1 – Introduction
1Le titre l’indique clairement : l’objectif principal de ce travail ne sera pas la défense et illustration rigide de notre hypothèse anaphorico-méronomique de l’imparfait (Berthonneau & Kleiber, 1993), même si nous ne mettrons pas notre drapeau dans notre poche, loin de là. Il ne s’agit en effet pas pour nous, prioritairement du moins, de défendre ici une approche générale de l’imparfait, encore moins de nous lancer dans des considérations sur le temps et l’aspect en général. Non pas que nous trouvions semblable entreprise inutile, bien au contraire, mais il nous semble plus bénéfique, en ces temps où, dans la sphère temporelle à la mode, « Jean tombe [beaucoup] parce que Max le pousse », de procéder à l’inverse des approches systématiques habituelles. Au lieu de partir avec une définition bien formatée en tête et de prouver ensuite sa pertinence sur les différents types d’emplois relevés, il est, à notre avis, plus utile et plus rentable de s’attaquer directement à ces emplois pour en décrire le plus finement possible le fonctionnement. Nous l’avons fait pour les imparfaits de « politesse » (Berthonneau & Kleiber, 1994), les imparfaits dans le style indirect (Berthonneau & Kleiber, 1996 et 1997) et les imparfaits dits de rupture (Berthonneau & Kleiber, 1999 et 2000). Nous le ferons ici en prenant comme objet d’étude les imparfaits dits contrefactuels, que signalent quasiment tous les travaux sur l’imparfait avec comme emblème des exemples ferroviaires comme :
2On peut se demander pourquoi procéder de la sorte ? Pourquoi emprunter le chemin inverse de celui sur lequel se pressent les nombreux spécialistes de l’imparfait ? Pourquoi ne pas exposer tout d’abord notre hypothèse générale sur l’imparfait et prouver ensuite son adéquation sur un ou deux exemples canoniques de l’imparfait, dont précisément le fameux exemple du train qui déraille une minute de plus ou une minute après ? Une raison, principalement, motive ce choix. Nous pensons que partir directement d’une valeur unitaire fait courir un grand risque, celui de plaquer mécaniquement cette valeur sur les emplois rencontrés et donc de faire émerger ainsi des interprétations ou effets de sens erronés. Evidemment, cela ne se produit généralement pas pour les emplois dits standard [1], mais cela est courant pour les emplois qui posent précisément des problèmes à la conception unitaire retenue, ceux qui ne répondent pas immédiatement à cette conception et qui demandent donc une certaine gymnastique théorique pour domestiquer l’emploi récalcitrant.
3Cette volonté de retrouver à tout prix dans les différents emplois analysés la définition générale retenue a pour résultat qu’aujourd’hui encore une grande partie des emplois de l’imparfait ne sont pas bien décrits, bien analysés. Un autre facteur, de mise jusqu’à ces derniers temps, a grandement contribué à cette situation : c’est l’usage de reprendre les descriptions plus ou moins précises de tel ou tel emploi de l’imparfait données par les devanciers sans trop se soucier de vérifier plus avant la pertinence de la caractérisation offerte. Or, dès que l’on se penche un peu de plus près sur les emplois particuliers de l’imparfait, surtout, comme souligné, sur ceux qui passent pour ne pas être canoniques ou paradigmatiques, l’on constate que les caractérisations mises en avant et acceptées par la communauté ne correspondent pas toujours à la réalité des faits. Il en va également ainsi, on le verra, chemin faisant, de l’emploi choisi ici comme objet d’étude, à savoir les imparfaits dits contrefactuels, qu’illustrent des exemples tels que :
b. Encore un peu / un peu plus / une seconde de plus, le train déraillait
c. Heureusement que la cavalerie est arrivée. Une minute de plus, Lucky Luke était prisonnier des Indiens
d. Une minute plus tôt, tu la voyais
e. – Je suis en retard. – Oh non, tu arrives au bon moment. Un peu plus tôt, c’était pas prêt
f. Un peu plus, je rentrais dans le pylône
g. Mais tu es fou de m’avoir bousculé ainsi ! Un peu plus, je tombais
h. Un mot de plus, il prenait une gifle
i. Deux kilos de moins, je rentrais dans ma robe
j. Un pas de plus, tout sautait
k. Elle a mis la main sur le loquet. Un pas de plus, elle était dans la rue (Victor Hugo)
l. Encore un verre, il tombait raide
m. Une caisse de plus, on ne fermait pas la porte [lors du chargement d’un camion]
n. Moins cher, c’était du fil de fer (Leroy-Merlin, publicité)
o. Sans vous, je m’ennuyais (Le Goffic, 1986)
p. Sans la présence d’esprit du conducteur, le train déraillait (Martin, 1971)
q. Un simple coup de téléphone, (et) je venais tout de suite (Le Goffic, 1986)
r. Tu aurais dû braquer plus fort. Alors là, je rentrais dans le camion (Martin, 1987 : 131-132)
s. Le vendeur était séduit. Tu lui demandais deux pantalons pour le prix d’un, tu les avais
- le train a déraillé (version factuelle)
- le train n’a pas déraillé (version contrefactuelle)
4Il était donc dans l’ordre des choses de faire suivre notre analyse de l’imparfait de rupture de celle de l’imparfait contrefactuel. Comme annoncé, nous n’emprunterons toutefois pas la voie habituelle qui consiste à exposer une hypothèse générale sur l’imparfait, puis à la faire rouler, plus ou moins bien, sur un ou deux exemples canoniques de l’emploi en question, mais nous procéderons de façon inverse :
2 – L’imparfait contrefactuel : identification et problèmes
5Un point de ralliement, signalé par tous les commentateurs, constitue l’élément introductif incontournable : l’imparfait contrefactuel se reconnaît au fait qu’il fonctionne avec la valeur d’un conditionnel passé. Le prouve la possibilité de le remplacer par un tel conditionnel, comme dans ces exemples déjà mentionnés dans l’introduction sous [2] :
b. Heureusement que la cavalerie est arrivée. Une minute de plus, Lucky Luke aurait été prisonnier des Indiens
c. Un pas de plus, tout aurait sauté
d. Moins cher, ç’aurait été du fil de fer
e. Sans la présence d’esprit du conducteur, le train aurait déraillé
f. Le vendeur était séduit. Tu lui aurais demandé deux pantalons pour le prix d’un, tu les aurais eus
6Deux corollaires délimitatifs s’y ajoutent, mais moins consensuellement relevés :
- la mise à l’écart de l’imparfait combiné à si, puisque la commutation avec le conditionnel passé (ou présent aussi) n’est pas de mise, même si l’élément contrefactuel est présent :
- la séparation, au moins par la contrefactualité (voir supra et infra), de l’imparfait de rupture, puisque celui-ci n’accepte évidemment guère d’être remplacé par le conditionnel passé, mais se reconnaît au fait qu’il entre en concurrence avec le passé simple ou passé composé (cf. 7), temps totalement exclus de l’emploi contrefactuel (cf. 8) :
7Le deuxième problème a trait au conditionnel passé. Si l’imparfait contrefactuel fonctionne comme un conditionnel passé, qu’exprime-t-il de différent ? S’ouvre ici, en relation d’ailleurs avec la première, la problématique également classique des emplois stylistiques ou des valeurs expressives de l’imparfait. Quel(s) effet(s) amène l’imparfait contrefactuel par rapport au conditionnel passé ?
8En troisième lieu, le fait que :
3 – Les approches antérieures
9L’imparfait contrefactuel, rappelons-le, n’a pas donné lieu à une littérature abondante. Tous les courants ne l’abordent pas : rien chez les tenants des approches textuelles pour qui l’imparfait est un temps d’arrière-plan, rien non plus du côté des analyses anaphoriques coréférentielles et de celui des défenseurs de l’imparfait marqueur de point de vue, ni du côté des « règles discursives ». Les explications proposées se laissent répartir en trois grands types de réponse :
- celles qui privilégient le facteur temps comme vecteur explicatif,
- celles qui s’arc-boutent sur le facteur modal,
- et celles qui font donner la dimension aspectuelle.
3.1 – Un effet du temps passé
10Une première porte de sortie pour expliquer l’emploi contrefactuel est offerte par le composant temporel « passé » : si l’on admet que l’époque passée est moins réelle que l’époque présente, il est possible de rendre compte de l’emploi contrefactuel en s’appuyant sur cette réalité moins grande du passé qu’implique l’imparfait [3] : « l’écart temporel entre le présent et le passé est utilisé pour traduire un écart modal entre le réel et l’imaginaire » (Imbs, 1968). De temporel l’imparfait devient modal, le déplacement du présent vers le passé étant utilisé sur le plan modal comme déplacement du réel vers le fictif. Avec, comme le note encore Imbs (1968), mais sans en donner l’origine, un « effet dramatique », qui marque la « fatalité de la conséquence par rapport à la cause ».
11Outre qu’elle ne dit rien sur le lien entre l’effet relevé et le passage du temporel au modal via le facteur passé, cette hypothèse se heurte à l’obstacle que constituent les autres temps du passé. Pourquoi, si le passé est responsable du transfert vers le modal, des temps comme le passé composé et le passé simple ne se prêtent pas à un tel écart modal, comme le relève aussi Le Goffic (1986) ?
