CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Étudier les transformations du secteur de l’électricité au Liban permet de se tenir à la croisée de plusieurs questionnements. Tout d’abord, il s’agit d’un des secteurs aujourd’hui concernés dans ce pays par la mise en œuvre de réformes d’inspiration libérale, à l’instar du Maroc ou de la Jordanie  [2] (MIRAS, LE TELLIER, 2005 ; TOMEIRA, 2008). L’électricité est par ailleurs un enjeu clé dans la crise financière du Liban, alors que le pays est traversé par de violentes tensions. L’endettement de l’Électricité du Liban (EDL) représente en effet près du tiers de la dette totale contractée par le Liban, qui équivaut, fin 2007, à deux fois le PIB. L’EDL, un établissement public en position de quasi-monopole, est confronté à de multiples problèmes : il connaît de multiples dysfonctionnements techniques causés par la guerre civile et les bombardements israéliens répétés jusqu’à 2006, que symbolise le rationnement persistant. Une gestion chaotique n’a pas permis de les résoudre. Des projets de réforme, préconisant une privatisation, sont discutés.

2 Sans méconnaître la complexité du problème, nous proposons de lire cette crise comme le résultat de tensions entre deux logiques de territorialisation, entendues à la manière de R. SACK reprise par Sylvy JAGLIN, c’est-à-dire comme « un processus de délimitation et d’encadrement d’une portion d’espace par une autorité organisée à des fins de contrôle sur les personnes, les ressources, les relations » (JAGLIN, 2005, p. 12). Une première logique de territorialisation est celle de l’État, historiquement soucieux d’utiliser l’EDL comme un instrument de construction nationale, d’aménagement du territoire et de développement économique, notamment grâce aux solidarités sociales et territoriales engendrées par l’extension du réseau. La fragmentation politique et confessionnelle issue de la guerre libanaise a été analysée comme un processus de territorialisation concurrent (BEYHUM, 1994). La consolidation de territoires locaux contrôlés par des forces issues des reconfigurations de pouvoir durant la guerre civile s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui (voir le cas exemplaire du Hezbollah : HARB, 2003).

3 La gestion du rationnement de l’alimentation électrique se traduit par de fortes inégalités régionales. La géographie des fraudes et du non-paiement renvoie à une opposition centre-périphérie qui montre la force des régulations sociopolitiques localisées. Notre hypothèse est que la dimension spatiale de la crise de l’électricité reflète en partie ces logiques de territorialisation en concurrence. De plus, dans le contexte préparatoire à la réforme de l’EDL, un nouveau schéma de régulation sectorielle a été expérimenté. Il repose notamment sur une nouvelle organisation spatiale de la collecte et sur une délégation partielle des tâches de collecte et de contrôle à des acteurs privés. Nous questionnons cette tentative de réorganisation à la lumière des logiques territoriales mises en évidence  [3].

I – DE L’EMBLÈME DE LA CONSTRUCTION DE L’ÉTAT AU SYMBOLE DE SA CRISE

1 – L’électrification du pays comme outil de la construction nationale

4 La production et la distribution de l’électricité ont été assumées, depuis la dernière décennie de l’Empire ottoman jusqu’au milieu des années cinquante, par des opérateurs privés, détenteurs de concessions à l’échelle des villes ou de bassins versants (THOBIE, 2002). L’État a réformé le système en créant en 1953 l’Office de l’électricité du Liban qui devint ultérieurement l’Électricité du Liban (EDL), une entreprise publique sous tutelle du ministère de l’Énergie, détentrice du monopole de la production [4] et du transport. Dans la distribution, deux concessions issues de l’ancienne organisation perdurent, à Jbeil et à Zahleh. D’autres concessions, passées sous contrôle de l’EDL, comme la Qadisha, conservent aussi une spécificité juridique. Au total, l’EDL gère directement 90 % des abonnés à l’électricité (CDR, 2002, p. 3).

5 L’étatisation de l’essentiel du secteur de l’électricité a été un élément majeur de la politique de développement et de construction nationale, en particulier durant la présidence de Fouad CHEHAB (1958-1964). L’extension du réseau électrique hors des villes a représenté l’un des volets les plus visibles et les plus efficaces de la politique d’intégration des zones rurales et des périphéries du pays. Sur environ 1 600 villages et hameaux au total que compte le pays, 500 seulement étaient raccordés au réseau en 1962. Douze ans plus tard, seuls 50 n’étaient toujours pas électrifiés (SANLAVILLE, 1965 ; DAGHER 1995, p. 199). L’unification du tarif de l’électricité contribua à l’intégration sociale et au développement économique. Pour les ménages, une tarification progressive permit une péréquation entre petits et gros consommateurs et donc une forme de redistribution. En outre, en imposant des tarifs électriques homogènes et meilleur marché qu’au temps des concessions, le gouvernement apporta une impulsion décisive au développement industriel.

6 Ces réalisations spectaculaires (même si l’universalisation n’était pas totale, notamment dans certains secteurs pauvres de Beyrouth) n’ont pas résisté aux bouleversements politiques et sociaux causés par la guerre civile.

2 – La crise de l’alimentation électrique, symbole de la faillite de l’État durant la guerre

7 Les bouleversements politiques de la période de guerre ont entraîné une reconfiguration spatiale et sociale du pays. Les milices ont procédé à des actions de purification confessionnelle des régions qu’elles contrôlaient. De véritables chassés-croisés de population ont largement simplifié la mosaïque confessionnelle préexistante. Globalement, les deux tiers des ménages ont changé, au moins temporairement, de résidence. À la sortie de la guerre, un tiers d’entre eux n’avaient pas regagné leurs anciens domiciles. L’urbanisation a fortement augmenté. L’homogénéisation confessionnelle s’articule avec des différenciations sociales, sensibles en particulier à travers l’émergence et le gonflement de secteurs illégaux ou en marge à des titres divers (dont les camps palestiniens) où la question de l’accès à l’électricité et plus largement aux services urbains se pose de manière dramatique.

