CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 Le projet [1] Transnationalisation religieuse des Suds : entre ethnicisation et universalisation (Relitrans) avait pour objet l’étude de religions que nous aurions pu dès le départ qualifier de « non impérialistes » : des mouvances et mouvements religieux issus à leurs origines de secteurs subalternes non hégémoniques comme les pentecôtismes africains et latino-américains, les rituels syncrétiques de danse azteca et conchera qui revendiquent les racines préhispaniques de la culture mexica, les pratiques indigènes méso-américaines de guérisons appréciées et connues en Europe et aux États-Unis pour l’ingestion de substances hallucinogènes ou, encore, les religions afro-américaines rendant un culte aux divinités orisha (santería, ifá, batuque, candomblé…) qui ont étendu leurs liens de parenté rituelle à d’autres confins du monde. Leurs trajectoires transnationales coïncident aujourd’hui avec le parcours en sens inverse des routes colonialistes et impérialistes qui avaient imposé à chacun de ces groupes un cadre historique de domination.

2 Du point de vue de nos objets, par conséquent, la distinction entre un « Nord » et des « Suds » s’est révélée plus politique que géographique ou économique. De cette dimension fortement politique ont émergé des thématiques fortes – que tous les membres de l’équipe n’avaient pas imaginées – comme celle de la création de nations spirituelles basées sur la refondation de religions qui s’affirment en tant qu’héritières de lignages ancestraux (ethniques, raciaux, spirituels ou basés sur la notion d’« Élus »), lesquels représentent les mythes d’origines de « nations premières », capables d’orienter un esprit utopique de reconquête postcoloniale et de réveil des nations de portée internationale. En outre, cette distinction politique, qui jaillissait des discours et des projets des communautés, groupes ou réseaux religieux étudiés comme pouvaient l’annoncer les devises telles que « Afrique élève l’Europe » (Fancello, 2010), « Ifá reconquiert le monde » (Capone & Frigerio, 2012) ou « reconquête spirituelle de l’Europe, cette fois non par la force, mais par la force de l’amour et du cœur » (de la Torre, 2008 : 103), nous invitait à une profonde révision de l’épistémologie « du Nord » via une épistémologie « des Suds », dans la lignée des propositions de Boaventura de Sousa Santos (2009) qui remettent en question la monopolisation euro-centrique de la connaissance scientifique et analytique [2].

3 Dans le cadre de Relitrans, nous avons tenté d’innover dans cette direction, en proposant de nouvelles façons de faire de la science ou de la recherche qui rompraient avec la division autrefois tranchante en ethnologie selon laquelle les chercheurs du « Nord » génèrent des théories et les collègues des « Suds » apportent la matière première, c’est-à-dire y contribuent par des études de cas spécifiques à leur lieu de vie ou se contentent d’apporter des données de terrain collectées dans leur seul contexte national. Nous avons voulu au contraire instaurer des processus de production des connaissances qui incluraient aussi bien la planification, la discussion et la conception des outils conceptuels que la réalisation pour tous de missions de terrain internationales ou la rédaction et l’analyse collaborative et dialogique des données récoltées. Au-delà ou plutôt grâce à nos objets transnationaux, nous voulions tenter de produire de la connaissance de façon multi-située.

4 L’appel à propositions Les Suds, aujourd’hui, dans sa version de 2007, postulait clairement cette possibilité de déconstruction critique de la métaphore géopolitique des « Suds ». Il proposait même d’explorer les « représentations croisées (des « Nords » sur les « Suds » et des « Suds » vers les « Nords ») ainsi que la dimension idéologique de ces représentations ». Pourtant, malgré notre accord de principe avec ce positionnement de départ, nous avons très rapidement repris cette terminologie si critiquée et critiquable, pour des raisons essentiellement pratiques. Cet article constitue donc pour nous une occasion de revenir sur ce « non-dit », une question qui n’a cessé de travailler notre équipe sans jamais pouvoir être discutée en profondeur (l’urgence des délais impartis n’aidant pas à l’approfondissement des débats idéologiques).

5 Ainsi, de même que le sens colonial de l’histoire des religions continue de produire des effets sur les « sens inverses » de la transnationalisation religieuse contemporaine, dans quelle mesure la distinction Nord / Suds traverse-t-elle encore les catégories conceptuelles et les postures épistémologiques des chercheurs ? L’appel à propositions Les Suds, aujourd’hui évoquait également l’enjeu permanent que constitue la « connaissance réciproque » des sociétés étudiées. Or si les chercheurs « Suds », du fait de leur position subalterne, suivent une formation qui les contraint tous à une connaissance poussée des théories et des approches conceptuelles produites au « Nord » et de leurs contextes d’émergence, il n’en va pas toujours de même dans le sens contraire, ou entre chercheurs de ces divers « Suds ». Comment alors trouver un langage commun, un « polycentrisme » dans la production des connaissances, à l’instar des acteurs que nous avons observés ?

1. Un réseau transnational de chercheurs et une configuration bi-située

6 Le projet Relitrans est né d’une collaboration déjà ancienne entre plusieurs chercheurs africains, latino-américains et français. L’histoire de la genèse de cette équipe est importante à rappeler, pour en comprendre la structuration théorique et méthodologique. Depuis plusieurs années, en effet, trois réseaux fonctionnaient de façon plus ou moins formalisée, autour de trois types de mouvements de transnationalisation religieuse, ceux-là même qui seraient repris dans notre programme comparatif ultérieur.

7 Un premier groupe de recherche s’était intéressé, sous l’impulsion de Stefania Capone, à l’étude des réseaux transnationaux de pratiquants de religions afro-américaines (Capone, 2001-2002, 2004). Plusieurs collaborations ponctuelles incluant chercheurs et étudiants avaient permis de constater que, bien que travaillant sur des terrains distincts (Cuba, Brésil, France, Espagne, États-Unis, Argentine, Uruguay, Mexique, Nigeria…), ceux-ci retrouvaient des processus similaires d’évolution et de relocalisation de ces pratiques à la fois dans leur contexte d’émergence et dans leurs nouveaux contextes de diffusion. Surtout, ils se trouvaient confrontés aux mêmes interlocuteurs, sortes d’entrepreneurs religieux (que nous avons appelés des « acteurs nodaux [3] ») qui voyageaient et donnaient corps à un mouvement global, organisant des congrès mondiaux et mettant en contact des pratiquants de tous les pays concernés. Une sorte de supra-terrain commun se dégageait donc de leurs ethnographies, nouveau champ politique sur lequel s’affrontaient les élites culturelles, scientifiques et religieuses de ce que nous avons défini par la suite comme le champ social transnational de la religion des orisha (Argyriadis & Capone, 2011), en suivant notamment la suggestion de Nahayeilli Juárez (2007 : 54) d’élargir le concept de Bash, Glick Schiller et al. (1994). C’est de ce constat empirique qu’est née la proposition méthodologique consistant à mettre en commun nos données, et à réaliser des ethnographies collectives, pour comprendre le phénomène observé à l’échelle tricontinentale (Argyriadis & Capone, 2004 : 127).

