CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les dépenses militaires ont connu, en tout temps, des variations potentiellement grandes dans la mesure où les périodes de conflit conduisent à un accroissement de l’effort de défense (mesuré par le ratio entre dépenses militaires et PIB). Cependant, les périodes d’après conflit conduisent à des réductions de dépenses de défense. Ces dernières peuvent être à l’origine de conséquences économiques significatives.

2La question de l’impact économique de l’effort de défense est alors abordée sous l’angle du dilemme beurre – canon : quelles sont les retombées, aussi bien microéconomiques que macroéconomiques, d’une substitution entre dépenses militaires et usages alternatifs, a priori, civils ? L’idée sous-jacente est que le désarmement, issu d’une volonté politique et lié à un meilleur niveau de sécurité s’il est conduit collectivement, conduit à des gains économiques car les dépenses militaires ne sont plus qu’une dépense improductive. Dans ces conditions, on parle de dividendes de la paix, c’est-à-dire que, outre un environnement international plus sûr, le désarmement conduirait à des ressources disponibles pour des fins plus productives.

3Ainsi, la littérature sur l’économie du désarmement se situe à l’intersection de plusieurs branches de la science économique. En premier lieu, elle puise largement dans les réflexions menées sur la question des retombées macroéconomiques de l’effort de défense. Cette littérature a été initiée par Benoit [1] dans le cas des pays en développement et montre que l’effort de défense stimule la croissance économique. Ce livre a ouvert la voie à une littérature foisonnante pour laquelle aucun consensus n’apparaît : Malizard [2] indique que sur 139 études, 54 concluent à l’existence de retombées positives, 52 à des retombées négatives et 33 sans effet significatif. Plusieurs raisons sont alors avancées pour expliquer cet absence de consensus : l’hétérogénéité des pays étudiés, la diversité des modèles économiques sous-jacents aux résultats économétriques et la multiplicité des techniques statistiques retenues (voir Malizard pour le cas de la France [3]).

4La deuxième littérature associée à la question du désarmement est celle de la course à l’armement. Dans un ouvrage célèbre, Richardson [4] s’intéresse aux fondements mathématiques des conflits entre nations rivales, avec comme postulat de base, dans le cas à deux pays, que les dépenses militaires de la nation A dépendent positivement de la variation des dépenses militaires de la nation B. Cela définit le processus d’action-réaction. Il conclut que la probabilité de conflit est grande quand les deux nations s’engagent dans une course à l’armement. Un point de vue concomitant est adopté par Schelling [5] pour qui les stratégies entre ces deux nations peuvent se comprendre via la théorie des jeux.

5Enfin, l’analyse du désarmement emprunte des éléments à la théorie microéconomique et plus particulièrement aux aspects industriels. La structure du marché de la défense est particulière car l’État est en situation de monopole pour l’achat de matériels de défense auprès de différents producteurs. Cette situation, caractéristique d’un monopsone, conduit à une organisation et une régulation spécifiques de l’industrie. En termes de conséquences économiques, il faut alors étudier dans quelle mesure ces spécificités peuvent compliquer le processus de conversion des industries militaires, puisque ces dernières verront la demande pour les produits de défense réduite suite aux réductions du budget de défense, consécutives au désarmement. L’échelle microéconomique est également adoptée pour examiner les conséquences des fermetures de base à l’échelle régionale ou les possibilités de retour à l’emploi pour des personnels associés au secteur de la défense (militaire ou industriel).

6L’analyse de cette intersection entre différentes littératures est confirmée par l’ouvrage édité par le PRIO (Peace Research Institute Oslo), intitulé “Making Peace Pay” [6] et qui consiste à recenser les différentes études portant sur les questions de désarmement. Les deux contributions originales portent sur les questions d’impact en termes de croissance des dépenses militaires et les problèmes de conversion respectivement.

7Pourtant, du point de vue de l’histoire de la pensée économique, l’analyse du désarmement est fondamentalement liée aux questions de conflit et de puissance [7], même si les préoccupations sont différentes avant et après 1945. Par exemple, Adam Smith postule que les règles du laisser-faire impliquent la domination des nations les plus puissantes. Toutefois, les guerres sont avant tout liées à des facteurs politiques et non économiques, ce point de vue ayant été repris par la suite par les “marginalistes” qui posèrent les fondements de la théorie néoclassique standard. À l’opposé, les marxistes supposent que les conflits sont le résultat de la domination économique et de la lutte des classes. Dans ces conditions, quelle que soit l’idéologie retenue, il n’existe aucune référence à la notion de désarmement.

8À partir de 1945, l’importance de l’économie dans la compréhension de la sécurité internationale prend une part croissante. C’est à cette époque que furent développés les travaux abordant le concept de course à l’armement. Les néo-marxistes suggèrent que le système capitaliste est condamné en vertu de la baisse tendancielle du taux de profit et que, dans ces conditions, les dépenses militaires peuvent être un outil utile pour ralentir cette baisse. Enfin, une dernière frange d’économistes met en balance le budget de défense au niveau mondial avec les besoins nécessaires pour lutter contre le sous-développement de certaines nations. Ainsi, si la notion de désarmement n’est pas totalement inexistante, peu de travaux s’intéressent à son éventuelle influence car les conditions ne sont pas réunies pour qu’il se matérialise.

9Si on recense les études examinant les conséquences économiques du désarmement, on se rend compte que la majorité d’entre elles ont été publiées dans les années 1990. Deux exemples peuvent illustrer cette tendance : la revue de référence sur les questions d’économie de défense, Defence and Peace Economics, a publié deux numéros spéciaux portant sur le désarmement en 1994 “The Economics of Disarmament” et sur la conversion économique en 1995 “The Economics of Conversion”. Par ailleurs, l’ouvrage intitulé The Peace Dividend, publié en 1996, fait référence sur le sujet des retombées macroéconomiques du désarmement. D’après Fontanel, les raisons expliquant cet intérêt aux questions de désarmement sont multiples : “Avec l’effondrement du système socialiste, la fin de la Guerre froide et la persistance de la crise économique, la conversion des activités militaires en productions civiles est devenue nécessaire” [8].

10La période entre 1985 et 2000 a donc été propice à une multiplication des études visant à quantifier les effets du désarmement. Le postulat de base est que l’environnement international est favorable à des réductions de dépenses militaires sans que la sécurité soit menacée et que les économies ainsi réalisées peuvent être réallouées à des usages alternatifs plus efficaces.

11Malgré les réductions actuelles des budgets de défense pour la grande majorité des pays développés, suite au processus de consolidation budgétaire, les problématiques économiques liées au désarmement ne sont que marginalement discutées. Il est donc cohérent de s’intéresser principalement aux études de la décennie qualifiée comme étant celle des “dividendes de la paix”.

12Cet article consiste alors à présenter le point de vue des économistes sur la question du désarmement, en focalisant, quasi-exclusivement, sur la période de l’après-Guerre froide. Plusieurs questions sont alors traitées : la définition du désarmement, l’ampleur du désarmement de l’après-Guerre froide et les conséquences économiques.

