CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Écrire en Grande Guerre

Beaupré Nicolas, Écrire en guerre, écrire la guerre. France, Allemagne 1914-1920, Paris, CNRS éditions, 2006, 292 p., 25 €

Bien écrit, bien composé, ce livre se lit d’autant mieux qu’il n’est pas trop long. La chose est assez rare pour qu’on en félicite l’auteur. Comme il l’annonce, c’est « une histoire culturelle comparée du premier conflit mondial ». Elle repose sur un vaste corpus d’ouvrages – à l’exclusion des articles – écrits par 181 auteurs allemands et 239 français, soit 291 ouvrages français et 242 allemands. Cette large couverture fait le premier intérêt du livre, et l’on doit d’abord remercier Nicolas Beaupré de nous faire découvrir une littérature allemande largement inconnue.
Organisé en trois parties : pratiques, représentations, justifications et interprétations, ce livre apporte beaucoup parce qu’il adopte un point de vue inhabituel. Il prend les écrivains-combattants d’abord comme des écrivains et il regarde leurs livres comme des œuvres littéraires plutôt que des témoignages. D’où toute une série d’éclairages sur l’engagement des écrivains dans la guerre, leur rapport aux éditeurs, les tirages, les prix littéraires. La censure fait l’objet d’une analyse fine : d’une part, elle était acceptée ; d’autre part, elle était moins draconienne qu’on ne le dit, en partie parce que les censeurs étaient parfois eux-mêmes des écrivains dont les deux armées utilisaient les compétences. Après la guerre, les écrivains combattants s’organisent très tôt en France dans une association unique qui transcende les clivages idéologiques et politiques, tandis qu’en Allemagne il faut attendre les nazis pour qu’apparaisse une association d’écrivains du front.
Plus intéressant encore que ce portrait de groupe au travail, le regard proprement littéraire sur les œuvres. Elles relèvent d’un genre nouveau. En Allemagne, à la « poésie de guerre » succède une « poésie du front », plus personnelle. Dans les deux pays, le « récit de guerre », qui caractérise les productions de la période étudiée, se distingue à la fois du journal et du roman alors qu’au tournant des années 1930 celui-ci le supplantera. Une analyse plus fine de l’écriture même de ces textes fait ressortir le rôle de thèmes récurrents, comme la tranchée. Les pages consacrées à son « image littéraire » (178-185) sont parmi les meilleures du livre : la tranchée permet de dire à la fois la coupure, la guerre défensive et la mort annoncée. Tout ceci est fort bien venu et de lecture enrichissante.
Nicolas Beaupré met cette analyse littéraire au service d’un objectif historique. Il veut saisir « la construction de la guerre comme expérience et événement où moment même ou il [sic] se produit » (p. 258). Il s’intéresse moins à « la vérité des faits rapportés par les récits et poèmes de guerre » qu’à « la réalité des représentations qu’ils véhiculent » (p. 17). Ce qui l’amène à « historiser de manière critique » (p. 172) la notion de témoignage en posant la question de la finalité de ces témoignages. On le suit volontiers quand il affirme que « les enjeux des textes se situent au-delà du simple témoignage, du simple vérisme ou réalisme sur la guerre » (p. 193). Écrire la guerre est toujours lui donner sens, parfois aussi une façon de préserver son identité. Pour Nicolas Beaupré, les écrivains combattants « témoignaient avant tout d’un engagement et d’un consentement dans la guerre » (p. 172), dans un ensemble de représentations qui forment un seul grand récit où « la narration de l’expérience serait subordonnées aux fins de la guerre, à la victoire, à l’affirmation de la suprématie ». Analyse séduisante, mais excessive en ce qu’elle permet d’enrôler pour cette cause qu’ils ont explicitement récusée des écrivains comme Barbusse. Nicolas Beaupré passe ici un peu vite sur les intentions subjectives des auteurs. Pour la plupart, dire ce qu’était la guerre pendant la guerre même était à la fois un devoir et un combat : un devoir de mémoire, dirions-nous aujourd’hui, un combat contre les représentations fausses de l’arrière. Il faudrait surtout s’entendre sur ce que consentement veut dire. Dans le passage cité, le consentement débouche sur l’affirmation de la suprématie. Il y a là un glissement sémantique rendu possible par la polysémie du terme consentement. Ailleurs, parlant du sacrifice consenti, Nicolas Beaupré souligne l’adjectif et s’appuie sur lui pour argumenter la même thèse. On pourrait ainsi soutenir que les soldats qui chantaient la chanson dite « de Craonne », « c’est nous les sacrifiés » : « adieu l’amour, adieu la vie, adieu les femmes, c’est pas bientôt fini de cette guerre infâme » montaient en ligne malgré tout, et que leurs actes comptaient davantage que la chanson. On conviendra cependant qu’entre le « consentement » du « sacrifié » et celui du kamikaze, il y a quelque différence. Placer la résignation sur le même plan que l’engagement des volontaires relève d’une stratégie argumentative bien connue – elle a beaucoup servi dans le débat politique au temps de la guerre froide – où qui ne dit mot consent et où ne pas prendre parti revient à prendre le mauvais parti. On peut être contre la guerre et la faire quand même…
On l’aura compris, Nicolas Beaupré se réclame du paradigme de la culture de guerre. Il lui apporte d’intéressantes nuances sans pourtant renoncer à ses affirmations majeures. Posant en principe la différence radicale entre les écrits de la guerre et ceux d’après-guerre, il constate cependant la présence d’affirmations pacifistes avant l’armistice, plus précoces d’ailleurs en Allemagne, avec notamment Fritz von Unruh. Comme ce constat affaiblit sa thèse, il le minimise. Il traite ainsi d’éventuelle la prophétie pacifiste du Feu (p. 141) ; après avoir cité un texte où le poète allemand Rudolf Leonhard critique en 1917 son engagement patriotique initial, il généralise en ajoutant que beaucoup de récits de vie sont repensés ainsi dans l’après-1918 (p. 34) ; il écrit à propos de Léon Werth et de son Clavel soldat : « En bon pacifiste publiant en 1919 » alors que le texte est explicitement daté de 1916-1917.
De la même façon, sa lecture des textes l’amène à relativiser la thèse du silence des témoignages sur les violences de guerre : le tuer à la guerre n’était pas indicible puisqu’il a été dit. L’analyse de l’écriture des témoignages de Genevoix ou de Jünger, celle des termes utilisés ou des pronoms, met au jour la charge affective, l’angoisse même, de celui qui a tué. Le commentaire d’un passage où Friedrich Loofs fait dialoguer un soldat qui vient de tirer sur un Anglais et son sergent (p. 126) illustre la complexité des attitudes et la pluralité des interprétations possibles. C’est éclairant et probant. Mais Nicolas Beaupré semble croire que tous les soldats ont tué ou violé : ceux qui ne le disent pas, c’est parce qu’ils ont honte d’eux-mêmes et de leur violence. Certains – ils sont rares – écrit-il page 125, tenaient à conserver un espace de liberté en se préservant de l’action de tuer. Mais qu’est-ce qui permet d’affirmer qu’ils sont rares ? Où sont les preuves ? Peu de textes explicitent le refus de tuer, et peu de témoins disent « je n’ai pas tué », mais de quel droit faire parler les silences et affirmer que ceux qui ne disent rien ont accepté de tuer, voire l’ont souhaité, ou y ont pris plaisir ? Les choses sont beaucoup plus compliquées, et comme je l’ai argumenté ici même, la très grande majorité des soldats de 14-18 n’a pas eu à se poser la question. En épigraphe à son cinquième chapitre, Nicolas Beaupré place une citation de Jacques Roujon : « Je n’aurais jamais cru que cela me ferait tant rigoler de tuer un homme. » Quel lecteur sera assez attentif pour remarquer que cet énoncé est entre guillemets ? On lira ici un aveu à la première personne, alors qu’il s’agit en fait d’un propos rapporté, tenu par un soldat dont on ne sait rien. Laisser penser que tous ou presque ont « nettoyé » les tranchées est aussi faux que d’imaginer qu’aucun n’a de sang sur les mains. Nicolas Beaupré note avec justesse que l’évocation des couteaux de tranchée dans les récits de guerre permettait de dire indirectement ces épisodes meurtriers et traumatisants, mais il ajoute : « La fréquence, aujourd’hui oubliée, de leur présence dans les textes suffisait […] à imaginer ce que pouvaient être leurs effets sur les corps ennemis. » (p. 129-130) Mais cette fréquence est-elle si importante ? L’a-t-on oubliée, ou est-elle faible ? L’étude reste à faire.
Il en va de même pour la haine de l’ennemi. Nicolas Beaupré aborde le sujet à partir des justifications que ses récits donnent à la violence, et la diabolisation de l’ennemi figure évidemment parmi les arguments les plus fréquents. Il peut parler de « tératologie » (p. 263) car il nous livre un florilège de citations particulièrement suggestives. On retrouve chez lui l’affirmation d’une « communauté de haine envers l’ennemi » (p. 62) qui unifie les représentations des combattants et des non-combattants, avec cette différence que l’expérience du front donne au témoignage du combattant une force plus grande : « Cette parole était aussi une arme. Représenter l’ennemi, c’était déjà l’affronter », écrit notre auteur, avec un sens de la formule digne d’une médaille. Mais il n’en retient qu’une face, celle des « Boches ». L’autre est celle « des hommes comme nous » et il le sait bien, qui commente finement un dialogue de Barbusse où cette dualité se double d’un clivage de classe (p. 159). Souhaitons qu’une analyse systématique des représentations de l’ennemi dans cette littérature vienne bientôt dissiper les idées trop simples.
Ces remarques ramènent à une question plus générale. Nicolas Beaupré, on l’a dit, étudie non pas la réalité de la guerre mais ses représentations. Dans les écrits de guerre, il considère les discours plutôt que les faits. Choix clairement argumenté et pari tenu, dans l’ensemble. Mais pari impossible à tenir sans défaillance. Par moments, il sort du discours pour plonger dans la guerre. C’est notamment le cas quand il aborde le thème de la brutalisation des soldats, de leur « ensauvagement » (p. 163). Il ne s’agit plus ici seulement des discours et des représentations, mais des affects réels. Or l’ensauvagement, comme la boucherie, est lui aussi un topos littéraire, et avant de prendre ces discours pour argent comptant, on ne peut éluder la question de la qualité du témoin. Nicolas Beaupré l’écarte au motif qu’il y a beaucoup plus dans le témoignage que le témoignage même, et son argument porte tant qu’il traite des représentations. Mais il ne tient plus dès lors qu’il pose la question des réalités. J’avoue rester dubitatif devant des arguments tirés des Carnets de route de Brethollon ou des Voluptés de guerre de Rémy Cazal. Le premier livre est truffé d’ordres du jour de généraux bien inhabituels dans ce genre d’écrit, et son écriture en continu conduit à penser, avec Norton Cru, qu’il s’agit d’un récit rédigé à partir de lettres de Brethollon par son père, qui le dédicace à son ancien colonel. Quant au second, qui relève clairement de la littérature plus que du récit de guerre, on se demande sur quelle expérience personnelle il repose. Médecin, l’auteur dit avoir été obligé de tuer, lui, « officier non combattant » ; croyons-le, puisqu’il le dit, mais avouons que son témoignage pèserait plus lourd s’il avait dit deux mots des circonstances, du lieu ou de l’arme dont il s’est servi. On ne peut éviter la question fondamentale de la critique du témoignage quand on l’utilise pour attester une réalité. Or Nicolas Beaupré esquive le débat, alors que je ne lui ferai pas l’injure de penser que, de ce point de vue, il place sur le même plan Pézard, Genevoix, Lintier, Barbusse, Dorgelès, Werth ou Cazal et Brethollon. Il aurait été utile de préciser en note les critères à partir desquels il a défini son corpus de textes. Il renvoie sur ce point à sa thèse proprement dite, et l’on comprend qu’il n’ait pas voulu entrer dans le détail. Mais il ne s’agit pas là d’un détail, tant il est vrai que derrière les systèmes de représentations suscités par la guerre, c’est la guerre même qui fascine l’historien.
La longueur de ce compte rendu suffirait à signaler l’importance du livre. J’espère en avoir montré à la fois la richesse, les apports, et les points contestables. Le moins qu’on puisse faire, quand un collègue présente les résultats d’années de recherche, est de prendre ses conclusions au sérieux : les jugements à l’emporte-pièce et les arguments d’autorité seraient à la fois vains et déplacés. La discussion, en revanche, s’impose, comme dans tout débat qui se veut scientifique. Puisse ce compte rendu l’ouvrir, et non la fermer.
Antoine Prost

Linder-Wirsching Almut, Französische Schriftsteller und ihre Nation im Ersten Weltkrieg, Tübingen, Niemeyer, 2004, 392 p., prix non communiqué. Quinn Tom, The Traumatic Memory of the Great War 1914-1918 in Louis-Ferdinand Céline’s Voyage au bout de la nuit, Lewiston, Edwin Mellen Press, 2005, 393 p., prix non communiqué

Au-delà du débat passionné, et pas toujours fructueux, sur le statut du témoignage combattant de 1914-1918, le corpus de la littérature combattante issue de la Grande Guerre suscite de plus en plus l’intérêt de spécialistes en dehors de l’Hexagone. Ils l’abordent sous un angle moins polémique, mais n’en apportent pas moins des éclairages tout à fait passionnants. En attendant le livre de l’américain Leonard V. Smith consacré à ce sujet et dont il a présenté les premières conclusions cet hiver lors de trois conférences à l’EHESS, l’historienne allemande Almut-Lindner Wirsching et Tom Quinn, spécialiste de littérature à l’université de Dublin, nous livrent deux lectures très différentes mais complémentaires du phénomène. Ce dernier se penche sur la place de la guerre dans la vie et dans l’œuvre d’un seul auteur, Louis-Ferdinand Céline, et centre même son étude essentiellement sur une seule œuvre, le Voyage au bout de la nuit.
Le point de départ de Tom Quinn est la discussion autour de la place de la Grande Guerre dans l’œuvre et la vie de Céline. Il entend réexaminer la question d’un éventuel trauma initial qui, en quelque sorte, expliquerait la genèse du Voyage et au-delà les prises de position de l’écrivain. Selon lui, partisans comme détracteurs de cette thèse, n’ont jusqu’à présent, rien pu prouver. Il entend le faire par un processus de « recontextualisation » de l’œuvre de Céline. Pour ce faire, l’auteur s’appuie sur la littérature scientifique consacrée au trauma, sur l’historiographie de la Grande Guerre – notamment sur les historiens français des « cultures de guerre » – et sur une démarche intertextuelle. La lecture de très nombreuses œuvres des écrivains combattants lui permet de montrer en quoi l’œuvre de Céline, en puisant à la source des diverses mémoires de la guerre est un « tout supérieur à la somme des parties » (p. 78) et qu’elle est toute entière fondée sur le dégoût qu’engendra en lui son expérience de guerre.
L’historienne allemande pour sa part a choisi de se pencher plus largement sur les romans de guerre français et leurs auteurs pendant le conflit lui-même. Cette focale resserrée sur un genre et sur la période de la guerre lui permet à la fois d’engager une comparaison entre littérature issue du front et littérature de l’arrière, et de dégager les caractéristiques d’un rapport à la nation spécifique des temps de guerre. Elle met d’ailleurs bien en valeur les points qui traversent les romans de guerre, qu’ils soient le produit d’une expérience du front ou non. Dans le premier chapitre, consacré précisément à l’idée de nation en guerre, elle montre ainsi que l’imaginaire de défense de la nation va jusqu’à se nicher au sein des œuvres prétendument « pacifistes », par exemple chez Barbusse, dont elle analyse bien toute l’ambiguïté.
Dans le second chapitre, elle souligne que si les divisions internes de la société (front/arrière, conflit de générations, de genre…) sont thématisées, celles-ci ne remettent pas radicalement en cause l’identification à la nation, à défendre contre l’ennemi. Pour elle, l’image de l’ennemi présente de grandes similarités dans les œuvres issues de l’expérience de guerre au front et dans celles écrites par des écrivains de l’arrière. Elle prend toutefois en partie le contre-pied des études classiques sur le statut de l’image de l’ennemi dans la construction de l’image de la nation en guerre. Pour elle, si cette image de l’ennemi est bien souvent radicale, elle demeure le plus souvent moins importante que les éléments internes à l’idée que les écrivains se font de la nation française. Sans remettre en cause l’Union sacrée des littératures, elle montre que la littérature combattante sert aussi à construire des images de la nation française qui se distinguent au moins autant les unes par rapport aux autres que par rapport à l’ennemi. Ainsi la guerre comme épreuve et la littérature comme média permettent aux écrivains républicains ou catholiques de prouver en quelque sorte la validité de leur définition de la nation.
Sans remettre en cause cette analyse très fine fondée en partie sur les continuités de la construction de l’idée de nation par les conflits internes à la Troisième République, on serait tenté d’ajouter que la radicalité de l’image du « Boche » dans ces œuvres forment toutefois bel et bien un moment singulier de l’histoire des littératures, moment oublié ensuite.
Au total, ces deux ouvrages, qui s’appuient sur une très solide connaissance des débats et de l’historiographie française sur ces questions renouvellent, chacun à sa manière, notre regard sur la littérature française issue du front, qu’elle soit le produit de la guerre ou de l’après-guerre. Tous deux nous montrent que cette littérature, dans la quête de sens qui l’anime, est bien autre chose qu’un « témoignage » des horreurs de la guerre. Ils indiquent aussi que le « tournant culturel » de l’historiographie française de la Grande Guerre initié par les historiens du centre de recherche de l’Historial de la Grande Guerre est reçu et observé avec intérêt par les spécialistes de la France à l’étranger. S’il est discuté, commenté et parfois critiqué comme l’exige le débat scientifique, cette réception se fait sans acrimonie ni invectives. Disons-le encore une fois, nous avons beaucoup à apprendre de nos collègues étrangers.
Nicolas Beaupré

