CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Mener des enquêtes anthropologiques en Chine a longtemps été une gageure pour de multiples raisons. La Chine émerge lentement d’un univers quantitatif de planifications volontaristes qui ne laissait presque aucune place à l’expression individuelle et à la subjectivité hors de la littérature. Dans ces conditions, l’identification d’acteurs singuliers, aptes à parler de la société, était considérée comme dépourvue de pertinence et sans intérêt scientifique. Le passage rapide à une économie de marché capitaliste a profondément modifié la société. Il a introduit des inégalités sociales, produit des statuts, engendré l’émergence du consommateur et d’un certain individualisme, tout relatif. Ce nouveau contexte permet, dans certaines limites, la mise en œuvre d’enquêtes ethnologiques et une approche plus ouverte. Le travail social (shehui gongzuo) est apparu comme l’une des entrées possibles dans cette société chinoise, dans la mesure où, ayant pour mission de participer à la gestion des problèmes sociaux, il nous informe en profondeur sur cette même société à partir de ses maux et contradictions, plutôt qu’à partir de ses performances économiques. Trois parties seront développées. La première présente le contexte et les enjeux du développement du travail social en Chine. Dans la seconde partie sont abordées les dimensions méthodologiques, épistémologiques et les contraintes de l’enquête dans une grande ville chinoise. On analysera enfin les données recueillies en soulignant l’émergence d’un sujet de la compassion, qui met en scène une moralité globale ou une morale transnationale typique de la globalisation.

Contexte et enjeux

2Les références à la société « harmonieuse » ou de « moyenne prospérité » manifestent l’inquiétude du gouvernement chinois devant les risques sociaux, et au-delà politiques, d’une absence de maîtrise du mécontentement social né des inégalités croissantes dans la société. Le développement sauvage d’une économie de marché peu régulée vient s’échouer sur une crise mondiale qui met l’Etat au pied de ses responsabilités et oblige le régime à renforcer une légitimité écornée par des années de corruption, en particulier parmi les autorités provinciales dont les excès sont systématiquement dénoncés par une presse dont les capacités critiques ne sont pas négligeables. Le nombre des manifestations de protestation et de révolte contre des violences sociales est remarquablement élevé. Il traduit une conscience aiguë et à fleur de peau des injustices les plus criantes sur un mode pré- ou protopolitique, dans la mesure où la contestation du pouvoir central demeure interdite et où celui-ci est plutôt appréhendé comme un recours. Dans ce contexte, la pacification sociale apparaît comme une tâche primordiale et le développement du travail social se présente comme un outil important de gestion des tensions sociales, marginalités et exclusions diverses. En effet, la croissance chinoise fut rapide, prédatrice, injuste. Pour les classes moyennes émergentes le marché signifiait le bonheur personnel et familial, l’achat d’un appartement, d’une voiture. Pour les ruraux migrants l’objectif était de toucher quelques miettes de cette croissance. Avec la crise générale, le marché devient synonyme de malheur et de précarité, en particulier pour les travailleurs et les jeunes diplômés. La rapidité et la brutalité de ces évolutions fragilisent la société chinoise. C’est pourquoi l’observation et l’analyse des modes de gestion des problèmes sociaux est pertinente et symptomatique.

3Le développement du travail social en Chine remonte à une quinzaine d’années et il est rapide. Il obéit à une volonté étatique manifeste de « moderniser » les formes de prise charge des cas sociaux, autrefois passablement brutales, stigmatisantes. Des formations sont ouvertes chaque année dans les universités, après Pékin, Shanghai, Canton… Si l’orientation est bien prise, les effets sont plus limités car la Chine est immense, et les anciennes formes de prise en charge, par les comités de quartier, par exemple, encore très présentes. Deux profils d’acteurs sont encore en place, avec des bagages différents. Ainsi, les jeunes diplômés de travail social se plaignent souvent de leur incapacité, dans leur emploi, à mettre en œuvre les connaissances et méthodes acquises, et mal comprises par leurs supérieurs plus âgés, formés, au sens fort du terme, à une autre école. L’enseignement du travail social est emprunté en totalité aux écoles des USA, via les relais de Hong Kong et Taiwan. L’approche repose sur des notions comme la responsabilité et l’autonomie, la tolérance à l’égard des déviances mineures, l’absence de stigmatisation et d’exclusion. Les travailleurs sociaux reçoivent des salaires modestes et un nombre non négligeable abandonne ce travail après quelques années ou quelques mois. Le choix de la spécialité par les étudiants est rare. Ce sont leurs notes qui assignent aux étudiants des filières et des universités, pas leurs souhaits. Toutefois, ceux qui résistent aux difficultés apparaissent motivés et efficaces à leur niveau. Ils reçoivent des recyclages fréquents à Hong Kong, pour ceux rencontrés à Canton, et cela renforce leur conviction d’appartenir à une avant-garde d’une grande utilité sociale, comme une sorte d’élite, pionnière et modeste, dans une société nouvelle par sa façon de gérer les cas sociaux. Les formations reçues à l’université s’appuient sur des manuels américains, sans aucune prise en compte des contraintes locales, politiques en particulier, qui sont occultées. Ainsi, les cours évoquent le travail des ONG alors que celles-ci sont autorisées à dose homéopathique et considérées comme suspectes par le gouvernement, sauf celles qui sont des ONG « gouvernementales ». Il faut entendre par là des organisations para-étatiques, disposant d’une autonomie relative, comme la Fédération des handicapés, mais sous tutelle étatique distante. Qualifiées de GONGOS dans la littérature internationale sur les ONG, de telles organisations se rencontrent dans de nombreux pays et ne sont donc pas propres aux Etats autoritaires bien qu’elles y soient plus nombreuses (Bazin, Hours et Selim, 2009).

