CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En introduction d’un article (publié en 2007) : « L’homme nouveau en mouvement », en Russie au xxe siècle, Nikolaus Katzer fait remarquer que « le sport soviétique (y compris ses antécédents à la fin de l’Empire des tsars) constitue un thème clé pour la compréhension de l’histoire de la Russie au xxe siècle, se situant à l’intersection de champs de référence centraux de la modernité russe [1] ». Au moment où l’actuel directeur du Deutsches Historisches Institut[2] à Moscou exprime cette conviction, le thème du corps et du sport est en train d’acquérir une réelle visibilité, en Allemagne, dans le cadre des productions scientifiques sur l’histoire de l’Europe orientale. En 2006, un livre traitant des relations germano-soviétiques après la Seconde Guerre mondiale dédie deux chapitres aux relations sportives [3]. La même année paraît un premier ouvrage collectif sur l’histoire du football en Europe de l’Est et du Sud-Est [4], suivi plus tard de sa « Deuxième mi-temps » puis des « Arrêts de jeu » [5]. Les contributions sur la Russie et l’URSS occupent une place de choix dans les trois volumes, tout comme dans l’ouvrage évoqué plus haut, consacré de manière plus générale à l’histoire du sport en Europe orientale [6]. Enfin, en 2010, les dynamiques sociales du sport et de la culture physique en URSS font l’objet d’un livre en langue anglaise qui regroupe des contributions de spécialistes étrangers et des études réalisées dans le cadre d’un projet de recherche à la Helmut Schmidt Universität de Hambourg [7].

2Autant dire que la recherche historique sur le sport soviétique connaît un renouvellement significatif en Allemagne, sans pour autant rayonner exclusivement dans ce pays [8]. Notons que, de toute apparence, ce renouvellement ne se situe pas en lien direct avec l’ouverture, il y a maintenant vingt ans, des archives de Moscou [9]. Peut-être correspond-il plutôt à un besoin de trouver des objets innovateurs, ressenti au sein d’une Osteuropaforschung assez fortement développée en Allemagne, mais se questionnant depuis quelque temps sur les voies à prendre pour consolider sa place institutionnelle [10].

3L’article présent s’inscrit pour sa part dans une historiographie française du sport qui commence à prendre l’habitude de regarder au-delà des frontières nationales pour faire avancer l’étude de ses objets. En effet, si la vue sur l’itinéraire historique du sport soviétique peut aider à mieux percevoir différentes facettes de la modernité russe, elle apporte aussi un éclairage particulier sur le succès quasi inexorable du sport moderne et de son principe de championnats et de records dans les configurations politiques et sociales les plus diverses. Pressenti au début des années 1920 comme source d’inspiration pour un mouvement sportif ouvrier européen très critique à l’égard des notions de la concurrence et de la performance (qualifiées de typiquement « capitalistes »), le sport soviétique s’est de fait transformé en meilleur élève du sport « bourgeois » [11] international, avant d’en devenir son maître par le nombre de médailles remportées [12]. Nous tenterons de montrer des facteurs qui ont causé ces mutations idéologiques en portant une attention particulière aux intérêts du parti au pouvoir, dans les domaines de la politique intérieure et extérieure. C’est aussi une manière de revenir sur la question des continuités et changements de la politique sportive en URSS pendant la période de l’entre-deux-guerres, en utilisant des sources autres que les seules publications officielles du régime [13].

4Pour l’ensemble de la période étudiée, nous disposons d’une base relativement épaisse de documents d’archives, ayant obtenu accès à l’ensemble des sources du fonds « Internationale rouge sportive » aux Archives de l’Internationale communiste (Komintern) [14] qui sont intégrées aux Archives nationales russes d’histoire politique et sociale [15], et du fonds « Conseil suprême de la culture physique » aux Archives d’État de la Fédération de Russie [16]. Toutefois, on le sait, les archives de Moscou ne sont pas un refuge de luxe où le chercheur trouverait satisfaction à tous ses besoins, à la seule condition de se trouver sur les sentiers de l’histoire du communisme [17]. On doit en effet émettre une réserve quant aux possibilités de retracer de manière minutieuse les processus de décision de la politique sportive soviétique, dans la mesure où la plupart des documents du Conseil suprême de la culture physique (CSCP) d’avant la Seconde Guerre mondiale qualifiés de « secrets » (dont une grande partie de la correspondance avec les organes supérieurs du Parti et de l’État) a été brûlée pendant les mois suivant l’invasion allemande de 1941 [18]. Ce déficit est partiellement compensé par l’abondance de traces écrites de débats et de décisions relatives au sport soviétique que l’on peut trouver dans les archives de l’Internationale rouge sportive, notamment pour la période où le bureau de l’IRS était localisé en permanence à Moscou, c’est-à-dire pour les années 1920. Cependant, les contenus des sources sont relativement restreints, se référant en priorité à la position du sport soviétique au sein de l’IRS et aux choix du Parti bolchevique en matière de politique sportive. En tout état de cause, les sources utilisées ne nous invitent pas à faire des excursions dans le territoire vaste d’une histoire sociale des pratiques physiques.

5Les bornes temporelles de notre étude correspondent à des années marquantes pour l’histoire générale de la Russie et de l’URSS, et importantes aussi pour l’histoire politique et idéologique du sport [19]. En 1921, l’Armée rouge sort définitivement vainqueur de la guerre civile. C’est le début d’une période de paix encore précaire. La même année, suite à la révolte des marins de Kronstadt en mars et face à une grave pénurie alimentaire, Lénine décide du retour vers un relatif libéralisme économique à travers la mise en œuvre de la Novaja ékonomi?eskaja politika (NEP, Nouvelle politique économique) [20]. Après avoir dû servir essentiellement à la préparation des soldats aux batailles, les activités physiques font maintenant l’objet de débats et de réflexions qui débouchent sur leur mise en lien avec le travail et la productivité à travers leur fonction hygiénique. En 1937, les « Grandes Purges » staliniennes atteignent leur paroxysme et touchent, de façon souvent arbitraire, des centaines de milliers de citoyens. À l’ombre de ce déploiement de violence politique, le sport soviétique entame sa marche vers les podiums du sport mondial et se dissocie du sport travailliste européen ; l’Internationale rouge sportive (IRS), mise en place en 1921, cesse d’exister.

I – 1921-1923 : un temps de transition vers le sport d’État socialiste

6Face aux nécessités et urgences de la guerre civile, les bolcheviques avaient placé les pratiques sportives sous la tutelle du Vsevobu? (Vseobš? voennoe obu?enie, « formation militaire générale »), institution créée en mai 1918 qui avait pour tâche de préparer les jeunes recrues à leur service dans l’Armée rouge [21]. Comme l’a précisé Lénine en septembre 1919, le Vsevobu? devait regrouper la grande masse de la jeunesse ouvrière et paysanne et relier les activités physiques non seulement à la formation des soldats, mais aussi à l’éducation communiste [22]. Le directeur du Vsevobu?, Nikolaj Podvojskij [23], est à l’origine de la fondation, en juillet 1921 à Moscou, de l’Internationale rouge sportive. À côté des missions de propagande communiste que se donne cette organisation auxiliaire de l’Internationale communiste, l’IRS doit surtout assurer un appui international au sport soviétique qui se retrouve selon Podvojskij dans un « état désastreux », souffrant d’un manque flagrant de terrains, de moyens et de personnel compétent [24].

7Aussi, les grandes orientations des activités physiques doivent-elles être redéfinies en Russie soviétique, tant sur le fond qu’au niveau des structures, la position dominante du Vsevobu? – fondée sur la vision d’une nécessaire liaison entre activités physiques et service militaire – paraissant moins évidente en temps de paix. Il s’agit désormais de « jeter les bases d’une nouvelle culture physique ayant la même importance que la culture intellectuelle du prolétariat [25] ». L’une des questions fondamentales porte sur la place du sport de compétition dans la nouvelle société. Des militants du mouvement Proletkul’t (culture prolétarienne), dont les origines remontent au temps d’avant la Première Guerre mondiale, estiment que le sport de compétition, « vestige de la société bourgeoise », doit être aboli dans le cadre d’une transformation socialiste touchant tous les aspects de la vie [26]. Dès 1921, face au tournant pragmatique de la Révolution exprimée par la NEP, et subissant l’hostilité déclarée de Lénine, ce mouvement commence cependant à s’affaiblir, avant de disparaître progressivement à partir de 1925 [27]. Le courant « hygiéniste » ne rejette pas en bloc toute idée de compétition, mais se prononce contre la pratique de sports jugés dangereux pour la santé tels que la boxe, l’haltérophilie, la lutte, la gymnastique aux agrès et même le sport le plus populaire, le football [28]. Sous l’influence de ce courant, des idées originales émergent de certaines administrations locales, allant jusqu’à l’introduction de nouvelles règles de football d’après lesquelles le résultat du match ne serait plus fixé en fonction du nombre de buts marqués, mais à partir de jugements sur la beauté du match, l’adresse des joueurs ou encore le degré de coopération entre les deux équipes. Une mesure plus coercitive consiste à fermer les terrains de football afin d’empêcher la pratique de ce « sport bourgeois extrêmement nocif [29] ».

