CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 En Afrique, et plus précisément dans la région côtière du Sud-Bénin, l’urbanisation n’est pas cantonnée aux grandes agglomérations. De dimension régionale, elle se diffuse le long du littoral, tout comme dans les pays voisins du golfe de Guinée. Or, le débat est aujourd’hui brûlant sur le rôle que peuvent et doivent jouer les différents acteurs politiques et sociaux face à cet étalement urbain. Quelle place réserver à l’État dans l’aménagement du territoire ? Quel rôle donner aux autorités locales dans le cadre d’une gestion urbaine décentralisée ? Quelles responsabilités octroyer aux organisations non gouvernementales dans l’administration de la ville ?

2 L’urbanisation mondiale, dont les formes de plus en plus universelles et banalisées « normalisent et uniformisent les comportements physiques et mentaux des habitants de notre planète [1] », est au centre du débat sur la « dissolution de la ville dans l’urbain ». Les distinctions ville-campagne s’estompent au sein d’espaces d’un troisième type, distendus, discontinus, hétérogènes et multipolarisés, dont la description donne lieu à une inventivité lexicale des géographes [2]. Ce phénomène a jusqu’à présent surtout été signalé dans les pays industrialisés où il est relié aux évolutions économiques post-fordistes. Il est donc courant d’imaginer que l’Afrique subsaharienne ne connaît pas ce processus de recomposition des espaces urbains. Et pourtant, on peut observer sur la carte de l’Afrique de l’Ouest, dans le golfe de Guinée, un vaste ensemble régional transfrontalier, marqué par une grande intensité des échanges marchands et migratoires et dans lequel l’urbain est un élément structurant majeur. Les Études WALTPS du Club du Sahel (West African Long Term Perspective Studies[3]) se sont penchées sur cette constellation d’agglomérations de tailles variées (petites cités précoloniales, anciens comptoirs de traite, grandes villes portuaires et capitales, villes de trafics des postes frontaliers) qui constituent l’ossature d’une région métropolisée en formation. Transversale aux États, elle est marquée par une périurbanisation généralisée qui transforme les paysages des régions rurales intercalées. Ces agglomérations littorales sont reliées par un axe de communication exceptionnel en Afrique tropicale : plus de 1 000 kilomètres de route goudronnée littorale marqués par une intense circulation de personnes et de marchandises. Dans cet ensemble régional hétérogène, on perçoit aujourd’hui des recompositions spatiales qui rompent la relation linéaire ville-campagne. Nous nous poserons plus précisément ici la question des modalités et échelles de gestion de cet espace en mutation dans le cas du Bénin.

3 La région urbaine du littoral béninois, très densément peuplée, est hautement stratégique pour ce pays dépendant de son économie portuaire et frontalière. Elle s’étire en longueur sur 125 kilomètres, couvrant une étroite plaine côtière sableuse où se succèdent d’Est en Ouest les 3 pôles historiques littoraux du Bénin : Ouidah, Cotonou et Porto-Novo, entre lesquels de véritables conurbations commencent à être visibles. Les villes débordent sur des périphéries rurales actives, bien vivantes et marquées par de multiples indices d’urbanisation. Des bourgs se transforment en petites villes, des cités-marchés apparaissent tout le long de la frontière. Partout émergent de nouveaux territoires d’échanges économiques et de quotidienneté qui outrepassent non seulement les limites villes/ campagnes mais aussi les limites frontalières, avec une consommation presque quotidienne de l’espace de la grande ville par les habitants des villages et des campagnes.

4 L’étude sera d’abord consacrée aux dynamiques d’acteurs à l’œuvre dans l’émergence et le fonctionnement concret de l’« aire métropolisée ». Sans contours administratifs clairement définis, celle-ci se dessine toutefois de manière fonctionnelle autour de trois espaces : la ville portuaire de Cotonou (capitale économique, environ 662 000 habitants en 2002) ; le noyau urbain ancien de Porto-Novo (capitale officielle, environ 218 000 en 2002 [4]) ; l’aire située en direction de la frontière du Nigeria – pays vers lequel s’orientent la plupart des flux de réexportation depuis le port de Cotonou [5] – qui voit se développer de petites villes-entrepôts (Kraké) [6]. Or, et ce sera le second temps de l’analyse, l’émergence de nouveaux territoires fonctionnels imbriquant le rural et l’urbain pose le problème de l’adéquation des découpages politico-administratifs. La question est d’autant plus cruciale que le Bénin, après avoir longuement préparé sa décentralisation sous la tutelle étroite des institutions internationales, vient tout juste de démocratiser sa vie locale : les premières élections municipales libres du pays, longtemps retardées, ont eu lieu le 15 décembre 2002, dans un cadre territorial remanié. Dès lors, dans un contexte politique encore mal stabilisé, comment peuvent émerger des « territoires de projets » dotés d’une certaine autonomie [7] et susceptibles de mobiliser la société civile dans les processus de décision ?

? « L’aire métropolisée »

5 Les espaces ruraux du Sud-Bénin, traditionnellement dédiés à une agriculture commerciale, sont les plus densément peuplés du pays, notamment autour de Porto-Novo, où ils dépassent 400 habitants au km2 dans un rayon de 40 kilomètres. La population totale des zones rurales y augmente plus rapidement que celle des chefs-lieux correspondant. Les milieux y sont variés et fragiles, marqués par la présence de zones humides, avec une succession en parallèle de cordons sableux intercalés de lacs, lagunes et marécages. L’urbanisation déborde, jusqu’à environ 40 kilomètres de la côte, où plusieurs petites villes sont dynamisées par l’influence de Cotonou et Porto-Novo : Allada, Adjohoun, Sakété notamment.

