CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En écho à la très instructive note de synthèse de Daniel Chartier dans le présent numéro, je voudrais soulever quatre questions majeures qui ont, à mes yeux, largement traversé jusqu’ici les débats dans la recherche sur les styles d’apprentissage en contexte éducatif, des questions qui présentent des enjeux importants, à la fois pour la recherche et les pratiques de formation. Elles sont en partie abordées dans le texte de D. Chartier mais on pourrait les reprendre à la lumière des apports de certains auteurs anglo-saxons considérés comme des références majeures dans le champ depuis plusieurs années. La première question concerne la profusion des typologies proposées dans la littérature pour distinguer, tantôt les styles cognitifs, tantôt les styles d’apprentissage : pourquoi une telle profusion ? Comment peut-on aujourd’hui, avec le recul des années de travaux dans le champ, y mettre de l’ordre ? La seconde question, plus fondamentale encore, concerne le flou conceptuel qui caractérise ce champ d’études : non seulement les catégories utilisées dans les typologies ne sont pas toujours clairement distinctes et définies, mais il en va aussi de même pour le concept même de « style d’apprentissage » par rapport à des concepts proches, comme « style cognitif », « approche d’apprentissage » ou « préférence d’apprentissage ». Il sera suggéré que ce flou tient sans doute non seulement à des fondements empiriques souvent lacunaires et discutables, mais également aux divergences théoriques, épistémologiques et méthodologiques, plus profondes qu’on ne le croit, qui divisent les courants de recherche dans le champ. On s’interrogera ensuite sur les implications de ce domaine de recherche pour les pratiques de formation : que peuvent apporter ces travaux sur les styles, à la fois pour les pratiques d’enseignement mais également d’apprentissage ? On en pointera à cet égard les promesses… et les pièges possibles. Enfin, d’une manière plus générale, on évoquera la question de l’usage social de ce type de système de catégories psychologiques.

Dans le labyrinthe des typologies des « styles »

2Lorsque l’on aborde ce champ d’études, on ne peut qu’être frappé par l’incroyable profusion des typologies proposées par la littérature depuis des décennies pour désigner les styles, à savoir les différences individuelles quant à la manière dont des sujets abordent les apprentissages et, plus largement, les tâches de traitement de l’information. Pratiquement chaque auteur y va de sa typologie (et on laissera encore provisoirement de côté la confusion conceptuelle entre styles d’apprentissage, styles cognitifs et autres concepts très proches). D. Chartier en évoque plusieurs, il y en a beaucoup d’autres encore, même si certains « must » se détachent. Ainsi, en ce qui concerne les styles cognitifs, la dimension « dépendant vs indépendant du champ » évoquée par D. Chartier est l’une des plus investiguées, mais il en va de même pour d’autres comme la « réflexion-impulsivité » (« tempo cognitif ») (Kagan, 1965, 1966) ou encore la « complexité cognitive » (Harvey, Hunt & Schroder, 1961) qui ont également eu leur heure de gloire dès les années 60. Étant donné cette prolifération des catégories, les désaccords sont forcément nombreux quant à la meilleure manière de distinguer les styles. Ces désaccords subsistent même parmi les auteurs qui ont tenté (principalement dans les années 70) des revues critiques et des synthèses de cette littérature afin de dégager les dimensions les plus fondamentales (Sternberg & Grigorenko, 2001).

3On a souvent stigmatisé la confusion de cette littérature (par exemple, Biggs & Moore, 1993), certaines catégories recoupant empiriquement d’autres portant des vocables différents ou, inversement, des catégories différentes recouvrant en fait des items empiriques non comparables. Cette confusion est souvent attribuée à des faiblesses empiriques. Problème de validité tout d’abord : par exemple, le manque d’analyses factorielles confirmatoires destinées à tester la validité interne des comparaisons, ou encore d’études corrélationnelles ou expérimentales pour tester le caractère différencié des effets de catégories jugées distinctes sur des variables externes pertinentes (validité externe). Problèmes de fiabilité également, par le manque d’études réplicatives, ou de « généralisabilité », en raison du fait que ces typologies sont pour la plupart étroitement liées à des tests particuliers (« le style Untel est ce que mon test maison mesure » !). On attribue cette confusion aussi, et même surtout, à une faiblesse théorique, en particulier l’absence de liens convaincants entre les catégories et des théories psychologiques plus générales de la personnalité, de l’apprentissage et/ou du fonctionnement cognitif [1]. Nous reviendrons dans le point suivant sur ces faiblesses théoriques et leurs sources.