3.2 – Le facteur modal
12Une solution qui convient parfaitement aux emplois contrefactuels est celle qui fait de l’imparfait non un temps, mais un « mode », celui de l’inactuel (à sens toncal, selon Damourette & Pichon, 1911-1940). Si l’imparfait est conçu non comme un temps, mais comme un mode marquant l’inactuel, il est clair que l’explication de l’emploi contrefactuel, non seulement ne suscite plus de difficultés, mais représente même du pain bénit pour cette conception. L’emploi contrefactuel est d’ailleurs, avec d’autres emplois « non temporels » ou « modaux », directement à la source de la théorie de l’imparfait-expression de l’inactuel. Il n’y a guère lieu dans ce cadre de s’attarder sur ces emplois modaux, puisqu’ils se laissent directement dériver à partir de la valeur modale basique ; ce sont par contre les emplois temporels qui doivent être bichonnés pour pouvoir rentrer dans le giron théorique modal proposé, la solution retenue pour ces cas étant de souligner que le passé représente en quelque sorte un monde inactuel. Touratier (1996 : 137), qui défend une telle ligne, n’a donc pas trop de soucis à se faire. Le signifié de l’imparfait étant le non actuel, il peut fort bien ne pas recevoir de réalisation proprement temporelle : « Quand le contenu de l’énoncé est déjà expressément situé dans le passé, l’imparfait n’a pas besoin de présenter une valeur temporelle : son signifié indique alors simplement que le procès est irréel. Et comme tout l’énoncé est lui-même situé dans le passé, cet irréel correspond du fait même à un irréel dans le passé » (Touratier, 1996 : 137). Si l’affaire est ainsi proprement enveloppée, elle laisse quand même quelques points irrésolus. Pourquoi l’imparfait ne peut-il s’intégrer aussi facilement dans l’époque future qui semble pourtant de façon inhérente encore plus inactuelle que le passé ? Qu’en est-il des emplois factuels dans le passé ? Et quelle est la différence avec le conditionnel passé ?
13Le Goffic (1986 ; 1995) offre à cet égard une réponse beaucoup plus complète et plus fouillée [4]. Il s’appuie au départ sur l’analyse toncale de Damourette & Pichon et la traduit en termes de monde inaccessible au moi-ici-maintenant : « Tous les emplois de l’imparfait, temporels ou non, ont en commun une caractéristique de renvoyer à des mondes en un certain sens inaccessibles pour le moi-ici-maintenant du locuteur » (Le Goffic, 1995 : 138). Ce décalage peut se manifester dans l’ordre du temporel (à savoir le passé), dans l’ordre du modal (les imparfaits hypothétiques) et par la prise en charge énonciative (imparfaits de politesse et hypocoristique). Le facteur essentiel de cette inactualité n’est donc pas le temps, puisque, comme nous l’avons déjà souligné, le passé simple et le passé composé ne connaissent pas d’emploi modal, mais c’est l’aspect inaccompli, comme le prouve le présent, puisque celui-ci se rencontre aussi en site conditionnel ou imaginaire. En définissant l’imparfait comme un « inaccompli certain non présent », Le Goffic arrive à expliquer l’imparfait de passé réel comme l’imparfait de passé fictif : « l’imparfait de passé fictif est bien le même que l’imparfait de passé réel et […] il n’y a pas lieu de parler de transport analogique d’un décalage temporel vers un décalage modal. On retrouve en effet dans ce type d’emploi les caractéristiques d’inaccompli certain non-présent de l’imparfait, mais c’est la situation sur laquelle il porte (le thème temporel, dirait Ducrot) qui cette fois n’appartient pas nécessairement à un passé effectif réel, et peut relever de l’hypothèse rétrospective, du passé fictif » (Le Goffic, 1986 : 66). Autrement dit, c’est le même imparfait que l’on retrouve dans la lecture factuelle (ou de rupture) et dans la lecture contrefactuelle (passé fictif) de :
14La différence entre l’emploi contrefactuel de Une minute plus tard, le train déraillait et le conditionnel passé de Une minute plus tard, le train aurait déraillé réside dans un effet de véridicité, de certitude, que possède le premier et pas le second : « […] -l’imparfait fictif retient bien une assertion sur le mode du certain, au même titre que l’imparfait de passé effectif : il n’y a pas moins d’affirmation de vérité dans le cas de figure irréel que dans l’autre, mais simplement cette affirmation vaut dans le cadre référentiel spécifié en dehors de l’imparfait, dans le champ, logiquement parlant, des coordonnées temporelles dans lesquelles il s’insère. D’où l’impression de force, de sincérité, de vécu de ce passé fictif […]. La différence est patente avec la paraphrase au conditionnel (le train aurait déraillé), dont la forme verbale porte en elle-même l’indication de sa non-réalisation » (Le Goffic, 1986 : 66).
15La différence entre l’emploi factuel (ou imparfait de rupture) de Une minute plus tard, le train déraillait et le passé simple de Une minute plus tard, le train dérailla tient, non plus au facteur modal de véridicité qui sépare le conditionnel passé de l’imparfait contrefactuel, mais à l’aspect inaccompli ou imperfectif : le fait d’utiliser l’imparfait au lieu du passé simple ou passé composé donne lieu à un effet de dilatation, qui fige l’événement en plein déroulement et nous le fait voir à la manière d’un instantané [5]. Cet effet se retrouve bien entendu avec l’imparfait contrefactuel, puisque celui-ci présente les mêmes propriétés aspectuelles que l’imparfait de passé réel. Le Goffic le signale explicitement en notant à propos des interprétations factuelles et contrefactuelles de Sans vous, je m’ennuyais et Une minute plus tard, le train déraillait que « nous voyons de la même façon dans les deux interprétations les manifestations de l’ennui ou le déraillement du train (rendus d’une certaine façon présents devant nous) » (Le Goffic, 1986 : 66).
16Trois points positifs méritent d’être retenus de cette explication :
- l’imparfait ne change pas en emploi de passé fictif : il ne devient pas lui-même contrefactuel ;
- le circonstant frontal joue un rôle de premier plan dans la construction de la lecture contrefactuelle ;
- la place du circonstant se révèle importante, puisque dans le cas de Une minute plus tard, le train déraillait la postposition empêche l’emploi contrefactuel.
17Une seconde critique, plus sérieuse, a trait au dispositif envisagé pour expliquer qu’une même forme comme Une minute plus tard, le train déraillait puisse présenter une lecture factuelle et une lecture contrefactuelle. La seule différence entre les deux est le caractère fictif ou non du circonstant : si une minute plus tard installe un monde réalisé, c’est l’imparfait factuel ou de rupture, si c’est un monde non réalisé, c’est l’imparfait contrefactuel. Laissons de côté pour le moment le fait qu’il faudrait de toute manière expliquer de façon plus précise comment une minute plus tard peut conduire à du fictif ou du réel, dans la mesure où une minute plus tard en lui-même se réalise toujours. Le point important ici est que si l’analyse de la double lecture de Une minute plus tard, le train déraillait était correcte, tous les imparfaits de rupture (du type « circonstant frontal + événement à l’imparfait ») devraient pouvoir présenter une lecture contrefactuelle si le circonstant frontal en question installait un monde fictif ou non réalisé. Or, il n’en va pas ainsi. A l’imparfait de rupture de [11], avec le lendemain ou le soir même, correspond difficilement un imparfait contrefactuel (cf. [12]) :
b. J’ai été triste toute la soirée. ?Sans vous, je m’ennuyais [vs Je me suis ennuyé]
3.3 – Le facteur aspectuel
18On aurait également pu ranger la solution de Le Goffic dans la rubrique des approches aspectuelles, puisque, si l’imparfait renvoie à des mondes inaccessibles au moi-ici-maintenant, c’est à cause de son aspect d’inaccompli. Mais, comme c’est plutôt la dimension modale qui en découle qui est sollicitée pour expliquer l’emploi contrefactuel, il nous a paru plus opportun de le séparer des solutions plus directement aspectuelles.
3.3.1 – Un présent dans le passé
19La première de ces solutions est la plus traditionnelle : c’est celle qui conçoit l’imparfait comme étant un présent dans le passé. Il ne s’agit d’une approche temporelle qu’en apparence, puisque c’est bien à cause de propriétés aspectuelles communes au présent et à l’imparfait, comme le note Wilmet (1997 : 383), à savoir la valeur imperfective (« en déroulement »), qu’on a pu définir le second comme un présent dans le passé.
20On dispose alors d’une explication toute naturelle pour l’imparfait contrefactuel. De même que le présent, l’imparfait peut exprimer « une chose possible, une éventualité immédiate, qu’on a actualisée par anticipation » (Wagner & Pinchon, 1962 : 364) et donc notre imparfait du train qui déraille sans dérailler s’explique par le fait qu’à la manière du présent l’imparfait peut s’employer pour un futur proche, pour une réalité imminente, qu’on anticipe. D’où l’effet d’imminence et la dénomination d’imparfait d’imminence. On aurait donc là, mais ce n’est pas explicitement dit, la différence avec le conditionnel passé, celui-ci ne véhiculant pas cette idée d’immédiateté, d’imminence. On peut y ajouter aussi un effet, déjà entrevu, celui de certitude, absent du côté du conditionnel passé.
21Un argument fort peut être invoqué en faveur de cette thèse, le constat, généralement signalé, qu’on dispose, au présent, du correspondant de l’imparfait contrefactuel. Face à [18] à l’imparfait, on a ainsi [19], avec le présent :
b. – Je suis en retard – Oh non, tu arrives au bon moment. Un peu plus tôt, c’était pas prêt
b. Moins cher, c’était du fil de fer
c. Mais tu es fou de m’avoir bousculé ainsi ! Un peu plus, je tombais
d. Un mot de plus et il prenait une gifle !
22Toutes ces données font que l’approche en termes de présent du passé ne semble pas à même d’apporter une solution satisfaisante à l’emploi contrefactuel. Ce n’est pas pour autant qu’il faut remiser la dimension aspectuelle comme facteur explicatif. Celle-ci, il faut le reconnaître, ne se trouve impliquée que par l’intermédiaire du parallèle posé entre le présent et l’imparfait. L’aspect imperfectif ou sécant que l’on assigne classiquement à ces deux temps n’est finalement guère mis au premier plan, alors qu’il peut servir, de différentes manières, d’élément explicatif.
3.3.2 – Le facteur imperfectif
23Le facteur imperfectif a donné lieu à plusieurs types de réponses :
- une réponse guillaumienne qui en fait, avec l’imparfait de rupture, un imparfait modifié ou transformé par rapport à l’imparfait des emplois standard
- une réponse aspectuelle qui le laisse tel quel
- une solution aspectuelle qui transfère l’imperfectivité sur un autre élément que l’événement marqué à l’imparfait.
