CAIRN.INFO : Matières à réflexion
Les analyses et conclusions de ce document sont formulées sous la responsabilité de son auteur. Elles ne reflètent pas nécessairement le point de vue de l’AFD ou de ses institutions partenaires.

Introduction

1En avril 2011, l’île de Mayotte est devenue le 101ème département français à la suite des résultats du référendum du 29 mars 2009. Ses caractéristiques démographiques, économiques et sociales la différencient cependant nettement des autres départements français, y compris ceux d’Outre-mer (Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique).

2Dans ce nouveau contexte, l’Insee est confronté à un défi. En tant que département français d’outre-mer, Mayotte doit fournir obligatoirement des comptes économiques (directives européennes), ce qui impose de recueillir des données structurelles d’entreprises, par secteur et par branche. À l’Insee, ces statistiques sont produites en mobilisant au maximum des données administratives, complétées par des données d’enquêtes ad hoc. Or, en l’absence d’exhaustivité des données administratives (liasses fiscales) et de référentiel de qualité permettant de servir de base de sondage aux enquêtes auprès des entreprises, Mayotte ne peut encore bénéficier du dispositif Esane [1], à la différence des autres départements de métropole et d’Outre-mer. Une stratégie propre a ainsi été mise en place pour améliorer à long terme les fondements du système d’information statistique sur les entreprises, qui demandent encore à être consolidés.

3C’est dans ce cadre, que l’Insee, à travers sa direction régionale La Réunion-Mayotte a fait appel à l’expertise des chercheurs de DIAL (Développement, Institut et mondialisation) de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à l’origine du dispositif d’enquêtes 1-2-3 mis au point pour mesurer l’économie informelle dans les pays en développement. Ce choix résulte de plusieurs facteurs. Si l’Insee dispose de tous les outils méthodologiques pour mesurer l’activité économique des entreprises (gestion des répertoires d’entreprises, enquêtes de suivi, etc.), il n’avait en revanche aucune expérience dans le domaine de la mesure du secteur informel (encadré 1). Or, et bien qu’aucune mesure fiable ne soit disponible, il est immédiatement apparu à la direction régionale, notamment par le biais de la connaissance locale de son service situé à Mayotte, que du fait de la spécificité du contexte mahorais, une bonne part des entreprises opérant sur le territoire étaient informelles. En conséquence et par souci d’exhaustivité, il convenait de compléter le dispositif classique d’enquêtes par une composante couvrant ce segment afin de pouvoir inclure une estimation de l’informel dans la base des comptes régionaux de Mayotte.

Encadré 1 : Définition du secteur informel et adaptation au cas mahorais

En 1993, l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Division de statistique des Nations unies sont parvenues à un accord sur la définition du secteur informel (Hussmanns, 2004), également retenue par le manuel sur l’économie non observée (OCDE et al., 2002). Cette convergence offre un cadre unique pour mesurer et analyser le secteur informel en termes de statistiques du travail (emploi) et de comptabilité nationale (production). Ce secteur est défini comme l’ensemble des entreprises individuelles de petite taille ou non enregistrées.
Même si de nombreux problèmes restent à résoudre pour adapter la définition à l’environnement spécifique de chaque pays (s’il y a lieu d’inclure l’agriculture ou non, la taille de l’entreprise par rapport à des critères d’enregistrement, etc.), le statisticien d’enquête peut trouver dans sa « boîte à outils » des instruments de mesure éprouvés (Razafindrakoto, Roubaud et Torelli, 2009).
En France, la comptabilité nationale repose souvent sur des sources administratives (notamment fiscales), elle ne prend pas en compte a priori les activités économiques inconnues des sources administratives (fiscales ou d’emploi). Les données de ces sources sont donc couramment corrigées d’une évaluation du montant des activités liées à l’économie souterraine, qui ne prend pas en compte la notion de secteur informel. La définition du secteur informel retenue à Mayotte intègre la référence à la non tenue d’une comptabilité écrite formelle, utile à la comptabilité nationale, et la notion de non-enregistrement officiel. Ce critère est cohérent avec les normes de la comptabilité nationale (manuel SCN 2008, chapitre 25).
Dans cet article, les entreprises informelles hors agriculture correspondent aux entreprises ayant ou non une existence juridique matérialisée par l’inscription au système informatique pour le répertoire des entreprises et des établissements (Sirene), mais qui ne sont pas connues de l’administration fiscale au sens des déclarations fiscales (sans que cela ne préjuge de leur situation au regard du droit fiscal) (Daubrée, 2018b).

4La collaboration avec les chercheurs de l’IRD-DIAL s’est rapidement imposée. En effet ces derniers jouissent d’une expertise reconnue sur la mesure du secteur informel, notamment avec le développement des enquêtes mixtes (ménages-entreprises), dont les enquêtes 1-2-3 sont une déclinaison, et qui sont aujourd’hui considérées comme le standard international en la matière. De plus, l’Insee entretient une longue histoire de collaboration avec DIAL, qui remonte à la fin des années 1980 sur la question de l’informel. De nombreuses opérations statistiques, surtout en Afrique mais aussi en Amérique latine et en Asie ont été menées conjointement avec la division de la coopération de l’Insee depuis plus de 20 ans, Afristat jouant un rôle pivot dans cette collaboration en Afrique. C’est sur ces bases que, dès 2012, avant même la mise en place du présent projet que la DR La Réunion-Mayotte avait commencé à explorer les voies d’une collaboration, dans le cadre d’un projet de modification de l’enquête emploi pour mieux l’adapter aux spécificités du marché du travail mahorais. Du côté des chercheurs de l’IRD-DIAL, le projet est apparu d’emblée enthousiasmant, avec notamment deux dimensions novatrices. D’une part, c’est à notre connaissance la première fois qu’une méthodologie d’enquête élaborée pour les pays en développement trouve à s’appliquer dans un pays développé. D’autre part, le projet offrait une perspective régionale dans l’océan Indien, puisqu’à la même période l’enquête 1-2-3 était réalisée dans deux autres pays de la région : à Madagascar, pays historique d’implantation du dispositif 1-2-3 (avec une première enquête en 1995, répétée à de nombreuses reprises depuis) et pour la première fois aux Comores. L’opportunité de ce projet était d’autant plus forte qu’au même moment et en parallèle, les chercheurs de l’IRDDIAL étaient approchés par l’Agence Française de Développement (AFD) et par les autorités locales (préfecture de Mayotte), particulièrement intéressés par la question de l’informel à Mayotte, mais cette fois avec une perspective de politique publique et de développement.

5En 2013, après une série d’échanges, la DR de La Réunion-Mayotte a pris la décision de compléter l’enquête postale auprès des entreprises mahoraises faisant des déclarations fiscales (bénéfice réel normal et réel simplifié) par une enquête inspirée de la méthodologie 1-2-3 auprès des autres entreprises. Cette combinaison d’instruments statistiques ainsi que le contexte local appelaient nécessairement une adaptation du dispositif pour en assurer la cohérence d’ensemble. Finalement, une première enquête sur les entreprises formelles a été conduite en 2014 sur l’exercice 2013 « pilier 1 », renouvelée chaque année depuis 2016 [2] (sur l’exercice antérieur), et une seconde sur les entreprises informelles [3] en 2016 sur l’exercice 2015 « pilier 2 » dans le cadre d’un dispositif articulé. Les résultats de cette opération ont été publiés par la direction régionale de La Réunion-Mayotte (Daubrée, 2018a et 2018b).

6C’est cette expérience méthodologique originale que se propose de présenter cet article. La première partie situe le contexte : la situation économique sociale et politique à Mayotte, en lien avec les besoins d’information sur l’économie informelle dans l’île. Les principaux défis méthodologiques associés à la mesure du secteur informel sont exposés dans la deuxième partie, tandis que la troisième décrit les principaux choix qui ont été finalement retenus, leur justification et leur mise en œuvre. À titre d’illustration, un certain nombre de résultats-clefs sont mis en exergue dans la quatrième partie. Enfin, nous concluons par les perspectives qui se dessinent en faisant une série de propositions dans le but d’améliorer techniquement et de pérenniser institutionnellement le dispositif de suivi du secteur informel à Mayotte.

1 – Mayotte : un département français avec des caractéristiques de pays en développement

1.1 – Une population très jeune qui continue de croitre rapidement

7D’après le dernier recensement de 2017 [4], Mayotte compte 256 500 habitants. La population mahoraise a doublé en l’espace de vingt ans. Sa croissance démographique moyenne est de 3,8% par an, ce qui place l’île en tête des départements français, devant la Guyane. Sa densité de population est également particulièrement élevée : avec 690 habitants au km² en 2017, le département est le septième plus dense de France. En revanche, la répartition de sa population reste très inégale sur son territoire puisque sa capitale économique, Mamoudzou, accueille quasiment un tiers de la population totale. A l’instar de la plupart des pays en développement, Mayotte a également une population très jeune. Un Mahorais sur deux a moins de 17 ans, ce qui en fait le département le plus jeune de France (contre 23 ans en Guyane et 39 ans en France métropolitaine). A l’inverse, les 60 ans et plus ne représentent que 4 % de la population (graphique 1), soit six fois moins qu’en France métropolitaine (24 %). Enfin, l’espérance de vie à Mayotte (en moyenne 76,3 ans) est plus faible qu’en métropole (en moyenne 82,4 ans), surtout pour les femmes (9 ans de moins).

Graphique 1

Pyramide des âges à Mayotte (2012 et 2017) et en France métropolitaine (2017)

Graphique 1

Pyramide des âges à Mayotte (2012 et 2017) et en France métropolitaine (2017)

Lecture : En 2017, pour 1 000 habitants de Mayotte, 8,3 sont des hommes de 18 ans et 9,1 sont des femmes de 18 ans.
Source : Insee, recensements de la population de Mayotte 2012 et 2017 et estimations de population au 1er janvier 2018 pour la France métropolitaine.

1.2 – Des flux exceptionnels d’immigration et de départs

8Mayotte compte près d’un habitant sur deux de nationalité étrangère en 2017. Les flux migratoires entrants et sortants depuis et vers l’extérieur de l’île se sont nettement intensifiés entre 2012 et 2017 (Besson et Merceron, 2020). Le solde migratoire est fortement excédentaire pour les natifs de l’étranger, avec l’arrivée de nombreuses personnes, en particulier de jeunes femmes comoriennes et de leurs enfants. A l’inverse, le solde migratoire est déficitaire pour les natifs de Mayotte. En effet, les Mahorais sont parmi les domiens les plus mobiles (Demougeot et al., 2021) et de nombreux jeunes de 15 à 24 ans migrent de plus en plus vers la métropole et La Réunion pour poursuivre leurs études ou s’insérer poursuivre leurs études ou s’insérer professionnellement, ce qui souligne le peu de débouchés offerts à la nouvelle génération et plus généralement la situation économique et sociale difficile de Mayotte.