8 Renée de la Torre et Cristina Gutiérrez Zúñiga collaboraient pour leur part depuis 1996 à diverses recherches portant sur le phénomène du changement religieux au Mexique. Il s’agissait alors d’explorer non seulement la diversité de nouvelles dénominations reconfigurant le champ religieux, mais aussi d’analyser les nouvelles subjectivités croyantes, en montrant que le catholicisme était confronté à une désinstitutionalisation de ses cadres de valeurs et de ses imaginaires. La thématique religieuse, très saturée idéologiquement au Mexique [4], a peu à peu gagné en légitimité grâce à la fondation d’un réseau institué de chercheurs travaillant sur ce phénomène http://www.rifrem.mx.

9 Plusieurs membres de ces deux groupes ont constitué entre 2003 et 2008 des équipes qui se donnaient pour objectif de comparer les processus de translocalisation et/ou de transnationalisation de diverses pratiques religieuses nées dans les Amériques. Malgré leurs origines historiques et géographiques distinctes et le fait que chaque pratique possédait une identité propre, il est apparu que nos objets d’étude (santería, candomblé, néochamanismes, danses dites « aztèques » liées au mouvement de la mexicanidad…) partageaient des logiques communes de patrimonialisation, de mise en réseau, de circulation et de relocalisation hors de leur contexte d’émergence, ainsi que des interfaces où ils se connectaient entre eux, principalement via les réseaux de type new age, ou encore, pour le Mexique, à travers la pratique du culte à la Santa Muerte. Un premier ouvrage a posé les jalons de ce travail (Argyriadis, de la Torre et al., 2008), et fut l’occasion de rompre avec l’isolement ethnographique en suivant les itinéraires des acteurs et en étudiant ensemble les réseaux qui reliaient et articulaient entre eux divers espaces géographiques et divers espaces de relations de pouvoir.

10 Enfin, pendant ce temps, sous l’impulsion entre autres d’André Mary, un troisième réseau de chercheurs participait depuis 2002 à divers programmes de recherche consacrés aux réseaux transnationaux et aux nouveaux acteurs religieux en Afrique de l’Ouest (Fancello, 2006 ; Fourchard, Mary et al., 2005). À partir de 2008, Stefania Capone, André Mary et Nathalie Luca commencèrent par ailleurs, à mettre en commun leurs réflexions en animant un séminaire à l’EHESS, intitulé Anthropologie des religions transnationales : Afrique, Asie, Amérique.

11 En 2007, au moment de la parution de l’appel à propositions Les Suds, aujourd’hui, nous en étions donc à ce stade de nos collaborations. Il convient de souligner que ces avancées déjà importantes avaient été obtenues, certes avec quelques financements ponctuels, mais surtout sur la base du fonctionnement qui était le nôtre alors, c’est-à-dire grâce aux budgets octroyés à nos institutions et laboratoires respectifs, et dont la baisse constante nous inquiétait fortement, et ne nous permettait plus une intensité d’échange optimale. En ce sens, l’ANR « Suds » nous est apparue comme une opportunité inédite de réunions et missions de terrain régulières autour de ce projet commun « trans-labos », transnational et transgénérationnel puisque nous avions également la possibilité de proposer des contrats de vacations aux « post-doctorants ».

12 Dans l’argument initial, nous apparaissions idéalement comme un vaste réseau constitué de 22 chercheurs et doctorants, dont onze français, cinq mexicains, deux gabonais, un belge, un brésilien, un colombien et un argentin, organisés en sept institutions partenaires (trois françaises et quatre « Suds [5] »), visant à analyser de façon comparative trois types de mouvements de transnationalisation religieuse issus « des pays du Sud [6] ». En réalité et en dehors des deux colloques que nous avons organisés, nous nous sommes très vite retrouvés dans un fonctionnement « en double », avec d’un côté un noyau dur de chercheurs majoritairement français ou du moins européens se réunissant tous les deux mois à Paris, et de l’autre un noyau dur de chercheuses mexicaines se réunissant tous les deux mois à Guadalajara, l’ensemble répondant à un agenda commun de discussion autour des concepts et des catégories utilisés.

13 Cette organisation bi-située, qui avait été programmée pour des raisons pratiques et économiques, s’est révélée dans les faits être un frein à l’entente et à la compréhension mutuelles. Nous nous sommes retrouvés, malgré nos convictions et engagements de départ, dans une situation où « Nord » et « Suds » s’opposaient bien malgré nous sur plusieurs plans : territorial d’abord, car l’expérience a démontré (s’il en était besoin) que l’utilisation d’Internet ne remplace pas de manière satisfaisante les interactions en face à face, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de préciser des approches conceptuelles ou de trouver des compromis méthodologiques. Technologique, ensuite : pour les collègues se trouvant dans des zones non connectées, l’accès à Internet était d’emblée restreint et les maintenait à la marge de la plupart des échanges. Financier, enfin, car la première année des problèmes techniques liés à la mise en place des conventions entre l’AIRD et les institutions « Suds » partenaires ont retardé considérablement le transfert des fonds, contraignant durant cette période nos collègues « Sud » à recourir aux lignes budgétaires « Nord » pour mettre en route leur plan de travail [7].

14 Fort heureusement pour nous tous, les membres mexicaines de l’équipe ont obtenu dès 2009 un financement Conacyt [8] pour un montant équivalent au montant total octroyé à notre projet par l’ANR et l’AIRD réunis. Cet apport permettait non seulement de renforcer financièrement notre programme de recherche, mais aussi de le prolonger depuis le Mexique sur une durée d’un an, autour, plus spécifiquement, de la problématique des relations entre les mouvements religieux étudiés et les réseaux new age. Or l’importance de cet apport, qui mettait idéalement nos collègues mexicaines dans une position de réelle égalité par rapport aux collègues européens, n’a pas toujours été bien comprise par ces derniers, soit par défaut de communication, soit parce qu’ils percevaient ce financement comme concernant un projet distinct dans lequel ils ne souhaitaient pas s’impliquer.

15 Enfin, un autre clivage, linguistique celui-là, a découlé du fait que nous nous efforcions de communiquer constamment dans nos deux langues principales, le français et l’espagnol. Une part non négligeable de notre budget global avait d’ailleurs été consacrée, à cette fin, aux frais de traductions. En effet, certains de nos collègues ne parlaient pas du tout l’une ou l’autre langue, ou ne maîtrisaient pas assez l’anglais pour en faire notre lingua franca. Dans la pratique, les quelques personnes bilingues parmi nous, et en particulier la coordinatrice, se retrouvèrent débordées par le volume de courriers à traduire, et ne purent éviter un engrenage de malentendus, renforcé par le fait que certains termes ou concepts, traduits littéralement, ne charrient pas les mêmes implicites dans ces deux langues latines. Il était nécessaire de consacrer du temps à l’explication des choix de traduction : malheureusement, la rapidité des échanges ne le permettait pas, et freinait la communication au lieu de la rendre plus fluide. Par conséquent, de façon quasi inéluctable, lorsque surgirent – comme en surgissent toujours dans ce type de grand programme de recherche – des erreurs d’interprétations, des écarts de sens, des désaccords, voire des conflits, ces derniers furent parfois exprimés en termes d’opposition entre « Français » et « Mexicains ».