États, entre guerres et paix

Greenhalgh Elizabeth, Victory Through Coalition. Britain and France During the First World War, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, 304 p., prix non communiqué

Voici un livre neuf, riche et passionnant. Grâce à une documentation impressionnante et à une plongée dans les archives aussi bien françaises que britanniques, cette historienne de Canberra nous conduit à réviser sur plus d’un point ce que nous pensions du fonctionnement de la coalition.
Les difficultés ne tiennent pas seulement à la langue ou aux unités de mesure. Chacun des deux partenaires se méfie de l’autre, suspecté de ne pas faire un effort suffisant. Aux soupçons, s’ajoutent des mépris croisés : les officiers français trouvent peu professionnels leurs homologues britanniques qui les jugent bien peu gentlemen. Le plus grave est qu’aucune organisation des pouvoirs n’avait été prévue avant la guerre. Alors que le corps expéditionnaire britannique était très faible, sa subordination au commandement français eût semblé logique. Mais son gouvernement a clairement indiqué au maréchal French qu’il commandait une armée indépendante et ne devait en aucun cas se mettre aux ordres d’aucun général allié. C’est le 3 avril 1915 seulement que le ministre de la Guerre Alexandre Millerand a connaissance, officieusement, de ces instructions que Joffre ignorait totalement. Avec la montée en puissance de l’armée britannique, l’unité de commandement devient plus difficile à réaliser, d’autant que la saignée de Verdun modifie radicalement le rapport des forces entre alliés : les Britanniques craignent alors que la France ne demande une paix séparée ; ils estiment, en tout cas, que l’issue des combats dépend d’eux désormais. Il faut la percée allemande de 1918 pour que s’impose une unité de commandement, encore bien imparfaite : à Doullens, le 26 mars, Foch reçoit bien la charge de « coordonner » l’action des armées alliées, mais pas de leur donner des ordres. Il faut encore une semaine pour qu’il reçoive la « direction stratégique » des opérations, la « direction tactique » restant du ressort des commandants en chef.
Elizabeth Greenhalgh nous montre en quelque sorte le dessous des cartes. Elle étudie le fonctionnement concret de la coalition militaire, notamment pour des épisodes marquants, comme la bataille de la Somme, la seule à avoir été une bataille plutôt combinée que commune : l’entente reste boiteuse sur les axes de progression, et l’information a mal circulé entre les deux armées sur les conclusions à tirer des combats précédents. Elle analyse finement les mécanismes de coordination qui se mettent en place au fil des mois, les hommes qui les animent, choisis parfois en raison de leurs qualités militaires plutôt que de leur pratique de l’autre langue. On voit les généraux s’unir pour limiter l’intervention des politiques, ou Lloyd George pousser à l’unité de commandement en février 1917 dans l’espoir de se débarrasser de Haig. Les limites de la coopération militaire contrastent avec la coopération logistique qu’imposent beaucoup plus tôt et plus rigoureusement la guerre sous-marine et la pénurie française de charbon.
Au total, un livre intéressant et neuf, qui se lit bien et dont on apprécie qu’il ne privilégie ni le point de vue britannique ni le point de vue français.
Antoine Prost

Boninchi Marc, Vichy et l’ordre moral, Paris, PUF, 2006, 318 p., 28 €

Rupture ou continuité du régime de Vichy dans la vie politique française ? Au sein de ce sempiternel débat, Marc Boninchi tranche en faveur de la continuité, et ce de manière radicale puisque, refusant de considérer la politique familiale de Vichy « comme une simple “parenthèse” dans l’histoire de la Nation », il s’attache, au contraire, à en souligner la continuité, des années 1920 jusqu’au début des années 1980. Néanmoins, tant la méthode que la thèse soutenue par Marc Boninchi, historien du droit, suscitent de sérieuses réserves.
Pourtant, fondée sur une source jusqu’alors peu, voire non utilisée, les fonds de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice, cette étude propose une analyse intéressante des modalités d’élaboration des mesures adoptées par le régime de Vichy en matière d’ordre moral, en cherchant à identifier l’origine de cette demande de réforme, les procédures adoptées, mais également les résistances rencontrées et les compromis exigés. Mais au-delà, s’accumulent les maux.
D’un point de vue méthodologique, émerge tout d’abord la question de la définition de son objet d’étude : l’ordre moral. Les seules références à MacMahon et à la distinction entre « ordre moral » et « moralité publique » laissent une sensation d’inachevé. En conséquence, Marc Boninchi étudie successivement diverses mesures adoptées par le régime de Vichy qu’il considère comme ayant trait à l’ordre moral : la répression de l’adultère, de l’abandon de famille, de l’homosexualité, de la prostitution, de l’alcoolisme et enfin de l’avortement. Nous ne pouvons que regretter l’absence tant de hiérarchisation que de justification de cet inventaire. Par ailleurs, si l’auteur entend souligner la continuité de la politique menée par le régime de Vichy avec la Troisième République et invoque comme période charnière les années 1920, il se contente le plus souvent de se référer aux réformes prévues par le Code de la famille adopté le 29 juillet 1939, soit à l’extrême fin du régime républicain.
Mais c’est avant tout l’examen de l’application des diverses mesures adoptées par le régime de Vichy en matière d’ordre moral, qui révèle les errances les plus inquiétantes. Ainsi, si Marc Boninchi met en exergue l’extraordinaire longévité de la réforme de la législation relative à l’abandon de famille par Vichy, dans la mesure où la loi du 23 juillet 1942 a seulement été modifiée en 1994, il se contente d’étudier son application jusqu’en 1950. Dans le même sens, l’examen de l’application de la répression de l’homosexualité par Vichy se fonde uniquement sur l’étude de cinq jugements rendus par le tribunal correctionnel de Lyon, alors qu’il eût été intéressant d’apprécier d’un point de vue quantitatif l’évolution de l’application de la loi du 6 août 1942 par Vichy et par la Quatrième et la Cinquième République. Enfin, nous pouvons regretter que l’étude des statistiques parues dans les Comptes généraux pour l’administration de la justice criminelle ne soit pas systématiquement doublée d’une analyse à l’échelle locale fondée, par exemple, sur la jurisprudence du tribunal correctionnel de Lyon, comme l’auteur le fait relativement à l’adultère, mais s’en abstient pour l’abandon de famille. Marc Boninchi fait en outre parfois preuve de légèreté en matière d’administration de la preuve. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il énonce, sans justification aucune, une « multiplication du nombre effectif des avortements, particulièrement nombreux tout au long de l’Occupation ».
Dès lors, de ces travers méthodologiques naissent des errances dans la démonstration de Marc Boninchi, dont les déductions sont parfois hâtives, voire tronquées. Marc Boninchi s’attache à inscrire les réformes adoptées par le régime de Vichy en matière d’ordre moral dans le temps long de la République et résume en ce sens la singularité du régime de Vichy à son discours. Ainsi, selon lui, le gouvernement de Vichy ne met pas en œuvre de véritable politique familiale, mais « une juxtaposition de mesures éparses, qui ne s’inscrivent dans aucun véritable programme général et peinent à former un ensemble cohérent et harmonieux ». Il s’efforce dès lors de démontrer que les discours prononcés et les mesures adoptées n’émanent pas d’une véritable volonté politique des dirigeants de Vichy, Pétain compris, mais constituent un « stratagème » destiné à donner l’illusion d’une rupture et à répondre à des aspirations sociales. À cet égard, Marc Boninchi déduit de l’attitude qualifiée de « suiviste » du gouvernement de Vichy, qui se range « aux suggestions formulées par les services responsables lesquels n’avaient aucune raison valable pour modifier leurs positions traditionnelles », la preuve de la continuité de cette politique avec celle de la Troisième République, en éludant une réflexion plus profonde sur l’importance des corporatismes et de la technocratie sous le régime de Vichy.
Dans le même sens, mû par la volonté de minimiser l’impact de la politique entreprise par le gouvernement de Vichy, l’auteur s’efforce, de manière tout à fait louable, de distinguer les effets induits par la situation de guerre et ceux propres au régime de Vichy, mais ne peut, pour ce faire, se contenter de procéder à une simple comparaison des deux guerres mondiales, tant la participation française aux combats diffère lors de ces deux conflits. S’agissant par ailleurs de l’application de cette politique, Marc Boninchi propose une conception bien trop monolithique de la magistrature, ce qui le prive d’une véritable réflexion sur les marges de manœuvre dont disposent les juges dans la mise en œuvre de ces mesures, et sur le phénomène de résistance judiciaire. Enfin, Marc Boninchi eût pu nous épargner ses commentaires non justifiés sur les « débats superficiels sans réflexion préalable » de l’Assemblée nationale constituante, ou encore l’affirmation de banalités sur la prostitution, dont l’apport scientifique s’avère inexistant.
L’ouvrage de Marc Boninchi fait le point sur les nombreuses et diverses mesures adoptées par le régime de Vichy dans les domaines de la famille et de la morale, et présente à cet égard un caractère informatif précieux. L’étude en amont de l’adoption de ces réformes souligne avec justesse l’influence des milieux natalistes et familialistes. Cependant, sa tentative de limiter la « Révolution nationale » à une politique de « trompe l’œil » est loin d’être convaincante.
Julie Le Gac

Harter Hélène, L’Amérique en guerre. Les villes pendant la seconde guerre mondiale, préface d’André Kaspi, Paris, Galaade, 2006, 352 p., 23 €

Comme l’indique clairement le titre, l’ouvrage présente les villes américaines durant la seconde guerre mondiale et s’interroge sur l’articulation entre les effets de la guerre et les mutations de la société urbaine. Le thème de la guerre est certes incontournable pour les américanistes tout comme d’ailleurs celui de la ville, mais peu d’ouvrages, en dehors peut-être des travaux de Roger Lotchin centrés sur les villes de l’Ouest, réussissent à croiser ces deux thématiques. Contrairement aux villes européennes, les villes américaines n’ont certes pas été concernées par des destructions, mais l’auteur souligne combien elles ont souvent été perçues par leurs habitants comme des cibles éventuelles en cas d’attaque de l’ennemi.
Le livre, qui repose sur une importante documentation française et américaine, s’organise autour de sept chapitres en suivant un ordre chronologique : le temps de la neutralité, la sécurité après Pearl Harbor, l’effort de guerre, les défis de la croissance urbaine, les administrations municipales, l’État fédéral et l’après-guerre. Ils démontrent que les villes américaines ont tiré un certain nombre d’avantages de la guerre en bénéficiant de programmes fédéraux comme ceux élaborés en faveur de l’industrie de la défense. La guerre stimule les activités des villes, aussi bien dans les cités industrielles traditionnelles comme Milwaukee que dans celles de la côte ouest, comme San Francisco, San Diego et Los Angeles. Les villes enregistrent ainsi une croissance démographique pendant que l’urbanisation se poursuit sur l’ensemble du territoire, notamment vers l’ouest. Mais le changement le plus important lié à la guerre réside dans les perceptions des habitants des villes qui, bien que soucieuses de leur autonomie, apprécient les investissements fédéraux, prolongeant en quelque sorte la politique menée lors de la période du New Deal.
Le troisième chapitre intitulé « Au cœur de l’effort de guerre » est celui qui a attiré le plus notre attention non seulement en raison de la présence d’une carte indiquant les taux de croissance des villes au milieu du 20e siècle, mais surtout en raison de la qualité de l’analyse combinant à la fois l’échelle locale et l’échelle nationale. Y est souligné combien la guerre, qui a priori relève des autorités fédérales, associe également les villes. Les navires qui combattent portent un nom de ville, comme le croiseur nommé Atlanta ou encore l’USS San Francisco. Les fêtes civiques servent d’ancrage aux manifestations patriotiques, telle celle du 15 décembre 1941 célébrant le 150e anniversaire du Bill of Rights ou celle du 12 octobre commémorant le 450e anniversaire du Colombus Day, jour de la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb. Les fêtes urbaines constituent autant d’occasions d’honorer les combattants. À San Francisco, lors du premier anniversaire de l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1942, une parade de soixante-dix mille personnes est ainsi organisée. Par ailleurs, les municipalités, tout comme les citoyens, investissent dans les obligations de guerre.
L’ouvrage d’Hélène Harter, dont la préface d’André Kaspi établit bien le parallèle entre le 11 septembre 2001 et l’effet Pearl Harbor, réussit à mettre en évidence l’impact d’un programme de défense de l’État fédéral sur les villes, alors que paradoxalement le combat se déroule à des milliers de kilomètres du territoire. Il présente de ce fait une originalité certaine qu’il convient de saluer.
Cynthia Ghorra-Gobin

Schirmann Sylvain, Quel ordre européen ? De Versailles à la chute du IIIe Reich, Paris, Armand Colin, 2006, 336 p., 24 €