1.3 – Une population majoritairement pauvre qui peine à s’insérer

9La moitié des habitants vit avec moins de 260 euros par mois en 2018. Le taux de pauvreté (calculé par rapport au seuil national) atteint 77 % des habitants de l’île, soit cinq fois plus qu’en métropole (Merceron, 2020).

10D’après le recensement de la population en 2017 à Mayotte, moins d’un tiers des personnes de 15 ans ou plus sorties du système scolaire possèdent un diplôme qualifiant, contre 72% en métropole. C’est la région de France avec le moins de diplômés.

11Encore loin des standards métropolitains, les conditions de logement sont difficiles. L’habitat reste précaire avec des constructions fragiles (40% des logements recensés en 2017) et dépourvues du confort sanitaire de base (60% des logements). L’électricité n’est pas généralisée, puisqu’absente dans un logement sur dix. Les étrangers sont les plus exposés à cette précarité puisque 65 % d’entre eux habitent dans une maison en tôle, contre 25 % des Français natifs de l’île (Thibault, 2019).

12Même si l’emploi est la principale source de revenus des populations pauvres, peu de Mahorais ont accès à l’emploi. Au deuxième trimestre 2017, seuls 39% des Mahorais ont un emploi au sens du Bureau International du Travail (BIT ; graphique 2), même si le taux d’emploi à Mayotte a fortement progressé depuis 2009 (première année pour laquelle cette donnée est disponible). Comme dans les autres départements ultramarins, les jeunes de 15 à 29 ans ont un taux d’emploi qui reste faible : il atteint 15 % seulement, contre 45 % pour les jeunes de la métropole. Au deuxième trimestre 2017, le taux de chômage s’établit à 26 %. Un an plus tard (au 2ème trimestre 2018), le taux de chômage s’est encore aggravé (35 %), la baisse du nombre de personnes en emploi se conjuguant à une croissance démographique toujours soutenue [5]. Mayotte est le département français avec le taux de chômage le plus élevé (9 % en métropole en 2017, entre 18 % et 23 % dans les autres DOM).

Graphique 2

Pyramide des âges à Mayotte (2012 et 2017) et en France métropolitaine (2017)

Graphique 2

Pyramide des âges à Mayotte (2012 et 2017) et en France métropolitaine (2017)

Source : Enquête emploi à Mayotte (2017), Enquête emploi autres Dom et France métropolitaine (2017), Insee.

13Les caractéristiques de la société mahoraise synthétisées ci-dessus témoignent ainsi de spécificités fortes par rapport aux autres départements français, même ultramarins. La précarité de l’habitat, le faible niveau scolaire et le taux de pauvreté rappellent des constats faits dans beaucoup de pays africains. Le mode de vie (relations familiales, poids des traditions) de la société mahoraise s’en rapproche également même si de profonds changements sont en cours. Côté emploi, celui-ci reste très faible à Mayotte, ce qui pose la question de l’état, de la composition et des besoins du tissu économique mahorais.

2 – Répondre à une demande forte de mesure de l’informel : enjeux et défis méthodologiques

14Au-delà du besoin de connaissance (et de reconnaissance) d’un pan entier de l’économie mahoraise, des conditions de vie de ceux qui y travaillent et de la nécessité de mieux comprendre le territoire, la mesure du secteur informel résulte d’une double demande : statistique d’une part et politique de l’autre.

2.1 – Mise en place d’un système statistique adapté à la mesure des enjeux

15Au début des années 2010, la direction régionale de l’Insee s’est intéressée à la question de l’informel pour deux raisons principales :

  • La première raison était conjoncturelle, les résultats de la première enquête emploi à Mayotte (2009) faisant état d’un taux de chômage faible (17,6%) au regard des attentes compte tenu des difficultés d’insertion de la population active sur le territoire (Daudin, 2010), et donc difficile à expliquer. L’informel est vite apparu comme un candidat privilégié pour résoudre cet apparent paradoxe, d’autant que des travaux de terrain, bien que partiels et de nature plus qualitative, avaient montré son importance (ADIE, 2008 ; Rivière, 2010).
  • La seconde raison était plus structurelle, liée à l’urgence de développer un système statistique capable de capter le tissu économique mahorais dans sa globalité ; cette urgence était renforcée par le changement de statut de Mayotte, devenu département en 2011 puis Région Ultra Périphérique (RUP) européenne depuis le 1er janvier 2014. Ce double changement de statut imposait la construction d’un système statistique robuste, conforme aux standards métropolitains. En tant que RUP, Mayotte bénéficie ainsi de fonds structurels européens et doit pour les obtenir, répondre aux exigences communautaires. Un critère important d’éligibilité est basé sur le PIB moyen par habitant, lequel doit être calculé selon plusieurs approches et en intégrant des comptes de branches. En France et dans les DOM historiques, la mesure du PIB repose sur l’existence de fichiers administratifs robustes (impôts sur les sociétés et déclarations d’emploi notamment) complétés par des enquêtes auprès des entreprises. Un tel dispositif n’a pas encore pu être mis en place à Mayotte car son système administratif n’est pas suffisamment exhaustif et nécessite encore des ajustements.

16En effet, le tissu économique mahorais peine encore à être capté dans sa globalité. Produire des statistiques sur les secteurs formel et informel est un enjeu de taille pour construire les comptes régionaux. Dans les autres DOM, comme en France métropolitaine, la notion de secteur informel n’a pas cours dans la mesure où on considère que toutes les entreprises ont une existence légale. Faire de même pour Mayotte n’est pas satisfaisant : du fait des caractéristiques de son économie proches d’un pays africain, les méthodologies utilisées dans les pays en développement semblent les plus pertinentes à adapter au cas de Mayotte.

17Une première enquête expérimentale auprès des entreprises du secteur formel [6] a été conduite en 2012 par la direction régionale de l’Insee (enquête postale). 8 600 entreprises potentiellement actives ont été identifiées à partir de différentes sources : le répertoire Sirene (encadré 2) mais aussi des fichiers administratifs et fiscaux. Parmi ces entreprises, 1 300 (soit 15 % d’entre elles) n’étaient alors pas présentes dans le répertoire Sirene. Par ailleurs, en raison de l’absence pendant longtemps d’un répertoire centralisé, certaines entreprises pouvaient avoir jusqu’à trois numéros Siren différents et être ainsi présentes plusieurs fois dans la base. Certains doublons pouvaient également être générés par des problèmes d’état civil [7] (homonymes nés à la même date, favorisés par des dates de naissance approximatives qui s’accumulent au 1er janvier de chaque année). De plus, beaucoup d’entreprises avaient probablement cessé leur activité sans que l’on ne puisse en estimer le nombre. Cette enquête a permis de tirer les enseignements suivants :

  1. Il est difficile d’organiser une enquête postale à Mayotte en raison d’un adressage encore très partiel, et d’un service de distribution du courrier défaillant. Ainsi, le taux de retour de courrier non distribué s’est élevé à 22 %, et le taux de non-distribution du courrier était potentiellement encore plus important.
  2. Le taux de réponse a été relativement faible (14 %), mais il était impossible de faire la différence entre une entreprise non-répondante et une entreprise hors champ de l’enquête (car ayant cessé son activité par exemple), ce qui rendait les traitements post-collecte particulièrement délicats.
  3. Les entreprises déposant des liasses fiscales ont eu un taux de réponse spontanée satisfaisant et une qualité de réponse jugée bonne.
  4. A l’inverse, les entreprises ne déposant pas de liasses fiscales ont eu beaucoup de difficultés à remplir le questionnaire qui leur était envoyé, notamment parce que, ne tenant pas de comptabilité, elles ne disposaient pas des éléments demandés.

Encadré 2. Système Informatique pour le Répertoire des Entreprises et des Etablissements (Sirene)

Le répertoire Sirene enregistre l’état civil de toutes les entreprises et leurs établissements quel que soit leur forme juridique, leur secteur d’activité et situés en France métropolitaine, en Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon. À Mayotte, la mise en place du répertoire Sirene a commencé en 2008. Ce répertoire inter-administratif a pour but d’enregistrer l’état civil des unités légales et des établissements et de les identifier (numéros Siren et Siret). Auparavant, il n’y avait pas de répertoire unifié, et chaque administration gérait un répertoire d’entreprises qui lui était propre. Les fichiers administratifs sont encore partiels à Mayotte (fichier des impôts notamment), toutes les entreprises ne faisant pas les démarches obligatoires. Ils n’ont donc pas encore le niveau de qualité et d’exhaustivité nécessaire à l’établissement de statistiques robustes, de ce fait la qualité du répertoire Sirene a longtemps été d’une qualité discutable. Des travaux ont été entrepris ces dernières années pour en améliorer la couverture, notamment grâce à un travail de collaboration entre l’Insee et plusieurs centres de formalités des entreprises. Deux problèmes subsistent néanmoins : des cessations d’activité qui ne remontent pas suffisamment dans Sirene et un défaut de qualité des adresses. La convergence du système statistique sur les entreprises de Mayotte vers celui des autres départements Outre-mer passe par ces améliorations.

18À l’issue de cette expérimentation, il est donc apparu qu’il n’était pas possible, avec des enquêtes auprès des entreprises classiques comme celles menées en métropole, d’évaluer correctement le nombre d’entreprises actives du secteur formel à Mayotte et d’estimer les agrégats habituels (par exemple, le total de la valeur ajoutée, du chiffre d’affaires ou des effectifs par grands secteurs).

19En outre, les difficultés que l’on avait pour estimer les activités du secteur formel à Mayotte et les doutes quant à la qualité des données administratives (notamment en termes d’exhaustivité) renforçaient la crainte qu’il existe un nombre important de sociétés non connues de l’administration et donc que le poids de l’informel soit important.

20Ainsi, les spécificités du territoire de Mayotte avec un adressage encore très partiel et l’hypothèse d’un nombre important d’entreprises informelles ont conduit à se tourner vers la méthodologie des enquêtes 1-2-3 pour essayer de bâtir un système d’information adapté à la réalité du terrain (Roubaud, 1991).

21Cette première expérience a également permis d’engager une nouvelle opération qualité sur le répertoire Sirene afin de le rendre le plus exhaustif possible.

