CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Sciences humaines et sociales, Stéphanie Bimes-Arbus, Yves Lazorthes, Daniel Rougé et al. Collection : Abrégés PCEM 1, Masson, Paris, 2006 : 412 p., ISBN : 2-294-00448-3

1Cette rubrique de recensions d’ouvrages permet en général de saluer des ouvrages dont on souhaite faire connaître la nouveauté, la qualité, l’utilité. Ainsi, à plusieurs reprises, il y a été dit du bien de la collection « Abrégés » de Masson. Aujourd’hui pourtant, c’est de déception qu’il s’agit, voire d’irritation. Santé Publique avait gardé un bon souvenir du livre de G. Lazorthes (« Sciences humaines et sociales », Masson, coll Abrégés, 6e édition, 2000), fort de ses éditions successives, manuel honnête apprécié des étudiants de 1re année de médecine (PCEM1). Le fait que le même auteur préface cette nouvelle publication constituait une caution encourageante. Las ! Sous le même titre, avec un volume nettement augmenté (près de 500 pages) et une présentation moins austère, avec une quarantaine d’auteurs connus et appréciés, on nous présente aujourd’hui un ensemble incroyable de textes disparates, organisés en 8 « thèmes fondamentaux », parlant de tout -souvent de manière pertinente- sauf, en caricaturant à peine,... de sciences humaines et sociales.

2Pendant des décennies, les étudiants de PCEM1 n’ont connu des sciences dites fondamentales que la biologie, déclinée dans ses sous-disciplines médicales. L’introduction laborieuse des sciences humaines et sociales (SHS) en 1994 [1] et le coefficient élevé de leur notation lors du concours de sélection constituaient un progrès appréciable : enfin les SHS avaient, légitimement, une place parmi les sciences fondamentales des études de médecine. On pouvait donc s’attendre à ce que les étudiants soient initiés à ce que sont l’anthropologie, la sociologie, l’histoire, la psychologie sociale, la linguistique, le droit, l’éthique, la démographie, qu’ils connaissent leurs principales méthodes, et ce qu’elles apportent à la pratique médicale, en clinique et en santé publique. Sans en faire des sociologues ni des anthropologistes, pas plus que les sciences fondamentales biologiques n’en font des anatomistes ou des biochimistes. On aurait aimé voir cités et proposés à la lecture des extraits historiques et toujours actuels d’Ibn Khaldoun, E. Durkheim, K. Marx, M. Weber, ou d’autres, plus récents, de C. Lévi-Strauss, J. Benoist, B. Hours, S. Fainzang, D. Bonnet, A. Desclaux, C. Herzlich, A. d’Houtaud, et de tant d’autres, notamment en France, qui honorent à haut niveau les SHS.

3Rien de tout cela. Le livre s’ouvre sur un premier « thème fondamental » : « Les métiers de la santé », puis un autre : « Santé publique et protection sociale ». Nul ne regrettera qu’on parle de leur métier et des métiers de ceux qu’ils côtoieront, et de santé publique, à des étudiants de PCEM 1, mais pourquoi dans un livre titrant sur les SHS ? C’est une tromperie grave des étudiants de présenter de tels textes – sans préjuger de leur qualité intrinsèque – comme des thèmes fondamentaux de SHS. Et encore faut il s’interroger sur ce chapitre sur la santé publique, qui débute par un sous-chapitre « prévention primaire », lui-même entamé par un texte sur « les indicateurs en épidémiologie » : on ne s’y prendrait pas autrement si l’on voulait égarer les étudiants dans un monde qui serait incompréhensible pour eux car dépourvu de références et d’une organisation d’ensemble…

