CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« L’objectif réel de la déportation était le vol et la destruction ; il s’agissait réellement d’une nouvelle méthode pour massacrer : lorsque les autorités turques lancèrent les ordres de déportation, elles annonçaient à tout un peuple sa destruction ; elles en étaient parfaitement conscientes et, dans leurs conversations avec moi, les officiers turcs ne firent aucun effort particulier pour me dissimuler ce fait. »
Henry Morgenthau [1]

1 L’historiographie récente de la première guerre mondiale ne conduit pas seulement à réévaluer les seuils de violence atteints, sur les différents fronts, de 1914 à 1918. Elle incite à comparer cette violence multiforme à ce qui est généralement considéré comme la caractéristique du conflit suivant : le recours systématique à la persécution des civils, l’extermination des juifs. Dans cette perspective, Vincent Duclert souligne l’urgence qu’il y a à progresser dans la connaissance de la destruction des Arméniens, non pas seulement pour répondre aux attentes des descendants des victimes, mais parce que la dénégation persistante des autorités turques constitue cette histoire en enjeu politique dans la conscience européenne et, qu’au-delà, ce passé-présent est un objet à part entière de l’histoire du 20e siècle, particulièrement celle des empires, des États, des sociétés et des guerres.

2 Au cours du premier conflit mondial, l’extermination de près d’un million d’Arméniens [2], peuple chrétien [3] estimé à près de deux millions de personnes et concentré dans trois régions centrales de l’Empire ottoman, Constantinople, les villes côtières de la mer Égée et la grande Anatolie ou Arménie [4], et sa quasi-disparition de ce foyer originel [5], constitue le principal événement par lequel se transmet aujourd’hui en Occident la connaissance de la guerre en Orient [6]. Si les violences considérables exercées sur la communauté loyale et fidèle « nation » de l’Empire (Millet-i Sadika), dont le rôle avait été important pour la libéralisation du régime ottoman aux deux phases cruciales de 1876 et de 1908 [7], constituent un fait historique dont la matérialité n’est contestée que par la marge la plus orthodoxe des historiens officiels turcs, en revanche l’interprétation de cet événement – l’intention et la réalisation collectives, politiques et étatiques, d’un crime de masse caractéristique d’un génocide moderne – fait l’objet de contestations très violentes, derrière lesquelles agissent des enjeux nationaux et identitaires puissants.

3 L’État turc a conçu un système de dénégation du génocide servi par une historiographie officielle. De fait, la Turquie moderne risque de se poser là en héritière directe de la dictature du gouvernement jeune-turc de 1913. Du moins apparaît-elle en situation de revendiquer le pire de ses héritages. La contradiction apparaît cependant moins définitive si, d’une part, on considère le processus de nationalisation de l’histoire dès l’instauration de la République [8] et si, d’autre part, on relève le principe de turcification de l’espace, source d’une légitimité absolue qui restreint la portée démocratique de la citoyenneté kémaliste [9]. Il demeure aujourd’hui quasiment impossible en Turquie d’aller contre un discours d’État qui mobilise historiens, intellectuels, syndicalistes, etc. Le « tabou arménien » existe depuis l’avènement du nouvel État en 1922, non pas en raison de la volonté kémaliste de s’acharner spécifiquement sur les Arméniens, mais parce que toute menace sur l’intégrité de la Turquie implique le recours à une idéologie nationaliste indépassable.

4 Les communautés arméniennes sont mobilisées pour obtenir la reconnaissance du génocide perpétré par la dictature jeune-turque à leur encontre. Le mur dressé par la Turquie devant ce qu’elle nomme le « prétendu génocide » et la radicalisation du patriotisme arménien ont engendré dans les années 1970 une phase de terrorisme, aujourd’hui révolue [10]. La montée en puissance de la judiciarisation des faits historiques, particulièrement en France en ce qui concerne le génocide perpétré contre les juifs [11], a dirigé le militantisme arménien vers un combat sans relâche en faveur de la reconnaissance du génocide. Beaucoup des historiens des Arméniens participent activement à cette quête de la qualification qui correspond à des choix où se mêlent le droit, la morale, la politique – lutte contre la négation du passé et volonté de restitution de l’histoire à ceux qui en sont privés. Des travaux récents montrent cependant que la voie de la recherche conserve un rôle dans ce défi autant civique que scientifique, le lien entre les deux termes forgeant une proposition éthique fondée sur le pouvoir du savoir.

? Questions sur un génocide

5 La réalisation du premier des génocides du 20e siècle amène à s’interroger sur sa singularité au regard de ceux qui l’ont suivi [12]. Elle implique en même temps de comprendre le rôle de la guerre dans ce phénomène historique et de participer à la réévaluation en cours du sens de la Grande Guerre [13]. Pour les Arméniens, la tragédie représentée par la destruction volontaire de leur principale communauté a isolé l’événement du cours de leur longue histoire, ou du moins l’a mise en question [14]. Pour les Turcs qui ont conservé et nationalisé le cœur de l’Empire ottoman après la défaite de 1918, le fait du génocide, la spécificité qui pourrait être accordée à la destruction des Arméniens sont récusés par une propagande d’État, au profit d’une situation de guerre supposée installer une forme d’équivalence entre les violences, les massacres et les souffrances. Par défaut de cette vérité historique incontestée, fondement des processus de libéralisation des États et d’acceptation du passé, si tragique soit-il, les représentants des communautés arméniennes et de nombreux historiens qui s’y rattachent poursuivent donc un combat visant à la reconnaissance de la qualité de génocide de la tragédie de 1915, au moyen d’une qualification juridique que peuvent seuls décréter des tribunaux souverains et des assemblées internationales. L’histoire s’est parfois déplacée hors du terrain de la recherche. Il est possible, sans faiblesse ni naïveté, d’envisager qu’elle y demeure pourtant.

6 Au-delà de l’importance majeure que revêtent la « Grande Catastrophe » et sa mémoire définitive pour les communautés arméniennes désormais absentes de Turquie (à l’exception d’Istanbul), regroupées pour une part dans l’Arménie ex-soviétique et dispersées pour l’autre en Europe occidentale et en Amérique du Nord [15], au-delà de l’actualité du conflit qui oppose une historiographie particulière au discours idéologique d’un État-nation, des questions apparaissent toujours décisives, mais semblent difficiles à poser en raison d’une lourde conjoncture politique, archivistique et scientifique. Elles n’intéressent pas les seuls spécialistes de l’Empire ottoman ou de l’histoire arménienne ; elles convient à la réflexion les historiens des génocides et de la violence, ceux de l’État et des guerres, ceux du politique et des intellectuels, ceux des savoirs et de leur place dans les engagements civiques. Une première expérience de recherche nous a du reste personnellement convaincu de la nécessité de poser en ces termes les interrogations relatives à l’événement [16].

7 La première guerre mondiale a-t-elle, par la destruction des Arméniens d’Orient, inauguré un processus génocidaire qu’on pensait devoir seulement connaître pour la seconde avec la destruction des juifs d’Europe ? Quelle place et quelles interprétations peuvent être données aux massacres à grande échelle qui ont eu lieu précédemment dans l’Empire en 1894-1896 et en 1909 ? Peut-on faire l’histoire des faits qui ont débuté le 24 avril 1915 à Istanbul en dehors du cadre dressé par la qualification juridique de 1945 ? Comment distinguer et définir au sein d’un processus qui s’impose par sa massivité et son caractère de tragédie absolue ? Comment se situer dans l’affrontement qui oppose le travail de qualification mené par les historiens du génocide des Arméniens et l’entreprise de contestation des autorités turques récusant toute intention génocidaire ? Comment penser le rôle des chercheurs dans cette configuration publique, politique et idéologique centrée sur l’interprétation d’un événement historique ? Comment la recherche historienne peut-t-elle devenir une voie possible dans le processus de réconciliation des Turcs et des Arméniens adoptant un même principe démocatique ?

8 L’objet d’étude que constitue la destruction des Arméniens de l’Empire ottoman croise objectivement de nombreux domaines de l’histoire contemporaine générale, relations internationales [17], histoire de l’État, histoire religieuse et sociale, histoire politique et intellectuelle. Le développement du comparatisme sur les génocides [18] et le travail critique mené sur la Solution finale [19] ont déterminé, dans le sillage de travaux pionniers [20], de nouvelles recherches sur le cas arménien [21], à l’image de celle que dirigèrent deux historiens suisses en 2002 [22] ou des travaux réunis par la Revue d’histoire de la Shoah dans un dossier spécial [23]. La nouvelle historiographie de la première guerre mondiale dirige d’autres historiens vers ce sujet [24]. Elle n’est d’ailleurs pas indifférente à la problématique des usages politiques du passé, telle qu’elle a été définie dans un ouvrage collectif conçu par François Hartog et Jacques Revel [25]. L’évolution de l’historiographie de la Solution finale contribue elle aussi à mieux intégrer le génocide des Arméniens dans l’histoire contemporaine. L’initiative de la Revue d’histoire de la Shoah est tout à fait significative de cette nouvelle histoire des génocides qui privilégie l’historicisation des faits plutôt que leur irréductibilité infranchissable [26].

9 L’histoire turque, qui reste marquée par l’œuvre essentielle de l’historien anglo-américain Bernard Lewis [27], connaît elle aussi des transformations importantes liées à l’émergence de nouvelles dimensions, dont la question kurde qui réinstruit le dossier de l’identité politique et culturelle de l’État-nation. Hamit Bozarslan, spécialiste de cette histoire, a lui aussi contribué à la réflexion sur la connaissance du génocide arménien en publiant une importante enquête historiographique et empirique [28]. L’histoire arménienne s’oriente également vers des directions de recherche capables de mieux éclairer le processus de destruction et sa place dans l’histoire des Arméniens au 20e siècle [29], dans celle de l’Europe et des deux conflits mondiaux encore trop rarement étudiés ensemble. Ce renforcement de la recherche peut permettre une amorce de rapprochement avec les historiens turcs, ne serait-ce qu’en déterminant des sujets d’enquête précis qui peuvent échapper au préalable paralysant du génocide et de son déni. Devant le face-à-face entre l’historiographie du génocide des Arméniens et le discours d’État en Turquie, il reste possible de privilégier un travail monographique très précis multipliant les types de regard et leur croisement, exploitant tous les chantiers documentaires accessibles, sans pour autant renoncer à l’étude elle-même de ce face-à-face et de ses mécanismes contemporains.

