CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Dominique Gonzalez-Foerster, Desert Park, 2010

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Dominique Gonzalez-Foerster, Desert Park, 2010

Photo Jacques Hœpffner

1Pour cette controverse, Cécile Proust nous offre une œuvre originale et atypique dans une revue académique puisqu’il s’agit d’un « roman-photo » ; elle le signe en collaboration avec le photographe et vidéaste Jacques Hœpffner.

2Danseuse, enseignante et chorégraphe, elle voyage pour rencontrer et pratiquer des danses comme le flamenco à Seville, la danse moyenne orientale au Caire, le kathak à Delhi et le Jiuta Ma? à Kyoto. Ces pratiques, qu’elle croise avec des danses contemporaines occidentales, des pensées théoriques et des supports critiques, lui permettent d’interroger la construction des corps, des danses, la fabrique des genres et les rôles sexués.

3Cécile Proust est connue pour ses femmeusesactions présentées en France et à l’étranger, notamment, ces deux dernières années, au Brésil pour différents projets à Rio de Janeiro, à Belo Horizonte et au centre d’art d’Inhotim. Projet artistique et anthropologique, femmeuses est né en 2004. Vingt-neuf ont vu le jour sous de multiples formes : spectacles, conférences, performances, vidéos, chorégraphies documentaires, entretiens, installations, programmations de spectacles, commissariat d’expositions, programmes pédagogiques. Des artistes et des théoricien-nes sont exposé-es, invité-es ou collaborent aux recherches de femmeuses sous le signe de l’éclectisme, de Beatriz Preciado à Carole Roussopoulos, de Chantal Akerman à Annie Sprinkle…

4Ces actions hybrident tous les genres dans leur polysémie la plus totale. Elles sont, bien sûr, aussi symptomatiques d’une colère grandissante dans les milieux artistiques. C’est, quelquefois, par la citation de propos ridicules à propos des femmes que Cécile Proust procède. Comme dans femmeuses18, les femmes ont du mal à tenir la distance. Regardez en ligne cette vidéo faite avec Jacques Hœpffner, elle est vraiment très drôle ! Et l’humour, c’est important, pour répondre au mépris ; c’est une arme majeure du féminisme depuis les années 1970. Pour ce roman-photo, les propos antiféministes sont extraits des médias où ils sont si nombreux, épinglés, et finalement débanalisés. Ils sont rapprochés des chiffres qui montrent le monopole masculin du pouvoir dans le monde artistique. Désormais, le Mouvement hf (vers l’égalité hommes-femmes dans les arts et la culture) prend en charge ces questions, déjà soulevées par Reine Prat pour le ministère de la Culture et plus récemment par le Sénat. L’antiféminisme existe partout, même dans ce secteur que l’on croit trop naïvement à l’avant-garde et plus ouvert aux femmes. Le choix de Cécile Proust de se mettre en scène dans des œuvres de femmes qui ont toute la place qu’elles méritent au centre d’art d’Inhotim ruine les propos classiques de l’antiféministe : pas de vivier ! Pas de « grandes » artistes ! Des œuvres trop « féminines », etc.

5Grâce aux recherches théoriques, aux partis pris formels, à l’humour et aux chocs esthétiques qu’elle affute et cisèle depuis le début de femmeuses, Cécile Proust décille les yeux des grincheux avec femmeusesaction #30, un roman-photo féministe.

Dominique Gonzalez-Foerster, Desert Park, 2010

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Dominique Gonzalez-Foerster, Desert Park, 2010

Photo Jacques Hœpffner

6Entretien entre Jean-Marc Bustamante, artiste, Xavier Veilhan, artiste et Christine Macel, conservateure au Centre Pompidou, chargée de l’art contemporain et du secteur prospectif. (Bustamante, Paris, Flammarion, 2005, p. 168-170)

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« Jean-Marc Bustamante : L’homme a besoin de conquérir des territoires, la femme trouve son territoire et elle y reste (scepticisme de XV et CM) ; alors que les femmes cherchent un homme, un homme veut toutes les femmes. La femme, dès qu’elle a trouvé son territoire, elle y reste, d’Agnes Martin à Tracey Emin. Les hommes sont toujours dans la recherche de territoires vierges… Les hommes prennent des risques beaucoup plus grands, comme d’être détestés, d’être dans la polémique, d’être longtemps dans des champs difficiles…
Xavier Veilhan : Moi j’aimerais bien qu’il y ait Carl Andre en femme. En constituant une figure plus autoritaire de l’artiste, en imposant des formes radicales, elle offrirait une alternative intéressante à ces femmes artistes qui se retranchent dans la case sociale où l’on veut bien les voir.
Christine Macel : En fait, vous confirmez mes pires soupçons, ça me déprime ! Aujourd’hui je fais une exposition où il n’y a pas de femme, pour cette raison. Je n’ai trouvé aucune femme à confronter avec les autres artistes, et je préfère ne pas les mettre que de respecter des quotas. »

60 % des étudiants en écoles d’art sont des femmes, la grande majorité des directeurs et des professeurs sont des hommes. Les nombreux comportement sexistes, allant de l’insulte sexiste ou homophobe jusqu’au harcèlement sexuel ont été révélés dans le rapport d’information au nom de la délégation aux droits des femmes.
(Sénat, n° 704, juin 2013)

Valeska Soares, Folly, 2005

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Valeska Soares, Folly, 2005

Photo Jacques Hœpffner

8Jean-Marie Besset a bruyamment contesté la décision du non-renouvellement de son mandat au Centre dramatique national de Montpellier, allant jusque devant le Conseil d’État, qui l’a renvoyé vers le tribunal administratif de Montpellier, lequel l’a débouté fin mai 2013. Finalement il se découvre femme.