Longtemps délaissée par l’historiographie française, l’étude de l’idée d’Europe unie dans l’entre-deux-guerres trouva son premier véritable chercheur avec Jean-Luc Chabot, qui lui consacra en 1978 une thèse de science politique. À sa suite, des recherches de plus en plus nombreuses ont été entreprises sur le sujet et l’ouvrage de Sylvain Schirmann propose ici d’en faire la synthèse, offrant au lecteur un panorama assez complet des projets d’unité européenne du lendemain de la Grande Guerre à la fin de la seconde guerre mondiale.
L’auteur entend notamment montrer la richesse de cette période concernant le débat européen, il est vrai surtout alimenté par les élites, en soulignant la modernité des questions alors soulevées, à la fois sur les limites de l’Europe (faut-il y inclure la Grande-Bretagne, la Turquie, la Russie soviétique ?) et sur les différentes architectures européennes possibles (confédération ou fédération ? construction politique, économique ou culturelle ? Europe unifiée dans sa globalité ou organisée par groupements régionaux ?). Il s’appuie pour ce faire sur les principales publications de l’époque, et surtout sur un grand nombre d’études contemporaines, françaises et étrangères, dont les références sont indiquées tout au long du volume et en bibliographie.
L’ouvrage couvre une période chronologique originale, intégrant la seconde guerre mondiale à la réflexion sur l’unité européenne, ce qui permet de souligner les continuités avec l’entre-deux-guerres et de bien montrer que la période 1939-1945 ne constitue nullement une parenthèse dans l’histoire de l’idée européenne, tant cette dernière se trouve présente dans les discours et les plans de réorganisation du vieux continent, qu’elle soit dévoyée par les nazis et les collaborateurs du nouvel ordre européen, ou régénérée par les résistants et les gouvernements en exil.
Comme le suggère son titre, le livre de Sylvain Schirmann ne se limite toutefois pas à un simple exposé des réflexions et tentatives d’organisation européenne dans l’entre-deux-guerres. Il fournit également un récit, plus classique, de l’histoire des relations internationales durant cette période, qu’il présente notamment comme une suite de tentatives d’hégémonie européenne avortées, d’abord britannique, puis française et enfin allemande. L’auteur n’a pas voulu en effet, comme il s’en explique dans son introduction, dissocier l’idée européenne de son contexte, mais au contraire étudier l’interaction entre les deux. D’où le plan adopté par l’ouvrage qui s’appuie sur la périodisation traditionnelle de l’histoire européenne, marquée par les grands tournants de 1924, 1929, 1933 et 1939.
Au total, l’ouvrage de Sylvain Schirmann fournit une première synthèse, pleinement aboutie, des nombreux travaux sur le débat européen entre les deux guerres, jusqu’ici plus ou moins difficilement accessibles, et dont les principaux résultats sont désormais mis à la portée d’un plus large public.
Jean-Michel Guieu

French David, Military Identities. The Regimental System, the British Army, & the British People c. 1870-2000, Oxford, Oxford University Press, 2005, 404 p., prix non communiqué

On trouvera d’abord ici une analyse du système régimentaire britannique depuis les réformes de Cardwell (1872-1873) et Childers (1881). Puissance impériale, le Royaume-Uni devait disposer d’un outil militaire qu’il puisse engager durablement dans toutes les parties du monde. Le système régimentaire répond à cet objectif. Il vise à créer de fortes solidarités et de faire du régiment une famille de substitution pour ces soldats de métier. Soldats, sous-officiers et officiers accomplissent en principe toute leur carrière dans le même régiment, qui défend jalousement son identité et ses différences : son nom, ses particularités d’uniforme (boutons, etc.), ses traditions. Les officiers, issus de la gentry ou de l’aristocracy – leur solde ne permet pas aux officiers subalternes de vivre – ont acheté leur charge jusqu’en 1871. Mais la suppression de la vénalité n’a pas altéré la hiérarchie sociale des unités. Les chances de devenir général sont plus fortes pour les officiers des régiments les plus prestigieux. L’accent mis sur le « caractère », sur les valeurs des public schools a longtemps dévalorisé leur formation professionnelle, avec la conviction que la guerre étant faite d’imprévus, définir trop précisément des règles d’emploi des unités et des armes était plus gênant qu’utile.
Inspirées par l’exemple allemand, les réformes de 1871-1881 visaient à ancrer localement les régiments en leur affectant un territoire de recrutement. La durée du service actif fut ramenée de vingt-et-un à douze ans, dont six dans la réserve. C’est le « service court ». On voulait permettre aux soldats libérés de trouver un métier, de se marier librement, et donc réduire le coût des pensions tout en attirant un recrutement de meilleure qualité. Chaque régiment devait avoir deux bataillons, dont l’un servirait au-delà des mers tandis que l’autre lui fournirait des renforts. Dans chaque sous-district de recrutement, devaient exister en outre une milice et des volontaires. La milice était formée par des périodes d’entraînement de plusieurs semaines, tandis que les volontaires s’entraînaient le week-end ou en soirée, ce qui leur assurait un recrutement socialement plus élevé, d’ouvriers et de cols blancs au métier stable. Leurs officiers se recrutaient dans la gentry locale – they should be gentlemen. Le désir de prendre de l’exercice au grand air et la sociabilité comptaient autant que le patriotisme dans le succès de ces forces auxiliaires.
Le lecteur trouvera en outre dans ce livre une discussion rigoureuse des effets de ce système. On a tenu l’esprit de corps responsable de la mauvaise coordination entre unités, et plus encore entre armes, notamment dans la guerre de 1914. David French insiste plutôt sur le défaut d’entraînement, dans un pays où manquent les terrains propices à de grandes manœuvres. Inversement, il donne d’autres raisons à la cohésion des unités sur le champ de bataille.
Au total, un ouvrage de référence, remarquablement documenté, avec un de ces admirables index des matières qui font si cruellement défaut à la plupart des ouvrages français. Le plan thématique adopté ne met pas toujours en valeur les évolutions, comme il ne permet pas de traiter directement les conséquences des guerres sur le système régimentaire. Mais le livre montre bien en conclusion en quoi l’armée britannique actuelle a changé.
Antoine Prost

« Fotografia e violenza – Visioni della brutalità dalla Grande Guerra adoggi », Memoria e Ricerca – Rivista di storia contemporanea, 20, septembre-décembre 2005, Milan, Franco Angeli, 204 p., 11,50 €

Revue inventive, Memoria e ricerca propose depuis treize ans au public italien des dossiers originaux sur des sujets qui allient généralement une dimension historiographique et des apports empiriques. Une fois encore, ce projet est brillamment illustré avec ce vingtième numéro (septembre-décembre 2005) consacré à l’étude historique de photographies de violences extrêmes, complété par une approche des noms de voies et de lieux (Matteo Morandi et Maurizio Ridolfi). Les coordinateurs du dossier, Joëlle Beurrier, Ilsen About et Luigi Tomassini, fortement inspirés par l’histoire comparée, ont choisi de réfléchir sur la violence extrême sans se limiter à un corpus national ou à un genre spécifique de photographies. Ils ont ainsi rassemblé des articles sur la première guerre mondiale sur le front franco-allemand (Joëlle Beurrier), le génocide arménien (Dzovinar Kevonian), la seconde guerre mondiale dans les Balkans (Adolfo Mignemi) et au camp de Mathausen (Ilsen About), les images d’Abou Graib (Vincent Lowy), l’univers colonial (Christelle Taraud). Un appendice méthodologique signé par Serge Noiret complète le dossier en évoquant les usages manipulateurs des documents visuels sur internet, à partir d’un exemple emprunté au conflit israélo-palestinien.
À l’issue de la lecture, deux remarques s’imposent. D’abord, le lecteur ne pose plus la question de la validité des apports de l’image pour l’historien. Il est loin le temps où des pionniers comme Maurice Agulhon, et après lui les membres de la revue L’Image, ferraillaient pour faire entendre l’intérêt d’une telle démarche. Il y a quelque chose du « cela va de soi » méthodologique derrière cette publication. Toutes les contributions présentent avec une extrême attention les parcours des documents. Ils cherchent à en montrer les horizons de réception, non seulement lors de leur fabrication mais encore à l’occasion d’usages postérieurs. Passionnante est en soi cette histoire d’images trouvées sur des soldats, telles ces décapitations de partisans dans les Balkans dont des soldats de la République de Salo portaient des reproductions, sans doute pour se convaincre de la cruauté des adversaires et se rassurer par le triomphe passé de leurs armes. Étonnante est la circulation des images du crime de masse d’Arménie dont certaines, prises par des prélats, ont circulé de main en main avant de parvenir dans des rédactions de presse. Le souci d’historicisation des documents se retrouve dans la réflexion sur les usages d’images sur internet.
Cette posture critique permet à tous les auteurs d’aboutir à des conclusions qui dépassent la seule histoire des images et des représentations. Ensuite, ce dossier pose la question de la continuité, des contours et des limites des pratiques de brutalité. Les stratégies de mise en scène paraissent, en effet, répondre à des impératifs similaires à près d’un siècle de distance. À propos des images d’Abou Graib, Vincent Lowy souligne que les choix effectués par les journaux privilégient des figurations classiques : le Christ, la belle et la bête… Tout un univers culturel encadre les postures de lecture de ces documents. Derrière l’émotion, l’historien devine une mécanique de la conviction et de la séduction. Cette réflexion n’est malheureusement pas suffisamment aboutie. Dans leur introduction, les responsables du numéro posent la question de l’obscénité (p. 15), mais finalement refusent de la mener à terme en interrompant leur analyse sur la jouissance provoquée par les images pour s’arrêter sur le pouvoir. Sans doute redoutaient-ils un dangereux mélange de genres, mais la question du voyeurisme revient sans cesse à propos des images de violence extrême et aurait mérité un traitement spécifique. L’occasion aurait pu en être donnée dans une contribution sur la violence symbolique subie par les femmes colonisées prises en photo (p. 39-56). Il n’en est rien. Ce texte paraît d’ailleurs décalé. Il est surprenant de vouloir situer la mise en scène de la lutte contre la prostitution dans la continuité de pratiques iconiques qui vont du massacre et de l’exécution à la torture. Certes, ces prostituées étaient contraintes et recluses, mais ces images sont loin de soulever les problèmes que posent les photographies des sévices subis par les femmes lors des guerres. Quelle validité accorder au concept de violence s’il écrase la différence entre des situations aussi tragiquement différentes ? Utiliser deux regards saisis en gros plan sur une photographie (p. 55) pour vouloir porter la preuve de mauvais traitements ne suffit pas, d’autant moins que de tels regards se retrouvent ailleurs dans des contextes anodins.
Là réside une des limites de cette œuvre collective. La définition des images de « violence extrême » est insuffisamment élaborée. Elle établit une confusion entre des discours visuels discriminatoires et racistes, et les usages spécifiques de la brutalité et de la cruauté. Cette limite est cependant mineure par rapport à l’importance d’une démarche qui met sous les yeux des documents trop souvent négligés, dont l’apport en termes intellectuels est formidable. Ces jeunes historiens créatifs soulèvent avec ces nouveaux corpus la question de la preuve en histoire et rappellent comment les tribunaux et les administrations jugèrent un temps recevables ces empreintes chimiques du monde. L’historien ne court pas le risque de l’erreur judiciaire. Son ambition n’est pas de condamner mais de comprendre. Ces supports l’y aideront, qui restituent une époque, des attitudes, des coups, du sang…
Fabrice d’Almeida

Persécutions et génocides

En ligne

Kévorkian Raymond H., Le Génocide des Arméniens, Paris, Odile Jacob, 2006, 1 007 p., 39,90 €

Raymond Kévorkian s’est lancé dans une vaste entreprise en un champ d’études qui était balisé par des travaux encore épars (Vahakn N. Dadrian, Taner Akçam, et al.) pour établir au plus près du terrain les modalités de l’élimination de la population arménienne de l’Empire ottoman. L’initiative était d’autant plus nécessaire que ces études tardent à trouver leur réceptacle institutionnel, notamment en France. Elle s’invite, qu’on le veuille ou pas, dans un contexte politique de rapprochement de la Turquie actuelle avec l’Union européenne, alors que de nombreux intellectuels turcs (souvent des romanciers, éditeurs et historiens, ces derniers travaillant à l’étranger) demandent à pouvoir enfin parler librement du passé récent de leur pays. Je peux certifier que les discussions privées avec bien des historiens sur place sont du même ordre. La réalité du « soi-disant génocide », (« sözde soykirim » selon la terminologie turque officielle) ne fait pas l’ombre d’un doute pour les spécialistes réunis dans l’International Association of Genocide Scholars. Mais le détail du plan officiel faisant défaut, il est plus difficile de restituer l’ampleur des destructions. C’est le premier mérite de cet épais volume.
Kévorkian a employé de très nombreux documents arméniens (le plus souvent ignorés) et des sources d’observateurs occidentaux, de pays neutres pendant au moins une partie du conflit. L’étude est vaste et d’une minutie foisonnante. L’auteur, il est vrai, veut rendre aux descendants l’histoire des pratiques génocidaires de chaque localité ou presque. Bien plus intrigante est l’intimité idéologique des élites arméniennes et turques ottomanes jusqu’en 1915. La seconde phase du génocide arménien, qui concerne surtout les survivants de l’ouest anatolien, parqués principalement dans des camps le long de l’Euphrate, est aussi l’un des points novateurs du livre. Aborder les réactions juridiques ottomanes, le plus souvent tues, après l’armistice de Moudros, permet d’en saisir les ambiguïtés mais aussi de restituer l’évidence dans l’opinion publique de l’élimination des Arméniens – le ferme établissement du déni étatique est postérieur à ce premier après-guerre.
Reste à rappeler que la connaissance d’un génocide n’est pas que l’affaire des historiens mais qu’elle doit incomber aux diverses sciences humaines et qu’une anthropologie sociale et culturelle des génocides permet de considérer l’expérience des victimes et des bourreaux non plus selon une série de faits administratifs ou de dates précises, mais dans les univers de sens et de symboles qui ont été les leurs. Au-delà d’une extermination réussie, c’est aussi un anéantissement psychique des survivants et de leurs héritiers, la plupart du temps incapables de s’en rendre compte, que la machine jeune-turque a assuré. On devrait savoir quels dégâts transgénérationnels, alimentés par les dénis de toutes parts, marquent la vie collective arménienne en diaspora. Quant aux conséquences pour les petits-enfants des bourreaux, elles n’en sont pas moins réelles et n’en nécessiteraient que davantage un règlement digne des enjeux par les politiques turcs. D’autant que, sarcasme de l’histoire, nos contemporains peuvent être héritiers des deux groupes (Fethiye Çetin). L’arrimage de la Turquie au monde démocratique serait à ce prix. Le présent volume peut en paver un tronçon de voie.
Hervé Georgelin

Minczeles Henri, Une histoire des Juifs de Pologne. Religion, culture, politique, Paris, La Découverte, 2006, 369 p., 24 €