4On est un peu rassuré avec la partie III sur « origine, évolution et diversité de l’homme » qui évoque bien l’anthropologie biologique, mais qui pourtant peine sur « l’anthropologie médicale » où K. Marx, E. Durkheim et C. Lévi-Strauss se partagent 10 lignes sur 37 pages. Les textes sur « la mort » sont bienvenus mais on ne trouve rien sur les aspects culturels de la naissance, de la parenté et du lignage, du mariage. On est encore plus satisfait avec la partie IV sur « Psychologie de l’homme », la seule de tout l’ouvrage où l’on voit une science humaine définie, décrite en ses principaux courants, analysée dans ses différentes applications, avec une insistance particulière sur quelques aspects intéressants pour de futurs professionnels de santé : le stress, la gestion des conflits, l’agressivité et la violence. « L’éthique et sa diversité » et « Communication et langage » sont l’objet de deux autres parties intéressantes. Dans la suivante, sur « Déontologie et droit », on passe sans transition des droits de l’enfant à la médecine humanitaire, et de celle-ci au principe de précaution… pour arriver à une partie VIII sur « Conduites et faits sociaux », s’ouvrant sur « Médicament et société », pour aborder ensuite les addictions illégales, l’alcool, le tabac, et la violence, comme si le fait de manger, d’avoir des relations sexuelles, de faire du sport ou non, de consommer des médicaments, d’aller chez le médecin ou non, de recourir à des pratiques traditionnelles, de se suicider le cas échéant (ô Durkheim !) ou encore l’organisation du système de soins n’étaient pas aussi des faits sociaux intéressants pour la santé des gens et la médecine… Gageons qu’un vrai chapitre sur la sociologie, insistant sur la sociologie de la santé et la sociologie de la médecine aurait permis d’en dire plus, plus clairement, sans occuper plus de pages.

5Cela dit, l’étudiant qui utilisera ce livre trouvera, en se servant de l’index, une quantité de petits textes intéressants sur des aspects divers de la médecine, et cela pourra lui être utile lors du concours de fin de PCEM1, mais il n’aura aucune idée de la façon dont plus tard, il pourra comprendre et décoder les comportements de ses patients ou de la population dont il aura à prendre soin, sur ce que la culture et l’appartenance à un groupe déterminent en matière de santé, sur les logiques qui sous-tendent l’organisation et la pratique de la médecine. C’est une occasion manquée et c’est dommage.

6Jean-Pierre Deschamps

Devenir anorexique. Une approche sociologique, Muriel Darmon. Collection Poche, Paris, La Découverte, 2008 : 349 p., N°ISBN : 2-7071-5375-3

7Les éditions La Découverte rééditent en collection Poche l’ouvrage de la sociologue Muriel Darmon sur l’anorexie, dont la première édition datait de 2003. Effectuant un pas de côté des théories médicales et psychanalytiques de l’anorexie, Muriel Darmon propose une approche par les pratiques et les expériences, analysant les processus qui mènent des jeunes femmes à être diagnostiquées anorexiques. Elle y considère l’anorexie comme un « travail », décrivant une œuvre de transformation de soi, de son quotidien et de ses goûts. Le concept de « carrière » est utilisé pour problématiser cette approche centrée sur l’activité, l’engagement.

8Les entretiens avec des jeunes filles anorexiques, hospitalisées ou non, sont complétés par des entretiens avec d’autres lycéennes du même âge. Les récits traduisent l’évolution des pratiques alimentaires mais aussi de pratiques associées – forts investissements scolaires et sportifs – dans une volonté de la jeune femme à s’engager et se maintenir dans une « prise en main » d’elle-même. Muriel Darmon illustre avec finesse la construction de ces pratiques : utilisation de techniques de mesure des aliments, d’évitement des repas, recherche d’occasions multiples d’effort physique au quotidien. Elle montre le caractère improbable et conjoncturel du maintien de la jeune femme dans ce nouvel engagement, se dégageant d’une vision figée de la pathologie diagnostiquée. Plutôt que l’influence directe des représentations du corps féminin véhiculées dans les médias, c’est l’approbation de l’entourage (famille, amis) valorisant l’amaigrissement de la jeune fille, encourageant la poursuite de ses efforts scolaires, qui se constitue, dans un premier temps, appui de l’engagement. Peu à peu, la progression de l’amaigrissement suscite des réactions d’alertes dans ce même entourage, la surveillance se fait pressante et la jeune femme est amenée à développer des déviances sociales pour maintenir son engagement (mensonges, dissimulations). L’étiquetage de la jeune fille comme anorexique, de plus en plus inéluctable, est officialisée avec l’entrée dans le système de soins. Comme le montre Muriel Darmon, cet étiquetage renforce la surveillance et le caractère déviant du maintien dans l’engagement. La prise en charge par l’institution va avoir pour objet d’engendrer un « lâcher prise » tout autant qu’un changement de perspective ; elle contraint la jeune fille à rompre avec sa détermination et à relativiser, voire à inverser, les valeurs qu’elle cultive.