4L’analyse des enseignements de travail social révèle la mise en scène d’une société ouverte, des communications avec jeux de rôles, une pédagogie ludique et participative d’origine étrangère, empruntée sans recul, comme d’autres technologies étrangères dont la Chine s’est emparée au premier degré, sur le registre unique d’une efficacité opérationnelle escomptée. L’objectif central affiché est de pacifier les tensions sociales, les épreuves des marginaux et victimes, de vaincre la solitude des personnes âgées, des plus pauvres. L’approche est celle de la solution des problèmes, un à un, avec le recours fréquent à des spectacles de solidarité ou solidarités-spectacles, sortes de kermesses animées par des travailleurs sociaux, avec chants, danses, concours, slogans solidaires, ballons, créatures de dessins animés, sortes de Mickey travailleurs sociaux, qui organisent des spectacles sur les places urbaines, dans les centres commerciaux, les parcs publics, afin de sensibiliser l’opinion publique au traitement humain du malheur des autres. A défaut d’une protection sociale réservée à quelques catégories socioprofessionnelles, ces événements mettent en scène, comme le Téléthon, une solidarité virtuelle et l’image d’une bonne volonté et d’une chaleur humaine qui rapproche ceux que la vie quotidienne tient éloignés les uns des autres. Les jeux y tiennent la plus grande place, loin de tout discours moralisateur ou édifiant, ce qui manifeste une rupture de style avec les rhétoriques socialistes antérieures.
Lors de ces manifestations, particulièrement visibles le week-end, les travailleurs sociaux côtoient leurs homologues non professionnels, les volontaires, acteurs d’un mouvement d’une grande ampleur depuis quelques années, qui mobilise des milliers d’individus de tous âges, engagés dans des prestations des services sociaux épisodiques, réguliers, enregistrés par les organisations de volontaires. Ces bénévoles, qui ont fait l’objet de nombreux entretiens, mettent en face d’un phénomène de grande ampleur, orchestré et déclenché par l’Etat en vue d’établir une sorte « d’amortisseur social » qui s’inscrit dans le passage d’une gestion du social monopolisée par l’Etat communiste dans le passé, un engagement surveillé de la société comme thérapeute de ses propres maux. La coexistence de ces volontaires et professionnels pose parfois quelques problèmes mais ils concourent, les uns et les autres, à la sublimation ludique et spectaculaire des problèmes sociaux, qui évite que ceux-ci ne deviennent politiques. Des solutions existent, personne n’est abandonné par la société attentive aux siens, même aux plus défavorisés nous disent ces mobilisations, ces activités où finalement, travailleurs sociaux autant que volontaires, sont mobilisés pour tenir un discours de calme, de solidarité, de compassion, de la société à la société. L’Etat qui dispose de l’image de l’autorité forte se tient discrètement à l’écart de la scène, même s’il en est le principal metteur en scène, puisqu’il ne s’agit rien de moins que de montrer l’émergence d’un sujet individuel autonome, responsable, altruiste, à la place d’un Etat doté du monopole de la prise en charge sociale, et exposé à ce titre à assumer ses insuffisances, c’est-à-dire l’ire des populations.
L’engagement de professionnels du travail social et de volontaires se substituant à l’Etat en partie, amène à se pencher sur ces nouveaux acteurs, sur leurs profils et leurs représentations. Tel est l’objet des études de terrain menées en Chine dans le champ évoqué et dans le cadre d’un relatif effacement de l’Etat au profit d’acteurs de la société, encadrés néanmoins, et qui opèrent entre professionnalisation et spectacles de solidarité.

La mise en œuvre d’une investigation ethnologique à Canton

5Débutées en 2005, les investigations ont été effectuées chaque année durant 2 à 3 mois dans différents agencements de travail social. Comme ailleurs, mais sensiblement plus qu’ailleurs en raison des usages politico-bureaucratiques de réserve face à des étrangers, nous avons dû ajuster l’idéaltype de la méthode ethnologique aux particularités des situations rencontrées.

