Mon problème avec les classements, c’est qu’ils
ne durent pas ; à peine ai-je fini de mettre de
l’ordre que cet ordre est déjà caduc
Introduction
1 Dans le cadre d’une étude comparée anglais/français traitant de la question du discours rapporté et des particularités du langage des jeunes, Fleischman et Yaguello (1998 et 1999) rapprochaient les emplois des termes like et genre. Or si le terme anglais est étiqueté adjectif, substantif, adverbe et préposition, témoignage de sa polysémie grammaticale, le terme français, malgré un usage courant mais plus oral, voire plus familier (Elle téléphone genre dix fois par jour), reste cependant classé comme un nom. L’ensemble et la diversité des emplois répertoriés obligent pourtant à s’interroger sur la classe fonctionnelle à laquelle le lexème appartient et sur les glissements (cf. Labrecque et Dostie 1996) dont il a fait l’objet.
2Peut-on, sans dommage grammatical, adjoindre le mot genre aux prépositions à l’instar des déjà étudiés côté et question (Noailly 1982) auxquels Le Querler ajoute point de vue, niveau et rayon (1999) ? Une mise en parallèle des exemples montre cependant que genre ne peut commuter avec les lexèmes précédemment cités, en particulier dans les emplois extra-prédicatifs [1] :
3Du point de vue du sens, il faut également prendre en compte les paraphrases possibles dans les emplois de genre, que Yaguello (1998) donne en partie, et où domine l’idée d’exemplarité et de comparaison pour les emplois absolus de genre, le rapprochant de l’outil grammatical ambivalent comme. Cependant, les études consacrées à genre privilégient les cas où le morphème apparaît seul. Nous avons voulu y adjoindre ceux où genre se trouve flanqué d’un déterminant et est le centre d’une enclosure (structure que Labrecque et Dostie étudient), ainsi que ceux où il est précédé d’une préposition + déterminant (dans le genre, du genre), bref, nous avons voulu saisir les diverses occurrences pour tenter de cerner les cotextes syntaxiques d’apparition du terme afin de décrire l’ensemble de son processus de grammaticalisation. Et d’organiser un continuum de sa grammaticalisation selon la progressive évolution sémantique qu’il subissait, parallèlement au fait qu’il se débarrassait de ses accompagnateurs déterminatifs et/ou prépositionnels.
La description des emplois de genre
4 Nous proposons le chemin du sens suivant, pour le mot genre, en accord avec les exemples glanés au fil des lectures et avec le dépouillement plus systématique de 200 occurrences de genre dans un quotidien belge Le Soir (1996-1998 ; corpus qui comporte en fait plus de 7000 occurrences).
1.1 – Genre est un nom
5 Premièrement, le relevé atteste de la vivacité d’emploi du mot comme nom notamment dans le registre du classement des œuvres picturales, littéraires, cinématographiques, architecturales, etc. c’est-à-dire des renvois à des genres esthétiques codifiés, ce qui permet des emplois dans des expressions lexicalisées comme les maîtres du genre [2]. On rencontre donc fréquemment le mot genre comme noyau d’un syntagme nominal, avec caractérisation : un nouveau genre, ce genre musical, le genre humain, le genre symphonique, le genre fantastico-ésotérique, etc. Dans ces emplois, l’idée de catégorie déterminée, voire lexicalisée, relevant du savoir encyclopédique, d’une taxinomie identifiée, est présente [3].
6Deuxièmement, nous signalons les expressions lexicalisées qui illustrent la souplesse grammaticale et la variété des emplois de genre (bon chic, bon genre, en tout genre, etc.).
1.2 – Genre est une préposition
7 Dans l’ensemble des cas cités par Yaguello (douze au total), genre est traité comme un adverbe, comme une particule modale ou comme un connecteur discursif. Sémantiquement, tous ces emplois se laissent ramener à l’idée de catégorisation approximative et ambiguë (Rosier 2000).
8Cependant, Yaguello ne traite pas du cas, sans doute le plus classique aujourd’hui, dont la fréquence d’emploi et le ton familier se rapprochent de ceux qu’elle épingle :
La construction récurrente peut s’écrire comme suit :
1.3 – Genre est le centre d’une enclosure
9 Des occurrences plus nombreuses font état d’une structure en enclosure (existant depuis le XVe siècle), de préférence, dans nos relevés, avec le déterminant déictique (ce genre de X), pour laquelle nous ferons plusieurs remarques :
- on note l’alternance du singulier et du pluriel pour le nom suivant la préposition de :
Ce genre de + N sing (nous ne donnons pas les exemples in extenso mais seulement les noms qui suivent) : personnage, dossier, sentiment, amalgame, engin, connaissance, endroit, mise en scène, situation, méthode, document, problème, rapprochement, récompense, labo, rencontre, emploi, exercice, encadrement, rencontre, travail, arbitraire
et
Ce genre de + N pluriel : attentions, détails, programmes, produits, compils, décisions, propos (?), sites, etc.
