : dans la nuit, à la marge des villes, sur les routes. Et il pleure son passé, son rêve perdu, tout en étant prêt souvent à la violence.

38 The River est un double album d’une grande diversité musicale. Ainsi Ramrod est du pur rock’n’roll, The River est une ballade à la tonalité romantique, Fade Away un blues (qui sera rendu si célèbre après son interprétation par les Rolling Stones), Stolen car pleinement du folk. Mais le pivot de l’album est bien la chanson The River, inspirée de la vie du beau-frère et de la sœur de Springsteen. Une jeunesse docile lors de laquelle le personnage de la chanson est élevé pour suivre les pas de son père, manière de dénoncer le mensonge de la promesse de l’ascension sociale en terre promise : « They bring you up to do like your daddy done » [26] (The River). Une histoire d’amour adolescent qui conduit au mariage, avec Mary, rencontrée à l’âge de 17 ans. Un enfant à 19 ans, un mariage parce qu’une grossesse, sans cérémonie et sans argent : « No wedding day smiles no walk down the aisle no flowers no wedding dress[27]. » Un travail à l’usine : « I got a job working construction for the Johnstown Company », puis le chômage, « lately there ain’t been much work on account of the economy » [28]. Puis la déception dans le couple : « Now I just act like I don’t remember, Mary acts like she don’t care[29]. »

39 Que reste-t-il ? Des souvenirs et un lieu, la rivière. Rivière où les amoureux adolescents allaient se baigner, la nuit, s’enlacer, s’aimer, « now those memories come back to haunt me, they haunt me like a curse ». Maudits souvenirs, souvenirs heureux pourtant, et toute l’ambiguïté du sentiment nostalgique est dans ces deux vers. Souvenir aussi d’un rêve perdu et le narrateur ne peut s’empêcher d’y retourner alors même qu’il sait qu’il ne peut plus atteindre ce passé heureux puisque la rivière est à sec : « that sends me down to the river though I know the river is dry »[30]. Sentiment proustien, qui exprime à la fois la conscience de l’impossibilité du retour dans le temps et l’irrésistible désir de retour sur le lieu pourtant parce que cela semble la seule possibilité pour revivre le passé : impossible reviviscence (Poulet, 1963 ; Desbois et Gervais-Lambony, 2017).

40 Bien d’autres chansons désespérées peuplent l’album The River, notamment Point Blank sur l’aimée assassinée, une des rares chansons de Springsteen à cette époque centrée sur un personnage féminin et qui exprime nettement l’oppression des jeunes femmes des classes populaires : « You grew up where young girls they grow up fast/[…] you didn’t have to live that life[31]. »

41 Dans cette phase, marquée par les albums Darkness at the Edge of Town et The River, caractérisée par une nostalgie qui conduit à la colère et non plus à la fuite, les figures spatiales des albums précédents n’ont pas disparu, mais leur valeur est inversée. La chanson Wreck on the Highway, qui clôt l’album The River, en est la plus forte affirmation : l’autoroute n’est plus la voie de la fuite vers la liberté, il est le lieu de l’accident, de l’épave et de la mort rencontrée par le narrateur alors qu’il rentre chez lui après sa journée de travail. Ce qui meurt est bien le rêve de fuite lui-même, il n’en reste que le regret. La nostalgie des immobiles est donc bien celle du lieu qui a changé mais que l’on a pu et ne pourra quitter, celle de ceux qui n’ont pas pu partir et savent qu’ils ne le pourront plus : ils mènent un combat marginal, perdu d’avance, pour maintenir la vie du lieu qui autour d’eux s’efface en même temps que les rêves dont il était porteur. Ceci annonce la troisième forme de nostalgie qui caractérise l’album Nebraska (1982).

5. Nostalgie 3. Dérailler : retour sur l’enfance et nostalgie des outcasts

42 L’album Nebraska, à sa sortie en 1982, choque les fans habituels de Springsteen (Edleman, 1995) mais lui en gagne de nouveaux (Colombati, 2017). C’est son premier album acoustique et solo ; les chansons ont été écrites pendant ce que Springsteen définit lui-même comme son premier grand épisode dépressif (Springsteen, 2016). S’y mêlent deux principales catégories de textes : souvenirs d’enfance, ballades sur des criminels ou en tout cas des personnages dont la vie a « déraillé ». Cette association établit le lien entre mensonge fait à l’enfant et exclusion de la société de l’adulte.

43 Bruce Springsteen a enregistré chez lui, dans le New Jersey, seul et sur du matériel rudimentaire, en quelques jours, l’ensemble des chansons de l’album. Elles sont toutes, à une exception près (Open all night), accompagnées seulement à la guitare sèche et à l’harmonica. Le E Street Band n’intervient pas, c’est un disque en rupture avec les albums qui précèdent et avec ceux qui suivent, ce jusqu’au deuxième album acoustique, The Ghost of Tom Joad, enregistré en 1995. Mais plusieurs chansons de The River annonçaient clairement Nebraska, de même que la lecture des paroles des chansons de Born in The USA montre assez que nous sommes dans la même tonalité. La différence est surtout musicale, ce n’est pas un album rock mais folk. C’est un ensemble de hurt songs, dans la lignée de Woodie Guthrie (Dolphin, 2012 ; Garman, 2000). Ces ballades sont toutes, à une exception près (Johnny 99), chantées à la première personne du singulier : le chanteur est ici « canteur [32] » (Copans, 2014).

