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1Le 4 août 1916 [1], dans une lettre à son compagnon Rudolf Rocker, Milly Witkop [2] formulait ce commentaire sarcastique sur le sort de leur famille depuis le début de la Première Guerre mondiale : « Quelle glorieuse famille nous formons, n’est-ce pas, mon chéri ? Le père et l’un des fils dans un camp, la mère en prison, seul le petit dernier est encore un homme libre [3]. » En effet, cette famille de migrants et de militants anarchistes avait été peu à peu divisée par la gamme croissante de restrictions que le gouvernement britannique imposait aux ressortissants étrangers en temps de guerre. Réfugié politique allemand, Rocker avait été interné en décembre 1914 en tant qu’« étranger ennemi », sort que devait ensuite partager son fils aîné, également prénommé Rudolf [4]. Witkop, Juive russe, fut arrêtée en 1916 parce qu’elle faisait campagne contre la conscription qui allait frapper les autres émigrés russes [5]. Le « petit dernier », Fermin, âgé de 8 ans, fils de Rocker et de Witkop, né citoyen britannique, fut alors confié à des amis et à des parents, jusqu’à ce que la famille, présente en Grande-Bretagne depuis le milieu des années 1890, puisse finalement emménager aux Pays-Bas à la fin du conflit.

2Retracer la formation, la séparation et la déportation de la famille Rocker-Witkop permet de mieux comprendre les dernières années de l’approche ouverte du droit d’asile et d’immigration qui caractérisa la Grande-Bretagne pendant l’essentiel du xixe siècle. L’Allemand Rocker et la Russe Witkop représentent les deux principales minorités étrangères dans la Grande-Bretagne de la fin du siècle [6]. Ils font aussi partie de la dernière génération à avoir bénéficié de ce droit d’asile que beaucoup considéraient comme faisant partie intégrante de la vénérable constitution britannique, et qui garantissait effectivement à tous les ressortissants étrangers la possibilité d’entrer dans le pays, d’y résider pour une durée indéterminée et d’y exercer toute activité ne contrevenant pas au droit britannique [7]. Londres était l’une des rares villes européennes où pouvaient se réfugier Rocker et Witkop, qui fuyaient les persécutions dont les anarchistes faisaient l’objet dans toute l’Europe, ainsi que la terrible pauvreté à laquelle la Russie tsariste condamnait l’essentiel de sa population juive. Ils se rencontrèrent au sein des différents milieux sociaux où se côtoyaient les réfugiés internationaux de la capitale ; leur liaison et la famille qui en résulta étaient donc le produit direct du droit d’asile britannique et des relations cosmopolites dont Londres était le creuset au tournant du siècle.

3Cependant, en tant qu’anarchistes, et comme Witkop travailla d’abord dans les les ateliers de couture insalubres de l’East End, ils comptaient parmi les immigrés les plus controversés de cette époque, ceux dont la présence contribua à éroder le soutien apporté au droit d’asile. Dans les années 1890, l’arrivée de réfugiés anarchistes inquiétait beaucoup de gens qu’horrifiaient les actes violents de « propagande par les faits » alors commis par certains anarchistes à travers l’Europe ; en réaction, une hostilité se développa à l’encontre des immigrés – majoritairement juifs – qui arrivaient d’Europe de l’Est depuis 1880 et dont le total s’élevait à environ 150 000 en 1914 [8]. Les appels à l’exclusion des deux groupes échouèrent dans les années 1890 mais, en 1905, l’Aliens Act introduisit des contrôles aux frontières et permit aux agents d’immigration nouvellement créés de refuser l’entrée aux étrangers « indésirables ». Ceux que les agents d’immigration jugeaient vraisemblablement incapables de gagner leur vie « honnêtement » pouvaient être refoulés, mais un immigré adulte pouvait bénéficier d’une certaine indulgence s’il avait une femme ou des enfants susceptibles de souffrir de ce rejet, ou s’il avait un réseau d’amis et de parents déjà établis en Grande-Bretagne. Cette législation a souvent été traitée par les historiens comme la fin de l’ouverture qui caractérisa l’époque victorienne. Même si ce texte ne s’appliquait pas à ceux qui fuyaient les persécutions politiques ou religieuses, la possibilité pour ces réfugiés d’entrer en Grande-Bretagne n’était plus automatique mais était « sujette à la discrétion » des autorités [9]. Sous la pression des militants anti-immigrés, cette discrétion s’exerçait avec parcimonie, et de moins en moins de réfugiés purent effectivement entrer dans le pays [10]. Néanmoins, beaucoup affirmaient alors qu’en vertu de cette clause, l’Aliens Act codifiait le droit d’asile plutôt qu’il ne le limitait [11]. De plus, les immigrés déjà présents sur le sol britannique n’étaient guère concernés par ce nouveau texte et, des années plus tard, Rocker considérait encore la Grande-Bretagne d’avant la guerre comme « le seul pays où les réfugiés politiques jouissaient réellement du droit d’asile [12] ». C’est précisément durant ces premières années du xxe siècle que la famille Rocker-Witkop s’imposa sur la scène anarchiste londonienne et dans l’East End juif, en éditant le journal Arbeter Fraint (L’Ami du travailleur [13]), en dirigeant un club dans Jubilee Street, qui proposait activités éducatives et divertissements, et en soutenant et en animant l’activité syndicale.

4Par contraste, le démantèlement de la famille Rocker-Witkop pendant la Première Guerre mondiale, et le chemin tortueux qui permit leurs retrouvailles illustrent la manière dont le droit d’asile fut inégalement retiré à plusieurs milliers de personnes qui en jouissaient depuis des décennies. Cette fermeture de l’asile affecta chacun des membres de la famille de façon différente, essentiellement selon sa nationalité, son sexe, son âge et son statut marital. Leur déportation en 1918 et 1919 coïncida avec une forte augmentation des restrictions juridiques et de la xénophobie au sein de l’opinion publique, ce qui se traduisit par le départ forcé de milliers d’autres ressortissants étrangers ; « le droit d’asile pour les réfugiés politiques, noble tradition qui rendait l’Angleterre si chère aux plus grands hommes de ce monde », devint l’une des nombreuses libertés à être « brutalement piétinées » par la guerre [14]. Bref, cette famille, bien qu’atypique, offre à elle seule un microcosme des voies complexes par lesquelles l’ouverture qui prévalait encore à la fin de l’époque victorienne fut définitivement abolie et remplacée par un « restrictionnisme » qui devait dominer la politique migratoire britannique pendant la majeure partie des xxe et xxie siècles.

Fig. 1. « Rudolf Rocker et son épouse Millie, entre les années 1890 et 1914 ».

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Fig. 1. « Rudolf Rocker et son épouse Millie, entre les années 1890 et 1914 ».

Manchester Archives and Libraries, GB124.DPA/3097/1.

Arrivées

5Née le 1er mars 1877 à Zlatopil en Ukraine, Milly Witkop était la fille de parents juifs dont la vie se déroulait essentiellement à l’intérieur du shtetl local. Juifs orthodoxes ne parlant que le yiddish, son père était tailleur et travaillait pour les propriétaires terriens de la région, tandis que sa mère était connue pour ses œuvres de charité religieuse. Milly et ses trois sœurs cadettes, Polly, Fanny et Rose, avaient grandi dans la pauvreté ; durant l’une de leurs nombreuses périodes difficiles, elle avait émigré seule vers Londres. Probablement attirée par cette ville du fait de sa nombreuse communauté juive russe en pleine expansion, par la possibilité que lui offrait la capitale de trouver un emploi occasionnel et peu qualifié, et par l’absence de restrictions à l’immigration en Grande-Bretagne, Witkop espérait gagner assez pour que le reste de sa famille la rejoigne [15]. On peut donc voir en elle une migrante économique plutôt qu’une réfugiée purement religieuse, même si la frontière entre ces deux catégories était poreuse dans les faits comme dans les discours, étant donné les restrictions imposées à la vie économique juive en Russie.

6À son arrivée à Londres en 1894 [16], Witkop devint membre d’une minorité russe en plein essor, qui passa de 27 742 personnes en 1891 à 53 537 en 1901. Elle trouva du travail comme couturière dans l’important secteur de la confection de l’East End [17]. Ce secteur était alors dominé par le sweating-system, qui sous-traitaient souvent une partie des commandes, avec de longues heures de travail, des salaires bas et des conditions insalubres. Ces pratiques devinrent bientôt la cible des sociétés « anti-étrangers » et de polémistes « restrictionnistes » comme Arnold White et W.H. Wilkins, pour qui l’augmentation du nombre d’immigrés ferait chuter les salaires locaux et saturerait l’offre en matière de logement [18]. À Londres, Witkop fut radicalisée par la découverte de ce système et, exposée à toutes sortes d’idées nouvelles, elle abandonna bientôt la foi religieuse qu’elle avait partagée avec ses parents [19]. En septembre 1894, elle fut confrontée à une grève locale des boulangers, qui l’initia au monde du militantisme de gauche de l’East End juif [20]. Après avoir assisté aux meetings anarchistes organisés au Sugar Loaf, un pub de Hanbury Street, elle rejoignit le cercle rattaché au journal Arbeter Fraint, périodique en yiddish fondé en 1885 qui avait embrassé l’anarchisme en 1892 [21]. Ce courant politique était alors en passe de devenir une force majeure dans l’East End juif, où il rencontrait un vif succès, plus encore que dans les autres quartiers de Londres. Cela tenait à l’influence des mouvements anarchistes dans certaines régions de la Russie, à l’intense mobilisation des anarchistes locaux contre le système des atelies insalubres, et aux possibilités pratiques qu’offraient les écoles et syndicats anarchistes [22]. Le coût élevé de la naturalisation, 5 livres sterling après 1870, puis 7 livres à partir de 1911, était hors de portée pour la plupart des immigrés juifs, dont les revenus étaient en général irréguliers. On estime que le salaire dans la confection se situait entre 3 et 9 shillings par jour. Selon Rocker, cela rendait l’action prônée par les anarchistes plus attirante que la politique parlementaire sur laquelle, en tant que non-citoyens, les immigrés juifs n’avaient aucune influence [23]. Witkop devint l’un des piliers du groupe d’Arbeter Fraint et elle noua des relations avec des anarchistes du West End, participant à « toutes les grandes manifestations internationales qui avaient lieu à Londres », comme Rocker l’écrivit par la suite. En 1897, elle fut enfin en mesure de financer le voyage de sa famille jusqu’à Londres. Désormais, les Witkop vivaient à six dans un logement de l’East End mais, comme on pouvait s’y attendre, les parents furent surpris et horrifiés par la transformation intellectuelle de leur fille aînée. Ces tensions furent encore exacerbées quand Polly, Fanny et Rose renoncèrent elles aussi à leur foi religieuse au profit d’opinions politiques radicales [24]. La même année, une rupture quasi-totale se produisit quand une liaison amoureuse vint unir Witkop à Rocker, anarchiste et non-juif.