On manque d’un emploi contrasté où on « entend » la différence entre pluriel et singulier comme ce genre de cheval et ce genre de chevaux. On pensera aussi à une opposition d’accord en genre dans le cas de Elle est du genre compliqué/ compliquée (Wilmet 1998) sur laquelle nous revenons plus loin. - Il semble que cette alternance singulier/pluriel dépende du renvoi anaphorique supporté par le déterminant déictique et qu’il permette de recatégoriser en discours ce qui précède = ce X présente des caractéristiques qui le font entrer dans une catégorie Y.
- Enfin, dans le corpus, on remarque une structure en chiasme qui met en parallèle ce genre de dossier et un dossier de ce genre.
10Avec d’autres déterminants, on rencontre également genre, mais en petit nombre :
11Nous pouvons cependant avancer l’interrogation suivante : le déterminant joue-t-il un rôle dans le sens donné à l’expression ? En effet, une différence nette apparaît entre ce [4]/le genre de et un genre de. Dans ce dernier cas, la paraphrase la plus immédiate est une sorte de, où cette enclosure signifie : cela ressemble à une écharpe. Donc il s’agit davantage d’une approximation dans le renvoi à une catégorie alors que l’enclosure introduite par le déterminant le perpétue la confortation de la catégorie. Quant à l’emploi avec l’article zéro, on oscille entre une acception où genre signifie variété d’une catégorie ou bien approximation (une sorte de), comme une comparaison.
12Cependant nous avons trouvé l’exemple suivant :
1.4 – Les locutions prépositionnelles avec genre
13
Prenons alors les cas où genre est précédé de dans/de/du et posons notre hypothèse : dans le genre inscrirait la caractérisation au sein du paradigme (par exemple Dans le genre « psychose sur un divan », Le Soir, 11-12-98, p. 14) alors que, progressivement du genre et genre seul, axent davantage sur l’approximation (mais laissent la catégorisation interne possible : Dans un milieu aisé ou du genre « papa est décédé depuis 2 ans et maman travaille beaucoup » Le Soir, 24-12-98, p. 21). Nous pensons que sa position à l’initiale favorise l’identification : poser une approximation en focalisation paraît moins naturel qu’une identification [5].
Les cas rencontrés avec du se répartissent comme suit :
- un nom + « du genre » + caractérisation, qui peut prendre la forme d’une proposition (DD)
- copule + « du genre » + caractérisation.
14Nous terminerons en nous interrogeant sur l’absence d’un emploi préposition de + genre, alors que style permet cette alternance. Comment analyser dans ce cas le morphème de ? Et du ? Faut-il postuler qu’il s’agit d’un article contracté (article de + article le) ou de la préposition + le ? Nous avions, dans notre article précédent consacré au même sujet, récusé cette hypothèse par l’impossibilité de commuter de avec d’autres articles. Mais en poursuivant notre réflexion, nous revoyons notre position : elle est le genre à est attesté à l’oral comme à l’écrit. En effet, comparez :
- Il a le genre punk = c’est un punk ou bien il y ressemble fortement
- Il a un genre punk = il a une allure punk, il ressemble à un punk
- ? ? ? Il a de/du genre punk
- Il est le genre punk : c’est plutôt l’approximation qui l’emporte (on constate en général une pause à l’oral ou des guillemets de mise à distance autonymique)
- ? ? ? Il est un genre punk
- Il est du genre punk : soit = il appartient à la catégorie des punk et l’analyse est de préposition + le article (il appartient à cette classe) ;soit = Il est du genre punk (c’est le mot et la catégorie que je choisis mais c’est une approximation).
- ? Il est de genre punk : on dira plus facilement cette maison est de style mauresque (elle relève de ce style ou elle s’en approche) que cet homme est de style punk ( ?) ? ? du style punk. Par contre, il est de genre noble paraît acceptable.
La solution est-elle dans l’usage du verbe être (lié à une essentialité représentative) ou avoir (possession partitive) ?
15Faut-il envisager une classe (posée par l’article le) d’où on extrait une partie ? Mais alors, si on en retire une partie, c’est que le mot relève bien de cette classe, qu’il s’agisse d’une préposition de (extraction logique) ou de l’article de (partition) ? Est-ce que cette construction avec du constitue le dernier rempart qui permette de garder les deux lectures intra-generi et extra-generi (approximation) ? Lorsque préposition et article disparaissent, l’affaiblissement sémantique se marque de façon évidente, parallèlement à une grammaticalisation. Qui disparaît en premier ? La préposition (Du genre → le genre → genre) ou l’article (Du genre → de genre → genre) ?
