CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Je dédie mon travail à l’Asie, à l’Afrique, aux nouveaux peuples »
(POLANYI, 1958  [1])

1 La Grande Transformation est le plus souvent lu  [2] comme un ouvrage d’histoire économique dans lequel Karl POLANYI (1886-1964) conte quelques faits saillants ayant conduit les pays européens de l’implantation d’une société de marché au 19e siècle jusqu’à la faillite de ce mode d’organisation et à la mise en place des régimes nazis et fascistes. Cela lui confère une dimension médiatique et lui donne la sympathie de critiques du marché. Mais il n’est pas commun de privilégier son apport conceptuel. Karl POLANYI a vécu une large part de sa vie en marge des universités, comme l’un des principaux rédacteurs d’un hebdomadaire économique autrichien puis comme enseignant de cours du soir pour des groupes de travailleurs dans un programme relié à l’université d’Oxford. Il a tardivement intégré une carrière proprement académique. Pour nombre d’économistescontemporains convaincus qu’une science ne doit pas être pervertie par les pressions de la société civile, ceci contribue sans doute à ignorer, à sous-estimer ou à discréditer la portée théorique de cette œuvre. Il est vrai que tout chercheur en science sociale rencontre une difficulté pour la classer à l’intérieur d’une discipline (hormis certaines branches de l’anthropologie économique développée dans les années 1960-1970). Le type d’argumentation de Karl POLANYI, fortement interdisciplinaire, n’est pas conforme aux standards particuliers de chacune des disciplines. Ses concepts sont empiriquement fondés et ne sont généralement pas introduits comme tels. Les trois principes fondamentaux, selon lui au cœur d’un processus d’intégration économique, à savoir la réciprocité, la redistribution et le marché, apparaissent mêlés au fonctionnement décrit de telle ou telle institution ; d’où le caractère rudimentaire qu’ils offriraient pour la sociologie économique contemporaine (BECKERT in HANN et HART, 2006). Lorsque l’économiste Otto STEIGER par exemple, dans un article du Journal of Economic Issues, affirme s’appuyer sur Karl POLANYI pour distinguer ces trois principes (STEIGER, 2006, p. 185 et note 4 p. 203), il lie réciprocité et redistribution, assimilant implicitement le concept de réciprocité chez Karl POLANYI à la définition donnée par l’anthropologue Marshall SAHLINS  [3], et en donne une interprétation erronée parce qu’évolutionniste.

2 Nous voulons ici découvrir (au double sens propre du terme) la définition par Karl POLANYI de la réciprocité telle qu’elle apparaît dans La Grande Transformation et la situer par rapport aux principes de redistribution et de marché. Toute-fois, ce serait se méprendre sur la démarche de Karl POLANYI que d’imaginer qu’il distingue ces principes ou modèles et qu’il s’intéresse ensuite à la redistribution dans la Mésopotamie antique ou aux échanges à Athènes, par exemple, uniquement pour une meilleure connaissance des sociétés anciennes, comme le feraient nombre d’historiens ou d’archéologues académiques. C’est une méprise similaire que de lire La Grande Transformation comme un simple livre d’histoire. L’ampleur prise, du temps de Karl POLANYI, par le système soviétique en Europe centrale et orientale et en Asie centrale, ainsi que la floraison de systèmes administrés dans des pays dits « attardés », puis « sous-développés » et enfin « en développement », expliquent largement l’intérêt qu’il trouve, de la fin des années 1940 au début des années 1960, à l’analyse de certaines formes anciennes de redistribution.

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« La redistribution, méthode prédominante dans la société archaïque et dans la société tribale, à côté de laquelle l’échange ne joue qu’un rôle mineur, prit une grande importance vers la fin de l’Empire romain et gagne actuellement du terrain dans certains États industriels modernes. L’Union Soviétique en est un exemple extrême. » (POLANYI et al., [1957], 1975, p. 249)

4 Dans le premier chapitre de La Grande Transformation, il remarquait déjà :

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« Nous n’entreprenons pas ici un travail historique (a historical work). Ce que nous cherchons, ce n’est pas une séquence convaincante d’événements saillants, mais une explication de leur tendance (trend) en fonction des institutions humaines. » (POLANYI, [1944], 1983, p. 23)

6 Karl POLANYI a connu une assez large postérité à travers quelques étudiants et jeunes collègues l’ayant accompagné dans le projet connu par la publication deTrade and Market. Cet héritage a conduit depuis à une certaine déformation de son travail [4]. Cette mobilisation politique de l’histoire, de l’ethnologie, de l’archéologie ou des sciences politiques ne cesse pas avec ses travaux des années 1950 ou du début des années 1960, en apparence très académiques. C’est donner une lecture biaisée de son œuvre que de le laisser penser.

7 L’objectif de cet article, développé en dernière partie, est de montrer l’actualité possible de sa définition du principe de réciprocité. Celui-ci peut être aujourd’hui particulièrement fécond pour l’analyse du tiers secteur et de l’économie sociale et solidaire  [5] sous ses diverses formes dans les sociétés contemporaines. L’analyse vaut pour l’ensemble des sociétés. La dimension atemporelle du principe peut en quelque sorte donner une unité à l’analyse de pratiques de solidarité dans l’ensemble des sociétés. La coexistence des trois principes fait que, si l’histoire des sociétés de classes ou à castes est le théâtre de multiples transformations et mutations, il n’y a pas évolution ou détermination ayant conduit mécaniquement de la domination d’un principe à un autre et s’achevant par le marché ou le retour de la redistribution. Ce rapport de soumission et cette tendance sont susceptibles de s’inverser sous la pression des volontés humaines. Il est important de rappeler ici l’affirmation par Karl POLANYI de la liberté humaine, en particulier si on compare sa conception aux idées prévalentes en son temps sur les déterminismes techno-économiques. L’économie solidaire ne peut donc pas être le résultat inéluctable d’une évolution, d’une nouvelle transformation ou d’un retournement. Elle doit être politiquement construite en associant réciprocité et démocratie. C’est un enjeu essentiel de l’essor actuel des pratiques solidaires en matière de production, d’échange et de financement, quels que soient le degré et les formes de développement matériel et technique des sociétés.

8 Si certains, comme Serge LATOUCHE (2003), ont pu voir dans la juxtaposition des termes « économie » et « solidaire » un oxymoron, ce n’aurait sans doute pas été le cas de Karl POLANYI en raison de l’opposition entre sa définition formelle de l’économie, qu’il critique, et sa définition substantive, sur laquelle il s’appuie  [6]. Selon celle-ci, ce sont des activités de production, d’échange ou de circulation et de financement qui font l’économie, et pas seulement un ajustement rationnel entre fins et moyens tel que le donne à voir une appréhension formelle de l’économie. Par conséquent, une « économie solidaire » peut y prendre toute sa place, même si la logique économique doit alors se trouver soumise à ou immergée dans des logiques sociales comme le montrera la définition par Karl POLANYI de la réciprocité. Il paraît donc tout à fait légitime qu’un numéro de la Revue Tiers Monde consacré à l’économie solidaire au Sud comprenne une interprétation duconcept de réciprocité dans l’œuvre de Karl POLANYI  [7]. Avant de l’analyser, il est utile de comprendre les rapports entre Karl POLANYI et le Tiers Monde, au-delà de la citation en exergue de cet article, parce que c’est dans l’étude de sociétés non occidentales que ce principe a été révélé.