3.3.2.1 – Un imparfait perspectif
24On sait que, pour Guillaume (1971 : 103-104), « l’imparfait, partout et toujours, satisfait à la condition de langue :
25accompli décadent + accomplissement ascendant = 1 ».
26La diversité des emplois se laisse expliquer par la variation de ces parties d’accompli et d’accomplissement. Selon le cas, l’accompli peut avoisiner ou même atteindre zéro pour donner lieu à un imparfait perspectif. C’est ce qui se passe avec l’imparfait contrefactuel, mais aussi avec l’imparfait de rupture, parce que l’ambiguïté factuel /contrefactuel de formes comme L’instant d’après, le train déraillait conduit à ranger les deux emplois ensemble et donc à considérer également l’imparfait de rupture comme un imparfait perspectif, où la partie décadente (ou d’accompli) est proche de zéro [6]. Comment passe-t-on alors de la lecture contrefactuelle, pour laquelle on peut aisément comprendre qu’il s’agisse d’une partie accomplie nulle, à la lecture factuelle, plus difficilement assimilable a priori à de l’accompli zéro ? Nous donnons ici la parole à Guillaume lui-même pour bien montrer que la réponse n’est pas si évidente que cela : « La décadence d’accompli transportée en dehors du verbe dont elle ne fait plus partie intégrante, peut, sous les mots qui la recouvrent, se présenter, selon la visée du discours, positive ou négative […]. La décadence d’accompli est positive dans : Un instant après le train déraillait (au sens de “a déraillé”) et négative dans Un instant après, le train déraillait (au sens de “aurait déraillé, mais n’a pas déraillé”). Les mots un instant après auxquels, dans les deux phrases, la décadence d’accompli se suspend signifient, en effet, dans la première, un instant qui a eu lieu, qui n’a pas fait défaut, dont l’intervention positive a déclenché l’événement ; tandis que dans la seconde, les mêmes mots, entendus différemment, signifient un instant qui n’a pas eu lieu, qui a fait défaut, et dont le défaut a eu cette conséquence que l’événement ne s’est pas produit, a été de justesse évité » (Guillaume, 1937 / 1969 : 215-216).
27On peut comprendre que de telles réponses peuvent donner lieu à des débats guillaumiens intra muros sur le fait de savoir s’il ne faut malgré tout pas distinguer les deux lectures en termes d’accompli décadent et d’inaccompli ascendant et accorder à l’imparfait de rupture malgré tout un petit morceau d’accompli. Nous n’entrerons pas dans ces discussions techniques [7], certes fort intéressantes, mais qui ne sont pas indispensables à la poursuite de notre propos. Le point essentiel est qu’en vidant la portion accompli du procès et en plaçant l’instant de saisie juste avant son accomplissement, Guillaume rend directement compte de la contrefactualité ou virtualité de l’emploi contrefactuel – le procès est entièrement perspectif, aucune partie n’en étant actualisée – et de l’effet d’imminence contrecarrée qu’on reconnaît à cet emploi, l’instant de saisie se situant dans l’antériorité du procès entièrement perspectif, c’est-à-dire virtuel. Du coup, se trouvent expliquées l’alternance possible avec le conditionnel passé et la différence avec cet emploi, puisque ce dernier ne véhicule pas comme l’imparfait contrefactuel l’idée que le procès est évité de justesse. Si on y ajoute le fait que l’imparfait de rupture obéit à un schéma de saisie identique (ou quasi identique), la variation contrefactuel / factuel dépendant, comme nous l’avons vu ci-dessus, de un instant après (qui « a lieu » ou qui « n’a pas lieu »), on dispose d’une analyse qui répond de manière assez complète et élégante aux trois problèmes posés par l’imparfait contrefactuel : son origine, la différence avec le conditionnel passé et la question de la double lecture de Un instant d’après, le train déraillait.
28Malgré tout, les objections ne manquent pas. La première a trait au statut de cet emploi à l’intérieur de la théorie guillaumienne elle-même. D’un côté, il ne peut s’agir que d’un effet de discours, puisque la valeur de l’imparfait en langue est invariante. D’un autre côté, il faut bien reconnaître qu’en faisant coulisser l’instant de saisie jusqu’à supprimer la parcelle d’accompli décadent pour avoir un imparfait totalement perspectif (ou virtuel) on déforme, on modifie cet imparfait, de telle sorte qu’il ne peut plus s’agir de l’imparfait comportant une portion d’accompli et une portion de temps ascendant en accomplissement. Qu’il y ait une porte de sortie théorique pour échapper à cette objection, nous en convenons fort bien, mais l’objection ne peut pas être non plus balayée d’un revers de main, fût-il théoriquement bien asséné. La preuve en est que des linguistes adoptant la vision imperfective sur l’imparfait de Guillaume refusent de le suivre précisément lorsqu’il déforme l’imparfait pour expliquer des emplois tels que celui de l’imparfait contrefactuel. Il en est ainsi, entre autres, de Bres (1998) pour l’imparfait narratif, dont le titre L’imparfait narratif est un imparfait comme tous les autres est significatif et, comme nous le verrons infra, de Wilmet (1987 et 1997).
29Admettons qu’il y ait variation de l’instant de saisie et que celui-ci ait effectivement lieu dans l’avant immédiat du procès. Il faudrait à ce moment-là un responsable de ce glissement et ce responsable ne peut être que le contexte. Or, quel élément contextuel dans l’exemple Un instant après, le train déraillait peut être considéré comme directement la cause d’une telle variation ? Autrement dit, qu’est-ce qui peut faire que la partie d’accompli décadent se trouve réduite à zéro (ou quasiment à zéro pour l’imparfait de rupture) ? Est-ce un instant après, comme peut le laisser croire une partie du commentaire de Guillaume donné ci-dessus : « Les mots un instant après auxquels, dans les deux phrases, la décadence d’accompli se suspend… » ? Si oui, on peut se demander comment un instant après qui accepte de localiser un événement donné au passé simple ou au passé composé (Un instant après, le train a déraillé / dérailla), est capable de réaliser une telle déformation. Et si c’est un autre élément contextuel ou situationnel, à savoir, par exemple, que l’on sait que le train s’est arrêté parce que le conducteur a réussi à freiner à temps, il en résulte deux conséquences, toutes deux fâcheuses pour l’analyse : la première est que l’on ne peut plus analyser ensemble la version factuelle (le train déraillait = le train a déraillé), puisque dans ce cas la situation est évidemment juste le contraire, et la seconde est qu’il n’est plus besoin d’imputer à l’imparfait la fictivité ou la virtualité du procès, puisqu’elle se trouve placée dans le champ du fictif précisément par cet élément situationnel. Autrement dit, il n’est plus guère besoin de recourir à la déformation de l’imparfait, on peut lui conserver sa valeur aspectuelle standard.
30Une troisième objection interne au système explicatif proposé provient de l’absence de point d’incidence. Un événement à l’imparfait est en principe relatif à une information temporelle, ce que traduit la notion de point d’incidence (cf. Quand il m’a téléphoné, je lisais). On constate que pour l’imparfait perspectif (factuel et contrefactuel), la question est généralement passée sous silence (Joly & Lerouge, 1980 ; Vassant, 1995) : il n’est pas spécifié quel est ce point d’incidence. Nous avons souligné cette lacune à propos de l’imparfait de rupture (Berthonneau & Kleiber, 1999 : 133-134) et rappelé que c’est en partie à cause de cela que Bres (1998) a renoncé à l’explication guillaumienne pour l’imparfait narratif.
31L’option fondamentalement temporelle de l’analyse guillaumienne suscite d’autres critiques dont certaines ont été déjà été relevées ci-dessus. On notera tout d’abord, en critique mineure, que le rôle assigné à un instant après dans la version contrefactuelle de l’exemple Un instant après, le train déraillait est inapproprié, ou, du moins, mal formulé : il s’agit d’un « instant qui n’a pas eu lieu, qui a fait défaut ». Mais que peut être vraiment un instant qui n’a pas eu lieu ? Il y a toujours un instant après ; ce qui peut ne pas avoir lieu un instant après, c’est tel ou tel événement, telle ou telle situation, mais non le temps lui-même.
32On mentionnera ensuite que cette option s’expose à toutes les critiques qu’entraîne une approche en termes d’immédiateté temporelle, à savoir :
- elle ne peut rendre compte des cas d’antériorité tels que Une minute plus tôt, tu la voyais ;
- elle laisse de côté les emplois contrefactuels non temporels du type Deux kilos de moins, je rentrais dans ma robe et Sans vous, je m’ennuyais ;
- elle impute l’effet d’imminence ou d’immédiateté ou de justesse à l’imparfait, alors qu’il est plutôt le fait du court intervalle dénoté par l’adverbe temporel un instant après.
3.3.2.2 – Un emploi à dominante aspectuelle
33Le deuxième type de solution aspectuelle, défendue par Wilmet (1987, 1996 et 1997) dans le cadre d’une conception temporelle-aspectuelle de l’imparfait, peut être qualifié d’une certaine manière d’orthodoxe, puisqu’il ne postule nulle manipulation de la valeur imperfective de l’imparfait pour rendre compte de l’emploi contrefactuel, mais s’arc-boute sur l’aspect sécant classique reconnu à l’imparfait en général.
