CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Au début du siècle, « l’intersectionnalité » commence à être utilisée en France dans les différentes sciences sociales. À la fois outil, méthode et objet de recherche, la définition de l’intersectionnalité varie, nourrie par les critiques qui sont adressées tantôt au mot lui-même [1], tantôt aux usages qui en sont faits [2]. Cependant, ce n’est que tardivement et avec réticence que mot et usages sont progressivement discutés dans la discipline historique. Ce numéro ambitionne de se saisir du concept pour en explorer les potentialités en histoire aux 20e et 21e siècles dans des espaces et des contextes historiques très différents, allant des colonies à la métropole françaises en passant par les États-Unis, le Pérou ou l’Allemagne. Selon Sirma Bilge, sociologue à l’Université de Montréal :

[…] l’approche intersectionnelle va au-delà d’une simple reconnaissance de la multiplicité des systèmes d’oppression opérant à partir de ces catégories et postule leur interaction dans la production et la reproduction des inégalités sociales [3].
En France, cette nouvelle approche est rendue possible par l’émergence d’une nouvelle génération de chercheuses et de chercheurs, attentifs à systématiser l’analyse de l’articulation des différents rapports sociaux [4]. Dans quelle mesure l’intersectionnalité peut-elle être un outil pour l’historien et pour l’historienne ? Que signifie produire une histoire attentive à l’intersection des dominations ? Des historiographies croisant des perspectives micro ou macro sont mobilisées ici pour décrire les reconfigurations des rapports sociaux dans l’histoire et dans l’espace, qui forgent des expériences différenciées. Enfin, l’usage de ce concept permet de s’interroger non seulement sur la position située des protagonistes mais aussi, par extension, sur celle des institutions qui les catégorisent. L’enjeu est de théoriser l’analyse de l’imbrication des dominations pour en saisir les effets sur le quotidien des individus et appréhender les pratiques sociales qui en découlent dans leur contexte.

Généalogie étatsunienne d’un concept critique

2La généalogie de l’intersectionnalité est le plus souvent ancrée aux États-Unis dans le mouvement féministe noir né à la suite de la lutte pour les droits civiques et des politiques d’affirmative action à partir de 1964. Elle est associée au Black Feminism qui se développe au cours des années 1970 en réaction aux féministes blanches du Women’s Lib, tout en se distanciant des modalités du combat des hommes noirs pour leur libération [5]. Le Combahee River Collective, un collectif de féministes noires fondé en 1974, écrit :

3

Ce sont nos expériences et nos désillusions à l’intérieur de ces mouvements de libération, ainsi qu’à la périphérie de la gauche masculine blanche, qui nous ont poussées à développer une politique qui soit antiraciste, à la différence de celle des féministes blanches, et antisexiste, à la différence de celle des hommes noirs et blancs [6].

4Ce groupe féministe a pour objectif de lutter contre les oppressions, principalement de race, de classe, de sexe et de sexualité, et d’analyser l’effet produit par leurs imbrications. Comme l’évoque le titre d’un ouvrage central des études féministes noires étatsuniennes, « Toutes les femmes sont blanches, tous les Noirs sont hommes, mais nous sommes quelques-unes à être courageuses [7]. »

5Cette généalogie est aujourd’hui réévaluée. En effet, la question de la place spécifique des femmes noires dans les mouvements sociaux n’est pas nouvelle aux États-Unis. Elle a été posée dès le 19e siècle, notamment par l’ancienne esclave Sojourner Truth, dans un discours célèbre tenu lors de la Convention des droits des femmes dans l’Ohio en 1851, interpellant abolitionnistes et féministes blanches à propos des diverses formes d’oppression subies par les femmes noires [8]. De son côté, Céline Bessière, retraçant dans l’historiographie étatsunienne de la guerre de Sécession la présence des femmes du Sud étatsunien, femmes de planteurs et esclaves, aborde l’imbrication des rapports de genre, de classe et de race. Dans cette configuration historique concrète se construisent des rapports de pouvoir et des relations inégalitaires fondées sur la race, le genre et la classe [9].

6Au 20e siècle, comme l’évoque Grégory Bekhtari dans ce numéro, la notion de « triple oppression » apparaît sous la plume de Louise Thompson Patterson, dirigeante communiste, pour rendre compte de l’articulation entre l’oppression des femmes, l’oppression des Noirs et l’exploitation capitaliste. La philosophe et militante communiste américaine Angela Davis reprend ces élaborations dans son ouvrage Femmes, race et classe paru en 1981 et rapidement traduit en français [10]. Le mot « intersectionnalité » s’impose progressivement et s’affirme aux États-Unis dans les disciplines juridiques qui s’intéressent à l’antiracisme et aux théories de la discrimination. Forgé par la juriste Kimberlé W. Crenshaw, il est en effet diffusé dans une publication de 1989 avant d’être largement discuté [11]. Son ambition est alors de montrer que, dans le traitement des violences faites aux femmes, les catégories juridiques empêchent la prise en compte de l’expérience des femmes noires, situées à l’intersection de plusieurs rapports de pouvoir :

7

[…] en m’attachant à deux manifestations de la violence masculine contre les femmes (les coups et les viols), je montre que les expériences des femmes de couleur sont souvent le produit des croisements du racisme et du sexisme, et qu’en règle générale elles ne sont pas plus prises en compte par le discours féministe que par le discours antiraciste [12].