6 À elles seules, les 2 agglomérations de Cotonou et Porto-Novo, éloignées de moins de 30 kilomètres, regroupent environ 60 % de la population urbaine béninoise. Cotonou, création coloniale et ville portuaire, domine la vie économique et joue le rôle de moteur de la croissance urbaine dans le littoral, avec un taux moyen de croissance de 8,2 % entre les recensements de 1961 et 1979. Des échanges migratoires très fluides avec Lagos (Nigeria) et Lomé (Togo) ont beaucoup contribué à l’accroissement de la population de Cotonou. Beaucoup sont temporaires, soit liés au commerce, soit à des contrats de travail salarié, d’une semaine ou deux à quelques mois, pour les emplois contractuels au port ou chez les nombreux transitaires. Malgré tout, depuis les années 1990, une sédentarisation des immigrants se produit dans Cotonou et Porto-Novo. Le fort ralentissement de l’accroissement au cours des dix dernières années (3,9 % entre 1979-1992) ne doit pas masquer une autre réalité : les extensions de l’agglomération ont désormais atteint les circonscriptions limitrophes (Abomey-Calavi et Sèmè Kpodji). Le déversement de Cotonou au profit de la périphérie immédiate (lié aux contraintes de site lagunaire) a d’ailleurs commencé depuis les années 1950 avec l’absorption des villages voisins. Il ne s’est pas arrêté. Au Nord-Ouest, de véritables villes satellites, Godomey et Abomey-Calavi (autour du campus universitaire) se sont constituées et connaissent une croissance extrêmement importante.

7 Dans cette région côtière, le peuplement et le développement urbain sont anciens. Ils proviennent de la dispersion des populations Adja, parties de l’Ouest pour la côte, dans un contexte de guerres et de rivalités entre royaumes côtiers. Ainsi, de grosses agglomérations rurales ont émergé dans la basse vallée de l’Ouémé. Tout près de la côte, des bourgs et des cités, telles Ouidah et Porto-Novo, ont été créés. Ils ont bénéficié de la traite esclavagiste des 17e et 18e siècles puis, au milieu du 19e siècle, du très prospère commerce de l’huile de palme, qui contribua également au dynamisme de l’activité rurale. La vague orientale de migrations Yoruba accompagna ces créations urbaines. Or, le lustre de ces cités fut rehaussé par le retour du Brésil d’anciens esclaves, les Afro-Brésiliens ou « Aguda », après l’abolition de l’esclavage. Ils apportèrent une modernité et un savoir-faire dans le commerce ainsi que l’art de vivre dont témoigne aujourd’hui l’architecture afro-brésilienne des villes côtières de Ouidah et Porto-Novo. Leurs familles furent également pourvoyeuses des premiers cadres sur lesquels s’appuya l’administration coloniale française. Comme l’ensemble du golfe de Guinée, la zone a donc été très tôt intégrée au commerce international. Celui-ci a stimulé ses campagnes par les productions à l’exportation (huile de palme, palmistes, cocos, etc.) et ses villes par les activités d’import-export dans lesquelles Cotonou, bénéficiant de son statut de « port français [8] », réussit à s’imposer. Il y a donc là toute une dynamique ancienne, porteuse d’urbanisation du littoral qui a généré une croissance et un réseau urbains.

8 À mi-chemin entre Cotonou et la frontière nigériane, un peu en retrait au Nord de la lagune, Porto-Novo a l’épaisseur et la diversité sociale d’une ancienne cité fondée à la fin du 18e siècle. Ville royale et comptoir de traite négrière, puis centre commercial et administratif de la première implantation coloniale, elle se développe à la fin du 19e siècle grâce aux immigrations afro-brésilienne et yoruba. L’ancienne ville est encore repérable aujourd’hui grâce à ses ruelles tortueuses ou ses placettes de collectivités familiales. Sa population augmente plus lentement que celle de Cotonou (2,30 % seulement entre 1979 et 1992). Mais on observe un rapide phénomène de redistribution et d’étalement spatial : la population des quartiers centraux diminue, celle des quartiers péricentraux stagne, tandis que d’anciens petits villages sont devenus de gros quartiers périphériques, et que le mitage urbain s’étend dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres. Le glissement très sensible de l’urbanisation hors des limites de la circonscription est lié à un double phénomène : le déplacement résidentiel des classes moyennes et aisées hors des vieux quartiers centraux traditionnels et la construction massive de lotissements de villas familiales, associée à la forte diffusion des transports motorisés. Dans cette mouvance se forme, à une dizaine de kilomètres au Nord-Est, une petite ville satellite, Adjarra (9 000 habitants), qui sort progressivement de sa ruralité.

? Une conurbation en formation

9 L’interconnexion des localités et l’influence des villes sur les campagnes se sont amplifiées grâce au développement des moyens de communication. Cotonou est étroitement connectée aux autres villes du littoral : elle leur est reliée par une bonne route (goudronnée déjà en 1951 pour Cotonou-Ouidah et Cotonou-Porto-Novo), par le chemin de fer, par la lagune (Cotonou-Porto-Novo et Cotonou-Ouidah) et, depuis 1951, par des lignes téléphoniques. Le long de ces axes de communication, se développent diverses formes d’urbanisation linéaire, renforcées par l’implantation d’équipements ou services techniques de l’État. Une hiérarchie s’établit au sein de ces « entre-villes » autour des critères de distance, de trafic, de taille de la ville et de liaison avec la frontière. Le cas exemplaire est la conurbation en cours de formation entre Cotonou et Porto-Novo, ouverte sur la frontière avec le Nigeria. Les deux villes sont distantes de 30 kilomètres seulement, desservies par une bonne route goudronnée (transformée en l’an 2000 en autoroute à 4 voies), avec plus de 20 000 véhicules/jour, flanquée après 20 kilomètres d’une bifurcation vers la frontière nigériane. Le paysage est celui de l’alignement d’un nombre important d’entrepôts de marchandises et de parcs d’automobiles en attente de réexportation vers le Nigeria, de quelques industries, de grands équipements et de lotissements modernes. Sur 3 projets en compétition pour l’extension du port de Cotonou, deux s’orientent actuellement vers cette zone ; la création d’une zone franche industrielle y est prévue (sur investissement d’un groupe chinois), à mi-chemin entre Cotonou et la frontière.

10 À plusieurs dizaines de kilomètres de cet axe, toutes les campagnes portent très nettement les traces d’une périurbanisation résidentielle : de nouvelles formes d’habitat moderne s’y multiplient et, parmi elles, des constructions d’allure ostensiblement citadine et visiblement coûteuses. Le paysage rural y est marqué par de nombreuses maisons en dur, des parcelles défrichées mais non cultivées, signalées par des panneaux indiquant le nom de nouveaux propriétaires originaires de Cotonou ou Porto Novo, exerçant des professions non agricoles. On achète souvent des terrains pour avoir de l’épargne foncière en prévision des vieux jours. Ainsi, les achats de terrain, par les citadins de Porto-Novo, dans les zones rurales autour de localités situées dans un rayon de 30 kilomètres, sont entrés dans les habitudes. Dans l’aire comprise entre le port de Cotonou et l’immense marché de Lagos, la spéculation foncière provoque aussi, dans les zones les plus convoitées, un gel de l’activité agricole et une mise en construction de zones fragiles. La vente de parcelles apparaît aux propriétaires terriens autochtones comme une opportunité économique plus rémunératrice que l’agriculture, surtout dans le contexte de diversification des activités rurales, et ce d’autant plus qu’une bonne partie des terres de cette région sont mises en valeur par des non-propriétaires fermiers ou métayers.