4Dans ce dédale, on mesure dès lors d’autant mieux l’importance des travaux plus récents de R. Riding, également évoqués par D. Chartier. Riding et ses collègues (Riding & Cheema, 1991 ; Rayner & Riding, 1997 ; Riding & Rayner, 1998) [2] se sont en effet employés, dès le début des années 1990, à réexaminer plus d’une trentaine de catégories de styles, du point de vue de leur description théorique et empirique (échelles), de leurs corrélations et de la structure factorielle des instruments utilisés pour les mesurer, ainsi que de leur impact sur des variables comportementales externes, pour en conclure que toutes ces catégories pouvaient en réalité être réduites à deux dimensions fondamentales, qu’ils ont qualifiées de « global-analytique » (wholist-analytic) et « verbal-imagé » (verbal-imagery). Outre cet effort systématique de simplification empiriquement et théoriquement raisonnée, le modèle a également eu le mérite de veiller soigneusement à produire des catégories qui sont non seulement clairement indépendantes l’une de l’autre, mais également bien distinctes d’autres construits proches, tels que l’intelligence, les habiletés et la personnalité (cf. la revue de ces résultats dans Riding, 2001).
Même s’il ne concerne principalement que les styles cognitifs, ce modèle a toute sa pertinence pour les pratiques éducatives. Il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance des études menées par Riding et son équipe, qui montrent l’impact significatif des catégories de styles tels qu’ils les ont redéfinis sur la performance d’apprentissage, en termes de structure, de mode de présentation et de contenu du matériel auquel les apprenants sont confrontés (cf. Riding, 2001 pour cette discussion).

« Styles cognitifs », « styles d’apprentissage » et « approches d’étude » : flou conceptuel et enjeux théoriques sous-jacents

5Plus fondamentalement, au-delà de la profusion et de la relative confusion concernant les dimensions et catégories qui structurent les diverses typologies proposées, le flou conceptuel et théorique touche également la définition de l’objet même que ces typologies prétendent désigner. De surprenants désaccords apparaissent en effet entre les auteurs quand il s’agit de distinguer, en particulier, style cognitif, style d’apprentissage et approche d’apprentissage (ou d’étude), ou encore de distinguer ces différents construits des concepts plus fondamentaux d’habileté, d’intelligence, de traits de personnalité, voire même de motivation. Cette difficulté conceptuelle et théorique est abordée dans le texte de D. Chartier, mais il nous semble utile de clarifier davantage un certain nombre de clés permettant d’y voir un peu plus clair.

6Certains auteurs (par exemple Schunk, 2000) confondent explicitement styles cognitifs et styles d’apprentissage, en tant que différences individuelles stables quant au mode de prédilection de traitement de l’information. D’autres au contraire, tout comme D. Chartier, soulignent la distinction entre les deux concepts. Comme le rappellent Sternberg et Grigorenko (2001), historiquement tout d’abord, les travaux sur les styles cognitifs, s’inscrivant dans le mouvement d’émergence de la psychologie cognitive contemporaine dès la fin des années 50 ont précédé ceux sur les styles d’apprentissage. Essentiellement fondés sur de la recherche expérimentale en laboratoire, ils avaient pour objectif premier de rendre compte des différences individuelles dans la prédisposition à adopter préférentiellement certains modes de traitement de l’information plutôt que d’autres. Les premiers travaux de ce type ont été fort critiqués, notamment par le fait qu’ils distinguaient mal finalement, tant théoriquement qu’empi-riquement, le concept de style, et les concepts de base d’habilité (ability), d’intelligence ou encore de personnalité (à l’exception notable des travaux susmentionnés de R. Riding).