? L’affrontement des historiographies

10 Deux manières de faire, et avec elles deux conceptions du rapport au passé de la première guerre mondiale, s’affrontent depuis la fin des années 1960 sur la question du génocide arménien. Les historiens des Arméniens définissent les massacres conduits à grande échelle dans l’espace ottoman à partir de 1915 comme un génocide, décidé et réalisé contre une population spécifique par les responsables politiques et militaires de la dictature unioniste [30]. Leurs travaux qui revendiquent la méthode historique sont de nature scientifique, même si certains s’inscrivent toujours dans des cadres communautaires qui peuvent avoir d’autres objectifs que la recherche et le savoir universitaires. Ainsi le grand colloque de 1998 qui s’est tenu en Sorbonne sur L’actualité du Génocide des Arméniens a-t-il été organisé par le Comité de défense de la cause arménienne [31], introduit par un message d’Aram Ier, Catholicos de Cilicie, président du Conseil mondial des Églises arméniennes, et conclu par une longue et partiale « contribution complémentaire » de Catherine Coquio qui instruisait le procès de l’historien Gilles Veinstein, accusé de négationnisme, et du gouvernement français, coupable d’avoir fait « ratifier l’élection d’un négationniste au Collège de France [32] ». Les actes du colloque font ainsi apparaître les travaux les plus solides aux côtés de dénonciations idéologiques qui n’ont guère leur place dans une assemblée de chercheurs. Cet ensemble a pourtant le mérite d’exister, dans une situation où l’histoire arménienne est faiblement représentée dans la recherche universitaire, en France tout au moins, où la publication du savoir relatif à cette histoire reste difficile, et où les historiens contemporanéistes, ceux du politique notamment, ne s’y intéressent guère.

11 Les historiens turcs pour leur part, ou plus exactement les tenants de l’historiographie officielle [33], combattent non seulement la thèse du génocide mais contestent aussi la possibilité d’une histoire indépendante sur les massacres de 1915, en raison des conditions idéologiques qu’aurait installées l’historiographie arménienne. D’une part, ces auteurs minimisent, voire occultent l’ampleur des violences en soulignant que la population arménienne recensée et massacrée est bien inférieure aux chiffres admis par les recherches indépendantes [34], que les Kurdes sont les principaux responsables, que d’autres minorités ont été victimes des mêmes destructions, que les Arméniens tentés par la trahison devaient être déplacés loin des lignes de front, qu’ils sont eux aussi responsables de nombreux massacres. Certains acteurs de cette contre-histoire de la première guerre mondiale invoquent même l’existence d’un génocide turc perpétré par les Arméniens sur le front du Caucase entre 1917 et 1919, nourrissant les formes les plus extrêmes du nationalisme turc. Un monument commémoratif fut même érigé en 1999 à Igdir, comme un défi permanent à celui qui se dresse à Erevan.

12 D’autre part, ces tenants de la négation récusent toute intention criminelle de l’État ottoman et toute responsabilité de la nation turque dans la disparition des Arméniens d’Anatolie. Les 300 000 morts arméniens ne seraient pas plus exceptionnels que les trois millions de Turcs disparus dans le premier conflit mondial. Ils interprètent enfin les efforts conduits en direction de la vérité historique comme autant de preuves d’un complot contre l’identité nationale, voire contre l’existence même de la Turquie. Plus modérés, des historiens étrangers n’en restent pas moins très proches de ce discours, mais peuvent faire illusion de par leurs attaches académiques ou leur nationalité extra-turque [35]. L’utilisation de tels travaux est une erreur d’appréciation et de documentation qui peut affecter les travaux des plus professionnels et que Pierre Vidal-Naquet avait reprochée à Gilles Veinstein dans son article en défense de l’historien publié dans Le Monde[36].

13 De nombreuses institutions véhiculent les thèses officielles turques, soit directement dans des publications d’État, soit plus subtilement par l’intermédiaire d’historiens étrangers peu regardants sur la rigueur historique ou soucieux de solidarité avec un pays anticommuniste membre de l’OTAN. La radicalité de cette propagande se lie au processus mis en place dans les premières années de la République, lorsque Mustafa Kemal avait assigné au discours historique un rôle déterminant dans la construction de la nation turque. Son contenu découle lui aussi de cet héritage selon lequel « l’adhésion au mythe national et républicain est une des conditions d’existence de la République fondée par Atatürk. Y renoncer, c’est mettre en danger l’unité nationale [37] ».

14 L’accusation de négationnisme a été portée également contre des historiens occidentaux convaincus de favoriser les thèses turques. Bernard Lewis, qui avait renoncé, dans la réédition de son ouvrage majeur sur La naissance de la Turquie moderne, à l’expression d’holocauste fut condamné au civil par un tribunal français pour des déclarations faites au Monde le 16 novembre 1993 dans lesquelles il discute de la notion de génocide appliquée à la déportation des Arméniens. Le spécialiste de l’Empire ottoman Gilles Veinstein fut visé, en janvier 1999, par une très vigoureuse campagne d’opinion pour avoir écrit en 1995 un article de méthodologie historique, décapant mais légitime parce que critique [38], qui fut assimilé par des patriotes arméniens et des intellectuels français à un pamphlet négationniste lors de son élection au Collège de France. Il apparaîtrait ainsi de plus en plus difficile de mener des travaux d’historiens sur la destruction des Arméniens dans la mesure où le doute méthodique et la critique des sources qui caractérisent la pratique de l’historien pourraient être brutalement assimilés à des comportements négationnistes.

15 Le savoir apporté par les turcologues ne doit et ne peut pourtant pas être ignoré. Leur connaissance de la société turque passée et présente souligne, d’une part, que celle-ci ne peut pas être identifiée mécaniquement au discours d’État sur les massacres arméniens. Les formes d’adhésion au discours officiel doivent être analysées avant d’être stigmatisées [39]. Elle conçoit d’autre part que la Turquie ne peut être réduite à cette tragédie, quand bien même cette histoire lui appartient et qu’elle doit la retrouver, la connaître et la penser, notamment par un retour critique et collectif sur les « années de cendres [40] ».

? L’enjeu de la qualification juridique

16 L’enjeu de la qualification de génocide constitue l’objet le plus vif dans les controverses. La pression des usages politiques du passé atteint ici son niveau maximum et bouscule ce qui devrait être l’apport le plus clair du recours à l’ordre de la justice, à savoir la priorité accordée à la vérité. Les historiens des Arméniens font souvent de cette reconnaissance juridique et judiciaire un préalable absolu à toute discussion scientifique, les historiens officiels turcs la contestent absolument, et les historiens extérieurs prennent leur distance avec une situation qui suscite tant d’affrontements, entrave objectivement la recherche et les expose individuellement.

17 La qualification de génocide appliquée aux massacres généralisés de 1915-1917 a déjà été avalisée par différentes institutions nationales ou internationales. Cette qualification relève, rappelons-le, d’un concept juridique créé par le juriste américain Raphael Lemkin [41] pour définir l’extermination des juifs en tant que juifs, reconnu le 18 octobre 1945 par le tribunal de Nuremberg, puis ratifié en 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies qui approuva le texte de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide [42]. Il appartient d’abord aux magistrats des institutions pénales internationales de l’utiliser pour les faits dont ils sont saisis. La reconnaissance de 1945 avait été faite en prévision d’une triple fonction, une fonction judiciaire permettant le jugement des responsables des crimes collectifs intentionnels déclarés imprescriptibles, une fonction morale instituant le principe d’injustifiabilité des crimes de masse, et une fonction politique autorisant des États ou des institutions internationales à menacer ceux qui imagineraient appliquer de tels processus contre un groupe ou une population. Pour le génocide arménien, l’appel à cette qualification répond à des objectifs à la fois équivalents et différents. Elle exige en tout cas de distinguer entre l’extermination perpétrée par les nazis et les crimes d’État réalisés dans l’Empire ottoman [43], ce que la catégorie juridique et judiciaire, précisément, n’autorise guère. Entre un processus de destruction d’une minorité territorialisée dans un Empire pluriethnique et un programme d’extermination d’une « race » par un totalitarisme, entre des racismes divergents, il existe des différences que l’historien doit analyser, en dépit de certaines formes d’équivalence dans l’exercice de la barbarie.

18 L’usage d’une catégorie peut faciliter la recherche. Il peut conduire aussi à figer l’étude des représentations et des comportements. La qualification de génocide oblige à faire entrer la matière historique dans le cadre de l’incrimination. Il y aurait même un certain anachronisme à vouloir interpréter un événement au moyen d’une notion élaborée trente ans plus tard, de surcroît dans un cadre juridique, même si elle a été adoptée par les historiens pour définir les faits jugés à Nuremberg puis les processus qui eurent lieu par la suite, au Cambodge et au Rwanda notamment. Norme juridique, la qualification du génocide se rapporte à un événement historique précis, et a aussi pour fonction d’empêcher que se reproduisent à l’avenir de telles extrémités collectives. L’existence de cette norme peut expliquer – même si elle ne la justifie pas – l’attitude de la Turquie officielle. Le risque de voir les responsables jeunes-turcs ou pré-kémalistes de l’ancien Empire être identifiés à l’État totalitaire nazi et au projet raciste hitlérien avive le déni absolu des autorités turques et de la grande majorité de la société soigneusement édifiée sur ce sujet depuis la naissance de la République kémaliste. Cette obsession portée au cas arménien entrave la connaissance critique de la Turquie sur sa propre histoire.

19 Le déni turc n’est pas un négationnisme au sens où on l’entend avec les entreprises de négation de la Solution finale. Il ne repose ni sur des thèses racistes ni sur des extrémismes politiques. Hamit Bozarslan parle à son sujet de « discours historiographique autiste » et d’histoire dominée par la thématique du complot. Nous penchons pour notre part vers une notion d’histoire idéologique et non pratique, téléologique et non critique, visant à la production d’une vérité qui n’est pas celle de l’histoire. Du reste, la stratégie ultime de la propagande turque consiste à affirmer qu’il est devenu impossible de connaître la vérité sur les événements de 1915 et qu’il est donc préférable de ne plus en parler. Cet effort pour caractériser la spécificité du déni ne veut pas dire que les responsables de cette histoire officielle n’utilisent pas les mêmes méthodes que les négationnistes, en particulier le fait d’avancer à visage couvert sous le paravent d’un quelconque Institut de recherches ou de manipuler des historiens indépendants par trop naïfs ou insuffisamment prudents. Il y a également la pratique qui consiste à disqualifier toute une recherche ou un ensemble documentaire sur la base d’une erreur ponctuelle ou d’une approximation.