16On pourrait postuler un /de du/ où l’article contracté ait disparu par haplologie. Mais les exemples oraux de « de des » chez Damourette et Pichon, comme :
17Mais alors comment expliquer du genre ? Comme une haplologie dans le sens contraire ? Ou genre serait-il déjà grammaticalisé et entraînerait-il l’effacement du de puisque deux outils grammaticaux sont présents ? Quel est en outre le rôle du déterminant ? On proposera ceci :
De genre : genre garde son statut de nom, donc conforte le genre (cf. de genre noble).
D’un genre punk : postule qu’il y a plusieurs genres punks et qu’on en extrait un.
Du genre punk : permet de constituer un sous-ensemble lexicalisé, basé sur l’idée d’approximation, et donc, d’après notre hypothèse, bénéficie d’une grammaticalisation plus grande. Du genre fonctionne comme (entité) + punk.
18Cette valeur modale d’approximation, outre l’appréciation plutôt négative qu’elle véhicule, permet également de poser une connivence de discours dans le cadre d’une approche plus interactionniste de l’énonciation. L’exemplarité de la formule doit être parlante pour le coénonciateur parce que les « catégories » auxquelles il est fait référence ne sont pas reconnues, lexicalisées, qu’elles sont fortement axiologisées et qu’elles expriment un point de vue subjectif.
19La grammaticalisation, dans ce cas, passe par un affaiblissement de la valeur modale [7] (comme dans Il est genre dix heures), par l’accord avec le sujet (elle est genre méchante/elle est du genre méchante mais pas elle est du genre méchant) et par un déplacement sémantique allant de l’affirmation de l’identification d’une catégorie à l’approximation d’une catégorie posée.
Conclusions partielles
20 Nous avons tenté, dans cet article, de prendre en compte des constructions du terme genre qui sont généralement laissées dans l’ombre, au profit de constructions issues de l’oral, avec genre utilisé seul comme particule modale. D’abord, nous avons soutenu que des constructions attestées à l’écrit illustrent un emploi prépositionnel de genre. Il s’agit d’exemples comme : une maison genre hôtel de passe.
21Ensuite, nous avons centré notre attention sur les constructions en enclosure de genre, qui représentent un certain degré de grammaticalisation devant nécessairement être pris en compte dans une étude globale du mot genre. Enfin, nous avons traité de locutions prépositionnelles contenant genre (du genre, dans le genre).
22Parallèlement à un processus de grammaticalisation, nous avons mis en évidence le fait que le sens de genre oscillait entre l’inclusion d’un genre déterminé et l’approximation et la création d’une catégorie implicite.
23Le nœud du continuum est représenté par les expressions où figurent des prépositions et des articles mais où, manifestement, genre commence à perdre son statut de noyau nominal pour devenir le centre d’une expression lexicalisée outil grammatical.
NOTES
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[1]
Signalons cependant d’entrée de jeu que, précédée de la préposition dans (dans le genre), cette position initiale est tout à fait permise, nous y revenons plus avant.
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[2]
À cet égard, et pour ne pas négliger la perspective comparatiste du précédent travail (op. cit), on mettra en parallèle le mot style qui connaît également toujours un fort emploi nominal aussi dans le domaine esthétique.
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[3]
Dans le dictionnaire, on trouve par exemple : le genre humain, genre en vers, genre en prose, genre épistolaire, genre oratoire, le genre du portrait, portrait de genre, genre masculin (Le Robert).
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[4]
Nous suivons pour l’analyse du déictique celle de Wilmet (1998 qui voit sous CE : un le + un élément delta de caractérisation.
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[5]
À l’appui de cette hypothèse, nous avons trouvé, après le colloque, cet exemple dans Le Monde décembre 2000 (référence incomplète) : Du genre volubile, Sara… où il s’agit clairement d’une catégorie posée et non d’une approximation (Sara relève de l’espèce des gens volubiles si l’on peut dire).
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[6]
Le Robert donne comme séquence équivalente : C’est un type (du) genre hommes d’affaires, emploi qualifié de familier.
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[7]
Genre a donné un éphémère « genreux » (d’après REY, vers 1878) signifiant « qui a du genre », à l’époque où genre peut être utilisé comme attribut : être genre. Le sens spécifique, dans les deux cas, est celui de frimeur ou prétentieux. Et il y a générique, que nous n’avions pas mentionné dans notre article précédent, car il a une signification à rebours des usages avec genre + adjectif : il désigne ce qui est commun à tout un genre et non ce qui spécialise une catégorisation par rapport à une autre.
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