7Dès les années 70, ces travaux pénétrèrent le champ de la psychologie de l’éducation et générèrent deux types de préoccupations chez les chercheurs : il s’agissait, d’une part, d’étudier les relations entre style cognitif, environnement d’apprentissage et performance d’apprentissage et, d’autre part, sur une base essentiellement empirique, d’inférer à partir de l’observation d’apprenants en situation réelle d’enseignement ou de formation, les différences individuelles dans les tendances à adopter préférentiellement tel type de stratégie d’apprentissage plutôt que tel autre. C’est de ce type de préoccupation que sont nés les travaux bien connus sur les styles d’apprentissage proprement dits, ceux de Kolb (1984) [3] et Dunn et Dunn (1978) [4], cités par D. Chartier, mais également ceux de Renzulli et Smith (1978) ou de Keefe (1982) et Keefe et Monk (1986). En ce sens, les styles d’apprentissage (learning styles) sont souvent assimilés par ces auteurs à des « préférences d’apprentissage » (learning preferences) (Woolfolk, 2001). En résumé, les « styles d’apprentissage » et les « styles cognitifs » ont en commun de désigner, dans un cas comme dans l’autre, des différences dispositionnelles, relativement stables chez les individus, au niveau de leurs modes préférés de fonctionnement cognitif (Biggs & Moore, 1993). Un autre point commun est le fait qu’il s’agit de typologies fondées sur des recherches de type nomothétique. La différence majeure, par contre - comme D. Chartier l’indique à sa manière -, réside dans le fait que dans le second cas, on s’intéresse au fonctionnement cognitif de l’individu relativement hors contexte, alors que les styles d’apprentissage désignent leur fonctionnement cognitif spécifiquement en situation d’apprentissage et en contexte éducatif.

8La notion de learning approach, le plus souvent traduite en français par « approche d’étude », est emblématique d’un courant de recherches en éducation qui a voulu se démarquer nettement des travaux classiques sur les styles évoqués plus haut. Ce courant, initié au départ principalement par F. Marton et R. Saljö en Suède, N. Entwistle en Angleterre et J. Biggs en Australie, tous travaillant sur l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, s’intéressent moins aux caractéristiques dispositionnelles des individus en situation d’apprentissage qu’à ce qu’ils font, leur mode d’activité en situation, c’est-à-dire lorsqu’ils sont confrontés à une tâche spécifique, en interaction avec un environnement pédagogique donné, dans un contexte donné (voir en particulier Biggs, 1979, 1987a, 1987b, 1987c, 2001 ; Entwistle & Ramsden, 1983 ; Entwistle, 1988 ; Entwistle & Tait, 1990 ; Marton & Saljö, 1976a, 1976b, 1984). En ce sens les approches d’études sont parfois assimilées à des « stratégies d’apprentissage ». Cette perspective s’inscrit ainsi résolument dans le paradigme dit « ATI » (Aptitude-Treatment-Interactions, Cronbach & Snow, 1977), qui tend à voir le fonctionnement réel de l’apprenant en situation comme la résultante des interactions entre ses dispositions internes, son comportement et les caractéristiques de l’environnement d’apprentissage avec lequel il interagit. En tant que « situées », elles sont aussi considérées comme beaucoup plus plastiques, malléables, que les « styles ». En outre, ce courant s’intéresse en priorité au fonctionnement de l’individu tel qu’il est perçu par l’apprenant lui-même en lien avec sa perception de l’environnement d’apprentissage. Ainsi, les méthodes de mesure des approches privilégiées sont les techniques phénoménographiques (c’est tout particulièrement le cas des travaux de Marton & Saljö) et les pratiques d’études auto-rapportées par questionnaire. Ces auteurs s’intéressent surtout aux relations entre les approches d’études avec, d’une part, les performances d’apprentissage et, d’autre part, diverses variables dont on sait qu’elles influent également sur l’apprentissage, tout particulièrement les variables motivationnelles. La dimension affective est en effet très présente dans la problématique des approches d’études, alors que les styles, cognitifs ou d’apprentissage, sont quasi exclusivement centrés sur le fonctionnement strictement cognitif (Biggs & Moore, 1993).
On signalera enfin que le concept de style, au sens défini plus haut, est actuellement plutôt en perte de vitesse dans la recherche en psychologie de l’éducation alors que celui d’approche connaît au contraire un vigoureux intérêt. Il s’agit d’une variable devenue quasi incontournable dans les études actuelles portant sur l’impact de variables personnelles et situationnelles sur l’apprentissage [5].
En conclusion, on le voit, le flou conceptuel qui prévaut parfois à propos des concepts de style cognitif, style d’apprentissage, approche d’étude et autres concepts apparentés, est sous-tendu par des divisions théoriques, épistémologiques et méthodologiques importantes qui structurent profondément le paysage, des divisions qui, soit dit au passage, traversent bien d’autres champs de la recherche en psychologie de l’éducation : paradigmes nomothétiques vs phénoménographiques, prise en compte centrale des interactions disposition-environnement en situation vs approche disposi-tionnelle, approche décontextualisée vs située, centration exclusive sur le cognitif vs prise en compte de l’affectif, etc.