20 Le double problème que pose donc la qualification de génocide pour la destruction des Arméniens réside dans ce risque d’assimilation forcée entre les deux génocides, et dans le danger de renoncer à la recherche historienne au profit d’un combat judiciaire. Ce dernier est honorable, mais il n’appartient pas à l’historien de le mener, et en tout cas pas en premier lieu. C’est ainsi, semble-t-il, qu’il faut considérer la loi du Parlement français du 29 mai 1998 reconnaissant « publiquement le génocide arménien de 1915 ». Ce texte définit la relation que la France veut entretenir avec ceux de ses citoyens dont le passé justifie cette forme de solidarité, principe démocratique qui doit fonder un type de vigilance à l’égard de toute menace future dirigée contre un peuple, une communauté ou un groupe. Il ne s’agit pas en l’occurrence de condamner la Turquie actuelle pour des crimes imprescriptibles, mais de signifier que la nation républicaine assume le destin passé d’une partie de ses membres. Cette ambition politique, si légitime soit-elle, doit être distinguée du travail historien à mener sur l’événement.

21 Mais la recherche ne doit pas en rester là. La notion même de génocide peut être interrogée par l’histoire de la destruction des Arméniens. La découverte réalisée récemment par Samantha Power quant à l’existence d’une étude menée en 1921 par un jeune juif polonais de vingt-et-un ans qui suivait des cours de linguistique à l’université de Lvov, Raphael Lemkin, sur le procès du meurtrier de Talaat Pacha jugé à Berlin ouvre de grands espoirs sur la compréhension de l’historicité de la notion de génocide [44]. Au-delà, il importe de mener une enquête d’ampleur sur la documentation et les qualifications des procès relatifs à la destruction des Arméniens qui se sont tenus, tant à Istanbul qu’à Berlin, après la première guerre mondiale [45]. Il s’agit d’un champ d’étude considérable qui doit être abordé dans une perspective comparatiste avec les procès de tous les génocides contemporains, afin de déterminer notamment ce que la justice apporte à l’histoire de manière à distinguer les deux sphères.

? L’apport critique de la dénégation

22 Une des analyses nécessaires à la connaissance de la destruction des Arméniens pendant la première guerre mondiale est celle qui interroge les discours et les rationalités de la contre-histoire turque. Il convient, au point de départ, de considérer les versions officielles turques comme des thèses historiographiques sérieuses et sensées. Cette position facilite la reconnaissance des contradictions qui annulent ces versions de l’histoire. On obtient ainsi, par ce type d’analyse, la réfutation de thèses très insuffisantes sur le plan scientifique et on se replace dans la recherche sur l’événement en réfléchissant plus profondément à son mécanisme, à ses logiques, à ses acteurs. Si la négation du génocide est devenue comme un objet d’étude à part entière [46], il importe toujours de relancer de nouveaux travaux à partir de telles recherches [47].

23 Les arguments concernant le nombre de victimes arméniennes totales ramené au pourcentage des victimes turques, ou bien la thèse du génocide qu’auraient perpétré les Arméniens contre les Turcs ne sont plus recevables en raison de l’absence de toute démonstration sérieuse. En revanche, d’autres arguments peuvent stimuler l’analyse critique. Le problème pour leurs auteurs est qu’ils confirment la réalité de la destruction des Arméniens bien plus qu’ils ne l’infirment.

24 La thèse de la trahison des Arméniens qui expliquerait leur élimination par réaction est triplement problématique. Elle ne correspond pas, surtout en 1915, à une réalité observable, comme l’atteste la convergence des historiens. Elle admet que de très importants massacres eurent bien lieu, puisqu’elle doit les justifier. Enfin, la logique qui voudrait que la trahison de membres d’un groupe justifiât son élimination d’ensemble appartient bien au processus de crime d’État et de destruction intentionnelle. La décision de la justice collective et son application aux Arméniens définit bien un génocide. Elle distingue cependant la destruction des Arméniens pendant la première guerre mondiale de la destruction des juifs au cours de la seconde, ce second génocide procédant de la décision nazie de l’extermination d’une race jugée inférieure. Il n’y a pas eu, dans l’Empire ottoman, de projet raciste équivalent mais un nationalisme poussé à l’extrême. La haine antichrétienne, qui ne s’est pas dirigée contre les seuls Arméniens [48], a porté l’administration du meurtre collectif à l’ensemble d’un peuple.

25 La thèse des impératifs militaires justifiant le déplacement hors des terrains d’opération d’une population hostile n’est pas non plus tenable, si l’on considère que de nombreuses déportations sont opérées dans des régions très éloignées du front, comme celle de Zeïtoun. Par ailleurs, les conséquences prévisibles de l’élimination des Arméniens sont très graves en matière militaire puisque l’armée ottomane, qui a perdu d’excellents officiers, est de surcroît contrainte à s’épuiser dans des opérations intérieures liées à la déportation. D’importants effectifs sont détournés des combats actifs pour encadrer les déportations. Les agents de l’Organisation spéciale (Techkilat i-Mahsoussé), les membres des comités révolutionnaires jeunes-turcs (komitaci), les irréguliers ou droit communs (tchétés), et les auxiliaires kurdes ne peuvent pas, à eux seuls, en assurer toute la mise en œuvre. Le résultat d’une telle opération à visée stratégique, si tel était le cas, fut donc particulièrement négatif.

26 La thèse de la violence de guerre qui serait l’unique cause des massacres ne tient pas davantage. Celle-ci a indéniablement existé dans tout le Moyen Orient et il n’est pas sûr que l’on en ait mesuré encore les pleines conséquences. Incontestablement, des modes opératoires qu’on connaîtra davantage au cours de la seconde guerre mondiale ont existé ici dès la première, particulièrement l’implication des civils dans une guerre totale. Mais les massacres arméniens ont commencé bien avant la guerre, dans des formes qui annoncent les événements de 1915. Il ne s’agit pas pour autant de repousser la valeur heuristique du contexte de guerre, au contraire. Mais l’étude précise et systématique de ce qui s’est passé en 1894-1896 et en 1909 dans l’Empire ottoman, de même que celle des massacres liés à l’émergence de la Turquie kémaliste, doivent permettre de discuter le poids du contexte de la guerre sur le processus de destruction.

27 L’insistance de l’historiographie officielle sur le contexte de la guerre rencontre ainsi, malgré elle, la position de l’historien choisissant d’aborder la question de la destruction des Arméniens de l’Empire autrement que sous l’angle juridique ou moral. Mais cette approche ne peut servir de caution à la thèse du caractère accidentel de l’événement conçu alors comme une succession ordinaire et malheureuse de massacres incontrôlables. Cette vérité découle précisément du rapprochement entre contexte et événement. Mais il faut pousser la confrontation jusqu’à son terme. La situation d’anarchie régnant dans l’Empire en raison de la guerre, et qui expliquerait les nombreux homicides lors de la déportation des Arméniens, finit par être contredite par la réalisation même de ces transferts de populations qui s’opèrent à très grande échelle et dans un laps de temps réduit, preuve d’une efficacité maintenue dans l’administration ottomane.

28 À trop vouloir démontrer qu’il n’y a pas eu génocide, l’historiographie officielle turque multiplie ainsi les contradictions, les non-sens et les aveux qui la disqualifient en tant que savoir historien. L’analyse de cette production ne peut que plaider pour une histoire nouvelle de la Grande Guerre en Orient et pour une histoire renforcée de la Turquie contemporaine. Reculant sur le « front » de la destruction des Arméniens, les Turcs gagneraient sur un autre plan, celui du rapport conscient à leur propre histoire. Un travail comparable à celui d’Henry Rousso sur le « syndrome de Vichy » en France [49] pourrait être mené sur le « tabou arménien » en Turquie, occasion d’une relecture critique de l’histoire nationale. Loin de se limiter seulement aux événements de la première guerre mondiale et à leurs représentations dans la conscience collective, une telle recherche mettrait en lumière les mécanismes constitutifs d’une raison nationaliste, moteur de la construction de la République kémaliste [50] et qui, aujourd’hui, s’oppose à la constitution d’une raison démocratique en Turquie.

? Le pouvoir de la connaissance

29 La qualification de génocide ne peut se suffire à elle-même, y compris pour les fins morales qu’elle s’assigne. Elle peut conclure un processus d’établissement de la vérité, voire le soutenir ; elle ne peut se substituer au travail de recherche. L’attente qu’elle suscite de la part des victimes mérite cependant réflexion. S’agissant de faits si éloignés et de coupables qui ne peuvent être jugés à titre posthume, la seule fonction du droit et de la justice consiste à permettre que la vérité s’établisse sur un savoir incontestable. Le juge ressemble alors à l’historien, à la différence que ce dernier n’a pas pour mission ultime de qualifier des faits selon le droit, mais de les connaître et, si possible, de les expliquer. Deux morales se concurrencent ou plutôt se complètent, l’une reposant sur la force du jugement, l’autre sur celle du savoir. L’historien envisage la dimension juridique et judiciaire comme un cadre nouveau de son travail et une question posée à la recherche dans sa capacité à se saisir des événements les plus considérables. La qualification de génocide, employée pour la première fois par le tribunal militaire international de Nuremberg qui définit dans ses statuts les crimes contre l’humanité, a certes permis de fonder, en droit et dans la conscience collective des nations, le processus historique d’extermination des juifs par l’Allemagne nazie et le caractère éthique de l’injustifiabilité des crimes de masse.

30 Néanmoins, la connaissance du génocide a été transformée par l’achèvement et la publication, en 1985, de la grande recherche menée par Raul Hilberg à partir de 1948 sur La destruction des Juifs d’Europe[51]. Son propos était de « s’intéresser au “comment” de l’événement ». Et c’est là tout ce que peut l’historien dès lors qu’il assume sa différence avec l’instance judiciaire, sans la renier bien sûr, en la traitant comme un objet en soi de la recherche, et surtout en restituant à la différence de cette dernière les causalités, les choix des acteurs et l’enchaînement des faits. Or, comme le signalait Richard Hovannisian, professeur à l’université de Californie (UCLA), « la recherche universitaire sur le sujet [du génocide arménien] en est encore à ses débuts. Ce n’est qu’au cours de ces dernières années que nous avons pu dépasser le stade de la phase descriptive pour passer à une véritable analyse et à une interprétation sérieuse [52] ». Les historiens ont aussi le devoir de dégager la recherche historique des usages politiques du passé, en analysant les développements de l’une comme de l’autre, en situant leurs relations et leurs interférences, et en affirmant la primauté de l’éthique de vérité sur la raison politique. À cet égard, ils sont non seulement capables de transmettre le savoir qui permettra d’enterrer les morts, mais aussi à même de contester, en Turquie et ailleurs, la tentation de soumettre la vérité historique à des enjeux idéologiques et de participer à la démocratisation des États confrontés au défi des communautés.

