CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En 2008, dans une petite ville de Haute-Garonne, des ouvriers résistent encore et toujours à l’envahisseur… ou plutôt mobilisent l’imaginaire d’Astérix et Obélix pour lutter contre la fermeture de leur usine, rachetée quatre ans plus tôt par une firme étatsunienne. À partir de cette image a priori simple, Alexandre Oeser et Camille Noûs analysent en détail les enjeux de genre et de classe d’une mobilisation sociale qui fait s’affronter plusieurs visions de la masculinité – celle des managers américains contre celle des ouvriers français. L’article invite ainsi à réfléchir aux dynamiques intriquées du patriotisme et du sexisme dans une économie financiarisée et mondialisée.

2En septembre 2009, l’usine Molex à Villemur-sur-Tarn, qui fabriquait depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale de la connectique automobile principalement pour Renault et Peugeot et qui employait 283 salariés, dont 75 % d’hommes, ferme ses portes. Cette fermeture atteste un fonctionnement industriel engagé dans des « restructurations permanentes [1] », dont une partie seulement aboutit à des délocalisations, principalement dans des pays à moindre coût salarial. L’achat de l’usine de Villemur-sur-Tarn en 2004 par la multinationale Molex, firme américaine implantée sur cinq continents et employant 32 000 salariés, qui a son siège à Lisle près de Chicago, lui permet de récupérer les brevets et marchés européens avec Peugeot et Renault. Cinq ans plus tard, l’usine Molex part en Chine, délocalisée pour réduire le coût salarial, comme 2 000 autres usines françaises cette année-là. La fermeture s’inscrit dans un processus de globalisation de l’économie, qui va de pair avec un processus de financiarisation, c’est-à-dire avec la croissance de la part du secteur financier dans le PIB des économies nationales [2] et avec une influence des logiques de calcul et de raisonnement financier sur les situations au travail elles-mêmes [3]. Les femmes et hommes salariés de Villemur-sur-Tarn ont vécu le passage vers les logiques économiques de la financiarisation de manière accélérée, même si, depuis les années 1980, une série de délocalisations vers le Portugal et l’Afrique du Nord notamment avaient préparé la mutation.

3L’annonce de la fermeture a déclenché un mouvement de protestation qui a réuni ouvriers et ouvrières, employées administratives, techniciens, contremaîtres et une partie des cadres licenciés, et a duré pendant plus de dix ans. La division sexuée du travail s’est perpétuée dans la mobilisation [4]. L’emploi à l’usine était en effet marqué par une forte division sexuée du travail. Les chiffres du bilan social de 2004 indiquent que le petit encadrement (chef d’équipe, chef d’atelier, maîtrise, technicien) était exclusivement masculin et qu’une très large majorité des cadres était des hommes (88 %). L’administration était exclusivement féminine, les ouvriers de la production étaient majoritairement des hommes, même si la moitié des femmes de l’usine travaillait en tant qu’ouvrières [5].

4Manifestations, grèves perlées et occupation de l’espace devant l’usine, procès pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, actions diverses (dont la retenue pendant 24 heures dans les locaux de l’usine de deux managers) ont retardé pendant une année la fermeture, annoncée en septembre 2008, et attiré l’attention des médias durant l’année de mobilisation pour la sauvegarde de l’emploi. Une fois les portes de l’usine fermée, le conflit s’est prolongé dans les tribunaux, jusqu’à la Cour de cassation [6].

5Entre 2010 et 2014, un groupe de dix chercheuses et chercheurs ont suivi la mobilisation autour de la fermeture de l’usine, arrivant sur le terrain quatre mois après la fermeture [7]. 160 entretiens ont été effectués collectivement avec 117 hommes et femmes salariés licenciés, des journalistes, des avocats et des personnels politiques locaux. Nous avons analysé les archives du comité d’entreprise et de l’association Solidarité Molex, engagée dans le conflit, ainsi que celles de la cellule de reclassement des hommes et femmes licenciés. J’ai également effectué seule, entre décembre 2013 et juin 2014, une série d’entretiens auprès de cadres dirigeants aux États-Unis, en Allemagne et en France. Cette fermeture, et la mobilisation pour sauvegarder l’emploi, a été analysée collectivement comme une lutte de classes, sous l’angle des dynamiques sociales et des ressources qui permettent la mobilisation, analyse qui a donné lieu à un ouvrage collectif [8].

6Il s’agit, dans cet article, de relire cette mobilisation au prisme de la mise en jeu des masculinités, à la fois du côté des dirigeants et des salariés, et d’interroger ainsi les processus de construction de la classe par le genre. Comment les pratiques et mises en scène des masculinités jouent-elles dans la construction des images de soi et de l’autre ? Contribuent-elles, et si oui comment, à construire des oppositions de classe ?

7La question de l’imbrication entre genre et classe en milieu ouvrier en France est encore une question ouverte [9], et la figure représentative du monde ouvrier est toujours incarnée par ce que la sociologue Sabine Erbès-Séguin appelle un « prototype : “l’ouvrier-français-mâle-adulte-de-la-grande-industrie”, dont toutes les autres catégories – notamment les femmes – ne seraient que des variantes [10] ». Les travaux en histoire des femmes [11], puis en sociologie du genre [12], se sont attachés, dans un premier temps, à rappeler l’existence d’autres catégories de travailleurs, notamment les ouvrières. Mais utiliser le genre (ou la race) comme grille d’analyse pour comprendre le monde ouvrier peut conduire, encore aujourd’hui en France, à des critiques vigoureuses : Gérard Noiriel, par exemple, affirme la nécessité du « primat de la lutte des classes » face aux autres luttes et considère que :

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[…] la crise du mouvement ouvrier a considérablement affaibli les luttes sociales au profit des conflits identitaires. Le projet d’écrire une histoire populaire du point de vue des vaincus a été accaparé par les porte-parole des minorités (religieuses, raciales, sexuelles) pour alimenter des histoires féministes, multiculturalistes ou postcoloniales, qui ont contribué à marginaliser l’histoire des classes populaires [13].

9Une telle vision oppose le féminisme et le postcolonialisme, d’un côté, et le marxisme, de l’autre. Cet article démontre, a contrario, comment, dans une lutte collective contre la fermeture d’une usine paraissant relever exclusivement de la lutte de classe (empêcher la délocalisation de l’outil de travail et des machines, décidé par un petit nombre de cadres dirigeants, et s’opposer au licenciement des salariés), le genre est mobilisé par les acteurs pour construire leur lutte au masculin.

10On constate, tout au long de la mobilisation, une valorisation d’une masculinité qui combine force guerrière et paternalisme. Anne-Marie Sohn suggérait que :

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[…] le 19e siècle voit donc le déclin d’une masculinité fondée sur la force, le courage et l’honneur. La provocation, le défi et la violence qui tissaient le quotidien des jeunes hommes se délitent ainsi progressivement. Émerge, en parallèle, une masculinité apaisée où la parole remplace le geste, où la compétence l’emporte sur la domination primaire, où la médiation remplace l’affrontement. Ces deux modèles ont servi de référence à tous les jeunes hommes, même s’ils se déclinent selon des variantes propres à chaque configuration sociale, voire à chaque métier [14].

12Un siècle plus tard, loin d’un refus de la violence après les guerres mondiales sur le sol européen, le 21e siècle ouvrirait peut-être, au contraire, une époque de regain de la violence comme valeur masculine. Pour comprendre concrètement comment, dans une mobilisation contre la fermeture d’une usine, les deux parties en conflit mobilisent les images de soi et de l’autre pour se valoriser et dévaloriser « l’ennemi de la lutte », la typologie développée par l’australienne Raewyn Connell sur les masculinités peut être utile [15]. Elle distingue quatre formes de masculinité, ou quatre rapports entre masculinités : l’hégémonie, la subordination, la marginalité et la complicité [16]. Nous allons nous servir particulièrement des notions de subordination et de marginalité dans ce qui suit : la masculinité « subordonnée », ou la subordination, renvoie à la dévalorisation des hommes homosexuels par rapport aux hommes hétérosexuels, à leur exclusion culturelle et politique, et aux différentes violences qu’ils subissent. La « marginalisation » renvoie à l’interaction des « rapports de genre avec les structures de classe et de race [17] ».

