CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1C’est aux sépharades de Méditerranée orientale que Nicole Abravanel consacre son article, sans manquer de les comparer à d’autres modèles d’historicité spécifiques au monde juif. Plus précisément, son texte nous entraîne sur les pas d’acteur et historiens sépharades qui, pendant l’entre-deux-guerres, ont entendu penser et bâtir leur ancrage dans l’histoire de façon originale. À l’opposé d’une vision messianique, ils ont ainsi diffusé une conception de l’histoire non linéaire, fondamentalement discontinue, construite à partir de leurs espaces en réseaux.

2Le dieu juif serait-il le dieu de l’histoire, lui qui est postulé affranchi du temps et de l’enchaînement à l’ordre de l’espace ? Et, partant, la pensée chrétienne aurait-elle la moindre raison à prétendre que le temps puisse librement s’articuler dans les termes du présent, passé et avenir par la vie, mort et résurrection du Christ ? À l’opposé de tels présupposés d’ordre métaphysique, il sera affirmé ici qu’il n’est d’approche du temps dans l’histoire qui puisse s’émanciper de la référence à l’ordre de l’espace.

3Du moment où l’histoire juive se dégagea des canons de sa propre Église, de « la haie de la Torah » selon l’expression rabbinique, et où les chercheurs juifs se tournèrent vers la laïcisation de la pensée en l’historicisant? [1], tout regard posé sur le monde juif conduit inexorablement sur le chemin de la pluralité des historicités, en tant que représentations qu’une société élabore au regard des temps de sa propre histoire? [2]. Dans les faits, a contrario de l’unicité de l’ancrage biblique revendiqué en Terre promise, et malgré le récit toujours répété et ritualisé par la tradition à l’occasion des fêtes historiques partagées telles que le jeûne du mois de Av en souvenir de la destruction du Premier Temple (ou la Pâque juive célébrant l’entrée en Terre promise de par la sortie d’Égypte), c’est bien en termes pluriels que l’historicité juive se conjugua ; et ceci dès avant l’exil de Babylone, au temps des deux royaumes et des prophètes d’Israël et de Juda. C’est que l’unicité de l’espace revient à permettre le groupement des temps, leur « groupage » en quelque sorte, en référence à une terre unique conquise, perdue et promise et, par-delà le motif de l’exil, contribue à l’élaboration d’une continuité et d’une unité du temps.

4Il faudra donc admettre qu’il n’est pas de pensée du temps pour une société donnée sans ancrage dans l’espace. Il n’est pas de représentation du « maintenant » sans quelque « ici », de construction, par le présent ou le devenir, du temps passé sans un ancrage spatialisé le plus souvent originel, qu’il soit réel ou rêvé. Le brouillage de l’espace interdit de bâtir la continuité du temps et le livre à la discontinuité.

5La particularité des sépharades est de s’ancrer non dans un territoire unique, mais dans un territoire réticulaire à l’échelle de la Méditerranée? [3]. Sous couvert de l’adoption du temps progressif des Lumières et de celui de la France de 1789 (qui put se trouver assimilée au territoire idéal de la Rédemption), émergea au 20e siècle la primauté de la détermination de ce qui était la spatialité propre des sépharades. Or les juifs? [4] sépharades, dès avant l’expulsion d’Espagne (le terme sépharade en hébreu moderne signifie Espagne), assumèrent, de façon récurrente un rôle d’intermédiaires en Méditerranée. Ce rôle fut le plus souvent présenté de manière exclusivement européocentrée, que ce soit via les apports de ce groupe à l’Occident pour les périodes médiévale et moderne ou, inversement pour la période contemporaine, via l’influence occidentale présentée comme surdéterminante tant au plan économique qu’idéologique.

6Il semble indispensable, pour saisir le protocole d’accès des sépharades eux-mêmes à l’historicisation de leur passé, d’assumer de déplacer l’angle de vue et de le centrer en priorité sur le groupe dont la caractéristique principale est précisément l’organisation de sa spatialité. On rappellera à ce propos les travaux de Robert Ilbert montrant l’importance capitale de la sociabilité en réseaux pour les villes ports de la Méditerranée? [5]. C’est pourquoi nous avons choisi d’examiner des textes produits par des hommes issus du monde ottoman ancien, qui se présentèrent à un moment donné comme les porte-parole du groupe. Beaucoup furent hommes de plume, journalistes, érudits et semi-intellectuels et ne disposèrent pas professionnellement parlant du statut d’historiens. Le corpus étudié se limite à une coupe étroite sur une dizaine d’années de l’entre-deux-guerres. C’est le moment où, en réaction directe à la domination au sein de la direction sioniste de juifs venus d’Allemagne et de Russie (mais plus profondément en réaction au démembrement des cadres anciens de l’Empire ottoman) s’affirme un signifié nouveau du terme sépharade (il devint alors quasiment un ethnonyme? [6]) et s’élabore une réaffirmation de type historicisante.

7En témoigne en premier lieu un mouvement à caractère identitaire et culturel, encore peu connu, dont les initiateurs étaient tous issus de l’ancienne sphère ottomane : la Confédération universelle des Juifs Sépharadim. Son périodique, une revue mensuelle, Le Judaïsme sépharadi, se donna pour but de promouvoir et de revitaliser le séphardisme. Il commença à être publié à Paris en 1932. Transnational, il reparut à Londres après la guerre et jusqu’en 1966, et offre pour la seule période d’avant 1940 un matériau d’une richesse certaine portant sur un bon millier de pages? [7].

8En second lieu, sans prétendre en aucune façon à l’exhaustivité, nous croiserons cette publication avec l’apport de deux historiens ou historiographes avec lesquels ce mouvement fut en contact : Joseph Néhama (1880-1971) et Abraham Galanté (1873-1961). Leurs travaux sont des sommes, à la fois érudites (par leurs sources) et volontairement accessibles par leur présentation, qui restent inégalées pour les années 1930 et font office de classiques auprès des sépharades d’Orient? [8]. Néhama est l’auteur d’une vaste Histoire des Israélites de Salonique en sept tomes, Galanté, d’une bibliographie considérable (elle se serait élevée à soixante volumes)? [9]. Le noyau central de ces deux opus fut élaboré, et en partie publié, au cours des années 1930. Rééditées, ces œuvres, qui n’ont pas fait l’objet d’édition critique, sont précieuses eu égard à la perte des archives et de la documentation qui ont pu les fonder? [10]. Ultérieurement, elles furent discutées, le plus souvent confirmées, du moins citées en référence citées? [11]. On notera que l’usage du français ne fut pas exclusif : ces hommes plurilingues écrivent aussi en judéo-espagnol, ainsi qu’en turc pour Galanté.

9L’examen d’autres sources, qu’elles s’expriment dans d’autres langues, qu’elles relèvent d’autres limites chronologiques ou d’un propos plus circonstancié, ne pouvait trouver place dans les limites de cet article? [12]. Une myriade d’auteurs, à Sofia, Istanbul, Jérusalem, Salonique, Washington, Paris, se coulant dans les liens de sociabilité de ce monde et l’expriment (Salomon Rosanes, David Fresco, Victor Besso, Abraham Elmaleh, Itshak Emanuel, Michael Molho, historiens de Salonique pour ces derniers, et au premier chef Sam Lévy, mémorialiste du monde sépharade? [13], avec lesquels Néhama et Galanté entrèrent en correspondance). Leurs publications pourraient être analysées et mériteraient de l’être, non pas toujours chacune séparément pour elle-même (la qualité des œuvres est inégale), mais prises dans un ensemble. Si d’autres centres méditerranéens, tels qu’Alexandrie, fournirent à la même époque un paradigme in vivo de la sociabilité en réseaux, ils ne furent pas pour autant le foyer de travaux historiques du même ordre, portés à embrasser le passé en tant que totalité? [14]. Quant à l’Égypte, elle était restée très attractive, tandis que Salonique et Istanbul devinrent, pour la population juive, du fait du jeu des divers nationalismes, terres d’émigration : c’est précisément la raison sur laquelle Joseph Néhama fonde son entreprise qui est celle d’une réaffirmation? [15].