31 La convergence de travaux qui s’inscrivent dans cette logique semble indiquer qu’un tournant s’opère dans la construction historienne du génocide arménien. Déjà, celui-ci a bénéficié d’un travail bibliographique et critique ancien qui a été renforcé dans les années 1990 [53]. De même, la volonté est plus forte de penser la destruction dans sa relation avec l’histoire longue des Arméniens [54]. La connaissance de l’événement bénéficie par ailleurs d’un nombre croissant de monographies, d’éditions de documents, d’analyses historiographiques qui précisent et historicisent la « Grande Catastrophe », en permettant notamment de distinguer le savoir historique du devoir de mémoire. La reconnaissance du génocide fait l’objet d’enquêtes collectives qui rassemblent des travaux sur le déni turc et des études de cas sur l’événement [55]. Anahide Ter Minassian a étudié la destruction des Arméniens de la plaine et de la ville de Mouch [56], Ronald Suny a coordonné des recherches sur les massacres du massif du Sassoun [57], Yves Ternon a écrit l’histoire de l’élimination des Arméniens de Mardin [58], Raymond H. Kervorkian a dirigé des enquêtes sur les camps de concentration de Syrie-Mésopotamie [59] et sur les massacres de Cilicie entre 1909 et 1921 [60]. Le choix opéré par Yves Ternon de l’histoire locale correspond à sa conviction qu’une grande partie de la recherche reste à faire. Claire Mouradian entrevoit même une fonction supplémentaire au genre de la monographie : « Avec les biographies, c’est l’une des façons non seulement de replacer les destins individuels dans un contexte global, mais aussi – et cela est particulièrement important dans le cas d’un génocide où par la masse même et l’horreur des atrocités qu’elles ont subies, les victimes finissent par être désincarnées – de tenter de donner une sépulture symbolique aux morts en les identifiant et en les situant dans l’univers de ce qui fut leur vie [61]. »

32 Le travail de monographie ne vise pas seulement des ensembles géographiques, mais aussi les institutions saisies dans leur fonctionnement. Pour la destruction des Arméniens, l’Organisation spéciale semble avoir été déterminante. Les témoignages des diplomates et des missionnaires qui ont assisté aux déportations concordent sur son importance [62]. La Techkilat i-Mahsoussé dépendait exclusivement du triumvirat unioniste, et les agents disposaient sur place de tchétés formés de guerriers des tribus kurdes et de prisonniers de droit commun. Or, comme le souligne Hamit Bozarslan, « aucune étude sérieuse n’a été encore réalisée sur cette organisation et son univers cauchemardesque [63] ». L’évolution de l’historiographie sur la Solution finale ainsi que les nouvelles perspectives en histoire politique de l’État devraient inciter à une meilleure connaissance de cette administration et à une plus juste appréciation de son rôle.

33 Les historiens doivent également renforcer leur effort de traduction, de publication, d’introduction des sources archivistiques, manuscrites et imprimées, comme l’ont fait Anahide Ter Minassian pour Les noces noires de Gulizar[64], Claire Mouradian pour la correspondance du vice-consul de Diyarbekir en 1894-1896 [65], Jean Kéhayan pour les mémoires d’un partisan arménien [66], Yves Ternon pour les dépêches du consul américain Leslie A. David en 1915 ou les témoignages de rescapés du génocide [67]. Cet investissement doit s’accroître, à la fois parce que s’opèrent une préservation et une transmission des témoignages, et parce que de tels documents construisent les corpus de la recherche à venir. Chacun le sait, un bon travail d’édition critique définit un authentique savoir historien et encourage de nouvelles recherches [68]. Reste qu’il nécessite des moyens financiers et des paris intellectuels que peu de maisons d’éditions sont prêtes à engager, surtout pour un sujet qui n’attire pas un public large. Complexe à Bruxelles, Parenthèses à Marseille, Privat à Toulouse, L’Inventaire à Paris, constituent, pour le domaine francophone, des exceptions qu’il faut saluer. Ce qui demeure en tout cas, c’est le très fort décalage entre l’abondante littérature du génocide des juifs, bénéficiant des meilleurs éditeurs, et celle de la destruction des Arméniens, trop peu recueillie, trop peu éditée à notre avis [69].

34 Plus que les monographies, les synthèses sont susceptibles d’approfondir la connaissance des faits internationaux relatifs à la destruction des Arméniens d’Orient, depuis les premiers massacres de 1894 jusqu’aux derniers en 1923, ceci dans une perspective élargie prenant par exemple en compte l’ensemble des victimes sur une période donnée [70]. La position de la Suisse [71], celle de l’Allemagne [72] ont fait l’objet d’études universitaires, qui n’ont pas manqué de provoquer des controverses, surtout dans le second cas [73], mais pas celle de la France à notre connaissance. En revanche, la question d’Orient est mieux connue par des travaux récents comme ceux de Claire Mouradian [74] ou de Gilles Pécout pour l’historiographie française [75]. Le rôle des missions occidentales catholiques et protestantes dans l’Empire est également mesuré [76], préalable important pour l’exploitation des nombreux témoignages des missionnaires européens.

35 Le renforcement de la recherche peut créer des espaces de rencontre avec les chercheurs turcs, particulièrement avec ceux qui travaillent sur l’État dans l’Empire ottoman, sur les structures sociales, sur les minorités, sur les idéologies. Les historiens des Arméniens doivent accroître leur soutien aux rares chercheurs [77] ou éditeurs turcs indépendants [78] dont l’action courageuse sur le dossier du génocide des Arméniens s’articule avec une réflexion sur la politique kurde de la Turquie [79]. Ils doivent aussi accompagner les évolutions politiques plutôt que de les suspecter a priori comme ce fut le cas avec les ouvertures du gouvernement Turgut Özal à la fin des années 1980 [80]. Le Premier ministre de l’époque prit nettement ses distances avec l’habituelle vulgate idéologique sur le « prétendu génocide », à un moment de l’histoire de la Turquie où les régions de peuplement kurde n’étaient pas soumises à une dictature militaire comme elles le furent ensuite. Les deux faits, arménien et kurde, doivent être pensés dans leur relation historique, en dehors de l’encadrement idéologique qui assimile ce type de réflexion à des comportements séparatistes passibles des tribunaux.

36 Pourtant, ces ouvertures de l’ère Özal furent considérées comme insignifiantes par nombre d’historiens des Arméniens : en témoignent par exemple les analyses d’Ara Sarafian [81]. Ce chercheur put néanmoins accéder aux archives ottomanes durant cette période libérale, pour des résultats certes décevants, mais la possibilité existait. Ce type de réaction condamne les efforts des élites turques pour s’intéresser au « tabou arménien » et progresser vers la résolution d’un problème inextricable. Bien qu’empreinte d’ambiguïté, la vision pragmatique défendue par Turgut Özal pouvait faire évoluer décisivement les positions officielles turques. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’occasion fut manquée. Il convient de s’en souvenir et de tirer les leçons de l’échec.

37 La solution au conflit arméno-turc sur le génocide de 1915 passera par un travail de distinction et de séparation des différentes sphères constituant le problème. La recherche doit conquérir son autonomie. Pour cela, il lui faut élargir son champ à l’histoire contemporaine la plus large, de la même manière que celle-ci doit reconnaître le plein intérêt de ce sujet. La demande faite ici même à Anahide Ter Minassian de présenter une longue synthèse sur « Les Arméniens au 20e siècle [82] » va dans cette direction. Sur un plan scientifique, l’histoire de la destruction des Arméniens ne peut laisser insensibles les spécialistes des relations internationales, des organisations secrètes, des pratiques administratives, du droit pénal, des politiques archivistiques, des sociétés rurales et urbaines. Le comparatisme entre génocides contribue aussi à cette ouverture, acquis important qui peut compenser le scepticisme sur ses méthodes. Mais il faut entrer profondément dans la comparaison des machineries, des pratiques, des responsabilités, des formes de résistances aussi qui ont existé du côté ottoman parmi les élites administratives, politiques ou intellectuelles.

38 L’étude des actes de refus ou de résistance à la destruction des Arméniens devrait rapprocher Turcs et Arméniens puisqu’elle ouvre la possibilité d’une autre histoire de l’Empire ottoman, celle des influences libérales qui contestent les logiques terroristes. Une telle étude doit se poursuivre en direction de ceux qui, aujourd’hui, en Turquie, souhaitent placer la société civile et les élites politiques devant la réalité du « tabou arménien [83] ». L’investissement dans la recherche ne signifie pas que le discours scientifique doive se substituer systématiquement à la mémoire des personnes. Il s’agit de deux univers distincts mais liés. La mémoire a d’autant plus droit de cité qu’elle n’ambitionne pas de remplacer l’histoire. Le travail d’édition critique de documents est indispensable pour distinguer les sphères intellectuelles et permettre à l’histoire d’utiliser les matériaux de la mémoire, y compris lorsque les historiens se font les archivistes du témoignage oral [84].

39 Ces documents ne se limitent pas à ceux qui concourent à la connaissance du génocide. Des œuvres très contemporaines représentent aussi un intérêt pour les historiens à travers les pistes qu’elles suggèrent de suivre. Gérard Chaliand s’intéresse particulièrement aux « gestes de combattants » entre 1890 et 1908, et il songe aux Turcs et aux Kurdes « qui ne voulurent pas participer à l’assassinat d’un peuple [85] ». Jean Kéhayan, relatant dans Libération un voyage en Turquie sur les pas de familles martyrisées, découvre un pays qui n’est plus sa patrie, mais où il se sent à sa place. Ainsi écrit-il que le vœu des Arméniens d’aujourd’hui n’est pas de revendiquer, avec la reconnaissance du génocide perpétré en 1915, la restitution des biens pillés par l’Empire et dont la redistribution avait enrichi la nouvelle bourgeoisie turque nationale du nouvel État kémaliste. Ceci devrait faire comprendre aux responsables turcs que la demande de reconnaissance des Arméniens est de nature politique, symbolique et intellectuelle, et non nationaliste, économique ou idéologique [86].