16 Nous nous étions en outre fixés un objectif particulièrement ambitieux, qui consistait à tenter de dépasser très vite, c’est-à-dire à l’issue de la première année, le découpage initial du projet en trois axes. Forts de l’expérience ancienne de collaboration décrite plus haut, nous pensions ainsi procéder d’abord à une sorte de triple bilan de nos résultats antérieurs, afin de le soumettre à tous les membres de l’équipe et de passer dès la deuxième année à l’élaboration d’une réflexion commune. De façon inédite, nous espérions aussi contribuer aux échanges entre spécialistes africains et latino-américains des processus de transnationalisation religieuse. L’erreur fut sans conteste de ne pas mesurer, là encore, la quantité de temps et d’énergie nécessaire à l’absorption par tous les collègues d’une telle masse d’informations, nouvelles à 66 % pour la majorité d’entre eux.

17 L’anthropologie a construit une part de sa légitimité scientifique sur le terrain long, et sur le nécessaire apprentissage de l’intérieur des codes, du vocabulaire et des systèmes de sens propres à chaque groupe. Elle s’efforce depuis plusieurs années de compléter ces connaissances par leur mise en contextes, locaux, nationaux et – dans notre cas – transnationaux. Le site web que nous avons créé (www.ird.fr/relitrans), et notamment sa base de données, devait nous servir d’outil en ce sens. Nous avions planifié l’élaboration de fiches synthétiques bilingues sur les contextes nationaux, les modalités religieuses, les événements clés, les médias, les acteurs nodaux et les réseaux étudiés [9] durant la première année, mais dans les faits nous n’avons réuni, corrigé, complété et traduit toutes ces fiches qu’au bout de deux ans et demi, au moment où nous étions déjà en train de travailler à notre colloque final. Nous nous retrouvions donc contraints par le temps dans une discipline qui ne peut en aucun cas se développer de façon satisfaisante au pas de course. Mais il était trop tard pour se remettre en question : c’était tout le système du financement sur projets qui était à critiquer, et nous l’avions accepté implicitement en répondant à cet appel à propositions.

2. Les enseignements d’un terrain multi-situé : revitalisation ou effritement de la distinction Nord-Sud ?

18 Nos points de départ méthodologiques, à savoir l’attention portée sur des réseaux translocaux et transnationaux via une ethnographie collaborative et multi-située, sur laquelle nous reviendrons plus avant, posaient la question de la reconstruction des processus de transnationalisation des pratiques religieuses étudiées. Cette stratégie nous permettait de réduire la nébulosité des approximations basées sur l’idée d’une diffusion culturelle amplifiée à travers les moyens de communication, les migrations et le tourisme. D’autre part, elle nous aidait à reconstruire les processus de resignification de ces pratiques lorsque leur transmission et leur reproduction traversaient les frontières (culturelles ou géopolitiques), en suivant d’un contexte à l’autre leurs processus de délocalisation, de translocalisation et de relocalisation.

19 Les modalités religieuses que nous avons analysées sont traversées par une tension entre un discours institutionnel englobant, parfois porteur d’un idéal communautaire, et une réalité de la pratique aux apparences informelles. Dans un premier temps, nous nous sommes attachés à montrer qu’il était possible de dégager un certain nombre de logiques d’organisation, de diffusion et de reproduction à l’œuvre dans les processus de transnationalisation religieuse. Nous avons répertorié et décrit les différents types de structures et de médiations générant la circulation (ou le ralentissement) des acteurs et les biens symboliques (Argyriadis, 2012). De même, nous avons analysé les nouvelles figures d’exercice d’un pouvoir spécifiquement lié à la circulation transfrontalière, transnationale et parfois même transreligieuse (médiateurs, passeurs, articulateurs ou acteurs « nodaux »). Nous nous sommes interrogés sur la façon dont les objets et les images sont consommés, réappropriés et resémantisés dans ce cadre.

20 Dans un deuxième temps, nous avons analysé la façon dont les entreprises religieuses transnationales contournaient ou transcendaient les frontières des États-nations modernes tout en misant paradoxalement sur le réveil des imaginaires nationaux. La transnationalisation ne relève pas du simple constat d’une circulation transfrontalière de sujets nomades, transmigrants ou autres, échappant aux limites des territoires nationaux. Elle fait référence non seulement à des réseaux internationaux d’échange mais aussi à des « communautés imaginées », prises dans un mouvement de déterritorialisation et de reterritorialisation qui se nourrit souvent de l’imaginaire d’une nation « originelle », ou d’une Terre promise. Le recours au religieux ancestral ou messianique, réinvesti par les mondes africains ou américains, joue un rôle décisif sur le marché des spiritualités autant que dans la négociation entre les politiques symboliques de l’État-nation et l’imaginaire des proto-nations, nations premières ou autochtones (Mary, 2012).

21 Finalement, nous avons voulu montrer à travers nos travaux que le transnational n’annonce pas l’effacement des formes d’organisation originelles ou des imaginaires fondateurs (Capone & Mary, 2012). Au contraire, les religions qui mettent en avant leur enracinement dans des cultures « traditionnelles » se réactualisent et gagnent une nouvelle légitimité à travers la reconquête de paysages « ethniques » et nationaux éloignés (culturellement et géographiquement) de leurs lieux d’origine.

22 Au sein de l’axe dont les recherches portaient en particulier sur les relations entre religions amérindiennes et réseaux new age, les expériences antérieures avaient permis d’observer l’existence d’importantes différences entre les acteurs impliqués dans l’expansion translocale des pratiques. Ces différences renvoyaient certes à la question des échelles et de l’amplitude des réseaux analysés, mais elles attiraient aussi l’attention sur la variété des types de circuits que chaque acteur entrelaçait en fonction de ses compétences multilingues et « multicodes ».

23 La dimension du pouvoir dans la reproduction des pratiques et dans leur translocalisation était donc centrale. Il était ainsi possible d’identifier les asymétries existantes entre un chef de danse conchera dont la pratique au sein de son quartier est ancrée dans une forme urbaine locale de catholicisme, et un acteur cosmopolite promouvant la pratique de cette danse auprès d’adeptes de la méditation ; ou encore entre un guérisseur (ou chamane) indigène maîtrisant les plantes médicinales et leurs vertus symboliques, et un organisateur de stages thérapeutiques destinés à un public de classe moyenne urbaine. Ces asymétries faisaient écho aux relations de domination héritée du colonialisme en Amérique latine (assignations ethniques, raciales, distinction entre « indigènes » et « créoles », etc.), ou tout simplement propres aux sociétés capitalistes (campagne / ville, peuple / élite, etc.). On y observait également un effet d’exotisation et de revalorisation de pratiques populaires autrefois marginales et stigmatisées dès lors qu’elles étaient insérées dans des circuits urbains cosmopolites.

24 Cependant, et même dans les cas d’asymétrie les plus extrêmes, les membres de cet axe n’ont pas voulu adopter d’emblée une posture de dénonciation d’une spoliation ou d’une exploitation culturelle des acteurs « traditionnels » par les acteurs cosmopolites. Il leur a semblé plus intéressant, à travers une ethnographie de longue durée, de suivre l’évolution de chacun de ces acteurs. Si le chef local de danse conchera était incorporé en tant que maître de danse dans un circuit néo-ésotérique grâce à un acteur cosmopolite, quelle conséquence ce fait avait-il pour les danseurs rattachés à son groupe, qui se trouvaient ainsi propulsés dans un circuit distinct et plus vaste que celui des concheros ? Quels conflits pouvaient être générés, et comment étaient-ils résolus (ou non) dans l’espace communautaire ? Quel sens était donné à la pratique dans ce cadre ? Quels nouveaux éléments étaient mis en relation et quelles nouvelles interfaces pouvait-on observer ? L’idée sous-jacente était de considérer la possibilité pour l’interface local/global de ne pas nécessairement reproduire les différences ethniques ou de classe signalées plus haut, et de déboucher sur un éventail complexe d’interactions multiples. En d’autres termes, la distinction géopolitique Nord / Suds n’était qu’une option analytique parmi d’autres des relations de pouvoir, et les phénomènes étudiés n’étaient pas circonscrits à un cadre « Sud ».