44 Cet album d’un chanteur en phase de dépression, un des plus sombres de Springsteen, a aussi été interprété (Cowie et Boehm, 2012 ; Masur, 2010), à juste titre, comme une dénonciation radicale de l’Amérique des années Reagan, élu président en 1981, avec ses coupes dans les budgets sociaux, ses fermetures d’usines, ce contentement de soi aussi et d’une Amérique triomphante. Crise sociale et crise individuelle ici se combinent pour produire un regard pessimiste, mais ce que dit l’album est aussi l’humanité commune des perdants, des exclus, dans une Amérique où « it’s just winners and losers/and don’t get caught on the wrong side of that line » [33] (Atlantic City). Pour exprimer cela, Spingsteen recourt de nouveau à l’évocation de lieux : le Freehold de l’enfance parcouru en voiture avec la famille (Used Car), Atlantic City (de nouveau le Shore du New Jersey)…

45 Quel est le lien entre les trois chansons qui évoquent l’enfance du chanteur (Mansion on the Hill, My Father’s House, Used Car) et ses relations avec son père et le reste de l’album essentiellement tourné vers les criminels marginaux ? La question mérite d’être posée car on sait à quel point Springsteen a toujours été attentif à « construire » ses albums. Il a expliqué lui-même que le point de départ de l’album Nebraska était son enfance : « Puisque la toile d’araignée de mon passé me pourrissait l’existence, je me suis tourné vers un monde où je m’étais baladé, enfant, un monde qui m’était encore familier et dont j’entendais à présent l’appel. Nebraska a débuté comme une méditation impromptue sur mon enfance et ses mystères » (Springsteen, 2016, 429).

46 Mansion on the Hill[34] raconte les promenades en voiture de la famille du narrateur. Conduits par le père ils vont voir, de loin, l’inaccessible : la vaste et riche demeure en haut de la colline, qui domine le paysage de Linden Town (ville ouvrière du New Jersey, proche de Freehold) : « risin’above the factories and the fields […] steel gates completely surround, sir, the mansion on the hill » [35]. Cette demeure représente le rêve de la classe populaire, qui roule dans une vieille voiture d’occasion, alors que le père de famille « sweats the same job from mornin’to morn » [36] (Used cars). Le père de Bruce Springsteen est aussi au centre de la chanson My Father’s House qui raconte un rêve : le personnage perdu dans une forêt trouve enfin le chemin de la maison familiale, la maison de son père, mais quand il arrive à la porte, une femme inconnue lui ouvre et lui dit « I’m sorry, son, but no one by that name lives here anymore » [37]. L’intrication entre le message politique des paroles des chansons de Springsteen et les éléments de sa vie personnelle, passée et présente, frappe de nouveau. La relation de Bruce Springsteen avec son père est connue pour avoir été difficile. Ce père brisé, dont le fils garde l’image angoissante d’un homme assis la nuit dans la cuisine de la maison familiale, fumant dans l’obscurité (Springsteen, 2016), est à la fois rejeté et sans cesse excusé : il est lui-même un personnage trompé par la promesse qui ne s’est pas réalisée. Et le lien avec les autres chansons de l’album se trouve justement là. Ce qu’explique, par exemple, dans Johnny 99, Ralph au juge qui le condamne à 99 ans de prison :

47

« Now judge I got debts no honest man could pay
The bank was holdin' my mortgage and they was takin' my house away
Now I ain’t sayin' that makes me an innocent man
But it was more 'n all this that put that gun in my hand[38] . »

48 Ce pourrait être les paroles du père à son fils, pour se justifier. La vie de Doug Springsteen, d’un emploi à l’autre au gré des fermetures d’usines ou des licenciements, est-elle si différente de celle de Ralph dont les malheurs commencent quand il perd son emploi (« they closed down the auto plant in Mahwah[39] late that month/Ralph went out lookin' for a job but he couldn’t find none »[40]) ou de celle du personnage d’Atlantic City, criminel abattu par la police qui lui aussi dit avoir d’abord cru au rêve et tenté une vie « normale » (« I got a job and tried to put my money away[41] ») ?

49 Promesse trahie donc, travail qui ne permet pas même de vivre, et vie dans un monde dépourvu de sens. C’est le sujet de la chanson Nebraska, directement inspiré du film de Terrence Malick, Badlands (1973) qui avait déjà donné son nom à une chanson de l’album Darkness at the Edge of Town et qui raconte l’histoire « vraie » de Charles Starkweather et Caril Fugate, âgés respectivement de 17 et 14 ans, qui ont tué 10 personnes entre le Nebraska et le Wyoming en 1957 et 1958. La chanson ne raconte pas, elle parle « à la place de » Charles Starkweather, condamné à mort. Et quand le juge lui demande le pourquoi de ses actes il répond : « Well sir I guess there’s just a meanness in this world » [42]. Charles est-il le personnage de Born to Run qui a mal tourné ? Qu’est-ce qui explique ces déraillements violents ? L’ensemble de l’album pointe une réponse : la promesse non tenue d’un système économique et politique dominé par les puissants, les banques et les habitants des « mansion on the hill ».

50 La nostalgie est toujours celle de ce rêve perdu, et c’est sans doute la chanson Highway Patrolman qui l’exprime le mieux et relie le plus directement souvenir de jeunesse et déviance de l’adulte. C’est Joe Roberts qui parle, un policier, dans un état frontalier du Canada, dans une ville nommée Perrineville [43]. L’histoire semble simple : Joe est l’honnête policier qui va finalement laisser s’enfuir son frère, Frankie, après que celui-ci a tué un homme lors une bagarre dans un bar. Mais on apprend aussi la vie de Frankie : parti au Vietnam alors que son frère était dispensé pour rester sur la ferme familiale, Frankie est aussi une victime. Le refrain de la chanson est tourné vers les souvenirs heureux du passé :

51

« Yeah, me and Franky laughin' and drinkin' nothin' feels better than blood on blood
Takin' turns dancin' with Maria as the band played “Night of the Johnstown Flood”[44]
I catch him when he’s strayin' like any brother would[45]. »

52 Maria épousera Joe après le départ pour le Vietnam de Frankie. Frankie annonce le personnage de Born in The USA qui ne trouve plus sa place au retour du Vietnam… Qui est finalement le « bon » et qui est le « mauvais » ? Où passe la ligne entre le bien et le mal ?