7Rudolf Rocker était né le 25 mars 1873 à Mayence, sur le Rhin. Orphelin à 14 ans, il fut mis en apprentissage chez un relieur, profession associée de longue date au radicalisme en Europe, et grâce à laquelle Rocker fut initié par son oncle Carl Naumann au monde de la littérature et à celui de la politique de gauche. Rocker adhéra en 1890 au Parti social-démocrate allemand, mais deux facteurs lui paraissaient particulièrement déplaisants : la rigidité idéologique du parti, et une gouvernance autoritaire. Avec plusieurs autres jeunes membres, il fut exclu du parti avant la fin de l’année. En 1891, il se rendit au Congrès socialiste international de Bruxelles, au nom de son syndicat de relieurs, et il y découvrit un large éventail d’idées et d’écrits anarchistes, principalement les œuvres de Pierre Kropotkine. Grâce aux contacts noués à Bruxelles, il put introduire en contrebande de la littérature interdite à Mayence, où il fonda un cercle anarchiste qui fut démantelé par la police un an plus tard. Craignant d’être arrêté et sachant que son vingtième anniversaire le rendrait susceptible d’être appelé pour la conscription, Rocker partit pour Paris en novembre 1892 [25].

8Par l’intermédiaire de la communauté allemande exilée à Paris, Rocker trouva du travail comme relieur, et il fut présenté à un groupe d’anarchistes juifs russes, installé boulevard Barbès. Parvenant à communiquer avec eux grâce aux ressemblances entre le yiddish et l’allemand, Rocker assistait régulièrement aux réunions du groupe et se mit à donner des conférences en allemand, dans un style oratoire accessible qu’il conserverait jusqu’à la fin de sa vie. Le 30 août 1893, sa compagne Charlotte, partie d’Allemagne en même temps que lui mais dont on ignore encore à peu près tout, donna naissance à un fils, également prénommé Rudolf [26]. Mais leur séjour en France fut de courte durée car les « lois scélérates » furent votées en 1894. En réaction aux récents actes de violence anarchiste, notamment l’assassinat du président Sadi Carnot, ces mesures répressives interdisaient la détention de propagande anarchiste et la participation à des débats anarchistes, ce qui précipita les cercles politiques auxquels appartenait Rocker dans la clandestinité. Il se tourna alors vers Londres, où existaient une forte population allemande et une communauté anarchiste active [27]. Par ailleurs, la Grande-Bretagne n’avait aucune loi encadrant l’anarchisme en soi, même si certains avaient été extradés après des attentats visant des cibles non-gouvernementales, le leader conservateur Lord Salisbury ayant proposé d’autoriser l’expulsion sommaire de ceux qui étaient censés menacer « la paix et la tranquillité du royaume ». Cet effort avait néanmoins échoué face à ce que le Premier Ministre Lord Rosebery appelait la « jalousie » du droit d’asile, et le pays restait donc le refuge le plus sûr pour Rocker [28].

9Le 1er janvier 1895, Rocker arriva à Londres avec sa jeune famille. Il chercha aussitôt à rencontrer des membres de la communauté anarchiste allemande, dans les quartiers de Soho et de Fitzrovia, qui l’aidèrent à trouver un logement dans Carburton Street et du travail comme relieur [29]. Sa vie politique et sociale s’articulait autour du Communistischer Arbeiter-Bildungsverein (CABV), club politique, social et éducatif fondé en 1840, qui avait jadis accueilli des révolutionnaires en exil comme Karl Marx, Karl Schapper et August Willich. À la fin des années 1870 et au début des années 1880, le club s’était divisé en plusieurs « sections », la « Première » évoluant dans une direction anarchiste sous l’influence de Johann Most, homme que Rocker admirait beaucoup [30]. Dans les années 1890, cette section du CABV était établie à Grafton Hall, dans Soho, que Rocker qualifiait de « meilleur lieu de réunion dont n’aient jamais disposé les révolutionnaires étrangers à Londres ». Il fut bientôt élu bibliothécaire du club, à la tête d’une belle collection d’écrits révolutionnaires, et put sauver des centaines de volumes rares que son prédécesseur avait voués à la destruction [31].

Fig. 2. Commémoration de la Commune de Paris organisée en 1896, avec la participation d’orateurs de différents pays, dont Rocker.

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Fig. 2. Commémoration de la Commune de Paris organisée en 1896, avec la participation d’orateurs de différents pays, dont Rocker.

IISH, Max Nettlau Papers, 3294.

10Si précieux qu’aient été ces liens avec la communauté allemande, Rocker craignait de ne pouvoir atteindre qu’un « cercle limité » si son militantisme se limitait aux émigrés allemands, et il profita des contacts internationaux disponibles à Londres [32]. Par le club de Grafton Hall, il se lia d’amitié avec Louise Michel et avec Errico Malatesta ; en 1896, il assista au Congrès socialiste international de Londres, où il rencontra Kropotkine. Dès lors, Rocker devint un orateur régulier lors des événements anarchistes internationaux, prenant la parole aux côtés de Kropotkine, de Malatesta, de Louise Michel et d’autres lors des commémorations annuelles de la fondation de la Commune de Paris et de l’exécution des « martyrs » du massacre de Haymarket Square à Chicago. Son militantisme ne fut pourtant pas sans conséquences sur sa vie privée, et sa compagne, apparemment mécontente, voire même hostile à son activité politique, regagna l’Allemagne en emmenant avec elle le petit Rudolf [33].

Fonder un foyer en exil

11En 1897, Rocker emménagea dans le quartier de Shoreditch. Il affirme l’avoir fait pour des raisons professionnelles, mais il était depuis longtemps attiré par l’East End londonien, dont il explorait les quartiers pauvres avec un autre exilé allemand, Otto Schreiber. Cela le conduisit à rejeter définitivement la théorie « accélérationniste » selon laquelle une misère accrue pourrait précipiter une révolution, et consolida son engagement en faveur d’une amélioration pragmatique par le biais d’institutions comme les syndicats. Au cours de ces expéditions, Rocker avait rencontré le groupe qui publiait Arbeter Fraint ; il se mit à assister à leurs réunions au Sugar Loaf et à s’y exprimer. Witkop et lui se croisèrent à cette époque, et une liaison amoureuse naquit entre eux après l’installation de Rocker dans l’East End [34]. Ils décidèrent de ne pas se marier, pensant que les relations privées n’avaient pas besoin de la validation de l’Église ou de l’État, et adoptant une forme d’égalité sexuelle qui avait fort peu en commun avec les rôles genrés codifiés par le mariage légal. Par ce choix, ils participaient à une longue tradition de « radicalisme conjugal » qui remontait au moins aux owénistes et dont le mouvement anarchiste était l’un des principaux avocats durant la période fin-de-siècle [35]. Il en résulta aussi une « rupture complète » entre Witkop et ses parents [36]. Cependant, comme lorsque Witkop avait abandonné la religion juive orthodoxe pour se convertir à l’anarchisme, ses sœurs en furent impressionnées et, au cours de la décennie suivante, Polly et Rose entrèrent elles aussi en concubinage, respectivement avec l’exilé allemand Ernst Simmerling et avec l’anarchiste britannique Guy Aldred [37].

12La décision de ne pas se marier eut des répercussions essentielles tout au long de la vie de Rocker et de Witkop, et ce dès le printemps 1898, lorsque le couple partit pour New York. La famille de Rocker étant repartie en Allemagne et Witkop ayant récemment rompu avec ses parents, ni l’un ni l’autre n’avait d’attaches particulières à Londres, et Rocker apprit par un ami que les perspectives d’emploi étaient meilleures aux États-Unis qu’en Grande-Bretagne. Afin de pouvoir partager une cabine, ils s’enregistrèrent comme mari et femme pour la traversée, et on leur demanda donc de présenter un certificat de mariage à leur arrivée en Amérique. Devant des fonctionnaires de l’immigration sceptiques, Witkop prit la défense de l’amour libre, expliquant que l’amour devenait « prostitution lorsqu’il cesse d’être libre », et le couple fut retenu plusieurs jours avant de s’entendre dire qu’ils devaient se marier légalement s’ils souhaitaient entrer dans le pays. Ils refusèrent, sacrifiant ce que Rocker appelait « les avantages matériels au nom de leur estime de soi », et repartirent pour la Grande-Bretagne. « [Quand] nous atteignîmes Southampton, et que nous eûmes débarqué sans qu’on nous pose de questions, sans le moindre examen, nous nous sentîmes doublement les bienvenus après notre expérience new-yorkaise [38]. » La Grande-Bretagne demeurait leur foyer potentiel le plus sûr.

