CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La Première Guerre mondiale transforma tout, y compris le rapport au temps des combattants. Telle est l’hypothèse de l’auteur qui, pour sa démonstration, convoque d’abord les sources testimoniales, dans laquelle, au prix d’un certain nombre de précautions, peut se repérer un microrégime d’historicité. L’hypothèse permettrait alors de mieux comprendre la ténacité des combattants : s’ils supportèrent si longtemps la guerre et la répétition des offensives, c’est peut-être en vertu d’un rapport au passé, au futur et à un présent certes subi et envahissant, mais qu’ils s’essayèrent à maîtriser. L’écriture, sous bien des formes, participa à cette reprise du temps et même à la construction d’un rapport au temps comme catégorie de l’expérience de guerre.

2Alors que, selon la belle définition de Marc Bloch, il est désormais admis que l’histoire est la « science des Hommes dans le temps? [1] », le rapport entretenu par les contemporains d’une époque avec le temps qu’ils vivent est paradoxalement un objet historique relativement neuf. Or, comme l’écrit Jacques André, « le temps n’est pas seulement la toile de fond de la réflexion de l’historien, il en est aussi l’objet, il y a une histoire du temps? [2] ». Cette histoire a été en fait formalisée, conceptualisée et théorisée à une date récente, entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980.

3Les foisonnantes études sur « la mémoire » et les rapports politiques, culturels et sociaux des hommes à leur passé, dans la continuité des chantiers ouverts par Maurice Halbwachs (dont les ouvrages connurent des rééditions à partir de la fin des années 1960? [3]), ont ouvert la voie à une mise en chantier de la question du rapport des hommes au temps et plus particulièrement au passé. Les travaux de Reinhart Koselleck, qui lui aussi s’était penché dans de nombreux articles sur des lieux de mémoires tels que les monuments aux morts? [4], ouvraient, parallèlement, la voie à une histoire plus large des temporalités, comme inscription des hommes dans le passé, le présent et l’avenir et surtout comme appréhension par ces mêmes hommes de cette inscription dans le temps. Le moment koselleckien s’est entre autre traduit par la belle fortune des notions de « champ d’expérience » et plus encore d’« horizon d’attente »? [5] ; fortune telle que la notion est aujourd’hui utilisée le plus souvent sans référence directe au père de la Begriffsgeschichte (histoire des concepts). La notion de « régime d’historicité? [6] » (qui désigne la manière dont une société ou un groupe humain construit, à un moment donné de l’histoire, conjointement son rapport au passé, au présent et à l’avenir, et dont ces trois temporalités s’articulent les unes avec les autres) semble aujourd’hui connaître une destinée analogue qui ouvre de nouvelles perspectives à l’histoire du rapport des hommes au temps et à l’histoire.

4Plus que dans d’autres domaines de leur recherche, les historiens ont ici su franchir les barrières disciplinaires et s’inspirer des travaux des anthropologues, des sociologues, des littéraires, des philosophes.

L’historiographie de la Grande Guerre et la question du temps

5Les historiens spécialistes de la Grande Guerre ne font pas exception. Chacune à sa manière, les deux thèses fondatrices d’une histoire renouvelée de la Grande Guerre parues toutes deux en 1977, posaient les jalons de l’étude du rapports des contemporains de la Grande Guerre à leur époque. La thèse d’État d’Antoine Prost consacrée aux anciens combattants français dans l’immédiat après-guerre s’intéressait à la mémoire de la guerre? [7]. Quant à celle de Jean-Jacques Becker, elle mettait au centre l’irruption de l’événement comme rupture et la manière dont celui-ci était appréhendé par les contemporains? [8]. Le rapport non anticipé au présent immédiat se traduisait par une surprise initiale suivie d’une résolution défensive, tandis que se mettait conjointement en place une projection vers l’avenir. Pour ce faire, l’historien pouvait s’appuyer, en plus de la presse, sur des rapports officiels et des témoignages, dont la précision à noter les réactions des populations et des individus face à l’événement témoignait déjà peut-être de l’entrée brutale dans une temporalité, vécue, perçue et représentée spécifique à la guerre comme expérience du temps, ouvrant peut-être déjà la voie à une crise du temps préalable à la mise en place d’un (voire de plusieurs) microrégime d’historicité spécifique aux temps de guerre.

6Depuis, la question du rapport au temps (et tout particulièrement du temps vécu par les combattants au front) n’a jamais complètement disparu de la focale des historiens, même si les questions mémorielles ont semblé un temps s’imposer par rapport aux réflexions sur l’inscription dans le temps présent et la projection dans l’avenir. Dans son étude de la presse de tranchée, Stéphane Audoin-Rouzeau montrait ainsi que le rapport à « l’actualité », au présent politique, n’y était pas du tout le même, comme si une « actualité » spécifique au front, dont les journaux de tranchée par leur périodicité régulière ou irrégulière témoignaient. Il citait par exemple, à l’appui de ce constat, un journal intitulé Le 120 Court du 1er septembre 1916, dans lequel on pouvait lire : « Pour nous autres poilus, ce désir de savoir est inexistant. Toutes nos aspirations résident dans le présent. Habitués à vivre jour par jour, heure par heure, nous laissons à d’autres le soin de faire des patrouilles dans l’avenir? [9]. » L’historien en concluait alors que « la vie du front a provoqué une mutation complète de la perception du temps et de l’espace et modifié totalement la hiérarchie de l’importance des choses. Tout est ramené à la minute présente, à l’“ici et maintenant”, et le détachement des soldats en découle directement? [10] ». Ce serait là, pour reprendre les catégories de François Hartog, comme une forme d’hyper-présentisme découlant directement à la fois de la guerre elle-même et de la spécificité de la place des combattants dans cette même guerre qui dessinerait un « ordre du temps » spécifique à la Grande Guerre et à ses combattants.

7Dans un ouvrage plus récent, André Loez se penche à son tour sur le rapport au temps qu’entretiennent les soldats dans la guerre des tranchées? [11]. Quand Stéphane Audoin-Rouzeau déduisait de l’« indifférence » au temps de l’actualité le résultat d’une « coupure entre l’individu et tout ce qui reste extérieur à son dialogue avec la mort »? [12], André Loez préfère y voir une forme d’« habitude », de rapport ordinaire à ce temps nouveau qu’est celui de la guerre qui serait la recherche d’une sorte de « banalité du quotidien permettant de supporter la guerre » et une temporalité finalement imposée par les « rythmes du front, à la fois cycliques et imprévisibles » et sur laquelle les soldats n’ont finalement que très peu de « prise »? [13]. De même, Emmanuel Saint-Fuscien montre qu’il existe une forme de temporalité spécifique de l’obéissance et du rapport à l’autorité qui oblige l’armée à réaménager au cours de la guerre la nature même du lien hiérarchique? [14]. D’autres travaux, à l’instar de ce qui peut se faire également pour d’autres conflits, mettent désormais le temps, l’expérience du temps, le rapport au passé et notamment à l’avant-guerre et les attentes de la fin de la guerre, de la paix et de la victoire au cœur de la réflexion historique sur la Grande Guerre? [15].

8Comme on peut le constater à travers ces quelques exemples pris parmi de nombreux autres, l’historiographie de la Grande Guerre n’est pas restée à la marge de cette exploration de l’inscription des hommes dans une temporalité qui est celle de la guerre et qui nécessite de leur part un réaménagement du rapport au passé, au présent et à l’avenir, lui-même contrarié par un quotidien et des rythmes spécifiques au temps guerrier. À partir de ces réflexions et travaux préexistants, nous souhaitons proposer ici, dans la continuité de notre propre réflexion sur le sujet? [16], un certain nombre d’interrogations, d’hypothèses et de pistes de recherches qui doivent être considérées non pas tant comme un bilan que comme autant d’ouvertures, d’encouragements à s’engager plus avant sur cette voie.