10L’hypothèse suggérée par cette documentation est que la spatialité en réseaux du monde sépharade induit chez ses auteurs une historicité traversée par le primat d’une géographie bien spécifique. Celle-ci n’est pas conforme à celle élaborée par Paul Vidal de la Blache qui inspira à la même époque la réflexion de Fernand Braudel sur le monde méditerranéen, ni à celle, différente, que pouvaient concevoir certains intellectuels français, fondateurs d’une mer intérieure à la fonction mythique, tel Paul Valéry. Il s’agit d’une géographie qui n’est pas une préface à l’étude de l’histoire (territoriale) comme chez Lavisse ou un prolongement comme chez ces écrivains : elle est celle de l’organisation expérimentée de l’espace. Si l’on admet que ces œuvres témoignent d’un modèle original d’historicité, on comprendra que leur étude puisse permettre d’aborder les deux versants où se trouve inscrite cette notion complexe : celui qui traduit l’adoption de canons d’écriture et de pensée du temps historique, et celui qui reflète le rapport vécu au temps, donc à l’espace, des populations concernées.

À l’origine du mouvement sépharadiste

11La naissance du mouvement sépharadiste présente principalement une double filiation. D’une part, dans les Balkans, un mouvement à connotation nationale diasporique? [16] ; d’autre part, en Palestine, un courant contestataire à l’encontre de la direction sioniste de la part de notables sépharades associés au vieux Yishouv (l’établissement juif ancien de Palestine), qui profita néanmoins du cadre transnational fourni par le mouvement sioniste? [17]. La conférence fondatrice du mouvement qui proclama la Confédération universelle des Juifs Sépharadim se réunit en marge de la tenue du quatorzième congrès sioniste à Vienne en 1925. Ultérieurement, une Conférence balkanique des Juifs Sépharadim se tint à Belgrade en mai 1930. Elle représenta un jalon dans la voie de l’autonomisation vis-à-vis du sionisme et d’une reformulation de type identitaire? [18].

12Paris étant devenue un centre de l’émigration sépharade, il fut envisagé à Belgrade de fixer dans la capitale française un comité central pour impulser la redynamisation du mouvement sépharadiste. L’initiative qui donna naissance au Judaïsme sépharadi revint à plusieurs notabilités du monde sépharade (pour plusieurs récemment installées à Paris) au parcours transméditerranéen caractéristique : le président de la confédération, Moïse Daniel de Picciotto, d’Alep, fixé en Angleterre puis à Jérusalem et enfin, transitoirement, à Paris ; le grand rabbin Nissim Ovadia, né à Andrinople, formé à Jérusalem, qui avait accueilli la conférence fondatrice dans la synagogue de Vienne ; le rédacteur en chef, Ovadia Camhy, né à Hébron d’une famille d’Istanbul, ayant vécu à Jérusalem, à Damas puis à Paris ; Abraham Navon, né lui aussi à Andrinople, enseignant à Jérusalem, puis à Constantine, était directeur depuis quelques années de l’École normale israélite orientale (ENIO), centre de formation des instituteurs de l’Alliance israélite universelle à Paris (cette institution eut un rôle majeur en Orient). Tous furent les signataires d’un appel à revivifier le séphardisme. Ce long manifeste parut en tête de la revue en juillet 1932? [19].

L’« appel aux Sépharadim » de 1932

13En voici les premières lignes :

14

« Les Sépharadim forment au sein du peuple juif une grande famille d’un million cinq cent mille âmes. Répandus dans le monde depuis New York et Londres jusqu’aux Indes, y compris l’Afrique du Nord, c’est autour de la Méditerranée principalement qu’ils vivent concentrés en des communautés plusieurs fois séculaires. Au cours de leur long séjour en Espagne, à laquelle ils doivent leur nom, les Sépharadim ont produit de grands hommes qui sont aujourd’hui encore l’orgueil du judaïsme et de l’humanité [et] une littérature riche et variée qui ne cesse d’alimenter les lettres hébraïques modernes. […] Leur premier souci fut de se grouper et de recréer le centre perdu. Dans les vastes cadres de l’ancien Empire ottoman, qui s’étendait depuis la Hongrie et les Balkans jusqu’aux confins de la Perse, ils fondèrent un large réseau de communautés dont les plus importantes furent celles de Constantinople, de Salonique, de Smyrne, d’Andrinople, de Beyrouth, de Damas, d’Alep, de Bagdad, de Jérusalem, d’Égypte, etc. Moins créateur que celui d’Espagne, le centre sépharadite s’était cependant reconstitué. Il se maintint pendant près de quatre siècles […]. Mais, à mesure que l’Empire ottoman se disloquait, le Judaïsme sépharadite se disloquait à son tour. Aujourd’hui, les Sépharadim vivent en des communautés isolées, sans lien effectif entre elles. D’où leur faiblesse […]? [20]. »

15On constate d’emblée que l’ordre des temps y est directement associé, non à la migration conçue depuis l’expulsion d’Espagne en termes d’exils et d’arrachements successifs (ainsi que le veulent la tradition biblique et une large partie de l’historiographie traditionnelle dans le monde juif), mais en référence directe à l’organisation propre de la spatialité des sépharades, tant présente que passée, en diaspora. Paradoxalement, la présentation de l’histoire n’apparaît pas soumise à l’impératif d’un continuum chronologique, mais bien davantage au primat des modalités de l’organisation des sépharades dans l’espace. Si le présent domine pour interpréter l’histoire et le passé, c’est qu’il bascule (en conséquence du démembrement de l’Empire ottoman). La mutation est explicitée au regard de la modification de l’espace sépharade et non dans l’ordre successif de l’événementiel.

16La référence à l’ascendance généalogique, mode traditionnel de perception de l’histoire dans la Bible, ne figure que très secondairement dans les dernières lignes de l’appel? [21]. La fin du manifeste comporte en toutes lettres un appel aux notables sépharades originaires d’Espagne à assumer des responsabilités au sein du mouvement : « Il faut que le Séphardisme [sic] vive. Il faut qu’il reprenne son rôle historique dans le judaïsme […]. Il faut que les descendants […] de Ben Gabirol, […] Halévy, […] Maïmonide, […] Spinoza… se remettent à l’œuvre. » Plus qu’une dimension généalogique, cette énumération présente l’écho d’une antique tradition de construction de l’histoire, vue à travers la succession des générations de lettrés (représentés dans le Talmud par les maîtres du savoir rabbinique), vision qui concorde avec celle élaborée par l’historiographie juive du 19e siècle valorisant, quant à elle, l’œuvre des savants et des poètes porteurs de la science profane. Le moment fondateur en est celui dit de l’âge d’or, c’est-à-dire celui qui commença au temps de l’Espagne musulmane et qui vit se propager une très riche culture de langue hébraïque ou arabe dans le domaine de la Loi mais aussi de la philosophie, de la poésie et de nombreuses sciences profanes.

17L’emploi des termes « réseau », « communautés isolées », « centre sépharadite » mérite d’être souligné : ils replacent le destin du monde sépharade dans le cadre des structures de l’espace méditerranéen, sans toutefois le limiter à son territoire d’origine. La place de la diaspora intervient au premier plan, occupant toute l’avant-scène, au détriment de la Palestine, en contradiction tant avec l’historiographie née au 19e siècle qu’avec l’historiographie sioniste. Jérusalem est intégrée, non évacuée. Mais au sens strict, le peuple juif (a fortiori son élément sépharade) n’est pas uniquement présenté comme un peuple en diaspora? [22]. Le motif classique qui fonde l’écriture du temps biblique, s’il n’est pas éliminé, est donc ici dilué dans l’espace créé.