40 La recherche des historiens sur la destruction des Arméniens présente en effet une dernière et décisive fonction dans sa capacité d’intervention sur le mouvement de démocratisation des sociétés et des institutions. Lorsque l’État turc abandonnera son entreprise de déni de l’histoire, lorsque les archives s’ouvriront, lorsque les chercheurs pourront travailler ensemble, les libertés civiles auront fait un grand pas dans ce pays et dans le monde. Il ne s’agit pas seulement de la question arménienne, mais aussi et d’abord d’un rapport à l’histoire, à la vérité et à la démocratie. Le « tabou arménien », à travers les questions politiques que pose sa résolution, représente une chance pour la société turque, mais aussi pour les communautés arméniennes qui ne peuvent vivre en dehors de la perspective d’une juste réconciliation, et au-delà, pour le progrès d’une éthique des savoirs. L’effort de connaissance dirigé vers les événements les plus tragiques reste possible et n’est jamais vain. Aux historiens alors de favoriser cet usage démocratique d’un passé refusé ou impossible.

41 ?

Notes

  • [1]
    Henry Morgenthau, Mémoires, suivis de documents inédits du Département d’État [1919], préface de Gérard Chaliand, Paris, Payot, 1984, p. 267-268. Sur cet ambassadeur américain auprès de la Porte, cf. Paul Rouben Adalian, « L’ambassadeur Morgenthau et l’élaboration de la politique américaine de protestation et d’intervention contre le génocide (1914-1915) », in « Ailleurs, hier, autrement. Connaissance et reconnaissance du génocide arménien », Revue d’histoire de la Shoah, 177-178, janvier-août 2003, p. 425-435. L’attitude des États-Unis et de l’opinion américaine devant cet événement a fait l’objet d’une étude décisive publiée en langue anglaise en octobre 2003 : Peter Balakian, The Burning Tigris. The Armenian Genocide and America’s Response, New York, Harper Collins, 2003. Je remercie bien vivement, pour leur aide et pour leurs conseils, Jean-Jacques Becker, Hamit Bozarslan, Anahide Ter Minassian et Claire Mouradian. Naturellement, je reste seul responsable de la teneur de cet article.
  • [2]
    Les chiffres des pertes arméniennes pendant la première guerre mondiale font l’objet de vifs débats qui alimentent le travail des historiens ou les entreprises de dénégation de l’intention criminelle des massacres survenus dans l’Empire ottoman. Sur ces discussions, cf. le travail de Youssef Courbage et Philippe Fargues, Chrétiens et Juifs dans l’Islam arabe et turc, Paris, Fayard, 1992, p. 222 sq. Les deux chercheurs de l’INED ne se prononcent pas sur l’interprétation de ces massacres à grande échelle, à la différence de Frédéric Paulin, « Négationnisme et théorie des populations stables. Le cas du génocide arménien », in Hervé Le Bras (dir.), L’invention des populations. Biologie, idéologie et politique, Paris, Odile Jacob, 2000.
  • [3]
    Cf. Gérard Dédéyan (dir.), Les Arméniens. Histoire d’une chrétienté, Toulouse, Privat, 1990.
  • [4]
    Les effectifs arméniens varient entre 1,2 million pour la dernière estimation ottomane (1914) et 2,4 millions pour le comptage du patriarcat d’Istanbul en 1912. L’historien britannique Arnold Toynbee (Les Massacres des Arméniens, 1915-1916, Paris, Payot, 1916) estime que la communauté arménienne doit être comprise avant la guerre entre 1,6 million et 2 millions. Raymond Kévorkian et Paul Paboudjian ont exploité les statistiques du patriarcat arménien – contestées par les autorités ottomanes et les historiens turcs – pour écrire leur livre Les Arméniens dans l’empire ottoman à la veille du Génocide, Paris, Éditions d’art et d’histoire, 1992.
  • [5]
    L’effectif fourni par le premier recensement de la République fait état de 77 000 Arméniens résidant en Turquie en 1927. Le recensement de 1965 décompte 64 000 personnes de religion arménienne, mais seulement 32 000 arméno-phones (cf. Youssef Courbage et Philippe Fargues, op. cit., p. 222 et p. 226).
  • [6]
    L’itinéraire de l’historien Yves Ternon illustre cette observation. Spécialiste du génocide des Arméniens depuis 1977, il a écrit en 2002 une histoire de l’Empire ottoman, Empire ottoman. Le déclin, la chute, l’effacement, Paris, Éditions du Félin/Michel de Maulne, 2002.
  • [7]
    C’est aussi le cas de la Perse. Cf. Anahide Ter Minassian, « Le rôle des Arméniens du Caucase dans la révolution constitutionnaliste de la Perse (1905-1912) », in Raoul Motika et Michel Ursinus (eds), Causasia between the Ottoman Empire and Iran, 1555-1914, Wiesbaden, Reichert Verlag, 2000, p. 147-176.
  • [8]
    Etienne Copeaux, Espaces et temps de la nation turque. Analyse d’une historiographie nationaliste, 1931-1993, Paris, CNRS Éditions, 1997.
  • [9]
    Le crime de « séparatisme » a justifié aussi bien le coup d’État militaire du 12 septembre 1980 que les nombreuses condamnations d’intellectuels et de militants politiques kurdes ou communistes. L’abolition de l’article 8 de la loi, qui constitue l’une des pièces maîtresses de ce dispositif de répression, est incluse dans la réforme du 19 juin 2003 visant à démocratiser l’arsenal juridique turc. Cette avancée a été récusée par le président de la République Ahmet Necdet Sezer qui a usé de son droit de veto le 30 juin suivant.
  • [10]
    Sur le terrorisme arménien, cf. Yves Ternon, La cause arménienne, Paris, Le Seuil, 1983 et Armand Gaspard, Le combat arménien. Entre terrorisme et utopie, Genève, L’Âge d’Homme, 1984.
  • [11]
    La loi dite Gayssot du 30 juin 1990 réprimant « ceux qui auront contesté […] l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité », a montré qu’il était possible de légiférer sur l’histoire, en pénalisant les actes de négationnisme du génocide des juifs. Dans le même sens, les différents procès visant des responsables de la Solution finale en France ont établi le pouvoir de la justice en matière historique. Que cela soit considéré comme un bien ou un mal n’enlève rien au fait qu’il s’agit là d’une réalité incontournable.
  • [12]
    Il n’est pas possible de conclure que l’achèvement du 20e siècle a signifié la fin des génocides. Il paraît avéré qu’un génocide se déroule en Tchétchénie. Cf. la mise au point d’Yves Cohen sur ce sujet, « Intervenir dans la cité-monde », in Vincent Duclert, Christophe Prochasson et Perrine Simon-Nahum (dir.), Il s’est passé quelque chose, Paris, Denoël, coll. « Médiations », 2003, p. 219-229.
  • [13]
    Cf. Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18, retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000. La politique et la guerre. Pour comprendre le XXe siècle européen. Hommage à Jean-Jacques Becker, Paris, Éditions Agnès Viénot-Noesis, 2002. Cf. également George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, préface de S. Audoin-Rouzeau, Paris, Hachette, 1999, ainsi que Aviel Roshwald et Richard Stites (dir.), European Culture in the Great War. The Arts, Entertainment and Propaganda, 1914-1918, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, et John Horne et Alan Kramer, German Atrocities, 1914. A History of Denial, New Haven/London, Yale University Press, 2001 ; J.-J. Becker et S. Audoin-Rouzeau sont les maîtres d’œuvre d’un Dictionnaire critique de la Grande Guerre (Paris, Bayard, 2004) qui fait une place importante à la connaissance des fronts turco-ottomans et de la destruction des Arméniens.
  • [14]
    Cf. Hrand Pasdermadjian, Histoire de l’Arménie, depuis les origines jusqu’au traité de Lausanne [1949], nouvelle édition, Paris, Librairie orientale H. Samuelian, 1986 ; Gérard Dédayan (dir.), Histoire des Arméniens, Toulouse, Privat, 1982, réédition 1996 ; Raymond H. Kévorkian et Jean-Pierre Mahé (dir.), Arménie. 3000 ans d’histoire, Marseille, Maison arménienne de la jeunesse et de la culture, 1998 ; Claire Mouradian, L’Arménie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2002 (3e édition).
  • [15]
    Cf. Martine Hovanessian (dir.), Les Arméniens et leur territoire, Paris, Autrement, coll. « Français d’ailleurs, Peuples d’ici », 1995.
  • [16]
    Vincent Duclert et Gilles Pécout, « La mobilisation intellectuelle face aux massacres d’Arménie (1894-1900) », in André Gueslin et Dominique Kalifa (dir.), Les exclus en Europe 1830-1930, Paris, Éditions de l’Atelier, 1999, p. 323-344.
  • [17]
    Ce croisement est illustré par le travail de la revue Guerres mondiales et conflits contemporains, et en son sein de l’historien Jacques Thobie, lui-même spécialiste de l’Empire ottoman (Intérêts et impéralisme français dans l’Empire ottoman, 1895-1914, Paris, 1977). Cf. à paraître aux Publications de la Sorbonne, les mélanges en l’honneur de Jacques Thobie.
  • [18]
    Cf. Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui », 1997.
  • [19]
    Cf. Arno Mayer, Why Did the Heavens not Darken ? The « Final Solution » in History [1988], La « solution finale » dans l’histoire, traduction française, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui », 1990.
  • [20]
    Cf. Léo Kuper, « Le concept de génocide et son application aux massacres des Arméniens en 1915-1916 par les Turcs », in Tribunal permanent des peuples, préface de Pierre Vidal-Naquet, Le crime de silence. Le génocide des Arméniens, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1984, p. 313-322 et Jean-Jacques Becker, « Génocide. Du bon usage d’un mot », in « Enquête sur la tragédie d’avril 1915. Le massacre des Arméniens », L’Histoire, 187, avril 1995, p. 38-39. Ce travail comparatiste a été mené aux États-Unis par Vahakn N. Dadrian (« The Convergent Aspects of the Armenian and Jewish Cases of Genocide. A Reinterpretation of the Concept of Holocaust », Holocaust and Genocide Studies, 2, 1988, p. 151-170), par Richard Hovannisian, qui a dirigé deux ouvrages importants (The Armenian Genocide in perspective, New Brunswick, Transaction Publishers, 1986, et The Armenian Genocide. History, Politics, Ethics, New York, St Martin’s Press, 1992) et par Robert Melson (Revolution and Genocide. On the Origins of the Armenian Genocide and the Holocaust, Chicago, University of Chicago Press, 1992 et « Problèmes soulevés par la comparaison arménien et l’holocauste », in « Actualité… », op. cit., p. 373-385). Cf. également Yair Auron, The Banality of Indifference. Zionism and the Armenian Genocide, Transaction Publishers, 2000, les actes du colloque d’Erevan organisé par le Zoryan Institute, Problems of Genocide, Cambridge (MA) et Toronto, 1997 et le travail de Roger W. Smith, « Pouvoir étatique et intentions génocidaires. Les usages du génocide au xx e siècle », in « Actualité… », op. cit., p. 387-396.
  • [21]
    Tout en poursuivant ses recherches sur le génocide des Arméniens, Yves Ternon a développé à partir de 1995 un travail original autour des génocides et de l’État criminel. Cf. L’État criminel. Les génocides au XXe siècle, Paris, Le Seuil, 1995 ; Du négationnisme. Mémoire et tabou, Paris, Desclée de Brouwer, 1999 ; L’innocence des victimes. Au siècle des génocides, Paris, Desclée de Brouwer, 2000.
  • [22]
    Hans-Lukas Kieser et Dominik J. Schaller Hrsg (dir.), Der Völkermord an den Armeniern und die Shoah, Zurich, Chronos, 2002.
  • [23]
    « Ailleurs, hier, autrement. Connaissance et reconnaissance du génocide arménien », Revue d’histoire de la Shoah, 177-178, janvier-août 2003 (dossier coordonné par Georges Bensoussan, Claire Mouradian et Yves Ternon, désormais abrégé en « Ailleurs… »). Cf. en particulier Annette Becker, « L’extermination des Arméniens entre dénonciation, indifférence et oubli, de 1915 aux années vingt », ibid., p. 295-312.
  • [24]
    Cf. S. Audoin-Rouzeau et al. (dir.), La Violence de guerre 1914-1945, Bruxelles, Complexe, 2002. On remarquera néanmoins que le cas arménien n’a pas été retenu pour la publication, à la différence de ceux des Tsiganes et des juifs pour la seconde guerre mondiale (le colloque dont le livre est issu comprenait une table ronde au cours de laquelle François Georgeon présenta une communication sur le génocide arménien).
  • [25]
    François Hartog et Jacques Revel (dir.), Les usages politiques du passé, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001. Cf. notamment, des deux concepteurs, « Note de conjoncture historiographique », p. 13-24, et de Lucette Valensi, « Notes sur deux histoires discordantes. Le cas des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale », p. 157-168.