8La notion d’expérience est au cœur de l’analyse de Kimberlé W. Crenshaw, ce qui conduit celle-ci à souligner l’enjeu d’une épistémologie située, centrale dans le concept d’intersectionnalité, et qui lui donne sa portée critique. Comme le précisent Sébastien Chauvin et Alexandre Jaunait :

9

L’intersectionnalité est d’abord une théorie critique au sens où elle permet de formuler des intérêts normatifs spécifiques, ceux de minorités situées à l’intersection des grands axes de structuration des inégalités sociales et dont les intérêts ne sont pas représentés par des mouvements sociaux [13].

10Si cette généalogie étatsunienne est essentielle pour saisir l’ensemble des ramifications du concept, son histoire et les débats qu’il a suscités, l’enjeu de ce dossier est bien de se l’approprier sans chercher à le plaquer sur toutes les situations, en distinguant soigneusement les configurations, les contextes et les mots pour le dire. Il convient d’abord d’examiner les problèmes posés par l’usage du concept de race comme catégorie d’analyse.

Race et intersectionnalité : un usage controversé en France

11L’usage du mot « race » est controversé en France, dans la discipline historique mais aussi ailleurs : le 12 juillet 2018, l’Assemblée nationale adopte un amendement visant à supprimer le terme « race » dans la Constitution française. En 2005, un historien étatsunien, Tyler Stovall, dressait un état sans concession des difficultés des historiens français à prendre en compte les questions de race comme dimension de l’histoire nationale, et particulièrement de l’histoire coloniale, tout en soulignant l’importance prise par ce débat dans l’espace public :

12

Proposer une étude de l’histoire de l’idée de race en France revient à se promener dans un champ de mines. Beaucoup voudraient nier la possibilité d’appliquer ce concept à l’expérience française, voire sa validité même, si bien qu’on ne peut adopter a priori aucun accord sur les termes et les concepts. En même temps, la question des différences raciales est devenue centrale dans la vie publique française pendant le dernier quart du siècle, prenant ainsi un caractère d’urgence politique [14].

13Dans les sciences sociales, et en histoire en particulier, l’utilisation de la catégorie de race fait débat comme en témoigne en 2006, dans la revue Le Mouvement social, la contribution critique de Philippe Rygiel à propos de l’article de 2005 de Pap Ndiaye, « Pour une histoire des populations noires en France : préalables théoriques », paru dans la même revue [15]. Philippe Rygiel récuse alors l’importation de « catégories et de formes de mises en récit élaborées dans d’autres contextes » (le contexte étatsunien) ; selon lui, la question noire n’est pas liée au roman des origines de la nation, ni à une violente guerre civile. Il refuse d’accorder le titre de groupe social à des personnes qui partagent la même expérience sociale « d’une identité noire ». Dans cette analyse, l’histoire des populations noires des colonies, des Antilles à l’Afrique subsaharienne, pourtant partie prenante de l’histoire nationale, est largement occultée. Dix ans après la publication en 2008 de son livre La Condition noire, Pap Ndiaye souligne que :

14

[…] abolir la « race » dans les sciences sociales ou la Constitution ne fera pas disparaître les discriminations fondées sur elle. L’usage de la catégorie raciale n’implique pas un engagement ontologique douteux du législateur ou du chercheur sur l’existence des « races », mais l’utilisation pragmatique d’une catégorie située pour décrire des phénomènes discriminatoires [16].

15En 2015, l’historien moderniste spécialiste de la péninsule ibérique, Jean-Frédéric Schaub, défend une histoire politique et sociale des processus de racialisation en soulignant que la race n’a pas toujours désigné une réalité biologique, d’une part, et qu’on ne saurait, d’autre part, plaquer l’histoire étatsunienne sur d’autres contextes, rejoignant ainsi l’une des objections de Philippe Rygiel [17]. Dans l’approche intersectionnelle, la race est envisagée comme une construction sociale et historique mais aussi comme un processus relationnel qui naturalise et hiérarchise les différences. Selon la sociologue Colette Guillaumin, dont les travaux depuis 1972 n’avaient rencontré que peu d’échos jusqu’à une date récente, c’est le racisme qui produit la race :

16

Non, la race n’existe pas. Si, la race existe. Non certes, elle n’est pas ce qu’on dit qu’elle est, mais elle est néanmoins la plus tangible, réelle et brutale des réalités [18].

17C’est au début des années 2000, et en particulier à partir des révoltes des banlieues françaises de 2005, que l’argumentation théorique de Colette Guillaumin a été redécouverte, après des années de relative occultation ou d’indifférence [19].

18Après la première traduction du terme « intersectionnalité » par Kimberlé W. Crenshaw en 2005 dans la revue Cahiers du genre[20], la réception du concept suscite des débats, notamment parmi les sociologues matérialistes. En s’appuyant sur ses propres travaux, Danièle Kergoat précise que le « croisement “race”/genre/classe n’est pas une nouveauté pour la France ». À l’intersectionnalité, concept auquel elle reproche de « figer les catégories », elle préfère l’idée selon laquelle :

19

[Les] rapports sociaux sont consubstantiels : ils forment un nœud qui ne peut être séquencé au niveau des pratiques sociales […] ; et ils sont coextensifs : en se déployant, les rapports sociaux de classe, de genre et de « race », se reproduisent et se co-produisent mutuellement [21].

20À la suite de cette première réception du concept, les études de sciences humaines et sociales mobilisant l’intersectionnalité en tant qu’outil théorique se multiplient, suscitant néanmoins de nombreuses critiques dans l’espace public et dans les milieux universitaires.