Une terminologie novatrice

18À parcourir la presse du temps, on relève que l’adoption du terme sépharade dans le sens para-ethnique? [23] qu’il assume aujourd’hui (dans sa double acception de descendants des juifs d’Espagne et de juifs méditerranéens) semble bien contemporaine des controverses reflétées par l’émergence de la Confédération. Si cette formulation avait porté au grand jour les rivalités avec le monde ashkénaze dans le contexte de l’affirmation du mouvement sioniste, elle a aussi permis à une couche spécifique des juifs d’Égypte d’assurer le maintien de sa position et de se regrouper face à une faction ascendante et par là même concurrente, celle des Italiens? [24].

19Les tenants du mouvement font usage du toponyme Sepharad, transposé de l’hébreu biblique à l’époque talmudique et médiévale. Pour mémoire, l’hapax « Sepharad » est contenu dans le livre d’Abdias, qui prophétise : « Les captifs de cette armée des enfants d’Israël posséderont le pays occupé par les Cananéens jusqu’à Tsarfat, et les captifs de Jérusalem qui sont à Sépharad posséderont les villes du midi? [25]. » Les sépharadistes reprennent un terme qui avait initialement une signification géographique et de localisation précise et qui, au cours du temps, avait fait référence à des différences rituelles (ainsi la prononciation de l’hébreu) par rapport au monde ashkénaze des juifs d’Europe centrale? [26] pour forger quasiment un ethnonyme. Ce terme prétend donc englober des populations traditionnellement incluses dans des territoires séparés (politiquement et historiquement), vivant à Londres, à New York ou en Méditerranée, usant de langues vernaculaires fort différentes, qui s’étaient autodésignées dans l’histoire de façon toute diverse par exemple comme « portugais » à Bayonne ou Amsterdam, mais quasiment jamais sur un plan ethnique (en tant que groupe) comme sépharades. Dans l’entre-deux-guerres, au Maghreb, on différenciait toujours les expulsés d’Espagne (Megorashim) des autochtones (Tochavim), alors que les Sépharadistes les associaient, comme souvent aujourd’hui. Dans l’Empire ottoman, ils étaient tout simplement juifs, régis par le régime des Millet : ils sont encore Djudios à Salonique ou à Istanbul, Djidios à Sarajevo et Orientaux à Paris. Les uns parlent le judéo-espagnol (ou sa variante d’Afrique du Nord, la Haketia), les autres parlent arabe, d’autres ont adopté le néerlandais, après avoir parlé le portugais, ou l’anglais et principalement, en Méditerranée, le français.

20Paris se positionna pour le monde sépharade des années 1930 comme un lieu d’initiatives seulement dans la mesure où la ville fut préalablement un nouveau pôle de la diaspora sépharade. La dynamique présentée ordinairement à sens unique de l’Occident vers l’Orient est ici inversée. Parce que la question vitale était celle de la reconstitution du réseau, les fondateurs rêveront, sans y parvenir, de se redéployer vers l’Empire français. L’adhésion de William Oualid, haute personnalité d’origine algérienne non seulement du monde intellectuel juif, mais de l’Université, en fondait l’espérance. Les initiateurs du mouvement écrivirent : « Ainsi donc dans leur ensemble, les Sépharadim vivant en France et dans ses colonies, dans les pays sous mandat et protectorat français forment le bloc le plus important du séphardisme mondial. Il remplace aujourd’hui l’ancien bloc ottoman, dans des conditions de vitalité mieux adaptées à nos qualités? [27]. »

L’appel à l’histoire

21Original par le cadrage de sa spatialité, le mouvement semble cependant relever, au premier regard, d’une construction de l’histoire des plus classiques, directement en prise avec le modèle des grandes histoires nationales du début du 20e siècle, par l’appel à des figures quintessentielles. Il est indiqué dès le premier numéro, dans une rubrique consacrée aux « hommes qui ont illustré l’âge d’or du judaïsme » : « Le mouvement de renaissance que nous voulons créer parmi les Sépharadim ne saurait se réaliser pleinement sans l’aide indispensable de l’histoire. Dire à ce groupement humain ses origines et le rôle qu’il a joué par le passé, c’est l’inviter à prendre conscience de ses responsabilités envers l’avenir? [28]. »

22Plusieurs auteurs ont, à juste titre, souligné le relatif désintérêt longtemps porté à l’histoire des juifs des Balkans? [29]. Ce faisant, ils ont omis de traiter de la difficulté réelle de construction de l’histoire de ces populations, en l’absence de la merveilleuse et supposée coïncidence sur la longue durée entre langue, territoire et culture qui est à la racine de l’approche historiciste ou nationale. Il est vrai que, ne possédant ni unité de langue, ni unité de territoire, ni d’unité culturelle apparente sur le temps très long, pas même linguistique, ni même d’unicité religieuse vis-à-vis de monde ashkénaze, l’historicité potentielle du monde sépharade était fort mal pourvue, au regard de l’historicisme dominant. Le monde ashkénaze, malgré sa diversité, l’était mieux, parce qu’il pouvait se référer à une certaine unité linguistique (le yiddish) ou territoriale en Europe centrale et orientale. De fait, le mouvement sépharadiste rencontrait un obstacle et ne pouvait prendre appui sur aucun modèle d’ensemble d’historicité antérieur. Ne se construisant pas sur le modèle d’une temporalité linéaire orientée par le franchissement de l’espace d’un centre vers une périphérie, comme le veut la construction de la grande histoire juive traditionnelle, Le Judaïsme sépharadi eut à inventer un nouveau modèle d’historicité. Il s’inspira constamment des matériaux documentaires fournis en particulier par le grand historien Heinrich Graetz (1817-1891), mais non pas de sa construction d’un temps linéaire? [30].

23Dans Le Judaïsme sépharadi, l’historicité est construite principalement par touches et tableaux juxtaposés à la manière d’une cartographie : ainsi le vizir du calife Abderrehmane III à Cordoue (Hasdaï ibn Chaprout), ou celui du roi berbère à Grenade (Ibn Nagrela), ou encore Maïmonide dont on valorise l’ancrage premier à Cordoue, ou bien Isaac Abravanel et son fils Léon l’Hébreu en Espagne et en Italie, Spinoza à Amsterdam, les Camondo à Istanbul, pour ne citer que quelques références? [31]. Par-delà la stature des personnages, surgit le panorama d’une construction de l’histoire à partir de la géographie. Cette mise en œuvre d’une cartographie pour les époques anciennes est corroborée par l’insertion de tableaux de la vie des communautés contemporaines : Sarajevo, Belgrade, Le Caire, Alep, Paris, l’Alliance israélite universelle à Salonique, etc. La difficulté d’établissement d’un continuum chronologique au regard de l’historicisme est donc surmontée. La juxtaposition y supplée. Les hiatus historiques ne sont pas évités, ils sont comblés par des échos de la vie présente du monde sépharade. Il n’y a tout simplement pas de recherche d’établissement d’une quelconque linéarité? [32].

24Il est tout aussi remarquable, à l’encontre de l’historiographie sioniste, que la racine biblique en terre d’Israël ne donne lieu à aucun traitement, sans être niée pour autant, ni discutée, passant, pensons-nous, pour un acquis d’évidence. Quand la Palestine est évoquée, c’est de la Palestine contemporaine et des difficultés qu’y rencontrent les Sépharades, du fait de l’inégalité de traitement dont ils sont l’objet. La focale est tout entière concentrée sur le seul monde sépharade qui semble, lui, être né debout en Espagne en son âge d’or.