53 Dans l’album Nebraska se croisent donc la nostalgie individuelle de l’enfance et la nostalgie collective de la communauté ouvrière pour laquelle Springsteen prend la parole, l’une explique l’autre et réciproquement. Nebraska démontre bien que Springsteen, d’album en album, raconte une seule et même histoire : celle d’hommes de milieux ouvriers dans des villes en cours de désindustrialisation. Ces hommes sont d’abord jeunes, puis mûrissent au rythme des années qui passent ; les adolescents optimistes de Born to Run s’aperçoivent que la fuite est impossible, ils tentent le combat pour leur identité dans Darkness at the Edge of Town, puis, après des hésitations dans The River, ils comprennent dans Nebraska leur marginalité définitive et se tournent vers leur enfance pour comprendre. Il est cependant trop simple de distinguer des phases successives de manière si tranchée : Bruce Springsteen écrit ses chansons à un rythme plus rapide que ne sortent ses albums, il y a donc des chevauchements de l’un à l’autre, l’album phare Born in the USA en est la preuve. D’un style musical radicalement différent de Nebraska, parce que c’est un retour au Rock, il en est la continuité sur le plan des paroles à une différence majeure près : la géographie des chansons se complexifie par l’introduction d’un nouvel espace, un « far away land » (Born in the USA), une nouvelle trahison, le Vietnam (apparu une seule fois dans Nebraska dans la chanson Highway Patrolman).

6. Nostalgie 4. Revenir : nostalgie du retour impossible

54 L’album Born in the USA a propulsé Bruce Springsteen au rang de star internationale. Sa couverture, maintes fois commentée, jean, Tshirt et casquette sur fond de bannière étoilée, est mondialement connue et a été porteuse de toutes les ambiguïtés de l’album ou des mauvaises interprétations (Cowie et Boehm, 2012). Loin d’être un hymne à la gloire des États-Unis, Born in the USA est bien dans la lignée des hurt songs des albums précédents et de la dénonciation de l’Amérique des années Reagan. On y retrouve tous les thèmes antérieurs auxquels s’ajoute, pour devenir central, celui de la guerre du Vietnam. C’est la rencontre de membres d’une association de vétérans, en Californie, qui pousse Springsteen à s’engager dans les mouvements pour leur défense, lui qui a échappé à cette guerre. Mais c’est aussi parce que cette terre lointaine fait partie à part entière de l’espace vécu des classes populaires états-uniennes : « Born in the USA is further proof of how deeply the jungles of Vietnam have made their way into the ideological landscape of the United-States […] the home drifts into the foreign, and the foreign drifts into the home » [46] (Cowie et Boehm, 2012, p. 25). On a donc affaire désormais à un espace distendu, précisément un triangle ignorant des distances : la ville natale (Freehold), les lieux de l’étourdissement (Asbury Park et le Shore, Atlantic City), les lieux de l’exil ou du bannissement dont on croit pouvoir revenir mais dont on ne revient en réalité jamais (Vietnam). C’est donc une nouvelle forme de nostalgie qui vient s’ajouter aux antérieures : celle du retour d’exil, retour dont on a rêvé, mais retour impossible comme Ulysse en avait fait l’expérience (Cassin, 2013).

55 La chanson éponyme de l’album raconte l’histoire des anciens combattants du Vietnam « born in a dead man’s town » [47], élevés pour suivre la voie de leurs parents puis contraints de partir au Vietnam. Celui-ci n’est pas nommé, c’est juste une « foreign land » peuplée de « yellow men », ce qui dit assez l’incompréhension du personnage de la chanson. Il lui reste une image de l’autre, une photographie de son frère, tué au à la bataille de Khe Sanh [48], avec une femme vietnamiene aimée à Saigon. Il découvre ensuite l’impossibilité de revenir au pays :

56

« Come back home to the refinery
Hiring man says “Son if it was up to me”
Went down to see my V.A. man
He said “Son, don’t you understand” [49]. »

57 « Ne comprends-tu pas ? » demande l’homme de l’association de vétérans. Plus de place c’est une chose, mais nowhere to run non plus, et cette formule fait écho à la chanson de 1975 : la fuite n’est plus possible, on reste échoué (« Down in the shadow of the penitentiary/Out by the gas fires of the refinery »[50]). Ce lieu dont on rêvait quand on était loin n’existe plus : « Nowhere to run ain’t got nowhere to go »[51].

58 Cette chanson, Born in The USA, est construite, comme plusieurs autres dans l’album, sur un contraste, voire une discordance, entre musique et paroles : musique entrainante, affirmative, paroles sombres, désespérées. Un autre exemple en est la chanson Glory Days : elle n’est en rien optimiste comme pourrait le penser, et le vivre, un auditeur inattentif aux paroles (et on sait que c’est le cas d’une majorité). Glory Days raconte des rencontres d’anciens camarades de lycée par un homme devenu adulte dans une petite ville des États-Unis ; il s’aperçoit du vide de sa vie actuelle, n’a rien à raconter à ces anciennes connaissances que des souvenirs de lycée, petites gloires passées pour ces gens devenus « normaux », nostalgie de médiocres qui ont gâché leurs vies [52].