2.2 – Une demande en matière de politiques publiques

22En parallèle et indépendamment de la demande du système statistique, émergeait également une demande issue d’instances chargées d’accompagner les politiques publiques pour répondre aux difficultés économiques structurelles de Mayotte par le biais de deux institutions : l’Agence Française de Développement (AFD) et la Direction des Entreprises, de la Concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Dieccte) de Mayotte.

23Alors que le tissu économique de Mayotte peine à créer suffisamment d’emplois pour absorber l’ensemble de la main-d’œuvre disponible, l’AFD est engagée dans des projets visant à dynamiser l’économie à travers le soutien aux grands investissements du territoire [8]. L’AFD est également impliquée dans l’insertion professionnelle et la création d’emplois via le soutien au microcrédit avec l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE) et l’insertion professionnelle des personnes handicapées avec l’association Messo. Cette enquête était donc pour l’AFD l’occasion unique d’établir un lien entre ses activités dans les territoires ultramarins et dans les pays en développement, en approfondissant sa connaissance des freins à la création et à la croissance des activités génératrices de revenus et des enjeux du secteur informel. Ces connaissances sont importantes pour améliorer les interventions de l’Agence et identifier de nouveaux leviers, notamment dans l’océan Indien. Cette convergence régionale est apparue d’autant plus pertinente que deux enquêtes 1-2-3 venaient d’être menées aux Comores et à Madagascar, où l’AFD intervient également.

24Du côté de l’administration d’État (la Dieccte), les motivations étaient du même ordre. En charge de dynamiser l’activité économique de Mayotte, le projet d’enquête de l’Insee et la perspective de collaborations plus étroites avec l’AFD sont apparus comme une opportunité exceptionnelle d’ouvrir une nouvelle piste à ce stade inexplorée et d’améliorer la collaboration avec les acteurs publics œuvrant sur le territoire.

25Dans cette perspective, la convergence d’intérêts exprimés par plusieurs institutions publiques françaises à Mayotte confirmait la pertinence de réaliser une enquête sur le secteur informel. Celle-ci a été menée par l’Insee dans le cadre d’un partenariat avec la Direction générale des Outre-mer (DGOM) du ministère de l’Outre-mer.

2.3 – Alternatives et choix méthodologiques adaptés au cas mahorais : l’enquête 1-2-3

26Le manuel statistique sur le secteur informel et l’emploi informel élaboré par le BIT (2013) en réponse à la Résolution concernant les statistiques de l’emploi dans le secteur informel adoptée par la 15e CIST propose une liste de méthodologies de mesure du secteur informel, dont l’utilisation passe par l’adaptation préalable dans chaque pays de la définition générale du secteur informel proposée dans le manuel.

27Dans le cas de Mayotte, il était donc primordial d’appliquer une méthodologie spécifique à la définition du secteur informel et aux normes métropolitaines. Mayotte devait cependant développer un système compatible avec la France métropolitaine et les autres DOM pour produire des statistiques comparables et faciliter la compilation de ses données.

28Les chercheurs de l’IRD-DIAL ont développé une classe particulière d’enquêtes mixtes, les enquêtes 1-2-3 (encadré 3), qui vise à mesurer le secteur informel dans ses multiples relations avec le reste de l’économie, aussi bien en matière d’emploi que de demande et d’offre de produits informels. Ils ont appuyé la mise en œuvre de ces enquêtes dans de nombreux pays.

Encadré 3. Le dispositif d’enquêtes 1-2-3

Les enquêtes 1-2-3 ont été développées au début des années 90 par l’équipe DIAL (Développement, Institut et mondialisations) de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) (Roubaud, 1991) pour la mesure de l’emploi et du secteur informel dans les pays en développement (PED). Elles ont été mises en œuvre dans une quarantaine de pays, surtout en Afrique mais aussi en Amérique latine et en Asie, et servent à l’amélioration de la mesure du PIB dans plusieurs pays. Basée sur le principe de la greffe d’enquêtes, l’enquête 1-2-3 est un système de trois enquêtes imbriquées, visant différentes populations statistiques : les individus, les ménages et les unités de production informelles (UPI). La première phase de l’enquête 1-2-3 est une enquête sur l’emploi, le chômage et les conditions de travail des ménages et des individus. Elle permet de documenter et d’analyser le fonctionnement du marché du travail et est utilisée comme filtre pour la deuxième phase, où un échantillon représentatif des UPI est enquêté. Ainsi, dans la deuxième phase de l’enquête, les chefs des UPI identifiés lors de la première phase sont interrogés : l’enquête cherche à mesurer les principales caractéristiques économiques et productives des unités de production (production, valeur ajoutée, investissement, financement), les principales difficultés rencontrées dans le développement de l’activité, et quel type de soutien les entrepreneurs du secteur informel attendent des pouvoirs publics. Enfin, dans la troisième phase, une enquête spécifique sur les revenus et dépenses est administrée à un sous-échantillon de ménages sélectionnés lors de la phase 1, pour estimer le poids des secteurs formel et informel dans la consommation des ménages, par produit et par type de ménage. À Mayotte, le questionnaire utilisé dans l’enquête sur les entreprises informelles est largement inspiré de cette méthodologie. Il s’agit plus précisément de la phase 2 du dispositif 1-2-3 sur le secteur informel portant sur le volet comptable de l’unité de production informelle (UPI) interrogée. Le questionnaire administré renseigne sur les caractéristiques de l’UP, la main-d’œuvre employée (la taille moyenne dans les UP = 1,3 personne y compris le chef de l’UP) et les performances économiques par secteur d’activité (chiffre d’affaires, production, VA, etc. Il s’agit d’un univers qui s’apparente au secteur institutionnel des ménages selon le vocabulaire des comptables nationaux.

29Ces enquêtes mixtes modulaires ont l’avantage d’estimer sans biais le nombre d’entreprises informelles et d’estimer leur part dans la valeur ajoutée et les revenus. Leur stratégie s’appuie sur l’expérience terrain des chercheurs de l’IRD-DIAL selon laquelle les unités de production informelles sont plus faciles à saisir par les emplois des personnes travaillant dans le secteur informel que par l’identification des locaux dans lesquels se tient l’activité (Razafindrakoto et alii, 2009).

30Enfin, les entreprises informelles sont inconnues de l’administration et peuvent difficilement remplir un questionnaire comptable classique. Elles ne tiennent en effet généralement pas de comptabilité de leurs activités économiques et ne peuvent donc pas facilement transmettre d’information sur leur production ou leur consommation intermédiaire (Séruzier, 2009). Le dispositif d’enquêtes 1-2-3 contient un module spécifique qui permet à l’enquêteur d’aider le responsable de l’entreprise informelle à reconstituer sa comptabilité.

3 – Le dispositif mis en œuvre

3.1 – Un dispositif d’enquêtes hérité des conclusions de l’enquête expérimentale

31Forts des constats et difficultés mesurés lors de la première enquête expérimentale, l’Insee a décidé de mettre en place un système d’enquêtes auprès des entreprises, appelé « Enquête sur les entreprises mahoraises ». L’objectif de ce dispositif est de mesurer l’activité économique des entreprises de Mayotte, formelles et informelles, et de permettre la construction de comptes économiques ventilés par branche. L’Enquête sur les entreprises mahoraises comprend en fait deux enquêtes différentes :

32- Une première enquête porte sur les entreprises formelles. Les entreprises formelles sont définies de la façon suivante dans le cadre de Mayotte. Il s’agit des entreprises ayant déposé une liasse fiscale au cours d’au moins un des trois exercices précédents. Elles sont interrogées par courrier et font l’objet de relances téléphoniques le cas échéant. Comme ces entreprises ont déjà déposé une liasse fiscale, elles tiennent une comptabilité et sont donc en mesure de répondre à un questionnaire de type comptable. Cette première enquête a été réalisée sur les exercices fiscaux 2013, 2015 et 2016 et a été renouvelée ensuite tous les ans.

33- Une seconde enquête, réalisée sur un échantillon et selon une méthodologie différente (inspirée des enquêtes 1-2-3) porte sur le champ des entreprises ne répondant pas aux caractéristiques décrites ci-dessus, que l’on qualifie donc d’entreprises informelles dans le cadre de Mayotte. Cette enquête est confrontée à deux difficultés, à savoir identifier les entreprises informelles, qui ne sont généralement pas présentes dans les répertoires administratifs, et les interroger.

3.2 – Une enquête sur les entreprises formelles qui a produit des résultat robustes et nouveaux sur son champ

34L’enquête sur les entreprises formelles a été menée pour la première fois en 2014 sur l’exercice 2013. La base de sondage de l’enquête a été constituée des entreprises ayant déposé au moins une liasse fiscale entre 2011 et 2013 et appartenant à l’ensemble des secteurs hors agriculture, banques et assurances. L’ensemble du champ a été interrogé exhaustivement dans cette enquête. Ce champ est équivalent au champ des enquêtes structurelles d’entreprises menées en métropole et dans les autres DOM, dont un des objectifs et de fournir les données nécessaires à la comptabilité nationale.

351 705 entreprises ont ainsi été interrogées, 1 180 ont répondu dont 120 qui se sont révélées hors champ de l’enquête (essentiellement des entreprises ayant cessé leur activité). Cela représente un taux de réponse de 69 % en nombre d’entreprises et de 90 % en chiffre d’affaires déclaré aux impôts, soit un taux de réponse équivalent à l’enquête structurelle annuelle réalisée auprès des entreprises à La Réunion.

36Cette première photographie des entreprises privées mahoraises a représenté un pas important dans la connaissance de l’économie de ce territoire. Elle ne couvrait cependant qu’une partie de l’activité privée : celle des entreprises les plus formelles, déposant une liasse fiscale aux services des impôts. Afin d’avoir une mesure complète de l’activité économique de Mayotte, cette mesure se devait d’être complétée d’une mesure de l’activité informelle. C’est l’objectif de l’enquête sur les entreprises informelles mise en œuvre en 2016.

3.3 – Une enquête sur les entreprises informelles à la méthodologie inspirée des enquêtes 1-2-3

37L’enquête sur les entreprises informelles visait à mesurer l’activité économique de toutes les entreprises inconnues des services fiscaux, définies comme les entreprises informelles. Ce sont des entreprises pour lesquelles on ne dispose d’aucune information comptable depuis 3 ans et que l’on ne peut repérer facilement sur le terrain. Mener une enquête de ce type avait pour objectif de permettre à l’Insee de mesurer la richesse créée par ces entreprises et d’en déduire des coefficients d’extrapolation par secteur à appliquer aux résultats des enquêtes annuelles sur les entreprises formelles plusieurs années de suite, afin notamment de calculer un PIB régional pour Mayotte. L’objectif de l’enquête était ainsi à la fois d’estimer le nombre d’unités de production informelles (UPI) et leur poids économique, ainsi que de caractériser au mieux le secteur informel.