25Dans une formule choc, « Séphardisme sans Sépharad », Eva Touboul Tardieu s’interroge sur l’absence surprenante de référence à l’Espagne contemporaine dans Le Judaïsme sépharadi et sur sa totale disjonction avec le mouvement culturel philosépharade qu’elle étudie pour l’Espagne de 1920 à la veille de la guerre civile? [33]. La terre d’Espagne n’est en effet évoquée dans la revue qu’à l’occasion de voyages du retour de quelques collaborateurs. Les références au mouvement des intellectuels espagnols sont quasi inexistantes. Par opposition, les références au Portugal sont nombreuses à partir de 1935, du fait des contacts établis avec la communauté de Lisbonne? [34]. Qu’est-ce donc alors que « Sépharad » aux yeux des sépharadistes d’Orient ? Sepharad n’est en rien une entité territoriale. C’est, sur le miroir du passé, une projection de leurs réseaux présents. Le temps n’est pas scandé par la perte d’un lieu originel, que ce soit Eretz Israël ou Sépharad, ni par le motif de l’exil. Il l’est plutôt par le maillage de l’espace en réseaux et par les migrations successives qui permettraient d’en refonder les assises.

Modèles d’historicité dans les récits historiographiques

26Appartenant à la même génération, Joseph Néhama et Abraham Galanté ont baigné dans le milieu traditionnel judéo-espagnol pendant leur enfance. Ils ont connu les premiers pas de sa modernisation puis, dans les années 1920 et 1930, les difficultés auxquelles il fut confronté du fait des nationalismes dominants en Grèce et en Turquie. Leurs vies permettent d’embrasser des facettes différentes de l’univers kaléidoscopique de l’univers sépharade confronté aux mutations du 20e siècle ; comme en témoigne Edgar Morin pour son propre père, le salonicien Vidal Nahum, le sépharade est hybride et « polypatride? [35] ». Ils firent leurs premières classes, à l’ancienne, dans le cadre du Talmud Tora. Néhama, à Salonique, la Jérusalem des Balkans, fière de sa primauté ancestrale? [36], et Galanté, à Bodrum, petite ville de la côte turque, avant de se rendre à Rhodes pour finalement se fixer à Istanbul? [37].

27Leur langue maternelle, le judéo-espagnol, servait alors de langue d’enseignement aux côtés de l’hébreu. Passant à des écoles de type moderne, ils y acquièrent une excellente connaissance de la langue et de la culture française. Le français était devenu à la fin du 19e siècle la principale (mais non la seule) lingua franca de Méditerranée, à la fois un medium économique, commercial et culturel et un outil transnational de promotion sociale. C’est pourquoi une partie importante de leurs œuvres a pu être rédigée dans cette langue, comme en témoignent les textes évoqués. L’instrument principal de sa propagation dans le monde juif fut le réseau de plus d’une centaine d’écoles de l’Alliance israélite universelle (AIU). Cette œuvre philanthropique, née au milieu du 19e siècle à Paris, était fondée sur une idéologie émancipatrice et sur l’idée que le relèvement du monde juif oriental devait nécessairement passer par son adaptation au modèle éducatif occidental. Joseph Néhama fut successivement élève, instituteur, puis directeur de ses écoles à Salonique et membre de son comité central. Son parcours l’identifie à l’« allianciste », de façon paradigmatique. Abraham Galanté, durant de nombreuses années, fut l’émule de cette institution (c’est avec son aide qu’il développa à Rhodes une école moderniste), mais il s’en éloigna progressivement. Il porta un regard très critique sur l’enseignement du turc qui y était dispensé et qu’il qualifia de « détestable ». À travers la question linguistique, se jouait le positionnement des juifs : assimilation dans les États-nations naissants ou bien obtention du statut de minorité sous la protection de la Société des nations? [38]. Ultérieurement, dans la dynamique du tournant kémaliste nationaliste en Turquie, Galanté se posa en ferme partisan de l’abandon du français au profit du turc dans les écoles israélites, donc en opposant de l’Alliance israélite universelle? [39]. Ce passionné des langues sémitiques accéda, après avoir complété sa formation en Angleterre et en Allemagne, au poste de professeur des langues sémitiques et d’histoire des peuples d’Orient à l’Université d’Istanbul.

28Sans être totalement hégémonique, la prépondérance de l’AIU resta toutefois longtemps indéniable pour l’ensemble du monde juif méditerranéen et, à ce titre, on peut se demander si elle n’aurait pas élaboré un modèle spécifique de pensée de l’histoire, transposé de France vers l’Orient. Ses consignes, dès le début du siècle, transmises aux instituteurs, recommandaient d’adapter l’enseignement de l’histoire générale à l’environnement local de l’école, partant de l’étude de la province, s’étendant au pays, puis graduellement aux pays voisins, enfin à l’histoire universelle. Le principe directeur (en contradiction évidente avec l’option sioniste) était de donner aux jeunes juifs des moyens de s’intégrer et de se promouvoir dans les sociétés en mutation dont ils avaient acquis ou devaient acquérir l’égalité civique, de « se relever » suivant le vocabulaire de l’époque. En matière d’enseignement de l’histoire, celui des écoles primaires françaises n’est pas pleinement importé, ni ses mythes fondateurs dans le contexte moyen-oriental (qui n’est pas équivalent au contexte colonial).

29Mais, pour ce faire, l’Alliance israélite universelle a-t-elle élaboré un manuel ? En 1934, en réponse à une demande en matière d’histoire juive, l’ouvrage de référence conseillé est celui de Gabriel Arié, seul disponible? [40]. Il s’agit d’un résumé de l’histoire du grand historien allemand Heinrich Graetz (qui ne comporte aucune donnée sur le monde ottoman contemporain, mise à part l’affaire du prétendu meurtre rituel à Damas (1840) préludant à l’action de l’Alliance en Orient) couplé, pour les années postérieures à 1860, à une histoire abrégée de l’Alliance elle-même. Quelque trente ans auparavant, un manuel d’histoire générale avait toutefois été produit à Istanbul par un maître de l’Alliance qui relevait, lui, d’une approche ni nationaliste ni nationalitaire, mais supranationale? [41]. On en ignore la diffusion.

30C’est d’ailleurs parce qu’il avait conscience de la nécessité de combler ce hiatus qu’Abraham Navon (alors directeur de l’ENIO, son École normale à Paris) contribua amplement au Judaïsme sépharadi au compte de sa politique sépharadiste, sans toutefois avoir accès à une masse documentaire équivalente à celle d’Abraham Galanté et Joseph Néhama. Ceux-ci en tant qu’historiens ne furent pas directement commandités par une institution et s’il faut les associer à quelque cercle, c’est prioritairement au public de leur milieu environnant de Salonique ou de Turquie auquel ils entendaient s’adresser? [42].

Joseph Néhama ou la mémoire de la petite patrie

31Joseph Néhama, dans son Histoire des Israélites de Salonique, donne à voir une méthodologie ordonnée et rectiligne, construite sur le droit fil de la chronologie, se référant à un espace circonscrit? [43]. Au seuil du septième et dernier tome de sa monumentale Histoire, il s’adresse au lecteur pour présenter sa méthode et, dans une brève allusion, il dévoile, de façon bien surprenante aux yeux d’un lecteur contemporain, un des historiens qui lui servit de référence? [44] : Adolphe Thiers. Pourquoi donc ? S’il s’agissait uniquement de saluer l’apport de la culture française, pourquoi pas Ernest Lavisse, alors maître incontesté de l’historicisme français dans les écoles ? Parce que, nous dit Néhama, Thiers, c’est « l’art du récit », et que Néhama ne cherche pas à faire œuvre littéraire. Thiers, premier historien de l’ensemble de la Révolution française, est l’antithèse de l’école romantique et de l’auteur du Génie du christianisme. C’est la « force des choses » et de la restitution pas à pas de la marche des faits… en vingt volumes. Si Thiers historien n’était pas un détracteur de la Grande Révolution, Thiers homme politique devint par la suite l’artisan de l’écrasement de la Commune de Paris qui se conçut, partiellement du moins, comme la prolongation de celle de 1789. Le modèle aimé et admiré en Orient sépharade qu’incarne l’œuvre de Néhama, s’il sera immanquablement celui de la Révolution française, sera surtout celui de la Déclaration des droits et de l’émancipation des juifs. Des résultats, plus que du processus et du surgissement de la geste révolutionnaire, de l’accomplissement et non de l’acte de rupture, aube d’un temps nouveau : on ne trouve jamais, chez Néhama, la moindre appropriation d’une nécessaire rupture eschatologique préalable à la rédemption ; et si cette dernière existe peut-être en filigrane, puisque l’espérance n’est jamais absente, elle ne transparaît nullement et n’est pas à l’ordre du jour. Il ne s’agit pas de hâter la fin des temps. Comme dans la pensée occidentale, ou plutôt comme dans celle des écoles de langue française dont Néhama fut un maître presque inégalé, c’est uniquement la vérité de la raison transmise par l’éducation qui ouvre la porte au temps de l’éternité.