Entre le 16e siècle et 1914, la Pologne fut le premier centre de la vie juive au monde. Et c’est aussi là qu’a disparu près de la moitié des victimes de la Shoah. C’est dire le caractère indissociable et complexe unissant l’histoire des juifs et celle de la Pologne, une présence millénaire dont Henri Minczeles nous retrace l’évolution dans une synthèse pour le grand public, émouvante et richement documentée.
Remontant aux origines de la présence juive en Pologne, attestée depuis le 10e siècle, l’auteur survole dans une première partie l’installation et l’organisation des communautés juives dans la Pologne médiévale de la dynastie des Piast et des Jagellons. Alors que l’Europe occidentale des Croisades persécute et chasse les juifs de ses terres, ces derniers bénéficient d’une tolérance et d’une autonomie hors du commun de la part des souverains polono-lituaniens. Ces derniers permettent l’établissement de communautés de plus en plus nombreuses, en dépit des relations toujours tendues avec la noblesse locale et le reste de la population. Mais l’auteur s’intéresse moins aux rapports polono-juifs qu’à la description de la vie juive au quotidien et dans ses organisations communautaires. De même, dans une seconde partie consacrée à la Pologne sans territoire du 19e siècle, il évoque essentiellement les foyers de renouveau du judaïsme, hassidisme orthodoxe versus Lumières juives ou Haskala. Accédant bien que tardivement à l’émancipation, la minorité juive vivant en Galicie, Prusse et Russie impériale s’éveille à la politique à la fin du 19e siècle avec les débuts du sionisme et du socialisme dans le cadre du Bund, un parti ouvrier juif. Enfin, la dernière partie de l’ouvrage aborde le « 20e siècle meurtrier », sur lequel plane l’ombre de la Shoah malgré la présentation d’une vie juive débordant de dynamisme dans la Pologne indépendante. Pour Minczeles, le judaïsme polonais n’est plus, après l’extermination de 90 % de ses représentants durant la seconde guerre mondiale. Ceci conduit l’auteur à quelques erreurs et approximations dans son survol de la période contemporaine. Ainsi, les rabbins n’ont jamais été interdits d’exercice en Pologne communiste (p. 305).
Du point de vue de la description de la vie juive et de la diversité de ses courants d’expression, ce livre a le mérite de présenter une synthèse achevée et agréable à lire. Elle est construite à partir d’ouvrages plus érudits, souvent publiés en anglais ou en yiddish, mais sans recours direct aux sources. On peut aussi regretter que le parti pris de se concentrer sur une histoire communautaire laisse quelque peu de côté d’autres questions aussi essentielles que les rapports polono-juifs ou la place des juifs dans la société et l’économie polonaises. Cette présentation accrédite la vision, discutable et débattue, d’un monde juif vivant en marge du reste d’une société polonaise, qui a pourtant été profondément imprégnée et marquée par une présence juive millénaire. Ces lacunes sont peut-être à attribuer à la quasi absence de références à des ouvrages en langue polonaise, alors que l’historiographie de ce pays a produit récemment quelques titres de qualité. Au total, on sort de cette lecture assurément touché par cette saga, mais guère plus renseigné ni bousculé dans un certain nombre d’idées reçues sur la Pologne et son antisémitisme.
Audrey Kichelewski

Bruttmann Tal, Au Bureau des affaires juives. L’administration française et l’application de la législation antisémite (1940-1944), Paris, La Découverte, 2006, 288 p., 23 €

Le livre de Tal Bruttmann apporte un éclairage nouveau et tout à fait bienvenu sur l’un des aspects de la persécution des juifs de France qui a été jusque-là, sinon négligé, du moins sous-estimé. Il s’agit de l’application par les administrations françaises du statut des juifs et des autres instructions émanant du gouvernement de Vichy concernant le traitement des nouveaux parias. L’originalité du livre est bien d’être uniquement de l’histoire administrative, dans la foulée des travaux de Marc Olivier Baruch, auxquels d’ailleurs l’auteur se réfère souvent. Bruttmann montre comment, dès l’été 1940, avant même la publication des premières ordonnances antijuives allemandes et du statut français, diverses administrations au niveau local ont intégré la notion de « juif ». Cette tension entre les initiatives locales, souvent au plus près du terrain, et les directives nationales constitue l’une des interrogations de l’ouvrage.
L’auteur a dépouillé les archives de la préfecture de l’Isère, département dont il est le spécialiste et sur lequel il a déjà publié un ouvrage remarqué (La Logique des bourreaux, Hachette Littératures, 2003). Il s’est intéressé au service des étrangers et au cabinet du préfet, deux directions qui ont eu à traiter des « questions juives ». Dans d’autres préfectures, un « service des affaires juives » avait été créé. Cet éclairage local s’avère très fructueux pour la recherche même si Bruttmann extrapole parfois un peu rapidement aux autres départements. Il précise avec justesse que les études de l’antisémitisme administratif au niveau des administrations départementales manquent cruellement aujourd’hui, alors que de nombreux départements ont maintenant bien répertorié leurs fonds de la période de l’Occupation et qu’une campagne de microfilmage est en cours.
L’ouvrage décrit comment les fonctionnaires ont mis en œuvre les statuts des juifs, et leur marge d’initiative est toujours évaluée avec précision, jusque dans l’organisation des rafles. Bruttmann propose un véritable « guide de lecture » des archives administratives de la période, précisant les termes utilisés et leur signification, analysant les formulaires, montrant, dans l’un des chapitres les plus novateurs de l’ouvrage, comment ceux-ci ont été modifiés pour appliquer les ordonnances antisémites. Le formulaire de déclaration des étrangers voit ainsi petit à petit l’ajout d’une « case » indiquant si l’étranger est juif ou non, alors qu’aucune instruction n’a été transmise en ce sens au niveau national. On peut lire ainsi le zèle des fonctionnaires de la préfecture, celui des policiers remplissant les rapports et les dossiers, mais aussi la persistance chez certains de réflexes « républicains » qui ne veulent pas ajouter des informations non demandées. Les termes employés sont porteurs d’un sens nouveau dans le contexte de l’antisémitisme d’État. Ainsi, la mention de la « qualité de juif » sur une déclaration d’étranger pouvait avoir une valeur positive jusqu’en 1940, lorsque les ordonnances françaises sur les immigrés voulaient accueillir plus facilement les persécutés. Cela n’était bien sûr plus le cas après la promulgation des lois antisémites. Tal Bruttmann conclut que l’image de l’Isère comme refuge pour les juifs, telle qu’elle a été construite après la guerre par les fonctionnaires de la préfecture eux-mêmes, est tout à fait fausse. Il faut souhaiter que ce livre suscite de nouvelles recherches dans la même direction.
Jean-Marc Dreyfus

Schatzman Benjamin, Journal d’un interné. Compiègne – Drancy – Pithiviers, 12 décembre 1941-23 septembre 1942, préface de Serge Klarsfeld, Paris, Fayard, 2006, 736 p., 25 €

Il s’agit là de la publication d’un témoignage majeur sur la Shoah en France. Les journaux intimes rédigés par des juifs pendant le génocide constituent presque un genre à part entière, mais ils sont relativement peu nombreux en ce qui concerne la France, par rapport à l’Europe centrale. Et les journaux tenus par des détenus de Drancy sont très rares, à cause de la faible durée du séjour en moyenne pour chaque interné, avant qu’il ne soit déporté vers Auschwitz ou Sobibor. Benjamin Schatzman, assassiné à Auschwitz, a tenu avec minutie la chronique de sa vie quotidienne dans trois camps d’internement français et ses pages ont été sauvées. L’auteur a connu un destin à part. Lorsqu’il est arrêté à son domicile parisien, le 12 décembre 1941, dans la rafle des « notables » juifs français, il est un dentiste renommé, président de la société odontologique de France. Il est pourtant né en Roumanie en 1877 et a passé son enfance en Palestine, dans l’une de ces colonies agricoles juives qui commencent à être créées. Il a fait des études d’agriculture en France, à Grignon, puis a travaillé comme colon en Algérie et en Nouvelle-Zélande. Il s’installa définitivement en France en 1905 et entreprit des études de dentisterie.
Le journal de Benjamin Schatzman éclaire un pan très peu documenté de l’histoire de la persécution des juifs de France : la section des juifs du camp de Compiègne Royallieu, avant que celui-ci ne devienne exclusivement un lieu de transit pour résistants. Les pages de Schatzman sont rudes, le style souvent très dur (il faut noter que la retranscription de ces centaines de pages a constitué un travail considérable). Il étudie avec minutie son état physique et le décrit sans retenue. Le lecteur peut s’en trouver par moment heurté. Dès le 25 février 1942, par exemple, alors que la nourriture et les conditions de vie sont déplorables à Compiègne, il écrit : « En toute sincérité, je dois reconnaître que je ne suis pas ce que j’étais. Mes sensations et mes besoins se ramènent à ceux d’un animal quelconque. Je ne me vois pas avoir d’autre désir que celui de me restaurer, d’éliminer les affres de la faim, de retrouver mon état antérieur… » Il est aussi un attentif et fin observateur de la psychologie des internés, même si l’on sent qu’il se tient fréquemment à part. Il montre les petites lâchetés, les solidarités qui se créent, raconte les « bobards » qui circulent continuellement. Devant la dégradation de son état de santé, il est transféré le 11 mars 1942 à l’hôpital de Compiègne, dans la section réservée aux détenus malades. Cette section est fermée le 27 mars, après l’évasion d’un prisonnier. Schatzman est transféré à nouveau à Royallieu, puis à Drancy le 23 juin. Il travaille à l’infirmerie comme dentiste. En plus des pages du journal, sont publiés dans l’ouvrage des feuillets épars que Schatzman a réussi à faire sortir du camp, des lettres à sa femme Cécile. En septembre 1942, il est transféré à Pithiviers, puis à Beaune-la-Rolande. De retour à Drancy le 22 septembre, il est déporté le lendemain. Dans le train, il parvient à écrire une dernière lettre, qu’il glisse probablement à un cheminot, en gare de Châlons-sur-Marne.
Jean-Marc Dreyfus

Peretz Pauline, Le Combat pour les Juifs soviétiques. Washington-Moscou-Jérusalem 1953-1989, Paris, Armand Colin, 2006, 383 p., prix non communiqué

Grâce à une étude novatrice sur la mobilisation de la communauté juive américaine en faveur de la suppression des obstacles à l’émigration des juifs soviétiques, Pauline Peretz offre aux lecteurs un ouvrage à la croisée de trois histoires, celle du sionisme et d’Israël, celle du conflit Est-Ouest, ainsi que celle de la diplomatie américaine et de l’articulation de celle-ci avec les affaires intérieures (rôle des lobbies ethniques, marchandages entre l’exécutif et le Congrès…).
À travers le découpage chronologique présenté sont abordées trois thématiques qui se croisent et s’enrichissent mutuellement. Tout d’abord, l’auteur dessine le portrait des acteurs de la mobilisation de la communauté juive américaine. Elle met ainsi au jour le rôle déclencheur d’Israël et de son bureau secret « Nativ », créé en 1952, rattaché directement au Premier ministre et chargé d’organiser la sensibilisation de la diaspora au sort des juifs soviétiques. Pauline Peretz, grâce à ses recherches dans les archives des principales organisations juives américaines, analyse aussi les ressorts internes de la mobilisation de cette communauté, qui s’épanouit dans les années 1960.
L’auteur s’interroge ensuite sur la stratégie adoptée par la communauté juive américaine, en particulier sur l’articulation entre le combat pour l’émigration des juifs soviétiques et celui plus général en faveur des droits de l’homme. Elle retrace en conséquence de manière détaillée le processus qui conduisit à l’adoption, par le Sénat américain, en décembre 1974, de l’amendement Jackson-Vanik, texte qui refusait à l’URSS l’octroi de la clause de la nation la plus favorisée tant que les obstacles à l’émigration des juifs soviétiques n’étaient pas levés. Elle montre aussi la stratégie de la communauté juive américaine au moment de la conférence d’Helsinki et des négociations autour de la troisième corbeille de l’acte final, le bureau « Nativ » demandant aux juifs américains de ne pas s’intégrer dans ce combat global en faveur des droits de l’homme afin de ne pas prendre le risque d’une dissolution de la spécificité juive.
Enfin, Pauline Peretz évalue l’efficacité de la mobilisation de la communauté juive américaine en s’appuyant sur un double registre. D’une part, les juifs américains sont-ils parvenus à détourner leurs gouvernements de la détente ? Grâce à l’analyse de la stratégie du président Nixon lors des débats suscités par l’amendement Jackson-Vanik, l’auteur relativise grandement la capacité d’influence de la communauté juive sur l’exécutif, Nixon restant attaché prioritairement à la détente, et donc à une position conciliante sur la question du non-respect des droits de l’homme par l’URSS. Plus généralement, les présidents américains ne se saisirent de la question de l’émigration des juifs soviétiques que lorsque cela les arrangeait, c’est-à-dire durant les périodes de tensions avec l’URSS. D’autre part, lorsque Washington s’empara de la question du droit à l’émigration des juifs soviétiques, les pressions exercées sur Moscou furent-elles efficaces ? Pauline Peretz apporte une réponse nuancée, mais qui tend vers la négative, l’URSS ouvrant ses frontières en fonction de son propre agenda et non des pressions américaines. Ainsi, en 1974, après l’adoption de l’amendement Jackson-Vanik, Brejnev annonça qu’il ne ferait aucune concession sur cette question, malgré l’intérêt soviétique pour le développement du commerce Est-Ouest.
Lorsque finalement l’URSS accorda aux juifs soviétiques la possibilité d’émigrer, le choix majoritaire des migrants de s’installer aux États-Unis et non en Israël, déclencha une grave crise entre Israël et les juifs américains, ces derniers défendant la liberté de choix du pays d’accueil alors que les Israéliens percevaient le choix de l’Amérique comme une trahison. En outre, le gouvernement Reagan, de plus en plus éloigné de la logique de guerre froide, commença progressivement à fermer ses propres frontières.
Au total, cet ouvrage offre, dans un style clair et alerte, une analyse convaincante des débats américains sur la détente (était-elle utile ? morale ?) tout en offrant des réponses passionnantes à la question du pouvoir d’influence des lobbies ethniques sur la diplomatie américaine.
Justine Faure

Nationalisme et totalitarismes

Cattaruzza Marina (dir.), La Nazione in rosso. Socialismo, Comunismo e « Questione nazionale » : 1889-1953, Soveria Mannelli, Rubettino, 2005, 334 p., 18 €

La Nazione in rosso a pour objet de traiter des liens entre deux idéologies conflictuelles : le socialisme et le nationalisme. Une perspective à la fois synchronique, à l’échelle du continent européen, et diachronique, sur l’ensemble du 20e siècle, permet de démontrer que les rapports ambigus et mouvants qu’entretiennent le socialisme et le communisme avec la nation et le nationalisme participent de l’identité même des idéologies se réclamant du marxisme, voire de leur distinction lorsqu’elles appartiennent à une même famille politique.
Parmi les penseurs socialistes, peu, avant 1914, auraient réfléchi de façon approfondie sur la question de la nation. Nombreux en revanche sont ceux qui pourraient faire leur l’affirmation de Bordiga, selon lequel « être socialiste veut dire renoncer à sa nationalité » (p. 88). Et pourtant, le cofondateur du parti communiste italien remarque aussi que la nation peut être un puissant instrument de cohésion et d’homogénéisation sociales, un instrument d’intégration des masses dans les structures des États nationaux qui se renforcent ainsi d’autant (Bruno Bongiovanni). Les austromarxistes Otto Bauer et Karl Renner ont tenté de conjuguer théorie marxiste et nation, en voyant en ces deux forces les seules capables de produire des effets décisifs (Dieter Langewiesche). Nous sommes alors en 1900. Après la guerre, ce sont les années 1930 qui constituent un nouveau tournant : la réflexion que menait alors la social-démocratie sur les relations entre national et international, classe et nation, souveraineté nationale et supranationalité, est abandonnée au profit d’une « nationalisation du socialisme » où l’État nation devient le point de référence des choix politiques (Leonardo Rapone).
L’histoire des relations entre communisme et nation est marquée du sceau de l’ambiguïté, des revirements et de l’instrumentalisation. La dépendance étroite des partis communistes occidentaux explique les errements : c’est ainsi le cas du parti communiste tchécoslovaque face à la question des Allemands des Sudètes (Detlef Brandes) ou celui du parti communiste italien face à la question de Trieste, passant du renoncement à la dénonciation du renoncement, après la rupture entre Tito et Staline. Dès la Libération, l’instrumentalisation du sentiment nationaliste est une constante de la politique des partis communistes, qu’ils soient occidentaux (l’exemple italien analysé par Elena Aga-Rossi montre que le « national » est un argument de propagande électorale pour dénoncer la présence américaine), ou orientaux : Maëorzata Swider soutient que l’enracinement du parti communiste polonais se fait notamment grâce à l’annexion à l’ouest des territoires allemands.
On doit à Gaetano Quagliariello une minutieuse étude sur les effets opposés du pacte germano-soviétique sur les partis communistes français et italien. Face à une réaction identique dictée par le Komintern, le premier ne peut empêcher une hémorragie de ses cadres et adhérents et perd ses positions acquises au sein de la démocratie grâce à la politique des Fronts populaires, tandis que le second, déjà réduit à sa plus simple expression par le fascisme, est d’autant moins perturbé que l’Italie se tient en dehors du conflit jusqu’au printemps 1940, échappant ainsi à l’accusation d’« antinational » qui pèse sur le parti communiste français pendant la guerre froide. Or cet épisode joue certainement un rôle important dans le regard porté de l’extérieur sur les deux partis communistes : il sera ainsi plus facile de croire au « communisme » national de Togliatti.
Frédéric Attal