13Cet article décrira les processus par lesquels les différents groupes mobilisent des images de masculinités de soi et de l’autre pendant le conflit autour de la fermeture. Quelles images des hommes en tant qu’hommes sont évoquées et mises en scène dans ce conflit ? Les différences de classe se retrouvent-elles dans les modèles de masculinité mis en scène, ou bien retrouve-t-on finalement des ressemblances entre les hommes en bas et les hommes en haut de la hiérarchie de l’usine dans leurs pratiques de la domination masculine ? Comment est-on un homme PDG fermant des usines ? Et comment est-on un homme licencié qui proteste contre cette fermeture ? Et quand ces deux masculinités se rencontrent, que se passe-t-il en pratique ? En quoi l’identité masculine pratiquée et mise en scène contribue-t-elle à construire un rapport de force social entre hommes avant et pendant la mobilisation ?

14Une première partie analysera les constructions managériales de la masculinité ouvrière, tandis qu’une deuxième partie étudiera le regard que portent les salariés licenciés sur la masculinité managériale. Les troisième et quatrième parties analysent les pratiques de mises en scène de soi et les discours des uns et des autres, pour se construire en tant qu’hommes et groupe d’hommes.

Regards de managers sur la masculinité ouvrière

15À Lisle, près de Chicago, j’ai réalisé en 2013 un entretien de quatre heures avec deux cadres dirigeants, Johnathan Sidney [18], directeur général (chief executive officer [CEO]) de la multinationale et William Velden, cadre dirigeant, responsable de l’ensemble des fermetures sur le sol européen. Je les ai interrogés entre autres sur les raisons qui expliqueraient, selon eux, les difficultés de communication entre les managers américains et les salariés français. L’un d’eux, William Velden, raconte une anecdote en fin d’entretien, quand nous passons en revue les salariés dont il se souvient [19]. Il tente d’expliquer la manière dont les cadres dirigeants ont cherché des alliés parmi les cadres et salariés français, pour fermer le site. Parmi les salariés se trouvait François Martin, occupant un poste d’ouvrier qualifié à la production, qui, aux yeux de William Velden, était très compétent. Le manager américain voulait en faire un interlocuteur pour aider à la fermeture ; malheureusement, cela s’est révélé impossible, car il avait, selon William Velden, perdu le respect de ses collègues [20] à cause d’une rumeur portant sur sa virilité : il n’aurait pu empêcher sa femme d’avoir des relations sexuelles extraconjugales avec d’autres hommes de l’usine [21]. William Velden emploie le mot manhood qui, en anglais, renvoie à l’identité en tant qu’homme, mais désigne également la verge en tant qu’organe biologique. François aurait donc perdu, au sens figuré comme au sens propre, son sexe, et avec celui-ci son honneur, en tolérant, selon les rumeurs, le comportement sexuellement déviant de sa femme, qui aurait eu lieu sous ses yeux, au travail. La direction de l’entreprise à Chicago avait donc dû abandonner l’idée de lui confier des responsabilités importantes au moment de la fermeture, ce que William Velden regrette encore quatre ans après.

16On remarque ici à quel point les rumeurs et la réputation des salariés sont importantes dans les relations de travail. Elles constituent en quelque sorte les rebuts de l’enquête. Délaissées car impossibles à prouver, l’intérêt qu’on peut y porter consiste à prendre au sérieux leur existence même [22], leur analyse permettant d’avoir accès aux normes et croyances [23]. Sur le terrain, personne n’a entendu parler de cette histoire. Elle ne circule pas « entre ouvriers », ni « entre syndicalistes ». Il semble s’agir davantage d’une vision managériale de la sexualité ouvrière et de ses codes d’honneur. Les représentations de la masculinité ouvrière, à l’œuvre ici, révèlent une discrimination classiste explicite. Le fonctionnement de l’usine est décrit comme dépendant de visions du monde homogènes et rétrogrades des salariés. Ces derniers sont dévalorisés comme des « machos » traditionnels, dont l’honneur et la respectabilité masculine dépendent de leur capacité à soumettre leurs femmes à la fidélité dans le couple et à empêcher une sexualité extraconjugale. La représentation que se fait William Velden du respect des ouvriers entre eux est doublement erronée : comme l’a montré l’enquête, il existe d’abord, parmi les ouvriers, des couples qui choisissent le modèle de la liberté sexuelle. Ensuite, les rumeurs sur les activités sexuelles des hommes de l’usine ou de leurs épouses n’ont pas de conséquences professionnelles sur les carrières de ceux-ci, contrairement aux rumeurs sur les femmes de l’usine, qui, elles, subissent des changements de poste, par exemple, à la suite de relations sexuelles au travail [24]. Les hommes de l’usine sont en revanche l’objet d’un mépris de classe indirect, mais efficace, dans les relations avec la direction américaine. La complexité des relations sexuelles des salariés [25] échappe à William Velden, qui utilise ses propres représentations de la masculinité ouvrière comme outil de gestion, construisant ainsi par ses pratiques de management une image de masculinité ouvrière spécifique.

Regards de salariés syndiqués sur la masculinité managériale

17Les managers ne sont pas les seuls à construire la masculinité des salariés comme distincte de la leur. Certains salariés, même s’ils sont minoritaires dans le groupe, construisent, eux aussi, les managers comme des hommes ayant une masculinité spécifique. Cette construction n’est pas toujours explicite et ils n’utilisent pas les mots « virilité » ou « masculinité » pour décrire les managers. Leur discours évoque néanmoins des principes genrés et des attributs qu’on peut décoder avec les lunettes des études de genre.

18Parmi les 350 entretiens formels, informels et comptes rendus d’observations de l’enquête collective, 26 seulement mentionnent le directeur du site nommément, alors qu’il est identifié par tous [26]. Dans la plupart des cas, la mention reste rapide. Beaucoup de salariés, hommes ou femmes, ne connaissent pas les noms des cadres dirigeants, que ce soient ceux de l’équipe dirigeante de Villemur ou ceux des États-Unis ; très peu ont une opinion sur leur caractère ou les mentionnent dans les entretiens. C’est l’effet de la coupure hiérarchique qui établit une séparation entre les cadres et les autres salariés. Ce sont uniquement les hommes les plus mobilisés, syndiqués pour la plupart et élus dans les instances de l’entreprise, qui expriment une opinion sur les membres de la direction ou les cadres dirigeants, parce qu’ils les fréquentent, notamment au sein du comité d’entreprise. Il n’est donc pas possible d’analyser les représentations collectives qu’auraient « les hommes et femmes salariés » de la direction, mais uniquement les discours de quelques-uns parmi eux et elles.

19Les discours que nous rapportons ici constituent donc des exceptions. Il s’agit des très rares paroles où sont présents les stéréotypes de genre que les salariés, hommes et femmes, expriment à propos de la direction. Ces discours dévalorisent la direction, en lui attribuant une masculinité subordonnée.