8 Ces mouvements de population très rapides et le contexte de guerre ont eu plusieurs conséquences sur la distribution d’électricité (AWADA, 1988). Certaines milices eurent recours à des coupures de courant comme instrument de pression. D’autre part, l’EDL n’a pas adapté son réseau à la nouvelle répartition de la population, faute d’infrastructures adaptées à la fourniture de la puissance requise dans les régions en fort développement. En cas d’occupation illégale, les réfugiés ne pouvaient légalement bénéficier d’un raccordement au réseau, car l’installation d’un compteur est conditionnée par la présentation d’un titre d’occupation régulier. Toutefois, plusieurs décisions ministérielles, après 1982, ont autorisé les connexions provisoires au réseau électrique, régulées par la pose d’un disjoncteur, en contrepartie du paiement d’une somme forfaitaire et d’une régularisation dans un délai d’une ou deux années (FAWAZ, 2004, p. 159-163). D’un épisode de la guerre à l’autre, ces décisions ont été prolongées. Mais l’amélioration de la collecte attendue de cette régularisation de facto est restée limitée.

9 L’incapacité ou le refus d’équiper les nouvelles zones urbaines et globalement, la quasi-disparition de l’autorité de l’État ont entraîné le développement d’une fraude massive. Le piratage des lignes électriques s’effectue alors surtout par accrochage illégal sur le réseau. En 1985, le montant total des pertes non-techniques se montait à 36 % de la consommation. Si, dans certaines régions, la fraude s’explique par l’impossibilité légale ou de facto d’être raccordé au réseau, et est dans ce cas encouragée par les milices, dans d’autres régions, les abonnés profitent de la faillite de l’État pour installer des branchements frauduleux. Le non-paiement des factures est une autre manifestation du dysfonctionnement étatique, durement ressenti par l’opérateur dont les recettes diminuées ne lui permettaient plus de faire face à l’entretien, sans parler des investissements nécessaires. Le développement de la consommation frauduleuse et les pratiques de piratage ont eu pour conséquence de dégrader encore un réseau mal entretenu et d’augmenter les pannes, en raison de surtensions. Les coupures quotidiennes pouvaient atteindre 18 heures/jour. Ces défaillances expliquent le développement d’un secteur privé informel d’alimentation électrique, à l’échelle individuelle, de l’immeuble ou du quartier (AWADA, 1988 ; DAVIE, 1991).

10 La guerre a donné un coup d’arrêt à la logique d’intégration et de solidarité que matérialisait le réseau, par l’exclusion de certaines catégories de population et secteurs urbains, et par le développement d’une consommation gratuite de certaines catégories et régions - pas exactement les mêmes - supportés par l’ensemble des abonnés.

II – LA RECONSTRUCTION INACHEVÉE DU SECTEUR DE L’ÉLECTRICITÉ

1 – Une lente reconstruction physique

11 L’électricité – et plus globalement, le secteur des infrastructures de base telles que l’eau et le téléphone – a bénéficié d’investissements élevés durant la reconstruction. Sur environ 6 milliards de dollars investis entre 1992 et 2004, l’électricité a représenté une part de 19,7 %. Ces investissements ont été surtout concentrés dans les premières années. Ils ont principalement porté sur la réhabilitation des centrales existantes et sur la construction de nouvelles unités de production. Le réseau a représenté un second volet important.

12 Ces efforts ont partiellement porté leurs fruits. Certes, la production d’électricité a enregistré une forte hausse depuis la fin de la guerre. Mais ce rétablissement a été entravé à plusieurs reprises par des bombardements israéliens répétés sur des centrales ou des relais électriques, en particulier à proximité de la capitale, près de Tripoli ou dans la Békaa durant la période 1996-2000 et de nouveau en 2006. Ces dégâts et la vétusté des centrales existantes limitent la capacité de production à 1500 MW pour une demande estimée à 2300 MW. Divers projets de modernisation des centrales (passage au gaz), d’importation d’énergie depuis les pays voisins sont suspendus aux aléas de la coopération avec ces derniers, notamment la Syrie (VERDEIL, 2008).

13 Mais la géopolitique régionale n’est pas seule en cause. En témoigne l’inachèvement en 2008 de la boucle du réseau haute tension, élément stabilisateur essentiel du système, destiné à garantir la distribution de l’énergie en cas de panne sur un segment du réseau ou dans une unité de production. L’occupation syrienne jusqu’en 2005 et diverses oppositions locales expliquent ce retard et soulignent la difficulté de l’État à imposer son autorité sur tout le territoire durant cette période.

2 – Une gestion calamiteuse

14 Ces problèmes s’expliquent aussi par une gestion calamiteuse de l’entreprise. Sa manifestation la plus criante est le déficit chronique de l’EDL. Les avances du Trésor à l’EDL, destinées à combler son déficit, augmentent fortement : de 275 millions de dollars en 2003, elles sont montées à 1 milliard de dollars en 2007. Au total, sur la période 1993-2006, les transferts atteignent 3,8 milliards de dollars, mais les intérêts cumulés représentent 7,5 milliards de dollars  [5]. Ce déficit pèse lourdement sur la dette de l’État, qui atteint elle-même des records avec le chiffre de 42 milliards de dollars fin 2007 (180 % du PIB). Ces chiffres énormes soulignent l’enjeu considérable de la réforme du secteur.

