CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La crise sanitaire encore actuelle de la pandémie de COVID-19 a remis au goût du jour les débats sur la démocratie sanitaire qui consacre l’implication et la participation des citoyen.ne.s dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques de santé publique. En interrogeant l’histoire des interventions de santé en Afrique, il apparaît que la coordination inter-États pour lutter contre la trypanosomiase avait jeté les bases de la citoyenneté sanitaire. En effet, les campagnes de vaccination de masse opposaient alors le bon citoyen (qui acceptait la vaccination et qui convainquait sa communauté) du mauvais citoyen [1]. Les débats actuels sur la supposée hésitation vaccinale en Afrique alors que l’on vit un nouvel échec de la solidarité de la santé mondiale à fournir les quantités de vaccins que les populations réclament pourtant, rappelle combien l’histoire éclaire, sans toujours expliquer, le présent. Ce constat replace la question de la citoyenneté en santé dans l’ambiguïté des rapports de pouvoir qui en sous-tendent les enjeux.

2Ce rappel est d’autant plus important qu’il permet de comprendre le socle du processus de construction des politiques sanitaires en Afrique où on assiste à une redéfinition des concepts de base de la santé publique comprise par certains comme une forme de savoir biomédical et domaine spécialisé de l’action publique sanitaire [2]. La santé publique s’est progressivement construite en intégrant l’héritage d’une médecine coloniale et des approches santé communautaire depuis 1978. Cette dernière, mise en place pour permettre aux populations, notamment les plus pauvres, d’accéder à des soins de santé, se présente aujourd’hui comme un complément permettant de pallier dans l’immédiat des vulnérabilités sanitaires. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a maintenu au fil des années son positionnement en faveur d’un couplage entre services de santé et santé communautaire en direction des populations mal desservies [3]. Elle a réaffirmé l’importance de la participation des acteurs non professionnels dans le cadre de l’accès aux soins de santé primaires [4]. Mais tout cela est toujours plus facile à dire qu’à mettre en pratique !

3Nous ne proposons pas une relecture des cultures politiques de santé ou, inversement, celles de politiques culturelles sanitaires mais plutôt une analyse des mutations et des transformations d’une santé communautaire dont les acteurs se professionnalisent de plus en plus à l’image des organisations communautaires qui se bureaucratisent. En effet, « l’ONGisation [1] » de la santé en Afrique a entraîné la professionnalisation des acteurs communautaires. Les conséquences immédiates de la transformation de ces dispositifs organisationnels de santé communautaire et de santé publique se traduisent par les défis de la reconnaissance des savoirs expérientiels et la difficile participation des citoyen.ne.s. Mais il s’agit d’un dilemme complexe car nous savons que les stratégies fondées uniquement sur le volontariat et le bénévolat ne sont pas suffisamment efficaces à l’image des mutuelles communautaires, des agents de santé communautaire ou des comités de gestion des centres de santé. Ainsi, le recours à des acteurs mieux formés et plus professionnels s’est imposé et a renforcé l’efficacité des réponses notamment avec le salariat des agents de santé communautaire ou la professionnalisation des mouvements mutualistes. Mais le risque avec cette dernière solution est le défi de la participation citoyenne et la mise à l’écart de la société civile au profit d’une plus grande performance, sans compter les dangers d’une plus grande implication du secteur privé à but lucratif, comme on le voit dans le secteur de l’eau en Afrique, par exemple.

4La survenue des épidémies en Afrique subsaharienne, notamment l’épidémie à coronavirus a mis à nu la fragilité des ressorts de la santé publique et des systèmes de soins africains. Avec la pandémie de COVID-19, nous avons pu assister à un repli sur soi des États des pays riches et à une nouvelle mise à l’écart de la société civile. Cette situation met fin à l’exceptionnalité du VIH (pour lequel des financements massifs étaient et sont encore mobilisés) et du paradigme de la coopération sanitaire internationale. De plus, l’initiative COVAX, que les dirigeants présentaient comme la solution miracle pour atteindre l’équité vaccinale, se révélera inopérante : « COVAX is not just another global “collaboration”; It is an extraordinarily complex multistakeholder public-private partnership (PPP), co-led by existing PPPs as one pillar of an even more complex PPP, ACT-A. We show that it constitutes an experimental institutional form for dealing with global health crises that we call the “super-PPP”, which structurally resembles a series of Russian Matryoshka dolls of decreasing sizes nested inside each other » [5].

5Au-delà de son échec à fournir des vaccins aux pays les plus pauvres, elle montre combien cette même société civile a été totalement écartée, qui plus est celle des populations africaines. Ailleurs, des organisations internationales et sous-régionales comme l’OMS, l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS) par exemple ont une capacité d’action limitée, une bureaucratisation sclérosante et ont connu de fortes contestations concernant le manque de place donnée aux citoyen.ne.s.

6L’un des principes de base de la santé communautaire, fondée sur les valeurs éthiques et surtout sur la santé comme un bien commun, un bien public, est fondamentalement remis en cause. N’assiste-t-on pas ainsi au processus de redéfinition de la démocratie sanitaire et surtout de la participation citoyen.ne.s ?

Notes

  • [1]
    Néologisme symbolisant la place importante des ONG dans la définition des priorités et objectifs de santé communautaire.

Références

  • En ligne
    1
    Lachenal G. Le médicament qui devait sauver l’Afrique : un scandale pharmaceutique aux colonies. Paris : La Découverte/Empêcheurs de penser rond ; 2014.
  • 2
    Fassin D. Au cœur de la cité salubre, la santé publique entre les mots et les choses. In : Dozon JP, Fassin D (dir.). Critique de la santé publique : Une approche anthropologique. Paris : Balland ; 2001. p. 47-73.
  • 3
    Kahssay HM, Taylor ME, Berman P. Les agents de santé communautaires : comment aller de l’avant ? Genève : Organisation mondiale de la santé (OMS) ; 1999.
  • 4
    OMS. Les soins de santé primaires : maintenant plus que jamais. Genève : OMS ; 2008.
  • 5
    Storeng KT, de Bengy Puyvallée A, Stein F. COVAX and the rise of the “super public private partnership” for global health. Global Public Health. 2021:1-17.
Fatoumata Hane
Université Assane Seck de Ziguinchor
Valéry Ridde
Institut de recherche pour le développement (IRD) – Centre population et développement (Ceped)
Institut de santé et de développement (Ised) – Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad)
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/02/2022
https://doi.org/10.3917/spub.214.0471
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