20Deux salariés ayant une grande expérience du travail, un cadre, parmi les plus anciens de l’usine, et un ouvrier de production, expliquent dans un entretien le changement de direction et de fonctionnement de l’entreprise : le modèle du « bon directeur » ou du « bon chef d’entreprise » exprimé par les deux hommes repose sur la trajectoire professionnelle et la force de caractère des dirigeants. En matière de trajectoire, les salariés valorisent le passage des dirigeants par la production à un moment de la carrière, typique d’une génération entrée dans l’industrie avant ou au début de la démocratisation scolaire massive, ce qu’ils désignent par l’expression « être un opérationnel [27] ». Connaître, pour y avoir travaillé, les différents ateliers de production permet notamment d’avoir une perception fine des différents postes et de savoir distinguer une pièce « de qualité » d’une pièce moyenne ou médiocre. La deuxième caractéristique valorisée par les salariés renvoie à un trait de caractère spécifique : « n’en faire qu’à sa tête », voire s’opposer à la hiérarchie. Un directeur s’était distingué dans ce sens en créant un centre de production supplémentaire à Montauban, sans prévenir la direction parisienne, ce qui l’a amené à prendre des décisions en matière de ressources humaines, notamment d’embauches.

21Dans ce modèle, teinté d’une certaine nostalgie, on voit poindre les traits d’une masculinité valorisée par les salariés : force de caractère, activité, connaissances et compétences dans des domaines diversifiés, capacité à la résistance. Si les salariés n’utilisent pas le terme de masculinité, il s’agit pourtant bien de traits attribués à des hommes dirigeants en tant qu’hommes. Mais c’est avant tout par les critiques, et donc en creux, qu’apparaît le modèle masculin de référence. En effet, les enquêtés décrivent un « nouveau modèle » de cadre dirigeant, qui, justement, n’est plus un « directeur d’usine ». Contrairement à la figure de « l’opérationnel », ces « mauvais directeurs », les « financiers [28] », se distinguent principalement par le manque : manque de connaissance du processus de production, spécialisation à outrance (dans l’informatique, par exemple), « homme de bureau » et homme de chiffres, qui ne travaille que « sur papier » ou « sur ordinateur », et ne connaît pas les produits ou les machines, pas plus que les compétences nécessaires pour cette production. Les deux hommes interrogés, cadre et ouvrier professionnel, expriment ainsi un certain mépris envers cette figure du financier, incarnée notamment par la direction américaine, mais qui renvoie plus largement au processus de financiarisation de l’économie et à la prise de pouvoir de l’assemblée des actionnaires par rapport aux cadres dirigeants, rétrogradés, d’une certaine manière, à leur statut de salarié.

22La financiarisation de l’économie a eu des effets concrets sur l’organisation du travail, notamment celui des cadres dirigeants qui sont devenus dépendants de la valeur des titres de l’entreprise. Cette dépendance est critiquée par les salariés à double titre : perte d’une indépendance de décision et soumission à une autorité abstraite, désignée parfois, de manière pour partie incorrecte, comme « étrangère ». Concrètement, avec le rachat de l’usine par la multinationale Molex en 2004 et l’intégration de l’usine dans un grand groupe, la chaîne de commandement s’allonge, ce qui met à l’épreuve l’indépendance du directeur du site. Sa dépendance grandissante envers des centres de gestion à l’étranger change également le processus de travail : comme l’explique Martin, il fallait désormais « trente-six signatures », en passant par trois pays (États-Unis, Allemagne et France). L’intégration dans une multinationale cotée en Bourse change également, de manière plus insidieuse, les relations de pouvoir : le détenteur du capital (majoritaire) n’est plus l’État, mais les actionnaires. Ce ne sont ni la gestion de l’entreprise ni la qualité du produit mis sur les marchés qui comptent, mais uniquement le cours des actions dont les managers doivent rendre compte devant l’assemblée des actionnaires. Ce changement mène à l’impossibilité structurelle, pour le directeur du site, de prendre des décisions et de « développer l’entreprise ». La perte de capacité d’action et la dépendance envers les instances hiérarchiques affaiblissent l’image qu’ont les salariés de leurs dirigeants. Des analyses sociologiques ont montré comment les représentations du féminin construisent symboliquement les femmes comme passives, dépendantes, soumises, les revoyant à l’intérieur et à l’infériorité [29]. La dépendance et la soumission des cadres dirigeants, qui apparaît dans les discours des salariés, aboutissent à une dévalorisation explicite, renforcée par la mention de caractéristiques physiques, qui sont signes de faiblesse. Ainsi, les béquilles qu’un des cadres américains utilisait après une opération sont souvent évoquées. Elles renvoient à une masculinité diminuée : instable sur ses pieds, il ne peut pas s’affirmer ou s’imposer face aux salariés. Quand ils parlent négativement des dirigeants de l’usine, les salariés mobilisent un imaginaire genré. Faiblesse, dépendance, manque d’expérience et de connaissance dans la production, maladies physiques, instabilité, vices (l’avarice), manque de courage, tout ceci les renvoie du côté d’une féminité dévalorisée, et donc d’une masculinité subordonnée.

23Parallèlement, d’autres manières de dévaloriser les managers renvoient au contraire à une masculinité qu’on peut interpréter comme marginale ou comme hégémonique. Lors des manifestations, les salariés utilisent des images de westerns ou de films sur la mafia pour dénoncer les managers. Dans l’image 1 ci-dessous, ces derniers sont dépeints comme des cow-boys, qui cachent sous leurs costumes des revolvers pour imposer leur politique. L’image du cow-boy peut renvoyer à la force et à l’héroïsme, mais aussi à l’antihéros brutal, incarnation du méchant. La combinaison de la cicatrice sur la joue, de la barbe mal rasée, de l’expression menaçante, du cigare, des deux revolvers et de la légende renvoie plutôt les managers dans la deuxième catégorie.

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Affiche créée par des salariés et portée dans toutes les manifestations auxquelles participait le groupe de salariés licenciés, 2010-2015

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Affiche créée par des salariés et portée dans toutes les manifestations auxquelles participait le groupe de salariés licenciés, 2010-2015

24Managers et salariés construisent donc bien des images de l’autre, en tant qu’homme, qui sont dévalorisantes et contribuent à renforcer une frontière de classe, dans un contexte de conflit entre deux groupes bien distincts : ceux qui veulent fermer l’usine et ceux et celles qui veulent sauvegarder l’emploi. Les deux groupes élaborent également des images de soi, en tant qu’hommes.

Comment fermer des usines tout en restant un homme désirable

25L’enjeu pour les cadres dirigeants consiste à échapper à une dévalorisation de leur action de fermeture d’usine. Ils développent un discours défensif qui les met en scène en tant qu’hommes. L’entretien avec William Velden et Jonathan Sidney contient ainsi de nombreuses métaphores guerrières : il s’agit pour eux de « survivre » dans un « combat » qui met en jeu la « vie ou la mort » des entreprises ; des marchés sont « conquis » ou « perdus », il leur faut « gagner » pour ne pas « perdre » dans une lutte économique, qui oppose clairement un « nous » de l’entreprise à un « eux » de l’économie, de la concurrence. Quand on veut acheter une entreprise concurrente, le premier acte, comme pour la guerre, consiste à « identifier une cible » (identify a target). Une fois le but défini, il s’agit de « manœuvrer dans un terrain » (operate in a geography[30]).