21En 2018, l’historien Gérard Noiriel critique l’usage du concept d’intersectionnalité, qui contribuerait selon lui à privilégier les « discriminations liées au genre et à la race » et à laisser de côté la classe, ce qui représente à ses yeux une « régression par rapport aux principes fondateurs de la sociologie. Il ne suffit pas de combiner, en effet, trois entités réifiées pour rendre compte de la complexité des réalités sociales [22] ». Comme le montrent les articles de ce dossier, partir de situations concrètes et les analyser dans le cadre d’un processus historique précis permet au contraire d’éviter l’utilisation de catégories réifiées, qui ne se limitent pas forcément à la trilogie classe/genre/race, les catégories d’âge, de génération, de religion et de sexualité permettant, entre autres, de décrire des réalités historiques mouvantes. Gérard Noiriel dénonce aussi les dérives identitaires liées à l’usage des concepts de genre et de race. Ce point de vue est discuté par les sociologues Abdellali Hajjat et Silyane Larcher, qui appuient leur argumentation sur deux points : le texte de Gérard Noiriel considère selon eux « l’analyse des rapports sociaux de genre et de race comme exclusive ou concurrente de l’analyse des rapports sociaux de classe » ; il est « publié dans un contexte politique où les chercheuses et chercheurs mobilisant les concepts de “racialisation”, de “genre” ou d’“intersectionnalité” font l’objet d’une campagne de disqualification sans précédent dans l’espace public [23] ». En effet, des polémiques importantes se déploient dans le débat public, souvent lancées ou relayées par des militants d’extrême droite, comme en ont témoigné les difficultés qu’a rencontrées l’École supérieur du professorat et de l’éducation (ESPE) de Créteil pour organiser le colloque Penser l’intersectionnalité dans les recherches en éducation en mai 2017 [24]. Peu de temps après la publication du programme du colloque, celui-ci a fait l’objet de très nombreuses attaques sur les réseaux sociaux et dans la presse, relayées par Marine Le Pen dans le cadre de la campagne présidentielle de 2017, conduisant à un désengagement du rectorat de Créteil, initialement impliqué, et à des hésitations de la part de différentes institutions.

22L’interaction avec les classes sociales n’a cependant pas cessé d’être présente dans le champ militant comme dans le champ scientifique. Le manifeste des afro-féministes du collectif Mwasi affirme :

23

Nous sommes maintenues dans les catégories les plus précaires du salariat, s’il y a bien des domaines où les Noir.es ne sont pas discriminé.es en France c’est le ménage et la sécurité [25].

24De même, un récent recueil d’entretiens publiés par la revue Travail, genre et sociétés confirme la centralité du travail dans les récits de vie des féministes interviewées, mêlant public et privé. On y perçoit la précarisation des emplois, la croissance du chômage, l’accroissement de la pauvreté des classes laborieuses, les migrations féminines, mais aussi les luttes féministes sur la contraception et l’avortement, la parité, les grèves, comme l’affirmation des sujets-femmes dans cette histoire des femmes au croisement du genre, du travail et des générations [26].

25Dans la discipline historique, le concept reste jusqu’alors peu mobilisé à quelques exceptions près [27]. Christelle Gomis revient dans ce numéro sur les métamorphoses des savoirs historiques rendues possibles par l’usage du concept d’intersectionnalité dans l’histoire étatsunienne, non seulement pour envisager l’histoire du suffrage électoral, mais également pour aborder la lutte pour les droits civiques. De son côté, Michelle Zancarini-Fournel examine les prises en compte successives de la classe, du genre et de la race dans l’historiographie française qui se heurtent à un universalisme abstrait, refusant parfois de prendre en considération les individualités et les groupes. Alexandra Oeser analyse ici la mobilisation contre la fermeture de l’usine Molex à Villemur-sur-Tarn, en étudiant plus précisément les masculinités des dirigeants et des salariés pour interroger « les processus de construction de la classe par le genre » et en montrant comment la division sexuée du travail s’est perpétuée durant la mobilisation. L’historiographie comporte de nombreuses recherches croisant de fait plusieurs voire toutes ces catégories : le genre, la classe et la race, mais aussi l’âge, la génération, les sexualités, sans que le terme intersectionnalité soit nécessairement employé. C’est le cas aussi dans l’analyse de situations coloniales ou dans l’étude de migrations. En définitive, c’est l’interaction entre ces différentes catégories qui permet de démontrer comment se forgent les processus historiques.

Une histoire coloniale et migratoire au croisement des catégories

26De même, depuis le début des années 2000, les études de genre ont contribué à renouveler l’étude des situations coloniales, sans pour autant que le concept d’intersectionnalité soit explicitement mobilisé. Dans un numéro de la revue Clio. Histoire, femmes et sociétés (Clio HFS) paru en 1997, les « femmes d’Afrique » étaient déjà présentées dans les recherches de Catherine Coquery-Vidrovitch et de ses « élèves [28] ». Clio HFS dresse en 2011, dans un numéro intitulé « Colonisations », un bilan historiographique dans une perspective intersectionnelle mais le terme n’est jamais utilisé. L’articulation entre sexe, genre et situation coloniale est en effet travaillée sans que la catégorie de race soit employée, si ce n’est dans l’article de Vincent Joly à propos des « races guerrières [29] » ou dans les articles traitant des relations interraciales. Christelle Taraud y analyse le genre et les sexualités dans le Maghreb colonial (1830-1962) [30]. Dans un précèdent article, elle avait démontré comment les prostituées indigènes en Afrique du Nord constituaient une minorité sexuelle, dominée, marginalisée et racialisée, tout en mettant en exergue leurs marges de manœuvre [31].