13L’article se compose de plusieurs sections. Tout d’abord, nous aborderons la définition du désarmement car ce terme peut engendrer des différences sémantiques. Ensuite, des données relatives au processus de désarmement de la fin de la Guerre froide seront présentées. Par la suite, nous étudierons comment les économistes ont appréhendé les conséquences économiques du désarmement. La dernière section conclura l’article.

Les définitions du désarmement

14Comme le signale Fontanel, le terme “désarmement” revêt une dimension polysémique [9]. En effet, il est possible d’en donner trois définitions principales, qui en fonction de leur usage dans les études économiques conditionne les résultats obtenus :

La destruction des stocks militaires

15L’idée sous-jacente de cette définition tient dans le fait que le niveau de sécurité est atteint dès lors qu’une nation détient suffisamment d’armes pour se prémunir d’un risque d’une attaque d’une nation rivale. Dans ces conditions, une simple destruction physique du stock d’armes constitue une forme de désarmement. Il s’agit principalement d’une référence aux superpuissances avec une orientation particulière vis-à-vis des armes nucléaires. De façon concomitante, le bannissement de certaines armes constitue également une forme de désarmement.

16Sur la base de critères économiques, la destruction des stocks militaires comme cause d’un processus de paix peut s’analyser via la théorie de la course à l’armement : le stock d’armes de “l’ennemi” affecte négativement l’utilité d’une nation et dans ces conditions, augmente elle aussi son stock d’armes en réponse. Le dilemme du prisonnier s’applique alors et conduit à une solution de Nash (les deux nations s’engagent dans une escalade de dépenses) alors qu’il existe un équilibre de Pareto (les deux nations détruisent leur stock) pour laquelle le niveau de sécurité est optimal. Ainsi, la destruction des stocks militaires implique un meilleur niveau de sécurité.

17Toutefois, malgré les ressources économisées sur les budgets de défense par le renoncement à certaines armes, ce type de désarmement implique généralement des coûts élevés. Par exemple, d’après des données fournies par Fontanel [10], le budget de l’agence américaine de destruction de matériels chimiques a été multiplié par 2,5 entre la fin des années 1980 et 1994.

18Enfin, le critère de la destruction ou du bannissement de certaines armes est potentiellement flou : afin de maintenir un niveau de sécurité jugé suffisant par les autorités en charge de la politique de défense, d’autres dépenses de défense peuvent augmenter via les économies réalisées.

La réduction des dépenses militaires

19Cette définition du désarmement correspond à une généralisation de la précédente mais au lieu de considérer un type particulier d’armes, elle englobe plus généralement l’ensemble du budget de défense.

20À travers cette définition, se fonde l’idée que le niveau de dépenses militaires, au travers du budget alloué au secteur de la défense, est un bon indicateur du niveau de sécurité. Une nouvelle fois, le concept de course à l’armement est applicable ici : l’optimum de Pareto peut être obtenu dès lors que les deux nations s’engagent dans un processus de désarmement si elles considèrent que leur niveau de sécurité peut s’accroître en réduisant leur budget de défense.

21Cependant, cette définition, si elle a le mérite de la simplicité, se heurte sur un problème majeur, à savoir que le niveau de sécurité peut seulement s’apprécier à la hauteur de la contribution de la nation au budget de défense. Comme le signale Fontanel [11], les facteurs économiques ne sont pas des indicateurs fiables du désarmement. Aussi, si l’on observe des réductions des budgets de défense, celles-ci doivent également s’analyser à l’aune des contraintes économiques.

22En termes d’impact économique, il est possible d’utiliser le concept de coût d’opportunité qui correspond au coût d’usage d’une alternative plutôt qu’une autre. Dans la mesure où des économies sont réalisées sur le budget de défense, il est alors utile, sur le plan du strict point de vue économique, de classer l’impact économique des différentes alternatives (désendettement public, augmentation des autres dépenses publiques,…).

23Enfin, une dernière conséquence économique peut apparaître : les moindres budgets de défense peuvent impliquer un comportement de rationalisation de l’effort de défense, consistant à faire au moins aussi bien avec moins.

Le “désarmement rampant

24Pour Fontanel, cette forme de désarmement apparaît quand “les dépenses militaires se conduisent plus en variable endogène qu’en véritable variable instrumentale déterminée discrétionnairement par le gouvernement” [12]. Autrement dit, le processus de désarmement peut être appréhendé par des facteurs qui ne relèvent pas d’une volonté politique reliée directement à un objectif de désarmement car les priorités gouvernementales réduisent l’influence prise par le secteur de la défense.

25Cette analyse se fonde sur une littérature foisonnante de l’économie de défense qui consiste à examiner les déterminants des dépenses militaires [13] et visant à distinguer facteurs économiques, politiques et stratégiques.

26D’autres explications sont envisageables et relèvent de la structure même du marché de défense, fondé sur une relation de monopsone. La politique de privatisation et de consolidation de l’industrie de défense conduit à l’instauration d’une politique de concurrence plus accrue entre industriels. Dans ces conditions, Fontanel [14] milite pour une prise en compte d’un contexte général qui permettrait de dimensionner la portée du désarmement.

27Malgré les différences sémantiques du concept de désarmement, les économistes retiennent généralement l’idée que l’on peut l’associer à une réduction des budgets de défense. Parfois, certaines études s’intéressent plus particulièrement à une arme en particulier mais elles sont marginales dans la littérature empirique. Enfin, l’idée de désarmement rampant est difficile à implémenter mais suggère qu’il faille modéliser correctement le comportement des dépenses militaires.

Analyse factuelle du désarmement : l’exemple de la fin de la guerre froide

28Pour illustrer empiriquement l’ampleur du désarmement observé après la fin de la Guerre froide, plusieurs données sont utiles : l’évolution des dépenses militaires tant à l’échelle mondiale qu’à celle régionale, l’évolution des emplois de l’industrie d’armement et l’évolution des forces armées. Enfin, d’un point de vue historique, les réductions observées sur cette période avec celles estimées sont comparées avec les périodes précédentes.

Panorama des dépenses militaires à l’échelon mondial

29Tout d’abord, nous étudions les évolutions des budgets de défense sur la période 1988-2002, afin d’étudier les variations mondiales et régionales. Le graphique 1 présente ces informations.

Graphique 1

Évolution des dépenses militaires au niveau mondial (axe de gauche) et à l’échelle régionale (axe de droite)

Graphique 1

Évolution des dépenses militaires au niveau mondial (axe de gauche) et à l’échelle régionale (axe de droite)

Source : SIPRI.

30Afin de construire ce graphique, nous avons procédé à une extrapolation linéaire de la valeur des dépenses militaires en Europe de l’Est et notamment l’ex-URSS en 1991, année pour laquelle le SIPRI ne publie pas d’informations pour cette région. Cela revient à considérer que les informations fournies sont sujettes à caution, même si elles ne remettent pas en cause la tendance générale observée.

31Entre 1988 et 2002, le taux de croissance des dépenses militaires au niveau mondial est de -25 % et il atteint même la valeur de -35 % entre 1988 et 1998, cette dernière année étant celle où les dépenses militaires atteignent leur minimum sur la période.