26À quoi sert l’emploi de cet imaginaire guerrier par les managers ? En quoi permet-il d’éloigner le spectre d’une position de faiblesse dans le contexte économique mouvant du début du 21e siècle, qui fait planer la menace du licenciement ? Les images négatives du cow-boy mafieux, maniées par les hommes et femmes salariés lors de manifestations, sont renversées et deviennent, dans le discours des dirigeants, celles d’officiers militaires courageux, menant avec lucidité et endurance, au nom des salariés, hommes et femmes, une noble bataille qui implique leurs propres corps. Il s’agit pour eux de combattre la fatigue, de faire du sport pour tenir, de pouvoir surmonter physiquement l’épuisement du décalage horaire pendant les voyages. Cette mise en scène d’une masculinité « offensive » rappelle celle de certains hommes politiques analysés par Frédérique Matonti, celle notamment de Nicolas Sarkozy, pour qui le « jogging et le cyclisme » tout autant que le « corps suant » ou la « violence verbale » font partie d’une mise en scène médiatique d’un homme politique dont « tout concourt à montrer qu’“il en a” » [31]. Les managers se présentent à la manière d’officiers qui développent des stratégies pour tromper l’ennemi (économique) et créer du travail et des ressources pour la collectivité. Comme l’entrée en guerre au Mali, pour François Hollande, faire la guerre (économique), c’est « retrouver son autorité », et même « redevenir homme », indiquant ainsi « ce que doit être la masculinité », c’est-à-dire être un « chef de guerre » [32]. Cette analyse est radicalement opposée à celle des salariés : ce n’est pas la perte du travail (localement) qui importe, mais la création d’emplois (internationalement). Le langage des managers est en outre sexualisé : « Comment allons-nous pénétrer ces nouveaux marchés (How do we penetrate these new growing markets) ? », se demandent-ils [33].

27L’apparition de ces images et de ce langage dans la sphère de l’économie témoigne d’une logique paradoxale. D’un côté, on y trouve la concurrence et la lutte, valeurs centrales de la virilité : il s’agit de prouver sa force et son pouvoir par un recours au langage de la sexualité et du combat. La masculinité mise en avant paraît même un peu datée : quand on les entend, on est renvoyé à l’univers des westerns (le même que manient les salariés), ou à un héroïsme glorifié sans grand lien avec la réalité. D’un autre côté, la langue sert à minimiser les conséquences de la fermeture des usines européennes en les présentant comme « dégâts collatéraux », en l’occurrence le licenciement de 8 000 personnes, leur chômage et l’appauvrissement de leurs familles.

28À travers ce langage, les membres de la direction, qui ont collectivement organisé la fermeture de l’usine, me présentent, lors de l’entretien, une image valorisante d’eux-mêmes : ils s’efforcent d’expliquer les raisons de la fermeture et pour cela mobilisent une série de stéréotypes sur ce qu’est un « bon directeur », qui rejoint en partie la version qu’en ont les salariés. Ils soulignent le défi que représente la fermeture d’une usine, insistant à la fois sur les contraintes extérieures (la nécessité) et sur les compétences que demande une fermeture d’usine, compétences humaines, mais aussi économiques : il ne s’agit pas de quelque chose d’agréable (pleasant process), mais d’un dur labeur technique.

29Les codes physiques tendent néanmoins à se distinguer de ceux des salariés. L’enjeu implicite semble être d’éviter de se retrouver du côté de la faiblesse, de laisser paraître le danger et la fragilité d’une position dont, malgré leur poste de cadre dirigeant, ils n’ont pas entièrement la maîtrise et qui les renvoie vers une masculinité subordonnée. Si rien, dans les entretiens, n’indique que les cadres dirigeants soient conscients des masculinités subordonnées que leur prêtent certains salariés, en suggérant que les nouveaux managers ne sont plus des « vrais patrons », ils se mettent en scène en mobilisant des formes de masculinité guerrière qui sont à l’opposé de leur position réelle de salariés potentiellement licenciables. Comme si, pour rester crédibles en tant qu’hommes et en tant que dirigeants d’une multinationale, il fallait évoquer une guerre économique valorisant la force et la maîtrise pour écarter toute confusion avec les « suceurs de la finance », expression rarement mais joyeusement évoquée par quelques salariés dans des moments festifs et plutôt entre hommes (mais en présence de l’enquêtrice). L’évocation d’une guerre économique semble ainsi être une manière au moins inconsciente de conjurer tout rapprochement avec l’homosexualité et/ou la faiblesse féminine.

30Le lien avec la guerre reste pourtant symbolique et imagé : en effet, contrairement aux soldats qui subissent la violence du front, sont transformés par les situations de peur extrême, et qui, au retour, boivent à l’excès, pleurent ou plongent dans un mutisme prolongé [34], les cadres de multinationales n’ont jamais vu une arme. Leur virilité affichée est, certes, exacerbée, mais davantage comme peut l’être celle des soldats dans les écoles militaires qui préparent à la guerre [35].

31On peut avancer l’hypothèse que les modifications des rapports entre capital et travail, à l’heure de la financiarisation, ont des implications particulièrement fortes sur les managers et changent les codes de la virilité. La convergence d’intérêts entre actionnaires et managers n’empêche pas une certaine précarité de ces derniers, que le philosophe Michel Feher appelle le « bâton de l’insécurité professionnelle [36] » : il s’agit de salariés qui ont une responsabilité envers les actionnaires et qui, en tant que tels, peuvent perdre leur emploi ; ils sont par ailleurs aussi des actionnaires. La double position, de salarié et d’actionnaire, et la fragilité relative que provoque cet entre-deux impliquent une définition masculine de soi spécifique. La concurrence, renforcée par la paie avec bonus au-delà du salaire, implique une comparaison permanente avec les collègues du même niveau hiérarchique. En outre, le management est évalué selon sa « productivité [37] ». Plus on monte dans la hiérarchie du management, plus cette concurrence s’opère dans un entre-soi masculin (en 2012-2013, il n’y a qu’une seule femme parmi l’équipe dirigeante de la multinationale [38]). La situation est paradoxale pour la masculinité des managers : convaincus que leur organisation est égalitaire, au moins dans ses principes, ils subissent une culture de l’agressivité dans l’organisation du travail, qu’ils sont obligés de reproduire s’ils veulent monter dans la hiérarchie [39]. Les principes affichés par l’entreprise ne correspondent donc pas aux pratiques de l’organisation.

32Ces paradoxes se voient également sur un autre plan : l’entreprise est présentée, dans les entretiens avec les cadres dirigeants, comme cosmopolite et moderne, puisque transnationale. Or, les cadres dirigeants sont presque tous blancs, à l’exception d’un cadre asiatique. Si la combinaison d’une croyance dans le progrès et d’une mise en scène d’une masculinité hégémonique passe aussi par l’affichage d’une posture antiraciste, celle-ci ne s’exprime pas pour autant par une politique de diversité au niveau des cadres dirigeants [40]. En revanche, le manque de femmes parmi les cadres dirigeants ne semble pas poser question aux managers [41]. Ils ne s’y attardent pas et, interrogés sur ce fait, ils renvoient vers la seule femme qui fait partie de l’équipe dirigeante.

33Le discours de présentation de soi des deux cadres dirigeants insiste sur l’internationalisation de l’entreprise. Créer des emplois, en Asie notamment, permet de garder sa crédibilité face aux actionnaires et d’affirmer une stratégie internationale [42]. L’intrication avec une masculinité hégémonique, voire avec la virilité d’un employeur qui maîtrise le marché global, permet d’écarter les stéréotypes qui associent l’internationalisme à la féminité ou à une masculinité subordonnée, et le statut de salarié potentiellement licenciable au stigmate de la faiblesse. Les stratégies de présentation de soi des cadres dirigeants révèlent ainsi les conséquences genrées d’un processus de financiarisation de l’économie où l’employeur se dérobe.