38La suite de cette partie présente la méthodologie utilisée pour la mise en œuvre de l’enquête sur les entreprises informelles, inspirée des enquêtes 1-2-3.

3.4 – L’enquête filtre utilisée : enquête sur les migrations, la famille et le vieillissement

39L’enquête Migrations, famille et vieillissement (MFV) qui vise à mesurer les mutations démographiques et appréhender leurs conséquences socioéconomiques a été réalisée auprès de 5600 ménages mahorais entre décembre 2015 et avril 2016. La stratégie mise en place a consisté à utiliser le module qui précède le questionnaire propre à l’enquête MFV afin de servir de filtre pour identifier les responsables des unités de production informelles (UPI), qui feront ensuite l’objet d’une interrogation spécifique. Ont été considérés comme éligibles à l’enquête spécifique deux catégories d’individus âgés de 15 à 79 ans : d’une part les actifs occupés exerçant leur emploi à compte propre (question « Actuellement, <prénom> exerce cette profession… 1- à son compte 2- comme salarié 3- comme aide familial »), d’autre part les personnes inactives au moment de l’enquête MFV mais ayant déclaré avoir exercé une activité professionnelle à leur compte au cours des six derniers mois précédant l’enquête. Les résultats de l’enquête ont permis d’établir une liste de 477 unités de production à interroger dans le cadre de l’enquête auprès des entreprises informelles.

3.5 – Un questionnaire largement inspiré de l’enquête 1-2-3 malgache

40Le questionnaire utilisé a été très largement repris de celui de l’enquête 1-2-3 (phase 2 correspondant à l’enquête auprès des entreprises informelles) mise en place à Madagascar et ailleurs. Il a été raccourci pour limiter le temps de collecte. Les questions sur la concurrence, sur le financement, ainsi que le module sur les problèmes et les perspectives ont été écartées, car elles ont été jugées peu pertinentes par l’Insee au regard soit des objectifs de l’enquête (établissement de comptes d’entreprises), soit des spécificités du territoire.

41L’enquête a été préparée en collaboration avec l’Institut de statistiques de Madagascar, qui a aidé l’Insee à mettre en place le questionnaire, a fourni et adapté l’outil de saisie, et a formé les enquêteurs lors du test. Les chercheurs de l’IRD-DIAL ont également fourni un appui méthodologique tout au long de l’enquête, et ont participé à différentes phases terrain.

42Au final, le questionnaire tient sur deux feuilles A3 et comporte les sept modules suivants :

  • Un premier module caractéristiques de l’entreprise (local, équipement, ancienneté…)
  • Un module main-d’œuvre qui liste les personnes travaillant pour l’entreprise et récupère le détail de leur rémunération
  • Un module production qui liste l’ensemble des produits et services vendus par l’entreprise
  • Un module dépenses et charges qui liste les coûts supportés par l’entreprise (pour produire les biens et services listés dans le module production). En effet, pour simplifier le questionnaire, les stocks ne sont pas pris en compte
  • Un module rythme d’activité visant à permettre de passer de données mensuelles à des données annuelles (voir plus bas)
  • Un module clients et fournisseurs
  • Un module équipement qui permet notamment de calculer l’investissement.

43Ces modules spécifiques sont précédés de questions filtre (régime fiscal, type de comptabilité, statut juridique, branche d’activité, adresse) qui servent à vérifier que les personnes identifiées lors de l’enquête MFV correspondent au champ d’application de l’enquête auprès des entreprises informelles. Le principe du questionnaire est de reconstruire une comptabilité annuelle pour l’unité de production en partant du principe que l’enquêté ne tient pas de comptabilité, et qu’on doit donc se baser, au moins en partie, sur sa mémoire.

3.6 – La collecte et son bilan

44La collecte des données a été réalisée auprès de 477 chefs d’unités de production sur quatre semaines par douze enquêteurs de l’Insee à Mayotte. Compte-tenu du caractère innovant de l’enquête, un effort important a été apporté à la formation et au suivi des enquêteurs. Une organisation des travaux sur le terrain a été mise en place avec un chronogramme détaillé des activités à réaliser.

45Les taux de réponses ont été satisfaisants, sur les 477 questionnaires traités, on compte 58% de réponse. Moins d’un enquêté sur dix (7%) a refusé de répondre à l’enquête ou simplement était absent. Le taux élevé de questionnaires considérés comme hors champ (35%) est dû au problème de filtre de l’enquête MFV qui a identifié à tort des personnes comme étant des chefs d’unités de production. Enfin, parmi ceux ayant répondu à l’enquête, 8% ont déclaré tenir une comptabilité, aussi n’ont-ils pas poursuivi le remplissage du questionnaire. Après vérification auprès des listes fiscales fournies par la direction régionale des finances publiques (DRFiP), ils ont été intégrés dans l’enquête réalisée auprès des entreprises formelles quelques mois plus tard par courrier postal.

46Pour une grande majorité des chefs d’unités de production informelles exerçant leur activité professionnelle à leur domicile ou à proximité immédiate, la crainte de buter sur des difficultés de repérage s’est avérée infondée, d’autant que les chefs d’unités avaient été enquêtés auparavant dans le cadre de l’enquête MFV.

47Une des principales difficultés a porté sur l’établissement des comptes d’exploitation mensuels des unités de production informelles notamment pour les entreprises commerciales (boutiques), pour lesquelles le prix d’achat des produits était manquant. En effet, de nombreux responsables de petits magasins ne connaissaient pas le prix d’achat des marchandises qu’ils vendaient. Or sans prix d’achat, il devenait impossible de calculer les soldes intermédiaires de gestion comme la marge commerciale, la valeur ajoutée, etc. La solution a consisté d’abord à récupérer dans les questionnaires incomplets le maximum d’informations sur les produits dont le prix d’achat était inconnu (magasin, conditionnement, marque). Ensuite, à collecter les prix de ces mêmes produits dans les grandes surfaces (où généralement les petits commerçants vont s’approvisionner plutôt que chez les grossistes). Ce processus renforcé a permis de récupérer 44 % des prix manquants et ainsi de réduire d’autant le volume de non-réponse partielle à traiter. Les cas où l’information faisait défaut pour identifier le produit ont fait l’objet d’une imputation statistique (cf. annexes).

3.7 – La phase de traitement aval et ses difficultés

48La phase d’apurement est indispensable avant la constitution des fichiers d’analyse car les contrôles réalisés au cours de la saisie ne suffisent pas à éliminer la totalité des erreurs de terrain et aussi de saisie. Il s’agissait notamment d’expertiser les données, de prendre en compte la saisonnalité des activités informelles permettant ensuite de calculer les principaux agrégats annuels, de traiter les valeurs manquantes, d’étudier les biais de collecte, et de traiter la non-réponse totale pour calculer enfin la pondération. Nous présentons en détail chacune de ces étapes en annexes.

4 – Quelques résultats illustratifs

49Les résultats présentés ici portent sur l’année 2015, et sont basés d’abord sur des données issues de l’enquête concernant les entreprises formelles, puis sur celles de l’enquête concernant les entreprises informelles.

50En 2015, 2 360 entreprises connues des services fiscaux exercent à Mayotte une activité marchande, hors secteurs agricoles et financiers. Elles réalisent un chiffre d’affaires de 1,64 milliard d’euros et dégagent une valeur ajoutée de 525 millions d’euros (Daubrée, 2018a).

51Le commerce, notamment de détail, puis l’industrie et la construction sont les secteurs qui créent le plus de valeur ajoutée. Ils représentent à eux trois plus de 60 % de la valeur ajoutée totale. En outre, l’économie mahoraise est concentrée : 1 % des entreprises réalisent 40 % de la valeur ajoutée totale.

52L’enquête concernant les entreprises informelles a permis de quantifier le poids du secteur informel pour la première fois à Mayotte, et de le comparer avec celui des entreprises formelles pour l’exercice 2015. Deux tiers des entreprises mahoraises sont informelles et donc inconnues de l’administration fiscale. En 2015, elles réalisent 114 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont elles dégagent 54 millions d’euros de valeur ajoutée (Daubrée, 2018b) (graphique 3).

Graphique 3

Structure de l’économie mahoraise entre entreprises formelles et informelles

Graphique 3

Structure de l’économie mahoraise entre entreprises formelles et informelles

Champ : Secteur marchand, hors entreprises financières et agriculture.
Source : Insee, Enquête sur les entreprises mahoraises 2015.

53Un tiers des entreprises informelles sont des entreprises de commerce, qui génèrent un quart de la valeur ajoutée « informelle » totale (tableau 1). Il s’agit très souvent de vente ambulante de fruits et légumes ou de boissons, ou encore de petites épiceries. Néanmoins, ce n’est pas dans le commerce que l’informel pèse le plus : seulement 11 % de la valeur ajoutée du commerce à Mayotte est générée par des entreprises informelles. Le poids de l’informel est beaucoup plus important dans la réparation de véhicules ou pour les autres activités de services. En effet, 65 % de la valeur ajoutée des entreprises de réparation de voitures est créée par de l’activité informelle, et 48 % pour les autres activités de services. À l’inverse, l’informel pèse peu dans la construction.

Tableau 1
Tableau 1
Entreprises Emplois Chiffre d’affaires Valeur ajoutée (va) Investissement Répartition de la VA de l’économie informelle Part de l’économie informelle dans la VA des entreprises nombre en milliers d’euros (en %) (en %) Entreprises informelles 5 260 6 640 113 930 53 690 2 210 100 9 Commerce de détail 1 960 2 500 55 850 13 510 480 25 11 Construction 990 1 170 10 870 10 070 160 19 10 Autres activités de services 410 460 9 980 8 880 530 17 48 Réparation de véhicules 120 140 7 870 6 850 0 13 65 Industrie manufacturière 740 1 150 13 480 6 620 400 12 11 Transports terrestres et manutention 320 350 10 450 6 320 530 12 14 Restauration 720 870 5 430 1 440 120 3 9
Répartition des principaux agrégats économiques du secteur informel par secteur d’activités
Champ : Secteur marchand, hors entreprises financières et agriculture.
Source : Insee, Enquête sur les entreprises mahoraises 2015.