25 La proposition consistant à aborder non seulement la translocalisation d’une pratique, mais aussi sa transnationalisation, dans le contexte d’un projet lui-même transnational, a fait émerger une nouvelle dimension des différentiels de pouvoir dans nos objets d’étude comme dans nos équipes. Dans le cas de la danse conchero-azteca, les premières expériences de suivi transnational des acteurs ont mis en contact les chercheuses avec des différences politiques et économiques et des modèles d’intégration ethniques et culturels diamétralement opposés, du Mexique aux États-Unis. Ce processus de transnationalisation était d’une part la conséquence de l’existence d’une population mexicaine ou d’origine mexicaine issue de l’immigration légale et illégale [10]. Mais il résultait également de l’imposition de la frontière entre les deux États, longue de 2000 kilomètres, dans une région où le peuplement correspondait à l’établissement pluricentenaire de populations indigènes et aux processus d’évangélisation et d’expansion coloniale espagnole depuis la capitale de la Nouvelle-Espagne vers le sous-continent nord-américain considéré comme partie intégrante des domaines du vice-roi. L’appropriation par les États-Unis, en 1848, d’une portion correspondant alors à 50 % du territoire national mexicain a engendré pour ses habitants un changement de nationalité – une restructuration de leur identité (Kearney, 1999) –, ainsi que la partition des terres de plusieurs familles élargies et de plusieurs groupes ethniques [11].

26 Face à ce nouveau contexte d’étude, il fallait explorer l’importante production bibliographique existante à propos de ce courant migratoire déjà ancien, et l’équipe de cet axe a proposé la discussion, lors de nos séminaires bi-situés, de concepts fondamentaux comme celui de frontière. Les analyses ont dû prendre en compte la différence abyssale de richesse économique entre les deux pays [12], ainsi que la complexité de la zone frontière comme lieu des marges (Bhabha, 2002) et comme lieu « filtre » des flux de personnes et d’objets, mais lieux qui aujourd’hui, en période postcoloniale et post-impérialiste, convergent et cohabitent dans les régions transfrontalières (Kearney, 1999).

27 Bien que cette dimension géopolitique ait été totalement incorporée à l’analyse, les chercheuses de cet axe ne l’envisageaient pas alors en termes explicites de distinction Nord / Suds ; sans doute parce que du point de vue mexicain elles étaient habituées à se penser malgré tout comme partie intégrante du sous-continent nord-américain, et non comme centre-américaines, encore moins « sud »-américaines. Il leur semblait plus important de réfléchir aux différents modes d’intégration ethniques et culturels des deux pays, conceptualisés par Rita Segato (2007 : 28) en tant que « régimes nationaux d’altérité », c’est-à-dire insérés dans des processus historiques particuliers qui configurent la matrice de production des différences. Ces régimes d’altérité distincts mais connectés expliquaient en partie l’itinéraire ré-ethnicisant pris par une grande partie des migrants mexicains et les transformations que les chicanos imprimaient à la danse : une pratique avant tout culturelle dans un contexte de lutte pour la reconnaissance culturelle de leur citoyenneté.

28 Mais le suivi des acteurs de la danse conchero-azteca a également mené deux membres de l’axe [13] en Espagne, où elle se pratique dans le cadre d’une matrice cosmopolite et éclectique new age : elle constitue un aspect parmi d’autres de la gamme de techniques corporelles thérapeutiques qui soutiennent le sujet en recherche de spiritualité dans son projet de guérison et d’élévation de la conscience ; elle a été par ailleurs, incorporée aux célébrations rituelles de « réactivation énergétique » des points centraux de la planète. Au vu de l’histoire coloniale qui a lié le Mexique et l’Espagne durant trois siècles, les deux chercheuses avaient formulé a priori des hypothèses quant à la possibilité d’alimenter la réflexion collective sur l’inversion des routes coloniales et sur l’émergence d’entreprises de reconquête spirituelle (Capone & Mary, 2012), lesquelles étaient particulièrement visibles dans le cas des églises pentecôtistes africaines implantées en Europe. De fait, l’inversion des flux culturels (métropoles coloniales / marges) a été observée comme une constante de la période postcoloniale. T. Csordas considère par exemple cette inversion comme l’une des « modalités intersubjectives » de la globalisation des religions à l’époque contemporaine [14] (2009 : 5). D’autres auteurs ont constaté des cas similaires de transnationalisation de pratiques indigènes s’inscrivant dans un sens holistique et global de « réparation cosmique et culturelle » de la destruction et de la spoliation survenues dans le passé colonial (Groisman, 2009).

29 C’est avec ces perspectives à l’esprit que le terrain en Espagne démarra, ce qui constitua sans conteste une piste très intéressante pour l’exploration. En effet, pour les Mexicains qui pratiquaient la danse en tant qu’affirmation ethno-nationale, l’intérêt exprimé par les Espagnols était grandement significatif. Sans surprise, leurs récits soulignaient l’inversion de cette route coloniale historique. Cependant, le sentiment de reconquête était plus important pour les Mexicains que pour les Espagnols, lesquels, dans leur modèle de spiritualité éclectique, voyaient en la danse un ingrédient exotique à combiner avec d’autres. Le fait que cette danse vienne du Mexique n’était pas important pour eux, et ne constituait pas une opportunité de « réparation » du passé colonial. Leurs récits n’étaient pas construits depuis la mémoire de cette relation coloniale, contrairement à ceux des Mexicains (de la Torre & Gutiérrez Zúñiga 2011 ; Gutiérrez Zúñiga, 2013).

30 En guise de synthèse, nous voudrions donc souligner que l’identification des routes et des sens inverses postcoloniaux a été un détour nécessaire pour notre objet d’étude, et, dans la mesure où la conceptualisation de ces sens se basait sur une distinction Nord/Suds, elle a constitué l’une des clés analytiques qui nous a permis de retracer et d’interpréter notamment les routes de transnationalisation de pratiques populaires et natives amérindiennes ; mais elle n’a pas été la seule. Dans une réflexion commune avec les autres axes du projet Relitrans, nous avons également considéré comme utiles les concepts de transnation ou de communauté imaginaire transnationale, qui permettaient de mesurer le rôle que jouaient les pratiques étudiées dans le travail imaginaire que continuent aujourd’hui de réaliser les sujets transterritoriaux et/ou transmigrants (voir par exemple Rodríguez, 2012 ; Mebiame Zomo, 2012) ou ceux qui sont traversés par les frontières dans les marges des États-nations [15].