Astérix et Obélix : la mise en scène de masculinités ouvrières

34Les managers ne sont pas les seuls à se présenter en tant qu’hommes dans ce conflit salarial. Les salariés ont également recours à un imaginaire du masculin, pour se mettre en scène en tant que groupe. Ils se déguisent ainsi en Astérix, Obélix et Panoramix pendant de nombreuses manifestations, et la combinaison de la force physique et de la ruse, qu’incarnent ces trois personnages, renvoie à une masculinité combative. La force physique est d’ailleurs survalorisée : Obélix est naturellement fort ; Astérix l’est grâce à la potion magique de Panoramix – que l’on retrouve dans le chaudron : il s’agit ici, en l’occurrence, d’un « chaudron de l’emploi », que les salariés, dotés de la force magique de Panoramix, fabriquent. La bande dessinée insiste également sur un autre élément, mis en scène par les salariés : l’amitié entre hommes, qui se renforce dans l’aventure et la bagarre, mais aussi par la ruse qui, combinée à la générosité, permet la victoire d’Astérix. Dans Astérix aux jeux olympiques[43], par exemple, il donne sa palme, obtenue non par la forme physique mais par la ruse, à un sportif romain qui l’avait méritée et qui en avait davantage besoin que lui pour sauver son honneur et/ou sa vie auprès de César. D’ouvriers ruraux rétrogrades, « tout droit sortis du 19e siècle [44] », les salariés mobilisés se transforment, à travers ces pratiques de communication offensives, en précurseurs et défenseurs de leur travail, solidaires et unis contre un ennemi commun. La large diffusion de la bande dessinée leur permet de mobiliser un imaginaire culturel : chacun des albums a été vendu à plus d’un million d’exemplaires, et l’année de la mobilisation, en 2008, une version d’Astérix aux jeux olympiques adaptée au cinéma a été vue par sept millions de spectateurs [45].

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Des employés licenciés déguisés en Astérix et Panoramix, le « chaudron de l’emploi » remplaçant la potion magique

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Des employés licenciés déguisés en Astérix et Panoramix, le « chaudron de l’emploi » remplaçant la potion magique

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Les salariés licenciés ont fabriqué des pancartes mobilisant un référentiel occitan (la croix)

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Les salariés licenciés ont fabriqué des pancartes mobilisant un référentiel occitan (la croix)

(Photographie de Pascal Pavani, AFP, manifestation des Molex devant le consulat des États-Unis, La Dépêche, 26 novembre 2008)

35En prenant au mot les cadres dirigeants qui dénonçaient leur « village gaulois », les salariés licenciés ont réussi, avec leurs costumes d’Astérix et d’Obélix, à transformer une symbolique utilisée pour les dévaloriser en ressource identitaire de résistance, et ainsi à retourner très efficacement le stigmate en emblème, en s’inspirant de représentations de la résistance populaire, l’appartenance à un village devenant une fierté [46].

36Ce processus de retournement du stigmate mobilise également une grammaire qui va au-delà des images de la bande dessinée. Les pancartes reprennent des symboles et des emblèmes locaux – comme ci-contre la croix d’Occitanie – opposant le « village gaulois » à un ennemi défini comme « prédateur », « fabriqué » (made in) à l’étranger, aux États-Unis. Le raisonnement oppose ainsi la localité à l’entreprise américaine.

37Un autre raisonnement, également présent dans la mobilisation, s’oppose à la logique de la financiarisation de l’économie. Les deux, combinés, signifient : « C’est parce que nous venons de la campagne, d’un village “oublié par la modernité”, que nous résistons au rouleau compresseur de la globalisation. » C’est ainsi que les salariés licenciés de Molex sont devenus, au fur et à mesure des manifestations, l’incarnation de ce qu’il est habituellement difficile de mettre en image : la désindustrialisation, la crise économique, le capitalisme financier, qui occupent la scène médiatique, en particulier depuis la crise de 2008.

38Les salariés ont développé, tout au long de leur mobilisation, de véritables stratégies de mises en scène de ce discours sur la désindustrialisation. Ces stratégies, déployées notamment lors de multiples manifestations, sont tout autant utilisées en direction des journalistes qu’elles constituent les éléments d’un répertoire d’action [47]. À leur usage de la littérature et de symboles particulièrement riches, elles ajoutent une symbolique qui se situe au niveau national. Ainsi, le drapeau français, les couleurs bleu, blanc, rouge, et les images stylisées de l’Hexagone (le territoire) se retrouvent sur maintes pancartes des anciens salariés, reproduites dans la presse. D’une opposition local/mondial, ils passent à une « nationalisation » du conflit au sens propre : ils vont faire appel à des symboles et images de la République française – « un mixte de la nation et de l’État [48] ». Leur mobilisation acquiert ainsi une dimension patriotique.

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Des pancartes arborées par les salariés reprennent les couleurs bleu, blanc, rouge du drapeau français et des images et symboles de la République

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Des pancartes arborées par les salariés reprennent les couleurs bleu, blanc, rouge du drapeau français et des images et symboles de la République

39Les hommes qui ont fabriqué la pancarte exhibée sur la photographie ci-dessus travaillaient ensemble à l’outillage, un atelier exclusivement masculin. À l’usage du bleu, blanc, rouge sur les trois pancartes s’ajoute une symbolique juridique explicite : la justice, sous la forme d’une femme qui tient une balance dans sa main gauche et une épée dans sa main droite, rappelle, comme le texte, que leur combat porte sur le respect des lois par la multinationale. Si ce combat est perdu, ce sont les valeurs qui soutiennent les lois de la République qui sont, selon ce discours, fragilisées. La réponse toute trouvée à l’économie mondialisée devient ainsi l’économie française. Les salariés comprennent rapidement l’intérêt de l’argumentaire de la défense de l’emploi sur le sol français, qui peut rassembler politiquement une grande partie de la gauche et de la droite [49], de Bernard Thibault à Nicolas Sarkozy.

40L’État social, et plus exactement le Code du travail français, est évoqué comme exemple positif de ce qu’il faudrait protéger et de ce que « les Américains » détruisent, transformant ainsi la lutte pour la sauvegarde de l’emploi en guerre économique entre deux pays. Cet imaginaire de guerre économique n’est pas neutre en matière de genre. Astérix et Obélix servent aussi à la mise en scène d’une masculinité, même si c’est sur un ton ironique et sans avoir été nécessairement pensé comme tels. Par leur appel au gouvernement, et précisément au président de la République, les salariés mobilisés demandent aux gouvernants, pour soutenir leur combat, une preuve de leur fidélité au peuple français. Ils associent ainsi la valeur du travail à une masculinité qui combine force et patriotisme. Par ce procédé, les femmes sont symboliquement exclues de la mobilisation. Aucune ne s’est déguisée en Falbala ou en Bonemine [50]. Nous avons analysé ailleurs, avec Fanny Tourraille, cette exclusion progressive des femmes, qui est parallèlement une auto-exclusion au fur et à mesure que la mobilisation se juridiciarise et demande des compétences plus techniques [51].

41L’histoire à raconter, telle qu’elle paraît dans la presse, doit son succès à sa simplicité (des ouvriers français s’opposent à la finance américaine), au travail de politisation et de mise en forme symbolique, et enfin aux savoir-faire pratiques des salariés mobilisés [52]. Le succès tient aussi à ce qu’elle s’appuie sur un double stéréotype, partagé par les salariés, les journalistes et une partie des intellectuels qui soutiennent la mobilisation : le patriotisme et le sexisme. En témoigne notamment l’usage des images qui mettent en avant des hommes et rendent les femmes invisibles.

42Le photographe de l’AFP, Rémi Gabalda, a par exemple choisi des hommes pour illustrer le conflit Molex, les mettant en scène dans une pose virile. Bras croisés devant la poitrine, aucun sourire ne rompant l’homogénéité des regards, le groupe de salariés arbore des visages sombres et des corps massifs, qui donnent l’impression d’un mur compact, difficile à traverser. La photographie a été reprise par les salariés et publiée sur leur blog [53].