6Un relatif consensus règne parmi les anthropologues sur la nécessité d’une immersion personnelle du chercheur dans le groupe social étudié afin de combiner observations sur la quotidienneté et recueil des discours des acteurs. Néanmoins, au-delà de cet accord minimal, la praxis ethnologique est multiple, mettant en scène des divergences réelles dans les modes de production des interprétations. C’est pourquoi précisons d’emblée brièvement quelques points épistémologiques d’autant plus importants à nos yeux qu’ils ont été mis à l’épreuve sur nos précédents terrains. L’entrée de l’anthropologue dans un champ microsocial, son acceptation, son intégration en font un acteur social au sens fort du terme, sur lequel de multiples projections vont être apposées par les différents interlocuteurs qui s’adressent à lui. Une investigation ethnologique peut être considérée comme réussie lorsque la fonction de miroir de l’anthropologue a inversé la demande, soit lorsque les sujets eux-mêmes se tournent volontairement vers l’anthropologue pour – à propos de segments de leurs trajectoires – élaborer face à lui leur identité. Etranger intime, personnage oxymorique, l’anthropologue se tient durant une enquête sur une crête semée d’écueils, devant engendrer une proximité qui conserve intrinsèquement la distance nécessaire au désir de dire des acteurs. Dans cette scène il n’y a pas d’ « informateur », terme cher à l’ethnographie coloniale du début du XIXe siècle, mais la constitution d’un mode de communication propre à l’investigation, s’implantant dans un contexte précis de rapports microsociaux. Le déchiffrement des enjeux internes et des logiques contradictoires qui agitent l’espace partagé impose la compréhension des rôles et des positions qui ont été attribués imaginairement à l’anthropologue. Son implication objective et subjective maîtrisée et décryptée est dans cette optique un étai déterminant des analyses qu’il offre ultérieurement à la réflexion. La configuration chinoise amplifie cette orientation en raison de deux facteurs qui façonnent la relation à l’étranger : le maintien d’un Etat-parti monopoliste au pouvoir, mais aussi une ouverture de plus en plus grande au monde extérieur qui laisse la possibilité aux acteurs d’une expression personnelle relativement libre dès lors que les relations interindividuelles sont consolidées, et que les éventuelles obstructions institutionnelles sont levées ou contournées.

7Le département de travail social d’une université cantonaise (sur laquelle comme il est d’usage nous garderons l’anonymat) fut à la fois notre partenaire, le garant permanent de notre recherche et de sa légitimité, et aussi notre premier terrain d’investigation. Prenant appui sur les relations établies avec l’un des responsables du département et la coopération ancienne entre notre institut français et l’université cantonaise, c’est dans le cadre de cette université que fut produite la légitimité, à la fois officielle et informelle, de notre recherche. Ce bénéfice de l’autorité de l’université fut réitéré chaque année auprès des organisations où nous souhaitions poursuivre les enquêtes. En cas de nécessité, des autorisations verbales, ou plutôt des non objections, furent requises auprès d’un comité de quartier – soit l’instance microlocale du «gouvernement» provincial – et des fondations de Hong Kong qui finançaient certaines organisations. Afin d’éviter tout placage d’a priori explicites ou tacites, nous décidâmes de suivre dans un premier temps les cours de travail social donnés aux étudiants et de participer avec ceux-ci et leurs enseignants aux grandes fêtes et autres manifestations de travail social qui se tiennent dans les universités, sur les plazza de la ville, dans les rues, et qui font figure de croisades. Cet accès direct au contenu spécifique du travail social et à ses pratiques collectives, animées par un enthousiasme indéfectible, nous a permis de comprendre l’importance en Chine de l’influence des conceptions hongkongaises du travail social, synthétisant elles-mêmes l’empreinte de la tradition anglo-saxonne et l’impact de la lutte anticommuniste, qui s’affirma dès la proclamation de la République populaire en 1949. Des entretiens effectués avec des professeurs de Hong Kong, enseignant bénévolement à Canton, confirmèrent dans les trajectoires individuelles et familiales elles-mêmes le sens de ce retour sur le lieu d’origine, animé par la conviction d’accomplir une mission d’inspiration chrétienne, rendue enfin possible grâce à l’ouverture de la Chine. Les multiples financements d’universités, de fondations et d’ONG hongkongaises à des petits groupes et des institutions publiques de Canton, l’importation de manuels de travail social comme supports d’enseignement, l’apprentissage d’un style très particulier de dynamique de groupe et de jeux de rôle, se mêlant par ailleurs avec les usages enracinés d’enrôlement de masse, constituent ainsi un champ sociopolitique spécifique de travail social à Canton. A un autre niveau, l’enquête menée auprès des étudiants a révélé l’imposition de la filière de travail social en regard des notes obtenues au concours d’entrée à l’université et des choix présentés, mais surtout les contraintes d’un marché du travail peu préparé à cette nouvelle profession, doublées d’un faible investissement des étudiants préférant l’avenir assuré et encore prestigieux d’une carrière de fonctionnaire. Le partage des cours et des activités avec les enseignants et les étudiants, notre statut de chercheurs rendirent cette première étape de familiarisation avec le travail social, à Canton, aussi aisée que plaisante. Dans une perspective anthropologique, les entretiens furent centrés sur les biographies familiales (incluant deux générations) et les représentations des transformations sociales et économiques actuelles dans leurs incidences sur les sujets individuels, l’emploi, le travail, l’activité de stagiaire. Les étudiants sont en effet envoyés en stage dans différentes organisations publiques et privées gérant les exclus et les populations dites « vulnérables » de toutes sortes : handicapés physiques et mentaux, chômeurs, personnes âgées, fugueurs et vagabonds, détenus provisoires des centres de rétention, etc. Par principe et dans un souci de neutralisation hiérarchique, un temps non limité fut toujours réservé au renversement des postures de l’entretien, c’est-à-dire que nous avons invité chacun à nous poser toutes les questions qu’il souhaitait, auxquelles nous répondions avec la même franchise que celle que nous attendions de nos interlocuteurs. Une grande attention fut portée aux modes de réception de la matrice idéologique importée à travers le travail social et sa confrontation avec l’idéologie diffusée par l’Etat-parti. Focalisée sur les perceptions des acteurs, appréhendés dans leur idiosyncrasie – dans un contexte où étudiants et professeurs viennent de toutes les parties de la Chine –, cette intégration dans l’univers universitaire du travail social fut un levier pour la suite de la recherche.