54Les entreprises informelles mahoraises investissent peu : leur investissement total s’élève à 2,2 millions d’euros en 2015 contre 106 millions d’euros pour les entreprises formelles. Au sein du secteur informel, ce sont les entreprises de transport (taxis essentiellement), de services ou bien de commerce de détail qui génèrent les trois quarts des investissements. 1,3 personne en moyenne par entreprise. Au total, elles emploient 15% de la population active occupée à Mayotte. Considérées comme des activités de subsistance, elles sont aussi peu productives.

55Trois quarts des entreprises informelles sont dirigées par des chefs d’entreprises nés à l’étranger, alors que cette catégorie de population ne représente que 47 % de l’ensemble des Mahorais de 15 à 79 ans. Ainsi, la moitié des chefs d’entreprises informelles sont nés à Anjouan, l’île des Comores la plus proche de Mayotte. Selon l’enquête MFV (Marie et al., 2017), la moitié des étrangers non natifs de Mayotte se trouve en situation administrative irrégulière, ce qui constitue un frein majeur à la formalisation de leur activité, pour ceux qui sont entrepreneurs.

56Le niveau d’études des chefs d’entreprises informelles est plus faible que celui du reste de la population mahoraise : ils ne sont que 7 % à être allés au-delà du lycée, contre 18 % pour la population en âge de travailler, tandis que 40 % n’ont suivi aucune scolarité (contre 28 % pour la population en âge de travailler).

57Un des intérêts de l’enquête sur le secteur informel à Mayotte vient de la possibilité de comparer les résultats avec ceux de deux autres enquêtes menées à la même période suivant la même méthodologie dans la région. Au-delà d’énormes différences d’échelle (5 000 entreprises informelles à Mayotte, 40 000 aux Comores et 2,3 millions à Madagascar), le profil contrasté du secteur informel dans les trois territoires fait apparaître un certain nombre de caractéristiques structurelles éclairantes. Nous en commenterons trois principales.

58En premier lieu, la place du secteur informel est très différente entre Mayotte d’une part, Madagascar et les Comores de l’autre (tableau 2), ce qui tient dans les deux derniers cas à l’absence d’arbitrage entre chômage et secteur informel. En effet, en l’absence d’allocations chômage et d’alternatives d’emplois suffisantes dans le secteur formel (public et privé), le secteur informel est massif à Madagascar (73 %) et aux Comores (72 %), tandis que le chômage est faible (moins de 2% à Madagascar) ; un résultat conforme à l’hypothèse du « chômage de luxe » caractéristique des pays pauvres [9]. On observe la situation inverse à Mayotte, qui dispose d’un système de prestations chômage : le chômage est très élevé (24 %) et la part des emplois dans le secteur informel relativement limitée (15 %).

Tableau 2

Le secteur informel dans l’Océan Indien : Mayotte, Madagascar et Comores

MayotteMadagascarComores
Taux de chômage24 %1,3 %8 %
Emplois dans le secteur15 %72 %73 %
Nombre d’UPI5 3002 269 00040 000
Taille moyenne (emploi)1,31,41,4
Auto-emploi (%)80 %72 %78 %
Valeur ajoutée annuelle/UPI (€)10 2007182 784
Sans local professionnel66 %80 %52 %
Sans eau courante68 %90 %90 %
Sans électricité11 %92 %70 %
Age de l’entreprise (ans)8108

Le secteur informel dans l’Océan Indien : Mayotte, Madagascar et Comores

Champ : Secteur marchand, hors entreprises financières et agriculture.
Source : Insee, Enquête sur les entreprises mahoraises 2015 ; INSTAT, ENEPSI 2012, Madagascar ; INSEED, EESIC 2013, Comores.

59En deuxième lieu et toujours suivant la même ligne de partage, la présence d’infrastructures publiques et le niveau de développement des différents territoires opposent Mayotte aux deux autres pays. Par exemple, près de 9 UPI sur 10 disposent d’un accès à l’électricité, contre 30 % aux Comores et moins de 10 % à Madagascar. La valeur ajoutée générée par UPI est de 4 à 15 fois supérieure à Mayotte (même s’il serait plus approprié de les comparer en parité de pouvoir d’achat, sachant que l’écart demeurerait substantiel même en PPA).

60En revanche et en troisième lieu, les structures productives des entreprises informelles présentent d’étonnantes similitudes. Ainsi, l’âge moyen des UPI est très similaire (entre 8 et 10 ans) dans les trois pays, ce qui montre qu’il ne s’agit pas essentiellement d’activités épisodiques. De même, la taille des UPI est quasi-identique. Il s’agit en moyenne de structures de 1,3 à 1,4 personnes, y compris le chef d’entreprise et de 70 % à 80 % d’entre elles se résument à de l’auto-emploi. On retrouve ainsi le « nombre d’or » d’environ 1,5 personnes par UPI, caractéristique du secteur informel aussi bien en Afrique, qu’en Asie où en Amérique latine, soit partout où les enquêtes ont été menées. De même, la majorité des UPI (les deux-tiers à Mayotte et jusqu’à 80 % à Madagascar) exercent sans locaux professionnels dédiés : soit dans la rue, soit à domicile. Plus étonnant, l’accès à l’eau courante est plus l’exception que la règle, y compris à Mayotte où 68 % des UPI en sont dépourvues (contre 90 % à Madagascar comme aux Comores).

Conclusion

61L’expérience réussie de l’enquête secteur informel, et plus largement de la mise en place d’un suivi statistique des entreprises à Mayotte, est instructive à plusieurs titres. En premier lieu, le dispositif élaboré a conduit à une couverture exhaustive du champ, ce qui n’était pas le cas auparavant. L’univers des entreprises formelles, jusque-là partiellement couvert a été complété (pilier 1). L’univers des entreprises informelles a été pris en compte pour la première fois (pilier 2). Dans les deux cas, la contribution est substantielle. En second lieu, pour la première fois dans un pays développé, une méthodologie développée pour et dans les pays en développement (enquête 1-2-3) a été adaptée et appliquée. Ce point mérite d’être souligné tant les transferts méthodologiques Sud-Nord sont rares, en statistique comme dans d’autres domaines. Mais in fine, l’enrichissement a été mutuel, en combinant les meilleures pratiques de conduite d’enquêtes au Nord et au Sud ; les leçons sont donc profitables pour les deux types de pays (développés et en développement). Le fait que l’enquête ait aussi été conduite aux Comores et à Madagascar donne une portée régionale à l’opération. Sur ce plan, la comparaison de la conduite d’enquêtes de ce type entre pays en développement et pays développés met en lumière tous les avantages liés aux ressources humaines et aux compétences dont dispose l’Insee et qui ont été mobilisées pour l’enquête (notamment le taux d’encadrement), mais aussi à la rigueur des procédures [10] et des processus de mise en place de l’enquête. Enfin, au-delà des besoins de la statistique publique, l’enquête a suscité un grand intérêt à Mayotte, autant de la part des autorités locales, que des organisations de développement et du secteur de la recherche [11].

62Le succès de l’opération (aussi bien concernant la faisabilité de l’enquête que de ses usages – au premier chef l’intégration des résultats dans les comptes nationaux) permet de tirer quelques enseignements et de brosser des perspectives. D’abord, il plaide en faveur de la reconduction du dispositif de manière régulière (avec une périodicité à définir). C’est déjà le cas du pilier 1 (entreprises formelles) qui est d’ores et déjà reconduit annuellement. Reste donc à consolider le pilier 2 (entreprises informelles). Une telle institutionnalisation est d’autant plus nécessaire que le secteur informel n’est pas près de disparaître, sous les effets conjugués des pressions démographique et migratoire et du fort taux de chômage, notamment des jeunes. Au moment de la publication de cet article, une 2ème édition de l’enquête sur les entreprises mahoraises informelles (Esemi 2021-2022) a été validée par les instances publiques (Cnis et Comité du label). L’enquête Vie quotidienne et santé (VQS) réalisée auprès des ménages servira d’enquête filtre afin de repérer les chefs d’unités de production informelle [12].

63Du point de vue du champ de l’enquête sur les entreprises informelles, l’intégration de l’agriculture pourrait être prise en considération alors que les sources existantes ne permettent pas d’en quantifier la partie informelle. En effet, une partie non négligeable de l’activité agricole s’exerce dans ce cadre et joue un rôle crucial dans le mode de reproduction économique et sociale des couches les plus défavorisées de la population de l’île, en lien avec la question foncière (Bianchini et Hochet, 2019). Du point de vue du champ thématique, le choix qui a été fait d’une approche purement structurelle et macro-comptable n’est sans doute pas optimal. Si les besoins de la comptabilité nationale étaient l’objectif prioritaire de l’enquête, d’autres usages et approfondissements (politiques publiques, profil microéconomique de la main-d’œuvre dans le secteur informel) pourraient facilement être satisfaits à un coût marginal. La mesure de l’emploi et des conditions de travail dans le secteur informel est à la fois un engagement international de la France (la résolution 204 du BIT pour « formaliser l’informel ») et un des indicateurs de l’ODD8 (réduire la part de l’emploi informel), tous deux adoptés en 2015, et une demande forte des acteurs étatiques comme de la société civile. Dans ce sens, les questions qualitatives dédiées du questionnaire générique de la phase 2 de l’enquête 1-2-3 pourraient être réintégrées (accès au crédit, à la formation et au marché, difficultés rencontrées et demandes), en les ajustant aux spécificités mahoraises.

Liste des sigles et abréviations

AFDAgence française de développement
APIPAAutorité pour la protection contre les inondations de la plaine d’Antananarivo
CemagrefCentre national du machinisme agricole du génie rural, des eaux et des forêts
CEPRICentre européen de prévention du risque d’inondation
GIECGroupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
GIREGestion Intégrée des Ressources en Eau
GISTDAGeo-informatics and Space Technology Development Agency
GIRIGestion intégrée du risque d’inondation
INRAEInstitut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement
IRSTEAInstitut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture
MRCCommission du Mékong - Mekong River Commission
ONGOrganisation non gouvernementale
PFEPartenariat français pour l’eau
QdFCourbes Débit-durée-fréquence
SAMVAService Autonome de Maintenance de la Ville d’Antanarivo
SFNSolutions fondées sur la Nature
SYMBHISyndicat Mixte des Bassins Hydrauliques de l’Isère
TALPériode de retour équivalent à l’aléa
TOPPériode de retour équivalente à l’objectif de protection
TRITerritoire à risque important d’Inondation
UICNUnion internationale pour la conservation de la nature
UNISDRBureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe – United Nations International Strategy for Disaster Reduction

Annexes : les différences étapes de la phase de traitement

Passage d’une réponse mensuelle à une estimation annuelle

64Le questionnaire du pilier 2 s’attache essentiellement à reconstruire la comptabilité d’une entreprise sur le mois précédant l’enquête, afin de minimiser les biais de mémoire des enquêtés qui ne tiennent pas de comptabilité. Pour obtenir des résultats annuels, une technique brute serait de multiplier les résultats par 12. Cependant, une partie importante des activités de l’île ont une forte saisonnalité, liée soit au climat (moins d’activités pendant la saison humide), soit au calendrier scolaire et religieux (pic d’activité pendant le mois de ramadan lié à la forte hausse de la consommation de denrées alimentaires et d’habillement). Aussi, un module spécifique est présent dans le questionnaire pour décrire cette saisonnalité afin de pouvoir ensuite en rendre compte dans le calcul des données annuelles.

