Même si les cultures varient quant à ce qui peut déclencher le dégoût, cette variation a ses limites : le dégoûtant implique toujours quelque chose de vivant, ou qui était encore en vie il y a relativement peu de temps, et qui est devenu l’abri ou la nourriture d’autres êtres vivants affamés. Son monde est organique. Certaines cultures jugent la salive plus polluante que la matière fécale, pour d’autres c’est le sang menstruel plus que le sperme, ou les cadavres plus que le placenta ; les unes apprécient la consommation de sauterelles, alors que les autres refusent toute chair animale comme répugnante. Mais aucune culture n’exempte du pouvoir transformateur du dégoût toutes les émissions corporelles ou toutes les calories nutritives.
Le dégoût semble naître de certaines de nos plus profondes ambivalences face à la vie même, et il en motive sans doute quelques-unes. Il plane avec insistance au-dessus des processus vitaux malpropres : procréation sexuelle, maturation, mastication et ingestion, excrétion, menstruation, transpiration, maladie, pus, mort, pourriture, et renaissance sous la forme d’asticots et de vers. Nous suintons, nous nous répandons, nous sécrétons, nous nous desquamons, nous émettons rots et pets, nous toussons, crachons, expectorons ou avalons du mucus. Les processus vitaux, le durcissement du visqueux en solides mous, qui se retransforment à leur tour en liquides épais, le flux continu et la lente évolution des formes, la turbidité fétide et féconde de la soupe de la vie, tout cela suggère l’écume d’un marécage plutôt que la dignité humaine ou la nudité épilée d’un mannequin…