9Il est à noter que, à l’instar de cet article, la plupart de ces travaux s’intéressent exclusivement ou pour l’essentiel aux combattants? [17]. Ceci est essentiellement dû à trois facteurs qu’il convient de rappeler ici rapidement. Le premier tient à la centralité de la figure du combattant telle qu’elle a pu se constituer pendant le conflit. Si les historiens ont pu, dans un premier temps, négliger l’expérience combattante pour privilégier une recherche de nature plus politique sur les origines, le déroulement et les conséquences de la Grande Guerre, la mémoire collective a en quelque sorte conservé le combattant comme figure centrale du conflit. La littérature de guerre et le témoignage jouèrent un rôle essentiel dans cette conservation. Le second, lié au premier, tient à l’intérêt des historiens qui, depuis les années 1960 et 1970, s’est déplacé vers les sociétés. Les combattants ont dès lors occupé une place centrale dans l’historiographie de la Grande Guerre. Enfin, le troisième facteur, découlant des deux premiers est lié à la nature même des sources disponibles. Pour écrire une telle histoire, des « ego documents » sont nécessaires. Or, ceux qui existent en masse, sont précisément ceux provenant des combattants eux-mêmes : témoignages, correspondances, journaux intimes, récits, poèmes, articles de la presse des tranchées, etc.

10L’histoire des civils à l’arrière ou des occupés aurait pourtant également sans doute beaucoup à gagner d’une telle exploration. L’endurance et l’attente de la « libération » comme modalité d’un rapport subi au temps ne sont en effet pas l’apanage des combattants des tranchées? [18]. La découverte et publication de correspondances et de journaux de civils devraient permettre de combler bientôt cette lacune.

Les sources du temps

11L’écriture d’une histoire du rapport au temps, ou plus largement du régime d’historicité comme « façon d’engrener passé, présent et futur ou de composer un mixte des trois catégories? [19] » des combattants de la Grande Guerre pose tout d’abord le problème des sources à notre disposition pour une telle histoire, problème encore trop rarement soulevé? [20]. L’écriture de l’expérience de guerre (et le rapport au temps est un des aspects de l’expérience de guerre) repose en effet essentiellement sur le témoignage combattant. Or, ce dernier au sens large se subdivise en un grand nombre de sous-genres, qui, difficulté supplémentaire, se superposent et se mélangent souvent au sein d’un même ouvrage. Disons-le d’emblée, les récits d’après-guerre posent ici énormément de problèmes à l’historien en raison de la distance temporelle entre le temps vécu et le temps narré, une distance qui est encore accentuée par la rupture que constitue la fin de la guerre? [21]. Implicitement ou explicitement, la fin des hostilités, la victoire constituent un prisme à travers lequel l’expérience de guerre est relue. L’incertitude et les attentes par rapport à la fin de la guerre sont levées et influent donc inévitablement sur un récit qui ne peut plus que s’écrire au passé? [22]. Ce type de témoignage doit donc être manié avec la plus grande précaution, d’autant plus donc lorsqu’il s’agit d’écrire une histoire des rapports au temps. Il en va de même (dans une mesure un peu moindre toutefois) avec les récits écrits pendant la guerre. Ceux-ci peuvent certes nous renseigner sur la perception du passé, en particulier de l’avant-guerre pendant la guerre. Ils peuvent aussi nous informer sur les horizons d’attente, puisque la guerre n’est pas terminée au moment de l’écriture. Mais, même en ce domaine, ils ne permettent que d’accéder à un niveau très général, en raison cette fois du décalage chronologique qu’il peut y avoir au sein même de la guerre. Les horizons d’attente de 1914 (où domine la croyance en une guerre courte, voire très courte) ne sont assurément pas les même qu’en 1916 pendant la bataille de Verdun ou qu’en 1917 après l’échec de l’offensive du Chemin des Dames. Par là, rédigé en 1916 ou 1917, un récit de l’entrée en guerre risque d’être davantage porteur des attentes de 1916 ou de 1917 que de 1914. Ainsi, lorsque André Fribourg revient dans sa préface de 1917 sur les premiers jours de la guerre, il écrit : « Ce fut l’heure des enthousiasmes sublimes, où l’on souffrait à peine des déchirements, où la douleur et les angoisses du départ fondaient dans une splendeur morale et un immense espoir? [23]. » En creux, en négatif, Fribourg signifie ainsi qu’au moment où il publie son livre, les temps ont bien changé trois ans plus tard. De fait, l’ouvrage, sans abandonner sa tonalité foncièrement patriotique, se termine sur une oraison funèbre aux morts de la guerre qui correspond bien à la fois à l’immensité du deuil de guerre et aux incertitudes des années du mitan du conflit.

12En outre, le récit, qui par nature est une reconstruction a posteriori, ne permet pas d’accéder immédiatement au présent de l’expérience, à l’appréciation du quotidien au moment où celui-ci se déroule. Qu’il soit écrit pendant ou après la guerre, le récit ne permet donc a priori pas de saisir conjointement les « articulations du passé, du présent et du futur? [24] ». Cela ne signifie bien entendu pas que l’historien doit s’interdire d’utiliser de telles sources, mais il doit alors le faire en toute connaissance de cause et surtout en veillant à toujours mesurer et prendre en compte la distance séparant le temps du récit de celui qui est raconté. Dans ce cas, il est même particulièrement fructueux lorsque, comme dans le cas de Fribourg, peuvent être précisément dévoilées les failles et les évolutions du rapport au temps. La comparaison entre un journal tenu par un auteur au jour le jour pendant la guerre et le récit remanié produit à partir de ce même journal pendant ou même après la guerre pourrait s’avérer potentiellement d’une grande richesse? [25].

13De même, la littérature de fiction, dans la mesure où elle entretient un rapport de contemporanéité avec les faits qu’elle reconstruit, peut également, malgré tous les problèmes qu’elle pose, servir de source dévoilant les spécificités de la « crise du temps » liée à la Grande Guerre ; et ce d’autant plus lorsqu’il est possible d’étudier la réception de cette littérature pendant le conflit.

14Restent d’autres sources, également de nature testimoniale, qui seraient, par nature, plus adéquates pour ce type de recherche, en raison du rapport particulier qu’elle entretiennent avec le temps : le journal intime, la correspondance et la presse des tranchées. Toutes ces sources ont en commun d’être en principe précisément datées et donc datables pour l’historien. En outre, si les lettres, les entrées de journal intime et les articles de la presse de tranchée sont ponctuels et datés, ils sont également inscrits dans un continuum d’écriture qui se déploie sur une certaine durée, celle de l’échange épistolaire, de l’écriture du journal intime ainsi que de la périodicité et de la durée d’existence de l’organe de presse. L’expérience et son énonciation par le texte sont alors contemporaines, ou à tout le moins très rapprochées dans le temps, ce qui permet de se pencher non seulement sur les rapports à l’avenir et au passé à un moment donné mais également sur le rapport au présent vécu et sur leurs évolutions dans le temps de la guerre. Il est alors possible, de suivre, chez un même individu, l’évolution de son champ d’expérience et de ses horizons d’attente. Si ces sources sont, pour ces raisons, de prime abord bien plus satisfaisantes que les récits écrits a posteriori, il ne faudrait toutefois pas en faire une panacée. Ces sources ont les défauts de leurs qualités. Ces trois types de documents entretiennent en rapport particulier avec le temps, qui se traduit quasi automatiquement par une place prépondérante de l’écriture du présent et du passé proche. Malgré leurs différences fondamentales (notamment l’importance inégale de la censure et de l’autocensure, le poids du destinataire sur l’écriture), la lettre, le journal intime et l’article de journal de tranchée ont pour point commun une finalité : celle de narrer, de garder trace du présent au moment où il se transforme en passé proche, et de contribuer précisément à cette transformation.