Fig. 3. Le cercle social et politique de Rocker et Witkop en excursion, IISH, BG A32/165.

Figure 2

Fig. 3. Le cercle social et politique de Rocker et Witkop en excursion, IISH, BG A32/165.

On peut lire au dos de la photo : « Rudolf + Milly en compagnie des membres d’« Arbeiter fraind » vers 1900 Londres, forêt d’Epping ». Descriptif du catalogue de l’IISH :
« Millie Rocker à côté de la roue du vélo de gauche. Rudolf derrière elle. Dans la forêt d’Epping » [39].
Les écrits et les photographies de Rudolf Rocker sont reproduits avec l’aimable autorisation du détenteur du copyright.

13Après leur retour, Rocker et Witkop trouvèrent du travail à Liverpool, où ils emménagèrent ensemble ; ce fut le début d’une cohabitation qui allait durer jusqu’à la fin de leur vie. S’immergeant dans la petite communauté des anarchistes juifs de Liverpool, Rocker aida au lancement du journal Dos Fraye Vort (La libre parole), apprenant au passage le yiddish au contact de la communauté locale en profitant de ce que, selon lui, cette langue « était à l’époque bien plus proche de l’allemand ». Le journal connut des difficultés, mais sa parution poussa le groupe d’Arbeter Fraint à proposer à Rocker de devenir rédacteur en chef de leur propre périodique, dont la publication s’était interrompue l’année précédente après une période d’ennuis financiers et de renouvellement de l’équipe éditoriale. Le couple revint à Londres, et le premier numéro d’Arbeter Fraint avec Rocker pour rédacteur en chef parut le 14 octobre 1898. Hebdomadaire de huit pages, le journal couvrait le mouvement ouvrier local et contribuait au débat d’idées, notamment avec une série de 25 articles où Rocker s’attaquait au matérialisme historique marxiste qu’il jugeait trop influent dans l’East End [40].

14Bien qu’épanouissantes, ces années furent difficiles. Le journal n’était pas encore rentable, et le couple dépendait pour ses revenus de l’activité de couturière de Witkop. À partir de 1899, ils eurent une bouche supplémentaire à nourrir, car la précédente compagne de Rocker, Charlotte, avait épousé un homme qui ne voulait pas élever le petit Rudolf, alors âgé de 6 ans, et l’enfant fut renvoyé à Londres chez son père [41]. Pendant ce temps, des dettes accumulées pesaient encore sur Arbeter Fraint et une affaire de détournement de fonds l’obligea à cesser provisoirement sa parution en 1900. En mars de cette année-là, Rocker et Witkop fondèrent un périodique intitulé Germinal, du nom du roman de Zola, conçu pour « présenter à ses lecteurs toutes les tendances libertaires de la littérature moderne et de la pensée contemporaine ». Cette revue fut d’abord publiée tous les quinze jours avant de devenir un mensuel à partir de la fin 1901. Rocker écrivait les textes, tandis que Witkop et lui composaient les pages à imprimer, compétence qu’ils avaient acquise auprès d’un collègue d’Arbeter Fraint. En 1903, ses dettes remboursées, Arbeter Fraint fut relancé, à nouveau avec Rocker comme rédacteur en chef. Sa diffusion passa de 2 500 à 4 000 exemplaires, tandis qu’il se vendait régulièrement entre 2 000 et 2 500 exemplaires de Germinal  [42]. En 1903 également, la famille emménagea dans Dunstan Houses, vaste ensemble d’habitations construit par l’East End Dwellings Company, une société philanthropique, dans le quartier de Stepney Green où les Rocker-Witkop habitaient depuis au moins 1900, exception faite d’un séjour à Leeds en 1901-1902 [43]. Alors que la parution de Germinal cessa définitivement en mai 1909, Arbeter Fraint allait poursuivre ses activités jusqu’à son interdiction par le gouvernement en 1916.

Fig. 4. Dunstan Houses, où habitèrent les Rocker-Witkop dès 1903.

Figure 3

Fig. 4. Dunstan Houses, où habitèrent les Rocker-Witkop dès 1903.

À partir de 1910, ils vécurent au dernier étage, à côté de l’escalier à droite.
Photographie de l’auteur, prise le 24 mai 2020.

15Le rôle joué par Rocker et Witkop dans les mouvements ouvrier et anarchiste allait au-delà du journalisme. Ils participèrent à la fondation du club qui ouvrit ses portes en février 1906 au numéro 163-165 de Jubilee Street, et qui devint un centre culturel majeur de ce quartier avant la guerre. Sa vaste salle pouvait contenir environ 800 personnes et accueillait souvent les réunions syndicales et anarchistes locales, ainsi que celles d’autres groupes comme l’Amicale juive, le Cercle ouvrier et les Révolutionnaires sociaux russes en exil. Le matériel d’imprimerie d’Arbeter Fraint fut installé dans le club et c’est ainsi que commença la production de livres et de brochures, que Witkop vendait souvent sur une table dans la salle. Il y avait souvent des concerts, des bals, des récitals et autres soirées, ainsi qu’une bibliothèque ouverte au public. Rocker donnait des cours d’histoire et de sociologie ; le dimanche, il emmenait des groupes visiter les collections du British Museum. Le jeune Rudolf fut mis en apprentissage chez un imprimeur allemand, l’anarchiste Wilhelm Werner, dans le quartier d’East Ham, et enseignait dans le cadre de l’école du dimanche (laïque) du club [44]. De façon plus informelle, le club servait aussi de lieu où les gens du quartier pouvaient se détendre dans un environnement « chaleureux, paisible et silencieux », selon Nellie Ploschansky qui s’y rendait fréquemment. Le club avait également une activité caritative, surtout pour venir en aide aux réfugiés politiques nouvellement arrivés de Russie. Ploschansky se rappelait que la police orientait ces exilés vers le club et que « nous prenions soin d’eux [45] ».

16De plus, Rocker et Witkop contribuèrent à la syndicalisation de l’East End juif. Ils jouèrent surtout un rôle clef lors de la grève des tailleurs en 1912, où ils voyaient une occasion d’en finir avec les ateliers insalubres, d’établir de meilleures relations avec les ouvriers britanniques et de réduire l’antipathie envers les immigrants pauvres. Ils transformèrent Arbeter Fraint en quotidien pour couvrir et soutenir la grève, tout en adoptant des rôles plus clairement genrés dans leur militantisme. Rocker présidait le comité de financement des grèves de l’East End et en dirigeait la stratégie, tandis que Witkop organisait des soupes populaires pour nourrir les grévistes et leur famille. Toujours en 1912, elle prit aussi la tête de l’effort visant à reloger provisoirement dans des foyers juifs les enfants des dockers en grève, majoritairement non-juifs. La grève des tailleurs fut un succès, puisqu’elle aboutit à des salaires plus élevés, des journées moins longues, à la fin du travail à la pièce, ainsi qu’à des conditions de travail moins insalubres et à la tenue des réunions syndicales à huis clos. Par conséquent, le tirage et la diffusion d’Arbeter Fraint augmentèrent et le prestige de la famille dans cette partie de Londres fut considérablement renforcé [46].

Fig. 5. Ticket pour un thé suivi d’une conférence culturelle donnée par Rocker au club de Jubilee Street.

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Fig. 5. Ticket pour un thé suivi d’une conférence culturelle donnée par Rocker au club de Jubilee Street.

IISH, Nettlau Papers, 3295.

17La famille s’agrandissait aussi. Le 22 décembre 1907, Witkop avait donné naissance à Fermin, nommé ainsi en l’honneur de l’anarchiste espagnol Fermín Salvochea y Álvarez, décédé au cours de cette même année. Ce geste reflétait le caractère international de la famille, en termes d’origines comme de valeurs. Grâce à cette naissance, les parents Witkop finirent par accepter la liaison de leur fille. Une fois les générations réconciliées, la famille put fêter la Pâque juive, en présence des non-Juifs Rocker, Simmerling et Aldred, ainsi que le traditionnel Noël allemand. Fermin se rappelait que l’alimentation de sa famille reflétait à la fois ce métissage culturel, « la soupe à l’oseille et le bortsch » alternant avec « les épaisses soupes de lentilles et de pois cassés où trempaient un morceau de jambon ou de saucisse polonaise », et leur entourage britannique avec « œufs au bacon, harengs grillés et haddock fumé [47] ». De même, il se familiarisa avec l’équipe d’Arbeter Fraint et avec les anarchistes allemands, dont le club s’était déplacé vers Charlotte Street, dans le quartier de Fitzrovia, et il aimait particulièrement Malatesta. Il décrivit plus tard le foyer familial, qui occupait depuis 1910 l’appartement 33, au dernier étage de Dunstan Houses, comme « une petite Société des Nations [48] ».

