CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En août 2006 paraît dans Le Monde Diplomatique un article intitulé : « Vers un tourisme sexuel de masse ? ». L’auteur, Franck Michel, écrit :

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« La prostitution ‹ touristique › affecte beaucoup de pays du Sud : les filles (ou les garçons) y sont jeunes, pauvres et peu éduqués, donc facilement exploitables. Elles arrivent de façon plus ou moins forcée dans la prostitution, ‹ métier › qu’elles n’ont aucune envie d’exercer. À la recherche de sexe facile et bon marché, les touristes sexuels étrangers affluent en quête de cette chair fraîche, disponible et soumise. »[1]

3Le « tourisme sexuel » serait une forme exacerbée de marchandisation où l’individu, nié, exploité, réduit à sa seule consommation, se voit refuser toute part d’humanité :

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« En payant pour un service, sexuel en l’occurrence, il [le touriste sexuel] achète la liberté d’une personne sur laquelle, un temps compté, il a tous les droits. Y compris celui de réduire cette personne à l’état de ‹ bien › marchand. Il n’a pas besoin de ménager sa proie, contrainte à la soumission, dont il peut disposer à sa guise, sans la crainte de se faire renvoyer ou de se voir puni par une autorité. Le client est roi. En vacances tout particulièrement. Le client-touriste est donc seul maître à bord, l’Autre ayant été ravalé à la condition d’esclave sexuel, qu’il soit d’ailleurs bien ou mal traité par son maître du moment. »[2]

5Cette vision tragique d’une exploitation sexuelle mondialisée est assez répandue ; les arguments s’enchaînent et le « tourisme sexuel » apparaît comme une forme spécifique de prostitution qui, en jouant sur l’accumulation des rapports de domination, exploiterait les individus les plus fragiles des destinations touristiques. Les femmes et les enfants – dont les estimations seraient d’ailleurs systématiquement sous-évaluées – seraient les victimes de l’action conjuguée de touristes carnassiers et d’une industrie du sexe toujours plus puissante.

6Or, si cette perspective fascine et produit son effet, elle n’en demeure pas moins discutable. Dans le cadre d’une thèse en sciences sociales à l’EHESS, je mène depuis 2004 une enquête sur les relations prostitutionnelles dans le tourisme. Au cours d’un travail ethnographique conduit en Thaïlande [3], j’ai pu accéder à une réalité concrète et quotidienne qui diffère de ces analyses indignées. L’expérience nuance fortement les propos alarmistes tenus par l’auteur et révèle plutôt la complexité des liens qui unissent touristes et populations locales.

7Certes, la prostitution dans le tourisme trouve ses racines dans le différentiel qui sépare les touristes des populations locales, en termes de pouvoir, de richesses ou de mobilité – constat qui ne nécessite pas de compétences sociologiques particulières… Mais la prostitution dans le tourisme ne se limite ni ne se résume à cette idée floue de domination globale. Toutes les études ethnographiques soulignent la singularité des liens qui unissent les touristes aux populations locales, les désirs contradictoires, les difficultés rencontrées, les jeux et les enjeux auxquels ils se trouvent confrontés, autant de dimensions effacées par la seule indignation. Mais ces analyses fines restent encore aujourd’hui éclipsées par des prises de positions virulentes : l’article du Monde Diplomatique n’est pas isolé et une part importante de la littérature sur la prostitution dans le tourisme s’inscrit effectivement cette perspective. Ces prises de position engagées ont pu connaître le succès tant aux marges du champ académique qu’au sein d’autres univers sociaux. Elles n’en demeurent pas moins problématiques et légitimement questionnables. Mais cette analyse critique ne prend sens que dans une perspective historique qui rappelle les enjeux politiques et moraux traversant en réalité toute prise de parole sur le « tourisme sexuel ». L’article vise donc à donner quelques repères dans la multitude de contributions qui se sont succédé en participant à une histoire des sciences sociales soucieuse de resituer les discours scientifiques dans leur contexte d’énonciation.

Critique d’une révolte acritique

8Le monde universitaire hiérarchise les différentes contributions en fonction des règles qui lui sont propres ; l’un des modes de gestion privilégiés des contributions faiblement scientifiques [4] demeure le silence des autorités légitimes. Une proposition rejetée est exclue des lieux de pouvoir d’une discipline (périodiques cotés, colloques, séminaires, maisons d’édition prestigieuses, etc.) et rapidement reléguée. Or, l’autonomie du champ des sciences sociales étant faible et ses droits d’entrée peu élevés, un grand nombre de publications illégitimes qui ne trouveraient peu ou pas d’échos dans le monde académique parviennent à circuler comme contributions expertes. Dans le cas du « tourisme sexuel » – vu la violence de l’indignation et de l’émotion que le sujet a pu susciter – des contributions discutables paraissent régulièrement et brouillent l’analyse de la sexualité commerciale.

9En France, Franck Michel est aujourd’hui le représentant le plus médiatisé de cette « sociologie » engagée. Né en 1965, Franck Michel soutient en 1996 une thèse en ethnologie à l’Université Marc Bloch de Strasbourg sur les conséquences sociales et culturelles du développement touristique en Indonésie [5]. Sa thèse est dirigée par Éric Navet, actuel directeur du Centre de recherches interdisciplinaires en anthropologie (CRIA). Franck Michel multiplie depuis les activités universitaires et para-universitaires : interventions ponctuelles, charges de cours en sociologie du tourisme, etc. Il enseigne notamment aux universités de Marne-la-Vallée et Lyon-II (au sein d’IUT liés au tourisme). Il est actuellement recruté comme PRAG à l’Université de Corse en Licence « Commercialisation des produits touristiques » et Master « Gestion et développement du tourisme durable ». Parallèlement à ces activités académiques, il a longtemps travaillé comme professionnel et expert en tourisme (conférencier, rédacteur de guide touristique). Si sa thèse n’a pas porté directement sur les relations sexuelles commerciales, Franck Michel écrit pourtant dès la fin des années 1990 sur « le tourisme sexuel » en Thaïlande. Il publie ainsi en 1998 un chapitre intitulé : « Le tourisme sexuel en Asie, du cauchemar à l’horreur » [6]. Le livre paraît dans la collection « Tourisme et Sociétés » de L’Harmattan, célèbre pour avoir été parmi les premières structures éditoriales françaises spécialisées dans les publications sur le tourisme (autour de Georges Cazes) [7]. Mais c’est principalement son engagement à la frontière entre science, expertise et militantisme qui ancre Franck Michel parmi les principaux procureurs du « tourisme sexuel ». Il devient notamment, entre 2000 et 2002, « consultant en tourisme, santé et développement » auprès de l’association Aidétous. Aidétous (pour association internationale pour le veloppement le tourisme et la santé) est une association dédiée à la lutte contre le Tourisme sexuel impliquant des enfants – ou TSIE [8]. À partir du milieu des années 2000, F. Michel se consacre à la dénonciation de la « sexploitation » des femmes et des enfants en Asie, avec notamment la publication de deux ouvrages sur le sujet, accompagnés de nombreux articles et/ou chapitres d’ouvrages collectifs [9].