27Enfin, l’expansion coloniale est étudiée comme un moment central de redéfinition des masculinités [32]. En effet, les études de genre invitent également à repenser les différentes formes de masculinités exprimées dans l’espace colonial. En 2004, Raphaëlle Branche aborde cette question à propos de la guerre d’indépendance en Algérie et de l’action des soldats français du contingent, qui remettaient quotidiennement en cause leur identité guerrière et leur virilité [33]. Plus récemment, Todd Shepard, avec Mâle décolonisation. L’« homme arabe » et la France, de l’indépendance algérienne à la révolution iranienne, cherche à comprendre :

28

[…] pourquoi et comment, de l’indépendance de l’Algérie en 1962 et jusqu’à la fin de l’agitation culturelle et sociale des années 1970, les théories profondément sexualisées sur les « Arabes » ont été omniprésentes dans les grands débats publics français, aussi bien autour de la sexualité que sur les Arabes [34].

29En lien avec les dynamiques historiques de transformation de l’empire colonial, Françoise Blum et Ophélie Rillon montrent dans ce numéro, en retraçant l’histoire d’une famille singulière selon une méthode micro-historique, comment s’est opérée la fabrique des différenciations sociales et des subjectivités individuelles (de genre, de race, de classe, de génération). Les auteures s’intéressent en particulier aux trajectoires métisses et aux destins individuels. Enfin, l’article de Naomi Davidson présente les modalités de la construction des distinctions religieuses, raciales et de genre dans l’Algérie coloniale à la fin du 19e siècle. La distinction est progressivement tracée par les autorités coloniales françaises, comme par le Consistoire métropolitain, entre les figures de femmes juives et musulmanes alors qu’auparavant la ressemblance de leurs pratiques et de leur comportements corporels – considérés comme « sauvages » aux yeux des observateurs français – était prégnante.

30En 2002, la problématique du croisement entre genre et migrations a été proposée par Nancy L. Green dans son bilan historiographique et théorique Repenser les migrations[35]. Le colloque international « Histoire, genre et migration (Mondes atlantiques, xixe-xxe siècles) » organisé en 2006 donne une impulsion à ces perspectives de recherche [36]. Les migrantes sur le marché du travail [37], les représentations du genre en migration [38] ou les pratiques administratives résultant des politiques migratoires sont explorées [39]. Linda Guerry aborde plus précisément les enjeux de naturalisation des femmes immigrées [40] tandis qu’Aurélie Audeval étudie la situation des étrangères dites « indésirables [41] » de la fin de la Troisième République à Vichy. Plus récemment, s’inscrivant dans la nouvelle historiographie de la domesticité, Margot Béal revendique une approche intersectionnelle. Le travail domestique rémunéré, s’effectuant le plus souvent chez l’employeur, constitue selon elle « un point d’entrée crucial pour comprendre comment se forment les rapports sociaux de classe et de genre, de sexualité, au sein même des foyers ; et, même de manière plus labile, la constitution des rapports sociaux de race et de la blanchité [42] ». L’historienne montre comment cette racialisation passe, d’une part, par la déshumanisation, qui a des répercussions sur les conditions de travail et fait ressortir des enjeux de dignité, et, d’autre part, par la soumission à des logiques de dévalorisation systématique des aptitudes intellectuelles. Camille Fauroux revient dans ce numéro sur des migrations contraintes, analysant l’expérience de la maternité des femmes françaises employées dans l’industrie de guerre nationale-socialiste entre 1940 et 1945. Elle y montre que les « hiérarchies raciales entre femmes contribuent à la construction du genre », dans la mesure où elles rendent compte du traitement différencié des Françaises, des Allemandes et des travailleuses des territoires colonisés et conquis d’Europe de l’Est.

31Myriam Paris et Vincent Gay abordent enfin, dans ce numéro spécial, la question des mobilisations des migrants et des migrantes. L’article de Myriam Paris porte sur les Réunionnaises et les Réunionnais émigrés en France qui se battent « Contre tous les pouvoirs, d’une classe sur l’autre / d’une race sur l’autre / d’un sexe sur l’autre ». Tels sont en effet les derniers vers en forme de mots d’ordre d’un poème publié en 1979 par une militante du « groupe femmes » de l’Union générale des travailleurs réunionnais en France (organisation fondée en 1963), qui dénonçait leurs conditions de vie et de travail en France. Comme le montre Vincent Gay, il importe d’accorder une attention systématique au croisement des dominations au travail. Ainsi, en interrogeant les différentes formes de masculinités qui s’expriment au cours des mobilisations syndicales, il analyse ce qui se joue pour les ouvriers spécialisés immigrés lors des conflits des usines Talbot et Citroën au début des années 1980.