Implications pour les pratiques de formation : des choix théoriques pas innocents

9Les enjeux théoriques évoqués ci-dessus ont également des implications pratiques importantes. Une approche dispositionnelle des styles invite plutôt à raisonner la pratique de formation en termes d’adéquation optimale entre l’environ-nement pédagogique (tâche, situation, contexte) offert à l’apprenant et son style d’apprentissage. La littérature sur le sujet abonde en effet de recommandations de ce type. Il est à cet égard intéressant de noter le développement de travaux de recherche sur les styles d’enseignement (teaching styles) conjointement à ceux sur les styles d’apprentissage [6]. Le raisonnement plus ou moins implicite est le suivant : les styles sont des dispositions données au départ, or, toutes choses étant égales par ailleurs, l’apprenant atteindra une meilleure performance d’apprentissage s’il bénéficie d’un environnement d’apprentissage congruent avec son style. Ce raisonnement, assez intuitif, pose cependant un certain nombre de problèmes, d’ailleurs partiellement évoqués par D. Chartier. On pense notamment à la difficulté de diagnostiquer correctement le style individuel de chaque apprenant dans un groupe, à la difficulté de concevoir et/ou de mettre en œuvre la panoplie complète des environnements pédagogiques susceptibles d’être optimalement ajustés à tous les styles représentés, à la difficulté de manier les typologies, vu la relative confusion conceptuelle et théorique qui règne dans cette littérature. On notera également que le postulat, qui semble aller de soi, qu’on apprend nécessairement mieux lorsqu’on est exposé à un environnement adapté à son style d’apprentissage mériterait un examen empirique plus approfondi (Woolfolk, 2001). Dans le même ordre d’idées, l’examen systématique des relations entre des caractéristiques de l’environnement pédagogique et les styles d’apprentissage afin de déterminer l’environnement le plus adéquat pour un style donné reste encore largement à mener. À nouveau, les difficultés conceptuelles et théoriques, et en particulier celle de s’accorder sur une typologie, rendent problématique cet examen empirique. Une autre difficulté réside dans la non-prise en compte des perceptions de l’environnement par l’apprenant.

10Par contraste, l’entrée par les approches d’apprentissage invite davantage à s’interroger de manière systémique sur les interactions entre les dispositions des apprenants, les stratégies d’apprentissage qu’ils mettent effectivement en place et l’environnement d’apprentissage tel que les apprenants le perçoivent. Dans cette perspective, on s’interrogera dès lors à la fois sur les interactions entre caractéristiques individuelles de l’apprenant et caractéristiques de l’environnement d’apprentissage dans leurs effets sur l’adoption de telle approche d’étude plutôt qu’une autre, et sur les conséquences - dans ce même contexte - de l’usage de telle ou telle approche d’étude sur la performance d’apprentissage.
Plus fondamentalement, la perspective « située » des approches d’étude invite à se demander comment on peut apprendre au sujet à élargir progressivement sa panoplie d’approches et à utiliser celle qui convient le mieux dans une situation particulière, plutôt qu’à se demander comment on peut obtenir la congruence optimale entre l’environnement pédagogique et le style individuel donné de l’apprenant. On peut faire ici le lien avec la perspective vygotskienne de l’apprentissage qui considérerait que l’apprenant peut progresser dans la maîtrise d’une panoplie de plus en plus élargie d’approches et de stratégies, pourvu qu’il puisse bénéficier en temps opportun (c’est-à-dire lorsqu’il est dans sa « zone proximale de développement ») des interactions sociales nécessaires pour cet apprentissage. Autrement dit, on peut voir les styles comme une disposition donnée relativement stable à laquelle on doit peu ou prou s’adapter, dans la mesure où elle conditionne la performance d’apprentissage ou, au contraire, comme à la fois une disposition dans son état actuel à laquelle on doit être attentif pour atteindre une congruence suffisante, et un potentiel, une donnée susceptible de se modifier, de faire elle-même l’objet d’un apprentissage.
Quoi qu’il en soit, ces travaux, tant sur les styles que sur les approches, invitent à concevoir et à mettre en œuvre des dispositifs de formation suffisamment variés pour que chaque apprenant puisse a priori « y trouver son compte ». À cet égard, les nouvelles technologies éducatives offrent d’intéressantes perspectives, tant pour le diagnostic (ou autodiagnostic) individualisé du profil des apprenants que pour les possibilités d’ajustement individuel du dispositif aux différents profils. On soulignera enfin que ces travaux offrent également des outils métacognitifs intéressants pour les apprenants eux-mêmes : ils apportent des clés leur permettant de mieux connaître, comprendre et éventuellement ajuster leur propre fonctionnement en situation d’apprentissage.