10Les analyses qu’il développe se résument à des positions morales qui éclatent rapidement dans la dénonciation systématique de la prostitution comme forme d’exploitation. Dans cette perspective, les femmes seraient renvoyées à une condition animale (« chair fraîche »…), « chosifiées » et « consommées » parce que prostituées. Ce discours résonne en réalité avec les publications d’un autre auteur francophone relativement visible : le Canadien Richard Poulin. Ce dernier cite Franck Michel, qui le cite le retour [10]. Les titres des ouvrages de Richard Poulin donnent le ton : La mondialisation des industries du sexe ; Enfances dévastées. L’enfer de la prostitution, etc. [11] Tout à la fois engagé dans une critique anti-prostitution et anti-pornographie, Richard Poulin est proche du monde militant. Il partage notamment les indignations du Mouvement du Nid, de la Fondation Scelles ou de Marie-Victoire Louis en se réclamant d’une forme d’abolitionnisme que Lilian Mathieu a pu qualifier de « misérabilisme essentialiste » [12]. Les engagements politiques de F. Michel ou R. Poulin ne devraient pas prendre le pas sur l’analyse… Ils s’y substituent pourtant et ces publications, en participant d’une lecture politique qui se veut humaniste mais s’oublie acritique, sont scientifiquement discutables.

11D’un point de vue méthodologique d’abord, ces ouvrages utilisent principalement des informations de seconde main dont la pertinence n’est jamais discutée. Ainsi l’étude des bibliographies révèle l’usage systématique de données préconstruites fournies par les « experts » du sujet : ONG, journalistes, rapports d’organisations internationales basés sur les chiffres des ONG précitées, etc. Les estimations chiffrées qui sont proposées sont pourtant éminemment problématiques. Il ne s’agit pas de prétendre que ces évaluations soient « fausses », mais bien davantage de comprendre qu’elles s’abritent derrière la scientificité apparente du chiffre et passent sous silence les difficultés d’une réelle quantification de la prostitution. Certaines évaluations reprises sans précaution proposent ainsi des estimations jusqu’à 40 fois supérieures aux données officielles, avec pour finalité première la mobilisation plus que la véracité [13]. Leur usage – souvent incontrôlé d’ailleurs – fait sens dans une stratégie militante ; ces estimations, invérifiables, exagérées, parfois aberrantes, ne peuvent pas être reprises comme fondement à des publications scientifiques.

12Ensuite, ces analyses des corps « violentés » par la mondialisation, des corps qu’on dit souffrants, torturés, violés, trafiqués pêchent par leur manque de corporéité… Nulle trace d’enquête ethnographique poussée, de connaissance localisée des enjeux de la prostitution, du quotidien de ces hommes et de ces femmes au nom desquels ces auteurs prennent des positions visibles et bruyantes. Peu ou pas d’extraits d’entretiens, de compréhension émique du commerce de la sexualité, de réflexions basées sur des données plus que sur des idées a priori… L’analyse du tourisme sexuel se réduit à une validation « sociologique » du sens commun, à une caution dite « experte » de ce que tout le monde sait : la prostitution est une forme de domination masculine, renforcée par la mondialisation. Mais ce constat ne fait pas l’analyse. La recherche a pour enjeu l’interrogation du monde social bien davantage que le commentaire pseudo-scientifique des problèmes sociaux du moment. Plus qu’une simple déclinaison moderne de la domination masculine, la prostitution dans le tourisme – autrement plus complexe que ne le laisse sous-entendre des prises de positions trop rapides – prend des formes culturelles et historiques spécifiques et interroge la nature même du désir, de la rencontre et de la confrontation d’individus inégalement dotés. Son analyse permet ainsi de penser en des termes originaux les transformations sociales engendrées par la mondialisation ; et le « tourisme sexuel » est ainsi un terrain fécond pour réfléchir aux articulations genre-classe-race qui préoccupent aujourd’hui nombre de chercheurs en sciences sociales. Mais encore faut-il prendre son objet au sérieux et le traiter avec la méthode et la rigueur nécessaires, sans céder aux sirènes alléchantes d’univers au sein desquels les positions moralistes se suffisent à elles-mêmes et se substituent à l’analyse et aux arguments construits.

13Mais comment comprendre la permanence du succès des analyses de F. Michel ou de R. Poulin ? Ces prises de position sont critiquées par l’expérience, la méthodologie est injustifiable, les données originales absentes et pourtant l’influence de ces positions moralistes perdure et leur visibilité demeure. Pour comprendre les raisons de cette résistance, l’éclairage historique est nécessaire ; il montre que ces prises de positions s’inscrivent aux marges du monde académique, à la frontière trouble que les sciences sociales ont parfois pu entretenir avec le monde militant. Or, cette proximité historique a pu se prolonger et continue encore aujourd’hui de produire ces effets en orientant la réflexion sur le « tourisme sexuel ».