8Connaissant en effet les difficultés inhérentes à l’implantation d’une investigation ethnologique dans des configurations politiques d’Etat-parti similaires (Laos, Vietnam) à celle de la Chine, nous avons « suivi » avec le statut d’assimilé tuteur une étudiante accomplissant son stage de fin d’études dans une organisation parapublique dépendant de la fédération des handicapés et financée par Hong Kong, et dans une autre totalement privée et ayant le profil d’une ONG. Dans les deux cas, grâce à ce montage – imaginé au départ par l’étudiante elle-même, ancienne travailleuse sociale dynamique ayant repris des études – des avis favorables ont été obtenus dans un délai relativement court et notre temps fut partagé entre les deux organisations. La première – que nous appellerons Anoia – accueille des adultes « malades mentaux » dits « guéris » (kang fu zhe) après un diagnostic quasi-unique et très arbitraire de « schizophrénie » (jing shen fen lie zheng). Des animations et des formations (artisanat, musique, informatique, etc.) leur sont proposées dans un vaste et lumineux local situé au dernier étage d’un immeuble. Les parents sont corollairement invités à une relative autogestion de ce lieu où ils suivent aussi des conférences. Des jeux rassemblant tous, parents, enfants mais aussi des groupes de volontaires ou encore des associations, sont régulièrement organisés. Un repas hebdomadaire, abondant mais au prix modeste, se tient en outre dans un des innombrables grands restaurants de la ville – choisi avec soin et à chaque fois différent – offrant un moment de convivialité partagée qui compense dans l’imaginaire l’évitement systématique de relations de proximité à l’extérieur de l’ONG. Le local d’Anoia dispose d’une petite pièce aveugle où l’équipe des travailleurs sociaux était censée discuter avec les parents ou leurs descendants. La porte en était toujours close et elle restait vide. C’est là que nous fûmes propulsés pour mener des entretiens avec les parents, après avoir entendu individuellement les travailleurs sociaux. Les parents – qui n’avaient jamais eu l’occasion de raconter la succession des événements qui avait poussé à la « folie » leurs enfants et les impasses où ils s’étaient retrouvés – s’emparèrent de l’offre d’écoute que nous leur faisions. Ils livrèrent leur récit, souvent entrecoupé de larmes, avec une intensité dramatique, insigne, bouleversant nous-mêmes et nos assistantes, de jeunes étudiantes représentatives d’une génération très distante de l’idéologie étatique et personnellement soucieuses de retraduire, sans restriction, les logiques de nos interlocuteurs. Nous étions assignés à une position d’écoute exemplaire, par des sujets tentant in fine devant un autre, de comprendre ce qui s’était passé, sans plainte ni espoir, puisqu’il était entendu qu’il était trop tard pour tenter quoi que ce soit. Anoia était le dernier refuge, très apprécié où la collectivisation du malheur pansait superficiellement les plaies en quelques instants inestimables de joie. Quant à nous, nous étions une opportunité inattendue et exceptionnelle de penser à haute voix à la fracture familiale et sociale qu’avait engendrée la longue descente dans cette chose glauque qu’est la « maladie ».