? Une économie intégrée

11 L’économie s’affirme comme un moteur de la métropolisation littorale : même les localités ayant, en apparence, conservé un mode de vie traditionnel (campements et villages lacustres de pêcheurs, etc.) participent à l’économie urbaine et à ses changements socio-culturels. Ces espaces périurbains se constituent de plus en plus comme les bassins vivriers de la ville. Dans les zones les plus fertiles, on constate une désaffection à l’égard de la palmeraie traditionnelle, au profit de productions maraîchères qu’il devient plus intéressant de commercialiser directement en ville sur l’énorme marché international de Dantokpa à Cotonou (30 000 emplacements), une partie importante étant orientée également vers Lagos. La production des villages de pêcheurs de la basse vallée de l’Ouémé et du lac Nokoué est aussi dirigée prioritairement au marché de Dantokpa. Dans le lac Nokoué un hectare d’acadja (parc à poissons constitué de branchages) a pu produire 1,5 tonne de poissons en 1993 et rapporter 405 000 francs CFA de recettes nettes. Et la pêche dans un acadja peut se renouveler une ou deux fois dans l’année. Un tel revenu, lié aux échanges avec la ville, ne manque pas d’induire une forte compétition, des inégalités et une fragmentation spatiale et sociale croissantes dans toute la région.

12 L’intégration de l’économie rurale à l’économie urbaine est ici fortement accentuée par les effets conjugués du port et de la frontière. La proximité de cette dernière, ainsi que le différentiel monétaire entre le franc CFA et le naira, génèrent un fort trafic de revente de carburant et de produits manufacturés [9] importés frauduleusement du Nigeria à travers de multiples pistes de contrebande traversées par un va-et-vient incessant de motos-taxis lourdement chargées. La contrebande alimente un secteur informel très dynamique, source de revenus d’une grande partie de la population (urbaine et rurale), stimulant tout un réseau de bourgs et marchés frontaliers. Les revenus ainsi acquis contribuent à alimenter le marché du foncier. Le dépouillement de fichiers de lotissements périurbains de Porto-Novo signale d’ailleurs que, parmi les acquéreurs, se trouvent de nombreux douaniers.

13 Les activités du monde rural, qu’elles relèvent de la production agricole ou de la revente de produits manufacturés, sont de plus en plus tournées vers la clientèle citadine, y compris celle des nouveaux rurbains, en train d’équiper leurs logements ou ayant conservé des pratiques citadines de consommation. Ainsi, sur les marchés des bourgs périurbains, l’offre de produits agricoles de base tend à diminuer au profit de produits de consommation (produits cosmétiques, ventilateurs, ampoules néon etc.), attestant à la fois du changement sociologique des populations et de l’apparition de catégories à plus fort pouvoir d’achat. En outre, dans les villages périurbains, à l’image des villes, la vente de denrées alimentaires se pratique de plus en plus dans des marchés nocturnes, tenant ainsi compte des migrations pendulaires et des retours tardifs des travailleurs.

? Une aire de mobilités

14 L’ensemble de la région est en effet marqué par une intense mobilité quotidienne. Même à l’écart des « goudrons », de larges pistes en terre régulièrement entretenues et un chevelu de pistes et de sentiers irriguent les villages et les campagnes, grâce à la généralisation du transport individuel par taxi-moto, appelé zémidjan, qui raccourcit les temps de transport et individualise les parcours de passagers et de ballots de marchandises. À la fois « activité socio-économique » et « fait de société [10] », la diffusion du transport par zémidjan commence à Porto-Novo vers 1976, et se généralise peu à peu à partir de la fin des années 1980. Leur nombre est aujourd’hui évalué à 120 000 dans tout le Bénin. Ce mode de transport absorbe le sous-emploi des jeunes ruraux, et notamment des diplômés sans emploi. Il prospère grâce à des tarifs très bas, favorisés par la facilité d’approvisionnement en motos et pièces de rechange d’occasion – importées par le port de Cotonou – et en carburant. Très peu cher, celui-ci est importé frauduleusement du Nigeria en suivant les pistes et sentiers frontaliers (les bidons sont justement chargés… sur les taxis motos). La plupart des villages des zones périurbaines possèdent une « station » de zémidjans, gérée par une association qui régule la concurrence, garantissant à chacun quelques courses dans la journée. Les municipalités ont aussi organisé autour de cette offre de service une source de revenus pour leur budget. De nombreux conducteurs partent presque quotidiennement travailler en ville, « n’hésitent pas à parcourir 30, 40, 50 kilomètres chaque jour pour le travail qu’ils n’ont pas dans leur village d’origine [11] » et reviennent avec un peu du style et du mode de vie citadins.

15 Les migrations de travail, qui entretiennent la quotidienneté de l’espace métropolisé, concernent des salariés, des fonctionnaires, mais aussi des artisans et de petits entrepreneurs du secteur dit informel (maçons, briquetiers, peintres, etc.) qui quittent Porto-Novo, Ouidah et les zones rurales pour aller travailler chaque jour à Cotonou. S’ils participent à la production dans le secteur des BTP dans la métropole, ils consomment et créent aussi une demande de l’urbain dans la campagne.