I – RAPPORTS ENTRE KARL POLANYI ET LE TIERS MONDE

9 Karl POLANYI n’a rien d’un familier du Sud ou d’un voyageur en terres exotiques. Il a vécu pendant plus des deux tiers de sa vie en Europe et, pour le reste, a été un Européen réfugié ou exilé en Amérique du Nord. Le centre du propos deLa Grande Transformation [8] est la civilisation européenne et son évolution du 19e siècle jusqu’à l’entre-deux-guerres avec la prise de pouvoir par des gouvernements fascistes dans de nombreux pays européens. Né dans l’Empire austro-hongrois, ce qui situe sa formation au cœur de la question des nationalités et des autonomies locales – question que l’on va retrouver avec l’émergence des États lors du processus de décolonisation –, il est diplômé en droit de l’université de Kolozvar située dans la partie sud de l’ancienne Hongrie  [9]. À partir de 1924, il devient un des principaux rédacteurs à Vienne de la revue Osterreichische Völkswirt, qui est alors une des publications économiques majeures de langue allemande en Europe centrale. Il y donne près de 250 contributions (notes, articles et revues d’ouvrage)  [10]. Après 1933 et la suspension de la constitution autrichienne, il est exilé politique au Royaume-Uni ; il subsiste en continuant à écrire des articles pour cette revue jusqu’en 1938 et en donnant des cours du soir à des groupes de travailleurs dans un programme relié à l’université d’Oxford. Ce qui deviendra entre les années 1950 et 1970 le Tiers Monde apparaît jusque-là en marge du vieux monde et de l’Amérique du Nord, qui largement le dominent. La Grande Transformation a pu être critiqué pour ce qui est apparu à certains comme une négligence de telle ou telle situation  [11]. Mais c’est ne pas comprendre que le propos ne doit pas être lu comme une histoire mondiale des deux derniers siècles, mais comme une vision de l’Europe dans tous les sens « de » (depuis et à propos de), sans toutefois devenir ethnocentrique.

10 À partir de son exil anglais, Karl POLANYI est souvent invité aux États-Unis pour donner des conférences  [12]. Il s’installe en Amérique du Nord parce qu’il n’a pas trouvé au Royaume-Uni de ressources suffisantes pour vivre. De 1941 à 1943, il est chercheur au Bennington College dans le Vermont où, avec le soutien de la Fondation Rockefeller, il termine de rédiger La Grande Transformation notamment à partir des cours qu’il avait donnés en Angleterre. Cette vie à cheval entre l’Ancien et le Nouveau Monde et le statut des droits d’auteur expliquent pourquoiLa Grande Transformation connaît deux éditions différentes sous deux titres différents ; Origins of Our time. The Great Transformation est le titre de l’édition anglaise de 1945 alors que le sous-titre américain de The Great Transformation est The Political and Economic Origins of Our Time [13]. De 1947 à 1953, année de sa retraite, il est visiting professor of Economics à la Columbia University de New York. En Amérique du Nord, il se trouve beaucoup plus largement confronté à une mondialisation des idées et des sources de pensées par les origines diverses du monde académique et des champs d’études. On peut remarquer que l’essor de l’économie du développement y doit alors beaucoup à des penseurs étrangers originaires de Scandinavie, d’Europe centrale, d’Inde, des Caraïbes, d’Argentine, du Brésil et du Japon. Mais, après la seconde guerre mondiale, les États-Unis sont rapidement soumis à la période noire du Maccarthysme (entre 1947 et 1954)... et il y est plus facile de parler de lieux exotiques ou de sociétés anciennes que des problèmes politiques du jour et de discuter du marxisme. Anne C. CHAPMAN, qui a contribué aux recherches de Trade and Market, rappelle cette « hystérie » américaine contre les communistes et leurs compagnons de route socialistes ou pacifistes (CHAPMAN, 2004, p. 1)  [14]. C’est ainsi sans doute que l’on doit décrypter l’insistance avec laquelle la préface de Trade and Market fait référence à « un climat de totale liberté » et à un « climat de libre coopération » (POLANYI et al., [1957], 1975, p. 33, p. 37) à une période où la suspicion était de mise. En 1948, la Columbia University avait confié à Karl POLANYI la direction d’un projet sur les « origines des institutions économiques », étendu ensuite aux « aspects économiques de la croissance » dans une perspective interdisciplinaire, grâce à un soutien de la Ford Foundation à partir de 1953. Il le codirige avec Conrad N. ARENSBERG. Les personnalités que rassemble ce projet, dont la publication la plus connue est Trade and Market [1957], auraient sans doute été, dans le contexte plus libre du Royaume-Uni, davantage proches du marxisme (LATHAM, non daté, p. 3).

11 Les lectures de Karl POLANYI lui font indirectement rencontrer des sociétés du Sud. Toutefois, une seule contribution à Trade and Market développe l’exemple d’une situation contemporaine, celle consacrée aux marchés kabyles en Algérie par Francisco BENET (POLANYI et al., [1957], 1975, p. 195). Karl POLANYI lit des ouvrages ethnographiques pour l’écriture même de La Grande Transformation,principalement de Bronislaw MALINOWSKI et de Richard THURNWALD. Les commentaires sur ses sources données en fin de volume concernent essentiellement la question de la réciprocité chez ces deux anthropologues (POLANYI, [1944], 2001, p. 280 ; HANN, HART, 2006). C’est sur la base de la lecture de ces travaux qu’il forme le principe de réciprocité, que l’on trouve dans La Grande Transformation et qui est approfondi ensuite dans Trade and Market. Dans un chapitre de cet ouvrage collectif, « L’économie en tant que procès institutionnalisé », Karl POLANYI indique que, à sa connaissance, le premier qui ait découvert le modèle de la réciprocité est Richard THURNWALD, dans une étude consacrée au système matrimonial des Bàranos de Nouvelle-Guinée en 1915, reprise et développée dix ans plus tard par Bronislaw MALINOWSKI. Karl POLANYI indique bien cette dette puisqu’il conclut cette référence en indiquant : « D’où nos formes d’intégration et nos modèles de supports structurels. » (POLANYI et al., [1957], 1975, p. 246).

12 Cependant, du fait de la perspective non évolutionniste qui est la sienne, il serait réducteur de limiter l’application du principe de réciprocité à ces seules sociétés, en quelque sorte anciennes ou primitives pour employer le vocabulaire de l’époque. Sa fille Kari POLANYI LEVITT apporte un témoignage fort révélateur de son rapport à ce Sud politiquement émergent dans les années 1950 et à une perspective non (voire anti) évolutionniste.