15Il n’est donc pas étonnant que, dans ces types de sources, contrairement aux récits ou sources littéraires plus élaborés, les projections vers l’avenir, les réflexions sur la fin de la guerre restent sommaires, ordinaires ou, si l’on préfère, peu élaborées et peu formalisées. Il faut donc se garder des « effets de sources » qui amèneraient à déduire un peu rapidement de ces textes un rapport ordinaire à la guerre. Il s’agit plutôt d’un rapport ordinaire à la manière de dire le temps qui provient des cadres et des contraintes qui s’imposent au scripteur qui s’est choisi des outils d’écriture et des genres narratifs précis. Ceux-ci ont leurs règles et leur logique propre et donc ne résultent pas uniquement d’une « déperdition des repères temporels » qui serait le résultat à la fois objectif et subjectif de l’expérience de guerre et déboucherait sur une temporalité propre « exclusivement axée autour d’une présent immédiat »? [26]. En d’autres termes, il est finalement « normal » que correspondances et carnets de guerre soient le reflet prosaïque des soucis du quotidien et que l’horizon d’attente qui y est décelable se limite souvent à la prochaine permission, à la prochaine lettre, au « temps du vaguemestre? [27] », ce qui se perçoit également dans le scandale représenté par les ruptures même infimes dans cette temporalité fragilisée :

16

« Le vaguemestre doit maintenant aller chercher les lettres à Haudiomont, mais voilà quatre jours que l’on a rien reçu, sauf quelques colis – je n’ai rien. C’est ça qu’on appelle organiser le service en vue de faire parvenir rapidement la correspondance aux Armées. Ridicule et odieux? [28]. »

17Certes, les grandes scansions du calendrier, comme les fêtes, les changements d’année? [29] sont parfois l’occasion de retours nostalgiques sur le passé ou encore de projection vers un avenir où la guerre serait enfin terminée. Plus encore, les veilles de batailles attendues comme décisives? [30] ou, à partir de l’été 1918, la perspective enfin proche de la fin de la guerre, facilitent chez les auteurs de ce type de texte l’expression d’attentes et donc, pour l’historien, l’analyse d’horizon d’attente et d’imaginaires sociaux? [31]. L’analyse que fait Bruno Cabanes des archives du contrôle postal pour l’année 1918 est de ce point de vue particulièrement éclairante. La fin de la guerre prochaine, après des mois d’angoisses liées aux victoires allemandes du printemps, semble comme libérer les évocations de l’avenir où se mêlent grandes attentes liées à la victoire et à la paix, désir de vengeance à l’égard de l’ennemi et envie de retour au foyer et à une vie normale, une vie d’avant? [32].

18Cela ne signifie pas pour autant que les projections dans l’avenir soient automatiquement absentes de ces sources en dehors de ces moments clés. On y trouve également de temps à autre une trace des horizons d’attente qui n’en est alors que plus remarquable. Mais le futur n’y entre, pour ainsi dire, que par effraction. Il n’est pas, pour l’épistolier, le diariste et l’échotier des tranchées, la raison d’être de l’écriture, contrairement au présent ou au passé proche (les temps du champ d’expériences) qui sont eux, au contraire, au cœur du projet d’écriture de ce type de textes. Il se peut même que ces sources portent non seulement la trace (le « témoignage ») de ces rapports au temps, mais qu’elles en soient, plus encore, le lieu où ils se fabriquent, tout comme la littérature de guerre non seulement témoigne de l’expérience de guerre, mais également la légitime comme catégorie, voire en est la source même? [33]. Pour Émile Henriot, cette fabrication par l’écriture du rapport au temps est même inévitable, notamment à partir du moment où il franchit les frontières de l’intime pour être publié :

19

« Souvent, je rêve d’un journal de guerre, scrupuleusement tenu, au jour le jour, et disant tout ce qui passe dans un cœur et une tête d’homme, au front, montrant dans sa répétition exacte et monotone ce qu’est la vie de combattants partagés entre le cantonnement du repos, où ils ne se reposent pas, et les premières lignes, où ils ne se battent pas. Tout soldat qui lirait ces pages s’y reconnaîtrait en disant : “C’est ça.” Mais ce serait sans doute le comble de l’ennui, pour peu que ce livre fût fidèle? [34]. »

20À ces sources, il est possible d’en ajouter une autre qui, bien que d’un maniement plus difficile, peut aussi permettre d’appréhender un rapport au temps. La poésie de guerre, trop souvent négligée par les historiens comme forme courte, est sans doute, lorsqu’elle est datée avec soin, une porte d’entrée dans ce type de recherche? [35]. Contrairement à la lettre ou à l’entrée de journal intime, elle s’élève souvent au-dessus des réalités prosaïques pour exprimer parfois les attentes du scripteur ou proposer une méditation sur le temps passé, présent et à venir comme en témoigne par exemple ce poème d’H. Alloend Bessand :

21

« Pourquoi j’écris ? Pourquoi des vers ? Pourquoi des mots ?
C’est que, vois-tu, souvent le dur présent me pèse,
Que je sens à ma gorge affleurer un sanglot
Et que j’aime à rêver, pour qu’en moi tout s’apaise.
Aujourd’hui est cruel ? Alors pour l’oublier
Je laisse mon esprit s’envoler d’un coup d’aile
Vers le temps qui n’est plus : l’image du foyer
Suspend sur mon chagrin son voile tendre et frêle.
Aujourd’hui est cruel ? Mais demain s’est dressé
Jetant sur ma douleur l’apaisement d’un baume,
Et l’espoir infini. Demain !… Ce vain fantôme
Qui se pare à nos yeux de nos bonheurs passés? [36]. »

22Une fois posées ces réflexions sur les sources comme témoignage et comme lieu où se fabriquent les identités de guerre et les rapports au temps, il nous reste à examiner les principales caractéristiques des rapports au temps des combattants, pour voir si ceux-ci débouchent sur la formation d’un régime d’historicité propre aux combattants entre 1914 et 1918, car « selon que vient à dominer la catégorie du passé, celle du futur ou celle du présent, il est bien clair que l’ordre du temps qui en découlera ne sera pas le même? [37] ».

23Mais avant cela, il nous faut rapidement esquisser les différentes modalités (parfois en apparence contradictoires) des rapports aux temps, tels qu’ils s’expriment et sont construits par les sources narratives.

Pluralité des consciences du temps

24Tantôt s’exprime l’idée d’une rupture radicale, comme dans La Petite Auto, un poème célèbre de Guillaume Apollinaire si souvent cité qui décrit l’entrée en guerre :

25

« Le 31 du mois d’août 1914 […]
Nous dîmes adieu à toute une époque […]
Nous arrivâmes à Paris
Au moment où l’on affichait la mobilisation
Nous comprîmes mon camarade et moi
Que la petite auto nous avait conduits dans une époque Nouvelle
Et bien qu’étant déjà tous deux des hommes mûrs
Nous venions cependant de naître? [38]. »

26Comme l’écrit Annette Becker, « toute la nouveauté de la guerre et son atavisme, aussi mortels l’une que l’autre, sont encapsulés dans ce poème. La Petite Auto est devenue la métaphore de la course à la modernité désirée et parfois angoissante? [39] ».