  • [26]
    Cf. également Raya Cohen, « Le génocide arménien dans la mémoire collective juive », Cahiers du judaïsme, 3, automne 1998, p. 112-122. L’écrivain juif allemand, né à Prague, Franz Werfel est au cœur de ce processus de transmission avec son roman Les Quarante jours du Musa Dagh, conçu en mars 1929 au cours d’un séjour à Damas. « Le spectacle désolant d’enfants de réfugiés qui travaillaient dans une manufacture de tapis, mutilés et minés par la faim, fut le point de départ qui décida l’auteur à ressusciter l’inconcevable destinée du peuple arménien, déjà plongé dans la nuit du passé. » (Avant-propos, trad. française, Paris, Albin Michel, 1936, p. 9. Nouvelle édition, préface d’Élie Wiesel, Paris, Livre de Poche, 1986 et 1990). Sur Franz Werfel, cf. Peter Stephan Jungk, Franz Werfel. Une vie de Prague à Hollywood, trad. française, Paris, Albin Michel, 1990. L’auteur y narre son propre voyage à Venise, sur l’île San Lazzaro des méchitaristes, reconstituant l’itinéraire de Franz Werfel afin de mieux comprendre la genèse de cette œuvre majeure sur le génocide des Arméniens (ibid., p. 186-188). Ce récit a été publié dans le dossier de la Revue d’histoire de la Shoah (op. cit., p. 375-378).
  • [27]
    Bernard Lewis, Islam et laïcité. La naissance de la Turquie moderne, Paris, Fayard, 1988 (il s’agit de la traduction de la réédition de 1968 de l’Oxford University Press et de la Royal Institute of International Affairs). Sur la Turquie moderne, cf. également, Paul Dumont, Mustafa Kemal invente la Turquie moderne, Bruxelles, Complexe, 1983, et, avec Jean-Louis Bacqué-Grammont (dir.), La Turquie et la France à l’époque d’Atatürk, Paris, ADET, 1981 ; Serif Mardin, Religion and Social Change in Modern Turkey, Albany, New York University Press, 1989 ; Ërik-Jan Zürcher, Türkey. A Modern History, Londres & New York, I.B. Tauris, 1998, précédé de The unionist Factor. The role of the Committee Union and Progress in the Turkish National Movement, 1905-1926, Leiden, E. J. Brill, 1984.
  • [28]
    Hamit Bozarslan, « L’extermination des Arméniens et des juifs. Quelques éléments de comparaison », in Hans-Lukas Kieser et Dominik J. Schaller Hrsg (dir.), Der Völkermord an den Armeniern und die Shoah, op. cit., p. 317-345.
  • [29]
    Cf. Anahide Ter Minassian, « Les Arméniens au 20e siècle », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 67, juillet-septembre 2000, p. 135-150.
  • [30]
    L’ouvrage de Jean-Marie Carzou, Un génocide exemplaire. Arménie 1915 (Paris, Flammarion, 1975), est l’une des premières synthèses publiées en langue française, après les travaux et les éditions de sources contemporains de l’événement. La somme de Vahakn N. Dadrian a été traduite en France avec une préface d’Alfred Grosser (Histoire du génocide arménien, Paris, Plon, 1996). Les ouvrages d’Yves Ternon, devenu le plus important spécialiste du génocide des Arméniens en France, sont nombreux. Cf. Les Arméniens, histoire d’un génocide (Paris, Le Seuil, 1977, rééd. 1996), Le Génocide des Arméniens, avec Gérard Chaliand (Bruxelles, Complexe, 1980, rééd. 2002), La Cause arménienne (Paris, Le Seuil, 1983).
  • [31]
    Sur cette organisation, cf. Ara Krikorian, « L’action du Comité de défense de la cause arménienne et la reconnaissance du génocide des Arméniens », in « Ailleurs… », op. cit., p. 445-460.
  • [32]
    Catherine Coquio, « Contribution complémentaire aux travaux du colloque. Inactualité d’une littérature, actualité d’une négation », in « Actualité… », op. cit., p. 472. Catherine Coquio a dirigé Parler des camps, penser les génocides, Paris, Albin Michel, 1999.
  • [33]
    Yaman Abdullah, Ermeni meselasi ve türkiye, Istanbul, Otag yayinlari, 1973. Kamuran Gürün, Le dossier arménien, Société turque d’histoire, Triangle, 1984. Cemal Özkaya Inayetullah, Le peuple arménien et les tentatives de réduire le peuple turc en servitude, Istambul, Institut pour l’étude de la Turquie, 1971 et Le problème arménien. Neuf questions, neuf réponses, Ankara, Institut de politique étrangère, 1982. Esat Uras, The Armenians in History and the Armenian Question, Istanbul, Documentary Publications, 1988.
  • [34]
    Sur une communauté arménienne estimée par eux en 1915 à 1,5 million de personnes, ils reconnaissent la déportation de 700 000 Arméniens, et la mort de 300 000 d’entre eux, par suite essentiellement de l’insécurité régnant sur les routes de l’Empire.
  • [35]
    Justin Mc Carthy, Muslims and Minorities. The Population of Ottoman Anatolia at the End of the Empire, New York, New York University Press, 1983. Heath Lowry, Turks and Armenians : A manual on the Armenian Question, Washington DC, Assembly of Turkish-American Association, 1989, The Story behind « Ambassador Morgenthau’s Story », Istanbul, Isis, 1990 (trad. française 1991). Stanford J. Shaw et Ezel Kural Shaw, History of the Ottoman Empire and Modern Turquey, Cambridge, Cambridge University Press, 1977 (trad. française : Histoire de l’Empire ottoman et de la Turquie moderne, Horvath, 1983).
  • [36]
    « Encore une fois, on peut discuter telle ou telle affirmation de Gilles Veinstein. Je regrette pour ma part qu’il s’appuie une fois sur un livre officieux, celui de Kamuran Gürün, Le Dossier arménien (Triangle, 1984), qui me paraît parfaitement suspect ; mais son intervention relève de la discipline historique, c’est-à-dire de la discussion, non de l’anathème. » (Pierre Vidal-Naquet, « Sur le négationnisme imaginaire de Gilles Veinstein », Le Monde, 3 février 1999). Gilles Veinstein s’appuie également sur Justin Mc Carthy (Muslim and Minorities…) et considère que les ouvrages de Sinasi Orel et Süreyya Yüca (The Talât Pasha Telegrams. Historical Fact or Armenian Fiction ? Londres, 1986) et Türkkaya Ataöv (The Andonian « Documents » attribuet to Talat Pasha are Forgeries, Ankara, 1984) relatifs aux documents Andonian et plaidant pour leur forgerie relèvent de « la critique historique » (Gilles Veinstein, « Trois questions sur un massacre », in « Enquête… », p. 40-41). L’authenticité de ces « documents officiels concernant les massacres arméniens », par ailleurs présentés avec des erreurs par leur « archiviste » Aram Andonian en 1920, a été néanmoins établie par des travaux convergents que n’ont pas infirmée les ouvrages de Sinasi Orel, Süreyya Yüca et Türkkaya Ataöv. Cf. Vahakn N. Dadrian (« The Naim-Andonian. Documents on the World War I Destruction of Ottoman Armenians. The Anatomy of a Genocide », International Journal of Middle East Studies, vol. 18, 3, août 1986, p. 311-360) et Yves Ternon (Enquête sur la négation d’un génocide, Marseille, Parenthèses, 1989, p. 25-33 et « La qualité de la preuve. À propos des documents Andonian et de la petite phrase d’Hitler », in « Actualité… », p. 135-141). Sur la posture de délégitimation des preuves documentaires de la destruction des Arméniens, cf. Robert W. Smith, Eric Markusen et Robert Jay Lifton, « Professional Ethics and the Denial of Armenian Genocide », Holocaust and Genocide Studies, vol. 9, 1, printemps 1995.
  • [37]
    Lucette Valensi, art. cité, p. 165-166.
  • [38]
    Gilles Veinstein, art. cité.
  • [39]
    Les travaux manquent encore pour bien comprendre la société turque contemporaine. Les revues françaises Cemoti et Turcica sont essentielles pour ce sujet, de même que certains ouvrages collectifs souvent issus de colloques. Cf. notamment Marcel Bazin et al. (dir.), La Turquie entre trois mondes, Varia Turcica 32, Paris, L’Harmattan, 1998, et Paul Dumont et François Georgeon (dir.), La Turquie au seuil de l’Europe, Paris, L’Harmattan, 1991. Cf. également l’ouvrage collectif dirigé par P. Benedict et al., Turkey. Geographic and Social Perspectives, Leiden, Brill Academic Publishers, 1974 rééd. 1994, et le dossier des Temps modernes, « Turquie. Du réformisme autoritaire au libéralisme musclé », 456-457, juillet-août 1984. Sur les femmes d’une part, sur les Kurdes de l’autre, nous renvoyons aux travaux de la sociologue Nilüfer Göle (Musulmanes et modernes. Voile et civilisation en Turquie, Paris, La Découverte, 1993, nouvelle édition 2003, avant-propos et postface inédits de l’auteur) et de l’historien Hamit Bozarslan (La question kurde, Paris, Presses de Sciences Po, 1997). Le Groupe d’études et de recherches interdisciplinaires sur la Turquie (EHESS) a fait le point sur les travaux en cours lors d’une journée d’étude « Jeune recherche sur l’Empire ottoman et la Turquie moderne » le 30 mai 2003.
  • [40]
    Paul Dumont, « La mort d’un Empire (1908-1923) », in Robert Mantran (dir.), Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989, p. 623 sq. Pour un exemple de recherche récente, cf. Gznur Akkus, « Le témoignage oral comme source. Un récit de vie sur l’exil forcé des Arméniens dans la période kémaliste » ; Revue du monde arménien moderne et contemporain, 6, 2001, p. 203-208.
  • [41]
    Cf. Raphael Lemkin, « Genocide. A New International Crime. Punishment and Prevention », Revue internationale de droit pénal, vol. 10, 1946, p. 367-370 ; « Genocide as a Crime Under International Law », American Journal of International Law, vol. 41, 1947, p. 145-151. Sur R. Lemkin, cf. Samantha Fox, A Problem from Hell. America and the Age of Genocide, New York, Basic Books, 2002.
  • [42]
    Cf. Varoujan Attarian, Le génocide des Arméniens devant l’ONU, préface d’Adolfo Esquivel, Bruxelles, Complexe, 1997 ; Annette Becker, art. cité ; Vahakn N. Dadrian, « Le génocide devant le droit », L’Intranquille, 2-3, p. 87-142.
  • [43]
    Cf. Jean-Jacques Becker, art. cité. Mentionnons par exemple les différences dans la dimension sexuelle de l’extermination puisque des hommes turcs ou kurdes se saisissent d’enfants et de jeunes filles arméniennes pour les insérer de force dans les structures familiales.
  • [44]
    Samantha Power, A problem from Hell. America and the Age of Genocide, op. cit., p. 17-46. Cf. Yves Ternon, « Comparer les génocides », in « Ailleurs… », op. cit., p. 41. « C’est ainsi, écrit l’historien, que la destruction des Arméniens de l’Empire ottoman initia une réflexion et un travail qui aboutirent, par la volonté de Lemkin, à la Convention de 1948. Ce lien est certes indirect, mais il est fondateur et il mérite d’être développé. » Il conviendrait donc de reprendre le travail juridique de Raphael Lemkin sous cet angle et d’étudier précisément ses archives personnelles incluant les manuscrits de ses écrits.
  • [45]
    Pour un aperçu, cf. Vahakn N. Dadrian, Autopsie du génocide arménien, Bruxelles, Complexe, 1995 (il s’agit de la traduction d’un article paru en 1989 dans Yale Journal of International Law). Sur les procès d’Istanbul, voir Raymond H. Kévorkian, « La Turquie face à ses responsabilités. Le procès des criminels jeunes-turcs (1918-1920) », in « Ailleurs… », op. cit., p. 166-205.
  • [46]
    Roubel Paul Adalian, « The Armenian Genocide. Revisionism and Denial », in M. N. Dobkowski et I. Wallimann (eds), Genocide in our Time, An Annoted Bibliography with Analytical Introduction, AnnArbor, Pieran Press, 1992, et « Négationnistes et génocide arménien », in Israel W. Charny (dir.), Le Livre noire de l’humanité, Toulouse, Privat, 2001, p. 406 sq. ; Israel W. Charny, « L’intolérable perversion des universitaires négateurs du génocide arménien ou de l’Holocauste », Revue du monde arménien moderne et contemporain, t. 3, 1997 ; Vahakn N. Dadrian, Histoire du génocide arménien, op. cit., et Warrant for Genocide. Keys Elements of Turko-Armenian Conflict, New Brunswick-London, Transaction Publishers, 1999 ; Richard G. Hovannisian (dir.), The Armenian Genocide in perspective…, op. cit., Remembrance and Denial. The Case of the Armenian Genocide, Detroit, Wayne State University Press, 1999 (en particulier l’article « The Armenian Genocide and Patterns of Denial », p. 124-126), et « L’hydre à quatre têtes du négationnisme. Négation, rationalisation, relativisation, banalisation » in « Actualité… », op. cit., p. 143-176 ; Roger W. Smith, « Genocide and Denial. The Armenian Case and its Implications », Armenians Review, vol. 42, n° 1/165, 1989 ; Yves Ternon, Enquête sur la négation d’un génocide, op. cit. et Du négationnisme. Mémoire et tabou, Paris, Desclée de brouwer, 1999. Sur la négation du génocide arménien sur internet, cf., sous ce titre, Gilles Karmasyn in « Ailleurs… », op. cit., p. 504-550.