65Le module de saisonnalité (voir graphique) est composé de deux parties : d’abord, on demande pour chaque mois de l’année écoulée (y compris le mois de l’enquête) si l’activité a été maximum, moyenne, minimum ou nulle, puis on demande quel a été le chiffre d’affaires pour les meilleurs mois et pour les moins bons. Une dernière question concerne la main d’œuvre temporaire éventuellement employée pendant les meilleurs mois, mais les enquêtés ont systématiquement répondu non à cette question.

figure im5

66Il était indiqué aux enquêteurs qu’à la place des valeurs minimales et maximales, ils pouvaient saisir un rapport si les enquêtés n’avaient pas idée des valeurs (par exemple, si l’enquêteur arrive à savoir que l’activité est deux fois plus importante les meilleurs mois que les moins bons, il remplit 1 dans la valeur min et 2 dans la valeur max).

67Le passage à l’année s’effectue en deux opérations :

  • Calcul d’un coefficient d’annualisation : par combien faut-il multiplier une valeur mensuelle pour obtenir une valeur annuelle ;
  • Détermination des variables concernées par ce coefficient, et de celles qui ne sont pas sujettes à la saisonnalité (par exemple, on va utiliser le coefficient d’annualisation pour les achats de matières premières, mais pas pour le loyer qu’on va simplement multiplier par 12).

68Le calcul du coefficient d’annualisation sera différent selon que le mois de référence est un mois moyen, minimal ou maximal. Le mois de référence ne peut pas être un mois sans activité. Ce calcul va dans tous les cas se baser sur le rapport entre la valeur du mois minimal et la valeur du mois maximal, figure im6 En effet, comme les enquêteurs ont rentrés dans certains cas de vraies valeurs, et dans d’autres directement un rapport, il n’y a que le rapport qui soit utilisable. Pour mener à bien le calcul, il est également nécessaire de faire une hypothèse sur la valeur du mois moyen par rapport aux valeurs minimale et maximale. Faute de mieux, on fait l’hypothèse que la valeur du mois moyen se situe entre les deux, c’est-à-dire que figure im7

69Sous ces hypothèses, il vient que :

  • si le mois d’enquête est un mois moyen :

  • si le mois d’enquête est un mois minimum
  • si le mois d’enquête est un mois maximum

75Tout ceci repose donc sur l’hypothèse forte sur la valeur de valMoy. La validité de cette hypothèse a été testée : cela n’est possible que quand le mois de l’enquête est un mois moyen, et que l’enquêteur a rempli des vraies valeurs pour les recettes mensuelles max et min, et non un rapport comme cela leur avait été proposé. Dans la majorité des cas, les valeurs estimées et réelles sont proches. Il y a néanmoins des cas où l’écart est important. Aussi, la méthode est infléchie pour que, dans les cas où les valeurs minimales et maximales sont plausibles, elles soient utilisées directement plutôt qu’estimées. Ceci donne dans notre cas des résultats qui semblent plus juste, mais va à l’encontre du postulat, vérifié par ailleurs, que les entrepreneurs ne sont pas capables d’estimer de manière correcte leur chiffre d’affaires mensuel.

76Le coefficient est ensuite appliqué à tout ce qui concerne la production, les achats de marchandises ou de matières premières. En ce qui concerne les charges, il est appliqué pour l’eau, l’énergie, les communications, le transport. En revanche, pour le loyer, l’assurance, les rémunérations, les taxes et impôts, le montant est simplement multiplié par 12.

77Ceci doit néanmoins être réalisé avec précaution : l’expertise a fait ressortir quelques cas particuliers où le coefficient calculé ne doit pas être appliqué. C’est le cas par exemple de certains commerçants pour qui les frais de transports correspondent à l’acheminement d’un conteneur annuel. Dans ce cas, l’enquêté a donné la valeur annuelle, qui a été divisé par 12 pour entrer dans le questionnaire, et qu’il faut donc à nouveau multiplier par 12 pour obtenir la valeur juste.

78A posteriori, il est possible de tirer quelques enseignements concernant cette partie du questionnaire, enseignements qui pourraient être mise en œuvre lors d’une éventuelle réédition de l’enquête.

79Ce traitement aurait été simplifié si, au lieu de ne saisir que les montants mensualisés de chacun des postes, il avait été décidé de saisir les valeurs « brutes » avec leur temporalité. Ainsi nous aurions bénéficié d’une indication sur le caractère non saisonnier de certains postes. Le calcul du coefficient aurait par ailleurs gagné en précision si nous avions également demandé la recette du mois moyen, en plus de la recette du meilleur mois et du moins bon mois (par exemple : « entre le mois le moins bon et le meilleur, il y a un facteur 5. Mais du coup, entre le mois minimum et le mois moyen, a-t-on un facteur 2 ? 3 ? »). Enfin, la formation aurait sans doute pu consacrer encore un peu plus de temps à ce module dont l’importance dans les résultats finaux est capitale, et qui n’a pas toujours été parfaitement compris par les enquêteurs.

Traitement des valeurs manquantes

80L’ensemble du dispositif de collecte ayant été mis en place pour limiter autant que possible les données manquantes ou de mauvaise qualité, les questionnaires bruts étaient relativement complets. Les manques les plus gênants se situent au niveau des prix d’achats de marchandises (problème déjà évoqué ci-dessus), ou au niveau de certaines charges.

81Pour les autres (un peu moins d’une centaine de produits, soit 6,5 %), l’imputation est réalisée de manière à ce que la marge commerciale sur les objets dont le prix d’achat est manquant soit une moyenne pondérée de la marge commerciale du magasin et de la marge commerciale du produit concerné. La pondération est choisie de manière à privilégier la méthode la plus solide, c’est-à-dire que si la proportion de produit d’un magasin à imputer est forte, on va privilégier la moyenne de la marge commerciale du type de produit, et inversement si elle est faible. Ainsi, le taux de marge imputée du produit P de l’entreprise E vaut :

83Avec αP la proportion de produits P à imputer au total, βE la proportion de produits à imputer pour l’entreprise E, TxMarge(P) le taux de marge du produit P sur l’ensemble de l’enquête, et TxMarge(E) le taux de marge de l’entreprise E, à chaque fois en se restreignant aux produits dont on connaît le prix d’achat.

84Par exemple, si on a besoin d’imputer le taux de marge commercial d’un paquet de biscuit, pour une entreprise donnée, on sait que :

  • ce produit est présent 9 autres fois dans l’enquête, à chaque fois avec un prix d’achat,
  • l’entreprise qui le vend a 3 autres produits à imputer, sur un total de 10 produits vendus,
  • le taux de marge commercial sur ce produit, pour l’ensemble de l’enquête est de 40 %
  • le taux de marge de l’entreprise, en dehors des produits à imputer, est de 20 %

85Alors on a :

87Pour l’imputation des charges (impôts, électricité, transports, intérêts versés), il y a à chaque fois très peu de cas à imputer. Comme on a globalement peu d’individus, on considère arbitrairement que ces charges sont déterminées par le chiffre d’affaires et le domaine d’activité, et on impute chaque charge en conséquence. Pour l’électricité par exemple, on calcule la médiane du rapport électricité sur chiffre d’affaires pour chacun des répondants, on considère que ce rapport vaut pour les entreprises à imputer, et on en déduit les charges d’électricité de l’entreprise pour lesquelles ces charges sont manquantes.

Recherche d’un biais enquêteur

88L’enquête filtre utilisée, l’enquête migrations-famille-vieillissement (MFV), comportait deux vagues successives qui ont été utilisées toutes les deux pour le pilier 2. Les enquêteurs qui en étaient chargés étaient les 12 enquêteurs du réseau pérenne de l’Insee, appuyés par 9 enquêteurs en contrat de courte durée. Les enquêteurs expérimentés n’ont pas travaillé sur la deuxième vague de MFV, car ils réalisaient la collecte du pilier 2. Deux phénomènes sont apparus rapidement qu’il a fallu creuser : d’une part, on note une dispersion très importante entre les enquêteurs sur le rapport entre le nombre d’individus ramenés par l’enquête filtre et l’échantillon affecté (de 2 % à 18 %). D’autre part, entre les deux vagues, ce taux d’éligibilité varie également fortement, passant de 6 % à 12 %, alors que le tirage des deux vagues a été réalisé de manière à ce que chacune soit indépendante et donc représentative.

89Afin d’analyser d’où provenaient ces disparités, le taux d’éligibilité a été décomposé en plusieurs composantes. Tout d’abord, le taux auquel on s’intéresse est le taux d’éligibilité à raison, c’est-à-dire le nombre d’individus ramenés par l’enquête filtre et confirmés par l’enquête entreprise comme étant dans le champ rapporté au nombre d’enquêtes à réaliser par l’enquêteur. Plus précisément, on ne va ici considérer hors champs que les questionnaires hors champ pour des raisons détectables lors de l’enquête filtre. Ainsi défini, on peut réécrire le taux d’éligibilité comme le produit :

91On voit ainsi apparaître :

  • un taux d’élection à raison qui correspond au pourcentage d’entreprises identifiées par les enquêteurs qui sont effectivement des entreprises, et non des salariés ou des chômeurs : un taux bas peut signifier que l’enquêteur a signalé de nombreuses entreprises à tort ;
  • un taux d’éligibles par membre du ménage qui mesure la part de personnes déclarées comme éligibles parmi l’ensemble des personnes qui auraient pu l’être ;
  • le nombre de personnes par, très dépendant de la zone de l’enquêteur ;
  • et enfin le taux de réponse des ménages à l’enquête.

figure im14

92Ces taux ont été calculés pour l’ensemble des enquêteurs. Il ressort que le facteur le plus déterminant est le taux d’éligibles par personne du ménage. Ces disparités peuvent s’expliquer soit par un « effet enquêteur » qu’il faudrait alors corriger, soit par un « effet zone d’enquête » qui refléterait alors simplement la disparité de la localisation des chefs d’entreprises informelles. Les sources sont peu nombreuses sur le sujet à Mayotte. Néanmoins, en comparant des cartes issues du recensement de la population et de l’enquête emploi avec celles de ce taux d’éligibilité par personne, on observe une disparité géographique semblable qui plaide donc plutôt en faveur d’un effet zone d’enquête même si les concepts de ces trois opérations ne sont pas parfaitement identiques.

figure im15

93Il n’apparaît pas de valeur aberrante hormis dans le cas d’un seul enquêteur. Aussi, aucun traitement n’a-t-il été entrepris pour corriger la disparité inter-enquêteurs.