Leçons d’histoire

14La Thaïlande, désignée (et souvent accusée…) principale « destination sexuelle », a fait l’objet d’une intense activité sociale : les discours sur les liens entre sexualité commerciale et industrie touristique se sont concentrés sur ce pays d’Asie du Sud-Est pour penser – et critiquer – le développement perçu des relations de prostitution. Les sciences sociales ne sont pas restées à l’écart du processus, participant au contraire à la définition même de la catégorie. Or, les liens qu’entretiennent les sciences sociales et leur objet sont complexes : des thématiques aussi sensibles que la prostitution des mineur·e·s, la maladie, la mort, la souffrance ou l’exploitation sexuelle, interrogent de manière aiguë les délicats rapports du chercheur à la morale et les tensions qui opposent science et engagement. Sans juger les productions scientifiques a posteriori, il est utile de les resituer dans leur contexte pour comprendre dans quelles dynamiques se sont inscrites les prises de position académiques sur la sexualité dans le tourisme [14].

La décennie 1980 ou la naissance d’un objet

15Les racines d’une analyse scientifique du « tourisme sexuel » sont à rechercher dans les sous-disciplines principalement préoccupées de son analyse : l’anthropologie et la sociologie du tourisme et la sociologie de la prostitution.

16Dès le milieu des années 1960, les anthropologues commencent à analyser l’influence du tourisme sur leur terrain respectif. Ces réflexions, souvent limitées par les impensés d’une condamnation morale de leur objet, concernent également la sexualité et la prostitution. Un auteur se distingue toutefois par la qualité de ses observations sur les liens entre tourisme et prostitution : Erik Cohen. En 1971, il publie l’une des premières analyses sur la spécificité de ces interactions à partir d’une étude menée à Jérusalem [15]. Dans les années 1980, ses enquêtes de terrain le conduisent en Thaïlande où il prolonge son analyse sur les conséquences sociales du développement de l’industrie touristique. Les questions de prostitution sont régulièrement abordées et Erik Cohen demeure le premier auteur à proposer une réflexion cohérente et scientifiquement étayée sur les liens complexes entre tourisme et sexualité commerciale [16]. Malgré ces travaux pionniers, la réflexion en sciences sociales sur le « tourisme sexuel » demeure limitée, en partie liée à l’illégitimité relative dont souffrent alors tant les études sur le tourisme que sur le genre. Dès 1983, Nelson Graburn – l’un des premiers spécialistes de l’anthropologie du tourisme – appelle pourtant à davantage de recherche sur le sujet [17] ; il n’est malheureusement pas entendu.

17En ce qui concerne l’intérêt des sociologues féministes [18] pour le « tourisme sexuel », il existe une proximité historique et politique objective entre univers scientifique et militant. La première critique politique du « tourisme sexuel » apparaît au début des années 1980 dans des cercles japonais anti-prostitution proches des mouvements chrétiens. Les premières mobilisations réunissent des femmes engagées dans la condamnation des relations sexuelles commerciales que les touristes japonais entretiennent avec des prostituées de Corée du Sud et du Sud-Est asiatique (Thaïlandaises et Philippines principalement). Si ce mouvement est à l’origine régional, les militantes asiatiques circulent [19] et communiquent avec les féministes universitaires occidentales [20] qui commencent à intégrer à leurs analyses une réflexion sur la prostitution dans le tourisme.

18Les premières contributions féministes à prétention scientifique réellement visibles partagent une même analyse du phénomène : cette forme de prostitution est une forme spécifique d’exploitation où les femmes sont victimes non seulement de la violence des inégalités de genre mais également de la permanence d’un rapport de domination impérialiste entretenu par l’industrie touristique. La Thaïlande, bien qu’étant le seul État du sud-est asiatique à n’avoir jamais été colonisé, devient, de par l’importance économique de son industrie touristique et la visibilité de son offre prostitutionnelle, l’incarnation de cette aliénation [21]. Il s’agit notamment de la thèse défendue par l’ouvrage de Cynthia Enloe : Bananas, Beaches and Bases[22]. Le livre dénonce avec virulence le lien existant entre infrastructures touristiques thaïlandaises et anciennes bases de R & R (rest and recreation) américaines utilisées durant la guerre du Vietnam. Cynthia Enloe réunit critique anti-impérialiste, critique féministe et critique anti-militariste, argument qu’elle développe régulièrement depuis. La parution de Bananas, Beaches and Bases marque un tournant dans la littérature sur le « tourisme sexuel ». Il ne s’agit plus d’une analyse du genre et de la prostitution en Thaïlande, thématiques qui avaient déjà donné lieu à quelques publications de la part de chercheurs-euses occidentaux·ales et thaïlandais·es [23], mais bien de la spécificité des relations de pouvoir et de domination qui s’exercent à travers la confrontation inégale que constitue la relation touristique.

19La mondialisation de la prostitution n’est pas une thématique nouvelle pour les féministes, notamment pour celles et ceux qui la dénoncent comme une forme insupportable d’exploitation et s’emploient à l’universalisation de sa condamnation [24]. Mais, à partir de l’ouvrage de Cynthia Enloe, le « tourisme sexuel » acquiert progressivement son autonomie. L’année suivante, la parution d’un livre critique de Thanh-Dan Truong (qui développe un article écrit sept ans plus tôt mais resté relativement confidentiel), ancre le sujet parmi les préoccupations sociales du moment [25]. Truong tente d’articuler analyse culturelle (en rappelant le rôle du bouddhisme dans la permanence d’inégalités genrées) et analyse matérialiste. La transformation de la prostitution en « travail sexuel » résulterait du développement internationalisé du capitalisme. Truong prolonge ainsi l’analyse d’Enloe en lui donnant une dimension supplémentaire : le tourisme, assis effectivement sur la présence américaine en Asie du Sud-Est durant la guerre du Vietnam, intègre progressivement le corps des femmes à un processus de « commodification » imposé par le développement du capitalisme.

Activités militantes et sentiment d’urgence

20Au début des années 1990, la conjonction d’un double phénomène transforme le traitement du « tourisme sexuel » : l’apparition du VH/sida et la condamnation de la prostitution pédophile. En Thaïlande, la prostitution devient une question politique centrale [26]. Le « tourisme sexuel » – thématique auparavant relativement peu considérée – inonde médias locaux et internationaux, altère la réputation du pays et suscite une multitude de prises de positions concurrentes parmi lesquels les discours scientifiques sont difficilement audibles.