31 En revanche, nous avons également voulu remettre en question le fait que cette opposition Nord / Suds enferme d’emblée les possibilités d’analyse et présuppose un cap dans le développement de la dynamique culturelle à laquelle la transnationalisation de pratiques religieuses participe. Une telle démarche met en relief le regard exotisant du « Nord » sur les « Suds » et sa capacité culturellement omnivore, au risque d’occulter d’autres dynamiques. En particulier, il nous apparaissait intéressant d’observer ces phénomènes dans toutes leurs occurrences : à l’échelle translocale d’abord, pour analyser la façon dont la cosmopolitisation des traditions populaires et natives amérindiennes alimente des formes de résistance culturelle rénovées (Gutiérrez Zúñiga & de la Torre, 2013) ; dans ses logiques marchandes (Guillot & Juárez Huet, 2012) ou de marketing relationnel (Luca, 2012) ; enfin, dans ses configurations réticulaires inédites incluant des ressortissants d’États-nations issus d’empires coloniaux distincts, comme nous pouvions l’observer très concrètement à partir des réseaux transnationaux de pratiquants de la religion des orisha, dont les acteurs nodaux les plus actifs aujourd’hui sont nigérians, cubains, argentins ou mexicains (Argyriadis & Capone, 2011), ou encore des stratégies entrepreneuriales charismatiques d’acteurs africains et latino-américains alliés pour mettre en œuvre des croisades d’évangélisation (Mottier & Oro, 2012). Au-delà d’une interprétation en termes d’échanges « Suds – Suds », nous avons donc exploré d’autres approches, en particulier celles d’« expérience sociale interconnectée » proposée par Basch, Glick Schiller et al., (1994) ou d’« idéoscape » proposée par Appadurai (1996), en considérant la possibilité d’un sentiment d’appartenance qui n’engendrerait pas nécessairement d’imaginaire communautaire, comme cela semble être le cas de certains réseaux transnationaux polycentrés de pratiquants (Argyriadis, 2012).

3. Au-delà d’une épistémologie imposée : la méthodologie collaborative ?

32 C’est alors que notre interaction était déjà bien avancée que nous avons senti que certaines des dynamiques culturelles que nous observions se vérifiaient dans notre propre réseau transnational de chercheurs, notamment dans le domaine bibliographique. Les membres africains et latino-américains de l’équipe étaient en effet, habitués à travailler les perspectives théoriques des auteurs ayant réussi à créer un langage commun dans les sciences sociales pour diagnostiquer notre époque, à travers les notions – intéressantes pour nous – de surmodernité, de globalisation, de transnationalisation, ou encore à travers des réflexions sur la reconfiguration contemporaines de la religion. Ces auteurs, reconnus dans le monde académique, sont issus des institutions de recherche européennes ou nord-américaines et, par conséquent, ne sont pas toujours traduits en castillan (et encore moins en langues d’Afrique de l’Ouest). À l’inverse, les suggestions bibliographiques émises par les chercheurs latino-américains se heurtaient au manque de circulation et de connaissance de ces travaux, eux-mêmes latino-américains (portant par exemple sur les notions de transculturation, d’hybridité et de métissage), rédigés en castillan et peu traduits en anglais ou en français, donc peu accessibles aux membres de l’équipe non hispanophones. Au-delà de la question de la langue, ces références étaient considérées comme moins prestigieuses dans le cadre de publications se voulant de portée internationale, lesquelles étaient prioritaires du point de vue des institutions finançant le projet, comme c’était le cas aussi bien en France qu’au Mexique. Ainsi notre équipe se trouvait contrainte par le travail considérable de « provincialisation » de la production européenne et nord-américaine, signalé par Peggy Levitt (2012) dans le champ des études transnationales.

33 Cristina Gutiérrez Zúñiga et Renée de la Torre considèrent aujourd’hui que cette expérience les a « situées », et leur a permis d’engager un exercice réflexif sur le fonctionnement de l’équipe, exercice qu’elles basent sur la connaissance des dynamiques des réseaux qui ont constitué notre objet d’étude. Ainsi, elles ont pris conscience d’être des sujets des « Suds » regardant vers le « Nord », positionnées de façon précise dans le réseau de chercheurs. C’est-à-dire, pour reprendre les catégories conçues dans le cadre du projet, restreintes au rôle d’actrices « axe », assumant une autorité à l’échelle locale : des spécialistes reconnues du changement religieux au Mexique, à l’origine d’un réseau national de chercheurs. Or, du fait de cette position pour ainsi dire structurelle, il leur était au départ difficile d’aspirer à devenir des actrices « nodales », c’est-à-dire à l’origine de connexions inédites à l’échelle transnationale et leur imprimant un sens particulier en s’appuyant sur des compétences multilingues et « multicodes ». Toutefois, cette position a également évolué parce que le fonctionnement de Relitrans était conçu comme un réseau polycentré de chercheurs, et non comme un réseau pyramidal : il induisait structurellement la possibilité d’une émergence continue de nouveaux acteurs « nodaux ». Elles ont pu, de fait, dans le prolongement de Relitrans et dans le cadre de leur propre financement Conacyt, développer et coordonner un programme de recherche sur les appropriations latino-américaines du new age, lequel incluait des chercheurs mexicains, français, argentins et brésiliens (de la Torre & Cristina Gutiérrez Zúñiga, 2013).

34 La méthodologie collaborative mise en pratique de façon transnationale (et non internationale) a permis, malgré toute les difficultés signalées au fil de ce texte, de réviser et de dépasser en partie les catégories imposées par la distinction Nord / Suds. Nous voudrions insister sur ces apports, reprenant en cela la posture critique de Boaventura de Sousa Santos évoquée plus haut, et montrer qu’il est possible dans une certaine mesure de réduire la distance non seulement géopolitique mais aussi épistémologique qui sépare un « Nord » (en ce cas précis la France) et des « Suds » (en particulier ici les pays à tradition anthropologique très ancienne comme le Brésil et le Mexique).

35 Le premier apport est sans conteste celui de l’élaboration de la méthodologie elle-même. Concrètement, le partage des données s’est effectué en plusieurs étapes (parfois parallèles) de coopération, dont l’une des plus originales a consisté en la réalisation d’ethnographies non seulement multisituées (comme l’avait proposé G. Marcus, 1995) mais également collectives. Les enquêtes ont été menées d’abord de façon classique (un seul « territoire » observé), puis amplifiées : il s’agissait de suivre les parcours des différents acteurs religieux, des entreprises missionnaires et des associations, des individus en recherche spirituelle, parfois enfin, des objets et des images. L’attention a également porté sur des rituels pratiqués simultanément ou de façon sérielle en différents lieux. Internet a été utilisé comme un terrain complémentaire, afin de reconstruire les circuits pratiqués et de tracer les réseaux d’individus et de groupes interconnectés entre eux par des liens virtuels. Les territoires supports des imaginaires communautaires transnationaux ont été cartographiés, ainsi que les routes de pèlerinage qui dessinaient les « paysages sacrés » ou sacredscapes (Appadurai, 1996). L’observation a aussi porté sur les événements clés qui faisaient converger et interagir en un même site « multi-pratiqué » (le « lieu nodal [16] » de Castells, 2006 : 446-448) des acteurs de différentes origines culturelles, nationales et religieuses. Enfin, nous sommes également « restés sur place » pour observer les répercussions de la transnationalisation sur une pratique donnée (Capone, 2010 : 251).