27Le poème d’Apollinaire exprime une conscience d’époque, ou plutôt de changement d’époque, celui d’une entrée dans la modernité par la guerre, en somme, l’entrée dans un nouveau régime d’historicité. Il ne faudrait évidemment pas généraliser cette conscience à l’ensemble des combattants, mais l’expression « Grande Guerre », qui se cristallise très rapidement, dès 1914 – et que l’on retrouve en anglais sous la forme Great War ou en allemand avec l’idée fort répandue de Grande Époque (Die Gro?e Zeit)? [40] –, dit aussi quelque chose de ce sentiment parfois clairement, parfois plus confusément exprimé. L’évocation par les témoins des grandes batailles de 1916, accompagnées d’une orgie de destruction permise par le triomphe de la technique, se prolonge parfois également en méditation sur ce qui est alors perçu comme une nouveauté radicale provoquant un basculement qui l’est tout autant dans une époque : cette « époque Nouvelle » au N majuscule d’Apollinaire caractérisée notamment par le fait qu’on ne peut la prédire. Celle-ci, qui repousse l’homme dans le présent d’une sujétion à la guerre, le prive à la fois de passé et d’avenir. La guerre a détruit non seulement le passé mais aussi le futur.

28

« La guerre industrielle a créé la guerre organique, une crise de l’être entier, de profonds courants intérieurs qui tournent en vagues concentriques autour du drame guerrier où hésitent la résurrection ou la mort. Ce n’est plus une armée opérant au loin, comme un organe presque indépendant qui peut triompher ou disparaître sans lier l’organisme entier à son sort. C’est un peuple complet où chaque homme, chaque enfant et chaque femme participent de près ou de loin, et qu’ils consentent ou qu’ils refusent, à l’enivrement confus de désespoir et de puissance dont il n’est pas le maître de fixer le terme ni de prévoir les résultats? [41]. »

29Ces pronostics et prémonitions sont pour le moins paradoxaux. C’est peut-être pour cela ou par cela qu’ils expriment l’angoisse née de la guerre et du face à face avec la mort et la finitude qui en découlent. Même lorsqu’ils annoncent la fin d’un temps, ils demeurent une projection dans l’avenir, qui à l’instar des attentes de victoire, de paix et de fin de guerre, participent également à la réassurance des hommes en guerre.

30Parfois se formulent alors des grandes attentes que d’aucuns vont jusqu’à qualifier d’« eschatologiques? [42] » : le retour de la France à la foi, du triomphe du droit, la paix perpétuelle, la « der des ders », un monde meilleur, « l’anéantissement du repaire central de césars, de kronprinz, de seigneurs et de soudards qui emprisonnent un peuple et voudraient emprisonner les autres » sont autant de variantes des projections, souvent contradictoires, dans un avenir plus clément, qui traduisent l’investissement dans le conflit de ceux qui les mentionnent à un moment donné? [43].

31L’indéniable inscription du combattant dans le présent s’adosse à une projection vers l’avenir, qui se distingue de la temporalité du politique, comme l’expriment H. Alloend-Bessand cité plus haut et, quasiment a minima, Max Buteau en 1918 :

32

« Le soleil est déjà très bas. Dans une heure ou deux, il glissera derrière l’écran des collines. Et dans l’ombre, toute cette campagne vide se peuplera, des milliers d’hommes sortiront des trous qu’ils habitent, se remettront au patient travail nocturne. Bientôt les relèves vont s’effectuer et les convois aveugles, rouler sur les routes ; les outils creuseront la terre. La vie va se révéler enfin par tous ses bruits éteints durant le jour. Cela ressemblera aux soirées précédentes, cela ressemblera aux suivantes, longtemps encore sans doute. Cela est monotone, obsédant, étouffant. Et la grande guerre serait une guerre morne – si elle n’était la gestation laborieuse et lente d’un avenir meilleur? [44]. »

33Certes, les « grandes attentes » ne sont pas toujours exprimées clairement (on en a évoqué les raisons plus haut) ou ne s’expriment pas avec la même intensité selon les moments de la guerre ou les identités culturelles et sociales. Les sources testimoniales, et en particulier les journaux de tranchées, les lettres et les journaux intimes, de par la position du scripteur, tendent à dévoiler autant qu’à construire un rapport à un présent envahissant qui semble ne plus laisser de place ni au passé, ni à l’avenir. C’est en particulier la vie monotone des tranchées à partir de l’entrée dans une guerre de position qui favorise un nouveau rapport au temps. À partir du moment où les soldats s’enterrent, descendent dans le sol, s’installent dans une immobilité physique, le temps semble également comme se figer. La perspective de la fin de la guerre s’éloignant avec cette réalité stratégique nouvelle, les horizons d’attente, sans disparaître totalement, deviennent malgré tout flous, brumeux. C’est le temps des « Jours vagues et nuits vagues? [45] », des jours que l’on finit parfois par ne plus même compter. Ainsi, Édouard Cœurdevey, dès le mois d’octobre 1914 se moque gentiment de son frère Julien, combattant comme lui : « Le pauvre compte encore les jours comme s’il était là-bas [à l’arrière], malgré cette vie atroce de vingt jours dans les tranchées? [46]. » Quant à Roland Dorgelès, le 5 juin 1915, il se désespère : « mais que les jours sont longs, les heures nombreuses? [47] ». Dans cette litanie, qui peut aller jusqu’à prendre un caractère cyclique? [48], l’écriture elle-même de la lettre ou du journal endosse une autre fonction, à l’instar du jeu, de la musique, du café ou du tabac, celle de « tuer le temps » en créant du lien? [49].

34Le commandant Bréant met également en exergue cette différence entre la relation au temps à l’avant et à l’arrière : « Les journaux, les lettres qu’on reçoit continuent à émettre des pronostics. Ici, l’on ne voit pas si loin. Les choses sont simples. Des positions sont écrasées sous des projectiles énormes. Des troupes d’infanterie s’usent? [50]. » Le journal des tranchées L’Écho des gourbis illustra à sa manière le nouveau comput des jours et des semaines par le calendrier pour l’année 1918 qu’il offrit à ses lecteurs. Il prévoyait ainsi :

35

« 9 février : Rat, 10 février : Poux, 11 février : Puces, 12 février : Moustique, 13 février : Fièvre, 14 février : Bague, 15 février : Brioche, 16 février : Gigot, 17 février : Marmite, 18 févier : Gendarme […] 1er mars : Sécheresse, 2 mars : Insolation, 3 mars : Typhoïde, 4 mars : Branchages, 5 mars : Printemps, 6 mars : Journal […]? [51]. »

36Ainsi, si les horizons d’attente pouvaient en partie être communs avec l’arrière, les sources émanant des combattants tendent à montrer que le champ d’expérience était, lui, bel et bien très différent.

37Comment alors articuler dans le temps ces inscriptions qui pourraient sembler si contradictoires, entre un présent si pesant et un avenir si pressant ? Pour Benoist Couliou, avec la « prolongation imprévue des hostilités », avec une fin de la guerre qui se dérobe quand elle pouvait sembler toute proche encore à l’été 1914, lorsque subsistait encore l’idée d’une guerre brève, se produit un clivage entre deux formes de stoïcisme? [52]. Tandis que, pour la majorité, il « correspond alors à une résignation passive face à un avenir incertain et menaçant », pour une autre partie des combattants qu’il identifie aux « milieux plus aisés », la « résignation se veut active ». De manière séduisante, il identifie les premiers à Damoclès et les seconds à Ulysse qui sont des figures évoquées par deux combattants, le premier par Étienne Tanty et le second par Paul Cazin. Il en conclut : « Dans un cas, la certitude qu’on n’est plus maître de son destin. Dans l’autre, la croyance qu’à défaut de déterminer le futur, on peut encore agir sur soi, en établissant une position subjective particulière face à la durée de la guerre, et aux épreuves qu’elle impose. » Cette dichotomie pourrait alors expliquer l’apparente opposition entre une inscription subie dans le présent et les différentes formes de projection dans l’avenir. Si ce modèle explicatif peut paraître convainquant, il ne semble toutefois pas à même d’expliquer pourquoi, malgré l’attention très fine à la chronologie chez Couliou, dans les écrits d’un même individu, peuvent se succéder des phases de résignation passive et des projections actives vers l’avenir.

