CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Cécile Gintrac, Matthieu Giroud (éd.). Villes contestées. Pour une géographie critique de l’urbain. Paris, Les Prairies ordinaires, 2014

1 Matthieu Giroud, maître de conférences à l’UPEM, jeune géographe spécialiste de l’urbain, mais aussi de géographie sociale et critique, figurait parmi les victimes de l’attaque du Bataclan le 13 novembre 2015. Ce compte rendu a été rédigé bien avant ces attentats. Pour des raisons de calendrier éditorial, il n’est publié que dans le présent numéro des Annales de géographie et sans aucune modification. L’ouvrage présenté ici n’est qu’un des apports parmi tant d’autres de Matthieu Giroud à la discipline géographique, comme en témoigne l’ampleur des hommages qui lui ont été et continuent à lui être rendus par l’ensemble de notre communauté scientifique.

2 Il est des livres nécessaires. C’est le cas de ce reader publié chez un éditeur qui nous a déjà offert de belles traductions de David Harvey. Il réunit 11 textes traduits de l’anglais (et très bien traduits, même si le spécialiste y trouvera quelques choix de mots à discuter), chacun est précédé d’une présentation qui remet le texte en contexte et décrit (un peu) l’auteur et son parcours. Il y a bien des choses à dire sur l’importance de la traduction de l’anglais vers le français, sur les retards à rattraper en ce domaine, mais d’abord il y a à saluer le temps donné qu’elle représente dans un contexte académique où tout est si comptabilisé. Qu’en soient remerciés les éditeurs du livre, les auteurs des notices et les traducteurs ! L’ouvrage s’inscrit dans une lignée à laquelle appartiennent aussi les Géographies anglo-saxonnes publiées chez Belin en 2001 et qui s’est révélé si utile. Ici, les éditeurs assument leur choix de ne pas avoir fait de regroupements thématiques des textes. C’est l’appartenance à un ensemble scientifique qui fait la cohérence du livre, non pas d’auteurs « anglo-saxons », ni même « anglophones », mais ayant publié notamment en langue anglaise et se rattachant à ce que les éditeurs qualifient de « géographie critique de l’urbain », préférant cette formule à celle qu’ils jugent plus datée de « géographie radicale » (un débat est à poursuivre ici, un échange aussi, prometteur, avec nos géographies francophones, sociales, culturelles, politiques). Est-il alors paradoxal que l’ensemble soit comme placé dès la première page sous la figure tutélaire d’Henri Lefebvre, un auteur français et qui n’était pas géographe ? Non, et c’est la preuve qu’il faut aussi traduire du français vers l’anglais, car au-delà de leurs différences, c’est la place théorique accordée à l’espace qui fédère ici : l’espace est plus qu’un cadre, comme souligné dans l’introduction il est « au centre de l’analyse des mécanismes de domination » (p. 15). La diversité des auteurs réunis est aussi bienvenue : ils ne sont pas seulement nord-américains et l’on apprécie de trouver des représentants des « Suds », notamment Jennifer Robinson et Marcelo Lopes de Souza, mais aussi d’Europe avec Bernd Belina ; on rencontre aussi des marxistes (au premier chef David Harvey) et des « culturalistes » et féministes (une très belle traduction d’un texte de Melissa Gilbert) pour le dire (trop) vite. Mais si les éditeurs insistent sur le caractère « situé » de tous ces travaux, peut-être pourrait-on ajouter qu’ils sont aussi datés : seuls deux textes ont été publiés dans les années 1980 (Harvey et Smith), tous les autres sont des publications des années 2000 (1998 pour le texte de Gilbert). Et ceci signale des différences de génération au sein de cette géographie dite « critique ». On n’ose imaginer les difficultés rencontrées pour choisir ces onze auteurs, ce processus n’est d’ailleurs expliqué que brièvement dans l’introduction de l’ouvrage. On peut bien sûr chercher les manques, mais comment n’y en aurait-il pas ? On aurait notamment pu penser aussi que des auteurs plus éloignés des approches géographiques auraient pu trouver leur place, et je ne peux m’empêcher de penser ici aux pages superbes d’Iris-Marion Young sur la ville… Mais alors il fallait un livre plus gros, tout simplement, et puis c’est qu’il reste à faire, c’est tant mieux et c’est à venir !

Philippe Gervais-Lambony
Mis en ligne sur Cairn.info le 26/02/2016
https://doi.org/10.3917/ag.707.0113
Pour citer cet article
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