? Des changements socio-économiques et culturels

16 Le processus de métropolisation n’est pas seulement un fait physique ou économique. L’urbanisation diffuse des campagnes invite aux changements sociaux, à la diversification des pratiques, des modes de vie, des formes de pensée… Et c’est ce qui fait sa complexité, car elle se met en place dans le cadre d’un jeu d’acteurs multiples. Le développement récent et rapide d’une offre de commerces et de services variés répondant aux besoins de ces nouveaux habitants d’origine citadine est l’un des signes d’effervescence et de dynamisme de ces espaces : photocopies-bureautique, buvettes, restaurants, confection de vêtements, salons de coiffure, studios photographiques se multiplient par dizaines dans chacune des localités villageoises de la zone, et même entre les localités le long des pistes ou aux carrefours. Beaucoup sont fondés par d’anciens citadins (re)venus s’installer au village périurbain, mais beaucoup témoignent aussi du développement d’une pluriactivité nouvelle ou d’investissements immobiliers chez les autochtones. En moins de 2 ans, la possibilité technique de télécommunication mobile à proximité de Cotonou a brusquement rompu l’isolement téléphonique de ces campagnes ; on observe d’abord l’équipement rapide de certains commerces et hôtels buvettes, ainsi que la création de nombreuses « cabines » privées.

17 Ces transformations s’accompagnent d’un double processus d’individualisation et de nouvelles formes de convivialité hors du champ traditionnel de la parenté, à travers l’émergence de cultures à caractère trans-ethnique et moderne qui se manifeste, entre autres, par des modes vestimentaires, la diffusion des musiques pour jeunes, et surtout l’accueil réservé aux nouveaux mouvements religieux et à l’islam, traditionnellement très minoritaire dans cette région. Les campagnes en voie d’urbanisation du Sud-Bénin sont ainsi marquées par un net recul des fidèles de religions coutumières et une véritable explosion des nouveaux cultes qui viennent se juxtaposer sans conflit majeur avec les sanctuaires vodoun : catholiques, méthodistes, cultes néo-traditionnels, églises prophétiques (chrétiens célestes, chérubins séraphins), pentecôtistes, Assemblée de Dieu, etc. L’insertion des cultes nouveaux dans des zones périurbaines encore peu peuplées traduit parfois de simples stratégies foncières des Églises. Mais l’abondance des implantations cultuelles révèle surtout l’importante mutation sociale et résidentielle que connaissent ces espaces devenus concurrentiels, comme le montre l’empilement de panneaux indicateurs d’églises aux carrefours [12]. Malgré une indéniable compétition, ces églises chrétiennes entretiennent des liens œcuméniques, qui s’expriment par de fréquents échanges d’invitations. De son côté, l’islam avance également, par les réseaux commerciaux, bien qu’il y reste très minoritaire en effectifs de fidèles : 13,71 % de musulmans dans le département de l’Ouémé, 25 % à Porto-Novo, du fait de la présence de communautés yoruba anciennes et puissantes, liées à l’urbanisation. Les lieux de culte sont cependant de plus en plus nombreux : de multiples mosquées se construisent dans les villes du littoral, activement financées par des particuliers (riches commerçants yoruba) ou par la coopération libyenne. Le canal religieux conduit inexorablement à la ville parce que les citadins y viennent pour demander la guérison spirituelle et parce que le contact est permanent avec l’église mère située en ville.

18 Enfin, d’innombrables associations (associations de développement des communes, associations de ressortissants des villages périurbains, ONG, œuvres sociales des églises) jouent un rôle actif dans les transformations sociales et les aménagements de l’espace. Par exemple, dans le bourg d’Ekpè, situé à 15 kilomètres de Cotonou, la réhabilitation des pistes est impulsée par l’État et financée à 85 % par la Banque islamique de développement ; l’association de développement Miwa [13], créée en 1990 à l’initiative de quelques notables (la plupart installés à Cotonou), joue un rôle actif dans la conception, le financement et la gestion d’équipements de proximité (électrification, aménagement de la voirie, gestion des carrières de sable). Dans la même localité, une radio locale d’initiative individuelle (radio espérance FM-Ekpè), animée par un groupe de jeunes diplômés autour d’un actif animateur bénévole, se cherche une légitimité en s’associant à des actions de prévention sanitaire ou environnementale [14].

? État, décentralisation, injonctions internationales : le jeu des pouvoirs sur la gestion de l’espace métropolisé

19 L’organisation administrative rigide (en préfectures, sous-préfectures, et circonscriptions urbaines ayant rang de sous-préfectures, dont les responsables sont nommés par le ministère de l’Intérieur), héritée de la colonisation, et même les tendances actuelles de la décentralisation, qui privilégient l’échelon communal, ne tiennent guère compte de ces solidarités fonctionnelles existant à l’échelle régionale dans l’espace métropolisé. L’inadéquation du maillage administratif est particulièrement évidente dans la gestion des effets de l’urbanisation extensive sur les espaces agricoles, les zones humides et un rivage marin fragiles. D’autre part, les évolutions de l’administration territoriale béninoise sont contradictoires, dans une tension entre interventionnisme de l’État et décentralisation, entre injonctions internationales parfois divergentes (Banque mondiale, coopérations bilatérales) et dynamiques locales.

20 Quatorze ans après le retour à la démocratie au Bénin, il faut voir la décentralisation sous l’angle d’une innovation radicale, très largement impulsée par des coopérations bilatérales européennes, notamment celle de la France et de l’Allemagne. La réforme – minutieusement préparée sous l’égide des bailleurs – est entrée en vigueur après les élections municipales de décembre 2002. Sur ce point, le Bénin est très en retard par rapport à tous les autres pays d’Afrique de l’Ouest. Ce retard lui permet cependant de bénéficier de l’expérience acquise et capitalisée, notamment, par le Partenariat pour le développement municipal (PDM), qui regroupe 15 associations nationales de pouvoirs locaux de pays africains et leurs principaux bailleurs de fonds [15], et dont le siège régional se trouve justement à Cotonou. Entamée depuis la Conférence nationale de 1990, cette réforme est arrivée à son terme après un parcours laborieux. En décembre 1990, la constitution fonde le principe de la libre administration des collectivités territoriales. En janvier 1993, des États généraux de l’administration territoriale en définissent les principes fondamentaux. En mai 1995, un projet de loi d’orientation porte sur l’organisation de l’administration territoriale au Bénin. En 1997 sont successivement créées la direction générale de l’Administration territoriale (DGAT), puis la mission de Décentralisation (MD) et enfin la Maison des collectivités locales (MCL). Il faut pourtant attendre encore deux années (1999) pour que soient votées et promulguées les lois de décentralisation.