Borejsza Jerzy et Ziemer Klaus (dir.), Totalitarian and Authoritarian Regimes in Europe. Legacies and Lessons from the Twentieth Century, New York, Berghahn Books, 2006, 607 p., prix non communiqué

Le pari de ce grand colloque tenu à Varsovie en 2000 était d’ignorer, dans la catégorie des dictatures, la dichotomie entre, d’une part, les régimes fascistes et staliniens et, d’autre part, les dictatures classiques ou les totalitarismes (plus ou moins) mous des démocraties populaires après 1956. La bonne trentaine de participants de quelque douze pays – l’Europe centre-orientale étant à juste titre surreprésentée – s’exerce donc à associer les deux termes dans la pesée des lourds héritages et de leur improbable gestion.
Des quatre angles d’attaque sélectionnés – historiographie, cas national, aspects juridiques et mémoires collectives –, la deuxième catégorie se détache par son ambition englobante. Les autres sections regroupent chacune les quelques études comparatistes indispensables, suivies par les cas types – Allemagne nazie, Italie fasciste et Union soviétique stalinienne – et offrent enfin des synthèses nationales parfois novatrices, toujours utiles.
L’étude historiographique liminaire rappelle la distinction entre les élites intellectuelles et scientifiques nazies et bolcheviques, distinction fondée sur la radicalisation préalable et populaire des premières – d’où l’inutilité d’une contrainte mobilisatrice à leur égard –, alors que les secondes, coupées d’une masse inculte qu’elles prétendaient représenter, se constituaient en caste omnisciente et idéologique. Cette introduction éclaire les clivages historiographiques entre fascisme et communisme, entre Europe centrale et orientale, tout en se compliquant, dans les autres interventions, des teintes nationales et des transitions post-1945.
Les études de cas nationaux illustrent donc le mieux le télescopage des régimes non démocratiques dans les mémoires nationales et leurs interactions ambiguës. Au-delà de la mosaïque européenne, un modèle se dégage consistant à valoriser, dans la (re)construction des identités malmenées par l’expérience totalitaire, le régime autoritaire l’ayant immédiatement précédé – rarement exemplaire pour les normes européennes actuelles.
La section juridique débute par une analyse d’ensemble qui attribue au droit, science précise mais non exacte, son rôle dans la gestion d’un passé dictatorial violent. Si les termes de la stabilisation nouvelle représentent un choix politique, la justice saisie dans des cas individuels doit s’exercer. Elle ne remplace toutefois pas le travail politique de réconciliation auquel participent les autres sciences humaines. Les interventions suivantes sont consacrées à la catégorie particulière, mais centrale et sensible, du droit de l’accès aux documents, à commencer par les archives de l’appareil répressif.
Enfin, les méandres de la mémoire sont façonnés par l’ensemble de ces facteurs, qui reçoivent en retour des stimuli parfois inattendus. L’Allemagne est l’exemple classique, avec le réveil de la mauvaise conscience bien avant Mai 68. La plupart des autres articles concernent la Russie, où l’absence de défaite brutale et de justice internationale obstruent les voies de la prise de conscience.
Finalement, l’imposant ouvrage répond-il à la gageure affichée ? Certainement, si l’on considère les titres des quatre sections. Mais l’ambition de situer l’analyse au-delà de la dichotomie totalitarisme-autoritarisme n’est que partiellement atteinte, tant une dictature prétendant embrigader la vie sociale dans toutes ses manifestations ne laisse pas les mêmes traces et n’appelle pas le même traitement qu’un régime excluant essentiellement l’opposition politique. C’est toute la différence entre le compelle intrare des nouvelles religions politiques et le dignus est intrare des coteries dictatoriales traditionnelles.
Traian Sandu

Ohayon Isabelle, La Sédentarisation des Kazakhs dans l’URSS de Staline. Collectivisation et changement social (1928-1945), préface de Nicolas Werth, Paris, Maisonneuve & Larose/IFEAC, 2006, 416 p., 35 €

Cet ouvrage traite d’un sujet très peu connu, la soviétisation de la société kazakhe à la fin des années 1920 et au début des années 1930, qui a abouti à une catastrophe démographique sans précédent (plus d’un million de morts et six cent mille personnes fuyant leur pays). Ce livre d’histoire sociale, dont la dimension ethnographique n’est pas absente, est fondé sur un long travail d’archives rendu possible par le séjour de l’auteur au Kazakhstan et son dépouillement des archives locales.
Isabelle Ohayon dresse avec finesse les enchaînements politiques et sociaux qui mènent à la grande famine de 1931-1933 : le désir des élites bolcheviques, centrales comme locales, de faire passer la société kazakhe d’une « économie naturelle » à une « économie socialiste », la campagne de « débayisation » qui précède celle de liquidation des koulaks, les plans de sédentarisation des nomades, la désorganisation complète du cycle productif, en particulier de l’élevage, qui conduit le cheptel kazakh à être réduit des trois-quarts et donc à affamer une population qui en vivait en quasi-totalité.
Avec l’Ukraine, le Kazakhstan apparaît comme l’un des foyers majeurs de résistance à la collectivisation forcée, un épisode méconnu de l’histoire de l’URSS que l’auteur analyse avec une grande rigueur scientifique, s’intéressant aux processus de prise de décision et au rôle de figures politiques majeures comme Turar Ryskulov. L’auteur s’interroge également sur le degré de participation des élites kazakhes à cette destruction de leur mode de vie et sur l’intentionnalité, ou non, de cette extermination massive par le pouvoir central, apportant ainsi un éclairage novateur à l’histoire du stalinisme.
Marlène Laruelle

Le fait colonial

Luizard Pierre-Jean (dir.), Le Choc colonial et l’islam. Les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, Paris, La Découverte, 2006, 546 p., 35 €

L’ouvrage rassemble vingt-six contributions, précédées d’une introduction stimulante de Pierre-Jean Luizard et réparties en entrées géographiques (l’échec de l’universalisme républicain français en Algérie ; Maroc et Afrique subsaharienne : des politiques musulmanes pour la France ?) et en entrées thématiques (utopies des Lumières, expansion économique et coloniale : l’Europe se projette en terres d’islam ; les universalismes européens à l’épreuve du communautarisme et des mandats ; les réactions musulmanes : refus, malentendus et enjeux de miroir).
Comme pour beaucoup d’ouvrages collectifs, certaines contributions peinent parfois à être en adéquation totale avec la thématique proposée, mais restent d’un grand intérêt scientifique. Cette remarque formulée, ce livre constitue, en français, la meilleure introduction à une question certes abordée par l’historiographie, mais dans le cadre de monographies. Nous disposons désormais d’un échantillon plus vaste, même s’il est toujours possible de regretter certaines absences (Italie, Allemagne, Espagne, etc.), tout en soulignant la présence de la Russie.
Si chaque cas reste particulier, quelques grandes orientations sont toutefois décelables, comme la construction d’une vision uniforme de l’islam (rétrograde, fanatique, etc.) qui conduit à une politique récurrente : le contrôler. De même, la diversité des discours ne peut masquer une spécificité partagée par tous : le paradoxe cultivé jusqu’au niveau individuel. Il engendre des variations en fonction du lieu où le discours est produit, de la fonction occupée et selon les destinataires. C’est pourquoi un maître mot domine ces politiques, le pragmatisme, à défaut de pouvoir imposer un modèle unique.
Au-delà des politiques conduites par les puissances sur place, l’influence des idéologies européennes et leurs adaptations dans chaque pays restent perceptibles. Ainsi, les questions de la citoyenneté, du sionisme, de la laïcité, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, voire des identités nationales sont-elles toujours d’actualité. Plus subtile encore, la codification du droit pendant la colonisation, en particulier le « droit islamique » par les différentes administrations coloniales, a des répercussions jusqu’à aujourd’hui. Il en est de même pour les évolutions de l’islam depuis le 19e siècle. Il serait abusif de parler d’invention de nouvelles entités religieuses durant cette période, mais les conséquences sur les recompositions des identités religieuses sont réelles. Cependant, si la réflexion islamique a pu être influencée par la présence coloniale, elle reste un processus endogène bien antérieur à l’arrivée des Européens. Ainsi, le « religieux » a-t-il été à la fois un instrument de la domination européenne et un outil dans les stratégies de libération. Sa dimension interactive où colonisés et colonisateurs s’influencent réciproquement est bien mise en évidence. L’un des mérites de l’ouvrage est de rappeler que les idéaux universalistes restent des outils de domination à usage différencié, révélateurs de bien des ambiguïtés.
Le livre laisse percevoir en filigrane un héritage qui guide les politiques en direction des anciennes colonies et conditionne encore les regards portés sur les musulmans, fussent-ils devenus citoyens des anciennes « puissances ». La lecture de l’ouvrage conduit à formuler l’hypothèse que nous ne sommes toujours pas sortis d’une vision héritée de la colonisation et tributaire d’un arsenal théorique « orientaliste », quand bien même les travaux scientifiques tendent à s’en émanciper au moins depuis les années 1980.
Oissila Saaïdia

Bertrand Romain, Mémoires d’empire. La controverse autour du « fait colonial », Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, « Savoir/Agir de l’association raisons d’agir », 2006, 219 p., 18,50 €

Alliant sa sensibilité aux affaires du monde colonial à sa compétence en sciences politiques, Romain Bertrand éclaire de manière originale la loi du 23 février 2005, dont les articles 4 et 13 ont occupé l’actualité française en 2005. Il s’agissait, pour l’un, de préciser entre autres que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » et, pour l’autre, de permettre notamment aux anciens condamnés de l’OAS de bénéficier d’une réparation financière. Considérant que la loi, puis le débat public qui s’en est suivi, offrent un observatoire privilégié de la manière dont la société française construit sa relation au passé impérial, Romain Bertand s’applique à en retracer la genèse, en décrivant notamment les rencontres avec les conjonctures politiques, sociales et universitaires des années 2000-2005. Il pointe en particulier l’importance d’un petit groupe de députés, dont la principale caractéristique n’est pas l’appartenance politique mais plutôt la jeunesse en politique nationale : acteurs de la vie politique locale, habitués à négocier avec des lobbies divers à ce niveau, ils ne sont arrivés à l’Assemblée nationale qu’en 2002 et n’auraient pas complètement acquis les habitus de cet échelon, y important une conception plus locale du politique – à quoi s’ajoute un souci de distinction vis-à-vis de leurs aînés parlementaires. Cela lui permet de dénoncer très nettement un mythe politique solidement ancré : l’existence d’un vote pied-noir qui pourrait faire ou défaire des carrières politiques. De la nécessaire distinction entre un lobby et un vote…
L’auteur montre aussi que le vote de la loi du 23 février 2005 peut être lu à la convergence de deux tendances marquantes depuis les années 1990 : une victimisation croissante du passé accompagnée de sa dépolitisation, d’une part, et un regain d’audience des partisans les plus radicaux de l’Algérie française mettant en avant leur martyre et leur gloire, d’autre part. C’est in fine une mutation au sein de la droite française qui explique le succès de l’initiative de quelques-uns, mutation caractérisée notamment par le déclin du sentiment anti-OAS au sein du gaullisme et une plus grande perméabilité à certains thèmes de la droite extrême.
Quant à la réception de cette loi, l’auteur pointe la manière dont elle a contribué à faire écho à « l’appel des indigènes de la République… », inscrit pourtant dans un tout autre agenda : elle a paru en définitive confirmer le diagnostic d’une société et d’un État français encore coloniaux. Romain Bertrand rappelle ici la manière dont, durant l’année 2005, la colonisation est devenue le deus ex machina des problèmes sociaux des quartiers défavorisés, pourvu qu’ils soient habités par des gens issus, parfois pourtant depuis plusieurs générations, de l’ancien empire colonial. La sensibilité mémorielle, le désir de reconnaissance ou de réparation, voire l’épouvantail de la repentance furent utilisés de manière privilégiée, jusqu’à priver les événements de toute lisibilité politique. L’auteur rappelle ici le rôle de certains historiens dans cette confusion et analyse les différences de positionnement des professionnels de l’histoire.
Cependant absence de lisibilité politique ne signifie pas absence de sens politique ou même d’usage et Romain Bertrand revient aussi sur les effets politiques de la mise en accusation de la colonisation de ces récentes années : une mise en cause de la République, sur la gauche de l’échiquier politique. Que ce soit à droite ou à gauche, deux pensées extrêmes sur la colonisation et ses relations à la France contemporaine se sont épanouies en 2005, radicalisées par leur confrontation même. Ce livre nous les présente non comme des aberrations ou des errements, mais comme l’expression de nouveaux possibles existant aujourd’hui au sein du champ politique français. Pour cette raison, il devrait intéresser bien au-delà des spécialistes.
Raphaëlle Branche

McDougall James, History and the Culture of Nationalism in Algeria, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, 266 p., prix non communiqué

L’histoire du nationalisme algérien s’enrichit d’une contribution importante avec cet ouvrage du jeune chercheur britannique James McDougall. Mêlant érudition et théorie, il explore une des composantes principales de cette construction nationale élaborée au temps de la colonisation française : l’association des oulémas musulmans algériens et un de ses principaux leaders et auteurs, Tawfiq Al-Madani. Une étude fine des textes, en français mais surtout en arabe, alliée à certaines plongées précises dans les archives – notamment en Tunisie et à Constantine – permettent de comprendre le sens du projet de réforme religieuse et culturelle des oulémas et les raisons, conjoncturelles autant que plus profondes, de leur réussite, jusqu’à leur intégration finale dans les rangs du pouvoir étatique de l’Algérie indépendante.
James McDougall s’attache particulièrement à leur conception de l’histoire, que ce soit celle de l’Algérie depuis la préhistoire ou celle de l’islam. Il met en avant l’importance de « l’authenticité » et de la « pureté » prônées par les oulémas comme modèles de vie et de respect religieux, tout en insistant sur le fait que ces islahistes sont des fils de leur temps, des contemporains de la colonisation, qu’ils ne se contentent pas de subir mais qui les imprègne et parcourt leur pensée. Ainsi leur construction de l’histoire oppose-t-elle à la représentation coloniale qui distingue les Arabes des Berbères qui, eux, descendraient des Européens, des Berbères venus de l’Est s’identifiant aux Arabes, lors de l’arrivée de ceux-ci sur le territoire algérien, notamment du fait de leur religion. Plus encore, les oulémas ne se contentent pas de retourner les modèles coloniaux, ils les investissent de l’intérieur telle cette « mission civilisatrice » qui serait portée par l’islam et notamment par les oulémas, éveilleurs d’un peuple algérien risquant, sinon, de rester confiné dans l’ignorance et la superstition.
En effet, si les oulémas se sont ralliés au Front de libération nationale en 1956 et 1957, James McDougall nous incite bien à ne pas lire l’histoire à l’envers : le projet des oulémas n’est pas la prise du pouvoir par la violence mais l’éducation du peuple dans un islam rénové – ce qui impliquait de négocier avec le pouvoir colonial. On savait l’importance de leur réseau d’écoles à partir des années 1930. James McDougall décrit aussi des luttes locales pour la délimitation d’espaces religieux, pour l’accomplissement de certains rites ou le rejet de certains autres. L’essentiel est alors d’imposer une vision unitaire et centralisée de la religion (Jacques Berque parlait d’« islam jacobin ») – mais aussi de la nation, dont la suite de l’histoire a montré à quel point elle pouvait entrer en congruence avec le projet politique du FLN et sa manière de gouverner.
Raphaëlle Branche

