jean-françois gayraud : Le crime prend une telle place désormais qu’il ne se contente pas de contaminer les sociétés. Il en vient à littéralement capturer des États. Les « États captifs du crime » représentent une norme plus qu’une exception. Or, pour un lecteur de Hegel tel que vous, cette transformation d’États en entités criminelles n’est pas un phénomène anodin. Nous croyons – et c’est bien d’une croyance dont il s’agit et il faut l’assumer – à l’État impartial et à la centralité de la loi universelle et impersonnelle. Ce que nous appelons l’« État de droit » depuis le juriste autrichien Hans Kelsen est un État au-dessus des intérêts privés et partisans, dégagé donc des logiques clientélistes et a fortiori criminelles. L’État hégélien est fondé sur cette idée ou croyance d’un idéal du bien public, d’un intérêt général. Or cet État de droit est malade. On pourrait se livrer à une cartographie planétaire de ce que l’on doit appeler les « États criminels », c’est-à-dire d’États vivant par et pour la prédation des richesses. L’idée d’une société qui se criminalise est en soi inquiétante ; celle d’un État qui se compromet avec le crime et parfois peut s’identifier à lui l’est plus encore.
Il existe d’ailleurs de multiples synonymes à l’idée d’« État criminel ». Leurs sens sont relativement proches et la seule multiplication de ces expressions doit à elle seule signifier quelque chose. Quand le langage se montre si inventif, cela indique que nous assistons à des transformations importantes de la réalité…