La Première Guerre mondiale et l’éclatement de la famille Rocker-Witkop

18La Première Guerre mondiale brisa peu à peu cette « ligue », quand les différents membres de la famille subirent l’un après l’autre restrictions, arrestations et internement. Le 5 août 1914, le Parlement adopta l’Aliens Restriction Act (ARA), qui donnait au gouvernement le pouvoir de publier sommairement des « ordres de restriction » limitant les activités des étrangers. Les Non-Britanniques devaient se faire enregistrer auprès de la police locale, il leur était interdit de résider dans certaines zones « prohibées », en général côtières, et ils ne pouvaient ni entrer ni sortir du pays sauf en de rares circonstances très contrôlées. Les « étrangers ennemis », ou ressortissants des Puissances centrales, étaient confinés à un rayon de huit kilomètres autour de leur adresse répertoriée et il leur était défendu de posséder des armes à feu, des jumelles, des appareils photos, des téléphones, des véhicules à moteur ou des pigeons voyageurs. La presse en langue allemande fut rapidement supprimée [49]. Surtout, comme les autres pays combattants, la Grande-Bretagne fit arrêter et interner les hommes en âge de servir originaires d’États ennemis [50]. Le 2 décembre 1914, Rocker, âgé de 41 ans, fut arrêté chez lui et interné temporairement au centre d’exposition Olympia, dans le quartier de Kensington, récemment converti en lieu de détention des « étrangers ennemis ». Le 15 décembre, il fut transféré sur le Royal Edward, paquebot de croisière réquisitionné pour en faire un navire de transport de troupes, à l’ancre au large de Southend-on-Sea, dans l’Essex. Arrêté quelques semaines plus tôt, Simmerling y était également interné et, en janvier 1915, quelque 1 400 civils y étaient prisonniers en tant qu’« étrangers ennemis [51] ».

Fig. 6. Metropolitan Police, formulaire d’arrestation de Rocker, identifié comme « susceptible de commettre des actes hostiles à notre pays ».

Figure 5

Fig. 6. Metropolitan Police, formulaire d’arrestation de Rocker, identifié comme « susceptible de commettre des actes hostiles à notre pays ».

On remarque la réponse erronée concernant le nombre de ses enfants (« aucun »).
IISH, Rocker Papers, 4.

19Pour l’heure, le reste de la famille restait libre. Le fait que Rocker et Witkop n’étaient pas mariés signifiait que Witkop avait conservé sa nationalité russe et était considérée comme faisant partie des « étrangers amis ». Les idées du couple sur l’amour libre lui valurent donc probablement une place en Grande-Bretagne, car, à partir de 1915, le gouvernement britannique commença à déporter les Allemandes, y compris celles qui, nées dans des États amis, avaient acquis la nationalité allemande par mariage [52]. La situation de Rudolf fils était plus ambiguë. Bien que né d’un père allemand, Rudolf père avait émigré et n’avait jamais été appelé au service militaire, ce qui l’empêchait de transmettre la citoyenneté allemande à ses enfants. Par ailleurs, le jus soli français ne s’appliquait pas automatiquement aux enfants de ressortissants étrangers, sauf s’ils vivaient en France à l’époque de leur majorité : autrement dit, Rudolf fils n’était pas nécessairement français du seul fait d’être né à Paris [53]. Il ne fut néanmoins pas interné, et continua à travailler comme imprimeur et enseignant, dirigeant près de Victoria Park une école influencée par les théories éducatives de l’Escuela Moderna formulées par l’anarchiste espagnol Francisco Ferrer [54]. Une fois Rocker interné, Witkop et plusieurs autres membres de l’équipe d’Arbeter Fraint se partagèrent les responsabilités éditoriales qu’il assurait auparavant, ce qui permit au journal de continuer à paraître, signe que « notre mouvement se porte tout à fait bien, et que l’avenir est de notre côté [55] ». Le club de Jubilee Street forma un « Comité de secours aux réfugiés politiques » et Witkop organisa la livraison de colis d’aide aux anarchistes internés à travers le pays. Elle établit aussi des soupes populaires pour les chômeurs, comme elle l’avait fait lors des grèves de 1912. En parallèle, elle continuait à élever Fermin et à rendre fréquemment visite à Rocker, ensemble de tâches dont même son jeune fils avait conscience [56].

20Pendant ce temps, Rocker continuait ses discours et son action syndicale, tout comme il l’avait fait avant son internement. Il prononça des conférences sur l’histoire et la littérature dans les niveaux inférieurs du Royal Edward, puis sur une scène de l’Alexandra Palace, complexe de divertissement victorien transformé en prison, où il fut transféré le 1er juin 1915 et qui accueillait quelque 3 000 prisonniers [57]. Ces détenus étaient divisés en trois « bataillons », chacun incluant plusieurs « compagnies » ; les prisonniers élisaient les chefs de bataillon et les « capitaines » de compagnie qui servaient d’intermédiaires entre eux et les autorités du camp. Très populaire, Rocker fut élu capitaine le 7 juillet 1915 et devint chef du bataillon B le 18 mars 1916 [58]. À ce titre, il exigea de meilleures conditions de vie dans le camp, organisa des événements culturels pour les prisonniers, communiqua avec les gouvernements neutres qui procédaient à des contrôles humanitaires dans le camp, et rédigea un rapport sur l’impact psychologique de l’internement sur les prisonniers [59]. Le retour de Rocker à Londres et les privilèges liés à ses fonctions permirent à Witkop et à leurs fils de lui rendre visite, et la situation de la famille, quoique difficile, se stabilisa jusqu’à l’été 1916.

21En janvier 1916, le Military Service Act introduisit la conscription en Grande-Bretagne. Parce que cette loi ne s’appliquait qu’aux sujets britanniques, l’opinion publique se tourna bientôt contre les « étrangers amis » qui semblaient se dispenser du sacrifice exigé pour la cause des Alliés. Dès avant 1916, Londres avait coopéré avec le gouvernement français pour traquer les insoumis qui avaient évité l’appel sous les drapeaux, avec cependant des exemptions pour les ordres religieux qui s’étaient exilés en Grande-Bretagne afin d’échapper à la laïcisation imposée en 1905 par le ministère Combes [60]. À partir de juillet 1916, la forte population de réfugiés de guerre belges fut soumise à un système de conscription, administré par le gouvernement belge en exil [61]. Un antagonisme croissant à l’égard de la minorité russe en Grande-Bretagne, surtout les quelque 25 000 à 30 000 Juifs en âge de servir mais exclus de la conscription, poussa le gouvernement à conclure un accord similaire avec la Russie, tout en s’efforçant de recruter dans l’armée davantage d’« étrangers amis [62] ». Malgré la réponse peu enthousiaste du régime tsariste, qui ne souhaitait pas voir revenir les émigrés juifs ou révolutionnaires, beaucoup de ceux qui résidaient dans l’East End se doutèrent que le gouvernement se préparait soit à les enrôler de force dans l’armée, soit à repartir se battre pour un pays qui les avait poussés à l’exil. Une Société de protection des Juifs étrangers contre la déportation en Russie et la compulsion (FJPC) fut créée, et des appels furent lancés pour que le gouvernement respecte le droit d’asile, qui serait violé au cas où l’on forcerait les réfugiés à choisir entre la déportation et le service militaire obligatoire. On ne sait pas si Witkop rejoignit ce groupe, mais elle en partageait les objectifs, et plusieurs de ses proches en furent membres, notamment Sam Dreen, de l’équipe d’Arbeter Fraint, et Z. Rafkin, qui habitait à Dunstan Houses et dont le fils Misha était l’ami de Fermin [63].

22Quand Arbeter Fraint se joignit au mouvement de protestation, le gouvernement en suspendit la publication. Le 24 juillet 1916, plusieurs membres essentiels de l’équipe furent arrêtés et la police confisqua le matériel du journal. Witkop fut arrêtée chez elle et détenue pendant plusieurs semaines à la prison de Holloway, où de nombreuses suffragettes avaient été incarcérées avant la guerre, mais contrairement à ses collègues d’Arbeter Fraint, elle ne fit jamais l’objet d’un procès [64]. Le 21 août, elle reçut du Home Secretary (ministre de l’Intérieur) Herbert Samuel un ordre d’internement en vertu de l’article 14B du Defence of the Realm Act (DORA), qui autorisait la détention des personnes jugées « hostiles par leur origine ou leurs fréquentations [65] ». Elle fut transférée à la Maison de redressement pour alcooliques d’Aylesbury, dans le Buckinghamshire, qui servait désormais de lieu de détention pour les « femmes 14B », pour les délinquantes juvéniles et pour les prisonnières ordinaires [66]. Il s’y trouvait, parmi les autres « femmes 14B », des participantes à l’insurrection de Pâques à Dublin, telles que Constance Markiewicz, et des socialistes comme Irma Petrov, épouse du Russe exilé Piotr Petrov. Elle avait donc « quelques femmes intéressantes à qui parler [67] ». Cependant, plus éloignée de Londres, dans un camp beaucoup plus petit et avec des droits de visite moins généreux, Witkop était plus isolée que Rocker et enviait la vie animée d’Alexandra Palace. À Aylesbury, « les jours se succèdent, aussi monotones les uns que les autres [68] ».

Fig. 7 et 8. Les deux partenaires emprisonnés.

Figure 6

Fig. 7 et 8. Les deux partenaires emprisonnés.

Carte de Noël 1916 envoyée d’Alexandra Palace par Rocker à Witkop à Aylesbury. IISH, Rocker Papers, 2. La guerre se poursuivant, leur correspondance en vint de plus en plus à désigner Witkop comme « Milly Witkop-Rocker » ou même « Milly Rocker », probablement pour insister sur le sérieux de leur relation, bien qu’ils ne soient pas mariés.