59 Autant dans les chansons de Nebraska Springsteen chantait le crime avec douceur, ici il chante le désespoir sur une musique optimiste [53]. Un choix qui lui permet de porter plus loin un message qui est le même que celui de Woody Guthrie (c’est à cette même époque que Springsteen introduit dans ses concerts la célèbre chanson militante de Guthrie This land is your land).

60 Au total, la géographie de l’album est une géographie de la perte et du regret, perte après être parti au Vietnam mener une guerre dépourvue de sens ou perte après le licenciement, nostalgie d’une vie qui aurait dû être autre. Dans les deux cas le retour en arrière n’est plus possible :

61

« I had a job, I had a girl
I had something going mister in this world
I got laid off down at the lumber yard
Our love went bad, times got hard[54] . »
(Downbound Train)

62 Vietnam et fermetures d’usines : deux attaques contre les classes populaires qui brisent les vies et détruisent les lieux. Destruction des lieux qui conduit à l’exil, ce que raconte My Hometown : le déclin de la ville natale entre les années 1950 et les années 1980. Cette ville a été l’espace de l’ancrage et de l’espoir des générations antérieures :

63

« I was eight years old and running with a dime in my hand
Into the bus stop to pick up a paper for my old man
I’d sit on his lap in that big old Buick and steer as we drove through town
He’d tousle my hair and say son take a good look around this is your hometown[55] . »

64 Puis elle a connu les violences raciales des années 1960 :

65

In '65 tension was running high at my high school
There was a lot of fights between the black and white[56] .

66 Suit la désindustrialisation :

67

« Now Main Street’s whitewashed windows and vacant stores
Seems like there ain’t nobody wants to come down here no more
They’re closing down the textile mill[57] across the railroad tracks
Foreman says these jobs are going boys and they ain’t coming back to your hometown[58] . »

68 La ville devient le lieu qu’il faut fuir :

69

« Last night me and Kate we laid in bed talking about getting out
Packing up our bags maybe heading south
I’m thirty-five we got a boy of our own now
Last night I sat him up behind the wheel and said son take a good look around
This is your hometown[59] . »

70 Nostalgie et attachement pour la ville natale sont omniprésents chez Springsteen, connu pour ses retours constants sur les lieux de l’enfance : « cette ville, ma ville, ne me quitterait jamais et je ne pourrai jamais complètement la quitter » ; je hantais « tel un fantôme à quatre roues, les alentours de ma ville natale. C’était plus fort que moi, pathétique et quasi religieux […]. Ma voiture était ma machine à remonter le temps, depuis laquelle je pouvais me replonger dans cette petite ville qui ne me lâchait jamais, quels que soient le moment ou le lieu. Le soir, je roulais dans ces rues de mon enfance, j’écoutais les voix de mon père, de ma mère, de l’enfant que j’étais » (Springsteen, 2016, p. 427). On retrouvera d’ailleurs la ville natale dans plusieurs chansons plus récentes : My City of Ruins (The Rising, 2002) écrite sur le déclin d’Asbury Park puis mobilisée pour chanter les attentats du 11 septembre 2001, et Death to my Hometown (Wrecking Ball, 2012) sur les conséquences de la crise de subprimes.

7. Nostalgie 5 et clôture : la convergence des nostalgies

71 L’histoire que racontent les albums de Springsteen entre 1975 et 1984 est celle de la convergence progressive des diverses formes de la nostalgie ; elle va connaître une clôture, un aboutissement, en 1995 avec l’album The Ghost of Tom Joad qui renoue avec Nebraska et approfondit l’idée que le sentiment commun de notre humanité est la nostalgie. Une nostalgie qui est toujours celle du rêve que l’on a cru ou croit encore accessible et dont l’échouage se matérialise en des lieux, lieux quittés, lieux disparus ou lieu à atteindre.

72 Entre 1984 et 1995, face à l’incompréhension de son message, fuyant son statut de symbole de l’Amérique glorieuse, en proie au doute sur lui-même après l’immense succès de Born in the USA, Springsteen va sortir trois albums très introspectifs, orientés vers les interrogations sur le couple au moment où son premier mariage vacille : Tunnel of Love en 1987, Human Touch et Lucky Town en 1992. C’est The Ghost of Tom Joad qui marque son retour à l’engagement politique et l’inscription très claire de Springsteen dans une lignée politique, philosophique et musicale qui conduit de Walt Whitman à Bruce Springsteen en passant par Pete Seeger, Woody Guthrie et Bob Dylan. Mais au-delà le titre de l’album est une référence à Tom Joad : le personnage des Raisins de la colère de Steinbeck (publié en 1939) et du film de 1940 de John Ford. La chanson Waiting for the Ghost of Tom Joad reprend mot pour mot les paroles du monologue de Tom Joad (interprété par Henri Fonda) adressé à sa mère :

73

« […] wherever there’s a cop beatin' a guy
Wherever a hungry newborn baby cries
[…] 
Wherever there’s somebody fightin' for a place to stand
Or decent job or a helpin' hand
Wherever somebody’s strugglin' to be free
Look in their eyes « Mom you’ll see me[60]. »

74 C’est donc afficher clairement sa place dans une généalogie, Woody Guthrie ayant lui aussi écrit une chanson sur Tom Joad (publiée dans l’album Dust Bowl Ballads, 1940). Mais The Ghost of Tom Joad n’est pas un album consacré aux petits fermiers blancs chassés de leurs terres par les banquiers et financiers. Ce deuxième album acoustique de Springsteen vise à montrer les convergences entre les injustices passées et celles d’aujourd’hui, celles dénoncées par Guthrie dans les années 1930, celles que Springsteen chantait depuis 1975 liées au déclin du monde ouvrier ancien, et les plus récentes qui affectent les migrants mexicains eux aussi à la poursuite de leur rêve américain : le point commun entre ces injustices est spatial, il est qu’elles conduisent à, ou se manifestent par, l’expulsion (Sassen, 2016). Expulsion de son pays ou de sa ville, des lieux de son passé dans tous les as. C’est pourquoi se rencontrent les sentiments des uns et des autres, nostalgiques toujours puisque soit chassés de leurs « lieux » parce qu’ils doivent les quitter, soit immobiles mais observateurs impuissants de la destruction du lieu du passé.