38Sans remettre fondamentalement en cause ce modèle, il semble possible d’émettre une autre hypothèse permettant, comme le propose François Hartog, de travailler sur la distance entre champ d’expérience et horizon d’attente. Celle-ci, du reste, n’est pas exclusive d’autres explications et demeure avant tout une hypothèse de travail.

Le temps parenthèse, le temps suspendu

39Cette hypothèse repose sur le fait que la guerre générerait son propre régime d’historicité, découlant de la situation même d’être en guerre et de sa perception par les acteurs sociaux. Ce régime reposerait sur une idée partagée par tous, ou presque tous (au front comme à l’arrière, chez les consentants comme les non-consentants), et ceci quel que soit le moment de la guerre. La guerre ne saurait être un état permanent. Une fois entré dans le conflit, il n’y a pour ainsi dire que deux issues : la mort ou la paix. Il est donc logique que la paix soit pour l’ensemble des combattants et des non-combattants le principal horizon d’attente, puisqu’elle est tout simplement la sortie d’une guerre considérée comme nécessairement transitoire. Cette paix est à la fois désirée et inéluctable, car la guerre ne saurait durer éternellement. Seule la mort est à même d’en priver le combattant. Il est donc souhaitable qu’elle soit proche car, d’expérience, le combattant, dans son face à face avec la mort, sait que plus la guerre dure, plus s’équilibrent les probabilités de mourir et celles de voir la paix. Mais d’autres facteurs entrent en jeu car les acteurs sociaux sont confrontés à des cadres qui, comme son régime d’historicité, sont spécifiques à la guerre et sont distincts du temps de paix. Parmi eux figure l’issue, binaire, du conflit, qui se solde par une défaite ou par une victoire. Certes, les espoirs d’une paix blanche purent exister, mais ils furent eux aussi étroitement liés à la temporalité de la guerre, et notamment à l’impasse stratégique de l’année 1917, lors de laquelle la guerre sembla comme figée. Comme l’écrit Jean-Jacques Becker, « l’immense majorité, sauf dans un moment de désespoir […], tout en soupirant après la fin de la guerre, n’aurait pas accepté que ce soit par la défaite? [53] ». Le rapport complexe entre la paix attendue et la victoire attendue est donc également au cœur d’une réflexion sur le rapport au temps présent et futur des combattants et sur leurs articulations.

40Le rapport au temps des combattants de la Grande Guerre, parce qu’il sont confrontés à la mort de masse et à la probabilité de leur propre mort, est donc une négociation complexe. Celle-ci implique un présent subi, les souvenirs d’un passé récent qui, comme ces mêmes combattants, se trouvent dans une parenthèse, est aussi un « à venir » dont il est souhaitable qu’il soit le plus proche possible et, enfin, la nécessité de la victoire comme sortie souhaitable de l’état de guerre. Il se pourrait qu’il soit un « micro régime d’historicité? [54] » emboîté ou enserré dans celui, plus vaste, de la Grande Guerre qui, à son tour, à la manière des matriochkas, le serait dans celui du premier 20e siècle, portant en gestation notre siècle? [55].

41Cette forme de négociation entre les temporalités qui pourrait être le signe d’une historicité combattante est mise en scène sous la forme d’un dialogue par Pierre Paraf, un écrivain combattant, ami très proche de Barbusse. Ce dialogue entre ce qui semble être deux « demi-chœurs » lui permet de rendre intelligible chacun des pôles entre lesquels s’exerce la tension temporelle :

42

« “Quand c’est-y que c’ fumier d’ guerre finira ?” répétaient encore les poilus comme un leitmotiv. “Vivement la fuite”, clamait le premier demi-chœur. “Quand tout le monde en aura bien marre !” s’écriaient d’autres copains./“C’ fumier d’ guerre finira, quand on sera vainqueur”, répondais-je avec autorité… Oui, faudra bien qu’un jour nous le soyons, dit Tavernier qui n’aime pas habituellement à exprimer son patriotisme en paroles ; vingt dieux, peut-être bien que le prochain coup sera le bon et on montera là-haut encore de plein cœur, parce qu’on n’a pas voulu la guerre, parce qu’on n’est pas fait pour conquérir des tranchées, que le métier est abominable, mais qu’il le faut, parce qu’on est des soldats et des Français, nom de Dieu ! Et pourtant, je ne suis pas patriote, ajoutait-il tout bas, mais y a des choses que je comprends et que d’autres ne comprennent pas? [56]. »

43Cette négociation (ou si l’on préfère cette tension ou encore suspension entre les temporalités) se dévoilait particulièrement dans les moments où justement la perspective de la fin de la guerre semble se dérober. Il peut s’agir de moment de désespérance individuelle face à la répétition cyclique et interminable des jours de guerre. De ce point de vue, le « cafard » peut être considéré comme une maladie du temps qui a sans doute des points communs avec la « psychose des barbelés? [57] » de certains prisonniers de guerre. Ce que semble exprimer un poème intitulé Le Cafard, écrit à Craonnelle en mai 1917, juste après l’échec de l’offensive du Chemin des Dames, qui aurait précisément dû mettre fin à la guerre par la victoire :

44

« Les jours poussent les jours avec monotonie
Et la vie est ainsi qu’une lente agonie? [58]. »

45Les mutineries sont également, et peut-être avant tout, une protestation contre « l’expérience d’une guerre d’usure dont la fin victorieuse s’éloigne de plus en plus depuis avril 1917? [59] ». L’éloignement particulièrement brutal de l’horizon de la fin de la guerre après l’échec de « l’offensive finale » joue un rôle « important » dans la mesure où « ces promesses d’attaque, de poursuite et de victoire sont explicitement formulées par de très nombreux officiers, et admises par des combattants pour qui elles correspondent au souhait intime de “fin” »? [60]. Dans cette perspective, la crise d’autorité qui suit l’offensive du Chemin des Dames pourrait être interprétée, selon les travaux de la philosophe Myriam Revault d’Allonnes, comme avant tout une crise de la temporalité, l’avenir se vidant d’un coup de toutes ses « promesses »? [61].

46L’éloignement de la fin de la guerre est perçu comme d’autant plus cruel et injuste qu’était puissant l’investissement dans la victoire finale qui devait découler de cette offensive. Il l’est aussi parce qu’il intervient après près de quatre années de guerre. Mais il n’était pas spécifique à l’offensive du Chemin des Dames. À la limite, à des degrés divers, cet investissement (suivi d’une déception après l’échec) intervenait au moment de chaque bataille, car « si les soldats français font les frais des illusions de leur propres généraux […], à leur manière, les soldats partagent les illusions des généraux. Ils sont pris, eux aussi, dans l’engrenage d’un avenir qui semble passer implacablement par la grande offensive libératrice? [62] ». « Voici : il suffirait d’un assaut victorieux pour en refaire les soldats d’août 1914, écrit André Pézard. Et ces gens-là ont vécu sept mois à Vauquois? [63] ! »

47Comme le souligne John Horne, la situation des soldats français possède une caractéristique bien particulière qu’ils partagent avec ceux des autres pays envahis. Si la position défensive est essentielle pour comprendre leur expérience de guerre et leur ténacité, il ne faut pas oublier non plus l’impératif de libération du territoire qui doit accompagner la fin de la guerre et donc implique d’autant plus fortement une fin victorieuse. Cette tension se résout précisément par la négociation des soldats avec les temporalités de guerre. Les combattants sont à la fois ancrés dans un temps qui semble immobile, largement subi, et la projection vers la fin de la guerre, largement synonyme de victoire et de « libération » dans tous les sens du terme. Mais même lorsque la victoire et la fin de la guerre semblent s’éloigner, elles ne disparaissent pas totalement, ou du moins pas définitivement.