8Le Vsevobu? ainsi que les groupements du Komsomol (Kommunisti?eskaja sovetskaja molodež, Jeunesse communiste) organisent par contre des concours sportifs, sans y voir de contradictions avec une pédagogie communiste. À côté de ces nouvelles structures, l’Union russe de football poursuit ses activités. Comme l’indique la correspondance entre son secrétaire Georges Duperron et le secrétaire général de la FIFA, le Néerlandais Carl Hirschmann [30], cette fédération bourgeoise fondée en 1912 subsiste malgré un climat politique hostile, ses structures et compétences étant indispensables à l’organisation des championnats locaux traditionnels. En l’absence de déclarations contraires de Moscou, la FIFA continue d’ailleurs (jusqu’en 1925) à la considérer comme fédération membre [31]. Pour les responsables sportifs du pays, la rupture avec les fédérations internationales officielles des différents sports et avec le CIO est pourtant un fait aussi évident que l’appartenance du sport soviétique à l’Internationale rouge sportive [32].

9Au regard du foisonnement d’idées parfois contradictoires et du flou organisationnel apparaissant dans le domaine des pratiques physiques, et sous les signes d’établissement d’une dictature de parti unique, une intervention du pouvoir politique ne pouvait pas se faire attendre longtemps. Dans le contexte d’éloignement à la fois du danger imminent d’une nouvelle guerre dans le pays et d’une perspective de révolution mondiale, c’est une bataille en retrait que mène dès lors Nikolaj Podvojskij en fondant, au milieu de l’année 1922, la « Fédération rouge des organisations de la culture physique (section russe de l’Internationale rouge sportive) ». Celle-ci doit se former en fait autour des groupements sportifs mis en place par le Vsevobu? au cours de la guerre civile. Le Komsomol dénonce rapidement le « caractère superflu » de cette « nouvelle organisation de jeunes » qui, de plus, risquerait de subir les influences d’une « vieille mentalité sportive bourgeoise » [33]. Podvojskij réplique que la Russie se doit de mettre en place un mouvement sportif ouvrier prolétarien inspiré du mode de fonctionnement des fédérations sportives ouvrières européennes. Renvoyant aux implications et conditionnements internationaux de la révolution bolchevique, il souligne qu’une telle mesure serait nécessaire pour augmenter l’impact propagandiste de l’Internationale rouge sportive [34].

10Pendant que le président du Vsevobu? mobilise l’exécutive de l’IRS, les représentants du Komsomol s’assurent du soutien de l’Internationale communiste de la Jeunesse (ICJ), du Parti communiste (bolchevique) de Russie (PCR) et du Komintern. Leur objectif du moment est de briser l’influence de Podvojskij et de faire admettre, aux échelles nationale et internationale, le rôle directeur du mouvement de la jeunesse communiste dans les affaires du sport. Avant que le Parti ne prenne une décision officielle sur les structures d’organisation du sport soviétique, il se charge de la mise sur la touche de Podvojskij, l’obligeant en février 1923 à libérer sa place à la tête de l’IRS pour K. Mechanošin qui vient d’être nommé également président du Vsevobu? [35]. L’attitude modérée de Mechanošin est appréciée par le Parti au même titre que ses convictions sur l’utilité primordiale de la culture physique pour l’augmentation de la productivité au travail [36].

11Le débat sur l’organisation du sport soviétique est finalement tranché par les résolutions du 12e Congrès du PCR tenu en avril 1923. Voulant soumettre le sport à un contrôle serré, exercé avec l’aide de ses organisations auxiliaires, le Parti rejette tout projet de formation d’une fédération sportive autonome. Mais il s’abstient également de placer le système sportif sous la tutelle exclusive du Komsomol, en décidant de mettre les activités physiques des employés et ouvriers en liaison avec leur lieu et contexte de travail, et en confiant ainsi une grande partie de l’offre sportive aux syndicats. La direction et la coordination de la politique sportive reviennent au Conseil suprême de la culture physique (CSCP), établi en 1923 comme organe du Comité exécutif central de Russie et pouvant s’appuyer sur un relais de conseils locaux. Des structures similaires sont par la suite mises en place dans les différentes républiques. Le CSCP, qui devient ainsi une institution gouvernementale, est formé de délégués envoyés par les commissariats du peuple chargés de la Défense nationale, de l’Enseignement et de la Santé, ainsi que de représentants désignés par le Parti, la Jeunesse communiste, le Conseil central des syndicats et le Soviet de Moscou. Le président et le vice-président du CSCP sont directement nommés par le gouvernement [37]. C’est l’heure de la naissance du sport d’État socialiste, c’est-à-dire d’un système sportif directement attaché au pouvoir politique.

II – 1923-1924 : la définition de la fizkul’tura comme source de santé et de productivité

12Critiquant certaines expérimentations alternatives qu’il juge inopportunes, et estimant qu’il ne faut pas combattre des pratiques qui attirent la jeunesse, le CSCP défend dès son apparition la légitimité et l’utilité de la compétition sportive. Il souligne que celle-ci constitue un facteur éducatif important, contribuant à la formation d’une « armée de millions de gens robustes, volontaires, courageux, énergiques et tenaces », le ton militariste du discours n’empêchant d’ailleurs pas le sport féminin de faire partie de l’argumentaire [38]. De manière générale, les activités physiques ont – selon le CSCP – des fonctions importantes non seulement dans une perspective de défense de la patrie, mais aussi et surtout pour l’augmentation du rendement au travail de tout le peuple soviétique, qui ne peut s’envisager qu’avec l’amélioration de l’état de santé de tous [39]. Le triptyque « travail, défense, santé » forme dès ce moment la référence de base pour tous les discours officiels sur la culture physique en URSS.

13Dans la réalité, l’année 1923 voit une assez nette mise en retrait des fonctions militaires des activités corporelles ainsi que l’émergence d’une approche plus scientifique, visant à développer des exercices répondant directement aux différentes exigences du processus de travail. Ces nouvelles conceptions entrent pleinement dans l’argumentaire des hygiénistes qui conquièrent une position dominante grâce notamment à l’influence et l’autorité intellectuelle de Nikolaj Aleksandrovi? Semaško, médecin nommé à la tête du CSCP et remplissant simultanément la fonction de commissaire du peuple à la Santé publique, cela jusqu’en 1930 [40]. L’influence des hygiénistes est pleinement perceptible à travers l’acception que le CSCP donne à la notion de « fizi?eskaja kul’tura » (fizkul’tura) :

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« La culture physique se donne pour but d’assainir et de perfectionner la race humaine et d’améliorer l’activité vitale de chacun. Elle comprend aussi bien la gestion de la vie quotidienne au sens général du terme (hygiène personnelle, utilisation des forces naturelles du soleil, de l’air et de l’eau, répartition judicieuse des temps de travail et de repos, etc.) que l’éducation physique par la gymnastique, les sports et les jeux qui ont acquis le plus haut degré de popularité parmi la jeunesse ouvrière et paysanne [41]. »

15Sous le titre « Les fondements hygiénistes de la culture physique soviétique », Radin, membre du Conseil [42], apporte des précisions pour le public étranger. La culture corporelle se fonde « non pas sur la culture physique proprement dite, mais sur un régime hygiénique suivi jour et nuit », et elle embrasse « les conditions de la vie privée et de la vie en société, le sommeil, le repos, les habitudes vestimentaires, la nourriture et le travail [43] ». La notion de « fizkul’tura » prend ainsi un sens extrêmement large, le Conseil suprême de la culture physique accordant à la reproduction des forces et à la « passivité corporelle » une place de choix. Comme le précise Stefan Plaggenborg, le terme de « fizkul’tura » est en fait traduit de manière insatisfaisante par celui de « culture physique » qui, dans le monde occidental, est associé à l’idée d’activité du corps, voire confondu avec « éducation physique ». Une traduction plus adéquate, mais difficilement opératoire serait « le corps en culture » [44].

16Les liaisons étroites entre politique sportive et politique de santé marquent en particulier les attitudes envers le sport de haut niveau. La tenue de compétitions n’est pas remise en question, mais celles-ci doivent toujours être soumises au sens de la modération comme le rappellent les propos tranchants de Semaško :

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« La culture physique n’est pas, pour les travailleurs, un moyen de parvenir à une hypertrophie déséquilibrée (et donc mauvaise pour la santé) ; elle n’est pas un sport bourgeois créant des champions et championnes aux poings durs et à la cervelle molle. […] Nous ne sommes certainement pas contre le sport. Au contraire, nous considérons le sport comme l’un des plus puissants moyens de l’éducation physique. Mais nous sommes contre un type de sport qui fait de celui qui le pratique un estropié au lieu de lui donner une meilleure santé ; nous sommes contre un type de sport qui, au lieu de promouvoir les bons sentiments de l’homme, fait de lui un animal [45]. »

18La préoccupation de la santé publique, en liaison avec le travail, trouve son reflet jusque dans les activités du département de la recherche à l’Institut national de la culture physique à Moscou (placé sous la responsabilité du Commissariat du peuple à la Santé) qui a pour mission de mettre au point les méthodes d’éducation physique les plus efficaces « contre les dommages corporels professionnels, pour le travail et le repos, dans le but de conserver la santé et la capacité de travail des masses [46] ». Il vise pour ce faire un haut degré de différenciation en voulant adapter les méthodes aux besoins dictés par les conditions de la vie quotidienne et de l’activité professionnelle, l’âge et le sexe, la constitution physique individuelle et les conditions climatiques et géographiques [47]. Ces projets, dont la réalisation il est vrai n’en est encore qu’à ses premiers pas [48], sont accueillis et transmis avec enthousiasme par l’IRS qui pense que l’heure d’une « véritable culture physique prolétarienne » a sonné [49]. Toutefois, les orientations de la fizkul’tura ne sont guère le fruit d’inventions idéalistes, mais traduisent plutôt des nécessités absolues du moment. Après les années de guerre civile et d’intervention, suivies en 1921 et 1922 de famines ayant causé plusieurs millions de morts, la Russie doit à la fois faire face à l’état de santé préoccupant d’une grande partie de sa population et à une crise économique aiguë, la production industrielle restant largement en dessous du niveau d’avant la Première Guerre mondiale. Autant dire que Nikolaj Semaško occupe une position importante au sein du gouvernement soviétique, avec sa double fonction de responsable de la Santé et de la Culture physique.