75 Toutes les injustices convergent. Une chanson comme Youngstown raconte la même histoire que My Hometown de 1984, même si nous ne sommes plus dans le New Jersey mais dans dans la rustbelt : histoire d’une ville depuis le début du xxe siècle, dont les industries construisent les canons des guerres mondiales, dont les enfants partent pour le Vietnam sans comprendre pourquoi, puis qui sombre avec la désindustrialisation. Et Galveston Bay, fondée sur des faits réels, raconte comment un émigré vietnamien manque d’être tué par un nationaliste blanc qui finit par reconnaître leur identité commune ; ici la trace du Vietnam à nouveau mais sous une forme nouvelle, celle des migrants ayant fui le Vietnam après la guerre. Identité commune aussi quand le personnage de The Line, ancien prisonnier engagé dans la border patrol pour arrêter les migrants clandestins, tombe amoureux de Louisa : « She was from Sonora and had just come north/We danced and I held her in my arms » [61]. Il passera le reste de sa vie à la rechercher : « At night I searched the local bars and the migrant towns lookin' for my Louisa with the black hair fallin' down » [62].

76 La plupart des autres textes parlent de migrants mexicains : Springsteen n’est plus seulement le porte-parole d’une classe populaire blanche, mais aussi de nouvelles victimes de formes similaires d’oppression. N’est-ce pas la même promesse d’une vie meilleure en Amérique qui se révèle mensonge ? Le fantôme de Tom Joad parle pour toutes les victimes du dévoiement du rêve américain. Ainsi, les Sinaloa cowboys sont deux frères mexicains employés dans la production de méthamphétamine, l’un en mourra. Across the Border est la promesse du migrant à sa femme : « Tomorrow my love and I will sleep 'neath auburn skies/somewhere across the border » [63]. Promesse d’une terre promise dont on sait qu’elle a plus de chance de devenir le cauchemar de Balboa Park dont le personnage, migrant mexicain, vit sous les ponts autoroutiers et est employé occasionnellement par des trafiquants de drogues ou se prostitue. Pas un destin très différent de celui du personnage de Highway 29 qui attaque une banque et s’enfuit avec son amante, sans but, vers finalement la mort.

77 Clôture d’un cycle donc que cet album, et la figure spatiale de la highway y est désormais définitivement synonyme d’échouage ou d’errance :

78

« Men walkin' 'long the railroad tracks
Goin' someplace there’s no goin' back
[…]
No home no job no peace no rest
The highway is alive tonight
But nobody’s kiddin' nobody about where it goes
I’m sittin' down here in the campfire light
Searchin' for the ghost of Tom Joad[64] . »

79 Dans un texte de 1986 et à propos de la chanson Born in the USA, Stuart Hall a pu écrire « Springsteen is a phenomenon that can be read, with equal conviction, in at least two diametrically opposed ways… The symbols are deeply American — populist in their ambiguity ; he' s both the White House and On The Road. In the ' 60s, you had to be one or the other. Springsteen is somehow both at the same time[65]. » Stuart voyait dans cette fragmentation des significations une caractéristique de la post-modernité. A relire cette brève citation, maintes fois reprise, et à la confronter aux paroles des chansons de Springsteen des années 1975-1984 (complété d’un regard sur l’album de 1995) on peut aujourd’hui s’interroger. Cette interrogation est d’autant plus importante que le contexte social et politique actuel, tant aux États-Unis qu’en Europe, fait écho à ces paroles : désindustrialisation, fermetures de sites industriels, migrations, montée en puissance de mouvements nationalistes, tensions raciales et ethniques. En ce sens, en effet, Springsteen dit à la fois la promesse du rêve américain et la dénonce comme un mensonge. Mais de l’étude du corpus étudié ici ressort bien plus nettement la dénonciation du décalage entre promesse et réalité. Les chansons de Springsteen sont au service de ce propos politique, le moyen pour transmettre le message est la ballade qui suscite l’empathie et l’émotion, elles amènent l’auditeur à faire « the experience of walking in the shoes of characters such as undocumented immigrants, unemployed workers, homeless veterans, criminals and the like » [66] (Murphy, 2012). Et ce que vivent les personnages des chansons, c’est la nostalgie de lieux qui fondaient une communauté désormais perdue. Cette nostalgie débouche, par la chanson, sur la construction d’un « monde » à part entière, un univers « réel et imaginaire » pour reprendre l’expression d’Edward Soja (2000), né d’une expérience sensible et locale mais qui gagne par la poésie et la musique une portée universelle et peut devenir projet. Pour la géographie cela permet de souligner encore que le lien entre nostalgie et espace est un point essentiel ; au-delà, que la dimension politique de la nostalgie soit par là même confirmée de la manière la plus forte est plus important encore.