15 La hausse dramatique des prix du pétrole depuis 2000 est la cause principale de ce déficit accru. Les tarifs, qui avaient été relevés en 1994 après la guerre civile, n’ont pas été réajustés depuis, malgré la flambée des prix des dernières années. Ce problème du coût des combustibles est aggravé par divers scandales liés aux importations de carburant qui en renchérissent le coût  [6]. À cela s’ajoute le retard dans le passage au gaz, qui permettrait d’importantes économies.

16 Si la fragilité de l’entreprise s’explique en premier lieu par sa dépendance aux importations, plusieurs facteurs liés à sa gestion l’accentuent. Tout d’abord, le service rendu demeure très insuffisant. Il n’a toujours pas été mis fin au rationnement. En 2004, EDL a fourni en moyenne 22 heures de courant par jour. En 2006, la guerre avec Israël a conduit à un brusque recul. Des crises régulières, notamment à l’occasion des pics de consommation d’été ou d’hiver, perturbent la distribution. Elles sont liées à des problèmes d’approvisionnement en combustible ou à des défauts de paiement par EDL (les deux étant souvent liés) ainsi qu’à des pannes ou des réparations d’urgence dans les unités de production très vétustes.

17 Par ailleurs, les pertes techniques, élevées au regard des normes internationales (15% en 2004, au lieu de 3-4%), ainsi que les pertes non-techniques, autrement dit le piratage, estimées à 26 % de la production en 2004, représentent également un manque à gagner considérable. Ces dernières se sont certes réduites depuis la fin de la guerre, puisqu’elles se montaient en 1994 à 50 % (BADELT, YEHIA, 2000) mais depuis 2005, la fraude semble repartir de plus belle (cf. infra). Le mauvais recouvrement des factures, qui atteint en moyenne 56% en 2004, constitue une autre source de manque à gagner. Au total, les recettes de la société couvrent seulement 40 % de ses dépenses  [7].

18 Quant à la gestion du personnel, elle semble traduire une volonté implicite de sabordage. En effet, alors qu’EDL comptait environ 5000 employés en 1992, elle n’en compte en 2005 guère plus de 2000. En 2004, la moyenne d’âge du personnel est de 59 ans, et les deux tiers du personnel ont plus de 50 ans. Le départ à la retraite des employés expérimentés n’est pas compensé par de nouvelles embauches, à l’exception de quelques dizaines de jeunes techniciens et ingénieurs fin 2005, ce qui implique une perte de savoir-faire. La pérennité de l’entreprise n’est assurée que par 2000 journaliers environ  [8]. Le grand nombre de journaliers suggère qu’EDL constitue une ressource clientéliste pour des politiciens influents dans différentes régions du pays. Par ailleurs, les prestations d’entretien sous-traitées à des entreprises privées ont donné lieu également à des scandales en raison de détournement au profit de politiciens pro-syriens  [9].

19 Un dernier élément à évoquer est le maintien du secteur opaque des générateurs. En 2004, selon l’Administration centrale des statistiques, 38 % de la population y aurait recours, sous la forme d’un abonnement ou d’un générateur personnel ou collectif. Le poids économique du secteur et sa participation à la fourniture de courant sont difficiles à évaluer, d’autant plus qu’il prend diverses formes allant de l’autoproduction à l’échelle d’une entreprise ou d’un immeuble, voire d’un ménage, à de petites centrales de quartiers  [10]. Ces dernières n’ont pas d’existence légale et apparaissent parfois liées à des pratiques mafieuses ou au contrôle milicien. Elles sont toutefois tolérées par le gouvernement qui envisage même d’encadrer les évolutions parfois abusives de leur tarification (GABILLET, 2008).

III – L’ÉLECTRICITÉ ET LA FRAGMENTATION SOCIALE, TERRITORIALE ET CONFESSIONNELLE

20 La gestion de l’électricité illustre les entraves auxquelles se heurte l’État pour la restauration d’un service public essentiel à la population. La question de l’accès de la population à l’électricité représente un enjeu économique et social majeur. Les stratégies d’adaptation des individus, des groupes sociaux et des entreprises, et les tentatives de régulation de cette crise par l’État et EDL, contribuent à l’exacerbation des clivages socio-économiques mais aussi territoriaux.

1 – Le coût économique et social de l’inefficacité du secteur électrique

21 L’équipement électro-ménager des ménages montre que l’accès à l’électricité est devenu au Liban une nécessité incontournable de la vie quotidienne, contrairement à d’autres pays, plus pauvres. Ainsi, en 2004, 98,7 % des ménages possèdent un réfrigérateur, 97 % ont la télévision, 94 % utilisent un fer à repasser. L’accès à l’électricité gratuite, par la fraude ou le non-paiement, a accéléré l’équipement des ménages et a paradoxalement habitué la population, malgré le rationnement, à une consommation électrique sans frein. Cela rend d’autant plus douloureux le renchérissement du coût de l’électricité, qui ne résulte pas de la hausse du tarif mais de la réduction de la fraude et du rationnement. Surtout qu’à la facture mensuelle continue de s’ajouter pour une large part des ménages l’abonnement au générateur (qui consiste en un forfait pour un ampérage limité). Ainsi, en moyenne, les ménages libanais paient mensuellement 37 dollars pour leur facture EDL et 19 dollars pour le générateur, soit 13% du revenu. Cette proportion monte à 17 % pour les ménages les plus pauvres (moins de 250 dollars mensuel) et 8,5 % pour les plus aisés (plus de 2000 dollars mensuel) (Corail, ICEA, IPSOS, 2004). Or, ce renchérissement intervient dans un contexte social marqué par une accentuation des contrastes sociaux et la paupérisation de la population. En 2002, 42 % des ménages résidents vivaient sous le seuil de pauvreté relative et 7% sous le seuil de pauvreté absolue (KOCHUYT, 2004). La situation empire depuis la guerre de 2006.