13

« Lorsque j’ai pris connaissance pour la première fois des débuts de la littérature sur l’économie du développement, vers la fin des années 1950, dans un recueil d’essais édité par A. N. AGARWALA et S. P. SINGH [1958] et publié à Delhi, je me suis hâté de partager mon enthousiasme avec mon père. Il n’a pas découragé mon intérêt naissant, mais sa réponse fut caractéristique : “Le développement, Kari ? Je ne sais pas ce que c’est.” » (in CLANCIER et al., 2005, p. 2)

14 Elle ajoute :

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« Il étudiait alors la vie économique des sociétés primitives et archaïques avec des étudiants diplômés de l’université Columbia. À ce moment-là, je ne comprenais pas ce qui l’avait amené à entreprendre cette recherche qui me semblait si éloignée du monde contemporain. Ce n’est que des années plus tard que j’ai réellement compris que ses recherches en anthropologie économique étaient motivées par sa détermination à prouver que l’économie de marché du 19e siècle était unique. [...] Il n’y avait dans son travail aucune allusion à une notion de progrès, aucun postulat selon lequel les sociétés modernes seraient plus avancées ou plus développées que celles du passé. » (in CLANCIER et al., 2005, p. 2)

16 À partir de 1960, tout en continuant ses travaux comparatifs sur le caractère exceptionnel de l’économie dite « de marché », il travaille aussi à la naissance de la revue Coexistence à travers la constitution d’un comité de rédaction intégrant en cette période de guerre froide une dimension mondiale et contemporaine, avec le soutien de Ragnar FRISCH, Jan TINBERGEN, Oscar LANGE, Gunnar MYRDAL, Joan ROBINSON, Prasanta Chandra MAHALANOBIS, Shigeto TSURU et du Russe Vasili Sergeevich NEMCHINOV. Tout juste après son décès, en 1964, c’est dans le premier numéro de cette revue que sa fille publie un article lui rendant hommage.

II – UNE VISION NON ÉVOLUTIONNISTE DES PRINCIPES DE RÉCIPROCITÉ, DE REDISTRIBUTION ET DE MARCHÉ

17 Karl POLANYI reconnaît trois principes ou « modèles » différents d’intégration économique. Par principe d’intégration économique, il faut entendre ce qui donne « unité et stabilité » aux « économies empiriques »  [15] (POLANYI et al., [1957], 1975, p. 244). Ils sont définis par un mode particulier de circulation et de répartition des biens et des services : la réciprocité, la redistribution et le marché. Il convient d’y ajouter l’aide, l’entraide et le partage propres aux relations domestiques (house holding)  [16], au sein desquelles il faut distinguer ce qui appartient à la solidarité entre égaux et ce qui tient de la protection hiérarchisée (POLANYI, 2006, p. 51).

18 Ces principes ne sont pas assimilables aux modes de production définis par la vulgate marxiste (désignés comme modes communautaire, esclavagiste, féodal et capitaliste  [17]). Il serait en effet erroné de penser chaque modèle dans une perspective évolutionniste où la réciprocité serait la première forme historique d’intégration, suivie par le marché auquel succèderait la redistribution, ou bien la redistribution précédant le marché. En affirmant une concomitance des trois principes au sein d’une même société  [18], Karl POLANYI tout à la fois dépasse une simple classification des sociétés humaines (CHAPMAN, 2004, p. 8) et rejette une lecture évolutionniste de leurs changements.

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« Les formes d’intégration ne représentent pas des “stades” de développement. Aucune succession dans le temps n’est sous-entendue. Plusieurs formes secondaires peuvent être présentes en même temps que la forme dominante, qui peut elle-même réapparaître après une éclipse temporaire. » (POLANYI et al., [1957], 1975, p. 249)

20 De plus, ces principes d’intégration ne sont pas fondés sur la base de rapports spécifiques de production ou déterminés par un certain niveau des forces productives  [19]. Penser que ces modèles d’intégration économique sont simplement définis par une opposition entre don, prélévement-redistribution et vente serait en donner une vision très limitée. En incluant notamment les rapports au travail, à la terre et à la monnaie, ils apparaissent comme des catégories plus générales que le concept marxiste de rapport de production. Ces principes ne doivent pas être compris comme des organisations dominantes, comme des structures abstraites cachées que la science découvrirait ou comme des représentations simplifiées de la réalité. Ces principes peuvent être compris comme des préceptes, des idéaux ou des systèmes de justification permettant d’organiser les sociétés humaines. L’usage que fait Karl POLANYI de citations d’Adam SMITH ou de David RICARDO ne doit pas être lu comme un travail d’historien de la science économique, mais comme la mise en avant de croyances (SERVET in SMITH, 2000, vol. 1, pp. VIII-IX) que les sociétés occidentales auraient intégrées au point d’en faire des dogmes. En ce sens, la notion de principe chez Karl POLANYI peut sans doute aujourd’hui mieux être éclairée par les travaux de Louis DUMONT sur les idéologies que par ceux de la sociologie économique nord-américaine contemporaine. Celle-ci, en analysant des structures de marché, se positionne de plus en plus en soeur jumelle de la science économique et prétend être plus efficace que les abstractions économiques contemporaines éloignées des formes concrètes de production et d’échange. Ce faisant, en privilégiant une approche des structures d’échange et de production que la science révèlerait, cette sociologie économique ne peut pas pleinement intégrer l’analyse des principes de fonctionnement donnée par Karl POLANYI.

21 Définissons sommairement ces trois principes de redistribution, de marché et de réciprocité.

22 Le principe de redistribution est fondé sur une logique qui soumet la production et la circulation des richesses à des objectifs collectifs et politiques. Elle est caractérisée par l’union des éléments qui convergent vers un sommet et qui ensuite en repartent. L’organisation prend donc la forme d’une pyramide dont la base nourrit le sommet et simultanément en dépend. La relation est donc dissymétrique. Une autre image de la redistribution est celle d’un centre vers lequel convergent les richesses et d’où elles repartent. On parle alors de logique de centricité. Ces prélèvements peuvent apparaître comme des dons, des tributs ou des contributions fiscales, qui intègrent, cimentent les sociétés par les prélèvements nécessaires à la redistribution. De la redistribution naît la protection, qu’il serait erroné de confondre avec la solidarité du fait de son caractère hiérarchique.

23 Le principe de marché, selon Karl POLANYI, réduit les êtres humains à des vecteurs de mobiles économiques individuels autonomes les uns des autres. Chacun doit défendre ses intérêts particuliers ; il n’y a pas de tout social etd’intérêts partagés et hiérarchisés par celui-ci dans des interdépendances reconnues, mais tout au plus des sommes d’intérêts. Une pseudo-solidarité naît mécaniquement et objectivement de l’interdépendance des actions et non de mobiles conscients. La poursuite des intérêts qualifiés « d’économiques » ne veut rien dire d’autre que l’appât du gain. Les identités sociales, les hiérarchies ordinaires et les liens de domination sont temporairement suspendus par ce principe. Momentanément, afin de passer contrat, chacun des échangistes devient idéalement l’équivalent (au sens d’un substitut possible) de l’autre (le terme « commutation » serait peut-être plus pertinent que celui de marché). L’espace imaginaire de cette transaction est un monde fictif d’ « individus » supposés eux-mêmes équivalents. L’équivalence est une règle de comportement dans le modèle de marché. Les différences de statuts et de fortune y sont provisoirement oblitérées, dans cette citoyenneté particulière que définit ce modèle économique particulier d’échange ; il réduit ceux qui échangent à des équivalents commutables. À y regarder de près les citoyens ne sont que consommateurs et producteurs supposés utilitaristes, au sexe indéterminé, sans relation hiérarchique ou sans interdépendance volontaire et solidarité pensées comme telles. Nous sommes bien ici, nous allons le voir, aux antipodes de la réciprocité.