21 Les lois de 1999, portant organisation de l’administration territoriale en République du Bénin, maintiennent le niveau du département, dirigé par un préfet. Les actuelles sous-préfectures sont érigées en communes administrées par un maire assisté d’un conseil communal élu au suffrage universel. La loi fixe l’autonomie de la commune par la possibilité de voter son budget et de bénéficier du concours financier d’ONG et de collectivités décentralisées d’autres États. Les recettes devraient provenir de la taxe de développement local prélevée sur les productions locales, du reversement aux communes par l’État d’une quote-part de la taxe touristique, de la taxe sur les véhicules à moteur et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Pour éviter les trop grandes disparités, un système de péréquation est prévu, par le biais d’un Fonds de solidarité intercommunal, ainsi que par la création d’une institution de financement des collectivités locales octroyant des prêts à des taux préférentiels.

22 Parallèlement au projet de décentralisation, plusieurs programmes, impulsés par la Banque mondiale et soutenus par les coopérations française et allemande, visent à améliorer les modalités de gestion des circonscriptions urbaines en proposant l’amélioration de la fiscalité, la transparence des budgets, une meilleure formation des cadres territoriaux etc. Dernier en date, le PGUD (Programme de gestion urbaine décentralisée) a permis d’augmenter substantiellement les budgets des villes en supprimant la « ristourne » sur les recettes affectées jusqu’alors aux préfectures et, surtout, en instaurant le reversement aux circonscriptions urbaines d’une part de la TVA et d’une taxe sur les importations (improprement appelée taxe de voirie) [16]. Les deux taxes représentent, par exemple, plus de la moitié des recettes de la circonscription urbaine de Porto-Novo en 2001. Les recettes de Porto-Novo sont ainsi passées de 300 millions de francs à plus d’1 milliard en 2001 [17]. Mais il s’agit de reversements émanant de l’État : à long terme, l’amélioration du recouvrement fiscal local [18] et des recettes propres [19] des communes constitue toujours une nécessité prioritaire [20].

23 Malgré l’existence de ce dispositif législatif, très étroitement encadré et appuyé par les institutions internationales, la décentralisation n’était entrée en vigueur qu’avec les élections municipales. Or, celles-ci, promises depuis la Conférence nationale, ont été plusieurs fois ajournées (en 1999 et en 2000), sans doute pour des raisons politiques (crainte du gouvernement de voir les grandes villes échapper au contrôle de la majorité gouvernementale). Si bien que, jusqu’à la date des élections du 15 décembre 2002, les circonscriptions urbaines n’étaient encore que de simples échelons de l’administration territoriale centrale dont les chefs étaient nommés par décret pris en Conseil des ministres. Ce retard de la démocratie locale traduit également les tensions entre deux modèles. Le premier, émanant des pays européens, fait passer l’existence d’un gouvernement représentatif des communes comme un préalable indispensable. Le deuxième, celui d’une gouvernance locale, prôné par la Banque mondiale, est davantage fondé sur la recherche d’une gestion efficace associant les secteurs public et privé et la participation sollicitée (au cas par cas) de la société civile, incarnée par les nombreuses associations et ONG ancrées à l’échelon des quartiers et des villages périurbains. Si l’on poussait à l’extrême ce modèle de bonne gouvernance (qui oriente tous les grands programmes financés par la Banque mondiale), les élections municipales ne seraient plus nécessaires dans la mesure où une bonne partie des activités de gestion des territoires y est orientée par des acteurs internationaux, externalisée auprès d’acteurs privés et où la démocratie participative, appliquée à la lettre, vide un peu de sa substance le pouvoir politique local. D’ailleurs, plus que la Banque mondiale, il est significatif que ce soient les coopérations bilatérales européennes, directement associées à la mise en place de la décentralisation (GTZ, coopération française) qui aient fait pression pour accélérer la mise en route concrète du processus de démocratisation de la vie politique locale. À tel point que, fin 2001, l’ambassade de France à Cotonou évoquait la suspension de la coopération urbaine française si des élections n’étaient pas organisées, gelant tous les projets urbains en cours. Ces pressions ont fini par aboutir : en janvier 2002, enfin, le Conseil des ministres annonçait la tenue d’élections municipales pour décembre 2002.

? Régulations ou co-gestion intégrée de la zone littorale ?

24 Depuis 2002, la promotion exclusive des communes comme échelons de pouvoir, associée à la participation comme clé de la prise de décision locale, fait cependant craindre l’accentuation des pratiques patrimoniales et localistes déjà observées, lourdes de risques dans des milieux fragiles. La pression urbaine exercée sur le littoral s’accompagne de nombreux effets sur les différents écosystèmes, révélateurs de la nécessité de promouvoir une gestion rationnelle, et régionale intégrée. Les villes de Cotonou et Porto-Novo rejettent leurs déchets solides et liquides dans les zones périurbaines sans véritables études d’impact : décharges ménagères, lieux de dépotage des déchets fécaux font courir un risque aux nappes phréatiques, très proches de la surface dans la plaine côtière. On peut citer de nombreux autres cas d’atteintes à l’environnement dans lesquels les acteurs locaux ont une grande part de responsabilité [21]. De même, il est aujourd’hui indispensable d’arrêter ou de réduire les prélèvements anarchiques et intensifs du sable marin le long des côtes entre Cotonou et Porto-Novo, dans l’actuelle sous-préfecture de Sèmè-Kpodji, dans la mesure où ils contribuent très fortement à provoquer ou aggraver une érosion côtière destructrice. Mais ces carrières littorales, dynamisées par le marché de la construction urbaine, absorbent localement le sous-emploi des jeunes et fournissent des recettes aux communes rurales qui perçoivent des taxes sur leur exploitation, alimentant aussi les caisses personnelles de notables locaux.