22 Seule une partie de la population peut envisager de supporter le coût d’un abonnement à un générateur, les plus pauvres devant souvent renoncer à cet élément de confort. Or, on observe l’apparition de nouveaux complexes résidentiels fermés, qui généralisent la formule des chalets balnéaires transformés en résidence permanente durant la guerre. Ces nouveaux produits immobiliers de luxe vendent notamment une garantie de fonctionnement de services comme l’électricité, grâce à l’installation de générateurs locaux fournissant les copropriétaires en cas de défaillance du réseau (GLAZSE, 2003). La qualité de ces offres substitutives privées contraste avec l’accès restreint au service d’une partie importante de la population. La reconfiguration des services urbains accentue les écarts sociaux.

23 En outre, les perturbations de l’alimentation électrique et son coût relatif, ainsi que les charges supplémentaires résultant de la nécessité de sources d’énergie alternative, sont dénoncées par les représentants des entreprises, en particulier dans l’industrie et l’hôtellerie. Ils considèrent que la compétitivité des entreprises libanaises subit de ce fait un lourd préjudice pour l’exportation et mettent en avant des coûts moyens moins élevés dans les pays voisins  [11]. L’activité économique locale, et donc l’emploi, pâtissent de cette situation.

2 – L’alimentation électrique comme élément de différenciation territoriale

24 Les conditions d’accès à l’électricité accentuent la polarisation sociale au sein de la société libanaise sur des bases socio-économiques. Mais la différenciation d’accès à l’électricité revêt également une dimension territoriale centre/ périphérie que l’on retrouve avec des nuances dans la fraude. Cette division géographique produite par une régulation politique s’articule étroitement à la territorialisation du politique au Liban.

25 Une première différenciation majeure concerne le rationnement : selon les chiffres moyens de 2004, il est très limité à Beyrouth (intra muros) où les délestages sont rares. En revanche, dans les autres régions du pays, ils sont quotidiens et peuvent atteindre en moyenne plus de 4 heures par jour (cf. tableau 1). De surcroît, une observation plus fine, à l’échelle quotidienne et saisonnière, fait apparaître des crises régulières, notamment durant les pics de consommation en début et fin d’été et en hiver, pendant lesquelles la demande trop forte par rapport aux capacités de production peut entraîner dans certaines régions des délestages atteignant plus de 10 heures par jour. Dans ces cas, Beyrouth est par contre presque toujours assurée d’une alimentation permanente. La priorité donnée à la capitale obéit à des motivations probablement complexes  [12]. Le fait est qu’elle bénéficie à la partie de la population déjà la plus favorisée. Depuis la guerre de 2006 avec Israël, le rationnement s’est accentué, y compris à Beyrouth. Mais la pénurie demeure inégalement distribuée et c’est hors de Beyrouth qu’elle reste la plus pénible (tableau 1). Cette différenciation géographique en faveur de la capitale résulte d’une régulation politique, et non technique. D’autres faits mettant en jeu la régulation politique de l’électricité doivent être pris en compte pour tenter de comprendre les enjeux politiques et sociaux qui y sont attachés.

Tableau 1

Alimentation électrique par région au Liban (nombre d’heures par jour)

Période de
référence
Beyrouth Banlieues
de Beyrouth
Reste
Mont
Liban
Liban Sud
sauf
Marjayoun
Békaa Sud,
Zahlé,
Anjar,
Marjeyoun
Békaa
nord et
banlieues
de Zahlé
Nord
1
Nord
2
Antélias Chiyah
Situation
moyenne
en 2004
23,83 21,71 21,32 21,09 19,74 20,43 20,3 22 20,38
Situation
en janvier
2008
21,25 16,25 14,75 15 15,75 15 15,25 16,75 16,5

Alimentation électrique par région au Liban (nombre d’heures par jour)



Nord 1 : Tripoli Chekka Ehden Bécharré, Koura et Zghorta (part.) ;
Nord 2 : Akkar, Denniyé, Minié, Zghorta (part.), Batroun
EDL pour 2004, L’Orient-Le Jour pour 2008.

3 – La fraude et le non-paiement, expression de la fragmentation politico-confessionnelle

26 L’examen de la fraude et du non-paiement fait également apparaître des différenciations territoriales, qu’on peut observer à plusieurs échelles. L’identification de la répartition nationale de la fraude n’est pas aisée pour des raisons techniques, tous les postes de transformation moyenne tension/basse tension n’étant pas équipés de compteurs qui permettraient d’évaluer la différence entre l’électricité entrant dans le réseau et celle facturée aux abonnés. Les données sur le gaspillage, regroupant pertes et non-paiement, ne sont disponibles qu’à un niveau géographique grossier.

Tableau 2

Taux de « vol » du courant par région (factures non payées et consommation non-facturée)

Beyrouth Mont
Liban
Nord
Békaa-
Sud
Mont-
Liban
Sud
Liban-
Sud
Liban-
Nord
Békaa-
Nord
Békaa-
Centre
12,1 % 40,1 % 45,6 % 49,6 % 56 % 60,7 % 67,2 % 69,1 %

Taux de « vol » du courant par région (factures non payées et consommation non-facturée)



EDL, août 2003, cité par el Mufti, 2005.