21L’épidémie de sida transforme l’analyse académique de la prostitution dans le tourisme. Le premier cas de sida diagnostiqué en Thaïlande remonte à 1984, mais ce n’est qu’à partir de la fin des années 1980 qu’une véritable réponse politico-sanitaire se met en place, articulant dans un premier temps campagnes massives de prévention et de transformation des comportements sexuels [27]. Au début des années 1990, les estimations prévoient de 2 à 4 millions de Thaïlandais infectés en 2000 (soit entre 3 et 7 % de la population totale) [28]. Face à un sentiment d’urgence sanitaire, face à l’impératif d’une sauvegarde du corps social, les enjeux d’une parole scientifique sur la prostitution évoluent. Il ne s’agit plus de caractériser le « tourisme sexuel », ni même d’engager une réflexion politique sur l’usage commercial de la sexualité, mais bien davantage de quantifier le phénomène pour tenter de le contrôler.

22Les femmes prostituées – auparavant perçues comme les victimes malheureuses des inégalités internationales – sont soudainement désignées coupables de l’introduction du virus dans le pays [29]. Isolées comme « principal groupe à risque », elles sont désormais au centre de la politique thaïlandaise de lutte contre le sida. Il s’agit pourtant davantage de les recenser et de les localiser que de dénoncer la violence des inégalités de genre, de classe et de race qui les contraignent. Les principales publications contemporaines se rapprochent des analyses statistiques et épidémiologiques [30] ; la question de la détermination du nombre de prostituées oppose alors les différents observateurs dont les estimations peinent à s’accorder. Mais surtout, l’usage répété des statistiques tend à rigidifier la définition même des catégories en jeu. Les hommes et les femmes thaïlandais tirant bénéfice de leur sexualité sont engagés dans un continuum d’échanges économico-sexuels [31] particulièrement complexe : bien au-delà d’une prostitution qui se limiterait aux seules activités de bars spécialisés, les échanges sexuels commerciaux entretenus avec des étrangers sont diffus dans la société thaïlandaise. Or la nécessité soudaine d’une quantification – véritable technique de gouvernement – nie cette plasticité et réduit son analyse aux seul·e·s travailleurs·euses salarié·e·s, visibles, distincts donc comptabilisables, qui se retrouvent soudainement encadré·e·s par une multitude de dispositions spécifiques.

23Parallèlement au développement d’une prise en charge de la prostitution motivée par nécessité sanitaire, un mouvement d’indignation international commence à s’organiser pour lutter contre le tourisme sexuel impliquant des enfants (ou TSIE). À la fin des années 1980, dans un contexte marqué par une sensibilité nouvelle quant à la protection des mineurs, l’impératif d’une lutte contre la pédophilie s’exporte dans l’espace féministe. Dès lors, la condamnation du « tourisme sexuel » se réduit rapidement à l’une de ses expressions considérées comme la plus révoltante. Les prises de position se multiplient et les sentiments d’horreur et d’indignation face aux actes pédophiles brouillent la spécificité du discours scientifique tout en limitant sa portée et sa visibilité. Les sciences sociales se retrouvent rapidement en concurrence avec une multitude de discours dont la virulence relègue l’analyse au second plan au profit d’une émotion où l’objectif affiché reste la mobilisation. Parmi ces derniers, citons notamment l’émergence d’un pôle amené à concurrencer directement les propos scientifiques : les discours dit « experts », rassemblés principalement autour de la campagne ECPAT (End Child Prostitution in Asian Tourism). ECPAT est une campagne lancée à Bangkok en 1990 par la réunion de militants féministes, d’activistes chrétiens engagés dans la moralisation du tourisme et d’experts de la prostitution. Ces agents ont un besoin objectif de données sur l’exploitation des mineurs et la campagne associe dès sa création des chercheurs en science sociales [32]. ECPAT est coordonné à l’origine par le révérend Ron O’Grady, un pasteur néo-zélandais de la Church of Christ, membre actif de la Christian Conference of Asia engagé contre le développement libéral et industriel du tourisme [33]. ECPAT favorise la réunion et la diffusion de données alarmistes sur l’exploitation sexuelle des enfants censées provoquer une « prise de conscience internationale ». L’objectif de la campagne est rapidement atteint et, en 1996, s’ouvre à Stockholm la 1re Conférence internationale contre l’exploitation sexuelle des enfants. Le succès fulgurant d’ECPAT est un phénomène social complexe à analyser que je ne développerai pas ici. Mais il s’avère que la légitimité de la mobilisation s’est construite en partie grâce à l’association de chercheurs en sciences sociales, soit en commandant directement des rapports d’expertise en préparation du congrès de 1996 [34], soit en les associant localement aux organisations en cours de développement.

24Au début des années 1990, les discours experts sont alors dominants. Qu’il s’agisse d’estimations pour la quantification des prostitué·e·s ou des études qui se succèdent pour dénoncer l’internationalisation de la pédophilie, nombre de prises de position concurrencent directement les analyses académiques qui perdent en visibilité. L’activité sociale qui s’accentue autour de la prostitution en Thaïlande favorise des publications commerciales destinées à un succès éditorial qui, à l’image par exemple des témoignages qui se succèdent, complexifient encore davantage l’espace [35]. Deux publications scientifiques émergent toutefois. Davantage préoccupées d’une caractérisation des pratiques, elles accordent toutes deux une large part aux spectacles de nudité qui ont fait la réputation des quartiers de Bangkok dédiés aux touristes occidentaux et notamment au premier d’entre eux : Patpong. L’écrit le plus académique est signé Lenore Manderson et paraît dans The Journal of Sex Research[36] ; l’auteur décrit des spectacles de nudité et s’appuie sur ses observations pour réfléchir à la spécificité du « tourisme sexuel ». Avec L. Manderson, la réflexion quitte l’analyse politique et s’appuie à nouveau sur le concret, le matériel et l’expérience. Mais sa diffusion restreinte a longtemps condamné l’article à un relatif anonymat… Arrêtons-nous plutôt sur l’ouvrage certainement resté le plus célèbre et le plus lu de tous les livres consacrés au tourisme sexuel en Thaïlande : le livre de Cléo Odzer, Patpong Sisters[37].