32L’ensemble des pays développés, symbolisés par les pays d’Europe et d’Amérique du Nord, est concerné par les réductions de dépenses de défense. Cette baisse peut alors s’interpréter de la manière suivante : la chute du bloc soviétique implique la fin de la rivalité militaire entre les deux superpuissances. Dans ces circonstances, une grande partie des menaces auxquels faisaient face les pays développés d’Amérique du nord et d’Europe de l’ouest disparaît. Il y a alors une inadéquation des budgets de défense vis-à-vis de la demande de défense, ce qui implique une réduction de ces budgets.

33Toutefois, on assiste à décorrelation des dépenses militaires des pays en développement vis-à-vis des pays développés. En effet, les pays asiatiques, sous l’impulsion de la Chine, voient leur budget de défense croître, pour des raisons qui relèvent principalement de l’affirmation en tant que puissance régionale et de phénomènes de course à l’armement. Les pays du Moyen-Orient augmentent également leur effort de défense principalement du fait de la guerre du golfe en 1991. Les pays d’Afrique pris globalement montrent une quasi-stabilité de leur budget de défense sur la période, mais cette analyse masque d’importantes disparités régionales, liées une nouvelle fois par les conflits mais aussi le potentiel de financement assuré par l’existence de revenus tirés par les matières premières.

Conséquences sur l’emploi dans l’industrie d’armement

34Dans la mesure où la baisse de la demande de défense, matérialisée par la baisse des budgets militaires, est généralisée pour les pays développés, la structure industrielle se retrouve inadaptée aux besoins. Parallèlement aux mouvements de réorganisation de l’industrie de défense, les effectifs se retrouvent également orientés à la baisse. Le tableau suivant présente, au niveau global et par régions, l’évolution des effectifs dans l’industrie de défense entre 1987 et 2002.

Tableau 1

Emploi dans l’industrie d’armement, en millions d’emplois

Tableau 1
1987 1992 1997 2002 Monde 17,8 14,1 8,9 7,7 Membres de l’UE 1,4 1,2 0,8 0,7 Bloc soviétique 6,1 4,4 1,5 1,1 États-Unis 3,6 2,8 2,2 2,6

Emploi dans l’industrie d’armement, en millions d’emplois

Source : Brzoska [15]

35Au niveau mondial, les effectifs de l’industrie d’armement ont été réduits de 57 %. Pourtant, les disparités régionales sont une nouvelle importante. Par exemple, pour les pays de l’ex bloc soviétique, les baisses ont été drastiques puisqu’elles sont évaluées à 82 %. Ceci reflète notamment le caractère improductif de l’organisation de l’économie planifiée. Les États-Unis ont plus limité les réductions d’emploi alors que les membres de l’UE se situent au niveau de la moyenne mondiale. Notons enfin que les effectifs dans l’industrie ne suivent pas le mouvement de hausse des budgets de défense à la fin des années 1990, à l’exception des États-Unis.

36Dans la mesure l’emploi industrie est réduit dans tous les pays producteurs d’armes, il y a là un potentiel important de main d’œuvre, dans le secteur industriel, disponible pour des activités a priori civiles alternatives. L’objectif est alors de savoir dans quelle mesure cette disponibilité de facteur travail supplémentaire peut être réallouée efficacement dans l’économie.

Conséquences sur les effectifs militaires

37Enfin, consécutivement aux réductions des budgets de défense, les effectifs des forces armées sont également réduits. Les données sont présentées dans le tableau 2 et reprennent les mêmes zones géographiques que le tableau précédent.

Tableau 2

Forces armées, en millions

Tableau 2
1987 1992 1997 2002 Monde 28,8 25,8 22,1 20,5 Membres de l’UE 2,9 2,6 2,2 1,9 Bloc soviétique 3,9 3,6 2 1,5 États-Unis 2,3 1,9 1,5 1,5

Forces armées, en millions

Source : Brzoska [16].

38Les taux de variation calculés (entre 1987 et 2002) sur les effectifs militaires sont légèrement plus faibles, en valeur absolue, que ceux des effectifs de l’industrie d’armement ; les baisses de budgets de défense affectent d’avantage les emplois industriels que les forces armées. Au niveau mondial, le taux de variation est proche de -30 %.

39Une nouvelle fois, les plus fortes variations s’observent pour les pays du bloc soviétique (-62 %) alors que les pays européens et les États-Unis ont des variations identiques (-34 %). Ceci dit, les États-Unis, l’UE et le bloc soviétique ne représentent que 31 % des forces armées totales en 1987, ce qui implique que les autres régions du monde n’ont pas suivi le mouvement, en cohérence avec les variations de budget explicitées plus haut.

40Cependant, à l’échelle mondiale, plus de 8 millions de militaires se retrouvent donc disponible pour des activités économiques alternatives. La question qui se pose alors est de savoir si les compétences acquises durant les années “sous les drapeaux” sont utiles pour retrouver des positions dans le secteur civil.

Le désarmement de cette période est-il particulièrement élevé d’un point de vue historique ?

41La dernière illustration s’inscrit dans une perspective historique : dans quelle mesure la période de la fin de la Guerre froide est atypique (ou non) par rapport aux autres périodes de désarmement ? Afin de répondre cette question, il faut examiner les cycles des dépenses militaires sur une longue période et notamment les points de retournement qui correspondent soit au début soit à la fin d’un conflit. Le cas des États-Unis est particulièrement intéressant compte tenu de la multiplicité des conflits auxquels ils ont participés (seconde guerre mondiale, guerre de Corée, guerre du Vietnam notamment). Les cycles américains sont répertoriés dans le tableau suivant et sont calculés à partir des données, en dollars constants, fournies par le SIPRI.

Tableau 3

Analyse des cycles des dépenses militaires américaines [17]

Tableau 3
Événements Période Taux de variation Guerre de Corée 1949-1953 + 234 %17 Cycle bas 1954-1965 -11 % Guerre du Vietnam 1966-1968 + 19 % Cycle bas 1969-1979 -28 % “Reagan build-up” 1980-1986 + 37 % Fin de la Guerre froide 1987-1998 -32 %

Analyse des cycles des dépenses militaires américaines [17]

Source : SIPRI.

42À la lumière du tableau 3, il apparaît clairement que le cycle de l’après-Guerre froide constitue une période particulièrement originale dans l’histoire américaine car, en dehors de la période de désarmement observé après la seconde guerre mondiale [18], aucun retournement de cycle n’a été observé avec autant d’intensité.

43Même si les données concernant le bloc soviétique n’offrent pas une grande précision, il est très probable que l’ampleur du désarmement de l’après-Guerre froide a été encore supérieur à celui américain. A contrario, la France et le Royaume-Uni n’ont pas une inversion de cycle aussi prononcée puisque les dépenses militaires, en valeurs réelles, n’ont diminué que de 13 % et 25 % respectivement.

44En résumé, plusieurs points apparaissent de cette analyse factuelle. Tout d’abord, l’ampleur des réductions de dépenses militaires liée à la fin de la Guerre froide est importante pour les pays industrialisés et pour les pays issus de l’ex-URSS. D’un point de vue historique, à part les baisses observées à la fin de la seconde guerre mondiale, il n’y a pas d’épisode comparable, ce qui rend alors la période des “dividendes de la paix” particulière. Les conséquences industrielles et sur les forces armées mesurées par les réductions d’effectif mais aussi par les mutations du secteur de l’armement [19], sont également singulières.