94La comparaison entre les deux vagues fait par contre apparaître que, lors de la vague 2, le taux d’élection à raison est bien plus élevé que lors de la vague 1, générant un effet inverse à celui constaté sur le taux final. Pour la plupart des enquêteurs, ce taux est même de 100 % ce qui signifie qu’aucun éligible détecté n’a ensuite été mis hors champ lors de l’enquête entreprise. Et c’est encore une fois le taux d’éligibles par personne du ménage qui explique la baisse importante du taux résultant. Après des entretiens avec les enquêteurs et les gestionnaires de l’enquête, l’hypothèse retenue est que, entre les deux vagues, les enquêteurs ont changé de comportement sur la question filtre. Alors qu’ils avaient été plutôt lâches lors de la première vague, plaçant dans les éligibles beaucoup de personnes, certaines à tort, ils ont, lors de la seconde, été beaucoup plus stricts. Ils ont donc sélectionné moins d’éligibles à tort, mais ont probablement oubliés certains « vrais » éligibles. Cette hypothèse sera utilisée lors du traitement de la pondération pour redresser le taux de la vague 2.

Expertise des données

95L’expertise des données est effectuée en deux temps : tout d’abord, juste après la saisie, des contrôles de cohérences sont effectués pour repérer les erreurs de saisie ou de codification. Comme l’ensemble des questionnaires avaient préalablement été relus avec soin, cette phase n’a pas identifié d’autres problèmes que des fautes de frappes.

96Dans un deuxième temps, et en l’absence de données auxquelles comparer le contenu des questionnaires, l’expertise a porté sur deux variables : le coefficient d’annualisation dont on a parlé auparavant, et le taux de valeur ajoutée.

97Pour le coefficient d’annualisation, les valeurs très en dessous de 12 ne sont pas gênantes : la plupart du temps, c’est simplement le signe d’une interruption de l’activité pendant l’année, elles sont donc plausibles. Par contre, les valeurs très élevées qui correspondent aux cas de Graphique où le mois d’enquête est un mois jugé de faible activité par l’enquêté (supérieures à 24) sont problématiques. Elles peuvent en effet donner un poids très important à une entreprise (le coefficient montant jusqu’à 400). Si la conjonction d’un mois enquêté labellisé mauvais et d’un rapport important entre le mois minimal et le mois maximal peuvent expliquer ça, il faut néanmoins prendre des précautions. Les 12 questionnaires concernés ont donc été étudiés afin de vérifier qu’ils sont plausibles, et corrigés dans le cas contraire. Dans deux cas, les données ne sont pas crédibles. Comme en plus l’enquêteur a commenté en disant qu’il n’a pas confiance dans les réponses, ces données n’ont pas été utilisées.

98Pour le taux de valeur ajoutée, qui correspond au rapport entre la valeur ajoutée et le chiffre d’affaires, les valeurs problématiques sont celles qui sont négatives (ce qui signifie que, avant de payer les travailleurs, l’entreprise travaille à perte) et les valeurs très proches de 1 (ce qui signifie que le chiffre d’affaires est égal à la valeur ajoutée, et donc que l’entreprise n’a pas de charges d’aucune sorte). Pour les cas concernés là encore, le questionnaire est décortiqué et corrigé si les données ne semblent pas plausibles. Par exemple, dans le cas d’un taxi fortement déficitaire, il s’avère que ses comptes sont fortement impactés par une dépense exceptionnelle de réparation déclarée le mois de la collecte. Si on fait l’hypothèse que cette réparation a certes été faite au cours du mois passé, mais ne doit pas être reproduite chaque mois, les comptes retrouvent un profil proche des autres taxis : la modification est donc appliquée.

Pondération, traitement de la non-réponse totale

99Les individus interrogés dans l’enquête entreprise sont tous les individus détectés lors de l’enquête MFV, il n’y a pas de tirage réalisé. C’est donc la pondération finale de l’enquête MFV qui fait office de poids de tirage pour les individus de l’enquête entreprise.

100Les individus définis comme non-retours sont ceux que l’on n’a pas retrouvé sur le terrain ou étant absents au moment de l’enquête ainsi que ceux qui ont refusé l’enquête. Les individus hors-champ sont soit des salariés ou des chômeurs, qu’on interroge suite à une erreur du filtre, soit des professions agricoles hors du champ de notre enquête. On classe également comme hors-champ les entreprises nous déclarant effectuer une comptabilité, qui font l’objet d’un traitement spécifique à la fois pour le questionnaire et pour la pondération. Au final, on a 50 % de répondants, 7 % de non-retours et 43 % d’hors-champ.

101L’obtention de la pondération finale se fait en trois étapes : on détermine d’abord, parmi les non-retours, leur présence ou non dans le champ de l’enquête. Ensuite, on traite la non-réponse en répartissant le poids des non-répondants dans le champ sur les répondants. Enfin, on corrige le problème de différence d’éligibilité entre les vagues 1 et 2.

Présence dans le champ des non-retours

102Pour déterminer la présence dans le champ des non-retours [13], on effectue une régression logistique sur les individus répondants et sur les individus hors champ à partir des variables de l’échantillon, c’est-à-dire des variables de l’enquête MFV, et on applique le modèle résultant aux non-retours. Les questionnaires avec une probabilité d’être dans le champ supérieure à 50 % sont considérés dans le champ : ce sont des questionnaires dits non répondants. Les autres sont hors champ.

103Le modèle s’écrit :

104figure im16pk désigne la probabilité d’être dans le champ, les zk sont les variables auxiliaires.

105Dans notre cas, il s’agit des variables du tronc commun des enquêtes ménages. Après une sélection des variables les plus représentatives, il reste dans le modèle 4 variables : le type d’enquêteur (occasionnel ou permanent), le niveau d’étude, le secteur d’activité et la localisation géographique.

106Ainsi, on obtient une probabilité estimée d’être dans le champ de l’enquête pour les 33 non-répondants. Cette probabilité estimée va de 0,09 à 0,95 avec une moyenne de 0,53. La méthode d’imputation choisie est de conserver dans le champ de l’enquête les répondants qui ont une probabilité supérieure à 50 %. 17 questionnaires sont donc classés en non-répondants, auxquels on ajoute les deux questionnaires qui ont été jugés inexploitables lors de l’expertise. La suppression de 16 non-retours du champ de l’enquête revient à réduire la somme des poids de 330, ce qui réduit d’autant le nombre d’entreprises informelles par rapport à une situation où on considérerait tous les non-retours comme des non-répondants.

Traitement de la non-réponse totale

107Lors du traitement de la non-réponse totale, on cherche à reporter le poids des non-répondants sur les répondants La non-réponse est traitée par la méthode des groupes de réponse homogènes : on modélise la probabilité de répondre quand on est dans le champ pour l’ensemble des individus, de cette modélisation on constitue des groupes aussi homogènes que possible, et, à l’intérieur d’un groupe, on répartit le poids des non-répondants sur les répondants. Dans la modélisation de la probabilité de réponse, on prend garde de ne sélectionner que les variables corrélées avec les variables d’intérêt afin de ne pas induire de variance qui ne réduise pas de biais.

108On a choisi comme variable d’intérêt le chiffre d’affaires, la première étape est donc de tester la corrélation au chiffre d’affaires des variables potentiellement explicatives, qui sont là encore les variables du tronc commun des ménages. Cinq variables sont retenues : le lieu de naissance, la nationalité, le secteur d’activité, le nombre de pièces du logement et enfin le statut d’occupation du logement. De ces cinq variables une seule sera retenue lors de la modélisation, le statut d’occupation du logement.

109Cette variable a trois modalités, les propriétaires du sol et/ou de la maison, les locataires, et les logés à titre gratuit. Chaque modalité va donc correspondre à un groupe homogène de réponses. Au sein de chacun de ces groupes, on répartit le poids des non-répondants sur les répondants de manière égale.

110Le traitement de la non-réponse totale fait passer le total du chiffre d’affaires de 100,5 millions d’euros à 107,8 millions d’euros.

Traitement de l’éligibilité

111Comme vu plus haut dans le paragraphe sur la recherche d’un biais enquêteur, le taux d’éligible est beaucoup plus faible lors de la vague 2 de MFV que lors de la vague 1 (1,2 % contre 2,3 %). Après analyse, l’hypothèse faite est qu’une autocensure des enquêteurs lors de la vague 2 a conduit à un défaut de couverture, autrement dit qu’il manque des éligibles dans la vague 2, ce qui conduit à une sous-évaluation du nombre d’entreprises. Nous allons ici corriger cela, d’abord en mesurant la somme des poids manquante, puis en la répartissant sur les répondants.

112Pour ce faire, on fait l’hypothèse que le taux d’éligibilité lors des deux vagues aurait dû être identique (les vagues sont peu éloignées dans le temps, aucun phénomène particulier n’a été identifié qui pourrait impacter ce taux, les deux tirages sont équilibrés de la même manière de façon à ce que chaque vague soit également représentative du territoire), et que le taux mesuré lors de la vague 1 est fiable.

113Plus précisément, c’est le taux d’éligibles répondants qui est corrigé et non le taux d’éligibles brut. En effet, s’il manque des éligibles dans la vague 2, la collecte a montré que, dans la vague 1, il y en a trop : il s’agit des éligibles dont on s’aperçoit, quand on les enquête, qu’ils ne sont en fait pas à leur compte.