34La première étape de sa description opère une séparation des emplois de l’imparfait en deux types, selon la dominante temporelle ou aspectuelle qui s’y manifeste. Les emplois suivants (Wilmet, 1997 : 390) :
b. Il faisait bon, mon chien, auprès du feu ? [hypocoristique, mignard, convenu]
c. Toi, tu étais le gendarme et moi le voleur [ludique ou préludique]
d. Qu’est-ce qu’il lui fallait ce matin à la petite dame ? [commercial ou forain]
e. Sans la présence d’esprit du mécanicien, le train déraillait [anticipatif ou de réalisation dramatique antidatée]
f. Si j’étais riche, je m’achèterais une Rolls
g. Un peu plus, Un brin de chance / je jouais cœur et j’étais maintenant milliardaire [potentiel ou irréel pour les deux derniers]
35Pour ce qui est plus précisément de l’emploi contrefactuel, le plus ancien du groupe, comme le signale Wilmet (1997 : 392), puisqu’en usage dès le quatorzième siècle, le commentaire suivant complète la description : « Par une sorte de projection visionnaire, un procès avorté est imaginé dans son déroulement effectif, devançant l’événement qui a manqué se produire, avec le souci épisodique, dans p. ex. Si le mécanicien était manchot, le train déraillait, de combler l’espace temporel entre apodose et protase » (Wilmet, 1997 : 392).
36L’explication, on le voit, est beaucoup plus économique que celle de l’approche guillaumienne, évite le traitement commun, problématique, du factuel et du contrefactuel et a l’énorme avantage, en faisant porter au contexte la responsabilité du fictif, d’arriver à expliquer la valeur contrefactuelle sans modification de la valeur aspectuelle sécante reconnue à l’imparfait. L’effet principal ou l’expressivité de cet emploi est celui qu’on attribue généralement à l’aspect imperfectif : le procès est vu dans son déroulement effectif et comme il s’agit ici d’un procès contrecarré, il s’ensuit un effet de dramatisation.
37Nous ne reviendrons pas sur cet effet de dramatisation, ayant déjà signalé ci-dessus que l’impression de déroulement fictif, de présentation dramatique n’est pas aussi évidente que cela, surtout s’il s’agit d’énoncés tels que Sans vous je m’ennuyais ou encore Deux kilos de moins et je rentrais dans ma robe, pour lesquels il est difficile de maintenir l’image du procès en cours. Nous voudrions surtout montrer que le dispositif élaboré pour expliquer l’emploi contrefactuel reste insuffisant sur un point capital, les conditions qui autorisent le sacrifice de la partie « futur » du futur dans le passé. Un contexte fictif et le désir de présenter un événement fictif dans son déroulement ne suffisent pas en effet à imposer l’emploi de l’imparfait. On peut le montrer en notant qu’un conditionnel passé ne peut pas toujours être remplacé par un imparfait contrefactuel, alors même que tous les facteurs favorables à une telle variation « expressive » sont présents. C’est ainsi que les séquences suivantes, où les conditionnels passés sont accompagnés d’adverbes temporels tels que quelques minutes après, quelque temps après, un moment après, au bout d’un moment :
b. Le vaisseau de la marine a réussi à secourir le pétrolier. Un moment après, il se serait brisé en deux
c. Le vaisseau de la marine a réussi à secourir le pétrolier. Au bout d’un moment / au bout d’un certain temps, il se serait brisé en deux
b. ?Le vaisseau de la marine a réussi à secourir le pétrolier. Un moment après, il se brisait en deux
c. ?Le vaisseau de la marine a réussi à secourir le pétrolier. Au bout d’un moment / au bout d’un certain temps, il se brisait en deux
3.3.2.3 – Deux autres solutions aspectuelles
38Nous terminerons la revue des solutions aspectuelles en mentionnant deux autres réponses aspectuelles apportées au problème de l’imparfait contrefactuel. Tout d’abord, celle de Gosselin (1996), qui explique, grâce à la notion de conflit, cet emploi dans les mêmes termes que l’imparfait de rupture. Il dérive l’imparfait de rupture d’un transfert de l’aspect inaccompli du procès (généralement ponctuel) sur la série de changements tout entière qui se trouve exprimée, partiellement du moins, par des énoncés au passé simple, « de sorte qu’en terminant une séquence par […] le lendemain, il partait pour les Etats-Unis, l’auteur – car on ne trouve ce phénomène que dans la littérature – laisse entendre que les aventures du héros ne s’arrêtent pas là, qu’elles vont se poursuivre, mais hors de la fenêtre ouverte par la narration » (Gosselin, 1996 : 200). Le passage à l’imparfait contrefactuel ne pose alors guère de difficultés : comme c’est la séquence de changements qui est inaccomplie et que l’événement à l’imparfait est donné comme devant se poursuivre « hors de la fenêtre de la narration », l’événement peut avoir lieu (imparfait de rupture) ou ne pas avoir lieu (imparfait contrefactuel). C’est ainsi, que commentant en note l’exemple de Guillaume Un instant après, le train déraillait, il souligne que cet exemple « indique qu’au moment correspondant à l’intervalle de référence, la série de changements en cours se présente comme devant aboutir au déraillement du train (que le déraillement ait effectivement lieu ou non) » (1996 : 200). L’explication n’est guère satisfaisante pour l’imparfait de rupture, dont le fonctionnement ne se laisse guère décrire en termes de série d’événements inaccomplie se poursuivant en dehors de la fenêtre narrative (Berthonneau & Kleiber, 1999). Conséquemment, elle ne l’est pas plus pour l’imparfait contrefactuel. Elle est dans ce cas d’autant plus inappropriée que la majeure partie des imparfaits contrefactuels n’a pas d’imparfait de rupture correspondant (cf. Un peu plus et je heurtais le pylône, Sans vous, je m’ennuyais, etc.) et que l’identité de traitement de l’imparfait de rupture et de l’imparfait contrefactuel, initiée par l’exemple du train qui déraillait et l’analyse qu’en a donnée Guillaume est, comme déjà entrevu, plus que problématique.
39La solution aspectuelle de Vetters (1998 : 18-19) a la particularité de combiner le facteur aspectuel au facteur de la télicité [9]. S’appuyant sur le paradoxe imperfectif de Dowty (1979) :
40atélique : Jean marchait implique Jean a marché
41télique : Jean dessinait un cercle n’implique pas Jean a dessiné un cercle
42Vetters en conclut que Le train déraillait n’implique pas le train a déraillé et donc que, si l’imparfait peut être contrefactuel, c’est parce qu’appliqué à un procès télique il n’implique pas la réalisation du procès.
43Il signale toutefois immédiatement que des emplois comme :
b. Une seconde après, il marchait. [= « aurait marché », dans le contexte où, pour ne pas aggraver son état, une infirmière doit empêcher un malade de marcher] [10]
44Même incomplète – rien n’est dit sur les autres ingrédients de l’emploi – l’explication est intéressante, parce qu’elle propose une nouvelle contrainte sur l’emploi des imparfaits contrefactuels, celle de télicité. Est-elle justifiée ? Nous ne le pensons pas. La parade de la télicité de dormir et marcher dans les énoncés Une seconde après, il dormait et Une seconde après, il marchait ne nous paraît pas totalement pertinente, dans la mesure où, si c’était réellement cette interprétation télique qu’avaient dormir et marcher ici, le conditionnel passé correspondant devrait être non aurait dormi et aurait marché, mais se serait endormi et se serait mis à marcher. Si l’on veut une preuve supplémentaire, on peut la trouver dans [30]-[31] :
b. Un peu plus, il faisait beau
c. Un nuage de moins, on voyait l’éclipse
45Nous en avons terminé avec la revue des descriptions antérieures de l’imparfait contrefactuel. Pour longue qu’elle ait été, elle n’a pas été inutile, puisque la critique positive et négative à laquelle nous avons soumis les propositions faites a permis de mettre en relief leurs points forts, leurs points faibles et les lacunes présentées. Au niveau explicatif, il ressort qu’il est préférable de ne pas faire porter à l’imparfait directement la responsabilité de la valeur contrefactuelle. Ce qui reste par contre encore imprécis, vague et mal ou incorrectement expliqué, c’est le rôle du complément frontal et de la situation, la différenciation avec le conditionnel passé et l’effet produit par cet imparfait. La mise sur le même plan d’adverbes temporels comme une minute de plus et une minute plus tard, la tentation de traiter de la même manière imparfait de rupture et imparfait contrefactuel, tout comme la restriction de cet emploi au domaine temporel et à la postériorité (cf. l’effet d’imminence ou d’immédiateté), sont à cet égard révélatrices et invitent à reprendre la description de cet emploi de façon approfondie pour mettre en relief les facteurs qui le constituent, leur utilité et leur fonctionnement.
4 – Les caractéristiques de l’imparfait contrefactuel
4.1 – Premières caractéristiques
46Nous ne revenons plus sur le dénominateur sémantique commun qui sert de point de ralliement : il faut que l’imparfait s’interprète avec une valeur proche de celle d’un conditionnel passé. Nous allons par contre voir en détail quels éléments sont nécessaires pour qu’une telle interprétation puisse se rencontrer.
47Un premier constat établit la nécessité d’un complément ou constituant adverbial [11] dans la phrase qui héberge l’imparfait :
b. Je suis en retard – Oh non, tu arrives au bon moment. Un peu plus tôt, c’était pas prêt
c. Mais tu es fou de m’avoir bousculé ainsi ! Un peu plus, je tombais
d. Elle a mis la main sur le loquet. Un pas de plus, elle était dans la rue
e. Sans vous, je m’ennuyais
f. Le vendeur était séduit. Tu lui demandais deux pantalons pour le prix d’un, tu les avais
g. Heureusement que le conducteur a réussi à stopper le train. Une minute plus tard, le train déraillait
b. *– Je suis en retard – Oh non, tu arrives au bon moment. C’était pas prêt
c. *Mais tu es fou de m’avoir bousculé ainsi ! Je tombais
d. *Elle a mis la main sur le loquet. Elle était dans la rue
e. *Je m’ennuyais
f. *Le vendeur était séduit. Tu avais les deux pantalons
g. *Heureusement que le conducteur a réussi à stopper le train. Le train déraillait
48constituant adverbial + p (avec le procès à l’imparfait).
49Cette contrainte doit impérativement être expliquée : pourquoi est-il nécessaire, dans ce type d’exemples, d’avoir un tel constituant pour qu’une interprétation contrefactuelle puisse s’installer ?