9Nommons Apheleia l’autre organisation où nous avons mené l’investigation, une ONG qui dispensait des cours à de tous jeunes enfants trisomiques et à d’autres déclarés unilatéralement « autistes » (zi bi zheng de). Après avoir là encore longuement discuté avec chacun des travailleurs sociaux, nous avons mené des entretiens avec les parents. Les jeunes couples de migrants obligés par les rythmes de travail de laisser leur enfant, peu de temps après sa naissance, à leur famille à la campagne, racontaient fréquemment comment, en le ramenant en ville, ils découvraient son comportement fortement perturbé, rendant impossible la scolarisation. L’impuissance, l’incompréhension, le désespoir animaient les narrations de ces acteurs, à bout de force et aux moyens financiers réduits. Dans les couches sociales moyennes, au contraire, d’aucuns, honteux de la tare que représentait l’enfant « anormal » dans leur itinéraire de promotion, le tenaient enfermé et caché à tous, y compris à leurs parents, depuis plus d’une décennie, dans leur appartement, tel un professeur d’anglais à l’université. Par ailleurs, afin de replacer l’ONG dans la conjoncture locale, nous visitâmes la dizaine de structures privées du même type qui accueillent à Canton des enfants dits « autistes », passant un à deux jours dans chacune d’entre elles, et réalisant des entretiens avec les travailleurs sociaux et les parents. Sur le fond de cette contextualisation, les deux organisations étudiées de façon approfondie se présentaient comme des terrains particulièrement complémentaires en offrant à l’observation plusieurs générations de parents dont les enfants à des âges différents s’étaient vus refoulés hors de l’école, du travail, marginalisant de fait l’ensemble de la famille, puisqu’un « fou » dans une famille peut de fait rendre impossible le mariage de ses frères et sœurs, la découverte de la « maladie » faisant croire à une éventuelle transmission héréditaire aux futurs descendants. Ce fait nous fut maintes fois expliqué et avec particulièrement de détails par une femme dont la fille avait choisi de quitter la Chine, trop humiliée par la fuite répétée des prétendants dès lors qu’ils découvraient l’existence de son frère, âgé de près de 40 ans, très atteint et ayant des épisodes violents réguliers. La jeune fille s’est finalement exilée aux USA où elle a épousé un américain, bien accueilli dans sa belle-famille chinoise. La mère se jugeait ironiquement avoir été « incapable de gérer les deux hommes de [sa] famille » – le père et le fils en affrontement perpétuel – alors qu’elle avait été chef du personnel d’une petite entreprise d’Etat. Appartenant à des couches sociales variées, au plan économique, statutaire, et du capital éducatif, issus de lignées aux origines différentes (propriétaires fonciers, industriels, professeurs, employés, ouvriers, paysans, etc.), ayant vécu de façons très contrastées les séquences politiques qui se sont succédé depuis la révolution, les parents nous ont donné à voir dans l’histoire courte des cinquante dernières années la complexité des modes de subjectivation de réalités bien souvent implacables, en raison des cadres politiques coercitifs dans lesquels les acteurs étaient pris jusqu’à récemment. A un autre niveau, les jeunes travailleurs sociaux mettent en lumière des dynamiques sociales bien enracinées où, d’un côté, le côtoiement des exclus est d’autant plus dévalorisant voire « contaminant » que le salaire est bas, de l’autre l’implication dans ce type d’emploi intègre, au delà de la rationalité des choix du travail, un retour du refoulé des histoires familiales du sujet et des charges émotionnelles qu’il comporte.
La recherche s’est poursuivie dans une sorte de maison d’accueil de jour pour personnes âgées, auxquelles étaient dispensés cours d’anglais, conférences, leçons de cuisine, de gymnastique, de danse, d’échecs, etc., bref, un ensemble de formations et d’animations à visée « épanouissante ». Financée une fois de plus par une ONG de Hong Kong, cette organisation est implantée au sein d’un des plus vieux secteurs de Canton, dans un espace architectural en partie préservé et s’exhibant comme un quartier modèle offrant une panoplie de services sociaux intégrés et en particulier pour handicapés mentaux et physiques. Le centre d’activités pour personnes âgées prend place dans cet agencement public aux côtés d’une maison de retraite et d’un magnifique bâtiment regroupant au centre du quartier l’ensemble des offres de prestations sociales. Très facilement acceptés par le biais de ce centre pour personnes âgées, avec la double autorisation du Comité de quartier et de l’organisation de Hong Kong, nous pûmes ainsi appréhender avec une profondeur historique plus grande – les acteurs ayant de 70 à 85 ans – les modes de réception des dispositifs actuels de travail social et surtout les logiques en jeu dans le cadre de la rupture entre les périodes pré- et post-révolutionnaires. Notre présence quotidienne dans le quartier durant plusieurs mois, nos visites au domicile des uns et des autres sur leur invitation, nos rencontres avec les membres des familles nous permirent de mieux saisir les rapports sociaux internes et externes avec les institutions dépositaires de l’autorité, organisant de fréquentes manifestations. Le constat de l’importance du volontariat dans ce quartier-modèle nous conduisit à mener ensuite une enquête centrée spécifiquement sur les multiples volets de ce phénomène actuel de masse, où s’engagent toutes les générations, des groupes de statuts très différents – du chômeur à l’entrepreneur – et où se déploient des dispositifs très diversifiés nés d’initiatives microcollectives, certains faisant preuve d’une large autonomie gagnée grâce aux financements hongkongais, d’autres étant au contraire sous la tutelle d’appareils étatiques comme la Ligue de la jeunesse. Entre ces pôles extrêmes, on observe une foule de regroupements de nature variée, qui peuvent par exemple, émaner uniquement de l’usage d’internet. Déterritorialisée, cette investigation a progressé par microréseaux, nous mettant face à tout l’éventail présent des modalités d’investissement personnel et collectif révélatrices des souffrances sociales autant que des compensations disponibles qui vont des prestations sociales aux hotlines téléphoniques