25 Actuellement, la « course aux lotissements » comme source de recettes pour beaucoup de communes montre également les dérives possibles du « tout local ». La procédure de lotissement public, qui vise normalement à endiguer la spéculation produit l’effet inverse en encourageant la course au foncier. Le lotissement, obligatoire pour l’octroi d’un permis d’habiter apportant une certaine garantie en matière de sécurité foncière, est réalisé à titre onéreux par l’Institut géographique national ou par des cabinets de géomètres privés, sous l’autorité indirecte du ministère de l’Habitat (maîtrise d’ouvrage déléguée accordée à la SERHAU SA, une agence financée par la Banque mondiale). La procédure comporte une phase d’inventaire foncier (état des lieux), un remembrement visant à libérer des emprises foncières afin d’y implanter des voies et des équipements non prévus au départ, un cadastrage des parcelles et un recasement des propriétaires expropriés, ainsi que le dessin d’un réseau viaire géométrique [22]. En pratique, c’est plutôt une opération de régularisation, très demandée par les collectivités villageoises et par les notables, et dont la simple annonce entraîne une hausse de la valeur des terres. Il n’est pas rare de voir des pressions – politique, de parenté, d’appartenances ethniques, religieuses etc. – s’exercer sur les autorités politiques et administratives pour obtenir le lotissement et la viabilisation. Les lotissements sont donc des moments cruciaux dans la dynamique de périurbanisation, soumis à de forts enjeux économiques locaux, et minés par la corruption notoirement connue de certains opérateurs, avec des conséquences sur l’urbanisme, dénaturé et réduit à un simple exercice de tracés géométriques.

26 La préservation des équilibres régionaux face à ces acteurs implique donc des ajustements entre logiques locales et intérêt général. Et la question se pose des régulations et/ou du rôle spécifique de l’État et de son arbitrage souverain sur un territoire qui dépasse l’échelle locale. Actuellement, à lire les nombreux rapports concernant la région littorale, il semble que le Bénin oscille entre deux options, sous l’influence de bailleurs de fonds et d’experts nationaux parfois divergents. Certains continuent à prôner la gouvernance participative, largement fondée sur les institutions coutumières, les associations et les ONG. D’autres, proches du gouvernement actuel, affichent le souci de préserver les prérogatives souveraines de l’État. Ils n’hésitent pas à fustiger le rôle négatif des ONG : « L’action de ces ONG est désormais considérée par les collectivités de base comme la solution miracle à tous leurs problèmes » ; « L’intervention des ONG à la base, non seulement déresponsabilise les populations mais aussi aggrave la politique de la main tendue. » Ils dénoncent leur surenchère clientéliste en lien avec les partis politiques qui « font pression sur certaines ONG pour qu’elles acceptent de s’implanter dans leurs fiefs électoraux [23] ». Un compromis émerge toutefois autour d’une « co-gestion du territoire ». Celle-ci est clairement posée, par exemple, à propos de la gestion environnementale des côtes, dans le Livre blanc du schéma directeur du littoral publié en 1999. L’ouvrage prône un modèle de démocratie participative et fustige « la conception erronée qui veut que l’État soit le seul responsable de la gestion de l’espace environnemental » et fournit des pistes : « En application du principe de défense de l’intégrité territoriale et exerçant ses attributions de garant de la solidarité nationale, l’État pourrait-il continuer, en partenariat avec les collectivités décentralisées, à protéger l’écosystème marin [24] ? » Selon ce principe, l’exercice du pouvoir local ne devrait donc pas se soustraire à l’approche intégrée prônant l’articulation entre la loi-cadre et l’appel à la participation, y compris en s’appuyant sur des instances de régulation et de conciliation traditionnelles. En voici deux exemples : à propos des litiges, « la conciliation qui correspond à la voie traditionnelle de règlement des conflits au service des communautés, apparaît comme la voie la plus acceptée » ; à propos de l’aménagement côtier, « une loi “littoral” pour réglementer l’occupation des cordons sableux et les marais s’avère nécessaire pour protéger la valeur paysagère et garantir les fonctions naturelles de ces espaces [25]. »

27 C’est dans cette perspective que, depuis les élections municipales de 2002, l’intercommunalité « visant à donner aux collectivités locales un véritable territoire plus fonctionnel […] pour l’émergence des pouvoirs locaux » est envisagée. Sous l’impulsion des coopérations bilatérales européennes, le Bénin est découpé en 22 régions géographiques intitulées pays, susceptibles de constituer les cadres institutionnels de nouvelles synergies. Mais, la rigidité du découpage, et l’ajout d’un échelon supplémentaire ont surtout eu, pour l’instant, comme conséquence d’alimenter les comportements localistes.

? Le rôle ambigu d’un pouvoir central « sous contrôle »

28 Malgré ces déclarations d’intention et ces mesures, l’État demeure le seul acteur d’aménagement d’envergure régionale. C’est le cas pour les équipements nationaux programmés (autoroute Cotonou-frontière, extension du port, projet de zone franche). Le programme d’infrastructures et d’équipements – réseau d’électricité, réseau d’adduction d’eau, amélioration de l’infrastructure routière – dépend de lui. Tout comme la réglementation drastique des procédures de lotissements et de régularisation foncière et la législation récente en matière d’aménagement du territoire et de protection des écosystèmes, inspirée par le modèle français (comme la loi-littoral).

29 Cet interventionnisme peut sembler paradoxal car, au Bénin, comme dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest, l’aide internationale liée au post-ajustement structurel a longtemps encouragé un retrait de l’État. Elle s’accompagne, par ailleurs, d’une externalisation de pans entiers de la gestion des territoires par la création d’agences de statut autonome, directement financées par la Banque mondiale, qui doublent systématiquement les services des ministères concernés [26]. Ainsi, la SERHAU (Société d’études régionales et d’aménagement urbain), créée en 1986 et placée à l’origine sous la tutelle directe du ministère de l’Équipement, a été transformée en un organisme doté d’une personnalité morale et de l’autonomie financière (avec statut de société mixte, puis anonyme depuis un an), susceptible de recevoir délégation de la maîtrise d’ouvrage publics de l’État ou des collectivités territoriales. Aujourd’hui, la SERHAU est devenue incontournable pour les opérations de lotissement, la réalisation d’études urbaines, les schémas directeurs d’urbanisme, etc. En outre, les études et les plans de gestion intégrée de la région urbaine littorale sont élaborés sous la maîtrise d’ouvrage déléguée de ces agences nationales (par exemple l’Agence béninoise pour l’environnement, ABE). Ils sont donc étroitement inspirés par des bailleurs de fonds internationaux. On peut citer le Profil de la zone côtière du Bénin (1998), le Schéma directeur de l’aménagement du littoral (SDAL, 1999). Quant aux nombreuses études réalisées par le Programme d’aménagement des zones humides (PAZH), elles ont pointé l’acuité du risque écologique dans cette région et démontré la pertinence de l’approche par le système dans la gestion de l’urbanisation du littoral.