Conséquences économiques du désarmement

45La littérature sur l’impact économique a généré un intérêt soutenu de la part des économistes dans la période de l’après-Guerre froide. Même s’il nous faut mentionner que d’études antérieures ont été publiées, elles sont relativement isolées. C’est donc bien le contexte qui détermine l’appropriation de la thématique du désarmement par la communauté scientifique. Dans ces conditions, de nombreux spécialistes de l’économie de la défense se sont portés sur la question mais également d’autres qui, plutôt que le secteur, ont une appétence particulière à la modélisation économique.

46Deux approches distinctes sont utilisées dans la littérature. La première est d’ordre normatif et consiste à fournir un ensemble de recommandations afin de maximiser l’effet économique du désarmement sur la base d’expériences passées. La seconde est d’ordre empirique et consiste à utiliser des données réelles, anticiper les réductions des dépenses militaires et d’analyser leur impact au travers différents scénarios. Enfin, pour être complet, nous aborderons brièvement les études les plus récentes qui se focalisent essentiellement sur l’existence d’un multiplicateur keynésien.

Approche normative

47Quelques analyses portent sur une présentation, non pas empirique du désarmement, mais plutôt une liste de règles pour orienter le processus de conversion vers une trajectoire économique optimale. La détermination de cette trajectoire relève principalement de l’observation de périodes de désarmement passées.

48L’intérêt de cette approche, outre son caractère pluridisciplinaire, est de prendre en considérer les aspects microéconomiques, notamment la conversion industrielle et régionale des activités de défense et les aspects macroéconomiques, en particulier les conséquences en termes de croissance.

49À ce propos, Fontanel et Ward [20] et Chan [21] listent d’abord l’importance des facteurs économiques et politiques dans l’explication du processus de désarmement. En effet, si la science économique a l’habitude de comparer l’efficacité entre deux secteurs, celui de la défense possède des caractéristiques originales. Elles portent notamment sur l’usage des facteurs de production (capital et travail) puisque les biens militaires ont une tendance à une plus complexité technologique [22] et sur la structure du marché qui ne conduit pas nécessairement à la recherche de la plus grande efficacité économique.

50En termes d’effets macroéconomiques, les deux articles affirment le côté improductif de la dépense de défense, compte tenu du niveau de sécurité accru par le désarmement. Dans ces conditions, si le processus de désarmement est assuré de manière graduelle et accompagné de politiques publiques (industrielles et de l’emploi notamment), alors les coûts initiaux sont compensés par les gains de long terme. Il ne faut néanmoins pas croire en une homogénéité des conclusions car elles varient en fonction du pays, des réductions et du type de dépenses affectés et selon les réorientations réalisées (réduction du déficit, augmentation des dépenses publiques sociales, aides publiques au développement).

51À l’opposé des résultats favorables macroéconomiques, les difficultés de la conversion [23] industrielle, et plus globalement des transformations à l’échelle microéconomique sont également soulevées par Markusen : “Such optimism clashes with the general findings of microeconomic analyses of defence oriented industries” [24].

52Selon Brzoska, les entreprises cherchant à transformer leur activité militaire en activité civile ne sont pas efficaces tant du point de vue technologique que de coût [25]. Il y a donc de nombreux obstacles au processus de conversion : existence d’un complexe militaro-industriel, structure de l’industrie (sous la forme de monopsone ou de monopole bilatéral), obstacles organisationnels (culture du secret, règles administratives), obstacles technologiques et managériaux, et barrières culturelles.

53Afin de limiter les conséquences négatives du processus de conversion, plusieurs solutions sont envisagées. Il s’agit de trouver de nouveaux débouchés pour les produits avec les exportations, même si la faisabilité de cette solution est sujette à caution dans le contexte du désarmement. La restructuration de l’industrie est aussi mise en avant : diversification ou spécialisation sur des créneaux de niche, privatisation qui doit permettre une meilleure efficacité vis-à-vis des contraintes de marché. Il n’est pas possible de généraliser toutes ces politiques, chaque entreprise ayant choisi une trajectoire propre ; en revanche, certains produits se prêtent mieux au processus de conversion que d’autres (missiles nucléaires vs composant électronique) et l’existence de technologie duale pouvant permettre une percée dans le civil. Cependant, l’accompagnement via des politiques publiques est de nature à limiter les frictions associées à la conversion.

54Pour certains économistes comme Intriligator [26], il est possible de faire une analogie avec le processus d’investissement, qui constitue un “détour de production” pour lequel le coût fixe initial doit être compensé sur le long terme. Dans le cas du désarmement, Intriligator [27] note que :

55

It involves initial conversion costs, including the direct adjustment costs of retraining workers and soldiers, retooling or building new capital and developing the capability to produce non-defence goods and services… They are then followed by benefits as inputs are reallocated to the production of civilian goods and services, which provides the ultimate peace dividend… A return from disarmament can be then obtained as the implied social rate of return taking explicit account of both the real costs and the real benefits of disarmament.

56La comparaison avec l’investissement privé est intéressante car elle permet de mettre en évidence le processus long qui matérialise ses effets positifs (la fameuse courbe en J) : à court terme, les coûts initiaux dominent largement les bénéfices mais au fur et à mesure que ces coûts sont internalisés, les bénéfices augmentent, de sorte que, sur le long terme, le taux de rendement est positif. Une nouvelle fois, ce qui importe ici est de savoir dans quelle mesure les coûts dominent les bénéfices pour déterminer une date à laquelle le taux de rendement est nul.

57Selon Intriligator, en utilisant une telle analogie, on peut contourner deux “mythes” associés au processus de désarmement : l’existence immédiate de dividendes de la paix et un déclin économique inévitable suite au désarmement. Convertir les activités industrielles de défense en des activités civiles est nécessairement long, compte tenu du degré de spécialisation des équipements de défense.

Approche empirique

58En complément de l’approche normative, des études ont été publiées en utilisant les outils de l’économie appliquée. Deux types de modèle ont été retenus, à savoir le modèle Entrée-sortie (ES) et le modèle macro-économétrique.

59En dépit de leur différence méthodologique, ces deux modèles ont des caractéristiques communes que l’on peut résumer comme il suit. Tout d’abord, ils se fondent sur la croyance que les dépenses militaires vont être réduites et donc anticipent, généralement au moyen de scénarios, le rythme de réduction. Ensuite, ils visent à examiner un ensemble possible de conséquences économiques en fonction du potentiel de réorientations des budgets de défense, ce qui renvoie inévitablement à la notion de coût d’opportunité ; l’objectif est alors de déterminer s’il est possible de quantifier une politique de désarmement optimale sur le strict plan économique.

60L’organisation de cette partie consistant à d’abord étudier le modèle ES puis s’intéresser au modèle macro-économétrique reflète la dimension historique de l’analyse du désarmement : les outils de l’approche ES ont été utilisés dès la fin de la seconde guerre mondiale alors que l’usage des modèles macro-économétriques a été tardif car il requiert plus d’informations et des techniques statistiques plus élaborées.