Sciences et conscience

Fleck Ludwik, Genèse et développement d’un fait scientifique, traduction française de Nathalie Jas, préface d’IIana Löwy et postface de Bruno Latour, Paris, Les Belles Lettres, 2005, 280 p., 25 €

La traduction tant attendue de ce livre, proposée par Nathalie Jas, a dû venir à bout de nombreuses difficultés. On ne saurait lui être trop reconnaissant de l’avoir menée à terme. Aux côtés de ceux d’Émile Durkheim ou de Karl Mannheim, ce texte allemand de 1934 figure parmi les rares écrits sociologiques sur la science, rédigés bien avant les travaux pionniers de Robert K. Merton, fondateur de la sociologie des sciences et promoteur de la traduction anglaise de Fleck en 1979. Merton avait eu pour projet d’étudier les origines de la science moderne, de rendre intelligibles les dynamiques sociales à l’œuvre dans l’élaboration des connaissances. Les ambitions de Ludwik Fleck étaient tout aussi explicites. Il inaugurait, certes plus discrètement, une histoire sociale des sciences, proposait une théorie originale de la connaissance.
Partant de l’histoire de la syphilis, Fleck élaborait une version constructiviste de la production des savoirs. Venant d’un bactériologiste et immunologiste praticien, l’approche devait surprendre. Un chercheur ordinaire aurait sans doute accompagné ses réflexions des mythes usuels sur la science, telle son autonomie par rapport aux conditions sociales de sa production ou la force surdéterminante du génie individuel. Fleck, lui, oppose à l’apologie du « découvreur » d’un fait scientifique et à celle des « génies de la science », l’évidence d’une production collective, d’un phénomène social et culturel. Il montre que les « faits scientifiques » sont construits par des groupes de travailleurs de la preuve qu’il qualifie de « collectifs de pensée », notion que l’on retrouvera plus tard chez Thomas T. Kuhn sous l’égide de celle de « paradigme ». Fleck s’intéresse au fonctionnement de ces collectifs, à l’incommensurabilité des faits scientifiques qu’ils produisent, à ses conséquences ainsi qu’aux transformations des styles de pensée supporteurs de normes, de concepts et de pratiques particulières. Son approche intègre des analyses qui, portant aussi bien sur la psychologie des chercheurs que sur leurs techniques matérielles ou sociales, s’intéressant à la recherche médicale comme aux conditions de l’élaboration d’une théorie de la connaissance, rendent compte de la réalité de la production des savoirs, toujours intriquée dans des liens complexes entre le savant, l’expert, le politique, les patients et le législateur.
Dans sa préface, Ilana Löwy met habilement en perspective les conditions d’émergence du livre, tout en resituant à propos le contexte de sa diffusion et de sa réception. Bruno Latour complète la démarche dans une postface, distribuant entre Genèse et développement d’un fait scientifique et ses propres travaux les points de pertinence de l’approche de l’épistémologue allemand. Ainsi, il rappelle que de nombreux historiens, sociologues et anthropologues ont précisément emprunté, comme lui, la voie tracée par Fleck : ils étudient des pratiques scientifiques du passé et du présent, observent des chercheurs à la paillasse et déchiffrent des cahiers de laboratoires, reconstruisent des instruments d’autrefois et mènent des investigations anthropologiques, ethnométhodologiques et linguistiques dans les lieux de production des données expérimentales.
Michel Letté

Guillemain Hervé, Diriger les consciences, guérir les âmes. Une histoire comparée des pratiques thérapeutiques et religieuses (1830-1939), Paris, La Découverte, 2006, 347 p., 26 €

Ce livre original, tiré d’une thèse de doctorat d’histoire dirigée par Philippe Boutry, se situe à la croisée de l’histoire religieuse et de l’histoire de la médecine. Il s’attache à montrer comment le processus de sécularisation des 19e et 20e siècles s’accompagne d’une « laïcisation de l’âme » à travers l’évolution des pratiques de cure des médecins et psychologues et, au niveau des praticiens, d’un « transfert de sacralité » du clergé vers les nouveaux spécialistes de l’esprit. L’enquête démarre dans les années 1830, avec la mise en place des réseaux asilaires chrétiens et laïques, et s’achève dans les années 1920-1930 avec les débuts de la diffusion de la psychanalyse dans la société française. Entre les deux, Hervé Guillemain souligne l’importance des années 1860 dans l’évolution culturelle du 19e siècle, qui prépare les mesures de laïcisation de la période suivante.
Pour l’auteur, cette « révolution » dans l’histoire de l’intériorité, contrairement aux mythologies professionnelles des nouvelles sciences de l’esprit (aliénisme, neurologie, psychiatrie, psychanalyse), n’est pas un simple processus de substitution de la science à la religion, univoque et triomphant. Il montre au contraire, en citant abondamment une documentation palpitante, la complexité de ces évolutions à travers les pratiques et les idées des grands acteurs de l’époque, mais aussi de tout un monde de « praticiens ignorés » aux cultures hybrides : exorcistes, médecins catholiques, congréganistes, aumôniers d’asile, directeurs de conscience ou magnétiseurs. Non sans quelques surprises, comme par exemple le père Joseph de Tonquédec, exorciste du diocèse de Paris, plus connu jusqu’ici pour ses savantes polémiques contre Maurice Blondel à l’époque du modernisme ! On constate alors que la religion n’est pas seulement l’obstacle à surmonter ou un matériau pour l’analyse. Elle fournit aussi des techniques et des concepts, les nouvelles disciplines ayant à leur tour des effets de transformation sur la pratique de la confession et de la direction de conscience.
Les vingtiémistes s’intéresseront tout particulièrement au chapitre très neuf que l’auteur consacre à la diffusion de la psychanalyse en France dans l’entre-deux-guerres (p. 253-284). Il s’attaque à l’« illusion » selon laquelle le retard français dans sa réception serait dû principalement au poids de la culture catholique dans la société. Il montre qu’en fait à cette date la résistance est générale mais que, parmi les individus et les groupes minoritaires qui manifestent un intérêt précoce pour la pensée de Freud, on trouve au contraire un certain nombre de catholiques, médecins et philosophes (comme Roland Dalbiez, un disciple de Maritain), qui y ont vu (de façon critique) une doctrine plus compatible avec leur conception de la nature humaine que celles qui prévalaient officiellement avant la Grande Guerre.
Guillaume Cuchet

Edelman Nicole, Histoire de la voyance et du paranormal, du 18e siècle à nos jours, Paris, Seuil, 2006, 286 p., 21 €

L’ouvrage de Nicole Edelman illustre une thèse centrale selon laquelle les théories et les pratiques de la voyance et du paranormal, bien qu’elles paraissent avoir existé de toute éternité, peuvent être objets d’histoire. Ainsi le démontrent tout particulièrement les chapitres consacrés au 19e siècle. Les somnambules magnétiques par exemple, qui furent si à la mode dans la première moitié du 19e siècle, sont nées de la théorie médicale élaborée par Franz Anton Mesmer et ses disciples à la fin du 18e siècle. Face à cette théorie qui postule l’existence d’un fluide, le « magnétisme animal », et qui s’adosse à la conviction partagée par les tenants de l’attraction universelle newtonienne et par les expérimentateurs de l’électricité et du magnétisme qu’il existe dans l’univers des fluides subtils encore mal connus, les Académies des sciences et de médecine hésitent jusqu’aux années 1840. Jusqu’à cette date, le magnétisme animal occupe ainsi une position complexe. Il est une théorie et une pratique thérapeutique jugées légitimes par certains ; il sert à promouvoir une nouvelle figure de la voyance, celle de la « somnambule magnétique » qui peut voir à travers les corps opaques et découvrir des secrets ; dans des mouvances mystiques liées à l’illuminisme ou au premier socialisme, il apparaît enfin comme un moyen de voir le monde des esprits. À partir des années 1850 toutefois, le magnétisme animal cède la place à d’autres courants. D’un côté, la science médicale théorise à nouveaux frais le somnambulisme provoqué comme « hypnose », un état qui n’est pas dû à l’action d’un fluide mystérieux, mais à une prédisposition pathologique ou à une interaction entre le médecin et son patient. De l’autre, le monde des esprits trouve une nouvelle théorie dans le spiritisme, version moderne de la thèse de la pluralité des mondes associée à une doctrine du progrès de l’humanité par la réincarnation. À la somnambule magnétique se substitue ou se superpose la figure du ou de la médium.
Écrivant cette histoire, Nicole Edelman s’attache à montrer combien est historiquement mouvante la frontière entre science et non-science. Ainsi, à la fin du 19e siècle la psychologie scientifique naissante tient la « métaspychique » ou les « sciences psychiques » pour des domaines légitimes. Des savants occupant des postes universitaires prestigieux s’interrogent sur la chiromancie et sur les capacités médiumniques. À l’instar du médecin Charles Richet, prix Nobel de médecine en 1913, ils pensent pouvoir expliquer scientifiquement la télépathie ou la matérialisation des fantômes. Ainsi ce qui, du point de vue d’un chercheur du 21e siècle, ne relève pas du domaine de la recherche légitime est alors perçu différemment ; mais plus encore, ces recherches désormais illégitimes contribuent à l’établissement d’un domaine du savoir comme science.
Au fil de l’ouvrage, l’auteur s’interroge aussi sur les modalités historiques de la croyance, mettant en lumière les circonstances qui favorisent le recours au paranormal et analysant comment les pratiques divinatoires se réfèrent souvent à une base présentée comme scientifique afin d’emporter une plus large adhésion. Ainsi par exemple, la première guerre mondiale et ses deuils impossibles ont-ils favorisé une recrudescence du contact spirite avec les défunts. Ainsi encore, les succès populaires et médiatiques actuels de l’astrologie – qui semble proche parfois de la reconnaissance universitaire lorsqu’une astrologue célèbre (Élisabeth Tessier) est autorisée à soutenir sur le sujet une thèse de sociologie (université Paris-V, 2001) – n’est pas sans rapport avec sa prétention à se fonder sur les données de sciences reconnues telles que l’astronomie et certains courants de la psychologie et de la psychanalyse.
Aussi l’ouvrage, bien qu’il ne réussisse pas toujours à tenir le parti pris de la neutralité, notamment dans les chapitres portant sur les périodes les plus récentes, est-il sur tous ces points d’une lecture stimulante.
Nathalie Richard

Formation et édition

Tanguy Lucie, Les Instituts du travail. La formation syndicale à l’Université de 1955 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, 255 p., 20 €

Ce livre présente le nouveau volet d’une recherche en cours, menée par l’auteur avec plusieurs collaborateurs, sur le vaste mouvement social qui, après 1945, visait à la « modernisation » des relations de travail et des relations sociales entre patronat et syndicat par la négociation, la formation permanente, etc.
Les instituts du travail sont la concrétisation institutionnelle d’un ensemble d’idées alors originales sur la contribution que devrait apporter l’université à la formation des syndicalistes et des représentants des travailleurs dans les organismes, alors de création récente, de la Sécurité sociale et des comités d’entreprise. L’Institut des sciences sociales du travail (ISST) de Paris est fondé en 1951, mais pour former des fonctionnaires, et c’est en 1955, à Strasbourg, que naît l’institution étudiée par l’ouvrage. L’inspirateur et fondateur de l’Institut du travail (IT) de Strasbourg, Marcel David, professeur de droit public, est élu à Paris en 1961 et crée, en reprenant le modèle strasbourgeois, une « section d’éducation ouvrière » à l’ISST de Paris. À côté des instituts nationaux de Strasbourg et Paris, destinés à former les cadres nationaux, sont mis sur pied des instituts régionaux – six en 1970, neuf aujourd’hui. Le lecteur actuel ne mesure sans doute pas immédiatement l’innovation que représentait, en 1955, un enseignement universitaire s’adressant spécifiquement à un public ouvrier.
L’ouvrage présente dans son contexte historique les conceptions qui inspirent cette création institutionnelle. Marcel David, un catholique social fasciné par la classe ouvrière et qui se veut à son service, fixe la doctrine qui organise les instituts du travail en définissant un compromis qui permet la coexistence des trois confédérations syndicales (CGT, CGT-FO, CFTC). Celles-ci sont traitées à parité et disposent de l’initiative dans la définition de leurs besoins de formation.
Un chapitre décrit avec finesse le réseau de relations et la base d’expériences sociales (notamment dans la Résistance et le militantisme religieux) qui sont les terreaux dans lesquels sont nés les IT. Un autre est consacré à la pédagogie originale mise en œuvre pour les stages de formation et aux réactions des syndicalistes ouvriers à ce qui était pour eux une expérience nouvelle. Une analyse spécifique est dédiée à l’Institut régional de Grenoble, qui constitue un cas déviant par rapport aux normes définies par Marcel David. Ses principaux inspirateurs sont, comme dans les autres cas, principalement des militants ou anciens militants de mouvements catholiques, mais ceux-ci s’engagent à la CGT ou au parti communiste.
L’étude s’appuie sur les archives conservées par les instituts, souvent lacunaires, et sur un riche ensemble de témoignages recueillis par l’auteur. Les sources pour une telle recherche auraient été bien maigres après la disparition d’une grande partie des acteurs principaux. Les analyses, nuancées et convaincantes, comme d’ailleurs celles consacrées à la formation permanente mentionnées supra, apportent un éclairage novateur sur les transformations de la France des années 1950-1980, ainsi que sur le rôle des militants formés par les organisations catholiques et, ici, sur les innovations qui prirent place à la marge des universités.
Jean-Michel Chapoulie

Caspard-Karydis Pénélope (dir.), La Presse d’éducation et d’enseignement 1941-1990. Répertoire analytique, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 2000-2005, 4 vol., 2345 p., 148,64 €