27 Un premier constat élémentaire permet d’opposer nettement les régions périphériques à la capitale. Le Sud, le Nord et la Békaa sont particulièrement concernés par la fraude et le non-paiement. Les statistiques détaillées sur la collecte des factures le confirment : les chiffres par circonscriptions de service font apparaître pour l’année 2001 des contrastes plus fins : 7 % de factures payées à Marjayoun au sud, 35 % à Ehden (Liban nord), 44 % à Tyr (sud)  [13]. Le Sud est une région périphérique d’où l’État a été longtemps absent, a fortiori pendant la guerre. Une culture de l’électricité gratuite s’est ancrée à la fois en signe de défiance et de protestation contre cet absentéisme et en raison des exemptions de paiement organisé par l’État lui-même au nom de la solidarité envers les déplacés et les régions occupées par Israël. Dans la Békaa, où la pauvreté n’est pas moins grande, la méfiance à l’égard de l’État se conjugue avec l’ordre syrien. Les troupes d’occupation se raccordaient gratuitement au réseau, la population, éventuellement encouragée par les forces locales, aussi. Le montant élevé du non-paiement dans la région chrétienne de Ehden, dont le leader Sleimane FRANJIEH est politiquement proche de la Syrie, montre sans doute aussi que ces pratiques sont liées au poids de notables disposant d’une envergure politique nationale qui font de la distribution gratuite de l’électricité à leurs clients une source de leur légitimité.

28 Toutefois, il convient de se garder d’une explication trop simple. D’une part, les retards de paiement voire le non-paiement résultent pour une part non négligeable des sommes impayées des administrations étatiques (16 % en 2000), des concessions et de l’Électricité de Qadisha (respectivement 13 et 12 %)  [14] : même si les relations financières entre les différentes entités de l’État et entre l’EDL et les autres acteurs du secteur électrique renvoient dans certains cas à des conflits en termes de sphères d’influence partisanes et confessionnelles  [15], on ne peut attribuer tous les défauts de paiement à la fragmentation politico-territoriale du pays.

29 D’autre part, la région centrale, en particulier dans les banlieues de Beyrouth, et notamment la banlieue sud majoritairement chiite, est souvent désignée comme le haut lieu du vol de courant, à cause du caractère non réglementaire d’une large partie du secteur et de son allégeance aux partis Hezbollah et Amal. Les statistiques disponibles invitent toutefois à nuancer cette idée. En 2004, le taux de collecte dans le secteur de Chiyah (banlieue sud à dominance chiite de Beyrouth) se monte à 95 %, proche de celui de Antélias, à 97 % (banlieue nord chrétienne). Si ces scores témoignent d’une récente amélioration  [16], ils montrent aussi que la fraude est mieux partagée qu’on ne l’admet ordinairement : elle est (était) loin d’être négligeable en banlieue nord, où elle concerne notamment des entreprises de taille respectable : une pâtisserie industrielle, un centre de loisirs appartenant à un député, etc. Si la situation de la banlieue sud renvoie à une conjugaison de pauvreté, d’absence de l’État et de pouvoirs locaux forts, et relève de la même problématique que pour d’autres régions déshéritées, en revanche, le cas de la banlieue nord révèle une fraude de riches tolérée par l’administration.

30 Ainsi, la différenciation géographique dans la fraude et le non-paiement renvoie largement à l’organisation sociopolitique, et notamment territoriale, du pays : elle est particulièrement forte dans certaines régions où l’État ne parvient pas à établir son autorité (mais non dans toutes). D’autre part, elle ne peut relever seulement d’une lecture en termes de conditions de vie, et ne concerne pas uniquement les régions et les populations pauvres. Il reste alors à comprendre les mutations récentes de cette régulation, en lien avec les tentatives de réforme.

IV – LES CONTOURS INDÉCIS DE LA RÉFORME

1 – Vers une privatisation ?

31 La réforme du secteur électrique est depuis 2002 présentée comme un élément essentiel de toute politique de redressement économique du pays, ce qui a été réaffirmé par la Banque mondiale et les principaux bailleurs de fonds lors de la conférence de Paris III en janvier 2007. En 2001, un cadre issu du secteur privé, diplômé d’HEC et titulaire d’un MBA de Harvard, Kamal HAYEK, a été nommé directeur général de l’EDL. La loi 246 de 2002 a prévu la privatisation d’EDL. En 2003-2004, le ministre de l’Énergie et de l’eau, Maurice SEHNAOUI, a mis en place une commission chargée d’étudier la privatisation du secteur. Plusieurs axes ont été identifiés : la construction de nouvelles centrales, le développement de centrales au gaz et une modernisation des infrastructures de transport et de distribution, notamment la mise en place d’un dispatching automatique. Sur le plan des approvisionnements, la recherche de fournisseurs à meilleur marché est préconisée, ainsi que le passage au gaz. Par ailleurs, l’amélioration du management devrait passer par une corporatisation de l’entreprise, par la mise en place d’un conseil d’administration avec une majorité de représentants du secteur privé et la signature d’un contrat de management ayant pour objectif de ramener l’entreprise à un niveau de performance satisfaisant en vue d’une privatisation, notamment par une amélioration de la collecte et une limitation de la fraude. La cession au privé de certains métiers, notamment la production et la création de nouvelles unités de production en BOT, est envisagée. Pour la distribution, le schéma envisagé est flou, mais l’idée d’une délégation du recouvrement de la collecte est évoquée.