III – 1925-1931 : prépondérance du sport de compétition, divergences sur la question des performances

19Les premiers signes d’un recul relatif de l’influence des hygiénistes, sur volonté du Parti, se font cependant sentir dès le 3e Congrès mondial de l’Internationale rouge sportive en octobre 1924 à Moscou. Alors que les délégués soviétiques auraient souhaité que Semaško prenne la fonction – très symbolique – de président, le Bureau politique du PCR impose le retour de son adversaire Nikolaj Podvojskij à la tête de l’organisation internationale [50]. Le nouvel exécutif s’empresse d’annuler, sous l’argument de leur incompatibilité avec la réalité, les « Thèses sur les méthodes et techniques » qui viennent d’être adoptées à l’unanimité par les délégués au 3e Congrès [51] et qui portent entièrement l’empreinte des hygiénistes. Elles soulignent la nécessité d’améliorer les connaissances des ouvriers en matière d’hygiène corporelle, de propager l’utilisation judicieuse du plein air, du soleil et de l’eau, et d’examiner l’utilité des disciplines sportives en fonction de leur valeur hygiénique et pédagogique [52].

20Semaško reste président du Conseil suprême de la culture physique, mais ce dernier se montre de plus en plus divisé par rapport à l’importance à accorder à la santé d’un côté, à la performance de l’autre. Alors que le commissaire du peuple à la Santé assimile comme nous l’avons vu le sport de haut niveau à l’avilissement moral et à la déformation physique de l’homme, l’un de ses collaborateurs, Gorki?, défend en 1926 l’idée que les sportifs soviétiques devraient mesurer leurs forces avec des athlètes et des équipes de fédérations officielles en précisant qu’il est « […] vraiment d’une grande importance politique que toute la classe ouvrière et toute la bourgeoisie puissent dire et écrire que dans l’État ouvrier, après quelques années seulement de son existence, la culture physique des travailleurs s’est développée de telle manière que les sportifs ouvriers russes sont maintenant capables de battre les champions du sport bourgeois [53] ».

21On peut reconnaître dans les propos de Gorki? les prémices d’un nationalisme sportif mêlé de prosélytisme politique, les succès sportifs étant censés démontrer la supériorité du système socialiste de l’Union soviétique. Si le terrain est loin d’être préparé pour la poursuite systématique d’un projet aussi ambitieux, les accords pour quelques échanges entre sportifs soviétiques et sportifs du monde capitaliste traduisent la prise en compte du sport par la politique extérieure de l’URSS. Celle-ci se dessine juste avant la tenue du 3e Congrès mondial de l’IRS. En effet, les rencontres de football avec la Turquie, qui débutent par un match entre les équipes nationales en novembre 1924 et se poursuivront jusqu’en 1935, sont organisées sur impulsion gouvernementale [54]. Des échanges sportifs entre l’URSS et la Perse sont également convenus [55]. Ces démarches correspondent à l’intérêt primordial de la diplomatie soviétique d’établir des relations de confiance avec les pays voisins pour mieux protéger les frontières extérieures du seul État au monde tentant d’établir un système socialiste [56].

22La théorie du « socialisme dans un seul pays », c’est-à-dire de la possibilité de construire le socialisme en Union soviétique sans l’appui d’autres pays où les communistes auraient pris le pouvoir, formulée par Staline à la fin de l’année 1924 et approuvée par le cinquième Plenum de l’Internationale communiste (21 mars-6 avril 1925 à Moscou), exerce rapidement ses effets sur les politiques extérieure et intérieure de l’URSS. Faisant appel au patriotisme pour mieux mobiliser la population en vue de la construction du socialisme en URSS, tout en renforçant à plus long terme le poids des relations diplomatiques avec les États du monde capitaliste [57], la nouvelle orientation est concomitante d’une vision révisée des fonctions du sport. Celle-ci intègre désormais, entre autres facteurs, l’idée d’une utilité potentielle de la compétition sportive pour le renforcement de l’identité nationale, pour l’approfondissement de relations diplomatiques et pour le renvoi d’une image positive du pays vers l’extérieur. Ce glissement renforce la position de la fraction du CSCP favorable depuis le début à l’émulation sportive.

23En fait, dès 1923/1924, des dirigeants de l’IRS ont émis des critiques sévères à l’égard de certaines « tendances bourgeoises » se manifestant d’après eux dans le sport soviétique. Les représentants du Conseil suprême de la culture physique ont dû reconnaître qu’ils n’étaient pas parvenus à éradiquer certains reliquats de l’ancien système sportif bourgeois comme notamment des pratiques professionnelles, et que beaucoup de techniciens des fédérations sportives bourgeoises avaient gardé leurs fonctions [58]. Le rapport d’une commission mise en place par le Komintern indique que l’orientation du sport soviétique vers les résultats prend effectivement des proportions pouvant soulever des inquiétudes au sein du mouvement communiste international [59]. Le Comité central du Parti bolchevique déclare à ce sujet, dans sa résolution sur le sport de l’année 1925 : « En abordant la question des compétitions, il faut partir de l’idée que celles-ci, organisées en accord avec les recommandations des sciences, doivent être un moyen de gagner les masses à la culture physique et de faire valoir les réalisations individuelles et collectives accomplies dans ce domaine [60]. »

24Cette approbation officielle de la compétition sportive tient compte non seulement de son utilité potentielle dans le dispositif diplomatique, mais aussi de sa popularité évidente au sein des groupements sportifs des syndicats et de la Jeunesse communiste, le Parti poursuivant le but très pragmatique d’augmenter l’attractivité des institutions de l’État [61]. La première Spartakiade internationale qui a lieu à Moscou en août 1928 contribue à la diffusion vers toutes les républiques du modèle de compétition, en donnant lieu au préalable à des compétitions aux échelles locale et régionale impliquant toutes les institutions ayant en charge les activités physiques. Elle permet aussi d’exposer l’avancement du niveau sportif en URSS, relevé entre autres par des journalistes et techniciens étrangers [62].

25L’année suivante, une nouvelle résolution du Parti critique cependant la tendance, perceptible auprès d’un grand nombre de dirigeants sportifs et d’entraîneurs, de privilégier la recherche de résultats et de records aux dépens du sport de masse [63]. Elle montre l’ampleur d’une évolution témoignant en fait d’un profond dilemme : on peut difficilement à la fois donner libre cours à l’organisation de compétitions sportives et espérer l’endiguement de ce qui fait leur essence, à savoir la quête concurrentielle de la victoire. Prise au début du premier plan quinquennal, cette résolution exprime avant tout l’intérêt renouvelé du pouvoir de s’appuyer sur les activités physiques dans la perspective d’améliorer le rendement au travail de la plus grande partie de la population ; ce qui revient à se soucier de la formation physique générale des masses plutôt que d’apprécier la spécialisation athlétique d’une élite. En correspondance avec cet intérêt particulier, les autorités décident de l’introduction d’exercices de gymnastique rationnelle sur les lieux de travail. Mais en tout état de cause, le sport de compétition occupe une place prépondérante dans la culture physique soviétique dès la seconde moitié des années 1920.