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Des hommes salariés en grève devant l’usine en 2009, mis en scène par le photographe de l’AFP, Rémi Gabalda

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Des hommes salariés en grève devant l’usine en 2009, mis en scène par le photographe de l’AFP, Rémi Gabalda

43Laure Bereni et Alban Jacquemart rappellent à quel point « le sexisme a été, de manière croissante, défini, dans le discours des élites, comme apanage des hommes des classes populaires [54] ». Les salariés inversent ce stigmate en se mettant en scène comme des « hommes gaulois », brandissant fièrement les attributs de la France. Ce retournement est accueilli avec enthousiasme par les journalistes, qui, à leur tour, les représentent comme des hommes. Les travaux de l’historien allemand Alf Lüdtke ont montré à quel point « il existe une représentation de l’ouvrier qui transcende l’appartenance de classe [55] ». Contrairement à ce qu’on pouvait attendre, les images que les ouvriers donnent d’eux-mêmes, notamment au travers de photographies qu’ils ont prises pendant les années 1920, ressemblent à celles faites par des représentants extérieurs à la classe ouvrière [56]. La mise en scène de soi des salariés Molex souligne que cette image traditionnelle du « bon ouvrier », symbole de la force économique, du « travail de qualité », dont les nationaux-socialistes se sont notamment servis en Allemagne, est toujours d’actualité et arrive à transcender les clivages de classe (entre journalistes et salariés), en mobilisant un patriotisme au masculin.

44Journalistes et salariés réactualisent et coproduisent ainsi un certain nombre de stéréotypes sur le monde ouvrier [57] : l’ouvrier est un homme et il est patriote. La masculinité est alors une condition implicite des « bonnes images » de la lutte ouvrière. Cette mobilisation pose autrement et de manière renouvelée l’épineuse question de la fierté ouvrière, dont Jacques Rancière remarque qu’elle consiste à « faire l’apologie d’un monde que ses habitants ne songent qu’à fuir [58] ». Quand Stéphane Beaud et Michel Pialoux parlent de « beaux restes » de cette « fierté ouvrière » qui persistent dans « certaines branches professionnelles (ouvriers-imprimeurs, cheminots, ouvriers hautement qualifiés) » [59], ils citent des branches et positions professionnelles non seulement parmi les plus qualifiées mais également majoritairement, voire exclusivement, masculines. En effet, cette fierté se fonde sur un raisonnement dans lequel la classe ouvrière est masculine, sa force consiste donc dans ses attributs physiques ou techniques, historiquement construits au masculin. Joan W. Scott l’a montré il y a quarante ans dans sa critique du livre d’Edward P. Thompson sur La Formation de la classe ouvrière anglaise[60] :

45

L’ordonnancement de l’histoire et les lignes directrices qui structurent le récit sont sexués d’une façon qui confirme plutôt qu’elle ne conteste la représentation virile de la classe ouvrière [61].

46Cette manière de créer un récit sexué, qui caractérise l’écriture de E. P. Thompson lors des années 1960, se retrouve cinquante ans plus tard dans la mobilisation des hommes et femmes salariés de Molex et dans leurs mises en scène de soi au masculin, coproduites par les journalistes. Comme si l’existence ou la fierté de la classe ouvrière ne pouvaient être protégées qu’en se tournant vers la masculinité. Ce réflexe exclut symboliquement la classe ouvrière d’une évolution possible vers un monde plus égalitaire. C’est ainsi que l’imbrication du genre et de la classe contribue à renforcer, de manière parfois non voulue par ceux qui construisent les images d’une masculinité ouvrière, la stigmatisation (comme machiste et arriérée) de la classe ouvrière et par extension des classes populaires.

47L’opération des salariés a rencontré un franc succès, dont une partie repose sur l’ambiguïté attachée à ces images patriotiques. Celles-ci permettent simultanément de mettre en avant une certaine fierté ouvrière tout en laissant intacts les stéréotypes de genre et de classe, et donc l’ordre genré et social. Ainsi, l’usage d’images masculines et humoristiques permet de surmonter les clivages de classe entre ouvriers, journalistes et intellectuels de soutien – tant que ceux-ci respectent un certain nombre de références communes, dont le patriotisme et le sexisme.

48Tenir ensemble les cadres dirigeants et les salariés, les images de masculinités qu’ils construisent d’eux-mêmes et de leurs ennemis dans la lutte autour de la fermeture de l’usine, permet de souligner la manière complexe et contradictoire par laquelle se construisent les relations de classe et les rapports sociaux de sexe ainsi que leur interdépendance réciproque. Loin d’une autonomie de ces relations, nous voyons qu’en pratique ce sont précisément les relations conflictuelles entre cadres dirigeants organisant la fermeture, et salariés luttant pour la conservation de leur emploi, qui contribuent à mettre en forme et en scène les images de l’autre et de soi-même : dévalorisantes, elles passent soit par une masculinité marginale, soit par une masculinité subordonnée ; valorisantes elles mettent en scène des masculinités hégémoniques. Ainsi, dans la lutte contre la fermeture, les salariés « font » leur genre et leurs masculinités, dans le sens de l’anglais doing[62]. Ces mises en scène de soi et de l’autre font partie de différentes stratégies, certaines conscientes, d’autres inconscientes : stratégies de management, du côté des cadres dirigeants, stratégies de lutte, du côté des salariés. Pour les uns comme pour les autres, la masculinité est partie prenante de ces stratégies. Cadres dirigeants et salariés construisent ensemble, au masculin, les catégories « d’ouvrier », de « salarié », de « cadre » ou de « manager ». Les valorisations genrées des hommes (comme forts, combatifs, etc.) s’appuient ainsi sur des stéréotypes de la virilité et renforcent les rapports de pouvoir de genre et de classe. Les pratiques genrées de lutte des classes peuvent ainsi renforcer les rapports sociaux de sexe et, par là, ceux de classe, notamment dans un contexte où les enjeux portant sur le genre n’ont pas été identifiés et analysés par les salariés et leurs soutiens.