Dans son avant-propos au premier volume de La Presse d’éducation et d’enseignement du xviiie siècle à 1940, paru il y a tout juste vingt-cinq ans, Pierre Caspard rappelait que l’idée d’un tel répertoire était ancienne, presque séculaire, et d’abord due, en France, à des intentions d’ordre pédagogique et bibliographique dont la réalisation pouvait être facilitée par la création du Musée pédagogique, qui avait vocation à recueillir et à conserver ce type de publications. Il assignait alors à ce « répertoire analytique », qui est devenu aujourd’hui une somme de huit volumes (quatre pour la période antérieure à 1940, quatre pour la seconde moitié du 20e siècle), une ambition de nature plus scientifique. Constituer un instrument de travail était le premier objectif, et l’on pouvait être assuré qu’il ne serait pas utile aux seuls chercheurs qui étudient le système d’enseignement français. Un rapide parcours dans ces huit volumes suffit à le confirmer : les historien-ne-s de la famille, de la religion, de la laïcité, comme celles et ceux qui se tournent vers les grands secteurs de l’activité économique, l’industrie, l’agriculture, ou les relations entre la politique et le syndicalisme, toutes et tous y trouveront en abondance informations et matière à réflexion, à la mesure de la place qu’ont occupée au fil du temps les questions d’éducation et d’enseignement dans la vie générale de la nation.
Les coéquipiers qui ont mené à bonne fin ce travail d’un quart de siècle espéraient aussi qu’il aiderait à développer les recherches « sur la nature et l’évolution du phénomène éducatif dans la plus large acception du terme ». Dans cette perspective, Pierre Caspard formulait un certain nombre de questions qui conservent toute leur pertinence, et dont on espère qu’elles retiendront l’attention de chercheurs plus nombreux, aidés à y répondre par l’impressionnante masse des données désormais disponibles. Rappelons que chaque publication recensée fait l’objet d’une notice type, d’une taille qui varie entre une et trois pages, présentant la durée de sa parution, la liste de ses responsables, le profil de ses rédacteurs, sa périodicité, son format, son siège social et son lieu d’édition, puis reproduisant les termes dans lesquels furent initialement exprimés ses objectifs avant d’indiquer la nature et l’évolution éventuelle de son contenu.
Une première direction de recherche serait ce qu’on pourrait appeler les effets de conjoncture politique. De même qu’il était naturel de vouloir mesurer, grâce aux quatre premiers volumes, les effets des impulsions données par des ministres comme Guizot, Duruy, Ferry ou Zay, de même les quatre derniers, qui couvrent la période allant de Jérôme Carcopino à Lionel Jospin, aideront-ils à analyser ce qui, dans les moments où s’affirme un volontarisme réformateur, résulte plus ou moins directement d’initiatives ministérielles et ce qui témoigne d’inflexions venues de la société enseignante ou, plus largement, d’idées, d’aspirations ou de craintes devenues dominantes dans la société.
Un deuxième axe devrait orienter la recherche vers l’évolution des parts qu’ont prises, dans le lancement et la plus ou moins longue existence de ces périodiques, les institutions et organismes divers qui les ont inspirés ou édités. Dans l’index des associations et organismes qui figure à la fin de chaque tome – et que complètent cinq autres index : index géographique, chronologique, index des établissements, index onomastique et thématique –, l’État n’est pas représenté seulement par l’administration de l’Éducation nationale, mais par toutes celles, ministères ou secrétariats d’État, des Affaires étrangères à la Santé en passant par l’Agriculture, la Défense ou la Justice, qui ont touché au monde de l’éducation ; et pas seulement par l’échelon central, mais par toutes les subdivisions territoriales – académie, département ou région, sans oublier le domaine colonial – dans lesquelles s’est exercée son action. L’un des apports de cette somme est d’ailleurs d’aider à mesurer les parts respectives qui reviennent à l’État et aux autres structures et forces sociales qui concourent, en France, aux œuvres d’éducation : les Églises, bien sûr, et les associations privées à visée philanthropique, relais ou aiguillons traditionnels de l’État, quand elles ne le concurrencent pas ; les éditeurs, dont les travaux de Jean-Yves Mollier et de ses continuateurs ont éclairé l’engagement dans ce secteur ; le monde du travail, dans toute sa diversité, des groupements d’intérêts économiques aux syndicats professionnels ; et d’autres acteurs encore, dont ces volumes mettent en lumière les formes d’intervention et le poids relatif autour de l’école proprement dite.
Ce répertoire offre enfin à la curiosité des chercheurs des données nombreuses et précises sur la variété des auteurs qui ont collaboré à cette presse. On devine qu’à côté des contributeurs réguliers, officiels ou officieux, représentants de toutes les formes de discours scientifique ou pédagogique, se distinguent bien des types de rédacteurs préoccupés de concourir à la formation intellectuelle et morale de citoyens éclairés. L’homo academicus voisine ici tout naturellement avec le militant, l’érudit avec le vulgarisateur, le bien-pensant avec le libertaire.
En un temps où les interrogations sur la fonction sociale de l’histoire nourrissent tant de débats, on ne peut que saluer la contribution apportée à la connaissance historique par un ouvrage dont la portée réelle n’a d’égale que la modestie de ses rédacteurs. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas à craindre la surexposition médiatique. Celles et ceux qui souhaiteraient que le discours sur l’éducation, dans une société qui en est si grande consommatrice, soit nourri d’autres choses que d’opinions partielles et partiales, de propositions instrumentales, de nostalgies ou de fantasmes, feront, espérons-le, bon accueil à ce qui constitue un modèle durable de travail scientifique, patient et rigoureux.
Jean-François Chanet

Pavard Bibia, Les Éditions des femmes. Histoire des premières années 1972-1979, Paris, L’Harmattan, 2005, 223 p., 20,50 €

Le mouvement féministe français des années 1970 est encore un champ d’études historiques clairsemé. Le groupe qui décida d’en confisquer le nom en déposant les statuts d’une association appelée « MLF, mouvement de libération des femmes » en 1979 en fut un des acteurs importants ; « Psychanalyse et Politique », réuni autour de la personnalité charismatique d’Antoinette Fouque, était un groupe plutôt intellectuel et universitaire centré notamment sur les questions d’écriture féminine (certaines préféraient parler d’écriture « femelle ») et, plus largement, d’identité féminine. En 1972, grâce à leur mécène Sylvina Boissonnas, les membres de « Psychépo » décidèrent de créer une maison d’édition pour publier des femmes. Elles participèrent ainsi au boom que connaissait alors le milieu des éditeurs qui vit éclore de multiples petites maisons.
Les premiers livres sortirent en 1974 et le premier catalogue s’arrêta en 1979. Grâce à des entretiens et aux archives privées de la maison d’édition, Bibia Pavard a pu retracer l’histoire des années de lancement de cette entreprise entièrement féminine, très largement fondée sur le volontariat et le bénévolat, et assez peu féministe. À côté de l’histoire des aller et retour entre militantisme, amateurisme et professionnalisme, l’auteure étudie les stratégies de l’entreprise d’édition pour asseoir sa légitimité professionnelle et construire son image.
Ainsi, les Éditions des femmes se montrèrent peu accueillantes pour les féministes françaises qui pouvaient être en désaccord avec les idées défendues dans le groupe « Psychépo ». Elles se spécialisèrent rapidement dans la traduction de féministes étrangères pouvant, elles, incarner des positions politiques plus diverses. L’exemple le plus connu fut sans doute Du côté des petites filles d’Elena Gianini Belotti, traduit de l’italien en 1974, une des meilleures ventes des Éditions des femmes.
En actrice ambiguë du mouvement féministe des années 1970, cette maison d’édition a de fait incarné un certain nombre des tensions qui ont parcouru ces années. Mais c’est bien grâce à elles que certains textes importants ont été mis à la disposition du public français. Sans surestimer le rôle de cet éditeur à une époque où de nombreux éditeurs plus traditionnels choisissent de développer des collections « femmes » en tout genre, il n’en reste pas moins que l’histoire de cette entreprise permet d’apercevoir un des enjeux fondamentaux du féminisme : la diffusion dans le tissu social des valeurs et des idées féministes (aussi variées et éventuellement divergentes soient-elles). Le développement précoce d’une collection à destination des enfants aux Éditions des femmes en est d’ailleurs un des signes les plus nets, de même que l’est, à partir de 1980, le lancement d’une collection de livres lus.
Raphaëlle Branche

Livres reçus

1Arendt Hannah, La Nature du totalitarisme, Paris, Payot, 2006, 176 p., 22 €.

2Arendt Hannah et Jaspers Karl, « La philosophie n’est pas tout à fait innocente », lettres choisies et présentées par Jean-Luc Fidel, trad. de l’all. par Éliane Kaufholz-Messmer, Paris, Payot, « Petite bibliothèque Payot », 2006, 288 p., 8 €.

3Armstrong Jérôme et Moulitsas Markos, Crashing the Gate. Netroots, Grassroots, and the Rise of People-Powered Politics, White River Junction, Chelsea Green Publishing, 2006, 198 p., prix non communiqué.

4Audier Serge, Le Socialisme libéral, Paris, La Découverte, « Repères », 2006, 128 p., prix non communiqué.

5Bacevich Andrew J. (dir.), The Imperial Tense. Prospects and Problems of American Empire, Chicago, Ivan R. Dee, 2003, 274 p., 28,95 $.

6Bafoil François, Europe centrale et orientale. Mondialisation, européanisation et changement social, Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2006, 576 p., 22 €.

7Barber Benjamin R., Fear’s Empire. War, Terrorism, and Democracy, New York, W. W. Norton & Compagny, 2003, 256 p., 13,95 $.

8Bard Christine, Metz Annie et Neveu Valérie, Guide des sources de l’histoire du féminisme, de la Révolution française à nos jours, coord. par Véronique Fau-Vincenti, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, 448 p., 22 €.

9Barjot Dominique, Dard Olivier, Garrigues Jean, Musiedlak Didier et Anceau Éric (dir.), Industrie et politique en Europe occidentale et aux États-Unis (xixe-xxe siècles), Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, « Centre Roland Mousnier », 2006, 480 p., 26 €.

10Baubérot Jean, Hollander Paul (de) et Estivalèzes Mireille (dir.), Laïcité et séparation des Églises et de l’État. Histoire et actualité, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2006, 242 p., 25 €.

11Ben Barka Mokhtar, La Droite chrétienne américaine. Les évangéliques à la Maison Blanche ?, Toulouse, Privat, 2006, 320 p., 19 €.

12Bensoussan David, Combats pour une Bretagne catholique et rurale. Les droites bretonnes dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 2006, 682 p., 32 €.

13Berthomiére William et Chivallon Christine (dir.), Les Diasporas dans le monde contemporain. Un état des lieux, Paris/Pessac, Karthala/MSHA, 2006, 424 p., prix non communiqué.

14Bertrand Romain, Mémoires d’empire. La controverse autour du « fait colonial », Bellecombe-en-Bauges, Éd. du Croquant, 2006, 224 p., 18,50 €.

15Béthouart Bruno, Le Ministère du Travail et de la Sécurité sociale. De la libération au début de la Ve République, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, 368 p., 22 €.

16Bias Alessia (de) et Rossi Cristina, Chez nous. Territoires et identités dans les mondes contemporains, préf. de Marc Augé, Paris, Éd. de la Villette, 2006, 320 p., 12 €.

17Birebent Christian, El Che. Une vie pour la révolution, Paris, Grancher, 2006, 276 p., 22 €.

18Birn Ruth Bettina, Die Sicherheitspolizei in Estland 1941-1944. Eine Studie zur Kollaboration im Osten, Paderborn, Schöningh, 2006, 289 p., prix non communiqué.

19Blanchard Pascal (dir.), Sud-Ouest, porte des outre-mers. Histoire coloniale & immigration des Suds, du Midi à l’Aquitaine, Toulouse, Milan, 2006, 240 p., 38 €.

20Bosman Françoise, Clastres Patrick et Dietschy Paul (dir.), Le Sport, de l’archive à l’histoire, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2006, 366 p., 32 €.

21Boswell Laird, Le Communisme rural en France. Le Limousin et la Dordogne de 1920 à 1939, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2006, 320 p., 28 €.

22Boullet Daniel, Entreprises et environnement en France de 1960 à 1990. Les chemins d’une prise de conscience, Genève, Droz, 2006, 696 p., prix non communiqué.

23Brands H. W., The Money Men. Capitalism, Democracy, and the Hundred Years’ War Over the American Dollar, New York, W. W. Norton & Compagny, 2006, 240 p., prix non communiqué.

24Brennan Timothy, Wars of Position. The Cultural Politics of Left and Right, New York, Columbia University Press, 2006, 342 p., prix non communiqué.

25Brudny Michelle-Irène, Hannah Arendt. Essai de biographie intellectuelle, Paris, Grasset, 2006, 270 p., 17,90 €.

26Burguière André, L’École des Annales. Une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob, 2006, 368 p., 29,90 €.

27Byrd Robert C., Losing America. Confronting a Reckless and Arrogant Presidency, New York, W. W. Norton & Compagny, 2004, 320 p., 13,95 $.

28Caille Frédéric, La Figure du Sauveteur. Naissance du citoyen secoureur en France 1780-1914, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, 320 p., 20 €.

29Cailliau de Gaulle Marie-Agnès, Souvenirs personnels, préf. de Jean Lacouture, Paris, Parole et Silence, 2006, 136 p., 14 €.

30Carrier Peter, Holocaust Monuments and National Memory Cultures in France and Germany since 1989. The Origins and Political Function of the Vél’ d’Hiv’ in Paris and the Holocaust Monument in Berlin, New York, Berghahn Books, 2005, 268 p., prix non communiqué.

31Chandler Alfred D. et Mazlish Bruce, Leviathans : Multinational Corporations and the New Global History, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, 250 p., prix non communiqué.

32Chaubet François, Histoire intellectuelle de l’entre-deux-guerres. Culture et politique, Paris, Nouveau Monde éditions, 2006, 384 p., 11 €.

33Daumalin Xavier et Domenichino Jean, Le Front populaire. Marseille et sa région (1934-1938), Paris, Jeanne Laffitte, 2006, 192 p., 22 €.

34De Gasperi Alcide, Scritti e discorsi politici, Bologne, Il Mulino, 2006, vol. 1, tomes I et II, 2108 p., 100 €.

35Delporte Christian, Images et politique en France au xxe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2006, 512 p., 14 €.

36Delbard Olivier, Prospérité contre écologie ? L’environnement dans l’Amérique de G. W. Bush, Paris, Lignes de repères, 2006, 144 p., 13 €.

37Déloye Yves, Les Voix de Dieu. Pour une autre histoire du suffrage électoral : le clergé catholique français et le vote xix-xxe siècle, Paris, Fayard, 2006, 419 p., 28 €.

38Dietschy Paul et Clastres Patrick, Sport, société et culture en France du xixe siècle à nos jours, Paris, Hachette supérieur, 2006, 256 p., prix non communiqué.

39Dorlin Elsa, La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Paris, La Découverte, 2006, 312 p., 27 €.

40Dorronsoro Gilles (dir.), La Turquie conteste. Mobilisations sociales et régime sécuritaire, Paris, CNRS éditions, 2006, 248 p., 29 €.

41Droz Bernard, Histoire de la décolonisation au xxe siècle, Paris, Seuil, « L’Univers historique », 2006, 400 p., 23 €.

42Dumielle Isabelle, Ces textes qui ont marqué l’Histoire de France, Claude Quétel (dir.), Paris, Bordas, 2006, 448 p., 19,50 €.

43Dupont-Bouchat Marie-Sylvie, La Belgique criminelle. Droit, justice et société (xive-xxe siècle), Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2006, 536 p., 59 €.

44Durand Bernard, Le Crom Jean-Pierre et Somma Alessandro (dir.), Le Droit sous Vichy, Francfort-sur-le-Main, Vittorio Klostermann, 2006, 504 p., prix non communiqué.

45Durand Nicole, De l’horreur à l’art. Dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, préf. de Jean-Claude Guillebaud, Paris, Seuil, 2006, 160 p., 40 €.

46Eades Caroline, Le Cinéma post-colonial français, Paris, Cerf/Corlet, 2006, 431 p., 41 €.

47Eckhard John (dir.), Die Entdeckung des sozialkritischen Liedes. Zum 100. Geburstag von Wolfgang Steinitz, Münster, Waxmann, 2006, 112 p., prix non communiqué.

48Edgar Adrienne Lynn, Tribal Nation. The Making of Soviet Turkmenistan, Princeton, Princeton University Press, 2006, 302 p., prix non communiqué.

49Enzensberger Hans Magnus, Le Perdant radical. Essai sur les hommes de la terreur, Paris, Gallimard, 2006, 64 p., 5,50 €.

50Faligot Roger et Guisnel Jean (dir.), Histoire secrète de la Ve République, Paris, La Découverte, 2006, 752 p., 25 €.

51Fassin Didier et Fassin Éric (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, Paris, La Découverte, 2006, 264 p., 20 €.

52Faux Jeff, The Global Class War, Hoboken, John Wiley, 2006, 292 p., prix non communiqué.

53Feiertag Olivier, Wilfrid Baumgartner. Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2006, 786 p., 30 €.