IV – 1932-1937 : introduction d’une politique en faveur du sport de haut niveau et repositionnement sur le plan international

26On n’aperçoit pas de véritable changement de cap de la politique sportive au moment où l’industrialisation accélérée et le premier plan quinquennal sont imposés en 1929 par Staline [64]. Le virement vers une politique en faveur de la haute performance au cours de la première moitié des années 1930 s’effectue toutefois en relation avec les résultats et effets de ce programme. Suite à ses premiers succès, une certaine euphorie atteint la population (à l’exception de la partie non négligeable du peuple soviétique qui devient victime des méthodes inhumaines dans la production et la construction, ou subit la collectivisation forcée des campagnes), pendant que les ambitions du dictateur prennent de nouvelles proportions. La devise stalinienne « il n’y a pas de forteresse imprenable pour les bolcheviques » se répand, au même titre que l’idée de supériorité du système socialiste par rapport au système capitaliste – en échec apparent au moment de la Grande Dépression – s’exprime dans des objectifs et des réalisations [65]. Le projet de la Spartakiade mondiale, lancé en janvier 1932, en est une parfaite illustration [66]. Cette manifestation identitaire est conçue par le Bureau politique du Parti bolchevique comme célébration centrale des réussites de l’édification socialiste à la fin du premier plan quinquennal. Elle doit en fournir des expressions tangibles à travers les démonstrations gymniques de masse [67], mais aussi grâce aux performances que réaliseraient les athlètes soviétiques au fil des compétitions se déroulant dans un complexe sportif ultra-moderne, dont les dimensions dépasseraient celles de toutes constructions similaires dans les pays capitalistes [68]. La Spartakiade obtient ainsi vocation à « démontrer la supériorité absolue du système socialiste » et de prouver au monde entier que « l’Union soviétique, sous la direction du Parti léniniste et de son Comité central avec le camarade STALINE aux commandes, et grâce aux efforts héroïques de la classe ouvrière et des paysans travailleurs, est devenue un pays industriel puissant capable de mener à terme le plan quinquennal en quatre ans [69] ».

27En juin 1932, dans le contexte de préparation de la Spartakiade et à un moment où une vague d’euphorie de production se répand dans le pays [70], surgit la devise de « devancer systématiquement les performances des athlètes bourgeois des pays capitalistes [71] ».

28On ne peut pas apporter de réponse définitive à la question de savoir pourquoi cette mise en scène de la puissance soviétique, devant un public international, n’a finalement pas eu lieu. Mais est-ce un hasard si la Spartakiade est remplacée par un « Rassemblement des sportifs contre le fascisme et la guerre impérialiste » à Paris (dont l’organisation est confiée à la section française de l’Internationale rouge sportive, la Fédération sportive du travail) au moment même où les premières négociations secrètes entre l’URSS et la France augurent d’une réorientation de la politique extérieure soviétique [72] ? On peut penser aussi que de premières réflexions au sein du CSCP sur l’opportunité de s’intégrer au sport international officiel contribuent à freiner les élans vers l’organisation d’une manifestation envisagée sur le plan international comme expression de la tactique « classe contre classe » et comme défi lancé au sport bourgeois et à ses Olympiades.

29L’ouverture de la diplomatie soviétique vers les démocraties occidentales en 1934 va en tout cas faciliter les relations avec le sport officiel, acceptées désormais par l’IRS [73], et accentuer les aspirations du sport soviétique aux victoires et aux records. En juillet 1935, la reproduction dans la revue officielle de l’Internationale rouge sportive d’un article de la Pravda intitulé « L’URSS doit être un pays modèle de la culture physique » et évoquant les prouesses d’athlètes soviétiques qui vont jusqu’à l’établissement de records mondiaux (officieux [74]), annonce au public sportif international que le mot d’ordre « rattraper et devancer les performances sportives des pays capitalistes » est en voie de se transformer en réalité. L’article conclut : « Nous travaillons, et nous devons travailler avec encore plus d’énergie, pour que les sportifs soviétiques deviennent les meilleurs sportifs du monde, pour que dans les prochaines années l’URSS devienne le pays des records du monde [75]. »

30Ces propos font allusion aux mesures prises en vue d’occuper la position hégémonique dans le sport mondial, parmi lesquelles figure l’augmentation du budget pour le sport et le recrutement d’entraîneurs étrangers pour la préparation de l’élite [76]. Après l’introduction, en mars 1931, de l’épreuve physique pour toute la population adulte appelée Gotov k Trudu i Oborine (GTO, « Prêt au Travail et à la Défense »), l’année 1934 voit apparaître le titre de « maître des sports », récompense pour des accomplissements sportifs significatifs, et surtout, la mise en place du système de détection des jeunes talents et de leur rassemblement dans des écoles spécialisées. Le GTO est élargi aux enfants et adolescents et permet ainsi de procéder à une estimation précoce de leur potentiel sportif. Les meilleurs sont envoyés aux « Écoles sportives pour enfants et adolescents », dont la première est ouverte à Tiflis en 1934. En 1940, 262 écoles de ce type sont déjà établies ; elles ont alors formé pas moins de 46 730 jeunes aux sports de compétition les plus divers [77]. Dès 1936, un manuel scolaire encourage d’ailleurs les élèves à se préparer à la « chasse aux records sportifs bourgeois [78] ». L’institution sportive nationale (le CSCP) est en outre transformée en juin 1936 en « Comité suprême de la Culture physique et du Sport auprès des Commissaires du Peuple », ce qui la rapproche encore davantage du centre de l’appareil de l’État [79].

31Pour ce qui concerne son appartenance internationale, le sport soviétique s’invite à une valse hésitante au rythme saccadé à partir de 1935 [80]. Tout en s’approchant à petits pas de fédérations internationales comme notamment la FIFA, il continue à danser sur une mélodie de solidarité avec le sport travailliste et participe même, en tant que primera bailarina, à la troisième Olympiade ouvrière de l’Internationale sportive ouvrière socialiste, à Anvers pendant l’été 1937. La décision du Bureau politique sur l’envoi d’une délégation [81] est caractéristique des ambiguïtés de la politique sportive soviétique pendant cette phase [82]. Certes, l’URSS est ainsi représentée dans une manifestation sportive travailliste dont sont exclus les sportifs bourgeois. Mais ses athlètes sont autorisés à participer seulement aux concours où leur victoire paraît très probable [83]. Le Bureau politique met ainsi en avant le prestige de l’URSS dans le cadre d’un événement sportif et politique conçu essentiellement comme manifestation du mouvement sportif ouvrier contre le fascisme, pour la paix et l’internationalisme. La délégation soviétique réalise de brillantes performances en Belgique (entre autres un record du monde officieux en natation), mais heurte les sensibilités socialistes par des attitudes jugées extravagantes : lorsque deux joueurs de l’équipe nationale de football (qui gagne, sans surprise, le tournoi) se blessent lors d’un match éliminatoire, deux remplaçants sont immédiatement envoyés de Moscou par avion [84].

32À ce moment précis, l’Internationale rouge sportive a déjà cessé d’exister. Mais la décision de dissolution, entérinée par le présidium du Komintern en avril 1937 [85], est gardée sous secret, pendant que les rumeurs que fait circuler la presse bourgeoise sur une adhésion officielle du football soviétique à la FIFA, ou encore sur une participation de l’URSS aux Jeux olympiques d’Helsinki en 1940, continuent d’être récusées par les autorités soviétiques [86]. Les sources de Moscou suggèrent des raisons avant tout politiques et idéologiques concernant l’attitude des dirigeants sportifs de l’URSS qui se renseignent sur les fédérations sportives internationales et entrent en contact avec certaines d’entre elles, mais ne formulent aucune demande d’adhésion. Ces raisons renvoient à l’engagement de l’URSS auprès du mouvement antifasciste international, qui dure jusqu’à la signature du pacte germano-soviétique d’août 1939, et aux compromissions du sport officiel avec le fascisme [87]. Déclarer publiquement que le sport soviétique se dissocie, voire se désolidarise du sport travailliste paraît alors peu opportun, surtout quelques mois avant l’Olympiade ouvrière d’Anvers. Qu’il rejoigne tôt ou tard les grandes fédérations sportives internationales et le CIO est cependant, en 1937, une réalité admise au sein du Komintern ; même si certains de ses dirigeants sportifs auraient préféré la fusion de toutes les forces sportives antifascistes sous l’abri organisationnel de l’Internationale sportive ouvrière socialiste, avec le sport soviétique comme figure de proue [88].

33Mais de toutes les manières, dans la plupart des sports, il convient de poursuivre le processus de progression avant de se mesurer au plus haut niveau avec les athlètes de pays capitalistes, l’acceptation même provisoire de défaites sportives étant incompatible avec les visions du régime soviétique. C’est une autre raison, si ce n’est la raison principale, pour laquelle le sport soviétique ne s’intègre pas au système du sport international officiel avant la Seconde Guerre mondiale, et n’entre pas en contact avec le Comité d’organisation des Jeux olympiques de 1940 (annulés ensuite en raison de la guerre). La peur de ne pas gagner empêchera également la participation aux Jeux olympiques de Londres en 1948 [89].

Conclusion

34Les nouvelles orientations que se donne la politique sportive au cours des années 1930 s’inscrivent dans un changement de climat touchant tous les secteurs de la société soviétique, dans le double contexte d’industrialisation accélérée et d’accentuation du régime de terreur stalinien. Les principes du sport de compétition sont en harmonie avec ceux de l’émulation socialiste propagée en vue de l’augmentation de la productivité, la recherche de la meilleure performance sportive se situe dans la mouvance du stakhanovisme [90], et la quête de records mondiaux ressort comme composante du néonationalisme russe d’empreinte stalinienne. Enfin, le spectacle sportif obtient une importance accrue dans la même mesure que la répression politique s’amplifie, augmentant le besoin de divertissements momentanés de la population [91]. Le sportif performant devient quant à lui l’incarnation de « l’homme nouveau » soviétique, résultat final des réflexions et discussions sur la « réorganisation physique de l’homme » entamées dès la victoire de la Révolution bolchevique [92]. Somme toute, après la sportivisation de la culture physique pendant la deuxième moitié des années 1920, on assiste au cours des années 1930 à une sportivisation de la société soviétique [93], qui n’est que relative bien entendu : la vie quotidienne en URSS est sans doute plus marquée, surtout de 1936 à 1938, par la terreur et le sentiment de précarité que par le spectacle de jeux non violents ou le plaisir de la dépense physique [94].