Notes

  • [1]
    Cédric Lomba, La Restructuration permanente de la condition ouvrière. De Cockerill à Arcelor Mittal, Vulaines-sur-Seine, Éd. du Croquant, 2018.
  • [2]
    Gerald Davis, Managed by the Markets. How Finance Reshaped America, Oxford/New York, Oxford University Press, 2009 ; Michel Feher, Le Temps des investis. Essai sur la nouvelle question sociale, Paris, La Découverte, 2017, p. 14-15.
  • [3]
    Ève Chiapello, « La financiarisation des politiques publiques », Mondes en développement, 178 (2), 2017, p. 23-40.
  • [4]
    La question du lien entre position à l’usine et engagement politique pour les femmes a été développée in Alexandra Oeser et Fanny Tourraille, « Politics, Work and the Family », Modern and Contemporary France, 22, 2012, p. 203-219.
  • [5]
    J’aborde la question des effets de cette division du travail sur les relations entre les hommes et les femmes, et notamment sur les sexualités à l’usine, in Alexandra Oeser, « Sexualités à l’épreuve du genre et des hiérarchies usinières », Sociologie du travail [en ligne], 2019, 61 (3), http://journals.openedition.org/sdt/21376.
  • [6]
    Grégoire Loiseau, « Le coemploi est mort, vive la responsabilité délictuelle  », JCP/La Semaine Juridique-Édition sociale, 29, 2014, p. 1311-1312.
  • [7]
    Le groupe est composé d’Olivier Baisnée, Anne Bory, Bérénice Crunel, Éric Darras, Caroline Frau, Jérémie Nollet, Alexandra Oeser, Audrey Rouger, Yohan Selponi et Fanny Tourraille. L’enquête a été financée entre 2011 et 2015 par l’ANR Mondex jeunes chercheuses et chercheurs, dont j’ai assuré la coordination.
  • [8]
    Collectif du 9 août, Quand ils ont fermé l’usine. Lutter contre la délocalisation dans une économie globalisée. Marseille, Agone, 2017.
  • [9]
    Kimberlé W. Crenshaw, « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex : A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics », University of Chicago Legal Forum, 1, 1989, p. 139-167.
  • [10]
    Sabine Erbès-Seguin, La Sociologie du travail, Paris, La Découverte, 1999, p. 94.
  • [11]
    Notamment ceux de Michelle Perrot, Les Ouvriers en grève. France 1871-1890, Paris/La Haye, Mouton, 1974 et id., Les Femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998 ; Joan W. Scott, « Genre : une catégorie utile de l’analyse historique », Les cahiers du Grif, 37-38, 1988, p. 125-153 et id., « “L’ouvrière, mot impie, sordide…” Le discours de l’économie politique française sur les ouvrières, 1840-1860 », trad. de l’angl. par Michèle Mittner, Actes de la recherche en sciences sociales, 83, 1990 [1988], p. 2-15.
  • [12]
    Madeleine Guilbert, Les Fonctions des femmes dans l’industrie, Paris-La Haye, Mouton, 1966 ; Danièle Kergoat, Les Ouvrières, Paris, Le Sycomore, 1982 ; Margaret Maruani et Chantal Nicole-Drancourt, Au labeur des dames. Métiers masculins, emplois féminins, Paris, Syros, 1989.
  • [13]
    Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours, Marseille, Agone, 2018, p. 8.
  • [14]
    Anne-Marie Sohn, « Sois un homme ! » La construction de la masculinité au xixe siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2009, p. 441.
  • [15]
    Raewyn Connell, Masculinities, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1995, 2005.
  • [16]
    Ibid., chap. 3 « The Social Organization of Masculinity », p. 67-86.
  • [17]
    Ibid., p. 79.
  • [18]
    L’ensemble des noms et une partie des postes occupés à l’usine ont été changés, pour conserver l’anonymat des personnes, en veillant toutefois à rendre compte de la logique sociale et des relations hiérarchiques dans l’usine.
  • [19]
    Entretien avec William Velden, décembre 2013, au siège de Molex à Lisle, États-Unis.
  • [20]
    William Velden ne mentionne que des hommes pendant l’entretien qui a duré quatre heures.
  • [21]
    « He was viewed as kind of having lost his manhood », entretien avec William Velden, décembre 2013, au siège de Molex à Lisle, États-Unis.
  • [22]
    Patricia Meyer Spacks, Gossip, New York, Alfred A. Knopf, 1985 ; Philippe Aldrin, Sociologie politique des rumeurs, Paris, PUF, 1995, 2005 ; Karen Adkins, Gossip, Epistemology and Power. Knowledge Underground, Palgrave, Macmillan, 2017.
  • [23]
    Norbert Elias et John Scotson, The Established and the Outsiders. Social Enquiry into Community Problems, Londres, Thousand Oaks, New Delhi, Sage Publications, 1965, 1994. Le chapitre 7 a été traduit en français, dans une version raccourcie, par Francine Muel-Dreyfus dans Actes de la recherche en sciences sociales, 60, 1985, p. 23-29.
  • [24]
    Christine L. Williams, Patti A. Giuffre et Kirsten Dellinger, « Sexuality in the Workplace. Organizational Control, Sexual Harrassment and the Pursuit of Pleasure », Annual Review of Sociology, 25, 1999, p. 73-93 ; A. Oeser, « Sexualités à l’épreuve du genre… », art. cité.
  • [25]
    Idem.
  • [26]
    Nous avons utilisé, dans le cadre de l’enquête collective, le logiciel SONAL pour une classification thématique des entretiens. Il permet une vérification statistique rapide dans l’ensemble des entretiens et comptes rendus, par recherche de mots clés.
  • [27]
    Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1999, 2004.
  • [28]
    L’opposition entre « opérationnel » et « financier » rappelle de loin celle entre « patron » et « bureaucratie », analysée par Serge Moscovici pour les années 1960. En effet, la nationalisation des mines ressemble en cela à la financiarisation qu’elle remplace, par une bureaucratie invisible, la figure du patron, comme la financiarisation remplace par des actionnaires invisibles cette figure. Serge Moscovici, en 1960, n’a pas pensé à analyser le jugement de leur hiérarchie par les mineurs en termes de genre ou de masculinité. Serge Moscovici, « Les mineurs jugent la nationalisation », Sociologie du travail, 3, 1960, p. 216-229.
  • [29]
    Pierre Bourdieu, « La domination masculine », Actes de la recherche en sciences sociales, 84, 1990 p. 2-31, p. 6.
  • [30]
    Entretien avec William Velden, décembre 2013.
  • [31]
    Frédérique Matonti, Le Genre présidentiel. Enquête sur l’ordre des sexes en politique, Paris, La Découverte, 2017, p. 237.
  • [32]
    Ibid., p. 275.
  • [33]
    Entretien avec William Velden et Jonathan Sidney, décembre 2013. Ils ressemblent par ce langage aux intellectuels du ministère de la Défense analysés par Carol Cohn, qui mobilisent des images tout aussi sexualisées pour décrire la guerre. Carol Cohn, « Sex and Death in the Rational World of Defense Intellectuals », Signs, 12 (4), 1987, p. 687-718.
  • [34]
    Sur la manière dont les guerres ont durablement influé sur la virilité des soldats, voir Luc Capdevila, « L’identité masculine et les fatigues de la guerre », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 75, 2002, p. 97-108. D’autres ont soutenu au contraire la thèse de la « brutalisation » des soldats par la Grande Guerre. L’historien américain George Mosse soutient ainsi, pour l’Allemagne, la thèse que l’exercice de la guerre a préparé certains des hommes allemands au nazisme : George Lachmann Mosse, Fallen Soldiers. Reshaping the Memory of the World Wars, Oxford, Oxford University Press, 1990 ; trad. fr., id., De la Grande Guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes, trad. de l’angl. par Edith Magyar, Paris, Hachette littératures, 2003. Cet ouvrage a nourri un débat important : https://laviedesidees.fr/1914-1918-retrouver-la-controverse.html.
  • [35]
    Ute Frevert, « L’armée, école de la masculinité », Travail, genre et sociétés, 3 (1), 2000, p. 45-66 ; Anne-Marie Devreux, « Des appelés, des armes et des femmes : l’apprentissage de la domination masculine à l’armée », Nouvelles questions féministes, 18 (3-4), 1997, p. 49-78.
  • [36]
    M. Feher, Le Temps des investis…, op. cit., p. 66.
  • [37]
    Raewyn Connell, « Im innern des gläsernen Turms : Die Konstruktion von Männlichkeiten im Finanzkapital », Feministische Studien, 1, 2010, p. 8-23.
  • [38]
    Celle-ci n’a malheureusement pas accepté l’entretien que je lui proposais.
  • [39]
    R. Connell, « Im Innern des gläsernen Turms », art. cité, p. 17.
  • [40]
    Cette posture est le pendant de celle, relevée par Amélie Le Renard, des managers d’une multinationale en Arabie saoudite, qui affichent leur « progressisme » en termes « antisexistes », affichage qui leur sert notamment à se distinguer de collègues saoudiens renvoyés vers le sexisme. Amélie Le Renard, « On n’est pas formaté comme ça en Occident : masculinités en compétition, normes de genre et hiérarchie entre nationalités dans une multinationale du Golfe », Sociétés contemporaines, 94 (2), 2014, p. 41-67.
  • [41]
    Sur ce point, ils ressemblent davantage au modèle « traditionnel » de la masculinité dirigeante incarnée par les managers plus âgés qu’aux jeunes managers « transnationaux » et sensibles à l’égalité entre les sexes, distinction générationnelle établie par Raewyn Connell et Julian Wood, « Globalization and Business Masculinities », Men and Masculinities, 7 (4), 2005, p. 347-364, reprise par Laure Bereni et Alban Jacquemart pour les cadres de l’administration française : Laure Bereni et Alban Jacquemart, « Diriger comme un homme moderne. Les élites masculines de l’administration française face à la norme d’égalité des sexes », Actes de la recherche en sciences sociales, 223, 2018, p. 72-87.
  • [42]
    « En quoi les Asiatiques méritent-ils moins d’avoir du travail ? », me demande ainsi Jonathan Sidney.
  • [43]
    René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix aux jeux olympiques, Paris, Dargaud, 1968.
  • [44]
    Entretien avec William Velden, décembre 2013.
  • [45]
    Astérix aux jeux olympiques, 2008, réalisé par Frédéric Forestier et Thomas Langmann, avec Clovis Cornillac en Astérix et Gérard Depardieu en Obélix.
  • [46]
    Erving Goffman, Stigmata. Notes on the Management of Spoiled Identity, New York, Simon & Shuster, 1963 ; trad. fr., id., Stigmate. Les Usages sociaux des handicaps, trad. de l’angl. par Alain Kihm, Éd. de Minuit, 1975. Howard Becker, Outsiders. Studies in the Sociology of Deviance, New York, The Free Press of Glencoe, 1963 ; trad. fr., id., Outiders. Études de sociologie de la déviance, trad. de l’angl. par J.-P. Briand et J.-M. Chapoulie, Paris, Métailié, 1985.
  • [47]
    Si l’on souhaite reprendre la classification de Charles Tilly, on peut dire qu’ils croisent deux modèles : le modèle communal patronné et le modèle national-autonome. Charles Tilly, « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 4, 1984, p. 89-108 et id., La France conteste, de 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986.
  • [48]
    Leora Auslander et Michelle Zancarini-Fournel, « Le genre de la nation et le genre de l’État », Clio. Histoire, femmes et sociétés, 12, 2000, p. 18.
  • [49]
    Ces mots d’ordre s’appuient sur plusieurs décennies du mouvement ouvrier, notamment communiste, qui a mis en avant les valeurs patriotiques de défense de la production nationale : « produisons français » est, par exemple, un mot d’ordre du PCF à la fin des années 1970. Voir Georges Lavau, « L’espace politique français : déconstruire, reconstruire », Esprit, 12, 1979, p. 52-65.
  • [50]
    Interrogé sur ce point (« Il n’y a pas de Gauloises, chez vous ? Vous n’avez pas Falbala ? »), un ouvrier syndiqué répond par une blague : « Les gauloises, on les fume ». Compte rendu d’une manifestation, 2010, par Yohan Selponi.
  • [51]
    A. Oeser et F. Tourraille, « Politics, Work and the Family », art. cité.
  • [52]
    Nous racontons cette « lutte devenue symbole », ce travail de politisation et de mise en forme par les salariés, hommes et femmes, mais aussi par les journalistes et d’autres acteurs et actrices, dont notamment des hommes et femmes politiques locaux et nationaux et des syndicalistes in Collectif du 9 août, Quand ils ont fermé l’usine…, op. cit., chap. 5 « Les Molex, une lutte devenue symbole », p. 163-193.
  • [53]
  • [54]
    L. Bereni et A. Jacquemart, « Diriger comme un homme moderne… », art. cité, p. 80.
  • [55]
    Sandrine Kott et Alf Lüdtke, « De l’histoire sociale à l’Alltagsgeschichte : entretien avec Alf Lüdtke », Genèses, 3, 1991, p. 148-153, p. 149.En ligne
  • [56]
    Alf Lüdtke, « Industriearbeit in historischen Fotographien. Zu der Chance einer visuellen Geschichte », Journal für Geschichte, 3, 1986, p. 25-31.
  • [57]
    Les professionnels de la presse, issus pour la majorité des classes moyennes intellectuelles, sont contraints par les exigences de leur métier, dont notamment leur dépendance aux sources et leur anticipation de la réception. Sur le jeu des contraintes économiques et techniques qui s’exercent sur le travail journalistique, voir en particulier Erik Neveu, Sociologie du journalisme, Paris, La Découverte, 2001, 2013.
  • [58]
    Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1999, 2004, p. 437.
  • [59]
    Ibid., p. 438.
  • [60]
    Edward P. Thompson, The Making of the English Working Class, Londres, Victor Gollancz, 1963 ; trad. fr., id., La Formation de la classe ouvrière anglaise, trad. de l’angl. par Gilles Dauvé, Mireille Golaszewski et Marie-Noëlle Thibault, Paris, Gallimard, 1988.
  • [61]
    Joan W. Scott, « Women in The Making of the English Working Class », in Gender and the Politics of History, New York, Columbia University Press, 1988 ; trad. fr., id., « Les femmes dans La Formation de la classe ouvrière anglaise », in De l’utilité du genre, trad. de l’angl. par Claude Servan-Schreiber, Paris, Fayard, 2012, p. 55-88, p. 62.
  • [62]
    Judith Butler, Undoing Gender, Londres/New York, Routledge, 2004 ; trad. fr., id., Défaire le genre, trad. de l’angl. par Maxime Cervulle, Paris, Éd. Amsterdam, 2006.
Français