Du bon usage social des typologies psychologiques

11Enfin, pour conclure ces réflexions, on ne peut s’empêcher de rappeler, s’il le fallait encore, les promesses et les pièges des typologies psychologiques comme celle des styles d’apprentissage. L’apport de ce type de travaux pour les pratiques tient surtout au fait qu’ils apportent des outils d’analyse pour diagnostiquer des situations et envisager des pistes d’action. En l’occurrence, par exemple, être un minimum averti de la diversité possible des styles d’apprentissage et des approches d’études peut aider, dans certains cas, un formateur d’adultes à mieux comprendre pourquoi une apprenante bloque à un moment donné face à la tâche et à envisager une modification possible d’aspects de l’environnement d’apprentissage pour le rendre plus congruent avec le style manifesté de l’apprenante. Ou encore, pour aider la formatrice à repérer l’approche d’étude utilisée par un apprenant dans une situation donnée et envisager des pistes d’intervention pour l’amener à utiliser éventuellement d’autres approches. Mais au-delà de ces (belles) promesses, on ne peut passer sous silence tous les dangers, classiques et largement discutés par ailleurs, de l’usage social de toute catégorie psychologique, telles les catégories de style ou d’approche d’apprentissage. On pense en particulier aux dangers de la réification (oublier que les approches tout comme les styles ne sont pas des réalités ontologiques, qu’elles ne sont jamais que des construits théoriques et hypothétiques, en l’occurrence aux fondements empiriques et théoriques parfois bien minces), l’essentialisation, bien connu en psychologie sociale, et qui consiste à ramener l’identité entière du sujet à une caractéristique latente, désignée par la catégorie utilisée, et à partir de là, faire une série d’inférences sur le sujet que l’on prendra rarement la peine de vérifier (« Isabelle est “une auditive”, or les auditifs sont comme ceci ou comme cela, donc Isabelle est comme ceci ou comme cela »), et son corollaire, la stigmatisation, lorsque la catégorie se teinte de normativité et de jugement (« l’approche en surface, comme son nom l’indique, est a priori moins désirable que l’approche en profondeur »). Pour s’en convaincre, il suffit de constater les dégâts qu’a pu produire dans les classes l’usage inconsidéré des typologies de La Garanderie dont par ailleurs D. Chartier rappelle à juste titre la légèreté des fondements théoriques et empiriques.

12On notera quand même qu’a priori, l’entrée par les approches est moins susceptible de prêter le flanc à ces pièges que l’entrée par les styles, dans la mesure où les premières concernent avant tout ce que le sujet fait plutôt que ce qu’il est, et qui plus est, considèrent que ce qu’il fait n’est pas uniquement fonction de ce qu’il est mais bien des interactions entre ce qu’il est et des situations particulières qu’il rencontre.

Notes

  • [1]
    Voir en particulier Sternberg & Grigorenko (2001) pour une synthèse de ces critiques.
  • [2]
    Voir aussi Riding (2001) pour une discussion plus récente de ces travaux et leurs implications pour le champ éducatif.
  • [3]
    Voir aussi la revue extensive sur le sujet réalisée récemment par Kolb lui-même (Kolb & Kolb, 1999).
  • [4]
    Voir aussi Dunn, Dunn & Price (1984).
  • [5]
    Notre équipe a récemment travaillé à la validation d’échelles portant notamment sur les approches d’apprentissage en contexte d’enseignement supérieur (Galand, Bourgeois, Frenay & Vander Borght, 2002 ; Bourgeois, Galand & Frenay, 2003).
  • [6]
    À ce sujet, outre les quelques travaux francophones rapportés par D. Chartier, on notera aussi ceux de Henson & Borthwick (1984).

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Etienne Bourgeois
Etienne Bourgeois est professeur de sciences de l’éducation à l’Université catholique de Louvain. Il enseigne également à l’Université de Genève et au Cnam. Ses activités de recherche et d’enseignement concernent principalement les processus d’apprentissage et de motivation en formation des adultes. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dans le domaine.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/savo.002.0029
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