Croiser le genre et la race : penser la biopolitique en contexte colonial ou postcolonial

32Plusieurs articles de ce numéro s’inscrivent dans les renouvellements proposés par l’ouvrage d’Ann Laura Stoler, La Chair de l’empire, qui articule les savoirs intimes et les pouvoirs raciaux dans les Indes néerlandaises de la fin du 19e au début du 20e siècle. Sans employer le concept d’intersectionnalité, l’anthropologue étatsunienne pose la question de la biopolitique : elle cherche à comprendre pourquoi les questions de l’intime – allaitement, éducation des enfants, sexualité, race – sont devenues des enjeux centraux de la politique coloniale, bien qu’il y ait des décalages entre les prescriptions rigides et les pratiques désordonnées, entre les catégories et leur contenu flottant [43]. Dans ce numéro, Lissell Quiroz interroge les stérilisations forcées réalisées sur les femmes indigènes dans une perspective eugéniste durant l’ère Fujimori (1996-2000). Elle les replace dans la continuité des politiques menées à destination des mères au Pérou depuis le 19e siècle, et ce dans une perspective qu’elle préfère qualifier de décoloniale plutôt que d’intersectionnelle. Elle s’inscrit ainsi dans la lignée des travaux du sociologue péruvien Aníbal Quijano qui a forgé le concept de « colonialité du pouvoir [44] », désignant par là « un schéma global de pouvoir qui classifie et hiérarchise les populations en fonction de leur histoire, leur classe, leur race, leur genre et de leur sexualité ».

33Le croisement du genre et de la race permet de repenser la biopolitique coloniale dans son ensemble et la mise en œuvre des politiques démographiques, en particulier, plus variées dans l’espace et dans le temps qu’une conception idéologique pourrait le laisser entendre. L’étude de Nicole Bourbonnais relative à quatre îles anglophones de l’aire caribéenne [45] parait intéressante au regard de cette histoire de plus longue durée des politiques de birth control. On y constate que les Bermudes, la Barbade, Jamaïque et Trinidad ont mis en œuvre, dans l’entre-deux-guerres, des politiques de contrôle de la natalité à caractère malthusien voire eugéniste avec un projet, non abouti, de stérilisations forcées dénoncées par certaines féministes [46]. Malgré les réticences des associations religieuses noires à cette politique, les aspirations à offrir une meilleure vie à leurs enfants se généralisent très progressivement et favorisent à terme la maîtrise de leur propre vie par les femmes et les hommes. L’analyse menée par ailleurs sur la contraception et l’avortement en Guadeloupe et en Martinique entre 1965 et 1975 démontre que l’explosion démographique redoutée par les pouvoirs publics n’a pas eu lieu. La volonté étatique de différencier la métropole (avec sa politique nataliste) des Antilles (politique néomalthusienne des Quatrième et Cinquième Républiques) a été battue en brèche par le refus de l’Église et de certains partis ou groupes politiques antillais (communistes, autonomistes). La contraception a été encouragée par des associations et des médecins antillais soucieux d’améliorer la vie des femmes en limitant les grossesses à répétition. En fin de compte, ce sont les femmes elles-mêmes qui ont décidé (ou non) de limiter les naissances. La baisse précoce de la natalité, comme la volonté des Antillaises de mieux assurer l’avenir de leurs enfants, témoignent d’une mutation des cultures sociales et de l’affirmation de la volonté des femmes dépassant le cadre des politiques publiques, des habitudes et des traditions [47].

34Pour conclure, les catégories d’analyse sur les questions d’origine, de race, de classe et de genre s’affirment dans l’espace public et se médiatisent. Dans son roman Blues pour Élise, sous-titré Séquences afropéennes. Saison 1, un portrait coloré et charnel de quatre femmes noires, éloigné des clichés misérabilistes, l’écrivaine Léonora Miano écrit lucidement :

35

Le défi est que les heures sombres du passé deviennent enfin l’Histoire, pas un présent perpétuel. Les femmes noires du troisième millénaire cherchent leur place dans un espace aux limites mal définies entre aliénation et quête de la pureté identitaire [48].

36De la même façon, l’ouvrage Noire n’est pas mon métier rassemble les témoignages de seize actrices noires et métisses qui dénoncent non seulement les rôles dans lesquels elles sont cantonnées dans le cadre de la division sexuée et raciale du travail, mais également la manière dont elles continuent de se trouver exotisées par ou derrière la caméra [49].

37Au 21e siècle, les réflexions des sciences sociales sur l’intersectionnalité ont un écho différent dans la société, comme le montrent les polémiques récentes sur la question de la non-mixité, qui ont, par exemple, donné lieu en France à de vifs débats politiques et médiatiques centrés autour des questions de genre et de race. La première polémique a concerné en mars-avril 2016 un groupe d’étudiantes, « Les non-mixeuses », de l’Université Paris-8 à propos d’assemblées générales étudiantes où ont été créées des commissions non mixtes et racisées. Celles-ci prenaient pour modèle des pratiques mises en œuvre durant les luttes de libération des années 1960 en Afrique du Sud et aux États-Unis en se référant explicitement aux questions de race. Pourtant, la recherche par certaines femmes d’une place spécifique dans un cadre non mixte (de genre et de race) relève d’une histoire bien plus longue. De la Révolution française aux prolétaires saint-simoniennes de 1830, des journalistes de La Fronde au tournant des 19e et 20e siècles au Mouvement de libération des femmes des années 1970, des femmes, minoritaires, ont souhaité s’organiser de façon autonome et non mixte, non sans résistances et vifs débats [50]. Comme chez les féministes américaines (qui avaient repris elles-mêmes l’expérience du séparatisme de mouvements des Noirs américains puis des femmes de ces mouvements), l’une des caractéristiques du Mouvement de libération des femmes des années 1970, la non-mixité, est devenue un stigmate et un marqueur de l’époque dans les mémoires [51]. En octobre 1970, la publication du numéro de la revue Partisans « Libération des femmes année zéro » théorise l’oppression des femmes. Élément unificateur de « la classe des femmes », le travail domestique, travail gratuit au sein de la famille, est présenté comme l’exploitation commune à toutes. Croisés avec le genre, les contours de la catégorie de classe ne sont pas définis de la même manière que dans les analyses habituelles sur les classes sociales. Au cours des années 2010, les débats sur les processus de racialisation se sont développés avec l’émergence de groupes qui entendent croiser les questions féministes avec les enjeux de sexualité, de race et de classe. La sociologue Silyane Larcher analyse dans un livre publié en 2018 les rapports entre des afro-féministes – « les petites-filles de l’Empire » – et les autres mobilisations en France autour du genre et de la race, en particulier dans l’entre-deux-guerres. Elle confirme dans l’une des premières études scientifiques sur le parcours de certaines militantes que leur socialisation et leur positionnement politique sont marqués par les expériences vécues en raison de la couleur de leur peau [52].