24 La différence entre marché et réciprocité ne peut et ne doit pas être réduite à la seule gratuité supposée du transfert pensé comme don. Ce serait assimiler la réciprocité à une simple catégorisation économique des modes de transfert. Cette lecture économiste néo-institutionnelle de Karl POLANYI est fréquente au point de traiter don, marché et redistribution comme des modalités complémentaires de transfert des biens déterminées par des coûts de transaction différents. Ce serait partir des individus pour comprendre le tout social. Le principe de réciprocité ne peut pas être compris sur cette base transactionnelle. Réduire le principe de réciprocité à une pratique de don/contre-don, supposée être une relation bilatérale, est une erreur que commettent nombre d’économistes peu familiers des essais de Georges BATAILLE ou de Marcel MAUSS à partir de travaux sur le potlatch des côtes du nord-ouest de l’Amérique ou la kula du Pacifique occidental, ou des nombreux autres exemples qui ont pu être analysés depuis leur découverte à la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle. S’inscrivant dans un tout social, la réciprocité est un modèle complexe. Quand le fonctionnement des institutions est dominé par le principe de marché, le principe de réciprocité n’apparaît plus que comme un pâle résidu de ces anciennes manifestations, devant même se cantonner à une sphère domestique ou de socialité dite « primaire ». Si le principe de réciprocité apparaît au sein d’institutions soumises aux contraintes du marché il s’agit d’une réciprocité pouvant, par analogie avec les « marchandises fictives » dont parle Karl POLANYI, être qualifiée de réciprocité fictive.

25 Karl POLANYI indique que : « Reciprocity is aided by a symmetrical pattern of organization » (POLANYI, [1944], 1957, p. 56). L’expression « symétrique » est souvent reprise pour définir l’approche polanyienne de la réciprocité. Toutefois, elle semble alors peu comprise. Une erreur commune est de confondre tout transfert décrit comme « don » avec une relation fondée sur la symétrie en s’appuyant sur le fait qu’un don suppose un contre-don, et donc de définir la réciprocité essentiellement à partir d’une relation de don/contre-don. À la différence du marché, la réciprocité suppose que les partenaires soient en relation decomplémentarité et d’interdépendance volontaire (POLANYI, [1944], 1957, pp. 48-49)  [20]. Tout géomètre sait que les éléments de figures symétriques sont inversement disposés de telle sorte que, du fait de leur complémentarité dans un ensemble, leur superposition est impossible. La réciprocité est fondée sur cette complémentarité d’éléments distincts. Ceux-ci ne sont pas commutables comme le sont pour l’économie dominante le vendeur et l’acheteur, dont les fonctions sur le marché ne sont pas pensées comme statutaires ou hiérarchiques  [21]. Marché et réciprocité sont, de ce point de vue, antinomiques. Le souci de l’autre, de la réciprocité s’oppose à l’intérêt pour soi du principe de marché. On doit remarquer que Karl POLANYI semble ne retenir de la réciprocité que ses dimensions positives. Il est erroné de confondre réciprocité et simple affect supposé généreux (le don qui serait gratuit et non intéressé). Plus que de générosité, on doit parler de souci d’autrui. Karl POLANYI ne remarque pas que les pratiques ancestrales de vengeance et de vendetta [22] sont, elles aussi, soumises à un principe de réciprocité. Il est impossible de comprendre la réciprocité négative, comme la réciprocité positive, à travers une logique de l’intérêt. Leur fondement commun est une logique de l’obligation.

26 Pour résumer, selon Karl POLANYI, la différence entre réciprocité et marché est basée sur deux éléments fondamentaux. D’une part, la réciprocité ne se réduit pas à une dualité de partenaires d’échange. La réciprocité s’inscrit dans une totalité pensée comme telle ; en cela, l’économie dite sociale et solidaire participe de la réciprocité ; elle s’appuie sur un principe permettant de la distinguer des autres modes de production, de circulation et de financement soumis aux logiques de la redistribution, du marché ou des contraintes domestiques. D’autre part, une différence essentielle du modèle commutatif du marché avec les autres principes de fonctionnement, que sont l’autarcie domestique (autarcy), la symétrie (symmetry) ou réciprocité (reciprocity), et la centricité (centricity), est que ces derniers ne sont pas autonomisés dans une institution ayant pour objet essentiel cette fonction (POLANYI, [1944], 1957, p. 56). Les institutions ont alors des fonctions religieuses, politiques, militaires, etc., sans lien direct avec la production, l’échange et le financement. Le social, la culture et la spiritualité n’y sont pas absorbés en réduisant leur fonctionnement aux seules contraintes économiques de la production, de la circulation et du financement.

27 Il est possible d’interroger cette catégorie a priori évidente qu’est le principe du marché. Opposé aux trois autres modes que sont la réciprocité, la redistribution et l’autarcie domestique, le marché apparaît comme étant problématique. En étudiant un certain nombre de sociétés anciennes, notamment la Grèce antique et le royaume d’Abomey en Afrique aux 18e et 19e siècles, Karl POLANYI a opposé l’institution de la place de marché (market) à celle du port de commerce (trade), prolongeant ainsi les distinctions faites dans The Great Transformation entrecommerce à grande distance (long-distance trade), marchés locaux (local markets) et internes (internal markets). Si la place de marché peut en première lecture intégrer la catégorie générale et moderne de marché, dont elle apparaît en quelque sorte comme un élément emblématique, le port de commerce se distingue du marché puisqu’il y a échange intéressé dans le cadre d’un commerce fortement administré ou contrôlé par des autorités politiques.