25Sans prétention purement scientifique – bien que le livre ait coïncidé avec la rédaction d’une thèse d’anthropologie au sujet très proche soutenue à la New School for Social Research de New York – Odzer défend le recours à la sexualité commerciale comme source potentielle de revenus légitimes. Sa personnalité particulière, son manque de méthode académique et le caractère hybride de l’ouvrage qu’elle a pu proposer (entre témoignage, autobiographie et enquête de terrain) lui ont déjà été reproché [38]. Ces critiques sont fondées et je n’y reviendrais pas. Mais l’intérêt de l’ouvrage est ailleurs. Tout d’abord, la méthode employée – d’inspiration ethnographique – apparaît novatrice et renouvelle le genre. À l’inverse des analyses de l’époque, Cléo Odzer écrit le « je » plus que le « elle·s », impliquant à nouveau la subjectivité du chercheur longtemps dissimulée derrière un consensus anti-prostitution alors dominant dans la pensée féministe. Mais surtout, elle prend directement le contre-point du paradigme dominant sur la prostitution dans le tourisme et refuse de considérer ces femmes comme victimes a priori. Elle re-problématise l’usage commercial de la sexualité ; en transformant ces femmes en acteurs maîtres de leurs destinées, elle interroge la prostitution et dépasse la seule morale pour politiser à nouveau les échanges sexuels commerciaux. Il ne s’agit plus de femmes victimes mais de véritable « entrepreneures », position certainement maladroite, caricaturale et naïve, mais position courageuse d’une femme sur les femmes [39], qui transforme le regard porté sur la prostitution dans le tourisme. Elle écrit ainsi :

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« Je ne cherche pas à glorifier la prostitution à Patpong. Cela reviendrait à défendre les institutions qui lui ont permis de se développer – la pauvreté de la majorité de la population thaïlandaise et les inégalités entre hommes et femmes. Mais pour moi, les prostituées n’en demeurent pas moins pionnières dans la promotion de l’autonomie féminine, en ayant su rompre avec le carcan des femmes passives et réprimées. De la même manière que les soldats engagés sur le champ de bataille sont dits braves et patriotes indépendamment des raisons de leur engagement (volontaires ou mobilisés), les prostituées thaïlandaises peuvent être qualifiées de pionnières dans leur refus de l’assujettissement des femmes. Elles s’accordent un peu d’égoïsme et de plaisir que la culture Thaï leur aurait sinon nié. »[40]

27Que ces propos choquent ou convainquent, que sa méthode séduise ou irrite, Cléo Odzer n’en marque pas moins l’histoire de la pensée du « tourisme sexuel ». Ouvrage inabouti sur une multitude de plans (scientifique, méthodologique, théorique…) Patpong Sisters n’apparaît pas moins comme l’une des premières tentatives visant à se détacher d’une importation non contrôlée d’une condamnation de la prostitution dans le champ scientifique. Cléo Odzer valorise ainsi une problématisation de la sexualité commerciale dans le tourisme indépendante des catégories mobilisées dans l’espace militant ; cette démarche sera approfondie avec succès depuis.

Perspectives contemporaines

28À partir du milieu des années 90, les contributions scientifiques sur le « tourisme sexuel » se multiplient, accélérées par le regain d’intérêt que provoquent tout à la fois sociologie du tourisme, sociologie de la sexualité et, bien sûr, anthropologie médicale. Deux terrains sont principalement étudiés par les chercheurs en sciences sociales : les Caraïbes et l’Asie du Sud-Est. La multiplication des contributions sur les Caraïbes s’explique principalement par la proximité entre ces îles touristiques et le continent nord-américain ; des publications importantes et originales sur la sexualité commerciale s’appuient ainsi sur des enquêtes menées en Haïti, à Cuba, en République Dominicaine, etc. [41]. Et, s’il est impossible de les développer, il importe de mentionner que la Thaïlande se voit progressivement départicularisée par la mondialisation des analyses sur le « tourisme sexuel ».

29En ce qui concerne l’Asie du Sud-Est, et plus particulièrement le cas thaïlandais, les analyses académiques sur la sexualité dans le tourisme se diversifient. D’une part, avec le renvoi progressif de la catégorie « tourisme sexuel » et de ses présupposés au monde militant, les analyses sur les représentations de la prostitution en Thaïlande se multiplient. Plutôt que de condamner les relations, les contributions cherchent à analyser les raisons qui les sous-tendent ; le désir, et notamment le désir des Occidentaux, devient l’un des objets de la recherche scientifique [42]. Des études géographiques et ethnographiques sont menées dans les principaux espaces de prostitution entre touristes et populations locales [43] ; les réflexions sensibles à la dimension culturelle des relations sexuelles commerciales se développent également [44]. Toutes ces perspectives se retrouvent dans analyse de la complexité des liens qui unissent les prostitué·e·s et leurs clients. Cette autonomie scientifique retrouvée, rendue possible par un rejet des catégories militantes, a des conséquences directes dans les rapports entre chercheurs et « entrepreneurs de morale » dont les discours deviennent parfois objet d’enquête [45], y compris lorsqu’ils touchent à l’enfance [46]. Parallèlement, les questions soulevées par l’analyse du « tourisme sexuel » s’exportent vers d’autres thématiques, les enrichissant d’un éclairage nouveau. Nationalisme et construction de la nation thaïlandaise, actualité des relations de genre et des questions sexuelles, processus de construction identitaire, autant de domaines pour lesquels l’analyse de la sexualité commerciale apparaît aujourd’hui particulièrement heuristique [47].