38Le panorama historiographique évoqué, mis en relation avec des enjeux de l’actualité médiatique et académique, montre que l’intersectionnalité dérange et doit être discutée. Le mot lui-même, comme l’usage des catégories et leur place respective pour décrire des situations complexes dans des contextes spécifiques, sont contestés. Ses usages sont, qui plus est, en perpétuel renouvellement. Certaines élaborations écoféministes mobilisent ainsi l’approche intersectionnelle [53] ; l’ouvrage de Malcom Ferdinand croise quant à lui race et écologie pour étudier l’exemple caribéen et rendre compte de l’exploitation intensive des corps, des plantes et des forêts pendant la période coloniale [54].

39Finalement, les débats autour de ce concept ne font que commencer et confirment ce que disait Michelle Perrot de l’histoire des femmes en 1998 : « c’est le regard qui fait l’histoire [55] ».

Notes

  • [1]
    Danièle Kergoat, « Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux », in Elsa Dorlin (dir.), Sexe, race, classe, pour une épistémologie de la domination, Paris, PUF, 2009.
  • [2]
    Éric Fassin (dir.), « Les langages de l’intersection », Raisons politiques, 58, 2015.
  • [3]
    Sirma Bilge, « De l’analogie à l’articulation : théoriser la différenciation sociale et l’inégalité complexe », L’homme et la société, 176-177 (2), 2010, p. 43-64.
  • [4]
    Voir par exemple la présentation des travaux du groupe Genre et classes populaires, « Introduction : le lieu à l’épreuve du genre et des classes populaires », Genre & Histoire [en ligne], 17, printemps 2016.
  • [5]
    Elsa Dorlin (dir.), Black feminism. Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, Paris, L’Harmattan, 2008.
  • [6]
    Combahee River Collective, « Déclaration du Combahee River Collective », in E. Dorlin (dir.), Black feminism…, op. cit., p. 18.
  • [7]
    Gloria Hull, Patricia Bell Scott et Barbara Smith (dir.), All the Women are White, All the Blacks are Men but Some of Us are Brave : Black Women’s Studies, New York, The Feminist Press at CUNY, 1982, cité par E. Dorlin (dir.), Black feminism…, op. cit., p. 18.
  • [8]
    Interpellation reprise par bell hooks dans le titre de son livre, Ain’t I a Woman : Black Women and Feminism, Boston, South End Press, 1981 ; trad. fr., id., Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme, trad. de l’angl. par Olga Potot, Paris, Éd. Cambourakis, 1981, 2015.
  • [9]
    Céline Bessière, « Race/classe/genre. Parcours dans l’historiographie américaine des femmes du Sud autour de la guerre de Sécession », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 17, 2003, p. 231-258.
  • [10]
    Angela Davis, Women, Race and Class, New York, Random House, 1981 ; trad. fr., id., Femmes, race et classe, trad. de l’angl. par Dominique Taffin et le collectif des femmes, Paris, Éd. des femmes, 1983, 2007.
  • [11]
    Kimberlé W. Crenshaw, « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex. A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics », University of Chicago Law Forum, 1989, p. 139-167.
  • [12]
    Kimberlé W. Crenshaw, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », trad. de l’angl. par Oristelle Bonis, Cahiers du genre, 39 (2), 2005, p. 51-82, p. 54.
  • [13]
    Alexandre Jaunait et Sébastien Chauvin, « Intersectionnalité », in Catherine Achin et Laure Bereni (dir.), Dictionnaire genre et science politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 286-297.
  • [14]
    Tyler Stovall, « Universalisme, différence et invisibilité. Essai sur la notion de race dans l’histoire de la France contemporaine », trad. de l’angl. par Maurice Genty, Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 96-97, 2005, p. 63-90.
  • [15]
    Philippe Rygiel, « Histoire des populations noires ou histoire des rapports sociaux de race », Le Mouvement social, 215 (2), 2006, p. 81-86 ; Pap Ndiaye, « Pour une histoire des populations noires en France : préalables théoriques », Le Mouvement social, 213 (4), 2005, p. 91-108. Voir aussi Pap Ndiaye, La Condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008.
  • [16]
    Entretien de Marc-Olivier Bherer avec Pap Ndiaye, « Si l’on veut déracialiser la société, il faut bien commencer par en parler », Le Monde, 12 juillet 2019.
  • [17]
    Jean-Frédéric Schaub, Pour une histoire politique de la race, Paris, Éd. du Seuil, 2015, p. 61.
  • [18]
    Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de nature, Paris, Côté-femmes, 1992, p. 216.
  • [19]
    Didier Fassin et Éric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, Paris, La Découverte, 2006.
  • [20]
    Kimberlé W. Crenshaw, « Cartographies des marges… », art. cité.
  • [21]
    D. Kergoat, « Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux », op. cit., p. 112.
  • [22]
    Gérard Noiriel, « Réflexions sur la “gauche identitaire” », 29 octobre 2018, https://noiriel.wordpress.com/2018/10/29/reflexions-sur-la-gauche-identitaire/.
  • [23]
    Abdellali Hajjat et Silyane Larcher, « Intersectionnalité. Introduction au dossier », Mouvements, 12 février 2019, https://mouvements.info/intersectionnalite/.
  • [24]
    Éric Fassin, « Comment un colloque sur l’intersectionnalité a failli être censuré », 20 mai 2017.
  • [25]
    Collectif afro-féministe Mwasi, Afrofem, Paris, Syllepse, 2018, p. 39-40.
  • [26]
    Clotilde Lemarchant, Margaret Maruani et Hyacinthe Ravet, « Mosaïques », in id. (dir.), Les Féminismes au travail. Parcours, portraits et figures parus dans Travail, genre et sociétés, 1999-2019, Paris, La Découverte, 2019.
  • [27]