54Fiorina Morris P., avec la collaboration de Samuel J. Abrams et Jeremy C. Pope, Culture War ? The Myth of a Polarized America, New York, Pearson Education, 2e éd. 2006, 238 p., prix non communiqué.

55Foro Philippe, L’Italie fasciste, Paris, Armand Colin, 2006, 288 p., prix non communiqué.

56Frau-Meigs Divina, Qui a détourné le 11 septembre. Journalisme, information et démocratie aux États-Unis, Bruxelles/Paris, De Boeck/INA, 2006, 288 p., prix non communiqué.

57French David, Military Identities : The Regimental System, the British Army and the British People c. 1870-2000, Oxford, Oxford University Press, 2005, 420 p., prix non communiqué.

58Garrigues Jean (éd.), Les Grands Discours parlementaires de la Cinquième République, préf. de Jean-Louis Debré, Paris, Armand Colin, 2006, 386 p., 20 €.

59Gaudillère Jean-Paul, La Médecine et les sciences xix-xxe siècles, Paris, La Découverte, 2006, 128 p., prix non communiqué.

60Gianinazzi Willy, Naissance du mythe moderne. Georges Sorel et la crise de la pensée savante, Paris, Éd. de l’EHESS, 2006, 232 p., 24 €.

61Green Nancy L. et Weil François (dir.), Citoyenneté et émigration. Les politiques de départ, Paris, Éd. de l’EHESS, 2006, 276 p., 22 €.

62Gregor A. James, Mussolini’s Intellectuals. Fascist Social and Political Thought, Princeton, Princeton University Press, 282 p., prix non communiqué.

63Hanna Martha, Your Death Would be Mine. Paul and Marie Pireaud in the Great War, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2006, 342 p., prix non communiqué.

64Hewitt Hugh, Painting the Map Red. The Fight to Create a Permanent Republican Majority, Washington, Regnery, 2006, 232 p., 27,95 $.

65House Jim et MacMaster Neil, Paris 1961. Algerians, State Terror, and Memory, Oxford, Oxford University Press, 2006, 380 p., prix non communiqué.

66Hughes Judith M., To the Maginot Line. The Politics of French Military Preparation in the 1920’s, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2006, 300 p., prix non communiqué.

67Jamieson Kathleen H. (dir.), Electing the President 2004. The Insiders’ View, Philadelphie, University of Pennsylvannia Press, 2006, 256 p., prix non communiqué.

68Jennings Eric T., Curing the Colonizers. Hydrotherapy, Climatology, and French Colonial Spas, Durham, Duke University Press, 2006, 276 p., prix non communiqué.

69Jost François (dir.), Années 70, la télévision en jeu, Paris, CNRS éditions, 2006, 256 p., 22 €.

70Kévorkian Raymond, Le Génocide des Arméniens, Paris, Odile Jacob, 2006, 1008 p., 39,90 €.

71Kott Sandrine et Droit Emmanuel (dir.), Die Ostdeutsche Gesellschaft. Eine transnationale Perspektive, Berlin, Ch. Links, 2006, 300 p., prix non communiqué.

72Kott Sandrine et Mespoulet Martine, Le Postcommunisme dans l’histoire, Bruxelles, Éd. de l’université de Bruxelles, 2006, 212 p., prix non communiqué.

73Küng Hans, Mémoires. Mon combat pour la liberté, Paris, Cerf, 2006, 576 p., 44 €.

74Lardner James et Smith David A., Inequality Matters. The Growing Economic Divide in America and Its Poisonous Consequences, préf. de Bill Moyers, New York, The New Press, 2005, 328 p., prix non communiqué.

75Lebow Richard Ned, Kansteiner Wulf et Fogu Claudio (dir.), The Politics of Memory in Postwar Europe, Durham, Duke University Press, 2006, 372 p., prix non communiqué.

76Le Bras Hervé, Entre deux pôles. La démographie entre science et politique, La Courneuve, Aux lieux d’être, 2006, 128 p., 9,50 €.

77Lévy Thierry et Royer Jean-Pierre, Labori, un avocat, Paris, Louis Audibert, 2006, 276 p., 22 €.

78Lévy-Leboyer Maurice, Lescure Michel et Plessis Alain (dir.), L’Impôt en France aux xixe et xxe siècles, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2006, 466 p., 35 €.

79Mariot Nicolas, Bains de foule. Les voyages présidentiels en province 1888-2002, Paris, Belin, 2006, 352 p., 24 €.

80Martel André, Félix et Colette Pijeaud. Deux héros oubliés de la France libre, préf. du général d’armée Alain de Boissieu, Toulouse, Privat, 2006, 304 p., 17 €.

81Maurel Marie-Claude et Halamska Maria, Démocratie et gouvernement local en Pologne, Paris, CNRS éditions, 2006, 370 p., 26 €.

82Mèredieu Florence de, C’était Antonin Artaud, Paris, Fayard, 2006, 1104 p., 35 €.

83Mesure Sylvie et Savidan Patrick (dir.), Le Dictionnaire des sciences humaines, Paris, PUF, 2006, 1328 p., 35 €.

84Minnaert Jean-Baptiste, Histoires d’architectures en Méditerrannée xixe-xxe siècle, Paris, Éd. de la Villette, 2006, 400 p., 16 €.

85Miran Marie, Islam, histoire et modernité en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 2006, 550 p., prix non communiqué.

86Murphy David E., Ce que savait Staline. L’énigme de l’opération Barberousse, Paris, Stock, 2006, 462 p., 23 €.

87Mutin Marie-Thérèse, Jean Poperen tel qu’en lui-même, Paris, Éd. Mutine, 2006, 496 p., 24 €.

88Ohayon Annick, Psychologie et psychanalyse en France. L’impossible rencontre (1919-1969), Paris, La Découverte, 2006, 446 p., 14 €.

89Pappola Fabrice (éd.), Les Carnets de guerre d’Arnaud Pomiro, préf. de Rémy Cazals, Toulouse, Privat, 2006, 400 p., 19,50 €.

90Patel Kant et Mark E. Rushefsky, The Politics of Public Health in the United States, préf. de Deborah R. McFarlane, New York, M. E. Sharpe, 2005, 348 p., prix non communiqué.

91Phillips Kevin, American Theocracy. The Peril and Politics of Radical Religion, Oil, and Borrowed Money in the 21st Century, New York, Viking, 2006, 462 p., 26,95 $.

92Pinault Michel, La Science au Parlement. Les débuts d’une politique des recherches scientifiques en France, Paris, CNRS éditions, 2006, 160 p., 18 €.

93Piven Frances Fox, The War at Home. The Domestic Costs of Bush’s Militarism, New York, The New Press, 2004, 168 p., prix non communiqué.

94Raynaud Philippe, L’Extrême gauche plurielle. Entre démocratie radicale et révolution, Paris, Cevipof/Autrement, 2006, 208 p., 17 €.

95Résister à Buchenwald. Les Français et la Résistance à Buchenwald 1943-1945, prés. par l’Association Buchen-wald Dora et ses Kommandos, Paris, Tirésias, « Ces oubliés de l’histoire », 2006, 144 p., 13 €.

96Richmond Julius B. et Fein Rashi, The Health Care Mess. How we Got into it and What it Will Take to Get Out, préf. de Jimmy Carter, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2005, 308 p., prix non communiqué.

97Roche Agnès, Émile Guillaumin. Un paysan en littérature, Paris, CNRS éditions, 2006, 168 p., 22 €.

98Rygiel Philippe (dir.), Le Bon Grain de l’ivraie. La Sélection des migrants en Occident 1880-1939, La Courneuve, Aux lieux d’être, 2006, 272 p., 28,50 €.

99Salou Olivares Pierre et Véronique, Los republicanos españoles en el Campo de concentración nazi de Mauthensen. El deber colectivo de sobrevivir/Les républicains espagnols dans le camp de concentration nazi de Mathausen. Le devoir collectif de suivre, préf. de Michel Reynaud, Paris, Tirésias, « Ces oubliés de l’histoire », 2005, 912 p., 36 €.

100Schlesinger Arthur M., War and the American Presidency, New York, W. W. Norton & Compagny, 2004, 190 p., 13,95 $.

101Schweisguth Charles, Journal de Kabylie, Toulouse, Privat, 2006, 384 p., 19 €.

102Sevegrand Martine, Temps présent : une aventure chrétienne (1937-1992). Tome I : un hebdomadaire (1937-1947), Paris, Temps présent, 2006, 324 p., 23 €.

103Slezkine Yuri, The Jewish Century, Princeton, Princeton University Press, 2006, 442 p., prix non communiqué.

104Swain Carol M., The New White Nationalism in America. Its Challenge to Integration, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, 528 p., prix non communiqué.

105Tadié Benoît (dir.), Revues modernistes anglo-américaines. Lieux d’échanges, lieux d’exil, Paris, Ent’revues, 2006, 320 p., 20 €.

106Thibault Laurence (dir.), Les Femmes et la Résistance, préf. de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Paris, AERI/La Documentation française, « Cahiers de la Résistance », 2006, 176 p., 18 €.

107Tilman Samuel, Les Grands Banquiers belges (1830-1935). Portrait collectif d’une élite, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2006, 444 p., 40 €.

108Tranvouez Yvon, Catholiques en Bretagne au xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, 240 p., 18 €.

109Traverso Enzo, Siegfried Kracauer. Itinéraire d’un intellectuel nomade, éd. rev. et aug., Paris, La Découverte, 2006, 228 p., 20 €.

110Trumbull Gunnar, Consumer Capitalism. Politcs, Product Markets, and Firm Strategy in France and Germany, Ithaca, Cornell University Press, 2006, 198 p., prix non communiqué.

111Verdalle Laure (de), Le Théâtre en transition. De la RDA aux nouveaux Länder, Paris, Éd. de la MSH, « CIERA-Dialogues », 2006, 324 p., 22 €.

112Vidal Frédéric, Les Habitants d’Alcântara. Histoire sociale d’un quartier de Lisbonne au début du 20e siècle, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2006, 492 p., 25 €.

113Wahl Alfred, La Seconde Histoire du nazisme dans l’Allemagne fédérale depuis 1945, Paris, Armand Colin, 2006, 336 p., prix non communiqué.

114Walt Stephen M., Taming American Power. The Global Response to US Primacy, New York, W. W. Norton & Compagny, 2005, 320 p., 15,95 $.

115Wettig Gerhard, Chruschtschows Berlin-Krise 1958 bis 1963. Drohpolitik und Mauerbau, Münich, Oldenbourg, 2006, 314 p., prix non communiqué.

116Zarusky Jürgen (dir.), Stalin und die Deutschen. Neue Beiträge der Forschung, Münich, Oldenburg, 2006, 276 p., prix non communiqué.

  1. Écrire en Grande Guerre
    1. Beaupré Nicolas, Écrire en guerre, écrire la guerre. France, Allemagne 1914-1920, Paris, CNRS éditions, 2006, 292 p., 25 €
    2. Linder-Wirsching Almut, Französische Schriftsteller und ihre Nation im Ersten Weltkrieg, Tübingen, Niemeyer, 2004, 392 p., prix non communiqué. Quinn Tom, The Traumatic Memory of the Great War 1914-1918 in Louis-Ferdinand Céline’s Voyage au bout de la nuit, Lewiston, Edwin Mellen Press, 2005, 393 p., prix non communiqué
  2. États, entre guerres et paix
    1. Greenhalgh Elizabeth, Victory Through Coalition. Britain and France During the First World War, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, 304 p., prix non communiqué
    2. Boninchi Marc, Vichy et l’ordre moral, Paris, PUF, 2006, 318 p., 28 €
    3. Harter Hélène, L’Amérique en guerre. Les villes pendant la seconde guerre mondiale, préface d’André Kaspi, Paris, Galaade, 2006, 352 p., 23 €
    4. Schirmann Sylvain, Quel ordre européen ? De Versailles à la chute du IIIe Reich, Paris, Armand Colin, 2006, 336 p., 24 €
    5. French David, Military Identities. The Regimental System, the British Army, & the British People c. 1870-2000, Oxford, Oxford University Press, 2005, 404 p., prix non communiqué
    6. « Fotografia e violenza – Visioni della brutalità dalla Grande Guerra adoggi », Memoria e Ricerca – Rivista di storia contemporanea, 20, septembre-décembre 2005, Milan, Franco Angeli, 204 p., 11,50 €
  3. Persécutions et génocides
    1. Kévorkian Raymond H., Le Génocide des Arméniens, Paris, Odile Jacob, 2006, 1 007 p., 39,90 €
    2. Minczeles Henri, Une histoire des Juifs de Pologne. Religion, culture, politique, Paris, La Découverte, 2006, 369 p., 24 €
    3. Bruttmann Tal, Au Bureau des affaires juives. L’administration française et l’application de la législation antisémite (1940-1944), Paris, La Découverte, 2006, 288 p., 23 €
    4. Schatzman Benjamin, Journal d’un interné. Compiègne – Drancy – Pithiviers, 12 décembre 1941-23 septembre 1942, préface de Serge Klarsfeld, Paris, Fayard, 2006, 736 p., 25 €
    5. Peretz Pauline, Le Combat pour les Juifs soviétiques. Washington-Moscou-Jérusalem 1953-1989, Paris, Armand Colin, 2006, 383 p., prix non communiqué
  4. Nationalisme et totalitarismes
    1. Cattaruzza Marina (dir.), La Nazione in rosso. Socialismo, Comunismo e « Questione nazionale » : 1889-1953, Soveria Mannelli, Rubettino, 2005, 334 p., 18 €
    2. Borejsza Jerzy et Ziemer Klaus (dir.), Totalitarian and Authoritarian Regimes in Europe. Legacies and Lessons from the Twentieth Century, New York, Berghahn Books, 2006, 607 p., prix non communiqué
    3. Ohayon Isabelle, La Sédentarisation des Kazakhs dans l’URSS de Staline. Collectivisation et changement social (1928-1945), préface de Nicolas Werth, Paris, Maisonneuve & Larose/IFEAC, 2006, 416 p., 35 €
  5. Le fait colonial
    1. Luizard Pierre-Jean (dir.), Le Choc colonial et l’islam. Les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, Paris, La Découverte, 2006, 546 p., 35 €
    2. Bertrand Romain, Mémoires d’empire. La controverse autour du « fait colonial », Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, « Savoir/Agir de l’association raisons d’agir », 2006, 219 p., 18,50 €
    3. McDougall James, History and the Culture of Nationalism in Algeria, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, 266 p., prix non communiqué
  6. Sciences et conscience
    1. Fleck Ludwik, Genèse et développement d’un fait scientifique, traduction française de Nathalie Jas, préface d’IIana Löwy et postface de Bruno Latour, Paris, Les Belles Lettres, 2005, 280 p., 25 €
    2. Guillemain Hervé, Diriger les consciences, guérir les âmes. Une histoire comparée des pratiques thérapeutiques et religieuses (1830-1939), Paris, La Découverte, 2006, 347 p., 26 €
    3. Edelman Nicole, Histoire de la voyance et du paranormal, du 18e siècle à nos jours, Paris, Seuil, 2006, 286 p., 21 €
  7. Formation et édition
    1. Tanguy Lucie, Les Instituts du travail. La formation syndicale à l’Université de 1955 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, 255 p., 20 €
    2. Caspard-Karydis Pénélope (dir.), La Presse d’éducation et d’enseignement 1941-1990. Répertoire analytique, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 2000-2005, 4 vol., 2345 p., 148,64 €
    3. Pavard Bibia, Les Éditions des femmes. Histoire des premières années 1972-1979, Paris, L’Harmattan, 2005, 223 p., 20,50 €
  8. Livres reçus
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2007
https://doi.org/10.3917/ving.093.0227
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