Enfin, parce que le travail social à Canton est, comme à Hong Kong, mais aussi maintenant en France, fortement imprégné par la psychologie, nous avons mené une investigation sur les cabinets de psychologues, psychanalystes et psychothérapeutes de toutes obédiences qui fleurissent à Canton, nous attachant à l’un d’entre eux qui réunissait un petit groupe de supervision une fois tous les 15 jours pour l’examen de cas précis. Notre participation à ces soirées studieuses et chaleureuses nous a donné accès aux schèmes d’interprétation sur le vif de spécialistes face à des dévissements sociaux, dont l’évidence sociologique était souvent esquivée, en particulier lorsqu’il s’agissait des conséquences de politiques publiques telles l’enfant unique, ou encore de la préférence pour les descendants mâles, si « naturelle » pour les thérapeutes que ses effets pathogènes sur les filles méprisées comme sur les garçons trop adulés en étaient oubliés.
Ce récit méthodologique enjoint à souligner tout d’abord que des investigations ethnologiques sont possibles et réalisables dans la Chine actuelle, si la légitimité de l’enquête est produite au niveau requis. Dès lors les acteurs individuels s’autorisent une grande liberté de parole, y compris de critique des réformes et des institutions étatiques, lorsqu’ils sont placés dans des conditions d’échange à leurs yeux claires, telles celles que nous avons mises en place où nous explicitions avec précision notre position de chercheur d’un organisme public français. Selon les situations d’enquête, cette position s’est déployée dans des configurations révélatrices, où les sujets projetaient sur nous-mêmes des figures de leur engagement dont le schème était ainsi nettement dégagé : la recherche était assimilée à du volontariat par les volontaires, tendait au partage égalisant avec les personnes âgées, était investie comme un témoignage sur la fracture introduite par le capitalisme dans le présent, en comparaison d’un passé neutralisant les hiérarchies, devenait une source d’information pour les plus jeunes, rejetant le politique, etc. Dans tous les cas la communication était souhaitée et appréciée dans une relation marquée par l’altérité, objet de désir épistémique de la part des acteurs, les plus âgés mesurant le sens inouï de cette opportunité en regard d’un passé où l’interdit pesait sur les rapports avec les étrangers. Cependant, compte tenu du poids énorme des normes sur les individus de tous âges qui sont toujours éduqués à les valoriser et à y élaborer leur personnalité devant s’inscrire dans la « masse », l’écoute personnalisée d’une parole personnelle ouvre une brèche avec une puissance séductrice certaine et quasi immédiate. Il revient à l’anthropologue de soutenir et de cadrer cette parole inévitablement déviante par sa subjectivité même dans un contexte sociopolitique où elle n’a pas de place. Insistons néanmoins sur le fait que le champ du travail social, de par sa signification intrinsèque de service et son contenu compassionnel, offre une ouverture certaine à une recherche anthropologique. Relevons enfin que le vocable récemment adopté en anthropologie de « multisite » peut s’entendre de plusieurs façons. Stricto sensu, il qualifie des enquêtes effectuées dans plusieurs lieux dont l’accumulation est enrichissante. Mais dans le cas présenté, c’est dans chaque groupe étudié que nous avons tenté de recomposer la totalité significatrice des champs sociaux, soit des sites, où l’acteur individuel s’insérait. C’est en effet dans cette perspective que le terme de multisite peut prendre toute sa dimension épistémologique en faisant porter l’effort sur l’analyse de la cohérence des articulations entre les sphères sociales investies par les acteurs. Toutes ces remarques montrent pourtant que le terrain chinois s’intègre désormais dans la praxis anthropologique au même titre que beaucoup d’autres et bien plus aisément que des situations nationales où la violence d’Etat sème une peur permanente et bloque la parole tel le Vietnam de la fin des années 90, ou encore fait peser une terreur consciente et inconsciente personnelle et collective comme au Laos au début des années 90 ou en Ouzbékistan en 2004/2005, après le massacre d’Andijan.
L’enquête anthropologique dissout bon nombre de stéréotypes dès lors qu’elle se penche sur les rapports sociaux en jeu entre des personnes concrètes qui ne sont pas des abîmes d’altérité politique ou culturelle mais des acteurs sociaux en situation, abordés comme tels. Pour aller au-delà d’une simple description ethnographique, guettée par le risque de l’anecdote ou celui de spécificités inventées, il convient de situer cette recherche dans un cadre plus général qui lui donne un sens anthropologique à travers des lignes d’interprétation globale.