36 Cette expérience, assez éloignée de l’imaginaire de l’ethnologue solitaire ancré dans un territoire bien déterminé, se rapprochait en revanche de celle du navigateur virtuel surfant sur Internet et échangeant des données sur les réseaux sociaux. Nos objets évoluaient et continuent à évoluer très rapidement et les matériaux récoltés en équipe ont fini par atteindre un volume tel que nous sommes tous encore en train de les exploiter, trois ans après la clôture officielle de Relitrans. En ouvrant les frontières et en traversant les espaces, c’est donc le temps, et paradoxalement la distance, qui nous ont fait défaut. Pour ne pas nous perdre, il était donc capital de faire appel à une épistémologie originale (ni « Nord » ni « Sud », mais née de notre expérience transnationale de recherche sur des objets transnationaux) basée sur une double compétence méthodologique, qui impliquait, au-delà du paradoxe, de combiner et d’alterner la pratique ethnographique classique (habiter un lieu) avec la pratique ethnographique itinérante (transiter d’un lieu à un autre). Par la suite, mais par la suite seulement, pour consolider cette posture d’apparence contradictoire, nous avons convoqué une grande figure de l’anthropologie du « Nord » : James Clifford et sa notion de « résidence en voyage » (1997 : 1-13), elle-même inspirée des travaux d’un anthropologue indien travaillant sur le milieu rural égyptien (Gosh, 1983).

37 De façon à notre sens assez exceptionnelle, notre projet s’est inscrit en rupture avec la division du travail anthropologique sous forme de missions de terrain se dirigeant du « Nord » vers les « Suds » : tous les membres de l’équipe ont eu l’opportunité de réaliser des ethnographies transnationales et d’en comparer les résultats ; nous avons également combiné des missions de chercheurs « Suds » vers d’autres « Suds » à des missions de ces mêmes chercheurs vers divers « Nords ». Pour les chercheurs africains et latino-américains, cette expérience ethnographique profonde et fondatrice, que Pierre Clastres a qualifiée de « révolution copernicienne » (1974 : 23), a été une première, une quasi-rupture épistémologique dans leur pratique de recherche, riche en réflexions nouvelles, et pour les plus jeunes d’entre eux, une formation qui structurera sans doute leur démarche scientifique future. Ainsi, la compétence anthropologique basée sur un « habiter », laquelle était traditionnellement l’apanage dont pouvaient se prévaloir les chercheurs « Suds », et celle basée sur un « transiter » qui était plutôt le pré carré des chercheurs « Nord » ont été combinées par tous. Transiter en sens inverse sur des terrains étrangers, c’était aussi pour les chercheurs « Suds » décentrer et démonter les imaginaires, découvrir la complexité et la diversité du « Premier Monde », sujet lui aussi à d’innombrables stéréotypes et simplifications dans les pays anciennement colonisés par ce dernier [17].

38 La méthode collaborative devait idéalement se refléter dans la rédaction de nos analyses comparatives : nous voulions éviter de simplement juxtaposer les études de cas, en privilégiant l’écriture en binômes, de préférence entre chercheurs d’axes de recherche différents. Malgré le problème de la langue, une grande partie des chapitres de notre ouvrage collectif ont pu être élaborés entre chercheurs étudiant un même groupe ou un même processus depuis des positions différenciées (Guillot & Juárez Huet, de la Torre & Cristina Gutiérrez Zúñiga, Mottier & Oro, Fancello & Mary, Capone & Frigerio, 2012). Nous aurions souhaité faire de la première partie un texte à six auteurs, mais cette posture n’a finalement pas été retenue, au motif qu’elle risquait, du point de vue des normes de publication en vigueur au « Nord », de nous discréditer aux yeux de nos pairs. Cet exemple montre les limites de la méthode collaborative, qui se heurte à l’obstacle du droit d’auteur et de la propriété individuelle des données, des valeurs chères aux chercheurs en anthropologie et qui ne semblaient pas pouvoir être diluées dans une signature à plusieurs mains [18].

39 Malgré les difficultés évoquées plus haut, la mise en place de séminaires et réunions de travail bi-situés mais à peu près simultanés nous a permis d’instaurer de nouvelles formes de production des connaissances, à travers la révision commune de concepts qui ont permis de donner un horizon à notre analyse et d’anticiper l’écriture collective. Traduire pour l’une et l’autre équipe les comptes rendus de ces rencontres a été l’occasion de pointer certains décalages de sens et de susciter des débats réflexifs sur la non-évidence de nombreux implicites en sciences sociales, ou tout simplement de rendre partiellement accessibles à chacun les textes et les auteurs non traduits.

40 Le fait de parvenir à déconstruire ou à élargir – même timidement – certains concepts et théories générales à travers un dialogue constant et une analyse comparative des cas étudiés était important. Cela nous a permis d’approfondir notre connaissance de régimes d’historicité différents de celui de l’Occident et de reconnaître l’existence de « nations » ayant précédé le modèle modernisateur de l’État-nation européen (tel que décrit par B. Anderson, 1983). Nous avons pu aussi évoquer l’émergence d’anthropologies nationales, avec leurs développements spécifiques, antérieures à ce qui est considéré aujourd’hui comme l’anthropologie « universelle ». Comme l’a analysé A. Mary, le poids des institutions politiques ne doit pas occulter le pouvoir des imaginaires sociaux qui nourrissent les religions afin de recréer des « nations » spirituelles (Mary, 2012 : 136). Enfin, l’étude des religions ethno-nationales et de leurs projets de transnationalisation nous a permis de discerner à quel point les religions, loin de constituer un soubresaut du passé ou un obstacle à la modernité, sont au contraire l’un des locus où se génèrent aujourd’hui de nouvelles idéologies ou utopies d’accès au progrès.

41 Certains substantifs, ou « concepts », ont été dé-monopolisés dans ce processus réflexif, cessant ainsi d’être « la propriété de la pensée et de la connaissance bourgeoises, positionnés dans le cosmopolitanisme eurocentriste » (Sousa Santos, 2009). C’est le cas par exemple du substantif « globalisation », que nous avons fait le choix d’écarter, car il laissait de côté « la construction des rapports de pouvoirs et des inégalités qu’ils engendrent. Le terme ne permet pas de tenir compte, surtout, des différentes phases des dynamiques en présence : la phase de production de sens et de circulation globalisante d’abord, mais aussi la phase de réception et d’appropriation qui produit à son tour le sens de la relocalisation religieuse » (Argyriadis & de la Torre, 2012 : 14). Ce caractère totalisant du concept de globalisation éludait par ailleurs, la distinction entre les différents types de déplacements (forcés ou volontaires), neutralisait la question de la direction prise par les différents flux et naturalisait la polarisation qui institue les accès inégaux aux ressources et à la mobilité même (Pratt, 2006 : 10). Nous avons dès lors opté pour le substantif de transnationalisation, en tant que processus situé (Capone & Mary, 2012).

42 Nous n’avons sans doute pas réussi complètement à travailler à partir d’une « écologie des savoirs », comme y invite Boaventura de Sousa Santos (2009), mais nous nous en sommes du moins approchés à travers nos efforts de constante traduction linguistique et interculturelle. La prédominance des théories européennes et nord-américaines reste très marquée dans le champ académique, et il était difficile dans ce cadre d’introduire certains concepts qui pourtant ont une réelle légitimité dans leurs contextes culturels spécifiques, comme ceux de syncrétisme et de métissage, dont la charge historique charrie de lourdes tensions, alors que ceux de créolité et de bricolage, par exemple, sont plus utilisés par les spécialistes des cultures dites afro-américaines.