48L’investissement et la projection vers une fin de guerre comme délivrance expliqueraient pourquoi et comment l’offensive peut être acceptable dans une guerre vécue comme défensive : l’offensive permet de se rapprocher de la fin de la guerre. Le refus implicite ou explicite des offensives n’intervient qu’après de longues années de guerre, en raison des échecs répétés de ces dernières. La probabilité de mourir devient alors plus forte que celle d’une offensive victorieuse mettant fin au conflit. C’est donc bien la conjugaison du présent et de la fin attendue qui fait de la guerre un état provisoire, même s’il dure. Ainsi, au-delà des attentes puissantes dont peut être investie la fin de la guerre, la représentation de la guerre comme une parenthèse dans le temps facilite l’endurance.

49Le Feu de Barbusse, paru en 1916, d’abord en feuilleton, couronné du prix Goncourt et qui remporta un énorme succès, doit justement ce dernier au fait qu’il était parvenu à saisir « un aspect central de l’expérience de guerre? [64] ». Son sujet n’est autre « que la suspension d’un groupe de soldats entre le présent qu’ils habitent, en essayant de survivre, et un avenir illisible mais que Barbusse dépeint dans son dernier chapitre, “L’Aube”, aux lueurs d’une apocalypse rédemptrice ». Dans son second roman de guerre, Clarté, publié aux lendemains du conflit, l’expression de ces grandes attentes devient alors encore plus explicite, prenant les accents d’un « grand soir du monde? [65] » révolutionnaire. La fermeture de la parenthèse guerrière cristallise des attentes jusqu’alors certes grandes mais encore confuses.

50Jean Giraudoux raconte cette fermeture de la parenthèse dans son Adieu à la guerre, paru en 1919 et écrit au moment de sa démobilisation. Il tente de répondre aux questions qu’il se pose lui-même? [66] : « Comment la guerre commença ? » « Comment la guerre se passa ? » Surtout, Jean Giraudoux écrit qu’avec la fin de la guerre, il reprend sa « vraie distance de la mort » et se retrouve « pour la première fois depuis cinq ans […] sans arme », et sans ennemi autre que lui-même. Il conclut : « Il est midi. Un vent léger remue les platanes ; en appuyant du doigt sur son œil, on voit toute chose avec un contour doré ; le vin est rose dans les carafes ; la nappe est blanche sous l’argent et sous les cerises… Ce que je fais ? Ce que je suis ? Je suis un vainqueur, le dimanche à midi. »

En guise de conclusion

51Ces quelques exemples et réflexions fondées essentiellement sur les « ego documents » des combattants posent davantage de questions qu’ils n’apportent de réponses. Ils montrent toutefois l’intérêt qu’il y a à ouvrir le chantier non seulement du rapport au temps des contemporains de la Grande Guerre, de leurs champs d’expérience et horizons d’attente, des temporalités qu’ils construisent ou subissent, mais aussi, plus largement, de cette « crise du temps » que pourrait représenter une Grande Guerre alors à même de remodeler les articulations entre passés, présent et futur et, par là, de générer un régime ou à tout le moins des microrégimes d’historicité qui lui seraient propres.

52De même, si les « témoignages » de toutes natures s’avèrent sans nul doute nécessaires pour écrire cette histoire, ils n’en demeurent pas moins problématiques en raison des effets de sources qui leur sont inhérents. En ce domaine plus encore qu’en d’autres, l’historien doit « inventer » d’autres sources à croiser avec les témoignages comme, par exemple, des œuvres d’art ou des objets du quotidien. L’heure H du jour J? [67], dessin d’Alexandre Zinoviev où figure au premier plan la montre indiquant l’heure de l’assaut sur le point d’être lancé, nous en dit ainsi beaucoup, par contraste avec un temps subi, sur la nécessaire maîtrise du temps (notamment par le corps des officiers) et sur le pouvoir qui en résulte. La montre, et notamment le développement et la démocratisation de la montre-bracelet pendant la Grande Guerre, pourraient ainsi nous donner maints indices du souhait de s’extraire d’un temps subi pour au contraire se le réapproprier, le maîtriser à nouveau. Les journaux de la Grande Guerre sont en effet emplis de publicité éloquente : celle pour la marque Omega parue dans L’Illustration le 15 juillet 1915 n’affirme-t-elle pas « pour sa sécurité, on a besoin de connaître l’heure exacte le jour comme la nuit », alors qu’un concurrent affirme le 2 décembre 1916 que « l’heure de la victoire sera marquée par les montres et chronomètres Lip » ? La publicité, le 10 avril 1915, pour un agenda de poche avec un porte-mine inséré dans le carnet, faisant « marque-date » et permettant « au front » de « noter les incidents de la vie journalière », signifie également cette volonté de recouvrer une maîtrise du temps? [68].

53En faisant source de toutes choses, en inventant sans cesse de nouveaux objets d’études, il sera alors peut-être possible de repenser la guerre de 1914-1918 à la fois comme continuité et comme rupture dans le temps, où fins et commencements sont étroitement intriqués, et ainsi de démêler l’écheveau d’un temps où s’assemblèrent les destinées humaines confrontées à la grande tragédie.