À partir de la description d’un conflit social déclenché par la fermeture d’une usine dans le sud de la France, cet article analyse les processus par lesquels les groupes sociaux mobilisent des images de masculinités différenciées pour dévaloriser « l’ennemi de la lutte ». Cette opération révèle en creux l’image qu’ont respectivement les cadres dirigeants et les salariés licenciés de la bonne manière d’être un homme. Ces mises en scène de soi et de l’autre font partie de différentes stratégies, conscientes et inconscientes, élaborées par les cadres dirigeants (stratégies de management) et les salariés (stratégies de lutte). Elles contribuent ainsi à construire un rapport de force social entre hommes avant et pendant la mobilisation et créent des frontières de classe.

  • genre
  • classe
  • délocalisation industrielle
  • mouvements sociaux
  • financiarisation
Alexandra Oeser
Alexandra Oeser est maîtresse de conférences (HDR) en sociologie à l’Université Paris-Nanterre et membre de l’Institut des sciences sociales du politique (ISP). Elle est membre junior de l’Institut universitaire de France (2014-2019). Elle a notamment écrit Enseigner Hitler. Les adolescents face au passé nazi en Allemagne (Éd. de la MSH, 2010), et coécrit, avec le collectif du 9 août, Quand ils ont fermé l’usine (Agone, 2017).
Université Paris-Nanterre, Institut des sciences sociales du politique (ISP), 92001, Nanterre Cedex, France.
Camille Noûs
« Camille Noûs » est un consortium scientifique créé pour affirmer le caractère collaboratif et ouvert de la création et de la diffusion des savoirs, sous le contrôle de la communauté académique. Ce collectif scientifique, comme Bourbaki, Henri Paul de Saint Gervais ou Arthur Besse en mathématiques, ou Isadore Nabi en biologie, prend l’identité d’une personnalité scientifique qui incarne la contribution collective de la communauté académique. Plus précisément, Camille Noûs est un individu collectif qui symbolise notre attachement profond aux valeurs d’éthique et de probation que porte le débat contradictoire, elle est insensible aux indicateurs élaborés par le management institutionnel de la recherche, elle sait ce que nos résultats doivent à la construction collective. C’est le sens du « Noûs », porteur d’un Nous collégial mais faisant surtout référence au concept de « raison » (ou « esprit » ou « intellect ») hérité de la philosophie grecque.
Laboratoire Cogitamus, http://www.cogitamus.fr/.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/07/2020
https://doi.org/10.3917/vin.146.0123
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