Sur un tel sujet, il est sage de se garder de tout propos trop théorique ou irénique. Il convient d’évoquer le monde réel, dans ce qu’il a à la fois de plus insupportable et d’irrémédiable, ainsi que le philosophe Clément Rosset nous l’enseigne. Que constatons-nous ? Depuis la fin de la guerre froide et l’entrée dans l’ère de la mondialisation chaotique, les grandes criminalités – dont la criminalité organisée – ont profondément changé de nature. Or, nous avons des difficultés à percevoir ce changement qualitatif. Ici, l’image classique de l’iceberg est encore la plus pertinente : le plus important n’est pas ce qui est visible à l’œil nu, mais ce qui demeure enfoui, dissimulé à l’observation immédiate. Les grandes criminalités forment désormais des continents aux frontières invisibles, proposant de la planète une géographie nouvelle, à la cartographie encore embryonnaire. Le crime organisé fut longtemps une question un peu marginale et périphérique. Cette époque est révolue ou du moins devrait l’être. En effet, le crime organisé s’invite désormais au cœur même des sociétés contemporaines.
Cependant, comment parle-t-on du crime ? Si le discours journalistique ne perçoit que le « fait divers » avec sa charge d’émotion et d’éphémère, la criminologie classique a tendance à ne l’envisager que sous l’angle de l’individu et de son « passage à l’acte ». Ces points de vue dépassés conduisent à ignorer les dimensions géopolitiques et géoéconomiques des grandes criminalités contemporaines…