    Par exemple Xavier Vigna et Michelle Zancarini-Fournel, « Intersections entre histoire du genre et histoire ouvrière », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 38, 2013, p. 181-208, p. 192. Pauline Picco, « Penser et dire la race à l’extrême droite (France-Italie, 1960-1967) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 130, avril-juin 2016, p. 77-88.
  • [28]
    Catherine Coquery-Vidrovitch et Françoise Thébaud (dir.), « Femmes d’Afrique », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 6, 1997.
  • [29]
    Vincent Joly, « “Races guerrières” et masculinité en contexte colonial. Approche historiographique », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 33, 2011, p. 139-156.
  • [30]
    Christelle Taraud, « Les femmes, le genre et les sexualités dans le Maghreb colonial (1830-1962) », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 33, 2011, p. 157-191.
  • [31]
    Christelle Taraud, « Genre, classe et “race” en contexte colonial : une approche par la mixité sexuelle », in Irène Théry et Pascale Bonnemère (dir.), Ce que le genre fait aux personnes, Paris, Éd. de l’EHESS, 2008, p. 157-171.
  • [32]
    Pascale Barthélémy, Luc Capdevila et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), « Colonisations », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 33, 2011, p. 17.
  • [33]
    Raphaëlle Branche, « La masculinité à l’épreuve de la guerre sans nom », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 20, 2004, p. 111-122.
  • [34]
    Todd Shepard, Mâle décolonisation. L’« homme arabe » et la France, de l’indépendance algérienne à la révolution iranienne, trad. de l’angl. par Clément Baude, Paris, Payot, 2017, p. 13.
  • [35]
    Nancy L. Green, Repenser les migrations, Paris, PUF, 2002.
  • [36]
    Linda Guerry, « Femmes et genre dans l’histoire de l’immigration. Naissance et cheminement d’un sujet de recherche », Genre & Histoire [en ligne], 5, automne 2009.
  • [37]
    Manuela Martini et Philippe Rygiel (dir.), Genre et travail migrant. Mondes atlantiques, xixe-xxe siècles, Paris, Publibook, 2009.
  • [38]
    Philippe Rygiel et Natacha Lillo (dir.), Images et représentations du genre en migration. Mondes atlantiques, xixe-xxe siècles, Paris, Publibook, 2007.
  • [39]
    Philippe Rygiel (dir.), Politique et administration du genre en migration. Mondes atlantiques, xixe-xxe siècles, Publibook, 2012.
  • [40]
    Linda Guerry, Le Genre de l’immigration et de la naturalisation. L’exemple de Marseille (1918-1940), Lyon, ENS éditions, 2013.
  • [41]
    Aurélie Audeval, « Les étrangères indésirables et l’administration française. 1938-1942. Socio-histoire d’une catégorisation d’État », thèse pour le doctorat en histoire sous la direction de Gérard Noiriel, École des hautes études en sciences sociales, 2016.
  • [42]
    Margot Béal, « La domesticité dans la région lyonnaise et stéphanoise : vers la constitution d’un prolétariat de service (1848-1940) », thèse pour le doctorat en histoire sous la direction de Laura Downs, Institut européen de Florence, 2016, p. 16 ; thèse publiée : Margot Béal, Des champs aux cuisines. Histoires de la domesticité en Rhône et Loire, 1848-1940, Lyon, ENS éditions, 2019.
  • [43]
    Ann Laura Stoler, Carnal Knowledge and Imperial Power. Race and the Intimate in Colonial Rule, Berkeley, University of California Press, 2002 ; trad. fr., id., La Chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial, trad. de l’angl. par Sébastien Roux, Paris, La Découverte, 2013.
  • [44]
    Aníbal Quijano, « Colonialidad del poder, eurocentrismo y América Latina », in Edgardo Lander (dir.), La colonialidad del saber : eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas Latinoamericanas, Buenos Aires, Clacso, 2000, p. 201-246.
  • [45]
    Nicole C. Bourbonnais, Birth Control in the Decolonizing Caribbean : Reproductive Politics and Practice on Four Islands, 1930-1970, New York, Cambridge University Press, 2016.
  • [46]
    Collectif de femmes d’Amérique latine et de la Caraïbe, Mujeres. Des Latino-Américaines, Paris, Éd. des femmes, 1977.
  • [47]
    Michelle Zancarini-Fournel, « Contraception et avortement dans les Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique, 1964-1975) », Clio. Femmes, genre, histoire, 50, 2019, p. 87-108.
  • [48]
    Léonora Miano, Blues pour Élise. Séquences afropéennes. Saison 1, Paris, Plon, 2010, p. 49.
  • [49]
    Collectif, Noire n’est pas mon métier, Paris, Éd. du Seuil, 2018.
  • [50]
    Florence Rochefort, Histoire mondiale des féminismes, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2018.
  • [51]
    Françoise Picq, Libération des femmes. Les années-mouvement, Paris, Éd. du Seuil, 1993, p. 41. Alban Jacquemart et Camille Masclet, « Mixités et non-mixités dans les mouvements féministes des années 1968 en France », Clio. Femmes, genre, histoire [en ligne], 46, 2017, p. 221-247.
  • [52]
    Silyane Larcher, « “Nos vies sont politiques !” L’afroféminisme en France ou la riposte des petites-filles de l’Empire », Participations, 19 (3), 2017, p. 97-127. Silyane Larcher, « The End of Silence : On the Revival of Afrofeminism in Contemporary France », in Félix Germain et Silyane Larcher (dir.), Black French Women and the Struggle for Equality, 1848-2016, Lincoln, University of Nebraska Press, 2018.
  • [53]
    Marlène Benquet et Geneviève Pruvost (dir.), « Pratiques écoféministes : corps, savoirs et mobilisations », Travail, genre et sociétés, 42 (2), 2019, p. 23-28.
  • [54]
    Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Éd. du Seuil, 2019.
  • [55]
    Michelle Perrot, Les Femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998, p. V.
Français