80 Nostalgies diverses cependant : le rêve de fuite et d’espace des albums de l’adolescence ; le regret du lieu perdu que l’on a dû quitter ; la nostalgie du passé qui fonde le désir de combattre pour rester ; la nostalgie de l’exilé qui tente de revenir et ne trouve plus sa place dans les lieux de son passé et enfin la nostalgie du migrant international. La convergence de ces formes de nostalgie est affirmée, et dans toute sa clarté, dans l’album The Ghost of Tom Joad. Ici, le cycle se clôt sur l’idée d’une humanité partagée par tous ceux qui ont été trompés, du migrant mexicain à l’ouvrier blanc de l’est états-unien, du criminel au travailleur licencié, de l’adolescent révolté à l’adulte désabusé. Ce qui les unit est la nostalgie : tous vivent à la fois dans les lieux de leur présent et dans ceux de leur passé. La nostalgie, quelle que soit sa forme, est simplement la manière dont se font présents le lieu et le temps passés dans le lieu et le moment actuel, les uns et les autres réels et imaginés à la fois. Cette résurgence du passé concerne autant ceux qui n’ont pas changé de lieu (leur nostalgie porte sur ce même lieu tel qu’il a été et tel qu’ils l’imaginent avoir été) que ceux qui en ont changé (leur nostalgie porte sur le lieu qu’ils ont quitté, ou les lieux successifs qu’ils ont connus). De ce monde d’exilés du temps et de l’espace, Springsteen est à la fois le témoin et le producteur, ses chansons révèlent aussi les ambiguïtés du passage des imaginaires et des vécus individuels aux discours porteurs de mobilisation collective qui conduisent à l’action pour construire le futur.