32Il serait cependant abusif de ne voir dans ce parti pris en faveur d’un temps évolutionniste qu’une emprise mécanique de la pensée occidentale. Cette dernière n’a de prise qu’en tant qu’elle fait écho à une perception du monde et du temps interne à l’expérience sépharade d’Orient et à ses structures, comme nous le verrons à travers la profonde réaction à une aventure messianique qui a marqué l’histoire des juifs ottomans. Néhama construit expressément le temps en relation avec l’histoire des migrations et des familles? [45]. Et il ne pouvait choisir Ernest Lavisse comme modèle, parce que celui-ci est le chantre d’une France hexagonale ou coloniale. La France qu’adorent et mythifient les sépharades est une France universaliste, transterritoriale, qui dépasse l’horizon étroit de l’Hexagone, et où Paris, nouveau phare culturel pour la navigation en pleine mer des sépharades en Méditerranée, s’intègre à leur espace, au même titre que Jérusalem dans la pensée des sépharadistes du Judaïsme sépharadi.

Abraham Galanté ou la mémoire de la patrie d’adoption ?

33La méthode d’Abraham Galanté, à la différence de celle de Joseph Néhama, se caractérise par l’absence d’architecture et de tout souci de synthèse. Il procède par accumulation et variations sur un même thème, par succession d’exemples et publications de documents, dont beaucoup d’inédits. La thèse de départ est assez simple : il s’agit de valoriser la patrie d’accueil, la Turquie. Le noyau initial est indéfiniment augmenté par de nouvelles illustrations, plutôt que par un rigide ordonnancement logique et la mise en œuvre d’une construction rendant apparent le régime d’historicité proposé? [46]. Au centre de la réflexion cependant, réside la Turquie, en termes d’espace, d’empire, de langue et de populations : c’est-à-dire de facto l’Empire ottoman. L’histoire juive n’est jamais étudiée pour elle-même, de façon isolée. Elle est en quelque sorte brodée, à travers de multiples épisodes, le plus souvent situés (contrairement à Néhama) de façon comparatiste parfois pour des besoins circonstanciels comme pour réagir aux campagnes antijuives ou pour d’autres raisons? [47]. Ce chatoiement n’est-il pas le reflet d’une société plurielle et mouvante qui cherche à formuler son unité ? Galanté prétend se couler dans les cadres territoriaux de la Turquie moderne ayant adopté le modèle nationaliste. Mais, en fait, son écriture de l’histoire laisse filtrer le monde réticulaire des sépharades qu’il a lui-même observé. Si Galanté est un homme d’archives, c’est qu’avant d’avoir accès à des fonds d’archives publics, il en a apprécié la valeur au cours de ses voyages et par ses contacts.

Au croisement des historicités

34Tous les historiographes juifs dans l’entre-deux-guerres ont d’abord été imprégnés du courant dit de « la science du judaïsme » (mieux connu sous son nom abrégé allemand de Wissenchaft) et tous mirent en œuvre sa méthode, à la fois historico-critique et philologico-critique, pour replacer l’immense patrimoine de la littérature juive sur un même axe en concordance avec l’histoire générale. À l’instar de ses prédécesseurs, Joseph Néhama a réinvesti l’information fournie par des centaines de recueils de responsa rabbiniques (ces décisions juridiques d’ordre religieux), conservés alors à Salonique, en en sécularisant entièrement les données? [48]. Abraham Galanté, c’est son apport principal, a mis à jour grâce à de scrupuleuses traductions des manuscrits inédits, peu accessibles du fait des anciennes graphies arabes. Nos auteurs restent fidèles à une approche rationaliste de l’histoire, à une volonté de construire « la raison par l’histoire ». À ce titre, à l’instar de la Wissenchaft, ils dénoncent les courants hostiles au rationalisme, donc ceux de la mystique juive de leur temps comme du temps passé, avec plus ou moins de virulence, parfois comme du charlatanisme.

35Au lendemain de la Première Guerre mondiale qui ébranla « la raison dans l’histoire » (du moins telle que la concevait la Wissenchaft inscrite dans l’idée de progrès et d’un temps évolutionniste), s’imposa une réaction au courant de la science du judaïsme qui sombrait alors dans les dédales de l’érudition sans plus pouvoir fournir un modèle viable d’historicité. Ce nouveau courant, marqué par les noms de Gershom Scholem et Walter Benjamin pour le domaine de l’histoire, remit à l’honneur la kabbale, si décriée par la science du judaïsme. Celle-ci, à la fois mode d’interprétation de la réalité du monde et expression de la continuité de l’histoire du peuple juif (et non uniquement de sa culture), fut placée au centre d’une nouvelle historicité? [49]. Or, pour Néhama, Galanté et Le Judaïsme sépharadi, ce message existentiel est antithétique : la kabbale est antihistorique, car elle est une atteinte au bon sens, à la raison et enfin à l’expérience.

36Le courant qui réhabilite la kabbale postule le possible détachement de l’hic et nunc par l’irruption dans le présent du temps messianique, pour la promotion d’une autre temporalité qui peut être assimilée à la révolution historique. L’historicité sépharade qui lui est contemporaine s’appuie, à notre sens, sur la réitération dans l’espace des postures séculaires de la migration des familles en Méditerranée. On pourrait donc dire que, pour elle, la raison dans l’histoire se trouve résider dans l’organisation de sa spatialité, donc dans le primat de l’hic (entendu comme réalité réticulaire) sur le nunc. Ce courant, partisan d’un temps progressiste, non révolutionnaire, associé à la dynamique de l’espace et à la permanente reconfiguration du réseau, expression de ses « classes moyennes », manifesterait donc un conservatisme modéré ou bien plutôt un progressisme réel, mais tout aussi modéré. Il est en tout cas opposé à la domination exclusive des rabbins et ouvert aux idées et aux opportunités de la modernité promue alors par l’Occident.

37Le traitement d’un personnage pourrait servir de point de comparaison entre ces modèles d’historicité. Il s’agit d’une figure célèbre et décriée, ancrée dans le monde sépharade par sa naissance, mais dont l’influence s’étendit à tout le monde juif : Sabbataï Zvi (1626-1676). Célèbre pour avoir provoqué le plus important mouvement de messianisme juif qui s’exporta dans toute l’Europe, sans cesser d’y alimenter les mouvements mystiques, il fut décrié, après s’être proclamé messie une première fois à Smyrne en 1648, pour avoir, sous la pression, apostasié à Istanbul. Une part importante de ses sectateurs ne crut pas à sa désertion : seul son double se serait converti, tandis que le messie, transporté dans le ciel et devenu, de par une interprétation kabbalistique et mystique nouvelle, le vrai dieu, y résiderait désormais. Il se serait alors ainsi véritablement émancipé de toute contrainte vis-à-vis du monde d’ici-bas en matière d’espace et de temps? [50]. Le personnage fit l’objet de travaux importants pour l’ensemble de ces auteurs dans les mêmes années, entre 1935 et 1940. Gershom Scholem intègre d’un geste quelque peu iconoclaste l’étude de cette « hérésie » dans le fil de son premier grand livre consacré aux Grands Courants de la mystique juive? [51]. Joseph Néhama consacre à l’homme, ou plutôt à son impact sur l’histoire de Salonique, la plus grande partie de son cinquième tome sous-titré « la tourmente sabbatéenne ». Abraham Galanté, lui, publie ses Nouveaux Documents sur Sabbetaï Zevi : organisation, us et coutumes de ces adeptes. Si Sabbataï Zvi est en quelques sorte un héros mystique pour Scholem, il est un anti-héros pour les historiens sépharades, un mystificateur qui joue de la crédulité du peuple et même de son fanatisme (version Galanté), ou un doux rêveur qui se laisse prendre aux égarements suscités par la kabbale (version Néhama)? [52].