43 Le principal résultat de nos efforts communs a été la publication quasi simultanée de notre ouvrage collectif : en français sous le titre Religions transnationales des Suds. Afrique, Europe, Amériques, et en espagnol sous le titre En sentido contrario. Transnacionalización de religiones africanas y latinoamericanas. Ces deux versions du titre ont été sujettes à de longs débats à propos de la terminologie employée : pour les Mexicaines, l’usage de la catégorie « Suds » était inapproprié et même insultant ; au-delà du fait que le Mexique se trouve situé géographiquement en Amérique du Nord, il s’agissait là pour elles d’une notion idéologique qui ne disait pas son nom, insinuant l’existence d’un Nord global, moderne et modernisateur, face à une Afrique ou une Amérique latine attardées et prémodernes.

44 Dans cette ultime discussion, on voit bien que l’effacement des frontières qui délimitent l’accès à une pensée dialogique et plurielle est encore loin d’être une réalité. L’opposition « Nord / Suds » est restée prégnante malgré tous les efforts qui ont été entrepris par l’équipe de Relitrans pour s’en défaire. C’est d’ailleurs sa persistance qui nous a permis d’engager sa révision critique et de tenter d’imaginer des formes créatives de subversion – ou d’hybridation – de cette division.

Conclusions provisoires

45 Contrairement aux études sociologiques sur la globalisation culturelle et religieuse dont l’approche est souvent universalisante, notre recherche s’est située à partir de centres cosmopolites, tant du point de vue spatial que du point de vue des acteurs. Nous avons prêté une attention particulière aux trajets, circuits et réseaux générés depuis l’Afrique et l’Amérique latine. Cette posture de départ nous a conduits à analyser les particularismes des processus de transnationalisation propres à chaque groupe, communauté ou « nation » qui, progressant en sens inverse sur les routes historiques de la domination coloniale, en transformait profondément les polarités.

46 L’analyse des stratégies des agents religieux que nous avons étudiés nous a aidés à reformuler et repenser nos propres stratégies et modes opératoires dans le champ social transnational des sciences sociales. Ainsi, à l’instar des suggestions de l’appel à propositions Les Suds, aujourd’hui ou de celles d’E. Krotz (2011), il nous semble urgent de sortir l’anthropologie de l’axe centre-périphérie dont elle a encore du mal à se dégager. L’une des solutions, proposée par Peggy Levitt, est de « provincialiser l’Europe » (2012 : 2), ou encore de considérer la possibilité de l’émergence d’anthropologies « périphériques », en les sortant de leur « auto-nativisation » ou de leur « auto-exotisation » et en leur permettant de s’exprimer sur d’autres terrains que ceux de la collecte de données chez leurs propres « indigènes ». En d’autres termes, en rompant avec la position de sujets interprétés pour la remplacer par celle d’interprètes à part entière.

47 Dans cette perspective, le cofinancement du projet à parts égales a été capital – exceptionnel ? – pour permettre le décentrement et la bilocalisation de ses instances de décisions. Mais la possibilité donnée aux chercheurs gabonais et mexicains, dans le cadre de Relitrans, de faire des enquêtes de terrain en Europe et aux États-Unis a également marqué une étape cruciale : le défi a été relevé, ce qui n’aurait pas pu être le cas dans le cadre des structures classiques de financement de la recherche [19].

48 Reste néanmoins la question des statuts inégaux des savoirs et des concepts, que nous n’avons pas réussi à totalement dépasser. Trouver un langage commun, « universel », tout en tenant compte des conditions socio-historiques de production des idées, et donc en déconstruisant chaque tradition anthropologique nationale, n’est certainement pas possible à court terme. Les acteurs religieux « nodaux » que nous avons observés opèrent d’ailleurs sur un mode qui, certes, reconfigure les relations de pouvoir mais ne les élimine pas : maniant les langues et les codes des différents systèmes de sens et des mondes qu’ils traversent, ils ont souvent l’art de jouer des malentendus à leurs propres fins. Or c’est bien cela que nous voulions éviter. La publication de notre ouvrage collectif sous deux titres différents est d’ailleurs le reflet de nos contradictions mais aussi de nos convictions : une solution « salomonique » qui nous a permis de respecter l’autonomie et la posture théorique de chacune des parties.