114Sachant que la somme des poids après correction de la non-réponse est de 4 755 avec un taux d’éligibles global de 2,1 %, on obtient la somme des poids souhaitable par un produit en croix :

116Ceci correspond à une augmentation de la somme des poids de 428, qu’il va falloir répartir sur les 238 répondants. En effet, il n’est pas opportun de répartir cette somme uniquement sur la vague 2 car cela reviendrait à surpondérer des individus uniquement du fait de leur appartenance à une vague. Cela induirait une distorsion des poids importante et donc une variabilité plus forte des indicateurs. On cherche plutôt à répartir ces poids sur l’ensemble des individus qui sont proches de ceux qui manquent.

117À cette fin, on recherche à l’aide d’une régression logistique quelles sont les variables de la base de sondage qui, croisées avec la vague, expliquent l’éligibilité. Quatre variables issues de MFV ressortent, par ordre d’importance :

  • La seconde condition du filtre d’éligibilité croisée avec la vague (« Avez-vous, dans les 6 derniers mois, occupé un emploi dans lequel vous étiez à votre compte ? ») ;
  • La première condition du filtre d’éligibilité croisée avec la vague (« Occupez-vous actuellement un emploi à votre compte ? ») ;
  • Le secteur de la profession croisé avec la vague (commerce/autre/sans profession) ;
  • La nationalité croisée avec la vague (français/étrangers).

118Ce sont donc ces variables sur lesquelles le fait d’avoir omis des répondants en vague 2 a le plus joué. On va donc utiliser la répartition de ces variables sur la vague 1 de l’échantillon, et faire en sorte de corriger les poids pour qu’on la retrouve sur l’ensemble de l’échantillon. Par exemple, on a sur la vague 1 36,5 % de français et 63,5 % d’étrangers, nous allons donc chercher, au total, à obtenir 0,365 · 5182 = 1890 français sur l’ensemble de la population. L’exercice est répété pour chacune des variables, et ces marges vont alors être utilisées dans un calage sur marge, ainsi que la marge en volume sur la somme des poids.

MargeEffectif dans l’échantillonVariation
Filtre 1Oui
Non
2968
2214
2784
1971
6,2%
11,0%
Filtre 2Oui
Non
2436
2746
2150
2604
11,7%
5,2%
ProfessionCommerce
Autre
Sans profession
1672
281
3229
1631
227
2897
2,4%
19,2%
10,3%
NationalitéFrançais
Étrangers
1890
3292
1632
3123
13,6%
5,1%
Poids-518247558,2%

Traitement des entreprises ayant déclarées tenir une comptabilité

119Pour les entreprises qui déclarent tenir une comptabilité, le questionnaire du pilier 2 ne leur est pas passé. Elles sont appariées avec la base d’entreprises du pilier 1. Quand elles y sont aussi présentes, ce sont en fait des entreprises formelles, elles sont déclarées hors champ du pilier 2. Dans le cas contraire, elles sont enquêtées avec le questionnaire du pilier 1, mais sont conservées dans le champ du pilier 2. Ces entreprises sont très peu nombreuses (15, donc 4 répondantes). Elles sont traitées à part car atypiques par rapport aux autres entreprises du pilier 2 : elles possèdent en effet un chiffre d’affaires quatre fois plus important que celles ayant déclarées ne pas faire de comptabilité. Parmi les 11 non répondants, 3 sont hors champ, 1 est non-répondant et le reste sont des non-retours. Comme pour la majorité des questionnaires, la première étape est de déterminer quels sont les non-retours qui sont dans le champ. Sur si peu d’unités, il n’est pas possible de réaliser une régression logistique, aussi on applique le modèle précédent à ces unités pour déterminer leur probabilité d’appartenance au champ. En ne conservant que les entreprises qui ont une probabilité d’être dans le champ supérieure à 50 %, deux entreprises supplémentaires sont non-répondantes, le reste hors champ. Pour répartir le poids des trois non-répondants sur les quatre répondants, là aussi le peu d’unités concernées interdit tout traitement un peu fin, aussi a-t-il été décidé de répartir les poids de manière à ce que la part des poids de chaque répondant soit constante :

Notes

  • [1]
    Élaboration des statistiques annuelles d’entreprises
  • [2]
    L’enquête mahoraise sur les entreprises formelles a intégré la plate-forme de collecte par internet (Coltrane) à partir de 2019 (sur l’exercice 2018).
  • [3]
    Dans cet article, nous utiliserons indifféremment les termes d’entreprises informelles, d’unités de production informelles (UPI)
  • [4]
    À compter de 2021, le recensement à Mayotte est réalisé selon les mêmes modalités que dans les autres départements outremer, avec des enquêtes annuelles par sondage dans les communes de plus de 10 000 habitants et une enquête quinquennale exhaustive dans les communes de moins de 10 000 habitants.
  • [5]
    « Le point culminant de 35 %, atteint au 2e trimestre 2018, était lié aux mouvements sociaux du début de l’année 2018 et à la baisse des contrats aidés. », extrait de l’Insee Flash n° 98, novembre 2019.
  • [6]
    Entreprises connues des services fiscaux.
  • [7]
    La mise en place du répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) a représenté un choc pour la société mahoraise qui n’utilisait pas un système traditionnel de nom et prénom. Un ensemble de règles et une commission pour les appliquer ont été mises en place en 2000. Aujourd’hui, l’état civil fonctionne comme en métropole, les naissances, les décès et les mariages sont bien enregistrés par les mairies et transmis dans les délais à l’Insee.
  • [8]
    L’AFD au cours de la décennie a notamment soutenu le développement : des infrastructures électriques (75 millions d’euros au bénéfice d’Électricité de Mayotte en 2011), des activités portuaires (4,5 millions d’euros au bénéfice du port commercial de Longoni en 2015) et des activités aéroportuaires (4,58 millions d’euros au bénéfice de la Société d’exploitation de l’aéroport de Mayotte pour la sécurisation de la piste de l’aéroport de Dzaoudzi en 2018).
  • [9]
    En l’absence d’allocation chômage, les plus pauvres ne peuvent pas se permettre de ne pas travailler. Ils exercent notamment dans le secteur informel.
  • [10]
    L’enquête a obtenu un visa délivré par le Comité du label. Celui-ci a pour mission d’examiner pour le compte du Conseil national de l’information statistique (Cnis) tous les projets d’enquêtes que lui soumettent les services producteurs de la statistique publique (Insee, services statistiques ministériels, autres organismes proches comme l’Ined, le Céreq, l’Inserm…) pour lesquelles est sollicité le visa prévu à l’article 2 de la loi du 7 juin 1951.
  • [11]
    Comme en atteste le colloque international intitulé Regards croisés sur la légitimité de l’informel organisé par le Centre Universitaire de Formation et de Recherche (CUFR) de Mayotte les 28 et 29 novembre 2019 [http://www.univ-mayotte.fr/fr/evenements/regards-croises-sur-la-legitimite-de-l-informel.html].
  • [12]
    Dans la perspective d’une 3ème édition de l’enquête sur les entreprises informelles, une suggestion serait d’utiliser une enquête emploi qui permettrait de mieux repérer les potentielles unités de production informelles. La principale contrainte est cependant de disposer d’une enquête filtre de bonne qualité statistique et d’un échantillon d’assez grande taille, pour que l’échantillon réinterrogé soit suffisamment important.
  • [13]
    On distingue les non-retours des non-répondants : les non-retours sont des individus qui n’ont pas répondu à l’enquête, mais pour lesquels on ne sait pas s’ils auraient été dans le champ, alors que les non-répondants sont les individus dont on considère qu’ils sont dans le champ de l’enquête.
Français

En 2015, pour faire face au besoin d’informations sur l’activité économique à Mayotte, l’Insee a complété son dispositif d’enquêtes auprès des entreprises par une enquête spécifique afin d’appréhender le secteur informel et de pouvoir quantifier le poids de ce secteur dans l’économie mahoraise. Compte-tenu des caractéristiques économiques et sociales de Mayotte, proches de celles d’un pays en développement (PED), l’approche retenue par l’Insee, a été inspirée de la méthodologie des enquêtes 1-2-3 développée par des chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRDDIAL). Ce type d’enquêtes mixtes n’avait, à ce jour, jamais été conduit sur un territoire relevant d’un pays développé. En l’absence de référentiel de qualité permettant de servir de base de sondage aux enquêtes auprès des entreprises, l’Insee a déployé une stratégie et opté pour des choix méthodologiques associés à la mesure de l’informel afin de mettre en œuvre un dispositif de suivi des entreprises à Mayotte. D’une part, l’univers des entreprises formelles, jusque-là partiellement couvert a été complété. D’autre part, l’univers des entreprises informelles a été pris en compte pour la première fois : en 2015, deux-tiers des entreprises mahoraises sont informelles, donc inconnues de l’administration fiscale. Elles ne génèrent que 9 % de la valeur ajoutée de l’ensemble des entreprises. Cette expérience réussie, qui sera renouvelée en 2021 une deuxième fois, met en avant d’autres résultats-clés, qui sont présentés dans cet article.
Classification JEL
J2, J46, O17

  • secteur informel
  • marchés du travail
  • création d’emploi
  • enquêtes entreprise
  • Mayotte
English

In 2015, to meet the need for information on economic activity in Mayotte, INSEE supplemented its business survey system with a specific survey to capture the informal sector and to quantify the weight of this sector in the Mauritanian economy. Given the economic and social characteristics of Mayotte, which are similar to those of a developing country, INSEE’s approach was inspired by the 1-2-3 survey methodology developed by researchers at the Institut de recherche pour le développement (IRD-DIAL). To date, this type of mixed survey has never been conducted in a territory belonging to a developed country. In the absence of a quality benchmark to serve as a sampling frame for business surveys, INSEE deployed a strategy and opted for methodological choices associated with the measurement of informality in order to implement a monitoring system for companies in Mayotte. On the one hand, the universe of formal businesses, which had previously been partially covered, was completed. On the other hand, the universe of informal businesses was taken into account for the first time : in 2015, two-thirds of businesses in Mayotte were informal, and therefore unknown to the tax authorities. They generate only 9% of the value added of all businesses. This successful experiment, which will be repeated in 2021 for a second time, highlights other key results, which are presented in this article.

  • informal sector
  • labour markets
  • job creation
  • firm surveys
  • Mayotte

Bibliographie

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  • En ligneThibault P. (2019), « Évolution des conditions de logement à Mayotte », Insee Analyses Mayotte, n° 18, août.
Sylvain Daubrée
INSEE
François Roubaud
IRD
Constance Torelli
INSEE
Coordination
Claire Zanuso
(AFD)
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Mis en ligne sur Cairn.info le 08/12/2021
ISBN 1000000148965
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