32 La perspective de la privatisation a divisé la classe politique selon un clivage qui ne se réduit ni à l’opposition entre le président de la République LAHOUD et le président du Conseil HARIRI avant 2004, ni au face à face entre la majorité dite du 14 mars et l’opposition depuis les élections de mai 2005. Par exemple, le Hezbollah, dont était issu Mohamed FNEICH, ministre de l’Eau et de l’énergie entre 2005 et novembre 2006, ne l’a pas remise en cause  [17]. Toutefois, la guerre d’Israël au Liban durant l’été 2006, puis la paralysie gouvernementale suite au retrait des ministres Hezbollah (dont M. FNEICH), AMAL et pro-LAHOUD du gouvernement en novembre 2006 ont depuis lors pratiquement bloqué toute évolution. Les réformes économiques font l’objet d’une divergence d’objectifs dans un contexte de tensions renouvelées.

2 – Les enjeux territoriaux de la réforme de la distribution

33 En ce qui concerne la distribution, la situation est plus confuse encore. Toutefois, la croissance de la dette d’EDL et les velléités de privatiser cette entreprise ont conduit à l’affirmation d’une politique plus agressive à l’égard de la fraude et du non-paiement, en s’appuyant pour cela, entre 2002 et 2005, sur des entreprises privées.

34 L’EDL a eu recours à plusieurs mécanismes juridiques distincts selon les régions. Dans les deux da’iras de Antelias et Chiyah, correspondant aux banlieues nord et sud de Beyrouth, l’EDL a confié à EDF un contrat d’assistance pour la relève des index, le suivi des impayés, le raccordement au réseau des nouveaux abonnés et la lutte contre la fraude. L’entreprise française est présente de longue date au Liban, au titre du protocole français d’assistance économique, dans les domaines de la production et du transport. Ce contrat, conçu comme pilote, avait vocation à introduire de nouvelles méthodes dans la collecte et la lutte contre la fraude. Il ne prévoyait pas d’intéressement aux résultats pour EDF. Dans les faits, une équipe d’ingénieurs d’EDF a dirigé les opérations réalisées par des sous-traitants libanais. Le contrat, signé en 2001, a été interrompu à l’été 2005. À Beyrouth intra-muros, la firme libanaise Khatib wa Alami assistait EDL grâce à une nouvelle méthode de détection des fraudes à distance au moyen d’un SIG. Dans les autres régions, les tâches de relève des index et de suivi des impayés ont été confiées à des entreprises locales, sans spécialisation dans le secteur d’activité, selon des contrats prévoyant un intéressement aux résultats (montants des index et perception des factures). Le travail de ces sous-traitants régionaux était super-visé par deux entreprises de contrôle, l’allemande TÜV pour les régions sud et le Mont Liban et la filiale libanaise de la société française APAVE pour le nord et la Békaa. Ce dispositif de sous-traitance comme la présence de sociétés internationales, dont le géant EDF, peut s’interpréter comme une expérimentation limitée, dans un secteur stratégique, en vue d’une délégation de services plus poussée à des prestataires privés.

35 Cette politique est l’occasion d’observer comment la réforme du secteur s’accommode de rapports de force territorialisés qui pèsent fortement sur la régulation du secteur.

3 – Gagnants et perdants de la réforme de la distribution

36 Les résultats obtenus dans la réduction de la fraude et l’amélioration de la perception des factures sont très variables d’une zone à l’autre. Dans les banlieues de Beyrouth, la situation s’est nettement redressée pendant la période concernée. Le taux d’encaissement naturel (le paiement au passage du collecteur) est passé entre 2000 et 2004 de 80 % à 97 % et la consommation facturée a augmenté de 50 %, ce qui est un signe de la réduction de la fraude. D’ailleurs, entre 2002 et 2004, le nombre de PV dressés est passé de 12 500 par an à 25 000. Dans le même temps, le nombre de branchements illicites a chuté de 60 %  [18]. À Beyrouth même, l’action de Khatib wa Alami a permis une réduction des pertes non-techniques au niveau de 8 % en 2004 (contre 23 à 26 % estimée au niveau national).

37 En revanche, dans les régions périphériques, le bilan est beaucoup moins satisfaisant. Faute d’informations précises, nous citons des chiffres partiels. Entre 2003 et 2005, l’encaissement pour les régions périphériques aurait diminué de 10%. Dans la Békaa, les chiffres communiqués [19] montrent, pour l’année 2004-2005, une augmentation du taux global de pertes non-techniques de 43 à 55 %, et des niveaux de perception des factures distincts selon les régions : le Nord se situe toujours sous le seuil de 80 % d’encaissement alors que la Békaa Ouest oscille autour de 90 % et la partie centrale atteint les 93-94 %. Dans le Nord, les régions de Batroun et du Akkar dépassent les 90%, mais celle de Tripoli-Zghorta se situe en moyenne autour de 80 %, avec une tendance orientée à la baisse. Dans le détail, les régions d’Ehden et de Zghorta connaissent une dégradation particulièrement nette de leur ratio de paiement, avec des taux qui atteignent en juillet-août 2005, moins de 50 % d’encaissement des factures.

38 Ces tendances contradictoires sont difficiles à interpréter, faute de recul et de suivi sur une durée plus longue. Les sanctions apparaissent beaucoup plus importantes dans les banlieues de Beyrouth. Elles visent là aussi bien les ménages pauvres que la fraude d’envergure de gros consommateurs, ménages ou entreprises. Ce résultat doit beaucoup aux méthodes « commando » mises en œuvre par EDF, avec l’appui de la puissance publique et, semble-t-il, l’accord des autorités locales, y compris le Hezbollah dans les secteurs où il était concerné  [20]. Mais ce succès apparent et fragile  [21] n’a été que de courte durée, puisque le contrat d’EDF a alors été cassé en juillet 2005 pour des raisons peu claires  [22]. Depuis lors, selon de nombreux témoignages cités dans la presse, les pratiques frauduleuses ont repris [23]. Ailleurs, les opérateurs ont fait preuve de beaucoup moins de fermeté ; ils se sont, de plus, heurtés à une opposition souvent résolue dont des violences contre les collecteurs et les équipes anti-fraude  [24]. Cette opposition aux actions anti-fraude revêt clairement un caractère régional, suggérant qu’elle bénéficie probablement d’un soutien des politiciens locaux.