50Cette première conclusion nous amène tout naturellement à voir quel(s) type(s) de constituant se combine(nt) avec la proposition comportant le procès à l’imparfait. Beaucoup de commentateurs, nous l’avons vu, postulent qu’il s’agit d’un circonstant temporel, étant donné qu’ils s’appuient principalement sur les exemples comportant une minute plus tard, un instant après, une minute de plus, etc. Mais, en réalité, les temporels ne forment qu’une partie des constituants possibles, puisque, comme le prouvent les exemples cités juste ci-dessus et dans notre introduction, on trouve des compléments du type un pas de plus, deux kilos de moins, sans vous, moins cher, un simple coup de téléphone, tu lui demandais deux pantalons, etc., qui ne sont pas temporels. On peut, certes, à propos de un pas de plus ou encore une caisse de plus dans :
51Nous disposons déjà à ce stade de deux résultats intéressants :
52Restons dans le domaine temporel et allons un pas plus loin dans la reconnaissance des circonstants temporels qui peuvent fonctionner en emploi contrefactuel. Nous avons montré pour les imparfaits de rupture que la postériorité seule ne suffisait pas, puisque des adverbes temporels comme puis, ensuite, après, plus tard étaient exclus (Berthonneau & Kleiber, 1999 : 146) :
b. Une seconde après, il marchait [= aurait marché (dans le contexte où, pour ne pas aggraver son état, une infirmière doit empêcher un malade de marcher)]
53L’opposition [42] – [43] est significative et consomme donc encore un peu plus la… rupture entre les deux types d’emplois et invite à examiner séparément le cas des circonstants du type une minute de plus, etc., qui ne peuvent servir en site d’imparfait de rupture, et celui des circonstants du type une minute après, un instant après, une minute plus tard, qui peuvent se combiner avec un imparfait de rupture.
4.2 – Le modèle de Une minute de plus
54Nous nous occuperons d’abord des premiers, qui vont nous permettre de mettre en relief un premier modèle d’imparfait contrefactuel, qui englobera également, nous le verrons de suite, les situations non temporelles du type un peu plus / encore un peu / un pas de plus / une caisse de plus / moins cher, p (Imp).
55Notre investigation commencera avec la réponse à la question que pose l’incompatibilité de une minute de plus avec l’imparfait de rupture. La raison en est qu’il ne localise pas temporellement le procès à l’imparfait. Si nous avons une minute de plus, le train déraillait, l’adverbial frontal une minute de plus ne situe pas temporellement l’événement de dérailler – le train ne déraille pas à t, avec t = « une minute de plus » – contrairement à le lendemain, par exemple, qui, dans le lendemain, le train déraillait localise bien l’action de dérailler à t, avec t = « le lendemain ». Nous avons là la réponse à l’exclusion de ce type d’adverbes temporels de l’emploi de rupture, puisque celui-ci nécessite, comme nous l’avons montré (Berthonneau & Kleiber, 1999 : 147-148), une localisation postérieure précise de l’événement, qui crée les conditions d’un saut dans le temps. La locution adverbiale une minute de plus / de moins est un indicateur de durée, d’une quantité de temps donc, indiquée par le déterminant (un, deux, etc.) et le N (soit instant, minute, seconde, etc.). Son rôle est de marquer qu’une situation dure tant et tant de temps de plus (ou de moins), comme on le voit dans :
56Comme elle n’est pas exprimée explicitement, cette situation doit être accessible d’une manière ou d’une autre, c’est-à-dire qu’elle doit être rendue saillante ou être déjà activée soit par le contexte linguistique, soit par le contexte extra-linguistique. Dans [45] :
57Si l’on fait intervenir à présent la comparaison implicite impliquée par les constituants plus ou moins de la locution, on fait surgir crucialement le paramètre temporel. Une minute de plus ou de moins, c’est en réalité une minute de plus ou de moins que la durée atteinte par l’événement ou la situation au moment de l’énonciation de une minute de plus. Or, dans le cas de l’emploi contrefactuel, cette situation est déjà terminée au moment de l’énonciation de une minute de plus, ce qui fait qu’on ne peut plus envisager qu’elle soit prolongée (ou raccourcie) d’une minute réellement. On sait dans l’exemple de Lucky Luke que l’arrivée de la cavalerie l’a libéré de l’attaque des Indiens et dans celui des boxeurs que le round est fini. Dans l’un et l’autre cas, la contrefactualité provient du constituant une minute de plus et une seconde de plus : la comparaison implicite qu’induisent une minute de plus et une seconde de plus conduit à poser « une minute de plus que n’a duré le siège des Indiens à t » et « une seconde de plus que n’a duré le round à t » et comme l’on sait qu’à t le siège est terminé et que le round est fini, cette prolongation ne peut être qu’une prolongation contrefactuelle : dans les deux cas, l’événement pertinent auquel s’attache une minute de plus ou une seconde de plus ne peut continuer, puisqu’il est achevé. Mais du coup, l’événement placé dans le champ du circonstant contrefactuel ou fictif, c’est-à-dire l’événement qui survient au bout de cette prolongation fictive ne pourra lui-même être que fictif ou contrefactuel : Lucky Luke n’a pas été fait prisonnier et le boxeur n’a pas été mis KO.
58Si la situation est encore en vigueur, c’est-à-dire si elle peut continuer (pour le raccourcissement, c’est évidemment râpé), alors l’imparfait n’est pas de mise, ce qui prouve la nécessité d’une situation passée pour l’emploi de l’imparfait. Reprenons l’exemple du boxeur « sonné » par son adversaire et qui échappe au KO grâce au gong salvateur, et imaginons que le round n’est pas terminé, on n’aura plus l’imparfait, mais le présent, qui s’emploie avec une valeur de potentiel :
59Quatre faits marquants peuvent être invoqués pour justifier notre analyse. Le premier est la possibilité de paraphraser le constituant temporel de durée par une hypothétique en si comportant un prédicat de durée :
b. Si cela avait duré une minute de plus, Lucky Luke aurait été prisonnier des Indiens
b. Si cela avait duré une seconde de plus, il aurait été KO
60La deuxième donnée réside dans la possibilité d’avoir un et de coordination entre le constituant temporel et le procès à l’imparfait :
b. *Si la situation (le round / le combat) / cela avait duré une seconde de plus et il aurait été KO
61Plusieurs conséquences se dégagent de notre analyse :
- L’imparfait n’est pas « fictif » ou contrefactuel par lui-même.
- La locution adverbiale temporelle ne l’est pas non plus par elle-même : elle ne le devient que parce que son sens oblige à trouver une situation saillante qui est déjà achevée. Toute prolongation ou tout raccourcissement de cette situation ne peut donc être qu’imaginaire.
- Il s’ensuit que la contrefactualité concerne l’ensemble de la construction bipartite une minute de plus, p (procès à l’imparfait) : ce n’est pas le train déraillait qui est contrefactuel, mais la combinaison une minute de plus, le train déraillait. Ceci n’apparaît guère dans les analyses de l’exemple du train qui déraille, tout simplement parce que le train n’a pas déraillé. Mais si nous prenons un exemple de type « antériorité » comme :
- dans la situation où le boxeur vient d’être mis KO juste avant la fin du round, on s’aperçoit que la contrefactualité concerne l’ensemble de la situation imaginée – le round n’a pas duré une seconde de moins et le boxeur a été mis KO – et pas seulement il n’était pas KO, tout simplement parce qu’au moment localisé indirectement (voir infra) par une seconde de moins, c’est-à-dire une seconde avant la fin du round, il n’était effectivement pas KO ! Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point avec l’exemple Une minute plus tôt / Un peu plus tôt, c’était pas prêt. En tout cas, voici bien la preuve, s’il en fallait encore une, que l’imparfait n’est pas en lui-même ou n’a pas été transformé en un temps contrefactuel.
- Le rôle des constituants du type une minute de plus étant d’indiquer un allongement ou une réduction d’une situation passée, ceux-ci ne fournissent qu’indirectement une localisation de l’événement rapporté à l’imparfait. Ils ne localisent pas par eux-mêmes l’événement, mais ils indiquent que la situation perdure ou est abrégée de tant et tant de temps. On peut en déduire que l’événement qui interviendrait à ce moment-là se produirait tant et tant de temps avant ou tant et tant de temps après. Une minute de plus conduit ainsi indirectement à une borne qui correspond à une minute après, de même que une minute de moins, c’est indirectement toujours une minute avant ou une minute plus tôt. On tient là, nous semble-t-il, une des raisons qui ont amené la plupart des commentateurs à placer sur le même plan les exemples d’imparfaits contrefactuels avec une minute de plus et ceux avec une minute plus tard.
62Se révèle décisif aussi le caractère homogène de la dimension sur laquelle opère l’allongement ou la réduction. Le fait de se produire sur la dimension temporelle et d’engager des unités homogènes comme les instants, les secondes, les minutes, etc., fait que le changement de durée de la situation posé par le circonstant frontal est la seule modification imaginée pour que se réalise le procès rapporté à l’imparfait. Nous voulons dire par là que la seule modification contrefactuelle postulée est une modification de durée. Or, la durée est par nature homogène. Il s’agit donc d’une quantité en plus ou en moins du même procès. La situation saillante ne subit guère d’autres changements. Seule sa dimension temporelle est contrefactuellement modifiée du point de vue quantitatif (durée). Ceci sépare radicalement ce type d’imparfait contrefactuel de l’imparfait de rupture où, comme nous l’avions noté ailleurs (Berthonneau & Kleiber, 1999 : 147-148), le saut dans le temps que fait faire le complément de temps permet de passer sous silence tous les faits qui interviennent, par exemple dans [57] ci-dessous, entre l’événement déclencheur, le moment où la belle Irma sourit au capitaine, et le moment où il devient son amant :
Le soir même, il était son amant (Maupassant, Le lit 29, Pléiade I : 177)
63S’il s’agit d’allongement de la situation initiale, l’effet particulier, comme déjà noté, est celui d’imminence (qui ne peut évidemment s’appliquer au cas de raccourcissement). Mais dans les deux cas on peut par contre parler d’effet de conséquence logique. Comme la nature de la situation elle-même ne change pas, mais seulement sa durée, ce qui serait arrivé si elle avait continué ou si elle avait été raccourcie, apparaît certes comme la suite logique de cette modification temporelle, mais aussi comme la conséquence programmée, inscrite dans la nature même de cette situation. Avec, si l’on veut, un effet de certitude ou de conséquence infaillible (ou attendue si allongement) souvent mentionné.