30Mais si les analyses scientifiques du « tourisme sexuel » sont aujourd’hui diversifiées, comment comprendre la permanence de prises de positions moralistes sur la sexualité dans le tourisme ? Car la production de F. Michel et de R. Poulin apparaissent en rupture avec la dynamique scientifique qui tend à complexifier toujours davantage l’appréhension des questions sexuelles et les transformations de la prostitution mondialisée. Ces contributions discutables prolongent en réalité un moment particulier de l’histoire du « tourisme sexuel » où publications militantes et publications universitaires se sont trouvées mêlées. La particularité des publications moralistes contemporaines réside dans leur temporalité ; ces écrits indignés sont récents et apparaissent plus d’une dizaine d’année après le tournant du début des années 1990 où l’analyse académique de la prostitution dans le tourisme s’est autonomisée des demandes militantes. Or, ce décalage permet paradoxalement aux auteurs de donner à lire ce que le lecteur croit savoir. Et leur indignation s’avère d’autant plus virulente qu’elle trouve pour écho un sens commun réducteur que certaines recherches en sciences sociales ont pu – dans un contexte particulier – participer à définir. Une analyse biographique plus poussée permettrait certainement de révéler l’intérêt stratégique de tels positionnements. Le succès éditorial dont ils se prévalent permet en effet, dans certains univers périphériques, de renforcer une faible légitimité scientifique. Le succès médiatique, la visibilité ou une certaine publicité peuvent se convertir en reconnaissance scientifique marginale. Mais si leurs prises de position peuvent avoir un intérêt stratégique objectif, elles n’éclairent pas scientifiquement la réalité des échanges prostitutionnels. En ramenant systématiquement la réflexion sur la prostitution à un positionnement politique quant à l’usage du corps, ces prises de position manquent la réalité concrète de ce qui se joue entre les prostitué·e·s et leurs clients. Pourtant, derrière l’écran du commerce prostitutionnel et des antagonismes qu’il provoque, l’analyse du « tourisme sexuel » révèle des dynamiques sociales particulièrement riches pour qui s’intéresse aux processus contemporains : construction du désir, de l’interdit, possibilité de rencontres inégales, définition d’une morale internationale, construction de l’altérité, etc. La réflexion scientifique sur ces thématiques porteuses est déjà en cours et même si elle demeure incomplète, elle apporte un éclairage nouveau sur la mondialisation. Certains écrits moralistes nient pourtant cette dynamique et continuent de rencontrer le succès en confortant les représentations de sens commun. Reste alors à transformer ces représentations en valorisant davantage des analyses scientifiques sérieuses et montrer ainsi, au-delà des seuls cercles académiques, que le monde social est complexe, y compris – et peut-être surtout – dans sa dimension sexuelle.

