CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Cette etude des Brazzavilles noires constitue une des premières tentatives visant à la description d’une ville africaine et à la compréhension de ce milieu radicalement nouveau, puisqu’il s’agit ici de peuples n’ayant pas eu une tradition urbaine. Elle s’imposait dans le cadre de nos recherches consacrées aux changements sociaux caractéristiques des sociétés gabonaises et congolaises : la compréhension des transformations affectant la société dite coutumière ne pouvant être risquée qu’en ayant une connaissance précise des milieux dits « extra-coutumiers » et de leur influence. Elle s’imposait dans la mesure même où elle constitue un champ d’investigation d’une extrême richesse pour la recherche sociologique, dans la mesure surtout où les administrations ne peuvent maintenant éluder les questions graves que pose la ville noire — et qui intéressent une fraction toujours croissante de la population. Ce souci pratique, nous l’avons reconnu à sa juste importance en organisant ce livre autour de problèmes spécifiques : problème de l’exode rural, problèmes du travail, problèmes de l’organisation sociale et de la vie politique.

2Nous n’avons pas voulu présenter une monographie des « centres » avoisinant Brazzaville, mais organiser les données recueillies afin de rendre compréhensibles les phénomènes et processus les plus caractéristiques, en même temps que ces types nouveaux de personnalité qu’il est convenu de classer sous la dénomination d’évolués. Nos propres recherches sont loin d’avoir épuisé la série des questions et problèmes qui s’imposent à l’enquêteur, nous pensons cependant en avoir fait le recensement, le classement et avoir abordé les plus importants d’entre eux.

3La ville est le lieu où vivent ensemble Africains et Européens, éléments relevant d’ethnies et de cultures très diverses ; elle multiplie les contacts et par conséquent les conflits ; elle représente un domaine où les études de psychologie sociale et de rapports entre cultures différentes s’imposent. La ville noire est aussi une société qui se fait souvent à coups d’expédients et de « moyens de fortune ». en même temps qu’un centre où viennent se dégrader, se détruire et se transformer nombre de « modèles » sociaux et culturels caractérisant les sociétés typiques. Elle révèle très précisément cet état de crise qui reste, à des degrés divers, spécifique des sociétés négro-africaines d’aujourd’hui ; elle manifeste les tendances selon lesquelles ces dernières s’efforcent de se réorganiser, les situations qui s’opposent à ce dynamisme de transformation sociale ou le contrarient. C’est surtout au niveau de la ville qu’interviennent au maximum les techniques d’administration et d’exploitation des richesses, les mécanismes économiques mis en place par les puissances coloniales. Elle constitue un champ privilégié pour toute recherche relative aux conséquences sociales et individuelles de telles interventions ou aux conditions favorisant ou contrariant le progrès technique et la modernisation. En ce sens, notre étude s’efforce d’être une nouvelle contribution à un ensemble de travaux dont l’actualité accuse rapidement l’importance — comme le révèlent les efforts tentés pour aborder les problèmes des pays dits sous-développés — et dont certains sociologues, tel W.E. Moore, font le centre de leurs préoccupations.

4Enfin, on ne peut douter qu’un domaine aussi instable, aussi peu fixé, soit favorable, par les observations nouvelles qu’il permet, au progrès de la pensée sociologique. Il met en présence d’une réalité mouvante et oblige à une conception fondamentalement dynamique des faits sociaux et culturels. En raison du caractère médiocrement organisé et peu structuré de la ville noire — certains auteurs la considèrent d’une manière grossière comme un « campement » de travailleurs — la part la moins fixée, la moins directement accessible de la réalité sociale y prend une importance exceptionnelle. On y découvre, en deçà d’un formalisme que suscitent le contrôle exercé par la « société coloniale » et le recours à des modèles « de fortune » souvent mal adaptés à la situation urbaine, la place que tiennent les comportements nouveaux, les conduites novatrices, les valeurs et idées collectives de remplacement. Ces « paliers profonds », selon l’expression de G. Gurvitch, qui caractérisent toute société globale, y apparaissent avec une particulière netteté — et leur efficacité est nettement affirmée.

5Notre enquête a surtout porté sur Poto-Poto, c’est-à-dire la plus libérée des traditions et la moins homogène des Brazzavilles noires, elle a de même été limitée dans ses possibilités d’investigation auprès de la population féminine. Il y aurait fallu une équipe de travail difficile à rassembler en raison des difficultés budgétaires locales. Cette mise au point faite, nous avons à remercier le personnel du Service de la Statistique, dont l’appui et l’aide techniques furent toujours précieux, et nos collaborateurs appartenant à la section de sociologie de l’Institut d’Etudes centrafricaines. Nous devons des remerciements particuliers à notre collègue et ami G. Sautter, qui nous prêta les clichés illustrant cet ouvrage.

Georges Balandier
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/04/2012
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