28 En fait, au-delà de la catégorie très générale de marché, l’observation des relations entre acheteurs et vendeurs et des processus de fixation des prix permet d’affirmer que, au cœur même de nos activités de commerce et d’échange locales ou internationales, un ensemble de pratiques ne relèvent pas de cette logique  [23]dite ici de « la place de marché », ou en relèvent très partiellement, sans toutefois pouvoir être reconnues comme les résidus de « ports de commerce ». Le néo-institutionnalisme et la théorie des jeux tentent de formaliser cette autre dimension des échanges, sans rompre avec l’illusion de l’unité de la catégorie marché. Il est possible de désigner ces relations antithétiques de celles de la place de marché comme liens de clientèle (SERVET, 2006, p. 314 note 41). Dans cette logique autre de l’échange, on observe notamment des pratiques de discrimination des acheteurs et la volonté de fidéliser le client en perpétuant la relation. Il ne s’agit donc pas là de signer un contrat qui uniformise les contractants comme équivalents et dont la relation se limiterait à cette seule opération. Au-delà de la lecture juridique de la fin des obligations réciproques du contrat commercial et de l’acte d’achat-vente, une grande partie de la stratégie commerciale contemporaine consiste précisément à dépasser cette fin de l’échange et à fidéliser le client, c’est-à-dire à faire en sorte que la relation ne soit pas rompue, qu’elle se renouvelle et se pérennise. Toutefois, la reconnaissance des différences n’implique pas que l’on se situe dans une relation s’inscrivant dans une totalité sociale reconnue comme telle, ce qui, nous l’avons vu, caractérise une relation dominée par un principe de réciprocité. Il y a reconnaissance des différences, mais pas nécessairement des interdépendances ; ceci distingue donc cet échange de la réciprocité fondée sur des principes d’égalité, de complémentarité et d’interdépendance volontaire. Si, avant le 19e siècle, la logique de clientèle l’emportait très largement sur celle de la place de marché, y compris en Europe occidentale, dans des sociétés où prévalaient encore largement des principes hiérarchiques au sens de Louis DUMONT, l’évolution des rapports d’échange a soumis la logique de clientèle à celle de la place de marché, l’a enfermée comme un mode second de gestion des échanges. Cela doit de façon générale être mis en relation avec la disparition progressive des normes hiérarchiques, au sens du préfacier en 1983 de la traduction française de The Great Transformation, que nous venons d’évoquer. Les normes de la place de marché sont, de façon très générale, conformes à celles de l’homo aequalis, tout comme celles de clientèle peuvent être en partie héritées de l’homo hierarchicus. Donc, la reconnaissance des statuts différents afin de parvenir à une nouvelle définition et à un nouvel exercice de l’égalité est une nécessité, mais elle n’est pas suffisante pour réaliser une relation solidaire. Il manque le tout social.

29 Soulignons enfin, pour clore cette définition des trois principes, que si l’on oppose de façon radicale ces logiques de fonctionnement, dans les faits elles peuvent être actives au sein des mêmes institutions, l’une soumettant l’autre dans un compromis nécessaire à leur fonctionnement  [24]. On l’observe aussi bien au Nord qu’au Sud.

III – L’APPORT DE CETTE DÉFINITION DE LA RÉCIPROCITÉ POUR L’ÉCONOMIE SOLIDAIRE

30 Certains lecteurs de l’œuvre de Karl POLANYI retiennent essentiellement aujourd’hui les travaux de la dernière période de sa vie publiés par quelques-uns de ses proches, car c’est là que résiderait son héritage intellectuel le plus marquant pour l’ensemble des sciences sociales. L’auteur se trouve alors réduit à l’état d’historien des formes antiques ou supposées primitives de commerce ou de marché et de monnaie. Cet aspect est prononcé dans le titre américain de l’ouvrage collectif publié en 1957 qui fait référence aux « anciens empires » et dont nous allons rappeler le contexte particulier de l’écriture. Lire Karl POLANYI pour fonder conceptuellement l’analyse de l’économie solidaire serait en quelque sorte se servir de ses travaux comme d’un prétexte et serait une interprétation au-delà de l’œuvre même.

31 Rappelons que Karl POLANYI a la soixantaine passée quand il développe à Columbia le projet de comparaison des systèmes économiques. Dans La Grande Transformation publié en 1944 et 1945, ces sociétés dites primitives ou anciennes sont, certes, déjà abordées, mais elles le sont de façon assez marginale par rapport à l’objet central de l’ouvrage : l’évolution des rapports de production et d’échange depuis le 19e siècle. Durant l’hiver 1949-1950 à Londres, l’auteur a rassemblé par ses lectures à la Bibliothèque du British Museum de très nombreuses informations sur le royaume d’Abomey (situé sur la côte de l’actuel Bénin) et le commerce des esclaves  [25]. Il est essentiel ici de se demander pourquoi Karl POLANYI paraît  [26] se détourner des problèmes du temps, qui avaient animé sa jeunesse : ses débats socialistes des années 1920, son activité de journaliste au Osterreichische Völkswirt, sa critique du fascisme dans les années 1930  [27]ou la rédaction de La Grande Transformation. Nous avons souligné ce qui lui apparaît comme un nécessaire détour théorique pour prouver que l’hégémonie du marché est historiquement exceptionnelle. Nous avons souligné la période sombre du Maccarthysme où tout ne pouvait pas être dit, bien que les auteurs s’en défendent ; l’écriture était alors sous contrainte et l’exotisme des « primitifs »ou de l’Antiquité pouvait dissimuler d’autres préoccupations. À cela s’ajoute que les héritiers de cette dernière période, parmi lesquels nombre furent associés au projet de la Columbia, lui ont survécu (beaucoup étaient alors de jeunes étudiants ou débutants dans la carrière académique) et ont pendant un quart de siècle largement dominé la scène nord-américaine de diffusion des idées de Karl POLANYI, laissant par leurs éditions posthumes et par leurs propres travaux de larges fractions de son œuvre dans l’ombre  [28]. En dehors de relations épistolaires, son installation en Amérique du Nord l’a largement coupé d’une vie intellectuelle et militante passée. Ces héritiers qui ont participé à sa consécration ont joué un rôle remarquable et essentiel, qu’il ne convient donc pas de nier, dans la diffusion d’une partie de son œuvre. Ces écrits ont ainsi été essentiels dans l’essor d’une anthropologie économique dans les années 1960 et 1970  [29], qui s’est prolongé ensuite avec des travaux sur le Proche-Orient notamment (CLANCIER et al., 2005). Toutefois, ceci risque de donner une vision par trop limitée à sa contribution possible à la fondation de certains concepts de la socio-économie ou au développement de la sociologie économique  [30].

32 L’œuvre est beaucoup plus riche et la confondre avec l’analyse de sociétés « archaïques » serait réduire soixante ans d’une vie intellectuelle à ses quinze dernières années. Il est, avant tout, un critique de l’économisme et de ses conséquences, comme le productivisme  [31], ce qui constitue une condition préalable de la constitution théorique de l’économie sociale et solidaire et une base solide pour critiquer l’économisme fondateur du néolibéralisme et le distinguer des fondements du libéralisme des 18e et 19 siècles. Il est difficile de présager de la lecture prochaine de son œuvre. Si les préfaces de la traduction en français des ouvrages qui l’ont davantage fait connaître en France (Trade and Market en 1975 et The Great Transformation en 1983) ont été écrites par deux anthropologues (respectivement Maurice GODELIER et Louis DUMONT), la réédition américaine en2001 de La Grande Transformation a été préfacée par Joseph STIGLITZ, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, que l’on rencontre aujourd’hui souvent sur les estrades de l’altermondialisme. Cet avant-propos consacre l’ouvrage publié en 1944 comme un classique en phase avec les manifestations antiglobalisation de Seattle et de Prague en 1999 et 2000 (POLANYI, 2001, p. VII), et une bonne partie de ce texte réactualise une critique des politiques du Fonds monétaire internationnal vis-à-vis à des pays dits en développement, en l’appuyant sur l’analyse par Karl POLANYI des politiques monétaires conservatrices menées en Europe dans les années 1930 (objet des premiers chapitres de La Grande Transformation). L’introduction de cette nouvelle édition américaine a été rédigée par le sociologue Fred BLOCK qui a par ailleurs contribué aux débats sur le revenu minimum d’existence, et elle se termine en faisant référence aux altermondialistes critiquant la mondialisation. Karl POLANYI apparaît aussi comme un appui novateur pour nombre d’analystes ou d’essayistes de l’économie sociale et solidaire  [32]. Cette dimension est absente de la biographie publiée par Jérôme MAUCOURANT. En quatrième de couverture de Avez-vous lu Polanyi ?, il affirme vouloir donner « à voir l’ensemble de son œuvre dans une perspective résolument actuelle » (MAUCOURANT, 2005). Pourtant, alors qu’il aborde largement sa critique du fascisme et l’Antiquité (et certaines interprétations qui en ont été faites), il ne fait aucune référence au rôle actuel de Karl POLANYI pour l’économie sociale et solidaire et pour les altermondialistes. En citant Joseph STIGLITZ comme auteur de La Grande Désillusion (2002) (MAUCOURANT, 2005, p. 15), il omet de signaler son rôle comme préfacier de la nouvelle édition de La Grande Transformation. Pourquoi Jérôme MAUCOURANT ne traite-t-il pas de ces dimensions critiques, qui sont mobilisées aujourd’hui, comme il le fait par ailleurs avec beaucoup de talent pour l’étude de la circulation des biens et des mécanismes de redistribution dans les sociétés proche-orientales (GRASLIN, MAUCOURANT, 2005, pp. 12-13, pp. 215-257)  [33] ?