35Au principe de comparaison de l’efficience de travail des individus à l’intérieur du pays s’ajoute la confrontation symbolique des réalisations collectives à celles du monde extérieur. C’est aussi par rapport à ce nouveau système de références [95] que l’on peut situer l’entrée dans une logique de concurrence mimétique sportive et l’ambition de gagner le plus grand nombre de médailles aux grands championnats internationaux. Ainsi, dès les années 1930, les responsables du sport soviétique ont définitivement adopté l’idée d’une dimension représentative et nationaliste du sport, largement répandue dans les pays capitalistes et démocratiques [96], tout en y ajoutant à leur façon celle de la confrontation des systèmes dans les stades et les salles de sport qui avait été introduite par l’Italie fasciste de Mussolini. Le processus de concrétisation de cette voie est interrompu par la Seconde Guerre mondiale et l’invasion du pays par l’armée allemande en 1941. Après la guerre, l’URSS s’intègre progressivement aux fédérations sportives internationales officielles et enfin (en 1951) au CIO, avec un bénéfice politique certain : la soumission aux règlements de ces fédérations qui mettent les principes universels du sport au-dessus (ou en dehors) des différences et oppositions idéologiques entre les nations permet d’autant mieux à l’URSS (au même titre qu’à d’autres pays membres) d’utiliser ce champ dans une optique d’affrontement symbolique, en vertu même du principe de « coexistence paisible » des systèmes capitaliste et socialiste. À sa première participation aux Jeux olympiques, à Helsinki en 1952, l’équipe soviétique impressionne fortement le public international, mais reste toutefois en deçà des attentes du régime en ratant de peu la première place (occupée par les États-Unis) au classement officieux des nations par médailles [97].

36L’année 1937 peut être considérée à notre sens comme un moment clé dans l’histoire politique et idéologique du sport en URSS, dans la mesure où elle marque la rupture définitive du sport soviétique avec le sport travailliste européen et sa philosophie internationaliste, au moment où les instruments se mettent progressivement en place pour la quête systématique de la domination du sport mondial. Celle-ci, traduite plus tard en succès, constituera un élément fort de continuité jusqu’à l’effondrement de l’empire soviétique.