23Rudolf fils fut arrêté le même jour que Witkop. Selon Fermin, il fut obligé de choisir « entre se déclarer français et rejoindre l’armée française, et revendiquer la citoyenneté allemande et être interné [69] ». Il était déjà arrivé que le gouvernement britannique permette à des individus considérés avant 1914 comme ressortissants allemands de s’identifier comme français, et exige qu’ils combattent sur le front de l’Ouest pour prouver leur loyauté, notamment avec la minorité alsacienne [70]. Mais le jeune Rudolf choisit d’être allemand et fut envoyé au camp de Stratford, dans l’est de Londres. Rocker demanda qu’il soit transféré à Alexandra Palace, ainsi le père et le fils furent réunis le 5 août 1916 [71].

24Rocker et Witkop interprétèrent tous deux leur internement et l’éclatement de la famille comme la fin de l’asile politique dont ils avaient joui jusque-là. Et ce, pas seulement à cause du fait physique de leur incarcération. Tous deux étaient en fait convaincus qu’ils avaient été internés précisément à cause de leurs opinions politiques. Pour chacun d’eux, les longues et paisibles années passées en Grande-Bretagne avant la guerre semblaient frapper d’absurdité l’idée qu’ils puissent représenter un danger pour la sécurité publique. Rocker remarqua qu’il avait en fait été arrêté peu avant la parution d’une série d’articles critiquant la position de Kropotkine, controversée parmi les anarchistes, qui soutenait la cause des Alliés comme un moindre mal [72]. De plus, Rocker était un adversaire bien connu du Kaiserreich, ce sur quoi ses partisans s’appuyaient pour demander sa libération, puisque le socialiste allemand Wilhelm Floerke, installé à Glasgow, avait été libéré de prison quand le Parti travailliste avait pris sa défense [73]. L’échec de ces efforts prouva à Rocker que sa nationalité allemande était « seulement un prétexte ». Il était interné pour ses « convictions politiques et sociales ». Witkop rejetait elle aussi l’idée que sa liaison avec Rocker fasse d’elle une personne « hostile par ses fréquentations », selon la formule de son ordre de détention, et concluait : « J’ai donc été envoyée ici à cause de mes principes [74]. » Pourtant, bien que soumis à une pression sociale et à des restrictions officielles croissantes, ni les anarchistes ni les pacifistes ne furent entièrement exclus de la vie politique pendant la guerre. Alors que la FJPC poursuivait son militantisme anticonscription, Witkop se considérait comme le seul exemple de « prisonnier politique détenu à cause de la propagande antimilitariste parmi les Russes de Londres [75] ». Il semble ainsi que le gouvernement ait profité des vagues de xénophobie populaire pour emprisonner ceux qui le critiquaient. L’ironie du sort était donc amère : être « interné dans le “pays de la liberté politique” » et goûter « les beautés du droit d’asile derrière des barbelés », cela semblait abolir la protection spécifiquement accordée aux réfugiés politiques dans les termes de la loi de 1905. Pour la famille Rocker-Witkop, leur internement signifiait que le « fameux droit d’asile n’existe plus [76] ».

Les voies de la réunion

25À partir de juillet 1916, Fermin fut confié « aux tendres soins » des sœurs de Witkop et d’amis de la famille comme Lazar et Milly Sabelinsky, qui vivaient non loin de Dunstan Houses. Il séjournait surtout chez Polly, qui occupait le même bâtiment que les Rocker, mais il passait de plus en plus de temps avec Rose et son fils Annesley. L’appartement 33 de Dunstan Houses restait loué par les Rocker-Witkop, et des amis allaient parfois y chercher des livres et d’autres effets personnels pour les deux Rudolf et pour Witkop. Fermin se rendait parfois seul au logis familial, « démarche tout à fait privée [77] ». Polly et Rose l’emmenaient à Alexandra Palace et à Aylesbury et apportaient de menus objets aux détenus, maintenant ainsi le réseau familial. Rocker et Witkop s’écrivaient plusieurs fois par semaine, mais les lettres mettaient parfois plusieurs semaines pour circuler entre Alexandra Palace, Aylesbury et l’East End, elles étaient régulièrement ouvertes et parfois censurées. Les messages de Rocker devaient être écrits sur une unique feuille de papier fournie par le camp, et l’obligation de s’exprimer en anglais pour faciliter la tâche de la censure entravait encore la communication, surtout pour Witkop qui était moins à l’aise avec cette langue. Comme la guerre se prolongeait, ces tensions devinrent de plus en plus insupportables et la famille se mit à chercher un moyen d’échapper à la captivité et de fuir la Grande-Bretagne.

26La première possibilité sérieuse de déménagement pour la famille apparut avec la Révolution russe de 1917. Rocker, Witkop et leurs amis célé brèrent avec enthousiasme la chute de Nicolas II et Rocker organisa une fête du 1er mai à Alexandra Palace, les prisonniers votant des résolutions pour saluer la révolution « comme une première tentative de retour à l’humanité, et comme le signe avant-coureur du soulèvement social à venir [78] ». Dans leur cercle, beaucoup, dont Kropotkine, regagnèrent bientôt la Russie ; Rocker, Witkop et Fermin espéraient les suivre [79]. Le retour en Russie des émigrés et des exilés fut encore facilité par la signature d’une Convention militaire anglo-russe en juillet 1917, le gouvernement britannique étant enfin parvenu à un accord avec le gouvernement provisoire russe, alors que cela s’était avéré impossible durant les derniers mois du régime tsariste. Les amis de Rocker et de Witkop en Grande-Bretagne et en Russie firent pression pour leur libération, et en particulier pour celle de Witkop en tant que ressortissante russe. Après avoir reçu le 17 septembre 1917 un message du Comité consultatif sur l’internement, elle se rendit à Londres le 20 septembre pour plaider sa cause [80]. Comme elle ne voulait pas partir sans Rocker, le Comité les interrogea conjointement à la Chambre des communes le 17 octobre ; c’était la première fois que le couple était réuni physiquement depuis plus d’un an. Après des retrouvailles émues, ils furent interrogés à tour de rôle. Witkop répéta qu’elle ne souhaitait pas s’en aller sans Rocker, et le Comité déclara à celui-ci qu’il serait autorisé à partir si le gouvernement russe acceptait de le recevoir [81]. Ils purent passer l’après-midi avec Fermin, moment de « félicité sans égal », selon les souvenirs de ce dernier [82].

Fig. 9. Deux des personnes qui veillèrent sur Fermin en 1916-1918.

Figure 7

Fig. 9. Deux des personnes qui veillèrent sur Fermin en 1916-1918.

« Polly Witkop et Millie Sabelinsky – sans date ».
Manchester Archives and Libraries, GB124.DPA/3097/5.

27Les événements s’en mêlèrent bientôt, lorsque les Bolcheviks prirent le pouvoir en Russie. La transformation chaotique des relations internationales causée par le renversement du gouvernement provisoire modifia la donne et Witkop apprit le 11 novembre 1917 qu’elle resterait internée « Probablement jusqu’à ce que la Russie se manifeste [83]. » Le couple n’eut plus de nouvelles du Comité consultatif jusqu’à la fin de l’année. Tandis que les relations russo-britanniques se dégradaient, notamment avec la perspective de plus en plus menaçante d’une paix séparée conclue par la Russie avec les Puissances centrales, Rocker en vint à douter qu’il serait un jour libéré [84]. Ces craintes furent confirmées en janvier 1918, quand Witkop se vit signifier que seuls Fermin et elle pourraient se rendre en Russie. Malgré l’insistance de Rocker, elle refusa : « Jamais je ne dissocierai mon sort du tien[85]. » Le 21 janvier, leur cas fut à nouveau évoqué au Parlement par le député libéral Joseph King, défenseur régulier des réfugiés pendant la guerre, mais le Home Secretary, George Cave, confirma que Rocker ne pouvait « être libéré de son internement ou envoyé en Russie ». Quand King fit remarquer que lui et Witkop étaient mari et femme, Cave répliqua que s’ils étaient mariés, elle était de nationalité allemande et ne pouvait donc « en aucun cas être envoyée en Russie ». Même s’il était déjà arrivé que des Allemandes accompagnent leur mari russe, « des considérations différentes s’appliquent dans le cas d’un Allemand et d’une Allemande [86] ». Incrédule, Witkop observait : « Ils ne peuvent pas laisser un Allemand aller en Russie maintenant, alors qu’ils croyaient pouvoir il y a quatre mois ». Il formula ce commentaire amer : « Je ne peux pas m’attendre à être privilégié, je ne suis pas une Allemande [87]. » Une fois de plus, le sort de la famille était déterminé par un nœud complexe de questions liées au genre, au statut conjugal et à la nationalité.

28Entre-temps, une autre échappatoire possible apparut. À partir d’octobre 1917, les gouvernements britannique et allemand commencèrent à rapatrier les civils internés âgés de plus de 45 ans, en passant par les Pays-Bas où les ex-détenus pouvaient rester ou regagner leur pays d’origine [88]. Rocker, qui souffrait probablement d’un ulcère à l’estomac, allait avoir 45 ans en mars 1918 : il discuta de ce départ possible avec son fils Rudolf, qui l’encouragea à partir. Avec l’intention de rester aux Pays-Bas puisqu’il s’attendait à être emprisonné s’il entrait en Allemagne, Rocker quitta Alexandra Palace le 9 mars et arriva à Rotterdam le 16 mars 1918. Son retour en Allemagne était néanmoins prévu, et il fut transféré à bord d’un train à destination de la frontière. Malgré une tentative d’évasion en se jetant du train en marche, il fut rattrapé et reconduit à la ville frontalière allemande de Goch. Ayant expliqué qu’il souhaitait retourner aux Pays-Bas, il fut retenu pendant trois semaines avant d’apprendre qu’il avait perdu la citoyenneté allemande du fait de son long séjour hors du pays. Apatride, il regagna les Pays-Bas où il put renouer le contact avec sa famille [89].