Notes

  • [1]
    Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien (1942), réédité dans id., L’Histoire, la Guerre, la Résistance, Paris, Gallimard, « Quarto », 2006, p. 867. Comme chacun sait, les historiens des Annales ont défendu une problématisation du temps face à la tradition historisante. Sur l’histoire-problème voir tout particulièrement : Lucien Febvre, « Propos d’initiation : vivre l’histoire », Mélanges d’histoire sociale, 1, 1943, p. 5-18.
  • [2]
    Jacques André, « Le temps n’est plus ce qu’il était », in Jacques André, Sylvie Dreyfus-Asséo et François Hartog (dir.), Les Récits du temps, Paris, PUF, 2010, p. 3-8, p. 3.
  • [3]
    Après une première édition posthume en 1950, La Mémoire collective de Maurice Halbwachs a été rééditée en 1968 et en 1997 aux éditions Albin Michel. Son ouvrage intitulé Les Cadres sociaux de la mémoire est paru en 1925 et fut réédité en 1935, 1976 et 1994, également aux éditions Albin Michel.
  • [4]
    Reinhart Koselleck, « Der Einflu? der beiden Welkriege auf das soziale Bewußtsein », in Wolfram Wette (dir.), Der Krieg des kleinen Mannes : eine Militärgeschichte von unten, Munich, Piper, 1992, p. 324-343 ; Reinhart Koselleck et Michael Jeismann (dir.), Der politische Totenkult : Kriegerdenkmäler in der Moderne, Munich, Wilhelm Fink, 1994 ; Reinhart Koselleck, Zur politischen Ikonologie des gewaltsamen Todes : ein deutsch-französischer Vergleich, Bâle, Schwabe, 1998 ; Reinhart Koselleck, « Kriegerdenkmale als Identitätsstiftungen der Überlebenden », in Odo Marquard et Karlheinz Stierle (dir.), Identität, Munich, Wilhelm Fink, 1979, p. 255-276 ; trad. fr., id., « Les monuments aux morts, lieux de fondation de l’identité des survivants », in id., L’Expérience de l’histoire, éd. et préf. par Michael Werner, trad. de l’all. par Alexandre Escudier avec la collab. de Diane Meur, Marie-Claire et Jochen Hoock, Paris, Gallimard/Éd. du Seuil, 1997, p. 135-160 ; Annette Becker, Les Monuments aux morts, mémoire de la Grande Guerre, Paris, Errance, 1988 ; Antoine Prost, « Les monuments aux morts », in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de Mémoire, t. I : La République, Paris, Gallimard, 1984, p. 195-225 ; Jay Winter, Sites of Memory, Sites of Mourning : The Great War in European Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; trad. fr., id., Entre deuil et mémoire : la Grande Guerre dans l’histoire culturelle européenne, préf. d’Antoine Prost, trad. de l’angl. par Christophe Jacquet, Paris, Armand Colin, 2008.
  • [5]
    Reinhart Koselleck, « “Erfahrungsraum” und “Erwartungshorizont” – zwei historische Kategorien », in Engelhardt Ulrich, Sellin Volker et Stuke Horst (dir.), Soziale Bewegung und politische Verfassung : Beiträge zur Geschichte der Modernen Welt, Stuttgart, Klett, 1975, p. 13-33. ; trad. fr., id., « “Champ d’expérience” et “horizon d’attente” : deux catégories historiques », in id., Le Futur passé : contribution à la sémantique des temps historiques, trad. de l’all. par Jochen et Marie-Claire Hoock, Paris, Éd. de l’EHESS, « Recherches d’histoire et de sciences sociales, 44 », 1990, p. 307-329.
  • [6]
    François Hartog, Régimes d’historicités : présentisme et expériences du temps, Paris, Éd. du Seuil, 2003, 2012, p. 13.
  • [7]
    Antoine Prost, Les Anciens combattants et la société française, Paris, Presses de Sciences Po, 1977, 3 t.
  • [8]
    Jean-Jacques Becker, 1914 : comment les Français sont entrés en guerre. Contribution à l’étude de l’opinion publique, printemps-été 1914, Paris, Presses de Sciences Po, 1977.
  • [9]
    Stéphane Audoin-Rouzeau, 14-18, les combattants des tranchées, Paris, Armand Colin, 1986, p. 187.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    André Loez, 14-18, les refus de la guerre : une histoire des mutins, Paris, Gallimard, 2010, p. 75-76 et p. 81 sq. Cette idée est également au cœur de l’article de Jean-François Jagielski, « Modifications et altérations de la perception du temps chez les combattants de la Grande Guerre », in Rémy Cazals, Emmanuelle Picard et Denis Rolland (dir.), La Grande Guerre : pratiques et expériences, Toulouse, Privat, 2005, p. 205-214, notamment p. 211-213.
  • [12]
    Stéphane Audoin-Rouzeau, op. cit., p. 187.
  • [13]
    André Loez, op. cit., p. 75-76 et 81 sq.
  • [14]
    Emmanuel Saint-Fuscien, À vos ordres ? La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre, Paris, Éd. de l’EHESS, 2011.
  • [15]
    Voir, par exemple, Ludivine Bantigny, « Temps, âge et génération à l’épreuve de la guerre : la mémoire, l’histoire, l’oubli des appelés en Algérie », Revue historique, 641, janvier 2007, p. 165-179.
  • [16]
    Voir notamment Nicolas Beaupré, Écrire en guerre, écrire la guerre : France-Allemagne, 1914-1920, Paris, CNRS éditions, 2006, chap. 9 « Les fins dernières : attendre et annoncer », p. 195-212 ; id., Les Grandes Guerres, 1914-1945, Paris, Belin, 2012, « Le temps suspendu, la fin attendue », p. 103-107.
  • [17]
    Voir, entre autres, Jean-François Jagielski, op. cit. ; John Horne, « Entre expérience et mémoire : les soldats français de la Grande Guerre », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 60 (5), 2005, p. 903-919 ; André Loez, « La bataille avant la bataille : imaginer et deviner l’offensive », in Nicolas Offenstadt (dir.), Le Chemin des Dames : de l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, p. 197-205 ; Benoist Couliou, « Un stoïcisme pragmatique : expérience temporelle et horizon d’attente des combattants », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 91, juillet-septembre 2008, p. 71-74 ; Benoist Couliou, « Ulysse et Damoclès : l’identité sociale des combattants français et leur perception de la durée (août 1914-décembre 1915) », in François Bouloc, Rémy Cazals et André Loez, Identités troublées, 1914-1918 : les appartenances sociales et nationales à l’épreuve de la guerre, Toulouse, Privat, 2011, p. 61-72.
  • [18]
    Ceci est particulièrement explicite dans Clémence Martin-Froment, L’Écrivain de Lubine : journal de guerre d’une femme dans les Vosges occupées (1914-1918), édition établie et présentée par Philippe Nivet, Jean-Claude Fombaron et Yann Prouillet, Moyenmoutier, Edhisto, 2010 ; Annette Becker (éd.), Journaux de combattants et civils de la France du Nord dans la Grande Guerre, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1998.
  • [19]
    François Hartog, Régimes d’historicités…, op. cit., p. 13.
  • [20]
    Il est notamment évoqué rapidement par Benoist Couliou, « Ulysse et Damoclès… », op. cit.
  • [21]
    John Horne, op. cit., p. 918.
  • [22]
    À l’exception des écritures du trauma, qui répètent pathologiquement le temps présent de la guerre. Leonard V. Smith attribue précisément à la littérature d’après-guerre, et notamment à la fiction romanesque une fonction de fermeture, d’enfermement de la Grande Guerre dans une époque qu’on espère révolue et qui doit également empêcher la réitération traumatique comme la répétition de la tragédie de la guerre : Leonard V. Smith, The Embattled Self : French Soldiers’ Testimony of the Great War, Ithaca, Cornell University Press, 2007, p. 148-194.
  • [23]
    André Fribourg, Croire : histoire d’un soldat, Paris, Payot, 1917, p. 9.
  • [24]
    Selon la formule de François Hartog, Régimes d’historicité…, op. cit., p. 38.
  • [25]
    On pense par exemple à la comparaison qui pourrait être faite entre le journal d’Ernst Jünger et son récit Orages d’acier. Des comparaisons visant à déceler les variations dans le récit ont déjà été menées, mais, à notre connaissance, non pour analyser précisément le rapport au temps et son évolution (Ernst Jünger, Kriegstagebuch, 1914-1918, Helmuth Kiesel (éd.), Stutt­gart, Klett-Cotta, 2010).
  • [26]
    Jean-François Jagielski, op. cit., p. 209 et 210.
  • [27]
    Guillaume Apollinaire, « Les saisons », Calligrammes, Œuvres poétiques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 240.
  • [28]
    Louis Pergaud, Carnet de guerre, Paris, Le Mercure de France, 2011, p. 38, 13 novembre 1914.
  • [29]
    André Loez, 14-18, les refus de la guerre…, op. cit., p. 97.
  • [30]
    John Horne, op. cit., p. 909-910.
  • [31]
    Au sens de Bronis?aw Baczko, Les Imaginaires sociaux : mémoires et espoirs collectifs, Paris, Payot, 1984.
  • [32]
    Bruno Cabanes, La Victoire endeuillée : la sortie de guerre des soldats français (1918-1920), Paris, Éd. du Seuil, 2004.
  • [33]
    Leonard V. Smith, op. cit. ; Nicolas Beaupré, « “De quoi la littérature de guerre est-elle la source ?” Témoignages et fictions de la Grande Guerre sous le regard de l’historien », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 112, octobre-décembre 2012, p. 41-55.
  • [34]
    Émile Henriot, Carnet d’un dragon dans les tranchées (1915-1916), Paris, Hachette, 1918, p. 187.
  • [35]
    Voir, par exemple, Annette Becker, Apollinaire : une biographie de guerre, Paris, Tallandier, 2009 ; Laurence Campa, Poètes de la Grande Guerre : expérience combattante et activité poétique, Paris, Garnier, 2010.
  • [36]
    H. Alloend Bessand, Poëmes de guerre et non poëmes guerriers, Paris, Georges Crès, 1918, p. 7.
  • [37]
    François Hartog, Régimes d’historicité…, op. cit., p. 15.
  • [38]
    Le poème a été très vraisemblablement écrit en proximité immédiate avec l’événement décrit, en tout cas avant avril 1915. Parti le 31 juillet de Deauville et non le 31 août, date retenue pour le rythme du vers, Apollinaire était arrivé à Paris le 1er août. (Guillaume Apollinaire, Œuvres poétiques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 207-208 pour le poème, et p. 1076 et 1085-1086 pour les notes)
  • [39]
    Annette Becker, Apollinaire…, op. cit., p. 21.
  • [40]
    Wolfgang G. Natter, Literature at War, 1914-1940 : Representing the « Time of Greatness » in Germany, New Haven, Yale University Press, 1999.
  • [41]
    Élie Faure, La Sainte Face, Paris, Georges Crès, 1918, p. 294.
  • [42]
    Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18 : retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 182-195 ; Nicolas Beaupré, Écrire en guerre…, op. cit., p. 202-204.
  • [43]
    Lettre ouverte d’Henri Barbusse publiée dans L’Humanité le 9 août 1914 pour expliquer son engagement (Henri Barbusse, Paroles d’un combattant, Paris, Flammarion, 1920, p. 7-8).
  • [44]
    Max Buteau, Tenir, récits de la vie de tranchées, Paris, Plon, 1918, p. 191.
  • [45]
    Guillaume Apollinaire, « Les saisons », op. cit., p. 240.
  • [46]
    Édouard Cœurdevey, Carnets de guerre, 1914-1918, Paris, Pocket, « Terre Humaine », 2008, p. 80.
  • [47]
    Roland Dorgelès, Je t’écris de la tranchée : correspondance de guerre, 1914-1917, préf. de Micheline Dupray, introd. de Frédéric Rousseau, Paris, Albin Michel, 2003, p. 292.
  • [48]
    Jean-François Jagielski, op. cit., p. 210-211.
  • [49]
    Emmanuel Saint-Fuscien, op. cit., p. 93-95.
  • [50]
    Pierre Bréant, De l’Alsace à la Somme : souvenirs du front (août 1914-janvier 1917), Paris, Hachette, 1917, p. 156.
  • [51]
    Calendrier reproduit dans Stéphane Audoin-Rouzeau, op. cit., p. 182-183.
  • [52]
    Benoist Couliou, « Ulysse et Damoclès… », op. cit.
  • [53]
    Jean-Jacques Becker, « De quelques observations à propos de ce numéro de Matériaux sur la Grande Guerre », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 91 (3), 2008, p. 28-30, p. 29.
  • [54]
    François Hartog, Régimes d’historicités…, op. cit., p. 15.
  • [55]
    Même s’il ne s’y attarde guère, François Hartog mentionne à plusieurs reprise la Grande Guerre qui, comme catastrophe, serait aussi un moment de « crise du temps », une étape dans la « faillite de l’histoire » et dans récusation du « futurisme » pris au sens précis comme figuré. Voir notamment François Hartog, Régimes d’historicité…, op. cit., p. 150-153.
  • [56]
    Pierre Paraf, Sous la terre de France, Paris, Payot, 1917, p. 57-58.
  • [57]
    Annette Becker, Oubliés de la Grande Guerre : humanitaire et culture de guerre. Populations occupées, déportés civils, prisonniers de guerre, Paris, Noêsis, 1998, p. 143-145 ; Uta Hinz, « Prisonniers », in Audoin-Rouzeau Stéphane et Becker Jean-Jacques (dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre, Paris, Bayard, 2004, p. 777-785, p. 782.
  • [58]
    Antoine Chollier, Au rythme du cœur, Paris, Jouve, 1918, p. 107.
  • [59]
    Galit Haddad, 1914-1919 : ceux qui protestaient, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. 261.
  • [60]
    André Loez, 14-18, les refus de la guerre…, op. cit., p. 120.
  • [61]
    Myriam Revault d’Allonnes, « De l’autorité à l’institution : la durée publique », Esprit, août-septembre 2004, p. 42-66 ; id., Le Pouvoir des commencements : essai sur l’autorité, Paris, Éd. du Seuil, 2006. Merci à Emmanuel Saint-Fuscien pour ces références ainsi que pour la relecture de cet article.
  • [62]
    John Horne, op. cit., p. 908.
  • [63]
    André Pézard, Nous autres à Vauquois, 1915-1916, 46e R. I., Paris, La Renaissance du livre, 1918, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1992, p. 228-229.
  • [64]
    John Horne, op. cit., p. 910 ; Stéphane Audoin-Rouzeau, « Le Feu, un Goncourt pour la révolte », Le Monde, numéro spécial sur « La Très Grande Guerre », 1994, p. 22 ; Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, op. cit., p. 182-185.
  • [65]
    Henri Barbusse, Clarté, Paris, Flammarion, 1919, p. 297.
  • [66]
    Jean Giraudoux, Adieu à la guerre, Paris, Grasset, 1919, p. 6-7, 8, 13, 26-27.
  • [67]
    Collection de l’Historial de la Grande Guerre, reproduit dans Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker (dir.), op. cit., second cahier d’illustrations, p. VI.
  • [68]
    Robert Galic, Une publicité de guerre : les « annonces » dans le journal L’Illustration (1914-1918), Paris, L’Harmattan, 2011, p. 55-56 et 60.
Français

