L’œuvre constitue en elle-même le terme du processus de création. Elle s’autonomise et prend une vie propre, indépendante de son auteur. C’est pour cette raison notamment que nombre d’artistes renâclent à parachever le travail, trouvent toujours un ajout, une retouche, encore quelque chose pour venir rendre le résultat plus beau, plus admirable, en fait pour ne pas affronter l’instant crucial de la séparation. Le moment où l’écrivain donne son texte à l’éditeur, où le peintre confie sa toile au galeriste, où le compositeur offre au copiste ses partitions, ce moment est redouté, comme s’il ruinait, en un instant, l’ensemble des bénéfices narcissiques secondement acquis au cours du travail créateur : le créateur se retrouve seul, face à sa nudité première. Il sait pourtant qu’il ne peut perpétuer indéfiniment un lien qui s’incestualise, ni laisser perdurer une relation fusionnelle qui le conduirait à la folie, comme le fait le peintre que Balzac met en scène dans le Chef-d’œuvre inachevé. Inachevée, l’œuvre ne peut le rester sans risque de détruire son propre créateur. L’auteur se détache de sa créature, lui accorde une vie propre, à partir de l’instant où il lui confère un nom. Nommer l’œuvre est un acte de différenciation, avant même d’être une attribution de sens. L’œuvre ainsi réalisée, c’est-à-dire passée dans le domaine public, l’œuvre accessible à l’autre, a besoin de cette externalisation pour libérer son auteur de ce qu’il a précisément déposé en elle et qu’il lui était nécessaire de dépasser, pour qu’un authentique travail sublimatoire soit effectué, à partir des affects et des motions pulsionnelles mises en jeu (Mijolla-Mellor S…