38Pour Gershom Scholem, la kabbale n’est ni une imposture ni un égarement, ni un déplacement hors du temps de l’histoire. Elle se construit en tant que réponse aux coups de l’histoire, comme en témoignent son évolution et son développement internes? [53]. L’apostasie même de Sabbataï Zvi ne saurait servir de prétexte à le placer à l’extérieur de l’expérience juive et de son historicité. Tout au contraire, il est l’histoire, ou plutôt sa vie trace et ouvre à une nouvelle dialectique de l’histoire. Ainsi, pour les uns, Sabbataï Zvi fut le Galouth, la destructivité pure, car ce terme signifie, dans son sens dérivé, le malheur : la cause dernière et immédiate de la décadence de l’univers sépharade et au premier chef de Salonique? [54] ; tandis que, pour les autres, il était la délivrance, la Gueoula et, sous la plume de Scholem, l’ouverture à une nouvelle dynamique de l’histoire? [55].

39D’après quelques notations autobiographiques de Gershom Scholem consacrées à Walter Benjamin, l’Angelus Novus de Klee (dans les années 1920 pour Benjamin, image toute positive de la kabbale et du temps de l’histoire) s’était retourné, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, en figure satanico-luciférienne? [56]. Au contraire, pour un Néhama qui écrivit durant la même période, il n’y a pas de retournement à l’encontre du vent de l’histoire. La négativité n’a pas place dans la marche de l’Histoire. L’Ange accompagne toujours le chemin de l’Homme. À quoi attribuer un tel parti pris ? Non tout à fait à la nature des temps en eux-mêmes ; la dictature de Metaxas n’a rien à envier à d’autres régimes d’Europe centrale comme le montrent les archives de Néhama? [57]. Serait-ce donc à la conception même du temps ?

40Si l’on admet que l’historicité n’est pas le reflet passif dans les consciences de l’histoire vécue, mais qu’elle relève d’une perception de cette histoire et d’une prise de conscience, donc d’une construction, on conçoit que les sépharades ont produit un modèle d’historicité original différant légèrement de modèles occidentaux, tel celui de la Wissenchaft, non par l’usage scientifique d’étude des textes, mais par leur conception du temps et de l’espace. L’ordonnancement des temps n’est-il pas toujours d’abord un ordre des temps au sens que lui donne François Hartog citant Anaximandre dans les premières pages de son Régime d’historicité : « Les choses qui sont […] se rendent mutuellement justice et réparent leurs injustices suivant l’ordre des temps? [58] » ?

41En apparence, Joseph Néhama s’est adapté à l’axe d’un temps « homogène et vide » qu’évoque Walter Benjamin, chronologique, celui de l’horloge, né au temps des Lumières. Mais la vision du temps est-elle jamais véritablement neutre, vide ou homogène, abstraite ? Chez nos auteurs, les sujets sont toujours datés, l’événement est souvent maître. Majoritairement, cependant, ils ne se soumettent pas à une perspective linéaire, contrairement à la puissante tradition biblique et à l’usage qu’en fit l’historiographie juive de leur temps. Néhama fait surgir le judaïsme salonicien des comptoirs de la colonisation grecque à l’époque archaïque. La diaspora, alors, n’est plus un châtiment de Dieu. Les références bibliques évoquées (Jérémie, Ézéchiel? [59]) sont retournées non comme promesse d’un retour, mais comme témoignage de l’ancienneté de l’horizon réticulaire propre à la diaspora. Galanté projette d’écrire une histoire globale (dont il ne donne que des aperçus) des juifs de Constantinople : c’est à partir de la fondation de la ville par Constantin qu’il l’entreprend. De la même façon, dans Le Judaïsme sépharadi, l’inscription originelle des juifs en terre promise n’est pas évoquée.

42Dans l’ensemble de ces textes, l’histoire du monde des juifs sépharades est en quelque sorte déplacée vers la diaspora et son monde en réseaux, retranscrite par des évocations juxtaposées à la manière d’une cartographie? [60]. L’histoire n’est pas orientée vers le retour à Jérusalem, ni vers Sépharad, la mère patrie espagnole. Étrangement pour un mouvement né dans le contexte sioniste, la migration en Palestine n’est aucunement présentée par Le Judaïsme sépharadi comme le lieu de la possible délivrance. Au contraire, c’est l’installation dans l’Hexagone et l’Empire français qui, au début des années 1930, put sonner très momentanément comme le cadre de cristallisation de l’espérance des auteurs. On conçoit donc que les sépharades s’adaptaient, non à un quelconque territoire concret, marqué par des frontières politiques (comme la France, l’Espagne ou Eretz Israël) où ils se seraient projetés, mais d’abord à leur propre Méditerranée, c’est-à-dire aux réseaux qu’ils entretenaient et qu’ils entendaient reconstituer.

43L’espace fut toujours le lieu potentiel de la réalisation comme de l’évasion dans le monde des sépharades d’Orient. L’utopie comme les « bénédictions divines » peuvent être de ce monde. L’espace (et donc le temps) ne se referme pas sur l’Homme. L’évasion ne nécessite pas absolument un ailleurs ; comme si l’ange de l’histoire sortait vainqueur, en s’abritant derrière l’ange de l’espace contre l’ange de la mort.