29Peut-être aurait-il été possible à Witkop d’aller en Russie et que Rocker l’y rejoigne, mais Rocker en était venu à penser que « Le régime des Bolcheviks n’est qu’un nouveau système de tyrannie […] Lénine et Trotski jouent le rôle de Robespierre et de Saint-Just. Pour rester au pouvoir, ils sacrifient les vrais révolutionnaires [90]. » Tout au long du printemps et de l’été 1918, Rocker et Witkop firent donc pression sur le Home Office pour que Witkop soit libérée et puisse emmener Fermin aux Pays-Bas avec elle. L’absence de mariage légitime retarda peut-être leur réunion, et Rocker se donna beaucoup de mal pour expliquer au gouvernement la « vie pure et idéale » qu’ils avaient menée ensemble [91]. Pendant plusieurs mois, leurs requêtes furent refusées [92], mais en octobre 1918 Witkop apprit soudain qu’elle serait libérée et envoyée en Hollande. En l’espace de quelques jours, elle retrouva Fermin, fut expulsée et rejoignit Rocker à Amsterdam [93]. Au tournant de l’année, tous trois partirent pour Berlin, autorisés à revenir en Allemagne après la chute du Kaiserreich et l’instauration de la République de Weimar [94]. Rudolf fils resta encore un an à Alexandra Palace, achevant le rapport paternel sur la psychologie du camp grâce aux notes que Rudolf père avait laissées [95]. Il fut finalement libéré en août 1919, parmi les dizaines de milliers d’Allemands rapatriés au cours de l’année qui suivit l’armistice [96].

Le « restrictionnisme » britannique et le futur de la famille

30Le départ de la famille Rocker-Witkop coïncida avec une fermeture plus générale de la Grande-Bretagne aux migrants. Ce fut particulièrement vrai pour les populations parmi lesquelles Rocker et Witkop avaient vécu. Le Nationality Act de 1918 interdit toute naturalisation d’étrangers ennemis pendant dix ans et accrut le pouvoir qu’avait le Home Secretary de révoquer les naturalisations déjà accordées [97]. Lors des élections de 1918, Lloyd George promit de déporter les « étrangers ennemis » ; en 1919, la population allemande en Grande-Bretagne était retombée à 22 254 personnes, contre 57 000 en 1914 [98]. Durant l’après-guerre, les « étrangers ennemis » qui avaient été internés ou déportés se virent refuser le droit de revenir en Grande-Bretagne, quelques exceptions étant consenties pour ceux qui avaient de la famille dans le pays [99]. Même si la Convention militaire anglo-russe devint caduque après la révolution d’Octobre, le gouvernement continua à déplacer les Russes et à déporter ceux qu’il jugeait « indésirables » ; ceux qui étaient partis pour la Russie sous les auspices de la Convention mais souhaitaient fuir les Bolcheviks devaient, en général, fournir la preuve qu’ils avaient réellement combattu dans les rangs des Alliés avant de pouvoir revenir en Grande-Bretagne [100]. Le milieu anarchiste dans lequel Rocker et Witkop avaient joué un rôle si central disparut presque entièrement après la guerre. Comme beaucoup de ses dirigeants et partisans dévoués avaient quitté Londres, il fut supplanté dans l’East End par le sionisme, le communisme et le soutien au Parti travailliste [101]. L’humeur « restrictionniste » du pays fut incarnée par l’Aliens Act de 1919, texte qui fut voté par le Parlement bien plus « anti-étrangers » élu en 1918 et qui visait explicitement les Allemands, les radicaux souvent juifs et les autres populations « indésirables ». Contrairement à la loi de 1905, il ne prévoyait aucune protection pour les réfugiés [102].

Fig. 10. La famille réunie. « Rudolf et Millie Rocker avec leur enfant à Leonhardt, Stuttgart – daté de 1919 ».

Figure 8

Fig. 10. La famille réunie. « Rudolf et Millie Rocker avec leur enfant à Leonhardt, Stuttgart – daté de 1919 ».

Manchester Archives and Libraries, GB124.DPA/3097/15

31Tout comme le droit d’asile de la fin de l’époque victorienne avait permis à la famille Rocker-Witkop de se former et de prospérer, et alors que la montée des restrictions contre différents types de ressortissants étrangers avait piégé les membres de la famille un par un, la fermeture plus générale de la Grande-Bretagne aux ressortissants étrangers les obligea à passer l’après-guerre ailleurs. Dans l’Allemagne de Weimar, Rocker et Witkop s’investirent à nouveau dans le syndicalisme, avec l’espoir d’offrir une alternative au Parti social-démocrate et au Parti communiste, tandis que Fermin faisait son apprentissage de lithographe, début d’une carrière artistique qui devait le conduire à New York en 1929 [103]. Tout en conservant leurs opinions politiques radicales, Rocker et Witkop acceptèrent certains compromis et furent officiellement mariés, surtout parce que le durcissement des frontières nationales rendait « si difficile de voyager sans passeports » communs, leçon qu’ils avaient tirée de leur amère expérience pendant la guerre [104]. La famille ne retourna en Grande-Bretagne qu’après que Fermin, citoyen britannique, s’y fut rendu pour y voir des amis et des parents en 1923 [105]. En 1930, Rocker et Witkop, désormais Frau Rocker, furent autorisés à séjourner pendant un mois dans le pays où ils avaient vécu plus de vingt ans [106]. Comme on pouvait s’y attendre, en 1933, quand l’exil devint une fois de plus une nécessité, Rudolf fils repartit pour Londres mais Rocker et Witkop choisirent un asile qui leur semblait plus fiable et rejoignirent Fermin aux États-Unis [107].