61Enfin, afin d’aborder les débats les plus récents, nous terminons notre présentation des résultats par l’examen des études visant à calculer les multiplicateurs, ces derniers servant de base à la formulation de politique économique moderne.

Modèle Entrée-sortie

62L’approche ES, aussi appelée approche input-output a été initiée par Leontief et consiste à modéliser les interactions entre les différentes branches de l’économie. L’idée de base de cette modélisation est simple : la production (output) d’un bien ou service nécessite l’usage de consommations intermédiaires (input), la généralisation de cette construction théorique se fait sur la base d’une production par branches, définies par la comptabilité nationale. Ainsi, pour chaque branche, il est possible de déterminer la quantité nécessaire de consommations intermédiaires et en croisant toutes les branches de l’économie, on obtient des “coefficients techniques”, calculés comme étant le rapport entre consommations intermédiaires et production de branche.

63Une fois obtenue la “matrice des coefficients techniques”, on peut alors déterminer empiriquement les conséquences économiques de la réduction de la production d’une branche, ici celle de la production de défense, sur toutes les autres branches de l’économie. Ainsi, peuvent être discutées les éventuelles dividendes de la paix au travers des différents impacts économiques en fonction du choix de redéployer les dépenses sur tel ou tel secteur.

64Dans une étude pionnière, Leontief et al. [28] simulent l’effet du désarmement dans le cas américain en utilisant les relations entre les industries mais aussi entre les régions, qui ne correspondent pas aux différents états. Ils supposent une baisse de 20 % du budget de la défense, réalloué vers d’autres dépenses publiques. Les conséquences économiques sont positives tant du point de vue du PIB que de l’emploi, même si des disparités régionales peuvent apparaître. Aben et Daures [29] proposent une analyse de ce type dans le cas de la France, en supposant que les économies réalisées sur le secteur de la défense bénéficient au secteur de l’éducation et montrent que le désarmement peut générer des conséquences favorables.

65À l’échelle mondiale, Leontief et Duchin [30] estiment que des dividendes de la paix sont envisageables mais qu’ils dépendent de l’ampleur de désarmement. Ils abordent également la question du transfert des économies réalisées vers les pays en développement et montrent que cette stratégie est efficace d’un point de vue économique.

66En définitive, cette approche a un intérêt non négligeable qui tient dans son adaptabilité pour une multitude de contexte et sa facilité d’utilisation milite également en sa faveur. Cependant, elle nécessite une grande quantité d’informations quant aux calculs sur les coefficients techniques. Par ailleurs, elle néglige les possibilités de transformations structurelles car, par définition, les coefficients techniques sont constants dans le temps. Cette critique est forte car elle contraint les résultats issus de ces modèles à ne s’appliquer que sur du court terme et donc remettant en cause la portée de ceux obtenus sur des horizons lointains alors même que le processus de désarmement est considéré comme long.

Modèle macro-économétrique

67Historiquement, les modèles macro-économétriques trouvent leur origine à la suite des travaux de Klein, d’inspiration keynésienne. L’idée est de modéliser l’économie de la manière la plus complète en spécifiant le maximum de relations économiques. Ces relations économiques sont exprimées sous la forme d’équations, ces dernières pouvant être soit purement comptables, du type offre = demande, soit structurelles avec des paramètres à estimer, en fonction des hypothèses économiques sous-jacentes [31].

68Le degré de précision du modèle dépend du nombre d’équations retenues. Devant l’importance du nombre de paramètres estimés, seules quelques organisations sont capables de fournir des résultats, la puissance de calcul nécessaire des ordinateurs n’étant qu’à leur portée. C’est la raison pour laquelle les organismes de statistiques publiques (INSEE en France) ou les organisations internationales (FMI ou Banque Mondiale) fournissent les conclusions des études.

69Pour simplifier le propos, nous n’entrerons pas dans le détail des différentes équations. Cependant, ces dernières consistent à étudier, dans des degrés de détails plus ou moins divers, les éléments suivants : les versants offre et demande de l’économie, le comportement des politiques publiques en termes monétaire et budgétaire, le rôle des contraintes financières, un ensemble d’identités comptables et les relations avec l’extérieur. Des modèles plus complets peuvent schématiser les relations économiques non pas à l’échelle d’une nation mais l’échelle du monde, ce qui est le cas dans le modèle MULTIMOD (MULTI region econometric MODel) élaboré par le FMI.

70Une fois le modèle conçu, il est estimé grâce aux données associées à chaque variable. En fonction de ces différentes variables, il est possible de déterminer une “solution d’équilibre” où les effets dynamiques sont inexistants [32]. Les propriétés de cette solution d’équilibre ne sont pas les plus intéressantes dans le contexte du désarmement, puisqu’il importe de savoir quelle sera la trajectoire économique suite à une variation du budget de défense.

71La dynamique du modèle est alors comparée entre différents scénarios. Ces derniers portent sur deux aspects particuliers. Il s’agit tout d’abord d’anticiper les réductions du budget de défense ; généralement, cela est fait sur la base d’observations passées et de documents parlementaires [33]. Ensuite, différentes alternatives sont proposées pour la réorganisation des économies réalisées. Les conclusions portent alors sur la distinction entre court, moyen et long termes.

72L’ouvrage The Peace Dividend fait une recension assez générale des principales conclusions obtenues dans le cadre de l’approche empirique. On distingue les études de cas portant sur des pays pris individuellement puis une analyse régionale. Présentons les points saillants dans ce qui suit.

73Les études portant sur les pays développés sont cohérentes sur plusieurs résultats :

  • le choc initial de réductions de dépense a pour conséquence de réduire l’activité économique à court terme. L’effet est d’autant plus négatif que les réductions sont importantes et que la part du secteur militaire dans les dépenses publiques est élevée (cf. les États-Unis).
  • à long terme, les conséquences économiques sont positives, même si elles restent faibles. Cela implique que les dividendes de la paix ne peuvent se matérialiser qu’à partir de plusieurs périodes, le temps d’obtenir une conversion efficace des activités militaires. Néanmoins, le désarmement ne peut pas être considéré comme un instrument efficace de la politique économique.
  • les politiques de compensation sont nécessaires pour amortir le choc négatif initial et les alternatives envisageables ne conduisent pas à des effets identiques. Substituer les dépenses publiques civiles aux dépenses militaires constitue une politique économique efficace, même s’il est difficile de généraliser ce point pour l’ensemble des pays.
  • en termes de canaux de transmission économique, le choc de demande initial négatif est compensé par différents effets positifs : baisse des taux d’intérêt au travers la minimisation de l’effet d’éviction, réduction des déficits publics et de l’inflation. Dans certains cas, des effets de productivité peuvent apparaître, le secteur militaire étant parfois considéré comme moins efficace que le secteur civil.

74En conséquence, il apparaît que le désarmement, en tant que politique coordonnée, conduit à des dividendes de la paix sur le long terme, mais que cela ne constitue pas pour autant une politique économique efficace. Par ailleurs, le désarmement sans compensation est de nature à créer plus de difficultés, rendant alors nécessaire les politiques publiques ; Fontanel [34] cite par exemple les politiques industrielles, de l’emploi, technologiques et régionales, afin de “qui favorisent la minimisation des coûts d’ajustement et de la conversion tout en apportant leur soutien à la maximisation des bénéfices éventuels du désarmement”.