  • [47]
    Pour exemple d’un tel travail associant critique historiographique et étude de cas fondée sur archives, l’article de Vahakn N. Dadrian, « The Armenian Question and Wartime Fate of the Armenians as Documented by the Officials of the Ottoman Empire’s World War I Allies, Germany and Austro-Hungary », International Journal of Middle East Studies, vol. 34, 1, 2002.
  • [48]
    Les autres chrétiens vivant dans l’Empire ont subi de très lourdes pertes dues à des massacres intentionnels. Cf. Jean-Pierre Valognes, Vie et mort des chrétiens d’Orient, Paris, Fayard, 1994. Pour un témoignage sur l’élimination des syriaques catholiques de Mardin, cf. Marie Seurat, Les corbeaux d’Alep, Paris, Gallimard et Lieu commun, 1988. Les autorités turques épargnèrent en revanche les syriaques jacobites.
  • [49]
    Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours [1987], Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points-Histoire », 1990 ; Vichy, un passé qui ne passe pas (avec Éric Conan) [1994], Paris, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 1996. Nous ne posons pas ici d’équivalence entre le « syndrome de Vichy » en France et le « tabou arménien » en Turquie. Nous soulignons simplement l’intérêt d’une approche historienne.
  • [50]
    La question politique posée à l’Empire par la minorité arménienne, et qui a été réglée par la violence d’État en 1894, a fait l’objet d’une recherche de sciences politiques de Hilmar Kaiser, Imperialism, Racism and Development Theories. The Construction of a Dominant Paradigm on Ottoman Armenians, Ann Arbor, Gomitas Institute Books, 1997. Cf. aussi Arthur Beylérian, Les Grandes Puissances, l’Empire ottoman et les Arméniens dans les archives françaises (1914-1918), Paris, Publication de la Sorbonne, 1983 et Selim Deringil, The Well-Protected Domains. Ideology and the Legitimation of Power in the Ottoman Empire, 1876-1909, London, Tauris, 1999. Le projet de relecture critique de la nationalisation de l’histoire et de son usage politique a été conduit par Hamit Bozarslan dans Histoire de la Turquie au 20e siècle, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2004. Cette synhèse a été précédée notamment de travaux de François Georgeon sur le nationalisme turc.
  • [51]
    Raul Hilberg, The Destruction of the European Jews, revised and définitive edition [1985], La destruction des juifs d’Europe, trad. française, Paris, Fayard, 1996. Sur l’histoire de cette recherche essentielle, cf., du même auteur, traduit par Marie-France de Paloméra, La politique de la mémoire, Paris, Gallimard, coll. « Arcades », 1996.
  • [52]
    Richard Hovannisian, « Introduction », in « Actualité… », op. cit., p. 22.
  • [53]
    Cf. Richard G. Hovannisian, The Armenian Holocaust. A Bibliography Relating to the Deportations, Massacres and Dispersion of the Armenian People, 1915-1923, Cambridge (Mass.), 1980 ; Rouben Paul Adalian (dir.), Armenian Genocide Resource Guide, Washington DC, 1988 ; Michael N. Dobkowski et Isidor Wallimann (dir.), Genocide in Our Time. An Annotated Bibliography with Analytical Introductions, Ann Arbor, Pierian Press, 1992.
  • [54]
    Anahide Ter Minassian, La question arménienne, Marseille, Parenthèses, 1983 ; Martine Hovanessian, Le Lien communautaire. Trois générations d’Arméniens, Paris, Armand Colin, 1992.
  • [55]
    Trois gros dossiers ont été publiés à ce sujet en France entre 1984 et 2003 : Tribunal permanent des peuples, Le crime de silence, op. cit. ; Comité de défense de la cause arménienne, Actualité du Génocide des Arméniens, préface de Jack Lang, Créteil, Edipol, 1999 ; « Ailleurs, hier, autrement. Connaissance et reconnaissance du génocide des Arméniens », op. cit. Aux États-Unis, il faut signaler l’ouvrage dirigé par Richard Hovannisian, Remenbrance and Denial. The Case of Armenian Genocide, op. cit.
  • [56]
    Anahide Ter Minassian, « Un exemple, Mouch 1915 », in « Actualité… », op. cit., p. 231-252, et « Mouch 1915 selon Alma Johansson », Haigazarian Armenological Review, 15, 1995, p. 57-85.
  • [57]
    Ronald Suny (dir.), « The Sassoun Massacres », numéro spécial de The Armenian Review, 2001.
  • [58]
    Yves Ternon, « Mardin 1915. Anatomie pathologique d’une destruction », numéro spécial de la Revue d’histoire arménienne contemporaine, 2002.
  • [59]
    Raymond H. Kévorkian, « Camps de concentration de Syrie et de Mésopotamie (1915-1916). La deuxième phase du génocide », in « Actualité… », op. cit., p. 177-218. Et, sous sa direction, « L’extermination des déportés arméniens ottomans dans les camps de concentration de Syrie-Mésopotamie (1915-1916) », Revue d’histoire arménienne contemporaine, 1998.
  • [60]
    Raymond H. Kévorkian (dir.), « La Cilicie (1909-1921), des massacres d’Adana au mandat français », numéro spécial de la Revue d’histoire arménienne contemporaine, 1999.
  • [61]
    Claire Mouradian, « Mardin 1915. Anatomie pathologique d’une destruction », in « Ailleurs… », op. cit., p. 579.
  • [62]
    Cf. notamment Johannes Lepsius, Der Todesgang des armenischen Volkes [1930], Archives du génocide des Arméniens. Recueil de documents diplomatiques allemands, trad. française, préface d’Alfred Grosser, Paris, Fayard, 1986.
  • [63]
    Nous renvoyons à la bibliographie disponible dans Vahakn N. Dadrian, Histoire du génocide arménien, op. cit., p. 393 sq.
  • [64]
    Arménouhie Kévonian, Les noces noires de Gulizar, présenté par Anahide Ter Minassian, Marseille, Parenthèses, 1993.
  • [65]
    Gustave Meynier, Les massacres de Diarbekir. Correspondance diplomatique du Vice-Consul de France, 1894-1896, présentée et annotée par Claire Mouradian et Michel Durand-Meyrier, Paris, Éditions de l’Inventaire, 2000.
  • [66]
    Rouben, traduit par Waïk Ter Minassian, préface de Jean Kéhayan, Mémoires d’un partisan arménien, fragments, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1990.
  • [67]
    Leslie A. Davis, La Province de la mort. Archives américaines concernant le génocide des Arméniens (1915), édité par Yves Ternon et précédé de Lettre ouverte à Bernard Lewis et quelques autres par Yves Ternon, Bruxelles, Complexe, 1994. La valeur des documents produits dans cette édition est renforcée par la position de neutralité des États-Unis dans le conflit en 1915 et par l’importance des préjugés du diplomate à l’égard des Arméniens, avant que ne débutent les premiers massacres. Et, du même éditeur, « Témoignages de rescapés du génocide arménien », in « Ailleurs… », p. 123-145.
  • [68]
    Cf. les ouvrages précédemment cités ainsi que Jean Ayanian, Le Kemp. Une enfance intra-muros, précédé de Vienne, ou des étrangers dans la ville, par Anahide Ter Minassian, Marseille, Éditions Parenthèses, 2001 ; Mgr. Balakian, traduit par Henri Bédrossian, Le Golgotha arménien, Paris, Le cercle d’écrits caucasiens, vol. 1, 2002.
  • [69]
    Cf. la contribution de Catherine Coquio, « La littérature arménienne et la Catastrophe », in « Ailleurs… », op. cit., p. 397-423. Cf. également Rubina Peroomian, Literary Responses to Catastrophe. A Comparison of the Armenian and the Jewish Experience, Atlanta, Scholars Press, 1993.
  • [70]
    Cf. Dzovinar Kévonian, Réfugiés et diplomatie humanitaire. Les acteurs européens et la scène proche-orientale pendant l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.
  • [71]
    Hans Lukas Kieser, La Question arménienne et la Suisse (1896-1923), Zurich, Chronos Verlag, 2002.
  • [72]
    Ulrich Trumpeter, Germany and the Ottoman Empire, 1914-1918, Princeton, Princeton University Press, 1969.
  • [73]
    Vahakn N. Dadrian se distingue d’Ulrich Trumpeter. En interprétant les sources disponibles en regard du droit criminel, il estime pouvoir démontrer que l’Allemagne a été complice du génocide, du fait de « l’engagement d’un certain nombre de fonctionnaires civils et militaires allemands dans une action qui visait à encourager et à aider les Turcs dans l’accomplissement du crime ». Le niveau de l’engagement irait de l’« incitation » (Anregung) au « consentement » (Zusage) (Histoire du génocide arménien, op. cit., p. 468). Outre la difficulté d’établir, en historien, la notion de complicité, cette thèse soulève la question de l’existence de nombreuses protestations allemandes, publiques et privées, dont la plus connue est celle du pasteur Johannes Lepsius, fondateur de la Deutsche-Orient Mission. Les diplomates en poste dans l’Empire protestent eux aussi, comme Rössler à Alep et Kuckhoff à Samsoun.
  • [74]
    « La Question d’Orient ou la sanglante agonie de “l’homme malade” », in « Ailleurs… », op. cit., p. 63-87.
  • [75]
    Pour le domaine anglo-saxon, cf. Marian Kent (dir.), The Great Powers and the End of the Ottoman Empire, London, Frank Cass, 1996, et Peter Balakian, The Burning Tigris, op. cit.
  • [76]
    Hans-Lukas Kieser, Der verpasste Friede. Mission, Ethnie und Staat in den Ostprovinzen der Turkeï, 1839-1938, Zurich, Chronos Verlag, 2000.
  • [77]
    Cf. Taner Akçam, Türk Ulusal Kimligi ve Ermeni Sorunu [L’identité nationale turque et la Question arménienne], Istanbul, Iletisim Yayinlari, 1992. Du même, Siyasi Kültürümüzde Zulüm ve Iskence [Atrocités et torture dans notre culture politique], Istanbul, 1992.
  • [78]
    Ragib Zarakolu et Aysé Nur ont par exemple édité en Turquie des traductions des ouvrages de Franz Werfel, Yves Ternon et Vahakn N. Dadrian. Ils dirigent les Éditions internationales Belgé. Cf. le récit de leur expérience lors de la table ronde finale du colloque de la Sorbonne, in « Actualité… », p. 451-452.
  • [79]
    Cf. Ismail Beçikçi, La thèse turque de l’histoire et le problème kurde, Ankara, Komal Yayinlari, 1977. Sur cet ouvrage et celui de Taner Akçam, cf. Hamit Bozarslan, L’Intranquille, 1,1992, et 2-3, 1994.
  • [80]
    « Observateur participant », nous avons pu constater ces évolutions libérales à travers une double expérience de lecteur-attaché linguistique dans les universités d’Istanbul, Marmara et Bogazici et de correspondant pour l’hebdomadaire francophone turc L’Orient Express, au cours des années 1986-1988.
  • [81]
    Ara Sarafian, « Réexamen du “débat sur les archives ottomanes” », art. cité.
  • [82]
    Anahide Ter Minassian, art. cité.
  • [83]
    Lorsque les éditeurs turcs Ragib Zarakolu et Aysé Nur ont décidé, en 1993, de publier la traduction du livre interdit d’Yves Ternon, Les Arméniens, histoire d’un génocide, paru en 1977, ils ont préféré « le titre de l’édition allemande : Le tabou arménien, parce qu’il s’agissait véritablement d’un tabou » (in « Actualité… », op. cit., p. 452).
  • [84]
    Cf. Donald E. Miller et Lorna Toryan Miller, An Oral History of the Armenian Genocide, Berkeley, California University Press, 1993.
  • [85]
    Spécialiste de géopolitique et de l’histoire des Kurdes (Le malheur kurde, Paris, Le Seuil, coll. « L’épreuve des faits », 1992), Gérard Chaliand est aussi l’auteur, avec Yves Ternon, de Le génocide des Arméniens, Bruxelles, Complexe, coll. « La mémoire du siècle », 1984. Son livre Mémoire de ma mémoire s’achève sur une dédicace « À Djelal Bey, gouverneur d’Alep en 1915, qui fut destitué pour avoir refusé d’appliquer les ordres de déportation et à tous les Turcs et Kurdes qui s’y opposèrent, d’une manière ou d’une autre » (Paris, Julliard, 2003, p. 102).
  • [86]
    Jean Kéhayan, L’apatrie, Marseille, Parenthèses, 2000.
  • [*]
    Vincent Duclert est professeur agrégé à l’École des hautes études en sciences sociales. Il enseigne également à l’École nationale d’administration et à l’université de Columbia (Programs in Paris). Historien du politique dans la France contemporaine, il s’est spécialisé dans l’histoire de l’État et dans celle des intellectuels. Il a notamment publié L’affaire Dreyfus (La Découverte, 1994), Les archives (avec Sophie Cœuré, La Découverte, 2001) et dirigé avec Marc Olivier Baruch Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française (La Découverte, 2000) ainsi que Justice, politique et République, de l’affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie (Complexe, 2002), et, avec Christophe Prochasson, le Dictionnaire critique de la République (Flammarion, 2002).
Français