Notes

  • [1]
    Franck Michel, « Vers un tourisme sexuel de masse ? », Le Monde Diplomatique, août 2006.
  • [2]
    Idem.
  • [3]
    À Patpong, l’un des quartiers rouges de Bangkok.
  • [4]
    Nous ne reviendrons pas sur les critères qui accordent un caractère de scientificité aux différentes contributions ni sur les règles du champ académique. Voir notamment : Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité. Cours du Collège de France 2000-2001, Paris : Raisons d’agir, 2002.
  • [5]
    Franck Michel, Tourismes et changements socio-culturels en Asie du Sud-Est : le cas des Toraja Sa’Dan à Sulawesi-Sud en Indonésie, Université Marc Bloch/Strasbourg II, 1996.
  • [6]
    Franck Michel, « Le tourisme sexuel en Asie : du cauchemar à l’horreur », in F. Michel (éd.), Tourismes, touristes, sociétés, Paris : L’Harmattan, 1998, pp. 207-234.
  • [7]
    Franck Michel est d’ailleurs devenu directeur de la collection.
  • [8]
    http:// www. aidetous. org. Franck Michel a d’ailleurs publié en 2001 dans le bulletin de l’association : « Sexe, tourisme et misère en Thaïlande », Bulletin Aidétous, Vol. 5, 2001, pp. 11-14.
  • [9]
    Ses principales publications sont : Franck Michel, Planète Sexe. Tourismes sexuels, marchandisation et déshumanisation des corps, Paris : Homnisphères, 2006 ; Franck Michel, Voyage au bout du sexe. Trafics et tourismes sexuels en Asie et ailleurs, Québec : Presses Universitaires de Laval, 2006 ; Franck Michel, « Le tourisme sexuel en Thaïlande : une prostitution entre misère et mondialisation », Téoros, Vol. 22, N° 1, 2003, pp. 22-28 ; Franck Michel, « Tourisme sexuel et misère de la mondialisation en Thaïlande », in R. Amirou et al. (éds), Tourisme et souci de l’autre. En hommage à Georges Cazes, Paris : L’Harmattan, 2005, pp. 145-168.
  • [10]
    Ce jeu de citations/co-citations permet de renforcer la légitimité des auteurs en conférant à leur propos l’aspect formel de la scientificité. L’intérêt mutuel d’une telle entreprise est bien compris par ces agents qui jouent le jeu de la co-citation et qui en tirent des bénéfices symboliques réels, valables auprès des agents non-spécialistes du sujet sensibilisés par la dimension morale de leurs écrits.
  • [11]
    Richard Poulin, La mondialisation des industries du sexe, Paris : Imago, 2005 ; Richard Poulin, Enfances dévastées. L’enfer de la prostitution (tome 1), Ottawa : L’Interligne, 2007.
  • [12]
    Lilian Mathieu, La condition prostituée, Paris : Textuel, 2007, pp. 24-31.
  • [13]
    Sur l’enjeu de l’évaluation du « nombre réel de victimes », voir Pasuk Phongpaichit, Sungsidh Piriyarangsan et Nualnoi Treerat, Guns, Girls, Gambling, Ganja. Thailand’s Illegal Economy and Public Policy, Chiang Mai : Silkworm Books, 2000 (1re édition : 1998).
  • [14]
    Il ne s’agit pas de prétendre à l’exhaustivité. Des choix ont été opérés parmi la multitude de contributions, indépendamment d’ailleurs de leur qualité. Et c’est davantage les ouvrages considérés comme les plus marquants qui ont été mobilisés, afin de rendre intelligible la dynamique de l’analyse scientifique du « tourisme sexuel » et de ses enjeux.
  • [15]
    Erik Cohen, « Arab Boys and Tourist Girls in a Mixed Jewish-Arab Community », International Journal of Comparative Sociology, Vol. 12, N° 1971, pp. 217-233. Un autre article sera écrit quelques années plus tard sur les liens entre tourisme et prostitution à Jérusalem par Glenn Bowman. Bowman n’a pas poursuivi ses recherches sur le sujet, et cette contribution reste relativement isolée dans sa bibliographie : Glenn Bowman, « Fucking Tourists. Sexual Relations and Tourism in Jerusalem Old City », Critique of Anthropology, Vol. 9, N° 2, 1989, pp. 77-93.
  • [16]
    Ses principales publications sur le tourisme en Thaïlande ont été réunies : Erik Cohen, Thai Tourism. Hill Tribes, Islands and Open-ended Prostitution, Bangkok : White Lotus, 2001 (1re édition 1996).
  • [17]
    Nelson Graburn, « Tourism and Prostitution », Annals of Tourism Research, Vol. 10, N° 3, 1983, pp. 437-443.
  • [18]
    Le terme féministe est un terme complexe dont l’usage est ici général ; est entendu comme féministe toute analyse consciente des inégalités de genre qui structurent les rapports sociaux, indépendamment des considérations sur leurs origines ou des réflexions politiques qui en découlent.
  • [19]
    Influencés par ces militantes japonaises, le mouvement philippin Third World Movement Against the Exploitation of Women (TW-MAE-W) s’organise en 1980, au lendemain de la Conférence de l’Organisation Mondiale du Tourisme à Manille. Le TW-MAE-W lance alors une campagne visant à dénoncer la prostitution pour les clients japonais à l’occasion d’une visite du Premier ministre nippon Zenko Suzuki dans les pays de l’ASEAN en 1981. Cette mobilisation marque le début des campagnes contre les sex-tours.
  • [20]
    Les lieux de rencontre sont divers. L’un des moments primordiaux dans la constitution et la mise en circulation d’une réflexion mondialisée sur la prostitution demeure la tenue en 1983 à Rotterdam de l’atelier féministe international contre la traite des femmes : Gail Pheterson, A Vindication of the Rights of Whores, Seattle : Seal Press, 1989.
  • [21]
    La présence d’ONG engagées dans la condamnation de la prostitution et l’existence de relais locaux à l’indignation régionale qui s’organise participe également de la concentration de l’attention sociale sur le cas thaïlandais : Sébastien Roux, « Importer pour exister. Empower et le travail sexuel en Thaïlande », Lien social et politique, Vol. 58, 2007, pp. 145-154.
  • [22]
    Cynthia Enloe, Bananas, Beaches and Bases : Making Feminist Sense of International Politics, Berkeley : University of California Press, 1989.
  • [23]
    Voir notamment : Sukanya Hantrakul, Prostitution in Thailand, Melbourne : Monash University, 1983 ; Charles Keyes, « Mother or Mistress but Never a Monk. Buddhist Notions of Female Gender in Rural Thailand », American Ethnologist, Vol. 11, N° 2, 1984, pp. 223-241 ; Thitsa Khin, Providence and Prostitution. Image and Reality for Women in Buddhist Thailand, Londres : Change International Report, 1980 ; Pasuk Phongpaichit, From Peasant Girls to Bangkok Masseuses, Genève : BIT, 1982 ; Siriporn Skrobanek, The Transnational Sex-Exploitation of Thai Women, Bangkok : IAS, Chulalongkorn University, 1983.
  • [24]
    Dans la lignée notamment de Kathleen Barry, L’esclavage sexuel de la femme, Paris : Stock, 1982 (1re édition 1979).
  • [25]
    Thanh-Dam Truong, « The Dynamics of Sex Tourism : the Case of Southeast Asia », Development and Change, Vol. 14, N° 4, 1983, pp. 533-553 ; Thanh-Dam Truong, Sex, Money and Morality : Prostitution and Tourism in Southeast Asia, Londres : Zed Books, 1990.
  • [26]
    Leslie Ann Jeffrey, Sex and Borders. Gender, National Identity, and Prostitution Policy in Thailand, Chiang Mai : Silkworm Books, 2002.
  • [27]
    Graham Fordham, A New Look at Thai Aids : Perspectives from the Margin, New York : Berghahn Books, 2005.
  • [28]
    Chris Lyttleton, Endangered Relations. Negotiating Sex and AIDS in Thailand, Bangkok : White Lotus, 2000. À titre de comparaison, selon l’ONUSIDA, le nombre de personnes vivant avec le sida en 2005 en Thaïlande s’établissait « seulement » à 580 000 (Rapport sur l’épidémie mondiale de sida 2006, Genève : ONUSIDA, 2006).
  • [29]
    Ce processus d’accusation des victimes a été finement analysé par Paul Farmer dans son étude sur le sida en Haïti. Cf. Paul Farmer, Sida en Haïti. La victime accusée, Paris : Karthala, 1996 (1re édition 1992).
  • [30]
    Voir par exemple : Wathinee Boonchalaski et Philip Guest, Prostitution in Thailand, Bangkok : Institute for Population and Social Research – Mahidol University, 1994 ; Veerasit Sittirai et Tim Brown, Female Commercial Sex Workers in Thailand : A Preliminary Report, Bangkok : Thai Red Cross Society, 1991.
  • [31]
    L’expression est empruntée à Paola Tabet, La grande arnaque. Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, Paris : L’Harmattan, 2005.
  • [32]
    Les actes du colloque ont été publiés, avec la liste des participants. Cf. Caught in Modern Slavery : Tourism and Child Prostitution in Asia, Bangkok : ECTWT, 1991.
  • [33]
    Ron O’Grady a beaucoup publié sur la question. Voir notamment : Ron O’Grady, Third World Stopover : the Tourism Debate, Genève : World Council of Churches, 1981 ; Ron O’Grady, The Child and The Tourist : The Story Behind the Escalation of Child Prostitution in Asia. The Rape of the Innocent, Bangkok-Auckland : ECPAT/Pace Publishing, 1992 ; Ron O’Grady, The Threat of Tourism : Challenge to the Church, Genève : World Council of Churches, 2006.
  • [34]
    Par exemple, les chercheuses Julia O’Connell Davidson et Jacqueline Sanchez Taylor ont préparé les sept rapports préparatoires au Congrès de Stockholm, concernant le tourisme sexuel au Costa Rica, à Cuba, en République Dominicaine, à Goa, en Afrique du Sud, en Thaïlande et au Venezuela. Ces chercheuses travaillaient alors à l’Université de Leicester au Royaume-Uni, au sein du département de sociologie. Les deux femmes ont régulièrement publiés sur la prostitution dans le tourisme.
  • [35]
    Voir, à titre d’exemple, et dans des registres diamétralement opposés : Marie-France Botte et Jean-Pierre Mari, Le prix d’un enfant. 4 ans dans l’enfer de la prostitution à Bangkok, Paris : Robert Laffont, 1993 (1re édition 1992) ; Dave Walker et Richard Ehrlich, « Hello my big big Honey ! » Love Letters to Bangkok Bar Girls and Their Revealing Interviews, Bangkok : Dragon Dance Publications, 1992.
  • [36]
    Lenore Manderson, « Public Sex Performances in Patpong and Explorations of the Edge of Imagination », Journal of Sex Research, Vol. 29, N° 4, 1992, pp. 451-475.
  • [37]
    Cleo Odzer, Patpong Sisters. An American Woman’s View of the Bangkok Sex World, New York : Arcade Publishing, 1994.
  • [38]
    Ryan Bishop et Lilian Robinson, « Genealogies of Exotic Desire : The Thai Night Market in the Western Imagination », in P. Jackson et N. Cook (éds), Genders and Sexualities in Modern Thailand, Chiang Mai : Silkworm Books, 2004, pp. 192-205.
  • [39]
    Le sexe de l’auteur est important dans la compréhension de l’histoire des écrits féministes, les arguments des hommes ayant parfois été réduits au reflet – aveuglant… – de leur condition.
  • [40]
    « It is not my intention to glorify Patpong prostitution. To do so would be to exalt the institutions that give rise to it – the poverty of much of the Thai populace and the inequality between Thai males and females. Nonetheless, to me, prostitutes are pioneers in advancing women’s autonomy by breaking from the mold of suppressed and passive females. In the same way that soldiers striding into battles are called brave and patriotic regardless of whether they enlisted or were drafted by the government, Thai prostitutes can be called pioneers in defying women’s subjugation. They allow themselves this little bit of selfishness and self-indulgence, which Thai culture otherwise denies them » (Cléo Odzer, op. cit., p. 309).
  • [41]
    Voir par exemple : Denise Brennan, What’s Love Got to Do With It ? Transnational Desires and Sex Tourism in the Dominican Republic, Durham : Duke University Press, 2004 ; Kamala Kempadoo, Sun, Sex and Gold : Tourism and Sex Work in the Caribbean, New York : Rowman & Littlefield Publishers, 1999.
  • [42]
    Lenore Manderson, « Paraboles of Imperialism and Fantasies of the Exotic : Western Representations of Thailand », in L. Manderson et M. Jolly (éd.), Sites of Desires, Economies of Pleasure. Sexualities in Asia and the Pacific, Chicago: University of Chicago Press, 1997.
  • [43]
    Marc Askew, Bangkok. Place, Practice and Representation, New York : Routledge, 2002 ; Ryan Bishop et Lilian Robinson, Night Market : Sexual Cultures and the Thai Economic Miracle, New York: Routledge, 1998.
  • [44]
    Laura Maria Agustin, « Introduction to the Cultural Study of Commercial Sex : Guest Editor», Sexualities, Vol. 10, N° 4, 2007, pp. 403-407 ; Bernard Formoso, « Corps étrangers. Tourisme et prostitution en Thaïlande », Anthropologie et sociétés, Vol. 25, N° 2, 2001, pp. 55-70.
  • [45]
    Lisa Law, Sex Work in Southeast Asia : The Place of Desire in a Time of AIDS, New York: Routledge, 2000.
  • [46]
    Heather Montgomery, Modern Babylon ? Prostituting Children in Thailand, New York : Berghahn Books, 2001.
  • [47]
    Voir notamment: Peter Jackson et Nerida Cook (éds), Genders and Sexualities in Modern Thailand, Chiang Mai : Silkworm Books, 2004.
Français