L’émergence du sujet chinois de la compassion globale

10Un paradoxe particulier en Chine est celui d’un Etat autoritaire attaché à sa souveraineté mais apte, de façon mesurée, à favoriser l’éclosion d’une action humanitaire qui présente plusieurs avantages politiques. Se pencher sur la détresse des autres limite la frustration sur ses propres malheurs et par là les risques de révolte (Hours, 1998). En outre, autoriser l’expression d’émotions philanthropiques permet une certaine expression de la société civile, prépolitique en Chine, c’est-à-dire sans accès au pouvoir, postpolitique en Occident où la souveraineté des citoyens est fréquemment aliénée, de substitution dans tous les cas. En légitimant l’expression émotionnelle individuelle et en l’orientant vers des traitements empathiques et compassionnels, la Chine opère une rupture profonde avec les périodes révolutionnaires où l’expression individuelle était bannie et les traitements des cas sociaux expéditifs par la mise à l’écart ou l’enfermement, toujours avec une brutalité justifiée par le bien commun et la paranoïa du complot interne ou étranger. Dans ces époques, pas très éloignées, les héros étaient les variantes chinoises de « l’homme de fer » ou de « l’homme de marbre » de Wajda. Le fameux Lei Feng reste le symbole du sacrifice de soi et son nom est connu de tous. Ces grandes figures décorées et médaillées ne sont apparemment plus de saison. L’Etat, par la voix des gouvernements locaux, des comités de quartiers, des organisations nationales et régionales de volontaires, vante les mérites de petits héros du quotidien, professionnels ou bénévoles, sensibles, dévoués, solidaires. Car c’est bien d’une tentative de refondation de la solidarité qu’il s’agit à travers quelques figures emblématiques du volontariat, médias obligent, mais aussi des milliers de volontaires obscurs, chômeurs ou salariés, qui « donnent à la société » une partie de leur temps de loisir. Ces heures sont inscrites dans un livret individuel et elles valent des bonus aux étudiants. Elles sont très gratifiantes aux yeux de toutes les personnes interrogées qui insistent sur la satisfaction morale ressentie, le sentiment de solidarité et d’appartenance à la société. D’aucuns imaginent que les heures comptabilisées leur seront un jour en quelque sorte « reversées » par l’Etat lorsque, dans la vieillesse, ils en auront eux-mêmes éventuellement besoin. Cet échange fantasmatique sur le long terme entre l’individu et l’Etat permet éventuellement la résolution imaginaire d’une culpabilité personnelle liée à l’incapacité matérielle et financière de prendre en charge un parent âgé. Ainsi une jeune femme qui entraînait dans de multiples activités de volontariat son fils de 10 ans – présent lors de l’entretien où il prit avec assurance la parole – s’interrogeait en ces termes : « cela me sera peut-être rendu plus tard », en évoquant une rumeur. Cette commune expérience des gratifications issues de la bénévolence personnelle révèle que l’individu chinois a intégré ces différentes dimensions avec une extrême célérité. Les médias montrent ainsi, presque côte à côte, les turpitudes, violences et corruptions multiples dans la société aussi bien que les actions philanthropiques les plus remarquables. Le vice et la vertu coexistent, comme dans la réalité. Le sentiment de l’exploitation au travail, du harassement, d’injustices au quotidien peut ainsi être allégé car l’altruisme, sa pratique comme sa mise en exergue, produisent le meilleur remède contre l’amertume, voire contre la colère. Le sujet de la compassion devient ainsi un citoyen responsable, participatif, lui-même souvent peu favorisé, mais son engagement social lui vaut une certaine reconnaissance, un peu de cette dignité qu’il n’est plus nécessaire, ni permis, d’exiger par des manifestations susceptibles de fragiliser l’ordre social. Ce n’est qu’au cas par cas, lorsque la violence et les exactions se concentrent dans un fait divers que surviennent ces rebellions brutales et rapidement réprimées qui embrasent régulièrement les provinces chinoises. Ces révoltes portent sur des enjeux fonciers et immobiliers, sur l’exploitation des travailleurs migrants dans les industries. Elles sont étroitement liées aux abus réalisés dans le cadre d’un marché peu régulé où certains patrons fuient sans payer les salaires tandis que de grandes entreprises financent des fondations de charité ostentatoires (Guiheux, 2006).
Au-delà du bon ménage que représentent durablement le capitalisme et la philanthropie comme passeport de moralité ou blanchiment des profits, les personnes rencontrées, volontaires de divers statuts socioéconomiques, permettent d’appréhender le mimétisme caritatif à l’échelle populaire. On observe l’existence d’un marché concurrentiel de l’altruisme, où se distribuent des gages de moralité. Les organisations de volontaires entretiennent une émulation continue, faites de félicitations et d’appels alternés, le tout en vue de banaliser et de rendre évident et naturel l’engagement volontaire. Lorsque ces investissements vertueux, ces intégrations dans des groupes qui vous éloignent de la solitude, sont mis en scène dans des spectacles édifiants où les volontaires comme les pauvres sont les héros d’un jour, on comprend l’attachement des acteurs à de tels engagements qui les éloignent de la conscience de leur propre précarité. Le père bénévole d’un enfant handicapé affirmait ainsi : « On s’occupe de chaque jour qui passe. On n’a plus de colère ». Accepter le malheur, individuel et social, et le soigner un peu dans un environnement responsable, amical et participatif, tel semble être le programme de ces activités bénévoles dont le développement se substitue, de fait, à celui d’ONG spécialisées, suspectes en Chine et très circonscrites. Le volontariat s’appuie en outre sur l’héritage des rhétoriques participatives des organisations de masse du passé.

