CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les projets visant à développer une agriculture industrielle d’exportation de biomasse sont en expansion dans les pays du Sud : doublement des surfaces de palmiers à huile entre 1990 et 2005 en Malaisie (de 1,7 à 3,4 millions d’ha), progression de 0,6 à 7 millions d’hectares entre 1975 et 2006 en Indonésie, croissance des plantations de canne à sucre au Brésil de 1,4 à 7 millions d’hectares entre 1960 et 2013, extension des cultures de soja de 16,8 % par an entre 2000 et 2005 en Amazonie brésilienne (Costa et al., 2007 ; FAOSTAT). En Afrique subsaharienne, depuis 2005, plus de 22 millions d’hectares de terres arables ont fait l’objet d’investissements étrangers pour l’expansion de projets agro-industriels destinés essentiellement à fournir les marchés internationaux, dont 22 % dans la filière huile de palme en Afrique de l’Ouest et centrale, et 13 % dans la filière sucre en Afrique australe (Schoneveld, 2014).
Depuis la fin des années 1990, de plus en plus d’acteurs de la société civile et d’études documentées font état des effets (« externalités ») négatifs qu’entraîne cette production de biomasse destinée à des marchés lointains. Ils dénoncent en particulier des dégradations de ressources et une violence sociale sur les fronts pionniers correspondants : déforestation, perte de biodiversité, pollutions par les pesticides, déplacements de populations, isolement de personnes, dépossession de terres coutumières, violation des droits de l’homme et criminalisation de l’action politique des communautés locales, etc…

Français

Résumé

Des dispositifs de standardisation des pratiques agricoles durables émergent au début des années 2000 en vue de dessiner des règles de comportement responsable des firmes. Reposant sur des engagements volontaires de la part des firmes, ces dispositifs se structurent le plus souvent autour d’un produit agricole donné et réunissent les différents opérateurs de la filière (producteurs, acheteurs, transformateurs, détaillants), ainsi que des ONG, des banques et parfois des États, pour définir et contrôler des pratiques de production durables. Ils ont pour ambition de réguler les impacts environnementaux et sociaux causés par l’agriculture, notamment industrielle. Pourtant, certains auteurs attirent l’attention sur la difficulté « d’internaliser » des effets négatifs et des coûts que le commerce international rend invisibles, par un effet de « distance ». En s’appuyant sur les travaux de Princen (1997), ce chapitre interroge la capacité des dispositifs de standardisation à rendre à nouveau visibles des effets « obscurcis » par la distance et l’action stratégique des firmes et des États. La distance est entendue ici sous différentes composantes : géographique, mais aussi (et surtout) liées à des asymétries de contrat, à une capacité cognitive d’interprétation limitée dans un échange entre personnes et lieux « étrangers » ou encore à un nombre élevé d’intermédiaires. À partir d’une analyse empirique de dispositifs de standardisation et d’une revue de la littérature, nous montrons que les standards de durabilité ont écarté une partie de la critique sociale et environnementale posée dans le débat public plus large, de même qu’ils ont laissé de côté des préoccupations portées par les personnes affectées elles-mêmes. Caractérisés par une forme de « gouvernement par les stakeholders », ces dispositifs conduisent en effet à une dépolitisation du débat et par conséquent à écarter certaines perspectives politiques et expressions du bien commun. Par ailleurs, ils écartent certaines relations que les personnes entretiennent avec leur environnement, rendant invisible une partie des dommages. Ainsi, ces standards de durabilité ne permettent pas de traiter une partie des impacts négatifs de l’agriculture industrielle exportatrice de biomasse. Ces dispositifs ont jusqu’à présent laissé de côté ou écarté les constructions de la durabilité dont le projet était justement de réduire les différentes dimensions de la distance.

Emmanuelle Cheyns
Cheyns Emmanuelle, Cirad – Moisa – Montpellier
emmanuelle.cheyns@cirad.fr
Benoit Daviron
Daviron Benoit, Cirad – UMR Moisa – Montpellier
benoit.daviron@cirad.fr
Marcel Djama
Djama Marcel, Cirad – UMR Moisa - Universiti Putra Malaysia – Kuala Lumpur, Malaisie
marcel.djama@cirad.fr
Ève Fouilleux
Fouilleux Eve, Cirad – UMR Moisa – Montpellier
eve.fouilleux@cirad.fr
Stéphane Guéneau
Guéneau Stéphane, Cirad – UMR Moisa – SHIS – Brasília, Brésil
stephane.gueneau@cirad.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 31/05/2017
https://doi.org/10.3917/quae.biena.2016.01.0275
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