9Une des dernières parties de l’ouvrage, consacrée à l’étude de l’« espace social des transformations de soi », réinscrit pertinemment l’analyse de la « carrière anorexique » dans le cadre d’une sociologie des valeurs et goûts. Les pratiques anorexiques sont orientées socialement, elles tendent à un élitisme social : orientation vers des goûts – alimentaires, culturels, sportifs – qui sont ceux des classes supérieures. Transformation du corps, l’anorexie est ici interprétée sous l’angle du désir de transformation sociale.

10Un bel ouvrage, qui renouvelle notre regard sur cette pathologie préoccupante qui touche aujourd’hui en France environ 1,5 % des adolescents français, très majoritairement des jeunes filles.

11Hélène Kane

Les médias et le façonnement des normes en matière de santé, Sous la direction de Lise Renaud. Collection Santé et Société, Presses de l’Université du Québec, 2007 : 318 p., ISBN : 2-7605-1526-0

12L’ouvrage dirigé par Lise Renaud, regroupant les travaux du Groupe de recherche Médias et santé réalisés entre 2004 et 2006, est une contribution bienvenue dans un champ de recherche, encore trop souvent négligé : l’articulation des médias et des thématiques de santé, et son implication sur les comportements et attitudes de santé.

13Posant la problématique en termes de « normes de santé », notion développée en première section, l’ouvrage examine, dans sa seconde section, comment les médias contribuent au façonnement de ces normes. Partant d’un modèle communicationnel linéaire connu, celui de l’émetteur – relais – récepteur, les auteurs l’étoffe pour complexifier les interactions permanentes entre ces trois étapes de communication ; à chaque étape, est étudiée l’émergence des normes de santé ainsi que leurs mécanismes de diffusion et d’intégration – ou non – par les individus et/ou groupes à qui s’adresse le message. La dernière section présente un cadre théorique, un « Modèle dynamique interactif » et propose des pistes d’action pour les praticiens en santé publique.

14Que retenir de ce collectif ? Probablement que le processus médiatique est complexe et qu’un message de santé ne va jamais de soi. Les auteurs s’attachent à illustrer la diversité des médias du point de vue de leur support technique – audiovisuel, presse, Internet… – mais également du point de vue de leur format – téléromans, messages publicitaires, campagnes de santé publique… Bien que ne retenant que deux thématiques santé, l’alimentation et l’activité physique, les auteurs nous dessinent un paysage médiatique dense sur lequel ils portent un éclairage nécessaire, notamment lorsqu’il s’agit de décrire les acteurs qui créent le message avec leurs objectifs particuliers (organisations de santé, industries, ONG…), les acteurs intermédiaires qui permettent à ce message d’exister (producteurs de médias, journalistes, rédacteurs…) et l’audience (jeunes, immigrants, consommateurs…) qui reçoit ce message. On peut regretter que cette dernière étape, cruciale pour la compréhension des comportements et attitudes de santé, ne soit pas davantage développée – qu’elle constitue, souhaitons-le, une prochaine étape des travaux de ce groupe de recherche.

15À l’issue de la lecture de l’ouvrage, l’intérêt d’utiliser les médias dans le champ de la santé publique est renforcé. C’est également la nécessité de développer des initiatives similaires en France, qui émerge : qu’en est-il du paysage médiatique français sur les thématiques de santé ? Où sont les messages santé ? Comment sont-ils construits ? Par qui ? Quelles sont leurs thématiques ? Comment ces messages sont-ils reçus ?

16Dans le paysage de la littérature francophone, qu’elle soit académique ou professionnelle, étrangement absente sur ce sujet contrairement aux travaux anglo-saxons, l’ouvrage de Lise Renaud et de ses collègues du groupe de recherche Médias et santé, constitue un outil précieux, pour les chercheurs et les professionnels de santé publique.

17Joëlle Kivits

Notes

  • [1]
    Deschamps JP. Les facultés de médecine découvrent que l’homme vit en société. In : PUN, Rennes, Santé publique, 1994, 6e année, 3:191-2.
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/07/2008
https://doi.org/10.3917/spub.082.0201
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