Résumé

Cet article interroge l’intérêt et la possibilité d’une histoire du rapport au temps des combattants français de la Grande Guerre. Il se penche tout d’abord sur la question des sources. Il montre que récits comme journaux intimes, correspondances ou poèmes, qui sont les sources indispensables à ce type d’histoire, génèrent de puissants effets de sources dont il est absolument nécessaire de tenir compte. Toutefois, il semble pertinent de s’interroger sur l’existence ou non de micro-régime d’historicités liés à l’expérience de guerre. Cet article montre en effet que l’expérience de guerre au front est également une expérience particulière du temps où peuvent par exemple se conjuguer un temps immobile et des projections dans l’avenir recelant parfois de grandes attentes. Il souligne aussi l’importance de l’appréhension de la guerre comme parenthèse temporelle pour les combattants. On peut penser que dans ce rapport à un temps à la fois subi et élaboré par les combattants eux-mêmes réside l’une des raisons de leur ténacité au front.

Mots-clés

  • Grande Guerre
  • littérature de guerre
  • expérience de guerre
  • temporalité
  • régime d’historicité
Nicolas Beaupré
Nicolas Beaupré, Université Blaise-Pascal, Centre d’histoire « Espaces et cultures » (CHEC), 63057, Clermont-Ferrand cedex.
Nicolas Beaupré est maître de conférences à l’Université Blaise-Pascal, membre junior de l’Institut universitaire de France et membre du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre. Ses recherches portent sur l’histoire de la Grande Guerre et ses conséquences en France et en Allemagne. Il a notamment publié Écrire en guerre, écrire la guerre : France-Allemagne, 1914-1920 (CNRS éditions, 2006), Les Grandes Guerres, 1914-1945 (Belin, 2012) et Le Traumatisme de la Grande Guerre, 1918-1933 (Presses universitaires du Septentrion, 2012). (nicolas.beaupre@univ-bpclermont.fr)
Mis en ligne sur Cairn.info le 08/01/2013
https://doi.org/10.3917/vin.117.0166
Pour citer cet article
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