Notes

  • [1]
    « Aujourd’hui ces souvenirs viennent me hanter/Ils me hantent comme une malédiction/Un rêve qui ne se réalise pas est-il un mensonge/ou est-ce quelque chose de pire ? » NB : toutes les traductions en français des paroles des chansons sont de l’auteur de l’article.
  • [2]
    Avant la sortie de son premier album en 1973, Bruce Springsteen jouait dans des groupes depuis 1965, à plein temps à partir 1969, il se produisait dans des bars et petites salles à Asbury Park et d’autres villes du New Jersey Shore.
  • [3]
    Le New Jersey est aussi la région d’enfance de Philip Roth, originaire des quartiers juifs de Newark, et peu d’autres auteurs ont rendu aussi vigoureusement compte à la fois de la riche diversité culturelle de cet État et du poids de la ségrégation sociospatiale (voir par exemple Complot contre l’Amérique, 2004).
  • [4]
    Plus exactement d’un milieu ouvrier mais ayant erré toute sa vie d’un métier à l’autre : « chauffeur de taxi, travailleur à la chaîne, employé d’une usine automobile, gardien de prison, conducteur de bus, camionneur — pour ne citer que quelques-uns des nombreux boulots que mon père a exercés tout au long de sa vie » (Springsteen, 2016, p. 375).
  • [5]
    Un public qui restera en grande majorité blanc même si la présence de Clarence Clemons (the Big Man) aux côtés de Springsteen, dès la couverture de l’album Born to Run et jusqu’à sa mort en 2011, est essentielle, ainsi que le rôle donné à son saxophone dans le E Street Band ; même si aussi Springsteen a été si fortement influencé par la musique « noire » : soul, r&b, gospel (Marsh, 2004).
  • [6]
    « Le jour nous poursuivons dans les rues le mirage du rêve américain/La nuit nous chevauchons nos machines suicidaires parmi les palais de la gloire. »
  • [7]
    Ce jusqu’à ce qu’en 1984 Ronald Reagan, en campagne pour sa réélection, fasse référence à Springsteen comme porteur du même idéal que lui en se fondant sur une interprétation erronée de la chanson Born in the USA.
  • [8]
    « Quand quelqu’un se constitue lui-même comme capable de jugement et de distinguer le juste et l’injuste. »
  • [9]
    « Cette ville déchire les os de ton dos/C’est un piège mortel, un coup à se suicider/Il faut qu’on se tire tant qu’il est temps. »
  • [10]
    « Quand je suis dans la rue/Je marche comme je veux marcher/Quand je suis dans la rue/Je parle comme je veux parler. »
  • [11]
    Plus tard, quand Springsteen traitera de la question des migrants, la rivière sera aussi la frontière, la ligne, ce qu’il faut traverser pour atteindre la terre promise. Dans tous les cas on voit toute l’importance des références bibliques de Springsteen qui est pleinement conscient de l’influence de son éducation catholique : « C’est le monde où je suis allé puiser pour commencer à chanter. Dans le catholicisme existaient la poésie, le danger et les ténèbres qui reflétaient mon imagination et mon moi intérieur » (Springsteen, 2016, p. 31).
  • [12]
    « Des vagabonds comme nous/Chérie, nous sommes nés pour fuir. »
  • [13]
    « Tant que nous sommes jeunes ».
  • [14]
    « Alors vient Mary/C’est une ville pleine de perdants/Et je pars d’ici pour gagner. »
  • [15]
    « Oh, vient, prend ma main/Roulons cette nuit pour trouver la Terre Promise. »
  • [16]
    « Terres maudites, il faut les vivre chaque jour/Que les cœurs brisés se lèvent/C’est le prix à payer/Continuons à nous battre jusqu’à être compris/Jusqu’à ce que ces terres maudites nous traitent bien ».
  • [17]
    « Papa a travaillé toute sa vie pour gagner seulement la souffrance/Maintenant il erre dans ces pièces désertes cherchant quoi blâmer ».
  • [18]
    « Parmi les palais de la peur, parmi les palais de la souffrance/Je vois mon père passer les portes de l’usine sous la pluie/L’usine le rend sourd, l’usine lui donne la vie/Le travail, le travail, juste une vie de travail. »
  • [19]
    « Combien d’hommes ont échoué, leurs rêves niés/ils errent dans ces rues avec la mort dans le regard. »
  • [20]
    En 2010, Springsteen sort l’album The Promise qui comprend un ensemble de 21 chansons composées et enregistrées initialement pour l’album Darkness at the Edge of Town mais finalement non retenues à l’époque.
  • [21]
    « Rouler toute la nuit à la poursuite d’un mirage. »
  • [22]
    « Monsieur je ne suis plus un gamin, non, je suis un homme/et je crois en une terre promise. »
  • [23]
    « Elle est assise sur le porche de la maison de son père/Mais tous ses jolis rêves sont brisés/Seule elle scrute l’obscurité/Avec les yeux de celle qui regrette d’être née. »
  • [24]
    « Parfois je me sens si faible que j’ai envie d’exploser/Exploser et faire exploser cette ville. »
  • [25]
    « Balayer ces rêves qui te déchirent/Balayer ces rêves qui te brisent le cœur/Balayer les mensonges qui ne te laissent que perdu et le cœur brisé. »
  • [26]
    « Ils t’ont élevé pour faire ce que ton père a fait avant toi ».
  • [27]
    « Un jour de mariage sans joie sans procession dans l’église sans fleurs sans robe de mariée ».
  • [28]
    « J’ai trouvé un boulot dans le bâtiment pour la Johnstown Company/Mais il n’y a pas beaucoup de travail à cause de l’économie. »
    Formulation vague, bien plus une reprise par le personnage de la chanson des mots entendus dans les médias qu’une analyse ou une accusation. Cette méthode d’écriture est caractéristique du talent de Springsteen pour « parler comme » ses personnages parleraient : comme des victimes d’un système dont ils subissent les effets sans avoir les outils d’analyse nécessaires pour les expliquer et se révolter (et surtout pas collectivement).
  • [29]
    « Maintenant je fais comme si j’avais oublié, et Mary fait comme si elle s’en fichait. »
  • [30]
    « Qui me ramène à la rivière, même si je sais qu’elle est à sec ».
  • [31]
    « Tu as grandi là où les petites filles grandissent trop vite/[…] Ce n’est pas cette vie-là que tu aurais dû vivre. »
  • [32]
    En cantologie, le canteur est l’équivalent du narrateur du roman. A distinguer du chanteur qui n’est qu’interprète le temps d’une chanson.
  • [33]
    « Ici on est soit gagnant soit perdant/et tant pis pour toi si tu es du mauvais côté de la ligne. »
  • [34]
    Le titre de la chanson est repris d’un titre fameux d’Hank Williams de 1948, ce qui est une manière pour Springsteen de s’affirmer aussi dans le champ de la musique country.
  • [35]
    « Le palais sur la colline, Monsieur, entouré de grilles d’acier s’élève au-dessus des usines et des champs. »
  • [36]
    « S’épuise à la même tâche, du matin au soir. »
  • [37]
    « Désolé petit, plus personne de ce nom n’habite ici. »
  • [38]
    « Monsieur le juge j’avais des dettes qu’aucun homme honnête n’aurait pu rembourser/J’ai hypothéqué ma maison et la banque me l’a prise/Je ne dis pas que ça fait de moi un innocent/Mais c’est tout ça qui a mis une arme dans ma main. »
  • [39]
    L’usine de montage Ford de Mahwah, dans le New Jersey, a été une des plus importantes des États-Unis. Fondée en 1955 elle a fermé en 1980. Près de 250 000 ouvriers ont été licenciés.
  • [40]
    « Quand ce mois-là ils ont fermé l’usine automobile de Mhawah/Ralph a cherché un boulot mais n’en a trouvé aucun ».
  • [41]
    « J’ai trouvé un boulot et tenté de mettre de côté. »
  • [42]
    « Eh bien Monsieur, je crois que tout est à cause de ce monde qui n’a aucun sens. »
  • [43]
    Aucune ville de ce nom n’est proche du Canada, mais le style littéraire de Springsteen pour donner du réalisme est dans le détail qui précise le numéro du baraquement dans une ville pourtant imaginaire :
    My name is Joe Roberts I work for the state.
    I’m a sergeant out of Perrineville, barracks number 8.
  • [44]
    La chanson Night of the Johnstown Flood n’existe pas en 1982, mais elle permet d’évoquer un monde industriel : l’inondation célèbre de Johnstown de 1889 et, sous-entendu la fermeture des usines métallurgiques de cette ville de Pennsylvanie dans les années 1970.
  • [45]
    « Ouais, moi et Frankie riant et trinquant, rien de mieux qu’un frère avec son frère/Nous dansions à tour de rôle avec Maria pendant que le groupe jouait The night of Johnstown Flood/Je le tirais d’affaire à chaque fois qu’il faisait des conneries, comme tout frère l’aurait fait. »
  • [46]
    « Born in the USA prouve à quel point la jungle du Vietnam a pénétré en profondeur le paysage idéologique des États-Unis […] le chez soi se glisse dans l’étranger, l’étranger se glisse dans le chez soi. »
  • [47]
    « Né dans une ville perdue » (la formule est difficile à traduire, il s’agit bien d’une ville sans importance, mais l’idée de la mort est bien introduite à dessein).
  • [48]
    En 1968, pendant l’offensive du Têt, cette bataille opposa troupes américaines et troupes nord-vietnamiennes qui assiégèrent pendant deux mois la base de Khe Sanh à la frontière entre le Nord et le Sud Vietnam.
  • [49]
    « Rentré au pays je suis allé à la raffinerie/Le recruteur m’a dit Petit, s’il ne tenait qu’à moi”/Alors suis allé voir le type de l’aide aux anciens combattants/Il m’a dit « Fils, ne comprends-tu pas ? »
  • [50]
    « À l’ombre du pénitencier/Près des cheminées de la raffinerie. » Ici les deux seules voies à suivre : l’usine (en l’occurrence la raffinerie qui la symbolise) ou la prison, mais on comprend que l’une peut si facilement conduire à l’autre, que ce ne sont que deux faces du système d’oppression que Springsteen dénonce.
  • [51]
    « Nul part où m’enfuir je n’ai nul part où aller. »
  • [52]
    Nouvelle rencontre, me semble-t-il, entre le New Jersey de Bruce Springsteen et celui de Philip Roth : le roman La Pastorale américaine (1997) commence très exactement par ce que raconte « Glory Days », une rencontre d’anciens élèves de collège, et se poursuit par une cruelle dénonciation de l’American Dream.
  • [53]
    À ce titre il faut écouter la version de Born in The USA dans l’album live du concert de 1999 à New York : le rock et devenu blues, la musique et le rythme sont désormais accordées aux paroles, comme s’il n’était plus nécessaire de s’abriter derrière une musique plus facile.
  • [54]
    « J’avais un boulot, j’avais une compagne/J’avais quelque chose, Monsieur, dans ce monde/À la scierie j’ai été licencié/Notre amour a déraillé, les temps sont devenus durs. »
  • [55]
    « J’avais huit ans et je courais avec une petite pièce en main/Jusqu’à l’arrêt de bus pour chercher le journal pour mon vieux/Puis, sur ses genoux dans la vieille Buick il me laissait tenir le volant quand nous roulions dans la ville/Il m’ébouriffait les cheveux et me disait : fils regarde bien c’est ta ville natale. »
  • [56]
    « En 65 au lycée la tension montait/Il y avait beaucoup de bagarres entre blancs et noirs. »
  • [57]
    Il s’agissait de l’usine de A. et M. Karagheusian, Inc., fabriquant des tapis depuis la fin du xixe siècle, longtemps premier employeur de Freehold avec près de 2 000 ouvriers dans les années 1930. L’usine a fermé en 1964. Le père de Bruce Springsteen y a travaillé un temps.
  • [58]
    « Maintenant sur Main Street ce n’est plus que boutiques fermées et fenêtres closes/Comme si plus personne ne voulait venir ici/Derrière la voie ferrée ils ferment l’usine textile/Le contremaître dit : les gars il n’y a plus de boulot ici et ça ne reviendra pas. »
  • [59]
    « La nuit dernière moi et Kate nous étions au lit/Et nous parlions de partir/De faire nos valises et de filer, peut-être vers le sud/J’ai trente-cinq ans et nous avons un fils maintenant/Hier soir je l’ai laissé tenir le volant, nous avons roulé en ville et je lui ai dit : fils regarde bien, c’est ta ville natale. »
  • [60]
    « Partout où un type se fera frapper par un flic/Partout où un nouveau-né pleurera de faim/[…] Partout où quelqu’un se battra pour un endroit où vivre/Ou un boulot décent ou une main secourable/Partout où quelqu’un se battra pour sa liberté/Regarde dans ses yeux maman et tu me verras. »
  • [61]
    « Elle était de Sonora et venait de migrer vers le Nord/Nous avons dansé et je l’ai tenue dans mes bras. »
  • [62]
    « La nuit je cherchais ma Louisa dans les bars et dans les camps de migrants, ma Louisa avec ses longs cheveux noirs. »
  • [63]
    « Demain mon amour nous dormirons sous un ciel auburn/Quelque part au-delà de la frontière. »
  • [64]
    « Des hommes marchent le long de la voie ferrée/Ils vont quelque part, ils ne peuvent revenir en arrière/[…] Pas de maison pas de boulot pas de paix/La highway est vivante ce soir/Mais où conduit-elle ? Personne ne plaisante avec ça/Je suis assis à la lueur du feu de camp/Je cherche le fantôme de Tom Joad. »
  • [65]
    « Springsteen est un phénomène qui peut être lu, avec la même conviction, de deux manières diamétralement opposées… Sa symbolique est profondément américaine, populiste au point d’être ambiguë ; Il est à la fois la Maison Blanche et On the Road. Dans les années 1960 il fallait être l’un ou l’autre. Springsteen est à sa manière les deux à la fois. »
  • [66]
    « L’expérience d’être dans la peau de personnages tels que des migrants sans papiers, des ouvriers au chômage, des anciens combattants sans abris, des criminels et leurs semblables. »
Français