33 Comment comprendre, nonobstant le contexte que nous avons retracé, que la réflexion de Karl POLANYI sur la réciprocité puisse apparaître essentiellement comme une contribution anthropologique ? Si les principes ne sont pas définis dans une perspective évolutionniste, il n’en reste pas moins qu’au 20e siècle, pour rencontrer une société où un principe de réciprocité puisse apparaître soumettre les autres principes, il était nécessaire de partir des descriptions par des ethnologues de sociétés dites alors « primitives » (au regard de leurs techniques et des formes d’exploitation de leur environnement). C’est dans ce cadre que Karl POLANYI a pris le principe et trouvé la documentation nécessaire pour son analyse :

34

« La parenté, le voisinage ou le totem appartiennent aux groupements les plus permanents et les plus larges ; dans leur cadre, des associations volontaires ou semi-volontaires à caractère militaire, professionnel, religieux ou social, créent des situationsdans lesquelles – au moins provisoirement ou vis-à-vis d’une localité ou d’une situation type donnée – se forment des groupements symétriques dont les membres pratiquent une certaine forme de mutualisme [souligné par SERVET]. »
(POLANYI et al., ( [1957], 1975, p. 247)

35 La référence au mutualisme, qui pourrait apparaître anachronique, est ici essentielle. L’apport du concept de réciprocité peut être beaucoup plus large si l’on met cette affirmation en rapport avec le fait que les trois principes sont simultanément actifs dans la plupart des sociétés humaines connues. Du fait de cette coexistence des principes dans une même société, on comprend ainsi parfaitement pourquoi, à l’encontre d’autres militants, Karl POLANYI affirmait depuis les années 1920 que le marché était compatible avec une économie socialiste. Toutefois, nous l’avons vu, l’un des principes soumet les deux autres  [34]. Et c’est bien toute la difficulté pour développer la réciprocité dans des sociétés dominées par la commutation du marché.

36

« En tant que forme d’intégration, la réciprocité gagne beaucoup en efficacité du fait qu’elle peut utiliser la redistribution ainsi que l’échange comme méthodes subordonnées. On peut parvenir à la réciprocité en partageant le poids du travail selon des règles précises de redistribution, par exemple lors de l’accomplissement des tâches « à tour de rôle ». De même, la réciprocité s’obtient parfois par l’échange selon des équivalences fixées afin d’avantager le partenaire qui vient à manquer d’une espèce de produits indispensables – institution fondamentale dans les anciennes sociétés d’Orient. En fait, dans les économies non marchandes, ces deux formes d’intégration – réciprocité et redistribution – se pratiquent généralement ensemble. » (POLANYI et al., [1957], 1975, p. 247).

37 On a là une belle leçon pour une redécouverte du principe de réciprocité au fondement de la solidarité (GUÉRIN, 2003 ; VALLAT, 1999)  [35] et pour comprendre les modes d’hybridation des ressources. La solidarité fondée sur un principe de réciprocité se distingue de la protection caractéristique de systèmes fondés sur la redistribution. Ceci rappelle aussi que la réciprocité, au fondement de la solidarité, ne peut être confondue ni avec la simple générosité, ni avec un calcul mathématique d’équivalences (POLANYI et al., [1957], 1975, p. 100). Selon le principe de réciprocité, chacun s’acquitte selon ses capacités : « Lorsque la réciprocité est la forme d’intégration, les équivalences déterminent la quantité qui est “appropriée” par rapport à la partie qui occupe une place symétrique. » (POLANYI et al., [1957], 1975, p. 259). Ceci éclaire les discriminations positives en matière de tarification et de prix que l’on rencontre par exemple dans le commerce dit équitable, dans les systèmes d’échange local ou dans la finance éthique ou de partage.

38 La réciprocité se situe dans un tout social  [36], et celui-ci suppose au préalable une fragmentation, une singularisation des êtres que la composition d’une totalité réunit. L’individualisation est nécessaire à la solidarité. Le « je » se définit par rapport à autrui et non par son indépendance aux autres  [37]. Il y a souci de l’autre. Il y a prise en charge d’autrui par chacun. La définition de la réciprocité par Karl POLANYI rejoint par conséquent très largement ses convictions chrétiennes (et son « amour du prochain ») et les conclusions de morale de l’Essai sur le don de Marcel MAUSS. Cet auteur ne parle pas seulement de peuples éloignés dans l’espace ou le temps. Il évoque déjà lui aussi le champ ouvert depuis le dernier quart du 19e siècle et le début du 20e siècle par les législations d’assurance sociale, les caisses d’assistance familiale, les caisses de chômage et les caisses de retraite, la mutualité et la coopération (MAUSS, [1923-1924], pp. 260-264). Ceci permet à Laurent GARDIN dans le Dictionnaire de l’Autre économie (LAVILLE, CATTANI, 2006, p. 520) de parler de la réciprocité comme d’un enjeu contemporain (EME, 1991 ; LAVILLE, 2000).

39 L’article présente le rapport de Karl POLANYI avec les sociétés du Sud où le principe de réciprocité a été découvert par des anthropologues. Il montre comment la distinction du principe de réciprocité de ceux de redistribution et de marché peut contribuer aujourd’hui à définir l’économie sociale et solidaire tant au Nord qu’au Sud. Deux apports nous paraissent ici essentiels pour comprendre les contraintes actuelles de son épanouissement. Le premier apport de cette définition est l’affirmation de l’interdépendance d’éléments différents dans un tout social pensé comme tel (et qui est donc radicalement différente de l’interdépendance subie d’éléments supposés égalisables par la logique de la valeur économique dans la commutation marchande). Le second apport à retenir est que si la réciprocité figure en situation de complémentarité du marché, elle se trouve en quelque sorte pervertie quand celui-ci est dominant. Ceci est illustré par les limites du commerce équitable, des monnaies locales ou celles du microcrédit (AUROI, SCHÜMPERLI YOUNOSSIAN, 2006 ; BLANC, 2006 ; SERVET, 2006). On doit aussi admettre que le principe de marché, même quand il apparaît hégémonique, est incapable de fonctionner de façon autonome et pérenne. Les solidarités nécessaires à une résilience de la société sont entre et au sein des territoires, entre sexes et entre générations, y compris avec les générations futures dans la perspective d’un développement socialement durable et physiquement soutenable. D’où de multiples séductions des idéologies néolibérales, dont l’économisme se situe aux antipodes de la solidarité, mais aussi, du fait même de cettenécessaire confusion, de réelles potentialités d’essor de pratiques solidaires permettant un sursaut d’humanité.