39 La fraude et le non-paiement font l’objet d’une régulation politique locale, qui explique leurs variations régionales. Les protagonistes de cette régulation sont l’entreprise et ses représentants locaux, les sous-traitants chargés des index et des débranchements, ainsi que les forces politiques locales. Les termes de cette régulation peuvent connaître des évolutions dans le temps, comme le montre l’exemple de la banlieue sud, où une répression plus forte a pu être menée pendant une certaine période.

40 La crise de l’EDL est une crise paradigmatique des services publics de nombreux pays en développement. Elle peut par exemple se comparer avec la crise du secteur de l’eau en Argentine. Ici, le monopole public, miné par une mauvaise gestion, ne peut répondre aux effets de la guerre et à ceux d’une forte croissance de la demande. Ce système engendre de fortes inégalités sociales en raison des coûts supportés pour les modes d’alimentation énergétique de substitution (notamment les générateurs). De plus, la répartition spatiale de la pénurie donne à ces inégalités une forte dimension territoriale. La fragmentation politico-territoriale est un facteur aggravant dans le sens où elle entretient un niveau de fraude élevé notamment dans de nombreuses régions périphériques où l’État peine à s’imposer. La logique du réseau universel comme instrument d’intégration sociale et nationale est donc mise à mal par la rupture des solidarités croisées sur lesquels reposait le système.

41 Face à des situations comparables, de nombreux pays ont adopté des réformes d’inspiration libérale limitant les péréquations, réajustant les tarifs sur les coûts et s’efforçant de réintégrer dans le marché les secteurs mal desservis ou exclus. Ces réformes se sont toutefois souvent heurtées à la solvabilité réduite des ménages pauvres et aux hésitations des pouvoirs publics à réellement régulariser les situations juridiques des citadins en situation d’exclusion  [25]. Un des grands enjeux est alors de trouver des mécanismes permettant une desserte adaptée à ces catégories de populations, éventuellement en introduisant une diversification des modes de gestion (JAGLIN, 2005).

42 Le Liban se trouve aujourd’hui dans une phase de pré-privatisation et son gouvernement et les bailleurs internationaux tentent d’imaginer des mécanismes permettant de sortir de la crise du secteur dont les implications financières constituent un facteur majeur d’incertitude pour l’avenir. La hausse continue du prix du combustible, en l’absence de réajustement tarifaire de l’électricité, signifie que le gouvernement subventionne le secteur dans des proportions jamais atteintes [26]. Ce transfert s’effectue a priori en faveur des ménages et des établissements ayant la plus petite consommation, si ce n’est que tous les consommateurs situés dans des régions où la pénurie de courant est forte ou qui sont non raccordés en bénéficient moins que les autres. Autrement dit, les principaux bénéficiaires de cette subvention sont les résidents pauvres de Beyrouth intra-muros (où l’on ne trouve pas justement les plus pauvres des Libanais).

43 La tentative récente (2001-2005) d’améliorer la collecte, notamment par le recours au secteur privé selon des modalités contractuelles variables, s’inscrivait a priori dans une volonté de rétablir la logique du réseau universel, tout en éliminant les fraudeurs, ces « free riders » subventionnés par la collectivité, pour restaurer les marges de manœuvre financières de l’entreprise. Toutefois, cette tentative de modification de la régulation sectorielle s’est heurtée au poids d’une régulation territoriale différentielle selon les rapports de force et les compromis locaux entre l’État et les puissances politiques locales. Dans la période considérée, l’amélioration de la collecte et la diminution de la fraude dans les banlieues de Beyrouth et dans quelques autres secteurs du Mont Liban signifient que ces régions ont supporté pratiquement seules cet effort. Or, comme la fréquence de l’alimentation électrique ne s’est guère améliorée, voire même diminue depuis la guerre de 2006, cet effort n’est guère payé de retour et, au contraire, les charges pesant sur ces ménages ont augmenté, dans un contexte plus général de crise économique et sociale. Cela explique largement les mobilisations populaires autour de cette question, comme les émeutes du 28 janvier 2008. Cet épisode sanglant, instrumentalisé dans la controverse politique, illustre la sensibilité de la population à ce qui est devenu un symbole de la crise libanaise, ses attentes non satisfaites par l’État, et les risques d’un engrenage qui pourrait conduire au pire.