64Il faut encore noter un autre effet de ce tour. Comme nous savons que la situation à laquelle s’applique le circonstant temporel frontal est finie, l’événement contrefactuel à l’imparfait apparaît comme étant une autre fin [17] ou autre issue possible de la situation, comme une alternative contrefactuelle de cette situation, alternative tout aussi plausible, sinon plus, que l’issue réelle si on considère l’effet de conséquence attendue en cas de « prolongation » fictive. Avec un avantage discursif (ou narratif) appréciable : elle permet d’inférer la vraie fin de « l’histoire » sans l’exprimer. La véritable fin, celle qui correspond à la négation de l’événement rapporté à l’événement n’est en effet jamais exprimée. On n’a pas de séquences où p et non p sont exprimés en même temps, car l’effet narratif de l’imparfait contrefactuel serait dégonflé par avance :
b. *Heureusement que le conducteur a freiné et a empêché le train de dérailler. Une minute de plus, il déraillait
65Il s’ensuit un dernier effet, qui n’est pas des moindres : le fait d’exprimer la fin contrefactuelle d’une situation réelle permet en même temps d’exprimer une qualité ou une propriété, bien réelle, de la situation elle-même, par exemple, sa gravité par exemple, pour celles qui donnent lieu à un événement contrefactuel malheureux (cf. le heureusement que souvent présent dans le contexte antérieur), etc. Et tout ceci à cause de l’effet général mis en relief ci-dessus « il s’en est fallu de peu que »/ « il manquait pas grand chose », « c’était juste »…
4.3 – Extension aux constituants non temporels
66Nous l’avions déjà signalé : il est faux de penser que l’imparfait contrefactuel se cantonne au temporel. L’analyse que nous avons faite de la locution temporelle une minute de plus / de moins s’applique également aux circonstants non temporels du type un peu plus, un pas de plus, une caisse de plus, moins cher, un mot de plus, un mètre de plus, etc. ; la seule différence est qu’au lieu d’avoir une modification de quantité temporelle, c’est une modification (accroissement ou diminution) d’une autre quantité qui se produit :
- quantité de mots parlés dans :
- quantité de kilos de la personne dans :
- quantité de pas effectués dans :
- quantité de verres bus dans :
- quantité de caisses chargées dans le camion :
- montant du prix pour payer la clôture dans :
- à une variation spatiale dans la situation où, en vélo, j’évite de justesse un pylône en donnant au dernier moment un coup de guidon :
- un peu plus portant sur la direction suivie avant le coup de guidon (cf. « si j’avais continué tout droit ou comme ça … »),
- ou à une variation d’intensité de l’événement pertinent comme nous l’avons suggéré à propos de :
67Que la locution adverbiale ne porte pas sur l’événement rapporté à l’imparfait, mais sur une situation déjà saillante ou accessible dans la mémoire discursive ne peut être ici mis en doute : on ne voit d’ailleurs pas comment un mot de plus s’appliquerait à il prenait une gifle ou deux kilos de moins à je rentrais dans ma robe. La preuve en est que, contrairement aux constituants temporels comme une minute de plus, on n’a pas, exception faite de un peu plus [20], face à [67], des énoncés comme ceux de [68] :
b. *Tout sauta un pas de plus
68Les quatre arguments mis en avant pour l’analyse des adverbes temporels peuvent être réutilisés ici :
- la paraphrase par une hypothétique en si [21] :
b. Si j’avais eu deux kilos de moins, je serais rentrée dans ma robe
c. S’il avait bu encore un verre, il serait tombé raide
d. Si on avait chargé une caisse de plus, on n’aurait pas fermé la porte
e. S’ils avaient pris (acheté) moins cher, ça aurait été du fil de fer
- la possibilité d’avoir et entre les deux constituants de la structure :
b. Deux kilos de moins et je rentrais dans ma robe
c. Un pas de plus et tout sautait
d. Une caisse de plus et on ne fermait pas la porte
e. Moins cher et c’était du fil de fer
f. Un peu plus et je rentrais dans le pylône
- l’incompatibilité du passé simple ou du passé composé avec ces adverbes, même en lecture factuelle :
b. *Un pas de plus, tout sauta / a sauté
c. *Une caisse de plus, on ne ferma / n’a pas fermé la porte
d. *Moins cher, ça a été du fil de fer
e. *Un peu plus, je rentrai / suis rentré dans le pylône
- le blocage de la postposition par la lecture contrefactuelle, mais ceci n’est pas étonnant puisque nous avons déjà vu que celle-ci n’était même pas possible en lecture factuelle :
b. *Tout sautait, un pas de plus
c. *On ne fermait pas la porte, une caisse de plus
d. *C’était du fil de fer, moins cher [22]
e. *Je rentrais dans le pylône, un peu plus
- ni l’imparfait ni la locution d’accroissement / réduction ne sont fictifs ou contrefactuelles par eux-mêmes ;
- la contrefactualité concerne l’ensemble de la construction bipartite locution adverbiale (de quantité), p (procès à l’imparfait) ;
- l’augmentation ou réduction de quantité est faible, comparée à celle de la situation à laquelle s’applique la modification quantitative contrefactuelle : il s’agit d’un mot de plus, d’un pas de plus ou tout simplement d’un peu plus [23]. Un peu plus, en l’occurrence, s’avère révélateur, puisqu’on ne peut employer à sa place la locution beaucoup plus :
- la modification quantitative opérée s’exerce sur une dimension homogène, dans la mesure où comme, dans le cas du temps et de la modification de durée, les unités engagées, même si elles sont comptables, sont des unités homogènes, saisies comme identiques sur la dimension pertinente : parallèlement aux instants, secondes, minutes, etc., de la dimension temporelle, nous avons ici des pas, des caisses, des mots, des kilos, ou alors le vague mais homogène un peu plus. Ces unités sont destinées à mesurer la quantité de l’événement et permettent une variation homogène dans un sens ou dans l’autre de cette quantité : les caisses permettent de mesurer le chargement du camion, les kilos mesurent le poids, les mots la parole, les pas la distance, et un peu plus est une variable permettant d’indiquer, sans la préciser, une faible variation d’une dimension massive de l’événement (soit peut-être l’événement lui-même massifié, cf. notre un peu plus de bousculade) ;
- il s’ensuit que la situation affectée par une telle variation de quantité ne se trouve guère modifiée qualitativement : l’événement de charger des caisses dans un camion ne se voit pas remis en cause si la quantité de caisses chargées varie. Que l’on ait chargé une caisse de plus ou de moins importe peu : il s’agit toujours de charger des caisses dans un camion. On voit ainsi l’importance de la dimension homogène ou massive. On retrouve la caractéristique des entités massives : un peu plus d’eau ou un peu moins d’eau, c’est encore de l’eau. C’est ce qui se passe avec ce type d’emplois contrefactuels : qu’il y ait fictivement un peu plus ou un peu moins (de caisses, de minutes, de pas, etc.), la situation reste qualitativement inchangée, seules changent, par la variation de quantité postulée, ses bornes occurrentielles ;
- si l’on ajoute que la variation quantitative est très faible, pour ne pas dire minime (voir supra), on comprend que cette situation alternative contrefactuelle, installée fictivement de façon indirecte par le complément adverbial, reste globalement la même que celle de la situation factuelle (c’est-à-dire celle qui a réellement eu lieu). On obtient ainsi l’effet principal produit par ce tour : il permet d’exprimer que le procès contrefactuel à l’imparfait a manqué de peu d’avoir lieu (cf. « Il s’en est fallu de peu », « il ne manquait pas grand-chose », « il était moins une », « c’était juste », etc.), puisque ce n’est qu’une question de faible quantité et non une modification qualitative (ou de la situation elle-même) qui est responsable de la non réalisation ou contrefactualité de ce procès ;
- l’événement rapporté à l’imparfait se présente comme étant une autre fin ou issue possible de la situation, avec l’avantage discursif, déjà signalé à propos du cas de la modification de durée, de donner indirectement la fin ou issue factuelle de la situation ;
- la faible variation de quantité fictivement posée ne menace pas la réalité de la situation elle-même, puisqu’elle n’en forme qu’une petite partie ;
- le résultat en est que ce type d’emplois contrefactuels sert en même temps à exprimer une propriété de la situation réelle. Nous l’illustrerons avec l’exemple publicitaire de Leroy-Merlin :
- qui figurait il y a plusieurs années sur une annonce publicitaire représentant une petite maison, dans des couleurs et un graphisme idylliques, avec au premier plan une clôture en bois. L’ensemble conduit à l’interprétation « s’ils (= les acquéreurs ou propriétaires de la maison) avaient acheté une clôture moins cher, ça aurait été du fil de fer ». On voit quelle est l’utilité publicitaire du message : c’est chez Leroy-Merlin que vous trouverez les clôtures en bois les moins chères. On y arrive en partant de la situation réelle des acquéreurs qui ont cherché à acheter la clôture au plus bas prix possible et qui en ont acheté une, celle de Leroy-Merlin qui est représentée sur la photo. La dimension sur laquelle se fait la variation homogène est l’échelle des prix, et si les acheteurs étaient descendus un cran ou un degré plus bas sur cette échelle, ils n’auraient plus eu une clôture en bois, mais en fil de fer. Le complément moins cher ouvre la voie de la contrefactualité avec pour conséquence que la clôture en bois se transforme en clôture en fil de fer, ce qui permet d’exprimer indirectement qu’ils n’auraient pas pu acheter à meilleur prix, et que si vous aussi vous voulez acheter une clôture en bois la moins chère possible, comme eux, vous la trouverez chez Leroy-Merlin [24].