Notes

  • [1]
    Il s’agit du courant de la science du judaïsme ou Wissenchaft des Judentums. Voir Yosef Hayim Yerushalmi, Zakhor : Histoire juive et mémoire juive, Paris, La Découverte, 1984, p. 101 et 117 ; Ismar Schorsch, From Text to Context : The Turn to History in Modern Judaism, Hanovre, Brandeis University Press, 1994.
  • [2]
    François Hartog, Régime d’historicité, présentisme et expérience du temps, Paris, Éd. du Seuil, 2003, 2012 ; Christian Delacroix, François Dosse et Patrick Garcia (dir.), Historicités, Paris, La Découverte, 2009.
  • [3]
    Au contraire, la période arabo-andalouse est largement valorisée : Ismar Schorsch, op. cit., p. 71-92.
  • [4]
    Suivant l’usage typographique prédominant en France, le terme « juif » comme substantif sera indiqué sans majuscule. En revanche, celle-ci est maintenue quand elle apparaît dans une citation ou un titre. De même pour le terme « Sépharadim » et sa forme francisée, « sépharade ».
  • [5]
    Robert Ilbert, Alexandrie, 1830-1930 : histoire d’une communauté citadine, Le Caire, IFAO, 1996.
  • [6]
    De façon significative, le substantif « Sépharadim » s’écrit constamment avec une majuscule, même s’il est accolé à celui de « Juifs ».
  • [7]
    Le Judaïsme sépharadi, organe mensuel de la Confédération universelle des Juifs Sépharadim, juillet 1932-mai 1940 ; Robert Attal, Les Juifs de Grèce, de l’expulsion d’Espagne à nos jours : bibliographie, Jérusalem, Institut Ben Zvi, 1984 ; Nicole Abravanel, « Paris et le séphardisme ou l’affirmation sépharadiste à Paris dans les années trente », in Winfried Busse, Heinrich Kahring et Moshe Shaul (dir.), Hommage au professeur Haïm Vidal Sephiha, « Sephardica 1 », Berne, Peter Lang, 1996, p. 597-523 ; Michaël Studemundt-Halévy, « Salvacão no longinquo distante : o congresso sefardita de Amsterdão en 1938, Portugal e os Portugueses de Hamburgo », Revista de estudos judaicos, 3, décembre 1996, p. 61-82 ; Eva Touboul Tardieu, Séphardisme et Hispanité : l’Espagne à la recherche de son passé (1920-1936), Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2009 ; Nicole Abravanel, « Le Judaïsme sépharadi, une revue transnationale d’expression française (1932-1966) », in Recensement, analyse et traitement numérique des sources écrites pour les études séfarades, Soufiane Rouissi et Ana Stulic-Etchevers (éd.), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2012.
  • [8]
    Norman Stillman (dir.), Encyclopedia of the Jews in the Islamic World, Leyde, Brill, 2010, entrées « Galanté » et « Néhama ».
  • [9]
    Joseph Néhama, Histoire des Israélites de Salonique, Salonique/Paris, Molho/A. Durlacher, 1935-1936, 7 t. ; Abraham Galanté, Histoire des Juifs de Turquie, Istanbul, ISIS, 1985, 9 t.
  • [10]
    Concernant Salonique, on rappellera l’incendie de 1917 et la destruction des archives de la Communauté par les nazis. Les archives d’Abraham Galanté sont aujourd’hui perdues ou non accessibles. Voir Albert E. Kalderon, Abraham Galanté : A Biography, New York, Sépher-Hermon Press, 1983, p. 2.
  • [11]
    Gilles Veinstein discute Joseph Néhama : « Sur la draperie juive de Salonique (xvie-xviie siècles) », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 66, 1992, p. 55-64 ; Bernard Lewis, Notes and Documents from the Turkish Archives : A Contribution to the History of the Jews in the Ottoman Empire, Oriental Notes and Studies, Jerusalem, The Israël Oriental Society, 1952, p. 2.
  • [12]
    Voir l’ouvrage précurseur de Moïse Franco, Essai sur l’histoire des Israélites de l’Empire ottoman, Paris, A. Durlacher, 1897 ; et l’œuvre majeure de Salomon Rosanes, Qorot ha Yehudim be-Turkiyah ve-Arzot Akedemn (Histoire des Juifs de l’Empire ottoman, 1910), Sofia, Defus ha-michpat, rééd. Tel Aviv, Institut Rav Kook, 1930-1945.
  • [13]
    Les Cahiers séfardis, 1947-1949, périodique publié à Paris sous la direction de Sam Lévy, voir en particulier, t. III, p. 311-344.
  • [14]
    Kramer Bodrun, The Jews in Modern Egypt, 1914-1952, Seattle, University of Washington Press, 1989.
  • [15]
    « Nous avons pensé prioritairement à ces essaims innombrables de Juifs saloniciens qui, au cours des six derniers lustres, se sont fixés en divers points du globe » (Joseph Néhama, op. cit., t. I, 1935, p. 5-6).
  • [16]
    « L’identification nationale pour les Juifs de Yougoslavie n’était pas limitée [dès avant 1914] à un choix entre assimilation, adoption de la nationalité serbe, croate, hongroise ou le sionisme. Une autre alternative se présentait, particulièrement parmi les Sépharades, en l’occurrence, le nationalisme diasporique. […] Préservant l’héritage des millets ottomans, et élevés dans une société multi-ethnique […], ils se concevaient eux-mêmes, consciemment ou inconsciemment, Juifs de nationalité… » (Harriet Pass Friedenreich, The Jews of Yugoslavia : A Quest for Community, Philadelphie, Jewish Publication Society of America, 1979, p. 146 sq.)
  • [17]
    Esther Benbassa et Aron Rodrigue, Juifs des Balkans, Paris, La Découverte, 1993, p. 249 et 253-257.
  • [18]
    Conférence des Juifs Sépharadim des pays balkaniques, tenue à Belgrade les 28 et 29 mai 1930 : compte rendu de travaux, s. d.
  • [19]
    Citons deux autres protagonistes : Salvator Abravanel, basé au Caire, sillonnant le Moyen-Orient, et William Oualid, né en Algérie, autorité intellectuelle reconnue qui représentent d’autres facettes du mouvement.
  • [20]
    Le Judaïsme sépharadi, 1, juillet 1932, p. 2-5.
  • [21]
    En Israël contemporain, les descendants des juifs d’Espagne peuvent être différenciés des juifs méditerranéens par l’usage du qualificatif « taor » (pur), c’est-à-dire par le critère de la généalogie.
  • [22]
    Pour une mise en perspective, voir Richard Marienstras, Être un peuple en diaspora, Paris, Maspero, 1977.
  • [23]
    Le mouvement sépharadiste se considère comme une « famille du peuple juif ».
  • [24]
    Kramer Bodrun, op. cit., p. 16-18.
  • [25]
    Sepharad a été identifié comme Sardis, capitale de la Lydie ; Tsarfat désigne en hébreu la ville de Sarepta en Phénicie.
  • [26]
    Voir Norman Stillman (dir.), op. cit., entrée « Sépharade ».
  • [27]
    Le mouvement ne parvint pas à s’implanter auprès des juifs d’Afrique du Nord. On observe une disjonction entre la majorité d’entre eux ( colonisés ou traditionalistes) et les éléments sépharadistes de Méditerranée orientale en matière de spatialité, et donc d’intérêts ; le contact fut, en revanche, noué avec Londres et Amsterdam par le biais d’un réseau familial et culturel (Le Judaïsme sépharadi, 31-32-33, juillet-août-septembre 1935).
  • [28]
    Le Judaïsme sépharadi, 1, juillet 1932, p. 10-11.
  • [29]
    Esther Benbassa, « Les Sépharades des Balkans : sans histoire ou hors de l’histoire ? », in Paul Balta, Catherine Dana et Régine Dhoquois (dir.), La Méditerranée des Juifs : exodes et enracinements, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 157-167.
  • [30]
    Heinrich Graetz prend pour point de départ la période biblique, comme Simon Doubnow (auquel se réfère Joseph Néhama, op. cit., p. 525). Voir Précis d’histoire juive des origines à 1934, Paris, Éd. du Cerf, 1992 (avant-propos de juin 1933).
  • [31]
    Pour une recension quasi complète des articles à caractère historique : Georges Cirot, Camille Pitollet, R. Vaillant et I.-S. Révah, « Chronique », Bulletin hispanique, 41 (3), 1939, p. 282-304.
  • [32]
    Voir les articles d’Abraham Navon dans Le Judaïsme sépharadi (7, février 1933-12, juillet-août 1933).
  • [33]
    Eva Touboul Tardieu, op. cit., p. 333.
  • [34]
    Dans le compte rendu de la Conférence de Londres en 1935, le Portugal est évoqué, non l’Espagne (Le Judaïsme sépharadi, 31-32-33, juillet-août-septembre 1935, p. 106 et 122).
  • [35]
    Edgar Morin, Vidal et les siens, Paris, Éd. du Seuil, 1989, p. 34 et 362.
  • [36]
    Gilles Veinstein (dir.), Salonique, 1850-1918 : la « ville des Juifs » et le réveil des Balkans, Paris, Autrement, 1992 ; Abraham Elmaleh, « Joseph Néhama, éducateur, écrivain, historien et homme d’action », Cahiers de l’AIU, 172-195, 1970-1976, p. 18 sq. ; Archives de l’AIU, AAIU GRECE XVII E 202 a et 202 bcd.
  • [37]
    Abraham Elmaleh, Le Professeur Abraham Galanté, sa vie et son œuvre littéraire, historique et scientifique, Jérusalem, A. Elmaliah, 1947 ; Albert E. Kalderon, op. cit.
  • [38]
    Rifat Bali, « Le dilemme identitaire des juifs dans la première année de la république turque », in Esther Benbassa (dir.), Itinéraires sépharades : complexité et diversités des identités, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne, 2010, p. 127-140 ; Katherine Fleming, Juifs de Grèce (xxe-xxe siècles), Paris, Presses universitaires de la Sorbonne, 2011, p. 123-190.
  • [39]
    Albert E. Kalderon, op. cit., p. 26.
  • [40]
    Monique Nahon, Hussards de l’Alliance : Rachel et David Sasson, Paris, Éd. du Palio, p. 207 ; Gabriel Arié, Histoire juive depuis les origines jusqu’à nos jours, Paris, L. Kaan, 1923 ; Esther Benbassa et Aron Rodrigue, Une vie judéo-espagnole à l’Est : Gabriel Arié, Paris, Éd. du Cerf, 1992.
  • [41]
    Danielle Omer, « La présentation de la France, de l’Espagne et de l’Empire ottoman dans le manuel d’histoire de Moïse Fresco destiné aux écoles primaires de l’Alliance israélite universelle (début du xxe siècle) », communication lors du colloque sur les « Échanges humains et culturels en Méditerranée dans les manuels scolaires », Maison des sciences de l’Homme de Montpellier, novembre 2009.
  • [42]
    Joseph Néhama dit vouloir s’adresser au « lecteur moyen » (Joseph Néhama, op. cit., t. VII, p. 526). La librairie Molho de Salonique édite ses premiers tomes. Abraham Galanté publie dans diverses revues et maisons d’édition d’Istanbul ; voir la revue Ha Ménora, organe du district d’Orient de la Béné-bérith (ou Bn’ai Brith).
  • [43]
    La datation chez Joseph Néhama est largement assurée grâce au relevé, effectué par Michaël Molho, des inscriptions funéraires du très ancien cimetière de Salonique avant sa destruction.
  • [44]
    Joseph Néhama, op. cit., t. VII, p. 527.
  • [45]
    Il prend appui tant sur les relations de la ville avec son hinterland (moteur majeur de son dynamisme) que sur les détails fournis par les épitaphes (Joseph Néhama, op. cit., t. VII, p. 706-707).
  • [46]
    Abraham Galanté, Turcs et Juifs, étude historique, politique, Istanbul, Haïm Rozio, 1932.
  • [47]
    Abraham Galanté, Histoire des Juifs de Turquie…, op. cit., 5, p. 241 sq.
  • [48]
    Joseph Néhama, op. cit., t. VII, p. 527.
  • [49]
    David Biale, Gershom Scholem : cabale et contre-histoire, Nîmes, Éd. de l’Éclat, 2001, p. 19. Voir aussi Stéphane Mosès, L’Ange de l’Histoire : Rosenzweig, Scholem, Benjamin, Paris, Éd. du Seuil, 1992.
  • [50]
    Mark Mazower, Salonica, City of Ghosts : Christians, Muslims, and Jews, 1430-1950, Londres, Harper Perennial, 2005.
  • [51]
    Gerschom Scholem, Major Trends in Jewish Mysticism, Jérusalem, Schocken, 1941 ; trad. fr., id., Les Grands Courants de la mystique juive, Paris, Payot, 1994, « Sabbatianisme et hérésie » p. 306-352.
  • [52]
    Joseph Néhama, Histoire des Israélites de Salonique, t. V : Période de stagnation – La tourmente sabbatéenne (1593-1669), op. cit. ; Abraham Galanté, Histoire des Juifs de Turquie, vol. 8 : Nouveaux documents sur Sabbetaï Sevi, organisation, us et coutumes de ses adeptes, op. cit., p. 119-293.
  • [53]
    Dans la kabbale, la notion d’exil fut transmutée en exil de Dieu. Voir Gershom Scholem, Shabbatai Sevi, veha-tenu’ah hashabbetha’ith b-yemei hayyan, Tel Aviv, Am Oved, 1957 ; trad. fr., id., Sabbataï Tsevi : le messie mystique (1626-1676), trad. de l’angl. par Marie-José Jolivet et Alexis Nouss, Paris, Verdier, « Les Dix Paroles. Essais », 2008, p. 33-35.
  • [54]
    La croyance en la venue de la fin des temps avait provoqué l’arrêt des échanges et la vente des biens.
  • [55]
    Pierre Bouretz, Témoins du futur : philosophie et messianisme, Paris, Gallimard, 2003, p. 356-357. Sur la force messianique, voir Walter Benjamin, « Über den Begriff der Geschichte » (1940), Gesammelte Schriften, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1982, t. I, vol. 2, p. 691-704 ; trad. fr., id., « Sur le concept d’histoire », Œuvres III, trad. de l’all. par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, « Folio essais », 2000, p. 427-443, p. 429. Sur le messianisme hérétique et révolutionnaire comme force directrice de l’histoire juive, voir David Biale, op. cit., p. 128.
  • [56]
    Gershom Scholem, Walter Benjamin und sein Engel, Francfort-sur-le-Main, Surhkamp, 1983 ; trad. fr., id., Benjamin et son ange, trad. de l’all. et prés. par Philippe Ivernel, Paris, Rivages, « Petite bibliothèque », 1995, p. 104 et 147.
  • [57]
    Katherine Fleming, op. cit., p. 175 sq. ; Archives de la Hartley Library, ACC 3121/E3/158/3 et ACC 3121/ E/51a.
  • [58]
    Anaximandre, fragment B 1, cité par François Hartog, op. cit., p. 1.
  • [59]
    Jérémie 43, 5-6 ; Ézéchiel 39, 27 ; la diaspora est même présentée comme « un refuge » pour l’époque hellénistique, (Joseph Néhama, Histoire des Israélites de Salonique, op. cit., p. 9 et 11).
  • [60]
    Joseph Néhama se concentre sur un lieu unique et privilégie la linéarité chronologique. Elle est toutefois discontinue, interrompue par tel ou tel tableau de mœurs pour construire le lien entre passé et présent, et induire la longue durée et la diversité du monde sépharade.
Français