Notes

  • [1]
    - Texte envoyé à la revue en novembre 2007, renvoyé corrigé en avril 2008.
  • [*]
    Université de Lyon, CNRS UMR Environnement Ville Société.
  • [2]
    - Les privatisations concernent la collecte des déchets, la poste, la téléphonie cellulaire et l’eau potable.
  • [3]
    - Ce travail repose sur l’examen de données recueillies lors de plusieurs missions d’étude sur ce thème entre juin 2005 et janvier 2007 grâce à un financement de la région Rhône-Alpes (MIRA), complétées par un suivi de la presse.
  • [4]
    - L’Office du Litani exploite des centrales hydroélectriques sur ce fleuve. Sa production (moins de 10 % du total) est revendue à EDL.
  • [5]
    - Selon le bilan publié par le ministère des Finances libanais, cité par L’Orient-Le Jour du 17 octobre 2007.
  • [6]
    - Une affaire de détournement de fonds publics lors de l’adjudication de marchés d’importation de pétrole a été dévoilée en 1999. Un ancien ministre du Pétrole a été emprisonné puis relâché faute de preuves.
  • [7]
    - Chiffres recueillis lors d’entretiens.
  • [8]
    - Chiffres cités dans The Daily Star, 31 août 2007.
  • [9]
    -Voir Ziad Abdelnour, « The corruption behind Lebanon’s electricity crisis », Middle Eastern Information Bulletin, n°8-9, aout-septembre 2003 (un organe anti-syrien financé par les Etats-Unis).
  • [10]
    - Le secteur représenterait environ 10 % de la puissance installée dans le pays (ABI SAID, BAROUDI, 2001).
  • [11]
    - De fait, l’électricité est moins subventionnée au Liban que dans plusieurs pays voisins (cf. Agence internationale de l’énergie, 2006, p. 192).
  • [12]
    - Il s’agit sans doute de protéger les institutions stratégiques du pays. Mais on peut aussi penser que les ménages et les entreprises génèrent des factures plus élevées et plus faciles à collecter, de sorte que la capitale est un marché plus rentable que d’autres régions pour l’EDL.
  • [13]
    - Données citées in Le Commerce du Levant, avril 2002.
  • [14]
    - Source : idem.
  • [15]
    -Cf. LEENDERS, 2004. Dans le cas d’espèce, la société de la Qadisha, ancienne concession aujourd’hui possédée à 99 % par EDL, est considérée comme une sphère d’influence exclusive pour Sleimane FRANJIEH, le patron de la région de Zghorta.
  • [16]
    - Chiffres recueillis en entretien. En 1996, les taux d’Antélias et Chiyah se montaient à respectivement 91 % et 69 %. Données EDL citées in ABISAID et BAROUDI, 2001, p. 115.
  • [17]
    - The Daily Star, 27 novembre 2006 et L’Orient Le Jour, le 10 janvier 2007.
  • [18]
    - Chiffres cités dans L’Orient-Le Jour le 8/12/2004. Dans un entretien avec un cadre d’EDF, des chiffres plus élevés ont été cités.
  • [19]
    - Lors d’entretiens avec le représentant d’une entreprise impliquée dans le dossier (octobre 2005-avril 2006).
  • [20]
    - Ce fait, avancé par un ingénieur d’EDF en charge de la gestion de ces actions (juillet 2005), a été confirmé localement lors d’une rencontre avec un électricien à Ghobeiri (juillet 2005).
  • [21]
    - À une occasion au moins, les 9 et 10 mars 2004, ces méthodes ont suscité une petite émeute, dans le quartier de squatters de Saint Simon, à Jnah.
  • [22]
    - L’interruption du contrat d’EDF semble liée d’une part au contexte politique mouvant durant cette période. EDF travaillait avec deux sous-traitants libanais qui géraient les équipes opérationnelles. L’une d’elle aurait été liée à des personnalités pro-syriennes, marginalisées après les élections de mai 2005 qui ont vu la victoire d’une coalition anti-syrienne. S’ajoute probablement à ce facteur l’hostilité du personnel d’EDL à la poursuite de l’expérience d’EDF dans la distribution, dans la crainte qu’elle ne serve de modèle pour le démantèlement de l’entreprise.
  • [23]
    - Voir par exemple The Daily Star, 30 juin 2007.
  • [24]
    - Plusieurs incidents ont été rapportés par la presse, notamment dans la région de Hermel (par exemple le 14 octobre 2004, le 11 janvier 2005).
  • [25]
    - Voir sur le Maroc, DE MIRAS et LE TELLIER, 2005.
  • [26]
    - Seule la tranche la plus élevée de la tarification résidentielle se situe au-dessus du prix de revient de la production électrique. Le Commerce du Levant, avril 2008, p. 25-41.
Français

Le secteur de l’électricité, enjeu majeur de la construction nationale après l’Indépendance, connaît depuis la guerre civile libanaise une longue crise, marquée par le rationnement persistant, une gestion calamiteuse et un endettement croissant. De profondes inégalités spatiales en matière d’alimentation révèlent une gestion locale différenciée, notamment dans les pratiques de fraude, de non-paiement. Les programmes de répression de ces pratiques sont très diversement appliqués, ce qui met en évidence le poids des acteurs implantés localement dans les décisions gestionnaires et le freinage des réformes.

Mots clés

  • Liban
  • services urbains
  • réforme des services publics
  • libéralisation
  • électricité
  • territorialisation
  • guerre
  • reconstruction
Español

Electricidad y territorios : una mirada sobre la crisis libanesa

El sector de la electricidad, una cuestión mayor de la construcción nacional luego de la Independencia, conoce, desde la guerra civil libanesa, una larga crisis marcada por el racionamiento persistente, una gestión calamitosa y un creciente endeudamiento. Las profundas desigualdades espaciales en materia de de alimentación revelan una gestión local diferenciada, en particular en las prácticas de fraude y de falta de pago. Los programas de represión de estas prácticas son aplicados de manera desigual, lo que pone en evidencia el peso de los actores locales en las decisiones de gestión y el freno de las reformas.

Palabras clave

  • servicios urbanos
  • reforma de los servicios públicos
  • liberalización
  • electricidad
  • territorialización
  • guerra
  • reconstrucción
  • Líbano

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Eric VERDEIL  [*]
  • [*]
    Université de Lyon, CNRS UMR Environnement Ville Société.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rtm.198.0421
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