75Le point de vue adopté dans l’ouvrage The Peace Dividend est confirmé par d’autres études publiés dans des revues à comité de lecture. Garner [35] conclut que le processus de désarmement aux États-Unis est de nature à générer des gains économiques principalement grâce à l’accroissement de la productivité totale des facteurs (qui mesure l’évolution du progrès technique). Barker, Dunne et Smith [36] soutiennent que les dividendes de la paix conduisent à un accroissement de 1,84 % du PIB dans le cas du Royaume-Uni.

76Les études considérant différentes régions du monde ont des conclusions qui sont proches de celles présentées plus haut. Plusieurs références ont été publiées dans l’ouvrage The Peace Dividend[37]. Par exemple, en utilisant le modèle MULTIMOD, Bayoumi, Hewitt et Symanski indiquent qu’une baisse de 20 % des dépenses militaires pour les pays en développement conduit à des retombées économiques positives, en particulier pour les nations africaines, car la réaffectation des ressources vers des secteurs plus efficaces génère un supplément d’activité. Li et Pauly concluent à des résultats identiques à ne considérant que les pays développés. McKibbin prend comme cadre d’analyse l’ensemble des pays du monde en envisageant la baisse du budget pour les pays développés et une réduction des importations pour les pays en développement ; une nouvelle fois, les coûts de court terme sont plus que compensés par les gains à long terme, suggérant l’existence de dividendes de la paix mondiaux.

77Il est aussi important de signaler que les enjeux du désarmement pour les pays en développement sont différents que ceux des pays développés parce que les problématiques économiques et de sécurité ne sont pas identiques [38]. La pression pesée par le budget de défense est beaucoup plus importante dans les pays en développement ; les ressources mises à disposition pour la défense sont donc indisponibles pour des secteurs cruciaux pour le développement comme la santé ou l’éducation. En outre, les besoins de sécurité sont élevés car, malgré les réductions des budgets des pays développés, les conflits armés ont connu une augmentation dans les années 1990 et touchent principalement les pays les moins riches [39]. Berthélemy, McNamara et Sen [40] indiquent qu’il est difficile de démêler les liens entre activité économique, défense et sécurité pour les pays en développement. Notons toutefois l’étude réalisée par Ades et Chua [41] portant sur les pays africains et sud-américains et concluant à l’existence d’effets négatifs de l’effort de défense sur l’insécurité régionale, cette dernière variable étant négativement reliée à l’activité économique.

78La réalisation d’une situation contrefactuelle, permettant la comparaison entre une situation de l’avant-Guerre froide, par définition connue et une situation théorique, où l’on estime le rythme du désarmement, par définition incertain revêt un caractère aléatoire. La situation du Costa Rica est, de ce point de vue, originale car il ne dispose pas de forces armées et donc pas de budget dédié au secteur de la défense. Vargas montre que si le budget de défense avait dû être positif, au détriment des dépenses d’éducation notamment, alors l’écart entre le PIB historique et celui théorique avec dépenses militaires aurait été positif, suggérant ici l’existence de dividendes de la paix.

Les débats actuels

79Le gouvernement américain, via les données fournies par l’Office of Management and Budget anticipe que le budget de défense va être réduit de 19 % entre 2011, année du pic de dépenses, et 2019. Néanmoins, l’effet du shutdown n’est pas une raison suffisante pour expliquer ces réductions, puisque dans le même le budget fédéral va augmenter de 31 %. Bien évidemment, cette projection comporte une part d’incertitude sur leur réalisation mais indique la direction probable du budget de défense.

80Dans la foulée de la crise financière et du mouvement de consolidation budgétaire qui s’opère depuis 2010, les pays européens voient également leurs dépenses militaires se réduire. En données constantes, le taux de variation des dépenses des pays de l’OTAN entre 2009 et 2013 est de -12 % même si les pays les plus affectés par la crise subissent des réductions d’une plus grande ampleur.

81Dans ces circonstances, la littérature économique ne porte pas spécifiquement sur les effets attendus de ces baisses mais s’inscrit plus largement sur le débat sur l’existence, le signe et l’importance d’un multiplicateur [42]. Il existe une vaste littérature sur le sujet et les débats sont loin d’être tranchés.

82Théoriquement, une augmentation de dépenses publiques génère un supplément d’activité économique. Empiriquement, les résultats de cette littérature ne permettent pas de mettre en évidence un multiplicateur supérieur à un. Les travaux les plus anciens (Blanchard et Perroti [43]) ne prennent pas en compte le caractère anticipé ou non des stimulations budgétaires ni leur rôle dans le cycle économique, ce qui conduit à survaloriser l’estimation du multiplicateur. Les articles les plus récents indiquent un multiplicateur compris entre 0,6 et 1,2 dans le meilleur des cas pour Ramey [44], alors que Barro et Redlick [45] le calculent comme étant toujours inférieur à un.

83Dans ces conditions, sur la base de critères strictement économiques, le désarmement peut être facteur de croissance car un euro investi dans le secteur de la défense rapporte moins de un euro en termes d’activités économiques [46].

84Néanmoins, plusieurs écueils incitent à la plus grande précaution quant à la portée de ces résultats. Tout d’abord, la valeur estimée du multiplicateur prend en considération l’ensemble des dépenses publiques sans séparer les dépenses militaires des autres dépenses publiques. Pourtant, leurs effets économiques ne sont pas nécessairement comparables (Devarajan et al [47]). Ensuite, dans le prolongement de la remarque précédente, les études précédemment citées ne font pas la distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement ; pourtant ces dernières ont une efficacité économique qui ne suscitent pas le débat (Aschauer [48]) et dans le cas des dépenses militaires, Malizard [49] conclut à un impact supérieur du titre V par rapport au titre III dans le cas français. Enfin, une critique plus générale porte sur l’absence de toute considération de sécurité : le désarmement ici est lié au processus de consolidation budgétaire et ne reflète pas les préférences collectives quant à une volonté commune et coordonnée de réductions de dépenses militaires qui seraient associées à une meilleure sécurité.

Conclusion

85La présentation des diverses conclusions études portant sur l’impact économique du désarmement indique que les réductions des budgets de défense génèrent un surplus d’activité économique sur le long terme qui compense les éventuels coûts d’ajustement de court terme. Plusieurs mythes sur le désarmement sont alors rejetés : une récession économique pour ceux qui croient à une grande efficacité économique du secteur de la défense ou à l’opposé des gains immédiats et importants pour ceux qui pensent que le secteur de la défense est un fardeau.

86Si la littérature sur les effets attendus du désarmement est foisonnante, peu d’études portent sur les conséquences effectives du désarmement. Brzoska [50] fait une synthèse de ces articles mais ils sont généralement rédigés durant la décennie des années 1990. Sur les conséquences macroéconomiques, seul Gold [51] est le seul auteur à s’être intéressé aux retombées dans le cas américain, en montrant que l’effort de désarmement a davantage profité à un effort de désendettement public.