30 Depuis quelques années, la nécessité de stratégies globales, surtout dans le contexte régional particulier du Sud-Bénin et, à une échelle plus large, du golfe de Guinée et des pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, amène néanmoins les institutions internationales à prôner un certain retour de l’État. Dans la région, le Partenariat pour le développement municipal a ainsi entrepris la relance de politiques d’aménagement du territoire : « La décentralisation est souvent conçue comme un processus de désengagement de l’État dans un certain nombre de domaines. Elle implique cependant un nouveau rôle de sa part, recentré sur ses fonctions régaliennes et sur un rôle de redistribution, de solidarité nationale et de définition d’une stratégie globale [27]. »

31 On observe donc, au Sud-Est du Bénin, l’émergence d’un vaste territoire d’échanges économiques quotidiens qui dépasse non seulement les limites villes/campagnes mais aussi les limites frontalières, dans un espace très densément peuplé et hautement stratégique pour le pays, mais où manquent les outils de gestion intégrée. La décentralisation requalifie l’échelon des actuelles sous-préfectures en communes, mais, bien que le principe en ait été reconnu, la loi n’est pas explicite sur les formes de solidarités intercommunales et de régulations régionales, qui seraient ici nécessaires. Les communes actuelles deviennent de simples arrondissements sans personnalité juridique. Cependant, l’on peut s’inquiéter des dérives possibles d’un modèle (diffusé par la Banque mondiale) qui prône une gouvernance surtout fondée sur l’échelon local et peut accentuer diverses formes de clientélisme susceptibles d’aggraver les pratiques territoriales rentières des communautés. Les tendances de l’évolution actuelle en matière d’administration territoriale sont donc contradictoires. D’une part, l’interventionnisme public demeure important dans une région hautement stratégique pour le pays et qui nécessite une gestion globale. De l’autre, les orientations publiques sont dépendantes des bailleurs de fonds, et si la Banque mondiale continue à prôner une forme de gouvernance faisant largement appel aux communautés très localisées, les coopérations occidentales ont commandité plusieurs études récentes posant à la fois la question de l’intercommunalité (2001) et celle de la relance d’une politique d’aménagement du territoire dirigée par l’État. Plusieurs modèles d’administration territoriale se confrontent, dans un contexte de transition politique sous haute influence internationale.

32 ?

Notes

  • [1]
    Thierry Paquot (dir.), « Le xx e siècle, de la ville à l’urbain », numéro spécial d’Urbanisme, 309, novembre 1999.
  • [2]
    La « métapole » de François Ascher, le « tiers-espace » de Soja, la « région métropolisée » de Jean-Paul Ferrier etc. L’ensemble de la bibliographie est fourni à la fin de l’article.
  • [3]
    Notamment B. Kalasa, « Description du peuplement en Afrique de l’Ouest. Commentaire de la base de données », Club du Sahel, Document de travail n° 2 SAHID (93) 410, 1993, 124 p + annexes ; Jean-Marie Cour, « Analyse démo-économique rétrospective et esquisse d’image démo-économique à long terme de la région Afrique de l’Ouest », Club du Sahel, Document de travail n° 3 SAHID (93) 411, 1994, 80 p + annexes.
  • [4]
    INSAE, Recensement national de la population réalisé en février 2002.
  • [5]
    Le trafic du port de Cotonou est très déséquilibré, essentiellement voué au transit et à la réexportation vers les pays voisins.
  • [6]
    Recherche menée dans le cadre d’un programme CAMPUS entre l’université de Provence et l’université nationale du Bénin.
  • [7]
    Françoise Gerbaux (dir.), Utopie pour le territoire, cohérence ou complexité ?, Paris, Éditions de l’Aube, 190 p.
  • [8]
    Construction du Wharf en 1891 achevé en 1899 et du port autonome en 1965 après l’indépendance.
  • [9]
    Les transactions en provenance du Nigeria portent essentiellement sur les produits pétroliers et les biens de consommation courante (boissons, poudre à laver, articles en matières plastiques, matériels électroménagers, pièces détachées, etc.) ; les produits de réexportation de Cotonou vers le Nigeria sont le riz, les alcools, la friperie, les voitures d’occasion, etc.
  • [10]
    N. Agossou, « La diffusion des innovations. L’exemple des zémidjans à travers l’espace béninois », 2001, note de recherche à paraître dans les Cahiers de géographie du Québec.
  • [11]
    Jean-Sébastien Minère, Les activités de transport (taxis collectifs et taxis-motos) et leurs impacts dans la région de Porto-Novo (Bénin), mémoire de maîtrise de géographie, université de Provence, 96 p.
  • [12]
    Cf. Jean-Claude Barbier et Élisabeth Dorier-Apprill, « Cohabitations et concurrences religieuses dans le golfe de Guinée, le sud-Bénin, entre vodun, islam et christianismes », Bulletin de l’association des géographes français, n° spécial, R. Pourtier (dir.), « Géopolitiques africaines », juin 2002, p. 223-236.
  • [13]
    En langue xwula, miwa signifie, « venez pour qu’on puisse travailler ensemble ».
  • [14]
    Élise Ladurelle, Les dynamiques périurbaines dans la région urbaine de Cotonou-Porto-Novo, cas des localités d’Ekpè, Djeffa et Podji, maîtrise de géographie, université de Provence, juin 2002.
  • [15]
    Agence canadienne de développement international, Banque mondiale, Centre des Nations Unies pour les Établissements Humains, Coopération Française, Union Européenne.
  • [16]
    Ainsi appelée parce que sa recette devait être affectée à l’entretien de la voirie des communes. Instaurée en 1990, elle n’avait en fait jamais été utilisée et « dormait » au Trésor public. 80 % sont désormais reversés aux 3 circonscriptions urbaines et 20 % aux autres communes. Pour la TVA c’est le contraire, 20 % sont reversés aux trois circonscriptions urbaines.
  • [17]
    Le budget 2001 a été exceptionnellement faste du fait du versement de certains arriérés de cette taxe.
  • [18]
    Les recettes fiscales des circonscriptions urbaines proviennent de la taxe professionnelle, de la taxe foncière, des patentes et licences, au total environ un quart des recettes de la circonscription urbaine en 2001.
  • [19]
    Les « recettes propres » proviennent surtout des produits du patrimoine communal (diverses taxes sur les taxis, les marchés, les prestations fournies par la circonscription urbaine). Elles représentent environ 15 % des recettes de la circonscription urbaine en 2001.
  • [20]
    Serhau Sa-PGUD, Rapport d’activités au 31 octobre 2001, p. 10.
  • [21]
    Contaminations par les usines situées non loin de la mer, des lacs et lagunes (phosphate de Kpémè au Togo, Société béninoise de textile, industrie de corps gras au Bénin, savonnerie de Porto Novo, usines d’épuration privées).
  • [22]
    Direction de l’Urbanisme, ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme (MEHU), 2000.
  • [23]
    John O. Igue (dir.), La problématique de l’intercommunalité dans le fonctionnement des communes béninoises, LARES, Bureau de la coopération de l’ambassade de Suisse, Cotonou, 2001, 246 p., p. 18-19.
  • [24]
    S. N. Tomety (dir.), Inventaire et diagnostic pour la préparation du schéma directeur d’aménagement du littoral (SDAL), Livre blanc, ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme-Agence béninoise pour l’environnement, 1999, 180 p.
  • [25]
    SDAL, Livre Blanc, 1999, op. cit.
  • [26]
    Des agences existent dans tous les domaines de l’aménagement : SERHAU pour l’urbanisme, AGEFIB (Agence de financement des initiatives de base) pour les actions en milieu rural et périurbain, ABE pour l’environnement, AGETUR pour les travaux publics, etc. On trouve des agences similaires dans tous les pays africains.
  • [27]
    C. Alvergne, « La relance des politiques d’aménagement du territoire en Afrique sub-saharienne », PDM, 2001, http:// www. pdm-net. org/ french/ activites/ amenagement. htm.
  • [*]
    Élisabeth Dorier-Apprill, agrégée de géographie et ancienne élève de l’ENS de St Cloud, est maître de conférences en géographie à l’université de Provence. Elle est rattachée au laboratoire Population-Environnement (UMR 151) et est également membre de l’Institut Universitaire de France. Derniers ouvrages parus, avec A. Kouvouama et C. Apprill, Vivre à Brazzaville, modernité urbaine et crise au quotidien, Paris, Karthala, 1998, 384 p. ; Vocabulaire de la ville, notions et références, Paris, Éditions du Temps, 2001, 190 p. Ses recherches en cours portent sur les dynamiques de villes moyennes d’Afrique Noire (Mali, Bénin).
  • [**]
    Étienne Domingo, géographe, est maître assistant à l’université d’Abomey-Calavi à Cotonou. Il est directeur du département de recherches en sciences humaines et sociales au Centre béninois de la recherche scientifiques et techniques (CBRST). Il est également co-responsable du programme CORUS, « Les dynamiques territoriales dans une région en émergence. La région urbaine du littoral du Bénin », et consultant, notamment auprès du Partenariat pour le développement municipal (PDM) et du Programme d’aménagement des zones humides (PAZH- Cotonou). Il a participé à la rédaction du document « Politique et stratégies d’aménagement du territoire pour le Bénin » paru en 2001.
Français