Notes

  • [*]
    Professeur d’économie, Institut universitaire d’étude du développement (IUED, Suisse).
  • [1]
    - Lettre à BÉ DE WAARD citée dans CLANCIER et al. (2005, p. 2).
  • [2]
    - Le titre de MAUCOURANT (2005), Avez-vous lu Polanyi ?, est tout à fait pertinent dans la mesure où, en consultant de nombreux travaux contemporains qui citent Karl POLANYI, il est possible de se demander si leurs auteurs ont lu et compris ses écrits ou s’ils s’en servent comme d’un prétexte. Voir par exemple la note 30.
  • [3]
    - À partir de la littérature anthropologique, SAHLINS (1972) a développé le concept de réciprocité en l’articulant fortement à la redistribution.
  • [4]
    - Une nouvelle vision du point de vue de l’anthropologie économique partant d’une relecture deLa Grande Transformation a été ouverte par l’initiative de Chris HANN et Keith HART (2006).
  • [5]
    - Pour sa définition, nous renvoyons à celle donnée dans LAVILLE et CATTANI (2006) et à la conclusion de SERVET (2006).
  • [6]
    - Rappelons ici le rôle fort qu’a joué Maurice GODELIER à partir de la publication de Rationalité et irrationnalité en économie pour introduire en France, tout en en critiquant certains éléments, la pensée de cet autre Karl et contribuer à la diffusion de l’anthropologie économique.
  • [7]
    - Notre analyse s’appuie essentiellement ici sur La Grande Transformation ( [1944], 1957) et sur l’ouvrage collectif Trade and Market in the Early Empires, Economies in History and Theory ( [1957], 1975). MAUCOURANT (2005) donne de nombreuses indications pour connaître la biographie et suivre l’itinéraire intellectuel de Karl POLANYI. Voir aussi POLANYI (1968, 1977, 2007).
  • [8]
    - Sur le rapport avec la lecture par Karl POLANYI des premiers manuscrits de Karl MARX (publiés en allemand en 1932), voir Fred BLOCK (2003) et sur l’écriture elle-même et la publication de La Grande Transformation on lira avec le plus grand intérêt FLEMING (2001).
  • [9]
    - Cette ville de Transylvanie est appelée Cluj-Napoca et se trouve aujourd’hui en Roumanie. Il y est étudiant jusqu’en 1909. Les recherches aimablement entreprises en 2006 par nos collègues Gheorghe Alexandre CATANA et Laura BACALI de l’université de Cluj-Napoca n’ont pas permis d’y trouver des éléments relatifs à ses études. Contrairement à ce qui est affirmé notamment par MAUCOURANT (2005, p. 24), il n’y a pas soutenu de thèse.
  • [10]
    - Voir la traduction en italien par CANGIANI (1993), ses notes et introduction.
  • [11]
    - C’est le cas à propos de l’histoire américaine elle-même. Voir MAYHEW (2000, p. 5), qui par ailleurs reconnaît l’apport théorique de Karl POLANYI.
  • [12]
    - MAUCOURANT (2005 p. 34) comme FLEMING (2001) – qui s’appuie sur un ouvrage de J. R. STANFIELD publié en 1986 – font référence à des invitations dans trente-huit États au cours de la période 1933-1947. L’édition américaine de 1957 a été reprise avec quelques corrections en 2001, avec de nouvelles préface et introduction.
  • [13]
    - Cette édition américaine n’a pas été corrigée par Karl POLANYI lui-même. Les corrections finales sont principalement dues à John Atlee KOUWENHOVEN (1909-1990) qui enseignait au Bennington College jusqu’en 1941.
  • [14]
    - L’épouse de Karl POLANYI a été membre du parti communiste.
  • [15]
    - Il apparaît évident que Trade and Market a fait l’objet de sortes de négociations interdisciplinaires donnant lieu à des compromis pouvant être critiqués. Ainsi dans la Préface ( [1957], 1975, p. 35), lit-on : « Notre question [à propos du marché] a suscité quelques difficultés chez les économistes de notre groupe. [...] Mais ils se sont finalement accordés avec nous sur l’essai de formulation suivante ». On lit dans son Introduction (texte collectif non signé) : « Notre but n’est pas de rejeter l’analyse économique, mais de fixer nommément ses limites historiques et institutionnelles aux économies où existent des marchés créateurs de prix, et de transcender ces limites dans une théorie générale de l’organisation économique » ( [1957], 1975, p. 39). Ceci ne nous paraît pas avoir changé la définition de la réciprocité dans les contributions de Karl POLANYI dans l’ouvrage. Celui-ci développe alors l’analyse déjà menée dans La Grande Transformation en citant principalement les mêmes sources.
  • [16]
    - On peut faire l’hypothèse que la colonisation a réduit la réciprocité à la sphère domestique et ce faisant l’a dénaturée. Sur ce quatrième principe domestique, on doit remarquer que l’approche de Karl POLANYI n’a rien de constant et il paraît dans certains textes l’intégrer à la redistribution ou à la réciprocité.
  • [17]
    - Signalons ici son rejet de la théorie de la valeur travail. Voir POLANYI ( [1944], 1957, p. 72 note 3, p. 124, p. 126 notamment). On peut remarquer que l’index de l’ouvrage ne comporte pas d’entrée « value » alors que l’entrée « prices » y figure.
  • [18]
    - Le principe de marché ne se réduit pas à son état moderne puisqu’il remarque : « In the same manner in which either reciprocity, redistribution, or householding may occur in a society without being prevalent in it, the principle of barter also may take a subordinate place in a society in which other principles are in the ascendant » (POLANYI, [1944], 2001, p. 59).
  • [19]
    - Ceci ne prive toutefois pas Karl POLANYI d’une vision des conséquences de la technique, en particulier pour les transformations du 19e siècle. Il use d’ailleurs des machines à un niveau métaphorique.
  • [20]
    - Peut-être faut-il ici parler de « tiers inclus » par opposition à la commutation où le tiers est supposé exclu.
  • [21]
    - Certains économistes ont introduit dans l’analyse de certains marchés (par exemple le marché du travail ou entre firmes et pays) des effets de domination, mais sans en tirer toutes les conséquences sur le caractère utopique de la notion de marché en général.
  • [22]
    - Il suffit ici de penser au prix du sang et aux compensations des victimes, des blessures et des injures.
  • [23]
    - Nous donnons ici une analyse des croyances qui organisent les relations marchandes. Il va de soi que le fonctionnement de tout marché suppose des liens et des réseaux sociaux. En cela le marché des néolibéraux est une utopie.
  • [24]
    - De ce point de vue on lira avec grand intérêt l’analyse très documentée des multiples dimensions des pratiques de don au 16e siècle en France par Natalie ZEMON DAVIS (2000).
  • [25]
    - Ceci est à l’origine en 1966 d’une publication posthume avec la contribution d’Abe ROTSTEIN (POLANYI et ROTSTEIN, 1966). Une recherche prolongée sur les ports de commerce a donné lieu à publication en 1963 dans le Journal of Economic History (n° 23, pp. 30-40) de « Port of trade in early societies », réédité dans POLANYI, 1968.
  • [26]
    - Pas complètement si l’on tient compte de sa mobilisation pour la création de la revue Coexistence ou l’écriture d’une contribution comme « Il pensiero sovietico in transizione », Nuova Presenza 5 (Milan, 1962, pp . 39-45), citée par S. C. HUMPHREYS (1969, p. 174).
  • [27]
    - Voir Europe Today (London, 1937) et sa contribution à Chritianity and the Social Revolution(London, 1935).
  • [28]
    - En Italie, cet oubli est moins fort grâce à des travaux comme ceux de Michele CANGIANI. Outre sa traduction de certains de ses articles des années 1920 et 1930 (1993 ; 1998), on doit signaler la préface donnée par Alfredo SALSANO à la traduction en italien de The Great Transformation (1974).
  • [29]
    - L’article de S. C. HUMPREYS paru dans History and Theory cinq ans après la disparition de Karl POLANYI donne de très utiles pistes sur la réception de l’œuvre de Karl POLANYI. Voir en ce sens aujourd’hui le colloque organisé par le CLERSÉ, le CNRS et l’IRD à Lille les 16 et 17 mars 2006, intitulé « Anthropologues et économistes face à la globalisation », voir CLERSÉ (à paraître).
  • [30]
    - Il reste beaucoup à faire pour que tous les socio-économistes aient une parfaite connaissance des travaux de Karl POLANYI. Prenons un exemple parmi tant d’autres. Sous la plume d’un sociologue et historien de la pensée économique aussi averti et généralement très attentif aux textes que Philippe STEINER (2006), on trouve dans une analyse critique de POLANYI l’expression « marché administré ». Ceci vide de son sens toute la distinction polanyienne entre trade et market. Peut importe les mots nous dira-t-on mais cette expression malencontreuse n’est pas la seule erreur. Contrairement à ce qu’affirme Philippe STEINER (2006, pp. 9-10), la terre, le travail et la monnaie ne sont pas pour POLANYI les seules marchandises fictives. Il ne peut donc pas, comme il le fait, lui reprocher d’avoir oublié parmi celles-ci le blé. Karl POLANYI écrit dans Trade and market ( [1957], 1975, p. 249) : « On peut déterminer l’époque à laquelle le marché est devenu une force souveraine dans l’économie en notant dans quelle mesure la terre et la nourriture (souligné par SERVET) étaient mobilisées par l’échange et dans quelle mesure la main d’œuvre devenait une marchandise que l’on pouvait librement acheter sur le marché. » Voir SERVET (2007).
  • [31]
    - Un apport sans doute essentiel de Karl POLANYI en ce domaine est l’idée que la rareté est institutionnellement produite. Il ne peut donc pas y avoir, de ce point de vue, de progrès dans la satisfaction des besoins matériels, et ordonner le développement des sociétés selon leurs seules performances techniques ne se justifie pas davantage. Sur la capacité des mesures économiques d’intégrer la notion de bonheur, voir l’analyse de Jörg SCHIMMEL (2006).
  • [32]
    - Citons en français les travaux de Jean-Louis LAVILLE et du CRIDA, de Guy ROUSTANG, de Benoit LEVÊQUE et de Margie MENDEl à Montréal, de Geneviève AZAM et de Jacques PRADES à Toulouse, d’Odile CASTEL à Rennes ou de ce qui fut le groupe de socio-économie du Centre Walras de Lyon, notamment les publications de Jérôme BLANC, Isabelle GUÉRIN ou de Jean-Michel SERVET, ainsi que l’ouvrage d’Alain CAILLÉ (2005).
  • [33]
    - Le plan de Avez-vous lu Polanyi ? comme celui de la réunion des articles à paraître au Seuil risquent de donner l’impression d’une lecture évolutionniste de Karl POLANYI.
  • [34]
    - On doit rapprocher ceci des dernières phrases de « L’économie en tant que procès institutionnalisé » (POLANYI, [1957], 1975, p. 260) : « Il conviendrait de comprendre, avec un peu plus de lucidité que dans le passé, que le marché ne peut être remplacé en tant que cadre général de référence à moins que les sciences sociales ne parviennent à élaborer un cadre de référence plus vaste auquel le marché lui-même pourrait se rapporter. Telle est aujourd’hui notre première tâche intellectuelle dans le domaine des études économiques. Comme nous avons essayé de le démontrer, une telle structure conceptuelle devra être fondée sur la définition substantive de l’économique. »
  • [35]
    - Après la rédaction de cet article, nous avons pris connaissance d’une contribution d’Odile CASTEL (2003), qui mobilise les principes polanyiens, et notamment celui de réciprocité, pour analyser l’économie solidaire au Sud.
  • [36]
    - Pour mieux le comprendre il est possible d’établir un parallèle avec la notion de juste prix des scolastiques.
  • [37]
    - Pour illustrer un cas de réciprocité et ainsi la définir, Karl POLANYI donne dans Trade and Market ( [1957], 1975, pp. 99-100) une très longue citation de Margaret MEAD extraite de Cooperation and Competition (1937, p. 31) où l’on voit l’interdépendance permanente des Arapesh de Nouvelle-Guinée et il conclut : « C’en est assez pour l’aspect de délimitation situationnelle du procès économique dans lequel prévaut la réciprocité. »
Français