87Au niveau microéconomique, il faut dissocier les conséquences industrielles, régionales et sur l’emploi. Même si, en moyenne, les cent plus grandes entreprises du secteur de la défense ont compensé les pertes liées au marché de défense par une hausse de chiffres d’affaires sur le secteur civil, des disparités majeures apparaissent et il n’y a pas de règles immuables sur la réussite ou non de la conversion industrielle. Le réemploi de personnels militaires est intimement lié à la structure du marché de l’emploi ; Hooper et Stevens [52] montrent, pour le Royaume-Uni, que les anciens militaires trouvent rapidement un emploi et que les compétences acquises auprès des forces armées sont utiles dans leurs activités civiles. À l’échelle régionale, des effets positifs apparaissent tant sur l’activité économique que sur l’emploi direct et indirect [53].

88Cependant, en règle générale, l’impact économique de la défense est considéré comme plutôt faible. Pour Smith [54], cela s’explique par le niveau d’effort de défense, qui serait trop faible pour générer des conséquences économiques significatives et par le fait que la défense ne sert pas d’outil à la politique économique puisqu’elle vise à répondre à un besoin de sécurité.

89Nous pouvons alors mettre en évidence la critique majeure s’appliquant aux résultats présentés dans cet article : la non prise en compte des effets de sécurité sur l’activité économique. Les études sur le désarmement utilisent comme postulat de base que, puisque tous les pays se coordonnent pour réduire leur effort de défense, alors le niveau de sécurité s’en trouve accru. Ce point de vue correspond à l’application des modèles de course à l’armement mais fonde tout le crédit de son analyse à une relation univoque entre dépenses militaires et sécurité. La nation de sécurité est trop complexe pour n’être appréhendée qu’à travers les seules dépenses de défense.

90Par ailleurs, empiriquement, aucune étude ne fait le lien entre sécurité et défense, alors même que la défense a pour objet principal de fournir un niveau de sécurité jugé suffisant par les autorités qui en ont la charge. Cela vient principalement du fait que le concept de sécurité ne peut pas être analysé à travers une seule variable synthétique, reflétant ses différentes dimensions. Notons que certains économistes ont étudié longuement les causes et les conséquences économiques des conflits armés, mais rien n’a été fait sur l’impact de l’effort de défense sur la confiance des agents. Une littérature nouvelle montre que les indicateurs de confiance calculés par le World Values Surveys sont un déterminant crucial dans l’explication des performances économiques.

91Dans ces conditions, le lien manquant dans la littérature de l’économie de défense pourrait être examiné en questionnant la portée en termes de sécurité, sur les aspects conflictuels et de confiance, des dépenses militaires. Dans ces conditions, il serait alors possible de quantifier l’effet direct de l’effort de défense, mais aussi et surtout l’effet indirect transitant par la sécurité, ce qui autoriserait alors à fournir des recommandations plus générales.