De la justice sociale au care

11Dans la Chine des inégalités, qui n’est plus celle de la misère relativement égale, la quête de justice est potentiellement subversive et semble un risque pour la stabilité sociale qui constitue l’un des objectifs principaux du gouvernement. Après la concurrence et le marché, voici la philanthropie, le service communautaire et le care (soin, attention à l’autre). Drogués de libéralisme peu maîtrisé, les Chinois découvrent les vertus thérapeutiques de l’altruisme en direction de l’ultime altérité rémanente après le miracle localisé : la pauvreté demeure, à grande échelle ; pas plus que le socialisme, le capitalisme ne l’a éradiquée. L’attention et le soin (care) au lieu de la révolte, tel est le programme proposé. Il est parfaitement compatible avec un régime de liberté surveillée, de moins en moins différent de celui de l’hémisphère occidental, sous inquiétude sécuritaire. Des droits sont mentionnés, accordés. Les revendiquer trop fort vous range parmi les dissidents actifs et peu nombreux. Les onguents compassionnels présentent l’insigne avantage de neutraliser les amertumes de l’injustice et d’humaniser le pouvoir, qui demeure en Chine une instance de surplomb réelle et symbolique puissante. Pour avoir connu des années de terreur, les Chinois sont très sensibles au visage bienveillant que prend l’Etat lorsqu’il invite la société à plus de compassion et de solidarité. La référence répétée à une « société civilisée » fait exactement allusion à cette bienveillance, un peu bouddhiste, à une solidarité extrafamiliale, sorte de confucianisme élargi, qui permettent de faire le lien entre tous ces événements contradictoires d’une société violente qui panse ses plaies, à travers des rites de solidarité et des spectacles de masse où chacun est pris à témoin par la société, non plus à propos de ses origines de classe, mais de ses bonnes intentions. Toutes ces évolutions manifestent l’extrême habileté du gouvernement à naviguer dans des eaux agitées de contradictions multiples mais aplanies par la moralisation. Il paraît peu contestable que s’observent des effets de masse propres à la société chinoise qui produisent de la continuité imaginaire là où les cours changent de direction. L’emphase mise récemment et tardivement sur la protection de l’environnement en Chine, outre sa nécessité, s’inscrit dans un contexte où la société est invitée à protéger la nature, les faibles et les malades, après avoir géré l’une et les autres avec brutalité durant des décennies. Humaniser la société est bel et bien l’un des objectifs de l’Etat chinois. Il emprunte pour cela des voies particulières, chinoises dirait-il. Mais si la démocratie occidentale n’est pas au programme, l’action humanitaire et toutes ses déclinaisons latérales sont explicitement programmées. Elles témoignent d’une globalisation morale, clairement à l’œuvre en Chine, dont la sphère politique est exclue, comme dans d’autres pays. Elle nous met en présence, dans les grandes villes beaucoup plus qu’à la campagne, d’une société civile particulière où l’autre commence à prendre place, tandis que la quête de justice entre en concurrence avec les pratiques de charité. Dans cette perspective, le terrain chinois, dans sa singularité, grossit à la loupe des processus et des logiques caractéristiques de la globalisation dans laquelle la Chine prend place avec vigueur. Si le terrain chinois ne revêt donc pas un profil d’exceptionnalité ultime pour les sciences sociales, en revanche il leur permet ainsi de découvrir les nouvelles formes et orientations du capitalisme. La Chine présente, en quelque sorte, le visage brut ou l’épure de la globalisation. A ce titre, les sciences sociales peuvent y trouver quelques traits du futur proche, d’une éventuelle humanité prochaine, postpolitique ou postdémocratique, où le politique, devenu simple gouvernance, permettrait de faire l’économie du débat démocratique pluraliste au nom de la gestion des risques naturels et sociaux. La rapidité et le tournant pris par la transformation de la Chine donnent à voir une évolution aux étapes raccourcies, voire sautées, vers un avenir probablement commun et une altérité en régression obligée.

Références

  • Bazin (L.), Hours (B.), Selim (M.), 2009. L’Ouzbékistan à l’ère de l’identité nationale, Paris, l’Harmattan.
  • En ligneBeja (J.-P.), 2004. A la recherche d’une ombre chinoise. Le mouvement pour la démocratie en Chine, (1919-2004), Paris, Le Seuil.
  • En ligneCabestan (J.-P.), 2004. « La Chine évoluerait-elle vers un autoritarisme éclairé mais ploutocratique », Perspectives chinoises, 84.
  • Delmas-Marty (M.), Will (P.E.), 2007. La Chine et la démocratie, Paris, Fayard.
  • En ligneGuiheux (G.), 2006. « L’entreprise citoyenne en Chine », Transcontinentales, 3.
  • Hours (B.), 1998. L’idéologie humanitaire, Paris, l’Harmattan.
  • En ligneChen (J.), 2006. « ONG chinoises, société civile transnationale et pratiques démocratiques », Perspectives chinoises, 97.
  • Wu (G.), 2008. « Engagement citoyen et gouvernance locale en Chine », Perspectives chinoises, 1.
Monique Selim
Anthropologue, directrice de recherche à l’IRD, UMR Développement et Sociétés
Bernard Hours
Anthropologue, UMR Développement et Sociétés
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/05/2010
https://doi.org/10.3917/tt.016.0011
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