Karl POLANYI a une connaissance indirecte des sociétés constituant dans les années 1950 le Tiers Monde. Il découvre la réciprocité par la lecture d’anthropologues. Il oppose ce principe d’intégration économique à ceux de redistribution et de marché et le distingue des rapports domestiques. La réciprocité ne se réduit ni à une pratique primitive (comme dans une approche évolutionniste), ni à une relation de dons/contre-dons. Elle est comprise par son inscription dans une totalité sociale pensée comme telle et par une interdépendance revendiquée par les acteurs. Elle peut ainsi servir de base à la définition de l’économie solidaire.

Español

El principio de reciprocidad en Karl POLANYI. Contribución a una definición de la economía solidaria


Karl POLANYI tiene un conocimiento indirecto de las sociedades que constituyen, en los años ‘50, el Tercer Mundo. Descubre la reciprocidad a través de la lectura de antropólogos. Opone este principio de integración económica a los de la redistribución y el mercado y lo distingue de las relaciones domésticas. La reciprocidad no se reduce ni a una práctica primitiva (como en la perspectiva evolucionista), ni a una relación de don/contra-don. Es entendida por su inscripción en una totalidad social pensada como tal y por una interdependencia reivindicada por los actores. Puede así servir de base a la definición de la economía solidaria.

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Jean-Michel SERVET  [*]
  • [*]
    Professeur d’économie, Institut universitaire d’étude du développement (IUED, Suisse).
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rtm.190.0255
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