Résumé

Alors qu’il a été attribué à l’historicité juive la particularité d’avoir inventé un temps orienté et que les œuvres de Walter Benjamin et de Gershom Scholem réinvestissent l’idée d’une forme messianique du temps, cet article vise à faire apparaître les limites d’une telle mise en perspective en ce qui concerne le monde juif sépharade de Méditerranée orientale. Le texte s’appuie sur l’expression cultuelle et historiographique des dix ans précédant la Seconde Guerre mondiale : d’une part, sur une revue, Le Judaïsme Sépharadi, qui reflète le point de vue des notables issus de l’ancien Empire ottoman installés en France ; de l’autre, sur les travaux d’historiens de Salonique et d’Istanbul, Joseph Néhama et Abraham Galanté. Ainsi se marque une tentative qui vise à produire un modèle spécifique d’historicité d’où surgit la primauté de la catégorie de l’espace (les réseaux du monde sépharade) pour l’interprétation du temps.

Mots-clés

  • historicité
  • spatialité en réseaux
  • sépharades
  • Méditerranée orientale
  • messianisme
Nicole Abravanel
Nicole Abravanel, Université de Picardie, Textes, représentations, archéologie, autorité et mémoire de l’Antiquité à la renaissance (TrAme), 80025, Amiens cedex, France.
Professeur agrégée, Nicole Abravanel est responsable des études hébraïques et membre du laboratoire TrAme à l’Université Picardie – Jules-Verne. Elle anime un séminaire sur la longue durée du monde sépharade et son rapport à l’espace à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), où elle est rattachée au Centre de recherches historiques (CRH). (nicole.abravanel@club-internet.fr)
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Mis en ligne sur Cairn.info le 08/01/2013
https://doi.org/10.3917/vin.117.0183
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