Cette introduction revient sur la généalogie du concept d’intersectionnalité, en particulier aux États-Unis, pour aborder sa réception française controversée qu’il faut mettre en relation avec l’usage du concept de race – qui fait également débat. Tout en soulignant que l’articulation des rapports sociaux n’est pas nouvelle dans l’historiographie française, cet article offre quelques pistes sur la manière dont le concept peut renouveler l’histoire sociale, coloniale et migratoire, voire dont il permet de repenser le biopolitique en contexte colonial ou postcolonial. En définitive, il montre que l’approche intersectionnelle en histoire est le produit du contexte politique et social français du début du 21e siècle où ces questions se diffusent dans l’espace public à la faveur d’une nouvelle dynamique féministe.

  • intersectionnalité
  • genre
  • race
  • classe
  • imbrication des dominations
Fanny Gallot
Fanny Gallot est historienne à l’Université Paris-Est-Créteil. Elle est membre du Centre de recherche en histoire européenne comparée (CRHEC), et enseigne à l’École supérieure du professorat de l’éducation (ESPE). Elle est notamment l’auteure de En découdre. Comment les ouvrières ont révolutionné le travail et la société (La Découverte, 2015) et a participé, avec Fanny Bugnon et Ludivine Bantigny, à la coordination de l’ouvrage « Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? » Le genre de l’engagement dans les années 1968 (Presses universitaires de Rennes, 2017). Ses recherches portent principalement sur l’histoire des femmes et du genre au travail qu’elle envisage dans une perspective intersectionnelle, des féminismes et du syndicalisme.
Université Paris-Est-Créteil, Centre de recherche en histoire européenne comparée (CRHEC), 94010, Créteil, France.
Michelle Zancarini-Fournel
Michelle Zancarini-Fournel est professeure émérite d’histoire contemporaine à l’Université Claude-Bernard-Lyon-1. Elle est membre de l’UMR LARHRA (Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes), axe Genre et sociétés, cofondatrice de la revue Clio HFS en 1995 et membre actuelle du comité de rédaction de Clio. Femmes, genre, histoire. Elle a notamment publié Les Luttes et les Rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours (La Découverte, 2016), La France du temps présent (1945-2005) (avec Christian Delacroix, Belin, 2010), Le Moment 68. Une histoire contestée (Éd. du Seuil, 2008) et Histoire des femmes en France, xixe-xxe siècles (Presses universitaires de Rennes, 2005). Elle a coordonné le rapport de la Commission d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane, et de mai 1967 en Guadeloupe (La Documentation française, 2016, en ligne).
Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA), Maison des sciences de l’homme Lyon Saint-Étienne, 14 avenue Berthelot, F-69363, Lyon Cedex 07, France.
Camille Noûs
« Camille Noûs » est un consortium scientifique créé pour affirmer le caractère collaboratif et ouvert de la création et de la diffusion des savoirs, sous le contrôle de la communauté académique. Ce collectif scientifique, comme Bourbaki, Henri Paul de Saint Gervais ou Arthur Besse en mathématiques, ou Isadore Nabi en biologie, prend l’identité d’une personnalité scientifique qui incarne la contribution collective de la communauté académique. Plus précisément, Camille Noûs est un individu collectif qui symbolise notre attachement profond aux valeurs d’éthique et de probation que porte le débat contradictoire, elle est insensible aux indicateurs élaborés par le management institutionnel de la recherche, elle sait ce que nos résultats doivent à la construction collective. C’est le sens du « Noûs », porteur d’un Nous collégial mais faisant surtout référence au concept de « raison » (ou « esprit » ou « intellect ») hérité de la philosophie grecque.
Laboratoire Cogitamus, http://www.cogitamus.fr/.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/07/2020
https://doi.org/10.3917/vin.146.0002
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...