Depuis quelques années, en Turquie, la question du déphasage croissant entre Kamu (le Public, renvoyant à l’intérêt public, au bien public et au service public) et Devlet (l’État) alimente les réflexions sur les métamorphoses de l’État. Selon ces réflexions, l’État ne serait plus le défenseur du Public et il faudrait explorer hors du champ de l’État pour repérer les « véritables » garants du Public, souvent non reconnus par l’État. Si cette idée peut reposer sur une conception normative de l’État, évidemment critiquable, elle n’en est pas moins à notre avis stimulante en tant qu’elle bouleverse certains automatismes de pensée et d’association. En décembre 2011, les propos d’un ministre de l’Intérieur – İdris Naim Şahin en l’occurrence – sur l’omnipotence et l’omniprésence de l’État (« L’État, c’est la vie même ») ont à nouveau mis au jour cet apparent paradoxe du Parti de la justice et du développement (AKP), aux affaires depuis novembre 2002. En effet, partisan forcené du « moins d’État », par la délégation des tâches jugées annexes et par la compression des dépenses publiques, ce jeune parti perpétue à sa manière, et spécialement sur le versant sécuritaire, la centralité, la nécessité et le culte de l’État, obsessions politiques récurrentes en Turquie.
Pour essayer d’avancer dans cette réflexion sur la redéfinition du Public, nous voudrions interroger les transformations d’une administration d’État étroitement liée au Premier ministre, l’Administration du logement collectif ou TOKİ (Toplu Konut İdaresi)…