Notes

  • [*]
    Professeur des universités, université de Strasbourg, EA 3400 « Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe » ; gounot@unistra.fr
  • [1]
    Katzer, Nikolaus. 2007. « “Neue Menschen” in Bewegung. Zum Verhältnis von Sport und Moderne in Russland im 20. Jahrhundert, in Malz Arié, Rohdewald Stefan, Wiederkehr, Stefan (dir.), Sport zwischen Ost und West. Beiträge zur Sportgeschichte im 19. und 20. Jahrhundert, Osnabrück, Fibre, p. 349-369, 350.
  • [2]
    Institut allemand d’histoire. « Actuel » correspond ici à juillet 2012.
  • [3]
    Katzer Nikolaus. 2006. « Kalter Krieg auf der Aschenbahn. Deutsch-russische Sportbegegnungen nach dem Zweiten Weltkrieg » et Prosumentschikow Michael. 2006. « Deutsch-sowjetische Sportkontakte im Kontext politischer Zielsetzungen von 1950 bis Anfang der 1980er Jahre », in Karl Eimermacher, Astrid Volpert (dir.), Tauwetter, Eiszeit und gelenkte Dialoge. Russen und Deutsche nach 1945, Munich, p. 779-809 et p. 811-849.
  • [4]
    Dahlmann Dittmar, Hilbrenner Anke, Lenz Britta (dir.). 2006. Überall ist der Ball rund. Zur Geschichte und Gegenwart des Fußballs in Ost- und Südosteuropa, Essen, Klartext.
  • [5]
    Dahlmann Dittmar, Hilbrenner Anke, Lenz Britta (dir.). 2008. Überall ist der Ball rund. Zur Geschichte und Gegenwart des Fußballs in Ost- und Südosteuropa. Die zweite Halbzeit, Essen, Klartext ; idem. 2011. Überall ist der Ball rund – Nachspielzeit. Zur Geschichte und Gegenwart des Fußballs in Ost- und Südosteuropa, Essen, Klartext.
  • [6]
    Malz A., Rohdewald S., Wiederkehr S., op. cit.
  • [7]
    Katzer Nikolaus, Budy Sandra, Köhring Alexandra, Zeller Manfred (dir.). 2010. Euphoria and Exhaustion : Modern Sport in Soviet Culture and Society, Frankfurt/New York, Campus Verlag. Cet ouvrage donne une place importante (entre autres) à l’histoire des genres et à l’histoire de l’architecture, peu traitées jusque-là dans le cadre de l’histoire du sport en Russie.
  • [8]
    Il faut aussi mentionner les monographies de Mike O’Mahony. 2006. Sport in the USSR, Physical Culture – Visual Culture, Londres, Reaktion Books, et Robert Edelman. 2009. Spartak Moscow : A History of the People’s Team in the Worker’s State, Ithaca/Londres, Cornell University Press. En Russie, par contre, on ne peut pas encore parler de dynamique de la recherche en histoire des pratiques physiques. À signaler toutefois l’œuvre de Mihail Prozumenscikov. 2004, Bol’šoj sport i bol’šaja politika [Grand sport et grande politique], Moscou, Rosspen, qui s’appuie sur les sources des Archives d’État de Russie en histoire contemporaine (consacrées au temps postérieur à la Seconde Guerre mondiale).
  • [9]
    On peut s’étonner de la forte proportion d’études publiées sur le sport soviétique se passant de sources d’archives malgré l’accessibilité de celles-ci. Par rapport à cette lacune, voir aussi la recension de Sylvain Dufraisse du livre publié sous la direction de Katzer N. et al., op. cit., in Cahiers du monde russe 52, 2010, n° 4.
  • [10]
    Voir sur les préoccupations de la recherche allemande en histoire de l’Europe orientale Creuzberger Stefan, Manteuffel Ingo, Steininger Alexander, Unser Jutta (dir.). 2000. Wohin steuert die Osteuropaforschung ?, Köln, Verlag Wissenschaft und Politik, notamment le chapitre introductif signé par les directeurs de l’ouvrage, « Osteuropaforschung im Umbruch. Motive, Hintergründe und Verlauf einer Fachdebatte in Deutschland », p. 14-49.
  • [11]
    Le terme de « sport bourgeois » désigne en général les fédérations sportives officielles qui n’entretiennent pas d’affinités déclarées avec un courant politique ou religieux. Il était le plus souvent utilisé avec une connotation négative par les dirigeants du sport travailliste, même si beaucoup d’ouvriers se sont intégrés dans les fédérations « bourgeoises », ceci de manière sensiblement croissante à partir des années 1920.
  • [12]
    Au total, l’URSS a remporté le plus grand nombre de médailles de tous les pays aux Jeux olympiques d’été et d’hiver entre 1952 et 1988.
  • [13]
    Sur la base de documents officiels comme le journal Pravda, ou des résolutions publiées du Parti, des aspects de l’histoire politique du sport soviétique ont été traités dès l’ouvrage pionnier de Henry W. Morton. 1963. Sport, Mirror of Soviet Society, New York, Collier Books. Plus de détails sont fournis par Vitalij V. Stolbov. 1975. Istorija fisi?eskoi kultury i sporta, Moscou, FIS. Ce livre (reposant sur une approche marxiste-léniniste de l’Histoire et pouvant également être considéré comme publication légitimatrice du régime) a servi d’appui à des travaux publiés dans différents pays, entre autres celui de James Riordan. 1977. Sport in Soviet Society. Development of Sport and Physical Education in Russia and the USSR, Cambridge/Londres/New York, Cambridge University Press. Dans cette thèse de doctorat, l’auteur fait la distinction entre une « période de la culture physique » (à dominante hygiénique) recouvrant presque entièrement les années 1920, et une période de consécration du sport de compétition qui va de 1929 (commencement du premier plan quinquennal) à 1941. Après la Seconde Guerre mondiale seulement, une véritable politique de production d’athlètes de haut niveau aurait été mise en place. Cette périodisation, construite à partir d’un faible nombre de sources probantes, est souvent reprise sans vérification critique (voir par exemple Makoveeva Irina. 2002. « Soviet Sports as a Cultural Phenomenon : Body and/or Intellect », in Studies in Slavic Cultures III, juillet 2002, pp. 9-32). Les sources que nous avons pu consulter (voir notes 15 et 16) nous inspirent une perception temporelle distincte de ces étapes.
  • [14]
    L’usage de l’acronyme « Komintern » (formé à partir du nom russe « Kommunisti?eskij Internacional », Internationale communiste) a été soupçonné par Pierre Broue de refléter et de diffuser une perception négative du mouvement communiste international, le « k » produisant un sentiment d’étrangeté dans l’espace francophone (Broue, Pierre. 1997. Histoire de l’Internationale communiste, Paris, Fayard, « Avertissement »). Indiquons alors, à notre décharge, que cette consonne est courante en allemand, notre langue maternelle, et que l’organisation en question s’appelle bien « Kommunistische Internationale » dans ce même idiome qu’elle a utilisé comme langue véhiculaire à côté du russe.
  • [15]
    Rossiiskii gosudarstvennyj arkhiv sotsial’no-politicheskoi istorii (RGASPI), fonds 537.
  • [16]
    Gosudarstvennyj Archiv Rossijskoj Federacii (GARF), fonds 7576. Nous avons travaillé dans ces centres d’archives en 1994 et 1996, préparant notre thèse de doctorat sur l’histoire de l’Internationale rouge sportive (Gounot André. 2002. Die Rote Sportinternationale, 1921-1937. Kommunistische Massenpolitik im europäischen Arbeitersport, Münster, LIT Verlag) et nous intéressant, entre autres, aux mutations politiques et idéologiques du sport soviétique. Dans notre mémoire d’HDR (Sport-politique-communisme (xixe et xxe siècles). Dimensions internationales et perspectives comparatives, soutenu en 2008 à l’université Marc Bloch de Strasbourg), nous avons présenté un bilan de nos recherches et publications – pour l’essentiel en langue allemande – sur l’histoire du sport soviétique. Ce bilan, actualisé, est à la base du présent article.
  • [17]
    Parmi les nombreuses contributions sur les archives de Moscou, voir notamment Wolikow Serge (dir.). 1996. Une histoire en révolution ? Du bon usage des archives, de Moscou et d’ailleurs, Dijon, Presses universitaires de Dijon.
  • [18]
    Voir la liste des documents brûlés in GARF, 7576/29/2.
  • [19]
    Rappelons que l’URSS n’est fondée que le 30 décembre 1922. Le Parti communiste (bolchevique) de Russie devient « Parti communiste (bolchevique) de l’URSS » en décembre 1925.
  • [20]
    Pour les noms russes, nous employons la translittération scientifique, sauf pour des noms propres dont une manière précise d’écriture est devenue commune dans la langue française, et pour les noms d’auteurs figurant sous d’autres formes de transcription dans des sommaires d’ouvrages cités.
  • [21]
    Riordan J., op. cit., p. 68-75 et 84-85.
  • [22]
    Documentation sur le Vsevobu? in Theorie und Praxis der Körperkultur, 1970, p. 299.
  • [23]
    Podvojskij était l’un des adjoints de Trotski quand ce dernier, en tant que chef du Comité militaire révolutionnaire de Petrograd, a mené l’insurrection d’octobre 1917. Cf. Deutscher Isaac. 1990. Stalin. Eine politische Biographie, Dietz Verlag, Berlin, p. 223.
  • [24]
    Procès-verbaux des séances de la Première Conférence de l’Internationale rouge sportive, 19-30 juillet 1921, RGASPI, 537/I/1.
  • [25]
    Rote Fahne, 25 août 1921. Voir sur l’importance accordée à la culture physique dans les débats et réflexions sur la culture révolutionnaire Plaggenborg Stefan. 1996. Revolutionskultur. Menschenbilder und kulturelle Praxis in Sowjetrussland zwischen Oktoberrevolution und Stalinismus, Böhlau, Cologne/Weimar/Berlin, p. 62-108.
  • [26]
    Cantelon Hart. 1988. « The Leninist/Proletkult’tist Cultural Debates : Implications for Sport Among the Soviet Working Class », in Cantelon Hart, Hollands Robert (dir.). Leisure, Sport and Working-Class Cultures: Theory and History, Garamond Press, Toronto (Ontario), p. 77-97.
  • [27]
    Scherrer Jutta. 1986. « “Proletarische Kultur” : Die Entstehung des Konzepts und seine Umsetzung in der Organisation des frühen “Proletkul’t”, in Boll Friedhelm (dir.). Arbeiterkulturen zwischen Alltag und Politik. Beiträge zum europäischen Vergleich in der Zwischenkriegszeit, Vienne/Munich/Zurich, Europa-Verlag, p. 101-122.
  • [28]
    Sur les hygiénistes, voir notamment Plaggenborg S., op. cit., p. 79-108.
  • [29]
    Proletariersport. Organ für proletarisch-physische Kultur (revue de l’Internationale rouge sportive), 1924, n° 2, p. 21-22.
  • [30]
    Archives de la FIFA, Zurich, Correspondence with National Associations, RUS, 1923-1983.
  • [31]
    La FIFA retient ainsi un match improvisé le 18 septembre en 1923 à Tallinn entre une sélection russe (formée de joueurs de Moscou et de Pétrograd) et l’équipe nationale de l’Estonie comme le premier match international officiel de l’URSS (gagné par celle-ci avec quatre buts contre deux). Cf. International Federation of Football History & Statistics (IFFHS), Russia (1912-1920), Soviet Union (1923-1940), Polska (1921-1940), Lietuva (1923-1940). Full internationals, s.l., s.d. [2002], p. 28. L’IFFHS, fondée en 1984 à Leipzig, établit, en collaboration avec la FIFA, les statistiques officielles du football international.
  • [32]
    « Protokoll der Sitzung des E.K. der Roten Sport-Internationale vom 30. Januar 1924 », RGASPI, 537/I/79.
  • [33]
    Riordan J., op. cit., p. 85 ; Kommunistische Jugend-Internationale. 1923. Bericht vom 3. Weltkongress der Kommunistischen Jugendinternationale. Vom 4.-16. Dezember 1922 in Moskau, Berlin, p. 202.
  • [34]
    « Vertraulich. Nur für die Organe der K.J. und nicht für die Sportintern bestimmt. Bericht über die Exekutivsitzung der Roten Sportinternationale », RGASPI, 537/I/75. Pendant ce temps, on se plaint pourtant, dans les rangs du Comité exécutif de l’Internationale rouge sportive, du faible investissement de Podvojskij en faveur de celle-ci. S. Plaggenborg (op. cit., p. 73-77) décrit Podvojskij comme un personnage ambitieux et opportuniste au point de modifier à diverses occasions le fond de son discours sportif. Les sources de l’IRS confirment cette image.
  • [35]
    « Vertraulich. Nur für die Organe der K.J. und nicht für die Sportintern bestimmt. Bericht über die Exekutivsitzung der Roten Sportinternationale », RGASPI, 537/I/75 ; « Bureau de l’Internationale Rouge des Sports. Séance du 28 février 1923 », RGASPI, 537/I/74 ; « Bericht über den Sport », sans date [printemps 1923], RGASPI, 537/I/75.
  • [36]
    Plaggenborg S., op. cit., p. 81.
  • [37]
    Morton H., op. cit., p. 160 ; Riordan J., op. cit., p. 88-89.
  • [38]
    Il est vrai que très peu de femmes participent aux activités physiques en Russie au début des années 1920. Le sport féminin se développe progressivement pendant l’ère soviétique. Selon les statistiques officielles, le nombre de pratiquantes sportives aurait augmenté, passant de 84 000 en 1924 à 1,7 million en 1934. Cf. Rowley Alison. 2006. « Sport in the service of the state. Images of physical culture and Soviet women, 1917-1941 », International Journal of the History of Sport, 23, n° 87, p. 1314-40, p. 1317. En 1940, 5,3 millions de pratiquants sportifs (hommes et femmes) sont recensés (Ruffmann Karl-Heinz. 1980. Sport und Körperkultur in der Sowjetunion, Munich, DTV, p. 65). Sur l’histoire du sport féminin en URSS avant la Seconde Guerre mondiale voir aussi Kobchenko Kateryna. 2010. « Emancipation within the Ruling Ideology : Soviet Women in Fizkul’tura and Sport in the 1920s and 1930s », in Katzer N. et al., op. cit., p. 295-314.
  • [39]
    Proletariersport, 1924 n° 2, p. 21-22 et n° 5, p. 74-75.
  • [40]
    Plaggenborg S., op. cit., p. 80-88.
  • [41]
    Résolution du CSCP de 1923, in Proletariersport, 1924, n° 2, p. 21.
  • [42]
    E.P. Radin, médecin, dirigeait simultanément le département d’Hygiène scolaire au commissariat du peuple à la Santé. Plaggenborg S., op. cit., p. 65.
  • [43]
    Proletariersport, 1924, n° 5, p. 75-77.
  • [44]
    Plaggenborg S., op. cit., p. 65.
  • [45]
    Proletariersport, 1924, n° 5, p. 74-75
  • [46]
    Proletariersport, 1927, n° 6, p. 90. Voir également Proletariersport, 1925, n° 2, p. 25-28.
  • [47]
    Proletariersport, 1924, n° 5, p. 76.
  • [48]
    Les programmes visant à établir les liens entre activité professionnelle et activité sportive n’en étaient encore qu’au stade de la recherche et de l’expérimentation. Voir Proletariersport, 1925, n° 1, p. 4.
  • [49]
    « Thesen des III. Kongresses der R.S.I. zu wissenschaftlich-methodischen und technischen Fragen der Körperkultur der Werktätigen », RGASPI, 537/I/15.
  • [50]
    « Bericht von der Tagung des RSI-Kongresses », RGASPI, 537/I/82 (il s’agit d’un rapport secret de l’homme de confiance du Parti communiste allemand Armin Hauswirth).
  • [51]
    « Stenogramme der Sitzungen des 3. Kongresses (Moskau, Oktober 1924) », RGASPI, 537/I/9.
  • [52]
    « Thesen des III. Kongresses der R.S.I. zu wissenschaftlich-methodischen und technischen Fragen der Körperkultur der Werktätigen », RGASPI, 537/I/15.
