Dans une page célèbre de L’Ancien Régime et la Révolution, où il fait de la France « la plus brillante et la plus dangereuse des nations de l’Europe », Tocqueville résume ainsi les capacités et les vertus du peuple français : « apte à tout, mais n’excellant que dans l’art de la guerre ». La plupart de nos contemporains auraient sans doute un peu de mal à se reconnaître dans cette formule, mais elle a le mérite de nous faire toucher du doigt ce qui se trouve à l’arrière-plan de tous les récits dont ont été l’objet dans notre pays les différentes guerres auxquelles la France a participé : l’expérience et le sentiment du déclin au moins relatif d’une nation dont le « rang » devait beaucoup à la gloire de ses armes et qui, quels que puissent être ses atouts et ses mérites, a irrémédiablement perdu la place qui était la sienne dans ce domaine. Tocqueville écrit à un moment – le Second Empire – où la diplomatie française a rompu avec la prudence qui était la sienne sous la Monarchie de Juillet pour s’engager dans diverses entreprises qui ont toutes une certaine dimension guerrière et où la majorité de l’opinion voit l’épopée napoléonienne comme la continuation d’une gloire très ancienne. Plus généralement, la France du xixe siècle continue d’apparaître comme une puissance militaire de premier plan, dont les tendances hégémoniques sont du reste jugées inquiétantes par ses voisins, et cela s’accompagne en France même d’une culture guerrière qui est peut-être encore plus forte dans la gauche républicaine que chez les modérés o…