Résumé

Le « tourisme sexuel » a suscité une forte indignation du milieu des années 1980 à la fin des années 1990. La Thaïlande, au cœur du processus de construction de ce nouvel intolérable, a fait l’objet d’une intense activité sociale. Les discours sur la sexualité commerciale dans le tourisme se sont concentrés sur ce pays d’Asie du Sud-Est pour penser – et critiquer – le développement perçu des relations de prostitution. Les sciences sociales ne sont pas restées à l’écart du processus, au contraire. Or la dimension politique et morale de l’objet interroge directement la pertinence du discours scientifique. Pourtant l’analyse de la prostitution dans le tourisme, trop souvent éclipsée par la visibilité du discours militant, mérite d’être défendue. En renouvelant le traitement social des questions sexuelles, elle permet de déplacer des interrogations et des questionnements sinon prisonniers de l’émotion et favorise une meilleure compréhension des enjeux politiques de la mondialisation de la prostitution. L’article, tout en contribuant à une histoire des sciences sociales, vise donc à donner au lecteur quelques repères dans la multitude de contributions qui se sont succédé.

Sébastien Roux
Sébastien Roux est ATER à l’Université Paris XIII. Doctorant à l’Iris (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux, CNRS-Inserm-EHESS-Université Paris XIII), il mène actuellement une thèse sur l’encadrement de la sexualité commerciale à travers une analyse du tourisme sexuel en Thaïlande. Il s’intéresse plus particulièrement aux conséquences locales de la circulation internationale des normes morales et sexuelles.
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/06/2009
https://doi.org/10.3917/aco.061.0028
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