Résumé

Au cours du premier conflit mondial, l’extermination de près d’un million d’Arméniens, peuple chrétien de l’Empire ottoman, constitue l’événement principal par lequel se transmet en Occident la connaissance de la guerre en Orient. S’il y a là un fait historique dont la matérialité n’est contestée que par la marge la plus orthodoxe des historiens officiels turcs, en revanche, l’interprétation de cet événement – à savoir l’intention et la réalisation collectives, politiques et étatiques, d’un crime de masse caractéristique d’un génocide moderne – fait l’objet de contestations très violentes derrière lesquelles agissent des enjeux nationaux et identitaires puissants. L’histoire des historiens apparaît saisie d’enjeux qui la dépassent et la déforment. Cependant, elle ne peut renoncer à assumer sa dimension sociale et politique. L’espoir placé dans les vertus de la recherche impose au préalable de tenter de mettre en ordre et d’analyser la situation historiographique relative à la destruction des Arméniens de l’Empire ottoman.

Vincent Duclert [*]
  • [*]
    Vincent Duclert est professeur agrégé à l’École des hautes études en sciences sociales. Il enseigne également à l’École nationale d’administration et à l’université de Columbia (Programs in Paris). Historien du politique dans la France contemporaine, il s’est spécialisé dans l’histoire de l’État et dans celle des intellectuels. Il a notamment publié L’affaire Dreyfus (La Découverte, 1994), Les archives (avec Sophie Cœuré, La Découverte, 2001) et dirigé avec Marc Olivier Baruch Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française (La Découverte, 2000) ainsi que Justice, politique et République, de l’affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie (Complexe, 2002), et, avec Christophe Prochasson, le Dictionnaire critique de la République (Flammarion, 2002).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2006
https://doi.org/10.3917/ving.081.0137
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