Notes

  • [1]
    Ce texte ne prétend pas être le reflet de l’opinion de tous les membres de l’équipe qui ont participé à ce projet, mais uniquement celui de ses trois auteurs.
  • [2]
    Cet auteur critique le positionnement du savoir qui s’effectue autour du cosmopolitisme eurocentriste et appelle à reconnaître la possibilité de produire une connaissance légitime depuis différents lieux. Pour cela, il invite à remettre en question la croyance, ou l’idéologie, selon laquelle la connaissance occidentale n’aurait pas été produite – comme les autres – depuis un contexte particulier. En ce sens l’épistémologie « des Suds » requiert de déconstruire certains concepts et catégories universalisants qui occultent les conditions de leur production. C’est le cas par exemple du concept de religion, auquel nous ne nous sommes pas attaqués de front pour ce projet.
  • [3]
    C’est-à-dire des acteurs qui relient de façon dense plusieurs groupes, organisations et sous-réseaux de diverses natures (religieux, artistiques, politiques, d’échange marchand, etc.) et dont les rayons d’action se déploient sur plusieurs échelles géographiques et relationnelles. Abondamment médiatisés, n’hésitant pas à se présenter à la fois comme pratiquants, chercheurs, artistes et/ou militants ethniques ou politiques, ils possèdent les clés de tous les contextes dans lesquels ils évoluent, y compris le contexte transnational, et en manipulent avec facilité les codes essentiels. Leur fonction, leur compétence et leur objectif sont de créer des connections originales, dont la combinaison leur permet de soutenir leur propre projet religieux, identitaire et/ou culturel, en mettant à profit une situation d’intersection unique dont ils sont le moteur incontournable et qu’ils ont contribué à créer (voir à ce sujet Argyriadis, 2012 : 58-59).
  • [4]
    Rappelons que la laïcité de l’État mexicain est l’une des plus rigides au monde : elle a d’ailleurs inspiré le « modèle » laïc français. Par ailleurs, l’hégémonie de la pensée socialiste dans les sciences sociales mexicaines a longtemps contribué à reléguer la religion au rang de thème d’étude peu important.
  • [5]
    Le LESC (Université de Paris X Nanterre / CNRS), le CEIFR (EHESS / CNRS), l’UR 107 (IRD), le CIESAS et El Colegio de Jalisco (Mexique), l’Université Omar-Bongo (Gabon) et l’Universidade do Rio Grande do Sul (Brésil).
  • [6]
    Les réseaux transnationaux des religions afro-américaines ; les religions « amérindiennes » et leurs interactions avec les réseaux new age ; les entreprises missionnaires des prophétismes africains ou latino-américains à destination de l’Europe et des États-Unis.
  • [7]
    Nous n’évoquerons pas ici les complications comptables et les acrobaties gestionnaires que nous dûmes affronter avec cette configuration en sept lignes budgétaires distinctes, et ce alors que plusieurs parmi nous changèrent d’attache institutionnelle en cours de programme. C’est hélas une dérive chronophage aberrante qui résulte directement du financement de la recherche « sur projets » de courtes durées et au coup par coup. Pour une critique de ce fonctionnement du point de vue latino-américain, voir par exemple les travaux d’Esteban Krotz (2011).
  • [8]
    Consejo Nacional para la Ciencia y la Tecnologia : il s’agit de l’instance gouvernementale qui coordonne la recherche et finance la majorité des projets scientifiques au Mexique depuis 1970.
  • [9]
    Dans un premier temps, ces fiches étaient accessibles aux seuls membres de notre équipe. Elles sont désormais presque toutes consultables en ligne sur notre site.
  • [10]
    Laquelle constitue aujourd’hui, aux côtés des autres migrants latino-américains, près de 10 % de la population des États-Unis (United States Census Bureau, 2010).
  • [11]
    Par exemple les Kumeay (k’miai) paipai, les Kiliwa, les Cucapá, les Yoreme (yaqui) et les Pápagos (Tohonoo’tam), voir à ce propos Olmos Aguilera, 2008 : 45.
  • [12]
    Bien que la relation entre le Mexique et les États-Unis n’ait jamais été coloniale, il convient de souligner que la portion de territoire mexicain dont il est question a été appropriée durant la phase d’expansion territoriale impérialiste des États-Unis. Tout au long du vingtième siècle, une relation asymétrique a par ailleurs, prévalu entre les deux pays, à travers l’extraction des matières premières et l’utilisation d’une main d’œuvre mexicaine bon marché, dont une nouvelle modalité a été inaugurée lors de l’approbation du Traité de libre commerce en 1994 (TLC ou NAFTA).
  • [13]
    Renée de La Torre et Cristina Gutiérrez Zúñiga.
  • [14]
    Les autres modalités décrites par cet auteur sont le pan-indigénisme, la reglobalisation de religions séculairement globales et l’hybridation de leurs imaginaires avec ceux de la technologie et de l’économie mondiale.
  • [15]
    Nous nous référons à l’émergence d’imaginaires produits par « des communautés transnationales clivées, prises dans un mouvement de déterritorialisation et de reterritorialisation qui se nourrit du lien entretenu avec un lieu d’ancrage identitaire plus ou moins virtuel ou imaginé, a home to feel at home qui a sa version « en double » dans la société dite d’origine autant que dans la société d’accueil » (Capone & Mary, 2012 : 32).
  • [16]
    Autrement dit les lieux qui par leur qualité de référents symboliques d’un récit partagé deviennent les scènes privilégiées de la réalisation de rituels où convergent différents circuits de pratiquants.
  • [17]
    Par exemple, la découverte des procédés de publications en cours en France et en Belgique ont permis aux chercheuses mexicaines de relativiser le mythe de l’efficacité et de la rigidité éthique nord-européenne, et de revaloriser ou tout au moins de se permettre de comparer à pied d’égalité leurs propres procédés nationaux de publication.
  • [18]
    Notons à ce propos qu’il est tout à fait possible et même courant de signer des textes anthropologiques à plus de trois ou quatre mains dans d’autres « traditions » anthropologiques nationales, comme la cubaine par exemple. D’autres équipes françaises en ont fait récemment l’expérience réussie sans implosion postérieure ni dévalorisation particulière de la qualité des réflexions menées (voir par exemple Le Menestrel et al., 2012).
  • [19]
    Par exemple, l’IRD propose de nombreux formats de soutien financier aux chercheurs « Suds », mais dans la pratique il n’est pas possible de financer ainsi les terrains de ces derniers au « Nord » puisque l’IRD n’inclut pas ces terrains dans son domaine d’action.
Français

Ce texte propose une révision critique de la distinction Nord / Suds, c’est-à-dire des postures institutionnelles et épistémologiques qui ont servi de cadre à notre recherche. Le projet Transnationalisation religieuse des Suds : entre ethnicisation et universalisation (Relitrans), qui a réuni 22 chercheurs de 7 nationalités différentes, s’était donné pour objectif de mettre à l’épreuve une méthodologie qui comportait plusieurs éléments novateurs : la réalisation d’ethnographies multisituées, où les chercheurs des « Suds » ont pu mener des terrains au « Nord », suivant en cela une trajectoire opposée à celle de la colonisation et de la christianisation des populations africaines et américaines ; l’établissement d’une dynamique collaborative tentant de rompre avec la polarisation Nord / Suds et les spécialisations thématiques et nationales, en privilégiant les processus transversaux et non les objets spécifiques ; enfin, l’attention portée aux conséquences de la transnationalisation sur le décentrement de la production, de la circulation et de la validation des pratiques religieuses. Cependant, au cours de la recherche, nous nous sommes heurtés à des difficultés qui nous amènent aujourd’hui à formuler les questionnements suivants : de même que le sens colonial de l’histoire des religions continue de produire des effets sur les « sens contraires » de la transnationalisation religieuse contemporaine, dans quelle mesure la distinction Nord / Suds traverse-t-elle encore les catégories conceptuelles et les postures épistémologiques des chercheurs ? Le dialogue académique est-il capable de dépasser ou de recomposer ces signifiés ? Comment alors trouver un langage commun, un « polycentrisme » dans la production des connaissances, à l’instar des acteurs que nous avons observés ?

  • Épistémologie « des Suds »
  • partenariat scientifique
  • méthodologie collaborative
  • religion
  • transnationalisation
English

Itinaries and Postcolonial Meanings of Religious Transnationalisation (Relitrans)

We propose in this article to conduct a critical revision of the distinction between North and South: or, to put it another way, to compare the institutional and epistemological positions that provided a framework for our research. The project, Religious Transnationalization of the Souths: Between Ethnicizing and Universalizing (Transnacionalización religiosa de los Sures: entre la etnización y la universalización, Relitrans), which brought together 22 researchers from seven countries, aimed to test a methodology which included various innovative elements, such as the production of multi-situated ethnographies, in which students of “the Souths” could counduct their field work operations in the “North”, thus following a trajectory in the opposite direction to that taken by the colonization and Christianizing of African and American populations; to establish the dynamics of working together in an attempt to break with polarizations of the North and different types of South, and thematic and national specializations, preferring to emphasize transversal processes rather than specific objects; and finally, to direct attention towards the consequences of transnationalization on the decentralizing of production, and on the circulation and validation of religious practices. However, during our research we came up against difficulties deriving from the historical direction taken by colonialism, which, like the religions focused on, still produces effects on the “opposite directions” of transnationalization, and these difficulities now lead us to ask the following questions: to what extent does the distinction between the North and various Souths still permeate the conceptual categories and epistemological positions of our researchers? Is academic discourse capable of overcoming or recomposing these interpretations? And how are we to find a common language, a “multicentrism” in the production of knowledge, according to the example set by the actors we have observed?

  • Epistemology of “the Souths”
  • scientific co-operation
  • collaborative methodology
  • religion
  • transnationalization

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Kali Argyriadis
Chargé de recherches en anthropologie à l’IRD, UMR 8245 Urmis.
Renée de La Torre
Chercheure en anthropologie au Ciesas-Occidente de Guadalajara (Mexique).
Cristina Gutiérrez Zúñiga
Enseignante-chercheure en anthropologie au Colegio de Jalisco (Mexique).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 20/07/2016
https://doi.org/10.3917/rtm.hs02.0069
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