4.4 – Une minute plus tard et Une minute après
69Avec les locutions adverbiales temporelles une minute plus tard / plus tôt, un peu plus tard / tôt et une minute après :
b. Heureusement que la porte a cédé. Une minute plus tard, il était arrêté
c. Une minute plus tôt, tu la voyais
d. Je suis en retard – Oh non, tu arrives au bon moment. Un peu plus tôt, c’était pas prêt
e. Un instant après / l’instant d’après, le train déraillait
f. Une minute après, le train déraillait
b. Paul chanta une minute après
- la paraphrase en si + prédicat durer est exclue :
b. *Si la situation avait duré une minute / un instant après, le train déraillait
- chose remarquable, il semble que le et de coordination ne soit plus de mise [26] :
b. *Heureusement que la porte a cédé. Une minute plus tard et il était arrêté
c. *Une minute plus tôt et tu la voyais
d. *– Je suis en retard – Oh non, tu arrives au bon moment. Un peu plus tôt et c’était pas prêt
e. *Un instant après / l’instant d’après et le train déraillait
f. *Une minute après et le train déraillait
- le passé simple et le passé composé peuvent cette fois-ci s’employer en lecture factuelle :
b. Une minute après, le train dérailla / a déraillé
70Cette analyse suppose que l’on explique d’où proviennent alors la contrefactualité de l’imparfait avec une minute plus tard et celle de l’imparfait avec une minute après, et surtout pourquoi une minute plus tard a un comportement différent de une minute après.
4.4.1 – Une minute plus tard…
71Soit d’abord le cas de une minute plus tard. Notre hypothèse est qu’un énoncé comme :
- la factuelle, où le constituant s’applique à l’événement rapporté par l’imparfait, et nous aurons dans ce cas un énoncé interprétativement bancal, puisque l’arrivée de la cavalerie présentée comme salvatrice n’a rien sauvé du tout :
- la contrefactuelle, où le constituant s’applique à l’arrivée de la cavalerie et donne ainsi lieu à un déplacement dans le temps fictif pour ce qui est de cette arrivée : « admettons que la cavalerie soit arrivée une minute plus tard qu’elle n’est arrivée ». Comme on sait que la cavalerie est arrivée, le fait de poser son arrivée une minute plus tard qu’elle n’est arrivée ne peut être que contrefactuel. Dans ce cas, dont il faudrait préciser les modalités d’apparition (notamment les marques de saillance de l’événement), l’interprétation redevient cohérente :
72Les arguments ne manquent pas pour appuyer notre analyse. Tout d’abord, comme noté par Le Goffic (1995), l’intonation, qui est différente selon qu’il s’agit de la lecture factuelle ou de la lecture contrefactuelle (intonation montante pour le premier constituant et descendante pour l’événement rapporté à l’imparfait). Ensuite la paraphrase possible par une hypothétique en si :
- s’il se rapporte à c’était pas prêt, la lecture est factuelle, puisqu’une minute avant l’arrivée du « mangeur » le repas n’était effectivement pas prêt [27], et que l’on peut fort bien concevoir de communiquer cette information à son « mangeur ». Même si cette lecture est moins accessible que la contrefactuelle, pour des raisons liées aux valeurs axiologiques qu’implique plus tôt / plus tard, elle est du moins plausible, comme le montre :
- où il faut un conditionnel si l’on veut entrer dans la contrefactualité :
- en revanche si le circonstant se rapporte à l’arrivée même du « mangeur », on a pour [89] l’interprétation contrefactuelle : « si tu étais arrivé une minute plus tôt (que tu n’es arrivé), le repas n’aurait pas été prêt ».
4. 4. 2 – Une minute après…
73On ne comprend par contre pas encore pourquoi une minute après ne fonctionne pas selon ce modèle et ne peut porter comme une minute plus tard sur l’événement responsable de la non réalisation du procès à l’imparfait. Qu’il en aille bien ainsi, cela ressort de l’opposition entre :
74La différence entre une minute plus tard et une minute après se manifeste dans l’impossibilité d’avoir l’article défini avec plus tard [96], mais non avec après [97] :
75Tout ceci montre que une minute plus tard et une minute après obéissent à deux modèles interprétatifs contrefactuels différents. Une minute plus tard s’applique à l’événement qui met fin à l’état de choses antérieur en le déplaçant dans le temps, alors que une minute après s’applique à l’événement rapporté à l’imparfait, mais suppose la négation fictive de l’événement qui met fin à l’état de choses antérieur. Nous avons pour :
76Il faudrait vérifier sur un grand nombre d’exemples si la saillance de la cause dans la situation est suffisante pour qu’elle soit omise et qu’on ait simplement Une minute après, le train déraillait. Nous avons vu pour [12] ou [14], repris sous [102] et [103] :
77Il faut aussi rappeler que ce complément temporel est nécessaire pour que la lecture soit contrefactuelle. On peut comprendre pourquoi, si on prend en compte le facteur anaphorique. Le complément temporel, parce qu’il nécessite un calcul de résolution anaphorique – après exigeant la prise en compte du repère de la cause – contribue à maintenir au premier plan le responsable effectif de la non réalisation du procès à l’imparfait, et donc participe de façon cruciale à la construction de l’interprétation contrefactuelle. Si le complément n’est pas présent, et donc s’il n’y a pas activation de l’élément qui empêche la survenue du procès à l’imparfait, le procès à l’imparfait échappe à la portée fictive et ne peut servir en livrée modale d’irréel. Ce qui se passe, par contre, en l’absence d’un complément temporel de postériorité, c’est une interprétation temporelle de l’imparfait par rapport à la situation antérieure, et du coup une interprétation plutôt coréférentielle, et donc factuelle, comme le montre [105], sans complément temporel frontal, par opposition à [104], qui en comporte un :
b. Heureusement que le conducteur a réussi à freiner. Le train déraillait [= était en train de dérailler]
4.5 – Quelques petites remarques sur sans… + procès à l’imparfait
78Les exemples du type procès à l’imparfait + procès à l’imparfait :
b. Tu aurais dû braquer plus fort. Alors là, je rentrais dans le camion
b. Sans la présence d’esprit du conducteur, le train déraillait
b. Si tu avais braqué plus fort, je serais rentré dans le camion
b. Si le conducteur n’avait pas eu la présence d’esprit de…, le train aurait déraillé
79Nous l’illustrerons par une analyse superficielle des tours contrefactuels en sans. Dans le cas de :
80L’effet, par contre, n’est plus identique, étant donné qu’il n’y a guère de modification temporelle ou quantitative en jeu. Donc pas nécessairement effet d’imminence ni d’effet « il s’en est fallu de peu », « c’était juste », « il était moins une », « il manquait pas grand-chose », etc. [32], comme le montre la différence de cohérence entre les deux exemples suivants :
81Du coup, on peut distinguer trois jeux possibles d’effets selon le type de complément frontal :
82Il faudrait encore noter que, contrairement aux autres cas analysés, on a cette fois-ci la possibilité de postposer, avec une intonation spéciale, le complément en sans, dans la situation où ce détachement à droite fonctionne comme un rappel d’information (voir Lambrecht, 1994) :
5 – Vers une explication
5.1 – Imparfait et conditionnel passé
83Nous l’avons souligné à plusieurs reprises, même si les emplois analysés se laissent paraphraser par une hypothétique en si + un procès au conditionnel passé, ils ne sont pas assimilables à ce type d’énoncés. Une des preuves avancées [33], rappelons-le, est l’impossibilité de les postposer sans perdre dans l’opération la contrefactualité [118], alors que semblable changement de position n’affecte guère le tour hypothétique [119] :
b. *Le train déraillait, une minute de plus
b. Le train aurait déraillé, s’il y avait eu une minute plus.
b. ?Le train aurait déraillé, une minute de plus
84Alors quelle est la différence ? Intuitivement, si on compare l’énoncé stendhalien [121] à son correspondant avec conditionnel passé [122] :
85La première, que nous avons déjà relevée ci-dessus, est la nécessité du complément frontal (ou de rappel, cf. sans…). Il est significatif que le conditionnel passé ne connaisse pas cette contrainte et puisse s’employer seul, comme le montre le contraste entre les exemples [a] et [b] dans :
b. Heureusement que tu es restée avec moi hier soir. Je me serais ennuyé
b. Heureusement que le conducteur a freiné. Le train aurait déraillé
b. Une clôture moins chère aurait été en fil de fer
b. Une minute plus tard, le train déraillait
b. ?Non, le train ne déraillait pas
b. Non, le train n’aurait pas déraillé
b. ?Une minute plus tard, le train déraillait-il ?
b. Une minute plus tard, le train aurait-il déraillé ?
b. Sans vous, qu’est-ce que je me serais ennuyé !