Notes

  • [1]
    Emile Benoit, Defense and Economic Growth in Developing Countries, Lexington, Lexington books, 1973.
  • [2]
    Julien Malizard, Dépenses militaires et croissance économique, Thèse de doctorat en sciences économiques, Université de Montpellier I, 2011.
  • [3]
    Julien Malizard, “Dépenses militaires et croissance économique dans un contexte non-linéaire, le cas français”, Revue économique, vol. 65, n° 3, 2014, p. 601-618.
  • [4]
    Lewis Fry Richardson, Arms and Insecurity : A Mathematical Study of Causes and Origins of War, 1960, Boxwood Press.
  • [5]
    Thomas Schelling, The Strategy of Conflict, Harvard University Press, 1960.
  • [6]
    Naima Mouhleb, Goran Lindgren et Nils Petter Gleditsch (dir.), Making Peace Pay. A Bibliography on Disarmament & Conversion, Claremont, 2000.
  • [7]
    Voir Fanny Coulomb et Jacques Fontanel, “Disarmament : A century of Economic Thought”, Defence and Peace Economics, 2003, vol. 14, n° 3, p. 193-208.
  • [8]
    Jacques Fontanel, La Conversion économique du secteur militaire, Paris, Economica, 1994, p. 9.
  • [9]
    Jacques Fontanel, “The Economics of Disarmament”, dans K. Hartley et T. Sandler (dir.), Handbook of Defense Economics, 1995, vol. 1, Chapitre 19, p. 563-590.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Jacques Fontanel, La Conversion économique …, op. cit.
  • [12]
    Jacques Fontanel, ibid., p. 54-55.
  • [13]
    Voir à ce sujet la revue de littérature de Ron Smith, “The Demand of Defense”, dans K. Hartley et T. Sandler (dir.), Handbook of Defense Economics, 1995, vol. 1, Chapitre 4, p. …
  • [14]
    Jacques Fontanel, op. cit.
  • [15]
    Michael Brzoska, “Success and Failure in Defense Conversion in the ‘Long Decade of Disarmament’”, dans K. Hartley et T. Sandler (dir.), Handbook of Defense Economics, vol. 2, Chapitre 34, p. 1177-1210
  • [16]
    Michael Brzoska, op. cit.
  • [17]
    La valeur très élevée du taux de variation peut paraître surprenante, mais ce résultat peut s’expliquer par l’usage de données en valeur constante, pour lesquelles les périodes les plus anciennes ne sont pas estimées avec une grande précision.
  • [18]
    Le SIPRI ne fournit des données qu’à partir de 1949. En utilisant d’autres sources, comme l’Office of Management and Budget, le taux de variation des dépenses militaires entre 1945 et 1949 est égal à -79 %.
  • [19]
    Pour plus de précisions sur le sujet voir Renaud Bellais, Martial Foucault et Jean-Michel Oudot, Économie de la défense, Paris, La Découverte, collection Repères, 2014.
  • [20]
    Jacques Fontanel et Michael Ward, “Military Expenditures, Armament and Disarmament”, Defence Economics, vol. 4, n° 1, 1993, p. 63-78.
  • [21]
    Steve Chan, “Grasping the Peace Dividend : Some Propositions on the Conversion of Swords into Plowshares”, Mershon International Studies Review, vol. 39, n° 1, p. 53-95.
  • [22]
    Michael Brzoska, op. cit.
  • [23]
    Le concept de conversion a fait l’objet de multiples définitions, mais nous adoptons ici le point de vue de Brzoska : il s’agit de réutilisation de facteurs de production du secteur militaire vers le secteur civil. Cela inclut alors les bases et les territoires occupés précédemment par les forces armées, la démobilisation et la réintégration d’anciens militaires et la réutilisation des capacités industrielles (y compris la R&D). Michael Brzoska, op. cit.
  • [24]
    Ann Markusen, “Structural Barriers to Converting the US Economy”, dans J. Brauer et M. Chatterji (dir.), Economic Issues of Disarmament, Chapitre 11, 1992, p. 111-136.
  • [25]
    Michael Brzoska, op. cit.
  • [26]
    Michael Intriligator, “The Economics of Disarmament as an Investment Process”, dans M. Chatterji, J. Fontanel et A. Hattori (dir.), Arms Spending, Development and Security, New Delhi, APH Publishing Group, 1996.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    Wassily Leontief, Alison Morgan, Karen Polenske, David Simpson et Edward Tower, “The Economic Impact – Industrial and Regional – of an Arms Cuts”, Review of Economics and Statistics, vol. 63, n° 3, 1965, p. 217-241.
  • [29]
    Jacques Aben et Nicolas Daures, “Chalk vs Guns : Some Economic Consequences of an Announced French scenario”, Defence Economics, vol. 4, n° 4, 1993, p. 353-363.
  • [30]
    Wassily Leontief et Faye Duchin, Military Spending : Facts and Figures, Worldwide Implications and Future Outlook, Oxford University Press, 1983.
  • [31]
    Par exemple, il est communément admis que l’investissement privé réagit positivement à l’activité économique, de sorte que l’économiste intéressé par l’estimation d’une fonction d’investissement inclura une variable reflétant la conjoncture, le coefficient estimé indiquant alors la sensibilité (ou “élasticité”) de l’investissement à la conjoncture.
  • [32]
    La théorie de la croissance économique est la branche de la macroéconomie qui s’intéresse aux propriétés de la solution d’équilibre. Elle s’intéresse donc aux effets de long terme.
  • [33]
    Les alternatives peuvent être : fin de la conscription et passage à une armée de métier, réduction des dépenses d’acquisition, suppression définitive du budget de défense, réduction graduelle de plusieurs pourcents…
  • [34]
    Jacques Fontanel, op. cit., 1994, p. 73.
  • [35]
    Alan C Garner, “The Effect of the US Defense Cuts on Standard of Living”, 1991, Economic Review, Federal Reserve Bank of Kansas City, janvier/février, p. 33-47.
  • [36]
    Terry Barker, Paul Dunne J. et Ron Smith, “Measuring the Peace Dividend in the United Kingdom”, Journal of Peace Research, vol. 28, n° 4, 1991, p. 345-358.
  • [37]
    Nils Gleditsch … op. cit.
  • [38]
    La commission des Nations Unies pour le désarmement a pour habitude de mettre en opposition les budgets de défense et les besoins en matière de nutrition.
  • [39]
  • [40]
    Jean-Claude Berthélemy, Robert S. McNamara et Sen Sonmath, “Les dividendes du désarmement : défis pour la politique de développement”, 1994, Cahier de politique économique, 8, Centre de développement de l’OCDE.
  • [41]
    Alberto Ades et Chua Hak B. “Thy Neighbor’s Curse : Regional Instability and Economic Growth”, Journal of Economic Growth, vol. 2, n° 3, 1997, p. 279-304.
  • [42]
    Le multiplicateur, dans le cadre d’une expansion budgétaire, désigne le rapport entre l’accroissement du PIB et l’accroissement des dépenses publiques. Il mesure donc le supplément d’activités associées à une stimulation budgétaire. Le multiplicateur doit être comparé à un pour en indiquer la portée : s’il est plus grand que un, alors l’effet de la relance sur l’activité stimule l’activité économique d’une manière plus que proportionnelle à la valeur de la relance. S’il est plus petit que un, la relance a un effet moins que proportionnel sur l’activité économique, ce qui indique que cette politique économique n’est pas efficace.
  • [43]
    Olivier Blanchard et Roberto Perotti, “An Empirical Characterization of the Dynamic Effects of Changes in Government Spending and Taxes on Output”, Quarterly Journal of Economics, vol. 117, n° 4, 2002, p. 1329-1368.
  • [44]
    Valerie Ramey, “Identifiying Government Spending Shocks : It’s all in the Timing”, Quarterly Journal of Economics, vol. 126, n° 1, 2011, p. 1-50.
  • [45]
    Robert J. Barro et Charles J. Redlick, “Macroeconomic Effects from Goverment Purchases and Taxes”, Quarterly Journal of Economics, vol. 126, n° 1, 2011, p. 51-102.
  • [46]
    Robert J. Barro et Véronique de Rugy, “Defense spending and the economy”, Mercatus Research, 2013, document de travail.
  • [47]
    Shantayan Devarajan, Vinaya Swaroop et Heng-fu Zou, “The Composition of Public Expenditure and Economic Growth”, Journal of Monetary Economics, vol. 37, n° 2-3, 1996, p. 313-344.
  • [48]
    Alan Aschauer, “Is Public Expenditure Productive ?”, Journal of Monetary Economics, vol. 23, n° 2, 1989, p. 177-200.
  • [49]
    Julien Malizard, “Dépenses de défense et activité économique : quelles influences ?”, Revue Défense Nationale, numéro spécial Économie de défense, 2013, p. 75-80.
  • [50]
    Michael Brzoska, op. cit.
  • [51]
    David Gold, “Whatever happened to the peace dividend ? The economic consequences of the post-cold war decline in military expenditures in the United States”, dans J. Brömmelhörster (dir.), Paying the Peace Dividend : Declining Military Expenditures after the Cold War, Nomos, 2000, p. 47-68.
  • [52]
    Nick Hooper et Barbara Stephens, “Civilian employment of service leavers”, dans N. Pauwels (dir), From War force to Workforce, Nomos, 2000, p. 121-144.
  • [53]
    Patrick E. Poppert et Henry W. Jr Herzog, “Force Reduction, Base Closure and the Indirect of Military Installations on Local Employment Growth”, Journal of Regional Science, vol. 43, n° 3, 2003, p. 459-481.
  • [54]
    Ron Smith, Military Economics. The Interaction of Power and Money, Palgrave McMillan, 2009.
Français

L’analyse économique du désarmement est une question qui a largement intéressé la communauté scientifique à la fin de la Guerre froide. La raison principale est le potentiel de réductions des budgets de défense, inédit depuis la fin de la seconde guerre mondiale. L’objectif de cet article est alors de présenter cette littérature en insistant sur les recommandations formulées à l’époque et sur les retombées effectives des politiques menées dans la décennie des années 1990. Nous montrons notamment que, théoriquement et empiriquement, les effets attendus du désarmement sont longs à se matérialiser, ce qui contribue à repousser deux points de vue, simplistes, généralement avancés : l’existence d’effets positifs immédiats et à l’opposé un déclin économique.

Mots-clés

  • économie de la défense
  • désarmement
  • dépenses militaires
English

The economics of disarmament has been widely debated among economists when the cold war came to an end, the main reason being the potential reductions of defense spending unprecedented since the Second World War. The aim of this article is to present this literature focusing on the recommendations made at the time and on the actual impact of policies in the 1990s’ decade. In particular, we show that, theoretically and empirically, expected effects of disarmament are slow to materialize. We then push back two simplistic points of view : the existence of immediate benefits and at the opposite side of the spectrum an economic decline.

Julien Malizard
Julien Malizard, docteur en sciences économiques, postdoctorant à l’IRSEM et chercheur associé à la Chaire Économie de défense. Il a obtenu le prix de thèse de l’IHEDN en 2011. Ses travaux portent sur l’impact économique de la défense et le rôle des contraintes budgétaires dans la détermination des budgets de défense.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/07/2015
https://doi.org/10.3917/strat.108.0071
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Institut de Stratégie Comparée © Institut de Stratégie Comparée. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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