  • [53]
    Cf. Proletariersport, 1926, n° 3, p. 36.
  • [54]
    « Recommandé. À Monsieur G. Duperron. Amsterdam, le 22 avril 1925 », Archives de la FIFA, Correspondence with National Associations, RUS, 1923-1983. Voir également la lettre du CSCP à « General Secretary International Federation of Football Association M.. Hirschmann, 4-5-25 », et le courrier de Hirschmann à « A.W. Siskind Esq., 25th July 1925 », Archives de la FIFA, Correspondence with National Associations, RUS, 1923-1983.
  • [55]
    Proletariersport, 1926, n° 5, p. 68 ; « Thesen über die Arbeit der RSI im Osten und in den Kolonien, angenommen auf der Erweiterten Exekutive der RSI im Mai 1926 », RGASPI, 537/I/54. Il est difficile de savoir si l’idée d’associer le sport au dispositif des relations avec la Turquie et, par la suite, avec la Perse est venue du CSCP, du Parti ou du Commissariat des affaires étrangères qui est alors dirigé par Georgij ?i?erin, personnage à l’esprit assez indépendant selon Thomas Ludmila. 2000. « Georgij ?i?erin Weg in die sowjetische Diplomatie », in Thomas Ludmila, Knoll Viktor (dir.), Zwischen Tradition und Revolution : Determinanten und Strukturen sowjetischer Außenpolitik 1917-1941, Steiner, Stuttgart, pp. 31-72. De manière plus générale, l’analyse des déterminants et des sphères d’action de la politique extérieure soviétique se heurte à d’importants problèmes pratiques en raison de la politique archivistique restrictive suivie à Moscou dans ce domaine. Cf. Knoll Viktor. 2003. « Die sowjetische Außenpolitik der Zwischenkriegszeit im Spiegel russischer Archivquellen », in Creuzberger Stefan, Lindner Rainer (dir.), Russische Archive und Geschichtswissenschaft. Rechtsgrundlagen – Arbeitsbedingungen – Forschungsperspektiven, Frankfurt a. M., Peter Lang – Europäischer Vlg. der Wissenschaften, p. 239-242.
  • [56]
    Sur l’importance et le caractère de ces relations voir Altrichter Helmut. 1993. Kleine Geschichte der Sowjetunion 1917-1991, Munich, DTV.
  • [57]
    Cf. Deutscher I., op. cit., p. 366-382, 500-508 ; Cannone Stefano. 1988. « De la “lutte pour la paix” à la “défense de l’URSS”. Le débat sur le danger de guerre dans le Komintern, 1926-1927 », Communisme, n° 18-19, p. 50-70, p. 52.
  • [58]
    Voir les remarques de Kal’pus, Mechanošin et Semaško in Proletariersport, 1924, n° 2, p. 21-22, n° 4, p. 60-64 et n° 5, p. 75.
  • [59]
    « Denkschrift der Kommission des Orgbüros des EKKI über die Richtung der internationalen Arbeiter- und Bauern- Sport- und Turnbewegung, 26.II.1925 », RGASPI, 537/I/102. Voir aussi « Berlin, im August 1925 » (lettre de démission de Bruno Lieske, membre du Comité exécutif de l’IRS), RGASPI, 537/I/104, ainsi que « An das Sekretariat der RSI, Moskau. Berlin, 26.8.1924 » (courrier de Bruno Lieske), RGASPI, 537/I/85.
  • [60]
    « Aufgaben der Partei auf dem Gebiete der Körperkultur. Resolution des ZK der KPR », RGASPI, 537/I/105.
  • [61]
    Read, John. 1996. « Physical Culture and Sport in the Early Soviet Period », Australian Slavonic and East European Studies 10, p. 59-84, 77-78.
  • [62]
    Skorning Lothar. 1978. « Vor 50 Jahren : Moskauer Spartakiade 1928 », Theorie und Praxis der Körperkultur, p. 670-678.
  • [63]
    Ruffmann K.-H., op. cit., p. 51. Cette tendance est aussi notée par un observateur berlinois, le médecin F. Pinoff, qui publie ses constats dans la revue spécialisée Die Leibesübungen, 1929, n° 13, p. 311-312.
  • [64]
    Les historiens de l’URSS parlent en général du « Grand Tournant » de la fin des années 1920 marqué par les débuts de l’industrialisation accélérée et de la collectivisation forcée des campagnes (voir par exemple Werth Nicolas. 2007. La terreur et le désarroi. Staline et son système, Paris, Éditions Perrin, p. 208). Les grands bouleversements aux niveaux politique, économique et social n’induisent cependant pas obligatoirement de grands changements, au même moment, des conceptions sportives.
  • [65]
    Cf. Bullock Alan. 1999. Hitler und Stalin. Parallele Leben, Berlin, Wolf Jobst Siedler Vlg., p. 380 ; Deutscher I., op. cit., p. 415.
  • [66]
    Gounot André. 2007. « Sport und Inszenierung des sozialistischen Aufbaus. Das Projekt der Weltspartakiade in Moskau (1931-1934) », in Malz A., Rohdewald S., Wiederkehr S., op. cit., p. 75-91.
  • [67]
    50 000 gymnastes et sportifs soviétiques devaient participer aux mouvements d’ensemble par lesquels différents éléments du premier plan quinquennal ainsi que les acquis de la société socialiste dans les domaines les plus divers devaient être représentés et s’imprégner dans les mémoires des spectateurs.
  • [68]
    Internationaler Arbeitersport, novembre 1931. Le complexe sportif du parc Ismajlov était aussi conçu de manière à ce qu’il puisse remplir la fonction supplémentaire de lieu de manifestations de masse organisées par le Parti et les syndicats (cf. Internationaler Arbeitersport, mai 1932 ; « Resolution des Präsidiums des Zentralen Exekutiv-Komitees der SU zur Organisation der Weltspartakiade 1933 in Moskau », s.d. [1932], GARF, 3316/13/14). Mais ce projet se rangera aux côtés de nombreux autres projets architecturaux soviétiques des années 1930, ambitieux, voire grandioses, mais finalement non réalisés. Cf. Löhmann Reinhard. 1990. Der Stalinmythos. Studien zur Sozialgeschichte des Personenkultes in der Sowjetunion (1929-1935), Münster, LIT Verlag, p. 177).
  • [69]
    « Über die Vorbereitung und Durchführung der Weltspartakiade (Thesenprojekt zum Bericht des Gen. Antipov auf der 3. Plenumsitzung des Obersten Rates für Körperkultur der USSR vom 24. Januar 1932) », GARF, 7576/2/119. Le nom du dictateur est systématiquement démarqué du reste du texte de résolution par le format d’écriture.
  • [70]
    Cf. Löhmann R., op. cit., p. 177.
  • [71]
    « Resolution des Präsidiums der Gewerkschaften, 19. Juni 1932 », GARF, 7576/2/124.
  • [72]
    Voir à ce sujet Soutou Georges-Henri. 2005. « Les relations franco-soviétiques de 1932 à 1935 », in Narinski Mikhail, du Reau Elisabeth, Soutou Georges-Henri, Tchoubarian Alexandre (dir.), La France et l’URSS dans l’Europe des années 30, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, p. 31-60 et, dans le même ouvrage, Narinski Mikhail, « Les relations entre l’URSS et la France (1933-1937) », p. 73-83.
  • [73]
    Auparavant, l’IRS, appliquant ainsi le règlement établi en 1926, avait opposé son veto dès que le CSCP envisageait (ceci avec une tendance croissante à partir de 1931) l’organisation de compétitions avec des équipes de fédérations sportives officielles issues de pays où le sport travailliste jouait un certain rôle.
  • [74]
    Dans le monde sportif, on considérait (et considère) comme records officiels seulement ceux qui étaient homologués par les fédérations sportives internationales officielles, dont l’IRS et ses sections ne faisaient pas partie. Être membre de l’IRS constituait ainsi une contrainte d’autant plus forte pour le sport soviétique qu’il commençait à faire des progrès spectaculaires.
  • [75]
    Internationale Sportrundschau. Zeitschrift für Theorie und Praxis der Körperkultur (revue de l’Internationale rouge sportive), 1935, p. 257-259.
  • [76]
    Internationale Sportrundschau, 1935, p. 71-73.
  • [77]
    Wiese René. 2004. « Der Ursprung der Kinder- und Jugendsportschulen der DDR 1949 bis 1952 – eine sowjetische Geburt ? », Deutschland-Archiv. Zeitschrift für das vereinigte Deutschand, juin, p. 422-430, p. 423.
  • [78]
    Read J., op. cit., p. 81.
  • [79]
    Procès-verbal de la réunion du Bureau politique le 22 juin 1936, RGASPI, 17/3/978.
  • [80]
    Pour plus de détails, voir Gounot André. 1998. « Between Revolutionary Demands and Diplomatic Necessity : The Uneasy Relationship between Soviet Sport and Worker and Bourgeois Sport in Europe from 1920 to 1937 », in Riordan James, Arnaud Pierre (dir.), Sport and International Politics : The Impact of Fascism and Communism on Sport, London/New York, E & FN SPONl, p. 184-209. Barbara Keys arrive à des constats similaires, en évoquant en partie les mêmes faits et propos, dans son article « Soviet Sport and Transnational Mass Culture in the 1930s », Journal of Contemporary History, vol. 38, 2003, p. 413-434. Mais elle ne fait pas état de ces convergences, faisant allusion (p. 418) à l’article précédemment cité en termes de « short overview of Sportintern policy » (sic !).
  • [81]
    Procès-verbal de la réunion du Bureau politique du Parti communiste le 11 mai 1937, RGASPI, 17/3/987.
  • [82]
    Voir également, sur ces ambiguïtés, Exner-Karl Kristina. 1997. Sport und Politik in den Beziehungen Finnlands zur Sowjetunion 1940-1952, Wiesbaden, Harrassowitz, p. 53-58.
  • [83]
    Football, athlétisme, tennis, gymnastique, haltérophilie et échecs.
  • [84]
    Centre Louis Major. 1987. Il y a 50 ans… La Troisième Olympiade ouvrière 1937, p. 109. Voir aussi Tolleneer Jan, Renson Roland, Box Erik. 1987. « Antwerpen 1937. Die dritte Arbeiter-Olympiade », in Teichler Hans Joachim, Hauk Gerhard (dir.), Illustrierte Geschichte des Arbeitersports, Berlin/Bonn, Dietz, p. 223-226.
  • [85]
    « Décision au sujet de la transformation du secrétariat de l’IRS en un organe auxiliaire de l’IC pour le sport. MA/GF de l’all. 11.4.37 », RGASPI, 537/I 219 ; « Confidentiel. Copie. 10.4.37. Résolution sur les tâches des partis comm. dans le mouvement sportif », ibid.
  • [86]
    Par exemple, un entretien du vice-président du CSCP Karšenko avec le président de la FIFA Jules Rimet, à l’occasion d’un match de football entre le Racing Club de Paris et une sélection de Moscou, fin 1935, fait spéculer la presse sur une éventuelle adhésion de l’URSS à la FIFA. Karšenko souligne alors qu’il n’a « pas de mandat officiel » (Paris-Soir, 30 décembre 1935).
  • [87]
    Ne serait-ce que par l’intermédiaire de ses deux organisations les plus importantes : le CIO a défendu, contre toutes critiques, la tenue des Jeux olympiques de 1936 dans la capitale de l’Allemagne hitlérienne, et la FIFA avait précédemment attribué la Coupe du monde de football de 1934 à l’Italie mussolinienne. Son secrétaire général, l’Allemand Ivo Schricker, entretient d’ailleurs des liens avec le régime national-socialiste. Dans une note interne, le directeur du département international du CSCP Karpov déclare regretter que le sport soviétique reste relativement isolé sur le plan international, avant de préciser qu’une adhésion à la FIFA n’est pas envisageable, cette dernière étant entre les mains de « fascistes antisoviétiques » (GARF, 7576/2/176). Cette notice non datée se trouve au milieu d’informations rassemblées entre 1936 et 1938, par le département de Karpov, sur différentes fédérations sportives internationales.
  • [88]
    « Zur gegenwärtigen Lage der Sportbewegung und der Perspektiven ihrer weiteren Entwicklung. 9. Januar 1937. Von C. Aksamit », RGASPI, 537/I/219. Le Tchèque Carlo Aksamit était l’un des deux secrétaires de l’IRS.
  • [89]
    Exner-Karl K., op. cit, p. 252.
  • [90]
    Ce terme désigne le culte de la productivité du travailleur en faisant allusion à « l’exploit » du mineur de Donets Aleksej Stakhanov qui aurait réussi à extraire, dans la nuit du 30 au 31 août 1935, quatorze fois plus de charbon que ce que demandait le quota officiel. Il s’agit d’une des multiples manipulations de la propagande soviétique sous Staline, mise en dérision par André Gide qui évoque dans son « Retour de l’URSS » (1936, Paris, Gallimard, collection « Folio », p. 40) la visite d’une usine modèle où lui est présenté un « stakhanoviste » : « Il est parvenu, me dit-on, à faire en cinq heures le travail de huit jours (à moins que ce ne soit en huit heures, le travail de cinq jours ; je ne sais plus). Je me hasarde à demander si cela ne revient pas à dire que, d’abord, il mettait huit jours à faire le travail de cinq heures ? Mais ma question est assez mal prise et l’on préfère ne pas y répondre. »
  • [91]
    Sur les mondes parallèles de la terreur et du divertissement, avec, entre autres, une étude sur les parades sportives : Schlögel Karl. 2008. Terror und Traum. Moskau 1937, Munich, Hanser. Robert Edelman (1993, Serious Fun. A History of Spectator Sports in the U.S.S.R, New York/Oxford/Toronto, chapitre 8) montre la généralisation de pratiques professionnelles dans le championnat national de football au cours des années 1930 tout en évoquant l’augmentation colossale du nombre de spectateurs dans les stades. Voir aussi son livre sur le Spartak de Moscou : Edelman R., op. cit.
  • [92]
    Plaggenborg S., op. cit., p. 21-108 (= chapitre I, « La réorganisation de l’homme »).
  • [93]
    Cette sportivisation s’inscrit aussi dans un processus de « scientification » de tous les domaines de la vie sous Staline. Voir Katzer Nikolaus. 2011. « Soviet physical culture and sport. A European legacy ? », in Tomlinson Alan, Young Christopher, Holt Richard (dir.), Sport and the Transformation of Modern Europe. States, Media and Markets 1950-2010, London, p. 18-34, p. 24.
  • [94]
    Voir à ce sujet le témoignage saisissant de Wolfgang Leonhard. 1990. Die Revolution entlässt ihre Kinder, Cologne, Kiepenheuer & Witsch. Parmi les victimes des purges figurent les deux ex-présidents du CSCP Vasily Mantsev et Nikolaj Antipov, l’ancien directeur technique de l’Internationale sportive ouvrière socialiste Karl Bühren (exécuté en 1938 lors de la vague de terreur contre les réfugiés politiques de pays étrangers), et un nombre inestimable de sportifs. Cf. Morton H., op. cit., p. 177-185 ; Stiller Eike. 2007. Karl Bühren, Arbeitersportler und Sportfunktionär. Vor Hitler geflohen – unter Stalin getötet, Nora, Berlin.
  • [95]
    Selon John Hoberman (1984. Sport and Political Ideology, Austin, University of Texas Press, p. 192), la montée en puissance du sport de compétition s’inscrit dans le passage général « from a fraternal-collectivistic to a hierarchical-performance ideal ».
  • [96]
    Voir à ce sujet l’étude de Pierre Arnaud. 1998. « Le sport français face aux régimes autoritaires, 1919-1939 », in Arnaud Pierre, Riordan James (dir.), Sport et relations internationales, (1900-1941). Les démocraties face au fascisme et au nazisme, Paris, L’Harmattan, p. 277-324.
  • [97]
    Voir pour une présentation détaillée du processus d’intégration de l’URSS au CIO et de sa participation aux Jeux olympiques de 1952 Exner-Karl K., op. cit.
Français