Entre 1975 et 1984, Bruce Springsteen construit dans ses albums successifs un univers sociospatial fondé sur les expériences de vie dans des villes secondaires des États-Unis à l’ère de la désindustrialisation. L’argument de l’article est que les chansons de cette période constituent un cycle dans l’œuvre du chanteur-compositeur. Ce sont essentiellement des ballades nostalgiques qui décrivent une Amérique en crise sociale et en transformation économique, elles sont aussi consacrées presque entièrement à un espace particulier, le New Jersey dont les villes industrielles en déclin deviennent le symbole de la trahison des promesses du rêve américain. L’article montre l’utilité de l’approche géographique pour une analyse de la relation entre le sentiment nostalgique et l’espace ; il permet aussi de voir qu’une analyse géo-littéraire des paroles de chansons populaires complète utilement des travaux de recherche de terrain sur la diversité des formes de nostalgie (on en distinguera cinq) dans les sociétés urbaines postindustrielles. Enfin, sont soulignées la forte dimension politique des nostalgies contemporaines et la manière dont elles se constituent dans l’imbrication des vies individuelles et des transformations sociospatiales.

Mots-clés

  • Bruce Springsteen
  • chanson
  • États-Unis
  • nostalgie
  • lieu.

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Philippe Gervais-Lambony
Université Paris-Nanterre, UMR LAVUE
Mis en ligne sur Cairn.info le 26/10/2020
https://doi.org/10.3917/ag.735.0005
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