b. ?Sans vous, je m’ennuyais, peut-être / vraisemblablement / probablement / sans doute
b. Sans vous, je me serais peut-être / vraisemblablement / probablement / sans doute ennuyé
b. ?Sans vous, je m’ennuyais certainement / sûrement
b. Sans vous, je me serais certainement / sûrement ennuyé
b. ?Sans vous, en effet, je m’ennuyais / je m’ennuyais effectivement
b. Sans vous, en effet, je me serais ennuyé / je me serais effectivement ennuyé
b. ?Sans vous, je crois que / je pense que je m’ennuyais
b. Sans vous, je crois que / je pense que je me serais ennuyé
b. Sans vous, à coup sûr je m’ennuyais
86Une troisième contrainte, difficile à saisir, mais fort intéressante, concerne le procès exprimé à l’imparfait. On observe que si l’on ajoute à ce procès des informations sur la manière dont il se déroule, informations non prédites ou contenues dans la situation de départ, l’imparfait a du mal à se maintenir contrefactuellement, car il est tiré à nouveau vers le factuel. Le conditionnel passé, lui, ne connaît guère de difficultés, précisément parce qu’il pose lui-même la fictivité de la description. On le vérifiera en opposant les énoncés [a] et [b] :
b. Une minute de plus, le train aurait déraillé dans un fracas de ferraille et de tôles froissées
b. Un verre de plus, il aurait été ivre, les yeux vitreux et la bouche pâteuse
87Dans la même lignée, il faut relever un fait encore plus intéressant : le procès à l’imparfait doit apparaître comme étant la fin, l’issue ou le résultat fictif de la situation de départ, alors que semblable contrainte n’entrave guère l’action du conditionnel passé. Quelques exemples permettront mieux de voir de quoi il s’agit. Prenons d’abord :
b. ?Un mètre de plus et je me jetais à terre
b. Un mètre de plus et je me serais jeté à terre
88Nous le montrerons encore avec des exemples en sans … qui nous serviront en même temps de transition pour aborder la dernière contrainte. Si on accepte sans trop de problèmes l’interprétation contrefactuelle de [151] dans la situation où Paul indique à Marie que sans sa présence la soirée aurait été pour lui ennuyeuse, on renâcle un peu devant [152] :
b. ?Avec vous, je buvais une bière [= j’aurais bu une bière]
b. Avec vous, j’aurais bu une bière
b. Sans vous, je n’aurais pas aimé la bière
b. Sans vous, je n’aimais pas la bière
89C’est ce fait qui explique la différence, déjà signalée ci-dessus, entre les deux exemples suivants :
5.2 – Pour conclure : où intervient enfin l’hypothèse anaphorique méronomique
90Il n’est pas besoin de conclure longuement, puisque la caractérisation des emplois contrefactuels et la mise en avant des différences entre l’imparfait et le conditionnel passé ont fort bien préparé l’explication de l’emploi de l’imparfait dans de telles situations. Et que, comme souligné dans l’introduction, notre objectif principal n’était pas la défense et illustration rigide de notre hypothèse anaphorique méronomique, mais bien la description et caractérisation des imparfaits contrefactuels. Nous espérons, pour ce qui est de ce dernier point, avoir rempli notre objectif. Nous pouvons à présent déployer notre drapeau méronomique.
91Rappelons d’abord notre hypothèse générale sur l’imparfait. Elle comporte deux parties :
92La question de la valeur modale et temporelle se trouve par là même réglée de façon assez satisfaisante. Plus de problème temporel : l’imparfait conserve sa valeur temporelle, dans la mesure où l’antécédent dont il a besoin est bien une situation réelle dans le passé et qui est nécessairement présente, comme nous l’avons montré, pour qu’il y ait de tels imparfaits. Plus de problème modal non plus : l’imparfait n’a pas de valeur modale par lui-même, puisqu’il ne devient contrefactuel que parce qu’il se trouve placé dans le champ d’un élément contrefactuel. Nul besoin donc de postuler un changement : il reste bien le même en fonctionnant comme un anaphorique méronomique. C’est la conjonction de ses traits d’anaphorique et de méronome qui lui permet de s’employer pour un procès contrefactuel, alors qu’il n’a pas lui-même de valeur contrefactuelle [34].
93Les contraintes relevées vont dans le sens de notre analyse et mettent en relief de différentes manières et en relation, nous l’avons vu, avec le sens du complément temporel, la cohésion discursive qu’induit le paramètre anaphorique de l’imparfait et l’effet de certitude qui découle précisément de sa valeur intrinsèquement non modale, mais auquel contribuent aussi, comme l’ont montré nos analyses, d’autres facteurs, comme, par exemple, la faible variation de quantité événementielle posée fictivement par le complément frontal lorsqu’il s’agit de un N de plus.
94Nous avons aussi vu que tout n’était pas réglé et qu’il conviendrait d’étudier de plus près des tours contrefactuels que nous n’avons qu’effleurés. Mais ne chargeons pas trop la barque aujourd’hui et concluons, parce que nous ne voudrions pas que, dans quelque temps, parlant de notre entreprise, l’on dise que notre imparfait de plus est devenu un imparfait de trop !
NOTES
-
[*]
UMR 8163 STL & Université de Lille 3
-
[**]
EA 1339 LILPA – Scolia & Université de Strasbourg 2
-
[1]
Et encore ! L’interprétation d’emplois de contemporanéité standards comme Marie entra. Paul faisait la vaisselle est de moins en moins consensuelle, comme en témoignent les travaux récents sur l’imparfait.
-
[2]
Que Wilmet (1997 : 384) résume fort bien à l’aide de trois titres d’articles comme suit : « De Brun-Laloire (1929) : L’imparfait de l’indicatif est-il un temps ? à Le Goffic (1986) : Que l’imparfait n’est pas un temps du passé via Henry (1954 : L’imparfait est-il un temps ?, la valeur temporelle du tiroir a été copieusement débattue. »
-
[3]
On rappellera que le facteur « passé », tout comme les facteurs modal et aspectuel, sert aussi à expliquer les imparfaits de politesse (Berthonneau & Kleiber, 1994).
-
[4]
Il fait partie des rares qui analysent de manière détaillée l’emploi contrefactuel.
-
[5]
Voir Berthonneau & Kleiber (1999 : 128) où nous avons présenté la position de Le Goffic sur l’imparfait narratif. Nous avons aussi rappelé que l’effet de « dilatation » est loin d’être pertinent.
-
[6]
Pour l’imparfait de rupture, voir Berthonneau & Kleiber (1999 : 131-135).
-
[7]
On peut renvoyer le lecteur aux analyses de Joly & Lerouge (1980).
-
[8]
42, 43 et 46 = le préludique, le commercial et le dernier (l’irréel).
-
[9]
A noter que Vetters (1996) postule la même condition de télicité pour l’imparfait de rupture, qui s’avère toutefois trop forte (Berthonneau & Kleiber, 1999).
-
[10]
Un point intéressant à propos de ces contextes : tels quels, ils ne sont pas totalement adéquats à imposer de façon naturelle l’emploi contrefactuel. Ce qui est significatif !
-
[11]
Ceci vaut également pour les séquences d’imparfait que nous n’analyserons pas ici, tel [33f]: Le vendeur était séduit. Tu lui demandais deux pantalons pour le prix d’un, tu les avais. –> *Le vendeur était séduit. Tu les avais.
-
[12]
[a] montre aussi que la quantité de temps n’est pas forcément toute petite : elle est réglée pragmatiquement (il n’y a qu’un courrier par jour) (voir ci-dessous).
-
[13]
Sauf, s’il s’agit d’une inversion stylistique un peu forcée qui répond à le train dérailla / a déraillé une minute de plus.
-
[14]
Sauf si, bien entendu, on retrouve un autre constituant frontal instaurant la contrefactualité. Voir par exemple Alors là, il dormait deux heures de plus (dans le sens de « il aurait dormi deux heures de plus »).
-
[15]
Il faudrait traiter également dans ce cadre encore un peu.
-
[16]
La situation à laquelle s’applique l’adverbe de durée joue évidemment un rôle, dans le choix de cette quantité de temps.
-
[17]
Notons que là nous avons un point commun avec l’imparfait de rupture qui est aussi un imparfait de clôture, mais de clôture factuelle.
-
[18]
Insistons sur un point : cela ne signifie nullement que la fin véritable n’est pas connue et qu’elle ne nous est communiquée indirectement que par l’imparfait contrefactuel. Dans les exemples « situationnels », locuteur et interlocuteur connaissent toujours l’issue réelle (cf. l’exemple de Une seconde de plus, il était KO).
-
[19]
On remarquera que si un peu plus porte sur le temps, on le précise généralement (cf. un peu plus longtemps).
-
[20]
Cf. Il dormit un peu plus.
-
[21]
Plus difficile à imaginer avec un peu plus, pour les raisons indiquées supra. Ce fait prouve d’une autre manière que ces locutions d’augmentation ou de diminution ne sont pas à interpréter comme des hypothétiques réduites.
-
[22]
Possible, bien entendu, si moins cher est épithète de fil de fer.
-
[23]
Mais tout est relatif, comme le montre l’énoncé Deux kilos de moins, je rentrais dans ma robe. Qu’on le compare à 40 kilos de moins, je rentrais dans ma robe. Si ce dernier énoncé peut faire sourire, c’est parce que 40 kilos y passent précisément pour une faible variation de poids !
-
[24]
Courez-y vite. L’affiche est déjà ancienne !
-
[25]
Ils réagissent de façon identique pour ce qui est de la postposition : la lecture contrefactuelle semble en effet bloquée (cf. Le train déraillait, une minute plus tard / une minute après).
-
[26]
Ce phénomène, s’il est avéré, est à expliquer de façon plus précise.
-
[27]
Phénomène que nous avons déjà noté ci-dessus à propos de Une seconde de moins, il n’était pas KO.
-
[28]
Il en va de même pour une minute de plus : *La minute de plus / le jour de plus, j’étais parti.
-
[29]
Desclès (1994 : 84) postule ce modèle explicatif pour tout imparfait à valeur d’irréel
-
[30]
Particulièrement intéressants se révèlent les tours en procès à l’imparfait + procès à l’imparfait. Voir aussi l’anaphorique alors là ou encore le SN un simple coup de téléphone.
-
[31]
La preuve ? Une caisse de plus signifie en quelque sorte avec une caisse de plus et si l’on entend troubler tout le monde on dira que une caisse de moins correspond à… sans une caisse de plus ou avec une caisse de moins ! Voir à ce propos Deux kilos de moins, je rentrais dans ma robe qui correspond sans trop de difficultés à Avec deux kilos de moins, je rentrais dans ma robe.
-
[32]
Excepté, bien entendu, dans des cas comme : Sans l’intervention du conducteur, le train déraillait.
-
[33]
Pour d’autres, comme la possibilité d’insérer un et de coordination, voir ci-dessus.
-
[34]
La chose n’a rien de surprenant. Il en va de même pour d’autres formes temporelles (voir par exemple le côté circonstanciel caméléon du gérondif, Kleiber, à paraître b).