L’article se penche d’abord sur le concept de fizkul’tura tel qu’il s’est établi en Russie après la guerre civile. Celui-ci intègre tous les aspects de conservation et d’amélioration de la santé corporelle (entre autres le repos et le sommeil) et se distingue ainsi de la notion occidentale de « culture physique ». Cependant, la fizkul’tura connaît un processus de sportivisation considérable dès la seconde moitié des années 1920. Au cours des années 1930 s’opère un glissement significatif de la politique sportive soviétique vers l’encouragement de la haute performance, avec l’objectif de dominer les compétitions sportives internationales. L’identification et l’analyse de ces étapes s’appuient en premier lieu sur des sources en provenance des archives du communisme à Moscou.

Mots-clés

  • santé
  • sport de compétition
  • Union soviétique
  • politique
  • périodes
English

From the promotion of physical health to the obsession with records. The political and ideological changes of fizkul’tura in Russia, 1921-1937

From the promotion of physical health to the obsession with records. The political and ideological changes of fizkul’tura in Russia, 1921-1937

The present article will first examine the concept of fizkul’tura as it has established itself in Russia after the end of the civil war. It differs from the western notion of physical culture insofar as it integrates every aspect of conservation and improvement of physical health, including rest and sleep. However, the development of fizkul’tura in the second half of the 1920s is marked by a progressive sportivisation. In the course of the 1930s Soviet sports policy shifts to the encouragement of high-level sport, following the aim of dominating the international sports competitions. The identification and analysis of these steps is based mainly on sources from the archives of communism in Moscow.

Keywords

  • health
  • competitive sports
  • Soviet Union
  • policy
  • periods
André Gounot [*]
  • [*]
    Professeur des universités, université de Strasbourg, EA 3400 « Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe » ; gounot@unistra.fr
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/07/2013
https://doi.org/10.3917/rsss.006.0009
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