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« Moi les femmes, je sais pas ce que c’est. Les hommes non plus. Y a cinquante ans, je dis pas, oui, c’était clair, un homme, une femme. Mais aujourd’hui, physiologie mise à part, je voudrais bien qu’on me la dise, la différence. Si bien que moi, j’en suis une, femme. A plein de moments de ma vie. Ma vie de femme. »
(lemonde.fr, 23 juillet 2013)

La parité est appliquée à l’entrée du Conservatoire national d’art dramatique (15 garçons, 15 filles), les garçons ont trois plus de chances d’être pris (il y a trois fois moins de candidats que de candidates).
78% des mises en scènes des spectacles que nous voyons ont été faites par des hommes.
91 % des Centres dramatiques nationaux, où sont nommés les metteurs en scènes, sont dirigés par des hommes.
Source : Observatoire de l’égalité hommes-femmes. Ministère de la Culture et de la Communication, 31/12/2012

Christina Iglesias, Vegetation Room Inhotim, 2010

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Christina Iglesias, Vegetation Room Inhotim, 2010

Photo Jacques Hœpffner

10Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire national supérieur de musique et de danse, sur France Musique, le 3 octobre 2013

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« Il y a peu de femmes cheffes d’orchestre, c’est vrai, il y a aussi peu d’Africains chefs d’orchestre… Hommes et femmes n’ont pas les mêmes ambitions et le fait d’avoir des enfants rend la chose compliquée pour celle qui va devoir assurer le service après-vente de la maternité… Élever un enfant à distance, ce n’est pas simple.
Il y a un frein physiologique, le métier de chef est parfois très éprouvant, certaines fois les femmes sont découragées par l’aspect très physique. »

Il y a 50 % de filles dans les Conservatoires de musique.
94 % des orchestres sont dirigés par des hommes.
97 % de la musique que nous entendons dans les institutions publiques a été composée par des hommes.
Les hommes dirigent 89% des institutions musicales et 96 % des Opéras.
Source : Observatoire de l’égalité hommes-femmes. Ministère de la Culture et de la Communication, 31/12/2012

Adriana Varejão, Galeria Adriana Varejão, 2008*

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Adriana Varejão, Galeria Adriana Varejão, 2008*

* La Barbe, initiatrice de la lettre À Cannes, les femmes montrent leurs bobines, les hommes, leurs films, est un groupe d’action féministe créé le 8 mars 2008.
Photo Jacques Hœpffner

12Thierry Frémeaux, délégué général du Festival de Cannes, réagit :

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« Le Festival de Cannes ne sélectionnera jamais un film qui ne le mérite pas simplement parce qu’il est réalisé par une femme, cela mènerait à une politique de quotas, nul doute que la place des femmes doit être augmentée, mais Cannes n’est ni le lieu ni le moment de poser ce problème, ce n’est pas à Cannes, ni au mois de mai, qu’il faut poser le problème, c’est toute l’année. Par conséquent, accuser le Festival ne sert strictement à rien. »

14Stéphane Delorme, éditorial des Cahiers du Cinéma, n° 681, septembre 2012 :

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« Au dernier Festival de Cannes, une petite fronde un peu barbante comptabilisait le nombre de femmes en compétition. Zéro. La revendication menaçante du collectif La Barbe appelait à une forme de discrimination positive qui de fait discréditerait toute femme sélectionnée au prochain festival. Cannes a eu raison de répondre : pas de discrimination…
Beaucoup de réalisatrices veulent être réalisateurs finalement.
Au moment du bouclage de ce numéro, Melissa Silverstein, qui tient le blog Women and Hollywood, s’exclamait dans le New York Times : « Qui nous représente, nous, les femmes ? » Nous, les femmes ? Au secours ! « Les femmes », au pluriel, c’est le début de l’essentialisation et - ce qu’on a vu aux États-Unis - le début de la terreur. »

Cécile Proust
Cécile Proust est artiste chorégraphe, titulaire du master Art et Politique fondé par Bruno Latour à SciencesPo Paris. Le projet artistique et anthropologique, femmeuses, que Cécile Proust dirige depuis 2006, interroge les liens entre les féminismes et les arts visuels et vivants. 27 femmeusesactions voient le jour et tournent dans le monde entier, elles prennent de multiples formes : chorégraphies documentaires, conférences, performances, vidéos, installations, programmations de spectacles, commissariat d’expositions. Des artistes de différents champs et des théoricien-ne-s sont exposé-e-s, invité-e-s ou collaborent aux recherches de femmeuses. Cécile Proust travaille avec Jacques Hoepffner qui est artiste visuel. Il utilise les images, photographie et vidéo, dans une pratique documentaire et s’intéresse tout particulièrement aux questions de l’usage et du partage de l’espace, liées à l’architecture et à l’urbanisme ainsi qu’aux problématiques de politiques et de genre. Il est en charge, au sein de femmeuses, des dispositifs visuels. Cécile Proust est chargée de cours à l’Université Paris 8, elle dispense un enseignement à Paris 1 Sorbonne et dans différents Centres d’art, Écoles d’art et Écoles supérieures de danse.
http://www.femmeuses.org/
Christine Bard
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 06/11/2014
https://doi.org/10.3917/tgs.032.0163
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