Résumé

On s’intéresse ici aux dynamiques d’acteurs qui régissent l’émergence et le fonctionnement concret de la région urbaine du littoral béninois, entre Cotonou et Porto-Novo et en direction de la frontière du Nigeria. Les différentes échelles du fait urbain, ainsi que l’émergence de nouveaux territoires fonctionnels imbriquant les espaces rural et urbain, posent ici la question de l’adéquation des découpages politico-administratifs aux transformations urbaines. La question est d’autant plus cruciale que le Bénin, après avoir longuement préparé sa décentralisation sous la tutelle étroite des institutions internationales, a connu ses premières élections municipales libres, longtemps retardées, en décembre 2002. Dans un cadre territorial remanié mais aussi dans un contexte politique encore mal stabilisé, comment peuvent émerger des « territoires de projets » dotés d’une certaine autonomie et susceptibles de mobiliser la société civile dans les processus de décision ?

? Bibliographie

  • Agossou N., « La diffusion des innovations. L’exemple des zémidjans à travers l’espace béninois », 2001, note de recherche à paraître in les Cahiers de géographie du Québec.
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  • Ascher Françoise, Métapolis ou l’avenir des villes, Paris, Odile Jacob, 1995, 354 p.
  • En ligne Barbier Jean-Claude et Dorier-Apprill Élisabeth, « Cohabitations et concurrences religieuses dans le golfe de Guinée, le sud-Bénin, entre vodun, islam et christianismes », Bulletin de l’association des géographes français, numéro spécial, R. Pourtier (dir.), « Géopolitiques africaines », juin 2002, p. 223-236.
  • Bach Daniel (dir.), Régionalisation, mondialisation et fragmentation en Afrique subsaharienne, Paris, Karthala, 1999.
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  • Ladurelle Élise, Les dynamiques périurbaines dans la région urbaine de Cotonou-Porto Novo, cas des localités d’Ekpè, Djeffa et Podji, maîtrise de géographie, université de Provence, juin 2002.
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Élisabeth Dorier-Apprill [*]
  • [*]
    Élisabeth Dorier-Apprill, agrégée de géographie et ancienne élève de l’ENS de St Cloud, est maître de conférences en géographie à l’université de Provence. Elle est rattachée au laboratoire Population-Environnement (UMR 151) et est également membre de l’Institut Universitaire de France. Derniers ouvrages parus, avec A. Kouvouama et C. Apprill, Vivre à Brazzaville, modernité urbaine et crise au quotidien, Paris, Karthala, 1998, 384 p. ; Vocabulaire de la ville, notions et références, Paris, Éditions du Temps, 2001, 190 p. Ses recherches en cours portent sur les dynamiques de villes moyennes d’Afrique Noire (Mali, Bénin).
Étienne Domingo [**]
  • [**]
    Étienne Domingo, géographe, est maître assistant à l’université d’Abomey-Calavi à Cotonou. Il est directeur du département de recherches en sciences humaines et sociales au Centre béninois de la recherche scientifiques et techniques (CBRST). Il est également co-responsable du programme CORUS, « Les dynamiques territoriales dans une région en émergence. La région urbaine du littoral du Bénin », et consultant, notamment auprès du Partenariat pour le développement municipal (PDM) et du Programme d’aménagement des zones humides (PAZH- Cotonou). Il a participé à la rédaction du document « Politique et stratégies d’aménagement du territoire pour le Bénin » paru en 2001.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2006
https://doi.org/10.3917/ving.081.0041
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