Notes

  • [1]
    Les recherches nécessaires à cet article ont été rendues possibles grâce au Leverhulme Research Fellowship. Je remercie le Leverhulme Trust pour son soutien.
  • [2]
    Parfois orthographié « Millie » et « Witcop ».
  • [3]
    Milly Witkop à Rudolf Rocker, 16 août 1916, International Institute of Social History (IISH), Amsterdam, Rudolf Rocker Papers, 27/2.
  • [4]
    Sauf précision spécifique, « Rocker » désigne dans cet article Rudolf Rocker père.
  • [5]
    Sauf précision spécifique, « Russes » désigne ici les sujets de l’Empire russe, quelle que soit leur identité nationale ou linguistique.
  • [6]
    Colin Holmes, “Immigrants, Refugees and Revolutionaries”, in John Slatter (ed.), From the Other Shore: Russian Political Emigrants in Britain, 1880-1917, Londres, Frank Cass, 1984, p. 7-22 ; Panikos Panayi, German Immigrants in Britain during the 19th Century, 1815-1914, Oxford, Berg Publishers, 1995.
  • [7]
    Thomas C. Jones, “Establishing a Constitutional ‘Right of Asylum’ in Early Nineteenth-Century Britain”, History of European Ideas, vol. 46, 2020/5, p. 545-562. À propos du droit d’asile au xixe siècle : Bernard Porter, The Refugee Question in Mid-Victorian Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1979 ; Caroline Shaw, Britannia’s Embrace: Modern Humanitarianism and the Imperial Origins of Refugee Relief, Oxford, Oxford University Press, 2015.
  • [8]
    Constance Bantman, The French Anarchists in London, 1880-1914: Exile and Transnationalism in the First Globalisation, Liverpool, Liverpool University Press, 2013, chap. 5 ; David Feldman, “The Importance of Being English: Jewish immigration and the Decay of Liberal England”, in David Feldman, Gareth Stedman Jones (eds.), Metropolis-London: Histories and Representations since 1800, Londres, Routledge, 1989, p. 56-84 ; Bernard Gainer, The Alien Invasion: The Origins of the Aliens Act of 1905, Londres, Heinemann, 1972 ; David Glover, Literature, Immigration, and Diaspora in Fin-de-Siècle England: A Cultural History of the 1905 Aliens Act, Cambridge, Cambridge University Press, 2012 ; Bernard Porter, “The British Government and Political Refugees, c. 1880-1914”, in John Slatter, From the Other Shore, op. cit., p. 23-45.
  • [9]
    Bernard Porter, The Refugee Question, op. cit., p. 218.
  • [10]
    David Feldman, Englishmen and Jews: Social Relations and Political Culture, New Haven, Yale University Press, 1994, p. 354-359.
  • [11]
    Norman Wise Sibley, Alfred Elias, The Aliens Act and the Right of Asylum, Londres, William Clowes and Son, 1906 ; Alison Bashford, Jane McAdam, “The Right to Asylum: Britain’s 1905 Aliens Act and the Evolution of Refugee Law”, Law and History Review, vol. 32, 2014/2, p. 309-350.
  • [12]
    Rudolf Rocker, The London Years, Nottingham, Five Leaves Publications, 2005 (1956), p. 109, 117.
  • [13]
    Le titre est tantôt traduit comme L’Ami du travailleur ou L’Ami des travailleurs.
  • [14]
    Witkop à Rocker, 21 janvier 1918, IISH, Rocker Papers, 27/7.
  • [15]
    Mina Graur, An Anarchist “Rabbi”: The Life and Teachings of Rudolf Rocker, New York, St Martin’s Press, 1997, p. 76 ; Fermin Rocker, The East End Years: A Stepney Childhood, Londres, Freedom Press, 1998, p. 64 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 40 ; Rudolf Rocker, Milly Witkop-Rocker, Sanday, Orkney, Cienfuego Press, 1981 (1956), p. 3.
  • [16]
    Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 40. Selon une déclaration faite en 1916 par son avocat, Witkop arriva en 1896 : Rowe and Maw Solicitors au Sous-secrétaire d’État, Home Office, 24 août 1916, IISH, Rocker Papers, 12. Mais ce document indique également une date erronée pour sa naissance, et d’autres éléments biographiques sont incompatibles avec une arrivée en 1896.
  • [17]
    David Feldman, Englishmen and Jews, op. cit., p. 157 ; Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 42 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 40.
  • [18]
    David Feldman, Englishmen and Jews, op. cit., chap. 8, p. 11 ; Bernard Gainer, Alien Invasion, op. cit., p. 60-64 ; Arnold White, The Destitute Alien in Great Britain: A Series of Papers Dealing with the Subject of Foreign Pauper Immigration, Londres, Swan Sonnennschein, 1892 ; William Henry Wilkins, The Alien Invasion, Londres, Methuen, 1892.
  • [19]
    Rudolf Rocker, Milly Witkop-Rocker, op. cit., p. 8.
  • [20]
    William Fishman, East End Jewish Radicals, 1875-1914, Nottingham, Five Leaves, 2004 (1975), p. 237.
  • [21]
    Rudolf Rocker, London Years, op. cit., chap. 9.
  • [22]
    Paul Knepper, “The Other Invisible Hand: Jews and Anarchists in London before the First World War”, Jewish History, vol. 22, 2008/3, p. 295-315.
  • [23]
    Andreas Fahrmeir, Citizenship: The Rise and Fall of a Modern Concept, New Haven, Yale University Press, 2007, p. 92 ; Beatrice Potter citée in Anne J. Kershen, Uniting the Tailors: Trade Unionism Amongst the Tailors of London and Leeds, 1870-1939, Ilford, Frank Cass, 1995, p. 197 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 58.
  • [24]
    Rudolf Rocker, ibid., p. 40-44 ; Rudolf Rocker, Milly Witkop-Rocker, op. cit., p. 9, 12.
  • [25]
    Mina Graur, An Anarchist “Rabbi”, op. cit. chap. 1.
  • [26]
    Déclaration de Rudolf Rocker père concernant la date et le lieu de naissance de Rudolf Rocker fils, IISH, Rocker Papers, 23. Rocker n’a guère livré d’informations quant à l’identité de sa première compagne qui, selon Graur, se prénommait Charlotte : Mina Graur, An Anarchist “Rabbi”, op. cit., p. 43 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 39. Mes efforts pour en apprendre davantage grâce aux papiers (non publiés) de Rocker n’ont encore rien donné, d’autant que ces recherches ont été interrompues par la pandémie de 2020.
  • [27]
    William Fishman, East End Jewish Radicals, op. cit., p. 231-234 ; Mina Graur, An Anarchist “Rabbi”, op. cit., p. 42-7, 67-69 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., chap. 1.
  • [28]
    The National Archives (TNA), Londres, Home Office Papers (HO) 144/587/B2840C ; Rudolf Rocker, East End Years, op. cit., p. 84 ; Lord Rosebery, Lord Salisbury, Parliamentary Debates, 4e série, vol. 27, 17 juillet 1894, c. 129-131, 142 ; Bernard Porter, “The British Government”, art. cit.
  • [29]
    Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 14-17.
  • [30]
    Christine Lattek, Revolutionary Refugees: German socialism in Britain, 1840-1860, Abingdon, Routledge, 2006, p. 223-230 ; Daniel Laqua, “Political Contestation and Internal Strife: Socialist and Anarchist German Newspapers in London, 1878-1910”, in Constance Bantman, Ana Cláudia Suriani de Silva (eds.), The Foreign Political Press in Nineteenth Century London, Londres, Bloomsbury, 2018, p. 135-154.
  • [31]
    Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 16-18.
  • [32]
    Ibid., p. 17.
  • [33]
    Mina Graur, An Anarchist “Rabbi”, op. cit., p. 42 ; Leah Feldman interviewée par Andrew Whitehead, 2 avril 1986 [https://www.andrewwhitehead.net/political-voices-leah-feldman.html] (consulté le 14 novembre 2020).
  • [34]
    Rudolf Rocker, London Years, op. cit., chap. 4.
  • [35]
    Ginger S. Frost, Living in Sin: Cohabitating as Husband and Wife in Nineteenth-Century England, Manchester, Manchester University Press, 2008, p. 195, et à propos de Rocker et Witkop spécifiquement, p. 217-218 ; Barbara Taylor, Eve and the New Jerusalem: Socialism and Feminism in the Nineteenth Century, Londres, Virago Press, 1983.
  • [36]
    Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 64-65.
  • [37]
    Ginger S. Frost, Living in Sin, op. cit., p. 215-216.
  • [38]
    Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 43, 45. À propos des limites imposées par les États-Unis à l’immigration anarchiste et radicale : Rose Kraut, Threat of Dissent: A History of Ideological Exclusion and Deportation in the United States, Cambridge MA, Harvard University Press, 2020, chap. 2-3.
  • [39]
    Le cyclisme était souvent associé au mouvement féministe. Fermin se souvenait cependant que les membres d’Arbeiter Fraint avaient succombé de façon plus apolitique à cette “folie du vélo” et que sa tante Polly était une cycliste particulièrement maladroite. East End Years, op. cit., p. 99.
  • [40]
    William Fishman, East End Jewish Radicals, op. cit., p. 241 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 47-48, 67-68, 71.
  • [41]
    Mina Graur, An Anarchist “Rabbi”, op. cit., p. 43.
  • [42]
    Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 96-97.
  • [43]
    Rudolf Rocker à Max Nettlau, 18 décembre 1900, Nettlau Papers, 1036 ; William Fishman, East End Jewish Radicals, op. cit., p. 245 n. 15.
  • [44]
    Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 99-100 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 98-99, 119-120 ; Workers’ Circle. Jubilee Publication, 1909-29. Twenty Years Activity in Great Britain, Londres, Education and Propaganda Committee, 1929.
  • [45]
    Nellie Dick, née Ploschansky, interviewée par Andrew Whitehead, 5 novembre 1985, [https://www.andrewwhitehead.net/political-voices-nellie-dick.html] (consulté le 14 novembre 2020).
  • [46]
    William Fishman, East End Jewish Radicals, op. cit., p. 294-301 ; Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 93-94 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., chap. 5, chap. 7.
  • [47]
    Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 71.
  • [48]
    Fermin Rocker interviewé par Andrew Whitehead, 27 septembre 1985, [https://www.andrewwhitehead.net/political-voices-fermin-rocker.html] (consulté le 14 novembre 2020).
  • [49]
    “Aliens Restriction Orders”, TNA HO 45/10728/254772. Pour les zones interdites : TNA HO 45/10734/258926.
  • [50]
    Stefan Manz, Panikos Panayi, Matthew Stibbe (eds.), Internment during the First World War: A Mass Global Phenomenon, Londres, Routledge, 2019 ; Panikos Panayi, The Enemy in Our Midst: Germans in Britain during the First World War, Oxford, Berg Publishers, 1991.
  • [51]
    John B. Jackson, rapport au nom de l’ambassadeur des États-Unis en Allemagne, p. 10 : TNA HO 45/10760/269116 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., chap. 27-28 ; Tagebücher von Rudolf Rocker, 15 décembre 1914, IISH, Rocker Papers, 1. Je remercie Emily Steinhauer qui a traduit ce journal pour moi.
  • [52]
    TNA HO 45/10782/278567.
  • [53]
    Andreas Fahrmeir, Citizenship, op.cit., p. 66, 91 ; Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2005 (édition revue et augmentée), p. 83-84.
  • [54]
    À propos de ce mouvement : Paul Avrich, The Modern School Movement: Anarchism and Education in the United States, Princeton, Princeton University Press, 1980 ; Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 128.
  • [55]
    Rocker à Witkop, 14 janvier 1915, IISH, Rocker Papers, 26/1.
  • [56]
    Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 132.
  • [57]
    Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 167-168 ; Tagebücher von Rudolf Rocker, 1er juin 1915, IISH, Rocker Papers, 1 ; Janet Harris, Alexandra Palace: A Hidden History, Stroud, History Press, 2013 (2005).
  • [58]
    Tagebücher von Rudolf Rocker, 7 juillet 1915, 18 mars 1916, IISH, Rocker Papers, 1.
  • [59]
    IISH, Rocker Papers, 3, 4 ; Rudolf Rocker, Rudolf Rocker fils et William Stitz, “Alexandra Palace Internment Camp in the First World War 1914-1918 [Compiled from notes made by R. Rocker the elder, completed and edited by his son, Rudolf Rocker, and ‘W. Stz.’]”, tapuscrit inédit de 1918, se trouve à la British Library, à Londres, shelfmark General Reference Collection 9086.i.21.
  • [60]
    TNA HO 45/10767/272533. Les dossiers 9, 10 et 35 concernent les religieux exilés.
  • [61]
    Michael Amara, Des Belges à l’épreuve de l’exil. Les réfugiés de la Première Guerre mondiale. France, Grande-Bretagne, Pays-Bas, 1914-1918, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2008, p. 294-298.
  • [62]
    David Cesarani, “An Embattled Minority: the Jews in Britain during the First World War”, Immigrants and Minorities, vol. 8, 1989/1-2, p. 61-81.
  • [63]
    Liste des membres du comité du FJPC, 10 août 1916 et rapport du 17 août 1916 sur une « réunion de réfugiés politiques de Russie », TNA HO 45/10818/318095.
  • [64]
    Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 149 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 197 ; id., Milly Witkop-Rocker, op. cit., p. 12-13.
  • [65]
    IISH, Rocker Papers, 12.
  • [66]
    TNA HO 45/10785/291742.
  • [67]
    Witkop à Rocker, 17 septembre 1916, IISH, Rocker Papers, 27/3.
  • [68]
    Witkop à Rocker, 21 et 22 janvier 1917, IISH, Rocker Papers, 27/4.
  • [69]
    Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 150.
  • [70]
    TNA HO 45/10760/269510.
  • [71]
    Tagebücker von Rudolf Rocker, IISH, Rocker Papers, 1.
  • [72]
    Traduits sous le titre “A Study in Fact”, dans le journal The Spur de Guy Aldred, mars 1915, p. 1-2 et juin 1915, p. 7-8 ; pour le schisme des anarchistes au sujet de la guerre : Ruth Kinna, Matthew S. Adams, Anarchism, 1914-1918: Internationalism, Anti-Militarism and War, Manchester, Manchester University Press, 2017, 1re partie ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit. p. 143-148.
  • [73]
    “Wilhelm Floerke, Dundee”, Manchester, People’s History Museum, Labour Party Archives, LP/WNC/2/3/6/1-15 ; “Should Rocker Be Released? ”, The Spur, mai 1915, p. 4. Pour le refus opposé par le Home Office à la demande de libération de Rocker : Reginald McKenna à William Appleton, 26 janvier 1915 et Reginald McKenna à William Crooks, 16 mars 1915, IISH, Rocker Papers, 2.
  • [74]
    Rocker à Witkop, 17 août 1915 et Witkop à Rocker, 23 juillet 1917, IISH, Rocker Papers, 26/1 et 27/5.
  • [75]
    Sharman Kadish, Bolsheviks and British Jews: The Anglo-Jewish Community, Britain, and the Russian Revolution, Londres, Frank Cass, 1992, chap. 5; Witkop à Rocker, 11 avril 1917, IISH, Rocker Papers, 27/4.
  • [76]
    Rocker à Witkop, 16 décembre 1917 et 27 janvier 1918, IISH, Rocker Papers, 26/4 et 26/5.
  • [77]
    Fermin Rocker interviewé par Andrew Whitehead (cf. note 47) ; Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 149-152, 156-158, 175-180 ; Witkop à Rocker, 25 novembre 1917, IISH, Rocker Papers, 27/6.
  • [78]
    IISH, Rocker Papers, 643.
  • [79]
    Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 166-169 ; Rudolf Rocker, London Years, op. cit., p. 202-204.
  • [80]
    Witkop à Rocker, 17 et 20 septembre 1917, IISH, Rocker Papers, 27/6.
  • [81]
    Tagebücker von Rudolf Rocker, 17 octobre 1917, IISH, Rocker Papers, 1.
  • [82]
    Fermin Rocker, East End Years, op. cit. p. 171.
  • [83]
    Witkop à Rocker, 16 novembre 1917, IISH, Rocker Papers, 27/6.
  • [84]
    Rocker à Witkop, 28 novembre 1917, IISH, Rocker Papers, 26/4.
  • [85]
    Witkop à Rocker, 11 et 27 janvier 1918, IISH, Rocker Papers, 27/7.
  • [86]
    Parliamentary Debates, 5e série, vol. 101, 21 janvier 1918, c. 643-644.
  • [87]
    Witkop à Rocker, 28 janvier 1918, IISH, Rocker Papers, 27/7.
  • [88]
    Panikos Panayi, Prisoners of Britain: German Civilian and Combatant Internees during the First World War, Manchester, Manchester University Press, 2012, p. 274-275.
  • [89]
    Rudolf Rocker, London Years, op. cit., chap. 33.
  • [90]
    Rocker à Witkop, 1er août 1918, IISH, Rocker Papers, 26/5.
  • [91]
    Cité in Rocker à Witkop, 22 août 1918, IISH, Rocker Papers, 26/5.
  • [92]
    Witkop à Rocker, 20 juin 1918, IISH, Rocker Papers, 27/7.
  • [93]
    Fermin Rocker, East End Years, op. cit., p. 181-184.
  • [94]
    Fermin Rocker interviewé par Andrew Whitehead (cf. note 47).
  • [95]
    Rudolf Rocker, Rudolf Rocker fils et William Stitz, “Alexandra Palace Internment Camp”, fasc. cit., p. 2.
  • [96]
    Rudolf Rocker fils à Debie Jimack, 1er août 1919, IISH, Rudolf Rocker Papers, 631.
  • [97]
    Andreas Fahrmeir, Citizenship, op. cit., p. 129.
  • [98]
    Panikos Panayi, “The Destruction of the German Communities in Britain during the First World War”, in id., German Immigrants, op. cit., p. 113-130 ; Stella Yarrow, “The Impact of Hostility on Germans in Britain, 1914-1918”, Immigrants and Minorities, vol. 8, 1989/1-2, p. 92-112.
  • [99]
    TNA HO 144/10498.
  • [100]
    TNA HO 144/1339-1340, Ministry of Health Papers 57/203, Treasury Papers 161/25.
  • [101]
    William Fishman, East End Jewish Radicals, op. cit., p. 302-309.
  • [102]
    David Cesarani, “Anti-Alienism in England after the First World”, Immigrants and Minorities, vol. 6, 1987/1, p. 5-29 ; Colin Holmes, John Bull’s Island: Immigration and British Society, 1871-1971, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 1988, p. 112-114.
  • [103]
    Mina Graur, An Anarchist “Rabbi”, op. cit., chap. 5 ; Philip Rocker, interviewé par téléphone, 22 juillet 2020.
  • [104]
    Fermin Rocker interviewé par Andrew Whitehead (cf. note 47).
  • [105]
    Ibid.
  • [106]
    J. C. MacIver à Rose Witkop, 31 janvier 1930, Rocker Papers, 7.
  • [107]
    IISH, Rocker Papers, 8 ; Philip Rocker, interviewé par téléphone, 22 juillet 2020.
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Français

Cet article retrace les trajectoires de la famille du réfugié politique allemand Rudolf Rocker, de la migrante juive russe Milly Witkop et de leur fils, pendant les deux décennies où ils ont vécu en Grande-Bretagne. Cette famille offre un exemple frappant des possibilités cosmopolites offertes par le Londres de l’époque fin-de-siècle, rendu possible par le « droit d’asile » presque illimité que la Grande-Bretagne victorienne offrait aux réfugiés et aux migrants étrangers. De 1898 à 1914, la famille est devenue un élément essentiel de la communauté juive anarchiste de l’East End. Outre la direction conjointe de deux journaux, la fondation d’un club social et éducatif et leur engagement dans diverses activités syndicales, les Rocker-Witkop maintenaient des liens avec les anarchistes de toutes les nationalités, basés en grande partie à Soho et Fitzrovia dans le West End. Déchirés par la Première Guerre mondiale, les membres de cette famille ont été successivement pris au piège des restrictions imposées aux « étrangers » par le gouvernement britannique en temps de guerre, qui les touchaient différemment selon leur âge, leur sexe et leurs origines nationales. Déportée en 1918-1919 et installée à Weimar en Allemagne, la famille a compté parmi les milliers de personnes forcées de quitter la Grande-Bretagne à cause de la politique xénophobe menée dans le pays, politique couronnée par la loi de 1919 sur les étrangers. L’histoire de la famille Rocker-Witkop est donc étroitement liée à la fermeture de l’asile offert aux étrangers pendant la majeure partie du xixe siècle et à la naissance de politiques plus restrictives, caractéristiques des xxe et xxie siècles.

Deutsch

Die Familie Rocker-Witkop und die Schließung des politischen Asyls in Groß-Britannien

Dieser Artikel zeichnet den Werdegang der Familie des deutschen politischen Flüchtlings Rudolf Rocker, der russisch-jüdischen Migrantin Milly Witkop und ihres Sohnes während der zwei Jahrzehnte, die sie in Großbritannien lebten. Diese Familie ist ein eindrucksvolles Beispiel für die kosmopolitischen Möglichkeiten in London um 1900, ermöglicht durch das fast unbegrenzte „Asylrecht“ im viktorianischen Großbritannien. Von 1898 bis 1914 wurde die Familie zu einem wesentlichen Teil der jüdischen anarchistischen Gemeinde im East End: sie publizierte zwei Zeitungen, gründete einen Sozial- und Bildungsclub und organisierte sich gewerkschaftlich, während sie gleichzeitig Verbindungen zu Anarchisten aller Nationalitäten unterhielt, die hauptsächlich in Soho und Fitzrovia im West End ansässig waren. Während des Ersten Weltkriegs auseinander gerissen, wurden die Familienmitglieder nacheinander von den Kriegsrestriktionen betroffen, die die britische Regierung „Ausländern“ auferlegte und die sich je nach Alter, Geschlecht und nationaler Herkunft unterschiedlich auf sie auswirkten. Die Familie wurde 1918-1919 deportiert und ließ sich in Weimar nieder. Sie gehörte zu den Tausenden von Menschen, die aufgrund der fremdenfeindlichen Politik des Landes, die im Ausländergesetz von 1919 gipfelte, gezwungen waren, Großbritannien zu verlassen. Die Geschichte der Familie Rocker-Witkop ist daher eng mit der Schließung des für das 19. Jahrhundert fast durchgängig gültigen Asylverfahrens für Ausländer und dem Aufkommen einer restriktiveren Politik des 20. und 21. Jahrhunderts verbunden.

Thomas C. Jones
Thomas C. Jones est maître de conférences en histoire à l’University of Buckingham
Traducteur :
Laurent Bury
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 04/02/2021
https://doi.org/10.4000/rh19.7122
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